Facture-Biganos II. La croissance de la papeterie - Hubert Bonin - Free
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<strong>Facture</strong>-<strong>Biganos</strong> <strong>II</strong>. <strong>La</strong> <strong>croissance</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>papeterie</strong><br />
(<strong>de</strong>s années 1940 aux années 1970)<br />
<strong>Hubert</strong> <strong>Bonin</strong>, professeur d’histoire économique, Sciences Po Bor<strong>de</strong>aux et UMR CNRS 5113 GRETHA-<br />
Université <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux [www.hubertbonin.com]<br />
Une fois mise en p<strong>la</strong>ce <strong>la</strong> grosse <strong>papeterie</strong> <strong>de</strong> <strong>Facture</strong>-<strong>Biganos</strong> avant <strong>la</strong> Secon<strong>de</strong> Guerre<br />
mondiale, le site se trouve confronté banalement aux contraintes <strong>de</strong> <strong>la</strong> forte <strong>croissance</strong> <strong>de</strong>s<br />
débouchés au sein <strong>de</strong>s Trente Glorieuses, aux mutations technologiques, aux pressions <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> concurrence et, enfin, aux <strong>de</strong>sseins <strong>de</strong> <strong>la</strong> maison mère <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du Pin, Saint-<br />
Gobain. Un seul mot résume <strong>la</strong> réponse à ces défis : investir, en matière grise, en<br />
équipements, en réseaux commerciaux, en image <strong>de</strong> marque. Le principe stratégique clé<br />
reste « l’intégration verticale », du pin forestier aux produits finis et transformés, d’autant<br />
plus que l’usine et sa société font germer un « groupe » ramifié par un processus <strong>de</strong><br />
« <strong>croissance</strong> externe », <strong>de</strong>s rachats <strong>de</strong> sociétés papetières et cartonnières, dans <strong>la</strong> région et<br />
aussi dans toute <strong>la</strong> France 1 . Mais notre texte se contentera <strong>de</strong> retracer l’évolution du site <strong>de</strong><br />
<strong>Facture</strong>-<strong>Biganos</strong>, sans s’orienter vers une histoire complète <strong>de</strong> l’entreprise Cellulose du<br />
pin.<br />
1. L’usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> intégrée à un puissant groupe papetier<br />
Jusqu’à <strong>la</strong> guerre, <strong>la</strong> Cellulose du pin se confond avec son usine <strong>de</strong> <strong>Biganos</strong>-<strong>Facture</strong>, qui<br />
compte sur sa « <strong>croissance</strong> organique » pour développer le chiffre d’affaires et les parts <strong>de</strong><br />
marché, c’est-à-dire <strong>la</strong> montée en puissance progressive <strong>de</strong> son outil <strong>de</strong> production. Mais,<br />
peu à peu, elle se transforme en une gran<strong>de</strong> entreprise en elle-même, grâce à une stratégie<br />
<strong>de</strong> <strong>croissance</strong> externe. Saint-Gobain, déjà groupe verrier et groupe chimique, veut <strong>de</strong>venir<br />
un grand groupe papetier 2 .<br />
Paradoxalement, <strong>la</strong> poursuite <strong>de</strong>s investigations dans <strong>la</strong> chimie <strong>de</strong> <strong>la</strong> pâte à papier, au sein<br />
<strong>de</strong> Saint-Gobain et <strong>de</strong> CTA, sous l’influence <strong>de</strong> découvertes américaines, finit par déboucher<br />
sur <strong>la</strong> mise au point d’un procédé idoine pour obtenir enfin une pâte sans trop <strong>de</strong> lignine. Il<br />
faut stocker le bois en copeaux, pendant longtemps, puis le soumettre à une longue cuisson<br />
au bisulfite, avant <strong>la</strong>vage, b<strong>la</strong>nchiment. Pourtant, Saint-Gobain ne choisit pas le site <strong>de</strong><br />
<strong>Facture</strong> pour mobiliser ces procédés : il installe une secon<strong>de</strong> usine, à Tartas, dans les<br />
<strong>La</strong>n<strong>de</strong>s, sous l’égi<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société <strong>la</strong>ndaise <strong>de</strong>s celluloses, contrôlée à moitié chacun par<br />
Saint-Gobain et CTA. Ce choix s’explique par <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> se rapprocher plus encore <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
ressource forestière, par l’existence d’une rivière fournissant l’eau douce nécessaire, et<br />
enfin, parce que les Navarre étaient originaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> région. Conçue à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s années<br />
1930, cette « sœur » <strong>de</strong> l’usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> entre en fonction en 1945. Mais elle fonctionne<br />
en toute indépendance par rapport à cette <strong>de</strong>rnière – jusqu’à <strong>la</strong> fusion <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux sociétés en<br />
1960 sous l’égi<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du Pin.<br />
Au fil <strong>de</strong>s années, Saint-Gobain poursuit une politique active <strong>de</strong> <strong>croissance</strong> externe, en<br />
rachetant sociétés et usines, tant en France que dans le reste <strong>de</strong> l’Europe occi<strong>de</strong>ntale. Déjà<br />
lea<strong>de</strong>r dans l’embal<strong>la</strong>ge verrier (bouteilles, pots), il veut <strong>de</strong>venir l’un <strong>de</strong>s géants <strong>de</strong><br />
l’embal<strong>la</strong>ge carton, et il y parvient dans les années 1970-1980. <strong>La</strong> stratégie est double :<br />
construire un « grand » <strong>de</strong> l’embal<strong>la</strong>ge et assurer <strong>de</strong>s débouchés captifs aux pâtes<br />
1 Cf. J. Reymond, « Conférence. Le groupe <strong>de</strong> <strong>La</strong> Cellulose du pin. Sa structure et son environnement »,<br />
L’Écho <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du pin, 1969, n°2, pp. 12-17.<br />
2 Cf. Jean-Pierre Daviet, Une multinationale à <strong>la</strong> française. Histoire <strong>de</strong> Saint-Gobain, 1665-1989, Paris,<br />
Fayard, 1989. Maurice Hamon, Du soleil à <strong>la</strong> terre. Une histoire <strong>de</strong> Saint-Gobain, Paris, Éditions Jean-<br />
C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> <strong>La</strong>ttès, 1988.
produites par les usines socles, dont celle <strong>de</strong> <strong>Facture</strong>. Une note d’avril 1940 avait conçu ce<br />
<strong>de</strong>ssein avec c<strong>la</strong>rté, ce qui <strong>de</strong>vait sceller un avenir durable à <strong>la</strong> Cellulose du Pin : « Il est<br />
apparu que le fabricant, vendant à <strong>de</strong>s intermédiaires autonomes (grossistes et<br />
transformateurs) était en état <strong>de</strong> nette infériorité par rapport aux fabricantstransformateurs<br />
vendant directement par le canal <strong>de</strong> leurs propres dépôts. Il a donc été<br />
convenu en 1940 que Cellulose du pin rechercherait les moyens les plus propices et les plus<br />
rapi<strong>de</strong>s pour se métamorphoser en fabricant-producteur-transformateur. » 3 <strong>La</strong> filière <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
caisserie carton est tout particulièrement prioritaire. Cette stratégie est emblématique du<br />
combat, parfois désespéré, <strong>de</strong>s sociétés françaises traditionnelles pour bâtir <strong>de</strong>s firmes<br />
puissantes, compétitives et, si possible, rentables 4.<br />
Rien qu’en Giron<strong>de</strong>, en 1960, le groupe Saint-Gobain-Cellulose du Pin met <strong>la</strong> main sur les<br />
trois usines <strong>de</strong> <strong>la</strong> CENPA à Bègles, fortes d’un millier <strong>de</strong> sa<strong>la</strong>riés : <strong>papeterie</strong>, sacherie et<br />
caisserie pour cartonnages. <strong>La</strong> CENPA se concentre sur <strong>la</strong> partie Est du pays et une nouvelle<br />
usine à Tarascon et se défausse <strong>de</strong> son site bèg<strong>la</strong>is, dorénavant trop excentré. En fait, <strong>la</strong><br />
caisserie ferme, remp<strong>la</strong>cée par un gros dépôt pour les produits d’embal<strong>la</strong>ge du groupe ; <strong>la</strong><br />
sacherie rejoint <strong>la</strong> filiale Société industrielle <strong>de</strong>s embal<strong>la</strong>ges kraft (SIDEK, achetée en 1958<br />
avec son usine <strong>de</strong> Vil<strong>la</strong>ndraut) et, mo<strong>de</strong>rnisée en 1965, se spécialise dans les embal<strong>la</strong>ges en<br />
carton – tandis que l’usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> se charge <strong>de</strong>s sacs et embal<strong>la</strong>ges souples. Celle-ci<br />
transfère sur Bègles une partie <strong>de</strong> ses machines anciennes, et l’on peut dire que les <strong>de</strong>ux<br />
usines fonctionnent <strong>de</strong> façon intégrée puisque celle <strong>de</strong> Bègles s’occupe <strong>de</strong> tous les<br />
embal<strong>la</strong>ges carton ou « caisserie carton », avec 300 sa<strong>la</strong>riés 5 .<br />
En parallèle, Saint-Gobain-Cellulose du pin reprend en 1972 <strong>la</strong> cartonnerie Soustre, à<br />
Saint-Seurin-sur-L’Isle, dans le nord <strong>de</strong> <strong>la</strong> Giron<strong>de</strong> (créée en 1906), et ses 200 sa<strong>la</strong>riés, ce<br />
qui conduit ce site à fusionner avec celui <strong>de</strong> Bègles dans <strong>la</strong> SOCAR (Cartonneries <strong>de</strong> Bègles<br />
et Saint-Seurin). Cette nouvelle société transforme les cartons ondulés produits dans les<br />
quatre usines <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du Pin pour en achever <strong>la</strong> transformation en aval, le<br />
conditionnement en boîtes et caisses, et l’impression, opérations consommatrices <strong>de</strong> maind’œuvre<br />
6 . Entre-temps, <strong>la</strong> Cellulose du pin a été le vecteur d’un mouvement <strong>de</strong><br />
concentration qui a vu l’achat <strong>de</strong> plusieurs sociétés à l’échelle nationale : dès 1954, elle a<br />
pris le contrôle <strong>de</strong> Walton & P<strong>la</strong>ce (région parisienne et Vendée), etc. SOCAR 7 finit, entre<br />
janvier 1972 et janvier 1974, par fédérer cet écheveau d’entreprises <strong>de</strong> <strong>la</strong> filière <strong>de</strong><br />
transformation papier et carton, avec dix-huit usines et 15 % du marché, grâce à <strong>de</strong>s<br />
productions <strong>de</strong> 250 000 tonnes <strong>de</strong> carton et <strong>de</strong> 43 000 tonnes <strong>de</strong> papier. Un bond est<br />
accompli en janvier 1986 quand SOCAR absorbe <strong>La</strong>farge Embal<strong>la</strong>ges/Lembacel. Le groupe<br />
rassemble 38 établissements en 1988 (dont sept <strong>papeterie</strong>s, treize cartonneries et seize<br />
ateliers <strong>de</strong> transformation), 3 000 sa<strong>la</strong>riés et une part <strong>de</strong> marché évaluée à 20 %.<br />
In fine, <strong>la</strong> Cellulose du pin est <strong>de</strong>venue, dans <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> moitié <strong>de</strong>s années 1970, le lea<strong>de</strong>r<br />
français pour <strong>la</strong> fabrication <strong>de</strong> pâte à papier 8, loin <strong>de</strong>vant Béghin, <strong>La</strong> Rochette-CENPA,<br />
Aussedat-Rey, <strong>La</strong> Chapelle-Darb<strong>la</strong>y ou Arjomari-Prioux, mais Béghin et <strong>La</strong> Chapelle-<br />
3 Cité par : Rémy Handourtzel, SOCAR, une histoire d’avenir, Paris, Albin Michel et Public Histoire, 1989.<br />
4 Cf. « Mo<strong>de</strong>rnisation et concentration <strong>de</strong> 1958 à 1974 », in Marc <strong>de</strong> Ferrière Le Vayer, De <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s familles<br />
à <strong>la</strong> mondialisation. L’industrie papetière française <strong>de</strong>puis 1945, Orléans, Éditions Nico<strong>la</strong>s Pelletier, 2006,<br />
pp. 101-115.<br />
5 Cf. Jean Dumas, Les activités industrielles dans <strong>La</strong> Communauté urbaine <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux. Étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />
géographie économique et sociologique, Bor<strong>de</strong>aux, Bière, 1980 (<strong>de</strong>ux volumes), pp. 395-396.<br />
6 Cf. Michel Preuilh, L’évolution <strong>de</strong> l’industrie dans l’agglomération bor<strong>de</strong><strong>la</strong>ise <strong>de</strong> 1948 à 1961, Collection <strong>de</strong><br />
l’Institut d’économie régionale du Sud-Ouest (IERSO), série « Problèmes <strong>de</strong> l’agglomération bor<strong>de</strong><strong>la</strong>ise »,<br />
tome V, Bor<strong>de</strong>aux, Bière, 1964, pp. 76-77.<br />
7 Rémy Handourtzel, SOCAR, op.cit.<br />
8 Cf. « <strong>La</strong> Cellulose du pin : une re<strong>la</strong>tive réussite », in Marc <strong>de</strong> Ferrière Le Vayer, op.cit., pp. 115-120.<br />
Absorption <strong>de</strong>s Papeteries <strong>de</strong> <strong>la</strong> Seine (Nanterre) en 1962, etc.<br />
2
Darb<strong>la</strong>y é<strong>la</strong>borent surtout du papier journal. Signalons qu’une autre usine s’est ajoutée à <strong>la</strong><br />
force frappe <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du Pin dans le Sud-Ouest, par le biais <strong>de</strong> l’achat en décembre<br />
1969 <strong>de</strong>s Papeteries <strong>de</strong> Condat, filiale spécialisée dans <strong>de</strong>s papiers <strong>de</strong> haut <strong>de</strong> gamme<br />
(papiers d’impression couchés et non couchés, avec 94 000 tonnes en 1972), riche <strong>de</strong> 1 200<br />
sa<strong>la</strong>riés. Cette usine <strong>de</strong> taille mo<strong>de</strong>ste est malgré tout efficace, avec sa machine <strong>II</strong>I<br />
Allimand installée en 1937, le premier lessiveur continu Richter-Kamp installé en Europe<br />
en 1952 et une machine IV Beloit <strong>la</strong>ncée en 1963 (papier couché), avant l’instal<strong>la</strong>tion d’une<br />
machine VI en 1974. Elle occupe une niche <strong>de</strong> marché à bonne valeur ajoutée 9 .<br />
2. L’usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> dans <strong>la</strong> filière bois <strong>de</strong> Saint-Gobain<br />
Cette forte position globale ne peut que consoli<strong>de</strong>r l’assise et le <strong>de</strong>stin <strong>de</strong> l’usine <strong>de</strong><br />
<strong>Facture</strong>-<strong>Biganos</strong>, sur <strong>la</strong>quelle nous <strong>de</strong>vons maintenant recentrer notre analyse. Or sa base<br />
essentielle reste <strong>la</strong> forêt proche : le bois ne manque pas dans son environnement ! Quelque<br />
incertitu<strong>de</strong> surgit en 1949 quand les incendies <strong>de</strong> <strong>la</strong> forêt girondine sont dramatiques ;<br />
d’ailleurs, quatre sa<strong>la</strong>riés forestiers <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose sont tués : « Notre usine a été très<br />
gravement menacée et l’incendie n’a pu être arrêté qu’à ses portes. » 10 Tandis que <strong>la</strong> forêt<br />
environnante doit être rep<strong>la</strong>ntée, les achats sont étendus à <strong>de</strong> nouvelles zones<br />
d’approvisionnement, facilités par <strong>la</strong> percée <strong>de</strong>s camions aux dépens <strong>de</strong>s charrettes.<br />
Au terme <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>croissance</strong>, les seules usines du groupe Saint-Gobain<br />
absorbent une masse <strong>de</strong> bois substantielle car leur puissance est spectacu<strong>la</strong>ire, avec, en<br />
1972, une production <strong>de</strong> 235 000 tonnes <strong>de</strong> pâtes à <strong>Facture</strong> <strong>de</strong> 41 000 tonnes à Roquefort,<br />
à 47 000 tonnes à Bègles et à 41 000 tonnes pour Tartas (qui ne fait que <strong>de</strong> <strong>la</strong> pâte). Mais le<br />
groupe a encore besoin <strong>de</strong> 60 000 tonnes <strong>de</strong> pâte, importées par le port <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux, tant<br />
pour <strong>Facture</strong> que pour Bègles. Par conséquent, une énorme « machine » papetière tourne à<br />
plein entre l’agglomération bor<strong>de</strong><strong>la</strong>ise et <strong>la</strong> forêt <strong>la</strong>ndaise ! C’est qu’il faut <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière<br />
intermédiaire pour nourrir <strong>la</strong> fabrication <strong>de</strong> « papiers forts » (kraft), <strong>de</strong> cartons, puis, en<br />
aval, d’embal<strong>la</strong>ges souples. <strong>Facture</strong> reste une usine « mixte », qui é<strong>la</strong>bore <strong>de</strong> <strong>la</strong> pâte mais<br />
aussi <strong>de</strong>s produits finis ou semi-finis, ensuite orientés vers Bègles. Quand <strong>la</strong> Cellulose du<br />
pin projette sa machine VI en 1969, ces « prévisions <strong>de</strong> consommation <strong>la</strong>issent prévoir une<br />
augmentation <strong>de</strong> près <strong>de</strong> 400 000 tonnes pour nos besoins en bis. Ce<strong>la</strong> entraînerait <strong>de</strong>s<br />
créations d’emploi pour 700 bûcherons, dans les conditions présentes <strong>de</strong> travail, qui en<br />
mobilisent déjà 800 pour les fournitures actuelles. Compte tenu <strong>de</strong> l’utilisation <strong>de</strong> moyens<br />
mo<strong>de</strong>rnes et mécanisés pour les gran<strong>de</strong>s coupes, <strong>la</strong> productivité étant beaucoup plus<br />
élevées, les créations <strong>de</strong> postes <strong>de</strong> travail seront réduites à 325. » 11 <strong>La</strong> société compte ainsi<br />
beaucoup sur le Centre professionnel forestier annexé au collègue agricole <strong>de</strong> Bazas pour<br />
fournir cette main-d’œuvre.<br />
À cette osmose entre les usines du groupe à l’échelle du Sud-Ouest s’ajoute <strong>la</strong> cristallisation<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> filière bois <strong>de</strong> Saint-Gobain, donc en amont. Afin d’approvisionner <strong>la</strong> chaîne <strong>de</strong><br />
production, l’entreprise doit é<strong>la</strong>rgir le champ <strong>de</strong> collecte du bois nécessaire. L’on peut<br />
prétendre que, dans l’après-guerre, l’économie <strong>de</strong> <strong>la</strong> forêt a changé <strong>de</strong> nature : au gemmage<br />
et au bois <strong>de</strong> mine s’est substitué le bois <strong>de</strong>stiné à <strong>la</strong> <strong>papeterie</strong> et <strong>la</strong> caisserie (caisses et<br />
palettes) et aux agglomérés, d’où une répartition <strong>de</strong> <strong>la</strong> production en 1972 entre quelque<br />
2,7 millions <strong>de</strong> mètres cubes <strong>de</strong> bois d’oeuvre et 1,290 million <strong>de</strong> bois d’industrie, utilisé<br />
pour <strong>la</strong> pâte à papier et les panneaux <strong>de</strong> particules.<br />
9 Cf. Frédéric Vitoux. Histoire <strong>de</strong>s Papeteries <strong>de</strong> Condat. <strong>La</strong> Vézère coule <strong>de</strong>puis longtemps en Europe, Paris,<br />
Quai Bourbon, 1989, pp. 107-122, 135-146, 155-166.<br />
10 Rapport annuel pour l’année 1949, archives du Crédit lyonnais, DEEF 52788/2.<br />
11 Note « Cellulose du pin. Programme d’investissement », mars 1969, archives historiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société<br />
générale, 80043.<br />
3
<strong>La</strong> Cellulose du Pin s’est dotée le 1 er octobre 1958 d’un outil mutualisé à l’échelle <strong>de</strong>s usines<br />
papetières du groupe Saint-Gobain dans le Sud-Ouest, <strong>la</strong> Centrale forestière du Sud-<br />
Ouest ; son « rôle est <strong>de</strong> se présenter aux adjudications <strong>de</strong> vente <strong>de</strong> bois sur pied dans <strong>la</strong><br />
forêt, d’acheter ce qui lui convient dans les conditions qu’elle estime acceptables et ensuite<br />
d’exploiter les coupes dont elle a l’adjudication avec son propre personnel » 12. C’est donc<br />
une société <strong>de</strong> bûcherons, avec <strong>de</strong>s effectifs d’environ 800 sa<strong>la</strong>riés à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s années 1960,<br />
<strong>de</strong> 1 017 en 1972 et <strong>de</strong> 869 en 1976.<br />
En parallèle fonctionne <strong>la</strong> Société forestière du Sud-Ouest, créée dès 1928 – et<br />
<strong>de</strong>vient le Comptoir du Pin dans les années 1990. C’est une compagnie holding, sans<br />
personnel propre, qui possè<strong>de</strong> <strong>de</strong>s participations dans <strong>de</strong>s sociétés d’exploitation forestière<br />
représentant une surface d’environ vingt mille hectares en 1969 ; c’est le cas par exemple<br />
pour un grand domaine à Marcheprime.<br />
Pour cet accès direct à <strong>la</strong> matière première, <strong>La</strong> Cellulose du Pin se charge ainsi directement<br />
ou indirectement, par ses sociétés filiales ou partenaires, <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion d’un patrimoine<br />
forestier, <strong>de</strong> <strong>la</strong> coordination <strong>de</strong>s achats <strong>de</strong> grumes, <strong>de</strong> l’abattage et <strong>de</strong> l’exploitation<br />
forestière <strong>de</strong>s pins sur pied, etc.<br />
Toujours en amont, elle a noué <strong>de</strong>s contrats avec les forestiers, pour qu’ils lui accor<strong>de</strong>nt <strong>la</strong><br />
priorité dans leurs ventes <strong>de</strong> rondins, mais aussi <strong>de</strong>s déchets <strong>de</strong> scierie et d’exploitation<br />
(cimes, petits bois), et un accord est conclu avec leur représentant, le Comptoir<br />
syndical. Cet organisme n’est qu’un commissionnaire, non propriétaire <strong>de</strong>s bois<br />
concernés, qui assure <strong>la</strong> liaison entre les forestiers et leur client, une filiale <strong>de</strong> <strong>La</strong> Cellulose<br />
du Pin, le Comptoir d’achat <strong>de</strong> bois à pâte du Sud-Ouest. Ce partenariat commercial<br />
permet <strong>de</strong> constituer <strong>de</strong>s stocks tampons <strong>de</strong> rondins bruts et d’assurer <strong>la</strong> livraison du bois<br />
directement sur le site. Parmi les fournisseurs importants figurent évi<strong>de</strong>mment les<br />
sociétaires <strong>de</strong> l’Union <strong>de</strong>s coopératives agricoles et forestières du Sud-Ouest,<br />
dont <strong>la</strong> stratégie <strong>de</strong> mutualisation permet <strong>de</strong> surmonter le handicap du morcellement <strong>de</strong>s<br />
propriétés et <strong>de</strong> l’exploitation <strong>de</strong> <strong>la</strong> forêt. Un partenariat constant et fort a donc pris corps<br />
entre l’usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> et le mon<strong>de</strong> forestier 13 .<br />
Cette mobilisation plurielle <strong>de</strong>s disponibilités forestières s’explique par <strong>la</strong> taille acquise<br />
pour l’approvisionnement en bois <strong>la</strong>ndais ; rappelons qu’il faut environ trois tonnes <strong>de</strong> bois<br />
pour fabriquer une tonne <strong>de</strong> papier… Pour <strong>la</strong> campagne 1971/72, par exemple, 61,9 % <strong>de</strong>s<br />
livraisons du Comptoir syndical aux <strong>papeterie</strong>s du groupe sont constituées par <strong>de</strong>s<br />
« dosses » et <strong>de</strong>s « délignures », 8,6 % par <strong>de</strong>s feuillus, 14,5 % par <strong>de</strong>s rondins résineux<br />
pelés et enfin 15 % par <strong>de</strong>s rondins bruts. De plus en plus d’ailleurs, les scieries s’équipent<br />
d’écorceuses, ce qui leur permet d’envoyer à <strong>la</strong> <strong>papeterie</strong> leurs cimes préa<strong>la</strong>blement<br />
écorcées. Mais il faut préciser que l’augmentation <strong>de</strong>s livraisons en résineux bruts<br />
compensant <strong>la</strong> diminution <strong>de</strong>s résineux pelés s’explique notamment par un manque <strong>de</strong><br />
main-d’oeuvre en forêt. L’activité du Comptoir syndical est étroitement liée aux variations<br />
du marché du sciage, mais, grosso modo, les fournitures à l’usine bénéficient d’une<br />
stabilité satisfaisante. Ce<strong>la</strong> dit, les achats sur pied se sont accrus <strong>de</strong> 400 000 mètres cubes<br />
en 1961/1962 à plus <strong>de</strong> 1 100 000 en 1971/1972, tandis que les achats <strong>de</strong> produits façonnés<br />
sont restés re<strong>la</strong>tivement constants 14 .<br />
12 J. Reymond, « Conférence. Le groupe <strong>de</strong> <strong>La</strong> Cellulose du pin », op.cit., p. 13.<br />
13 « <strong>La</strong> Cellulose du pin aux sylviculteurs : ‘Dialoguons à livre ouvert’ », numéro spécial <strong>de</strong> CP Magazine.<br />
Journal d’information interne <strong>de</strong> <strong>La</strong> Cellulose du Pin, juin 1979.<br />
14 Éléments puisés sur internet, passim. Cf. surtout Xavier Cailleau & Yves Lescourgues,<br />
« L’approvisionnement en bois <strong>de</strong>s usines <strong>de</strong> trituration. L’exemple du groupe <strong>de</strong> <strong>La</strong> Cellulose du pin »,<br />
rubrique « Économie et forêt », Revue <strong>de</strong> <strong>la</strong> forêt française, 1/1974, XXVI, pp. 71-79 ; et le même texte,<br />
disponible sur internet.<br />
4
Tableau 4. Achats <strong>de</strong> bois projetés pour l’année 1975<br />
par les grosses usines papetières <strong>de</strong>s <strong>la</strong>n<strong>de</strong>s forestières (milliers <strong>de</strong> tonnes)<br />
Résineux Feuillus Total %<br />
Cellulose du Pin (trois usines) 1 094 176 1 270 66<br />
Papeteries <strong>de</strong> Gascogne (Mimizan) 320 10 330 17<br />
Soit pour <strong>la</strong> seule production <strong>de</strong> pâte et par ces <strong>de</strong>ux usines 1 414 186 1 600 83<br />
En parallèle ; consommation <strong>de</strong> l’industrie <strong>de</strong>s panneaux 267 63 330 17<br />
Total du bois mobilisé par l’industrie <strong>de</strong> trituration dans <strong>la</strong> région <strong>la</strong>ndaise 1 681 249 1 930 100%<br />
Source : P. <strong>La</strong>llemand, « Informations économiques », L’Écho <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du pin, juillet 1975, n°2<br />
3. Un flux d’investissements dans l’après-guerre<br />
Tandis que l’établissement <strong>de</strong> Tartas continue à é<strong>la</strong>borer <strong>de</strong>s pâtes <strong>de</strong> pin maritime au<br />
bisulfite b<strong>la</strong>nchies au dioxy<strong>de</strong> <strong>de</strong> chlore (95 000 tonnes en 1972), l’usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> reste le<br />
f<strong>la</strong>mbeau du groupe pour <strong>la</strong> fabrication <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux catégories <strong>de</strong> papier kraft : le « kraft<br />
liner » et le kraft pour sacs <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> contenance, tandis que le kraft pour embal<strong>la</strong>ge et<br />
far<strong>de</strong><strong>la</strong>ge industriels est fourni par l’usine <strong>de</strong> Roquefort. Une politique <strong>de</strong> spécialisation 15 a<br />
en effet été appliquée entre les usines du Sud-Ouest : Bègles consomme moins <strong>de</strong> résineux<br />
et surtout <strong>de</strong>s feuillus ; <strong>Facture</strong> produit l’ensemble <strong>de</strong>s papiers <strong>de</strong> couverture <strong>de</strong> caisses<br />
ordinaires, abandonnés par Bègles, orientée vers les papiers stratifiés ; Roquefort dé<strong>la</strong>isse<br />
le papier apprêté au profit <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> et se spécialise dans le papier frictionné.<br />
Des investissements en continu<br />
Le bel outil bâti entre 1925 et 1945 doit être sans cesse « mis à jour » techniquement, par<br />
un flux continu d’investissements <strong>de</strong> taille mo<strong>de</strong>ste, mais chacun fort utile au processus<br />
d’accroissement <strong>de</strong> <strong>la</strong> productivité ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> fiabilité. C’est que les machines tournent<br />
souvent à plein régime : en 1946, <strong>la</strong> production bondit <strong>de</strong> 60 % par rapport à l’année<br />
précé<strong>de</strong>nte (2 000 tonnes par jour au second semestre), et <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ne manque pas <strong>de</strong><br />
progresser, à cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>croissance</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> France <strong>de</strong>s Trente Glorieuses, qui stimule les<br />
besoins en embal<strong>la</strong>ges (caisses carton, sacs, etc.). Il faut sans cesse anticiper sur cette<br />
évolution <strong>de</strong>s débouchés, pour ne pas perdre pied face aux concurrents français et<br />
étrangers.<br />
« L’usine a fait l’objet d’importants travaux <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation et d’extension <strong>de</strong>puis 1946<br />
[constate-t-on en 1954] : [atelier <strong>de</strong>] préparation du bois [1948] ; cuisson et <strong>la</strong>vage <strong>de</strong>s<br />
pâtes (<strong>la</strong>vage sur filtres et cuisson continue) [nouvel atelier <strong>de</strong> lessivage, 1948] ;<br />
récupération <strong>de</strong> <strong>la</strong> sou<strong>de</strong> ; nouvelle machine à papier ; sacherie ; pâtes <strong>de</strong> paille ; ateliers <strong>de</strong><br />
transformation ; évaporateurs Kestner [1953] ; production <strong>de</strong> vapeur [<strong>de</strong>ux chaudières<br />
pour vapeur en 1953] » 16 , « renforcement <strong>de</strong> l’atelier d’évaporation <strong>de</strong>s lessives résiduaires,<br />
renouvellement <strong>de</strong> l’outil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> l’atelier d’entretien mécanique » 17, etc. Une chaudière<br />
(« unité <strong>de</strong> chauffe <strong>La</strong>mont ») à 110 kg <strong>de</strong> pression est installée en effet en 1954. Une<br />
instal<strong>la</strong>tion « couverture <strong>de</strong> caisse », dite « duplex », est mise en p<strong>la</strong>ce en 1952, « en<br />
utilisant sur une face <strong>la</strong> pâte kraft, sur l’autre notre nouvelle pâte <strong>de</strong> paille » 18 . <strong>La</strong> même<br />
année s’achève « <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>rnisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> sacherie avec <strong>de</strong>s machines mo<strong>de</strong>rnes pour sacs à<br />
fonds collés au lieu <strong>de</strong>s sacs cousus » 19 , d’où une baisse du prix d’un cinquième.<br />
De nouvelles machines papetières<br />
15 J. Reymond, « Conférence. Le groupe <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du pin. Sa structure et son environnement »,<br />
troisième partie, L’Écho <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du pin, 1969, n°3.<br />
16 Dossier Cellulose du Pin, archives historiques du Crédit lyonnais, DEEF, 1954.<br />
17 Note sur le programme d’extension <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du pin. Usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong>, 11 décembre 1946, archives<br />
historiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société générale, 88908.<br />
18 Rapport annuel, 1952, archives historiques du Crédit lyonnais, DEEF 52788/2.<br />
19 Rapport annuel, 1952, Ibi<strong>de</strong>m.<br />
5
Les gran<strong>de</strong>s absentes <strong>de</strong>s récits <strong>de</strong> l’épopée industrielle du site <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> sont les<br />
machines à papier installées dans l’immédiat après-guerre. Or leur instal<strong>la</strong>tion symbolise,<br />
à son échelle, <strong>la</strong> bataille <strong>de</strong> <strong>la</strong> production menée par <strong>la</strong> France <strong>de</strong> <strong>la</strong> Reconstruction, du<br />
premier P<strong>la</strong>n <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation et du P<strong>la</strong>n Marshall. Une première machine est en effet<br />
importée <strong>de</strong>s États-Unis (pour 90 000 dol<strong>la</strong>rs) à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> 1947 dans le cadre <strong>de</strong> ce p<strong>la</strong>n, qui<br />
finance les achats français <strong>de</strong> biens d’équipement outre-At<strong>la</strong>ntique, et tourne à partir <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
fin <strong>de</strong>s années 1940. L’objectif 20 est alors <strong>de</strong> pousser <strong>la</strong> production <strong>de</strong> 2 000 à 4 000<br />
tonnes par mois, car un p<strong>la</strong>fond <strong>de</strong> capacité est frôlé en 1947, avec 2 300 tonnes par mois.<br />
<strong>La</strong> capacité annuelle grossit <strong>de</strong> 24 000 à 53 000 tonnes, dont 45 000 <strong>de</strong> papier kraft et<br />
8 000 tonnes <strong>de</strong> pâtes mi chimiques et <strong>de</strong> pâtes <strong>de</strong> paille. Le coût total <strong>de</strong> cet<br />
investissement atteint les 50 millions <strong>de</strong> francs-1946. <strong>La</strong> mise en œuvre <strong>de</strong> cette machine<br />
démarre progressivement à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> 1947 et 1948, avec 2 700 tonnes par mois en 1948 et<br />
3 000 tonnes au premier trimestre 1949. Mais nous ignorons les caractéristiques<br />
techniques <strong>de</strong> cet équipement, s’il intervient en agrandissement <strong>de</strong>s trois machines déjà en<br />
p<strong>la</strong>ce, donc dans le cadre d’une simple extension ; ou si elle constitue en soi un équipement<br />
nouveau et novateur. Dans ce cas, se substitue-t-il à l’une <strong>de</strong>s trois premières machines, et<br />
<strong>la</strong>quelle ? Sinon, pourquoi cette machine n’est-elle pas entrée dans <strong>la</strong> succession<br />
numérique déployée <strong>de</strong> <strong>la</strong> machine I à l’actuelle machine VI ?<br />
Par ailleurs, les investissements comprennent en 1950 une machine <strong>de</strong> pâte <strong>de</strong> paille, pour<br />
é<strong>la</strong>borer un produit meilleur marché : <strong>la</strong> production <strong>de</strong> ce type <strong>de</strong> pâte bondit <strong>de</strong> 2 086<br />
tonnes par mois en 1952 à 4 318 en 1953, tandis que <strong>la</strong> « pâte mi chimique » progresse <strong>de</strong><br />
1 981 à 2 227 tonnes, bien loin toutefois <strong>de</strong>s 39 652 tonnes <strong>de</strong> pâte kraft atteintes en 1953.<br />
<strong>La</strong> machine IV (1952)<br />
Le souvenir <strong>de</strong> <strong>la</strong> machine IV semble effacé dans <strong>la</strong> mémoire récente. Or son instal<strong>la</strong>tion<br />
prend elle aussi tout son sens si l’on prend en compte l’environnement économique du<br />
moment, les p<strong>la</strong>ns Marshall et Monnet et les enjeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>rnisation et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
productivité. Elle est importée du Canada, semble-t-il, et bénéficie <strong>de</strong>s facilités financières<br />
prévues pour ces échanges transat<strong>la</strong>ntiques ; son coût est estimé à 180 millions <strong>de</strong> francs-<br />
1946. Il faut construire pour elle un nouveau bâtiment ; elle est livrée à <strong>la</strong> fin 1949 et au<br />
début 1950, et elle est mise en route en 1951 avec succès. Elle constitue dès lors l’un <strong>de</strong>s<br />
pivots <strong>de</strong> <strong>la</strong> montée en puissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> force <strong>de</strong> frappe <strong>de</strong> l’usine pour le papier kraft.<br />
<strong>La</strong> poussée <strong>de</strong> <strong>la</strong> production<br />
Cet après-guerre se termine avec prospérité : « <strong>La</strong> développement <strong>de</strong> <strong>la</strong> consommation<br />
française nous a permis en 1955 <strong>de</strong> faire travailler nos instal<strong>la</strong>tions en pleine capacité. » 21<br />
L’outil<strong>la</strong>ge hérité <strong>de</strong>s années 1930-1945 et déployé en 1946-1955 s’avère apte à suivre le<br />
mouvement. « Ces capacités <strong>de</strong> production sont obtenues : pour <strong>la</strong> fabrication <strong>de</strong> <strong>la</strong> pâte<br />
par <strong>de</strong>ux unités mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> lessivage en continu suivies d’ateliers <strong>de</strong> <strong>la</strong>vage en continu,<br />
avec une unité <strong>de</strong> régénération à combustible directe <strong>de</strong>s liqueurs noires, atelier <strong>de</strong><br />
caustification et four à chaux ; pour <strong>la</strong> fabrication du papier, par cinq machines à papier<br />
dont les <strong>la</strong>rgeurs vont <strong>de</strong> 2,60m à 4,20m, les trois premières <strong>de</strong> type ancien sont<br />
spécialisées dans les papiers frictionnés ; une machine “duplex” pour <strong>la</strong> fabrication <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
cartonnette pour couverture caisse ; une machine “dominion” pour <strong>la</strong> fabrication <strong>de</strong> papier<br />
à sac gran<strong>de</strong> contenance. » 22 Notons que <strong>la</strong> « duplex », alimentée pour partie en paille, ne<br />
20 Rapport annuel, 1946, Ibi<strong>de</strong>m.<br />
21 Rapport annuel, 1955, Ibi<strong>de</strong>m.<br />
22 Note « Cellulose du pin. Usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> », 4 décembre 1958, archives historiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société générale,<br />
80908.<br />
6
s’insère pas dans <strong>la</strong> numérotation historique <strong>de</strong>s machines du site (à cette époque, <strong>de</strong> I à<br />
IV), réservée à <strong>la</strong> production du kraft.<br />
Production totale <strong>de</strong><br />
pâtes (tonnes)<br />
Tableau 5. Évolution <strong>de</strong> <strong>la</strong> production <strong>de</strong> Cellulose du pin dans l’après-guerre<br />
Dont pâtes<br />
kraft (tonnes)<br />
Soit, en pourcentage <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
production française <strong>de</strong> pâtes<br />
kraft :<br />
Pâtes <strong>de</strong><br />
paille<br />
Pâtes mi<br />
chimiques<br />
7<br />
Ventes <strong>de</strong> papiers et<br />
pâtes (tonnes)<br />
1949 31 000 31 000 41.7 % 31 000<br />
1950 36 400 36 400 43.3 35 200<br />
1951 41 000 40 000 43.5 39 700<br />
1952 37 000 32 900 47.4 2 086 1 981 35 700<br />
1953 46 000 39 600 44 4 318 2 227<br />
47 100<br />
Dont 8 607 <strong>de</strong> pâtes<br />
écrues<br />
et b<strong>la</strong>nchies livrées à<br />
<strong>de</strong>s <strong>papeterie</strong>s<br />
1954 45 715 4 218 55 000<br />
1955 51 000 5 100 56 200<br />
Source : Dossier Cellulose du Pin, archives historiques du Crédit lyonnais, DEEF, 1954<br />
4. <strong>La</strong> course au gigantisme mécanique (1953-1975)<br />
Sur le site, les machines désormais c<strong>la</strong>ssiques, les machines <strong>II</strong>I et IV, tournent à plein<br />
régime : <strong>la</strong> IV dépasse les 5 000 tonnes par mois en 1966, par exemple, quand l’usine<br />
atteint une capacité <strong>de</strong> 150 000 tonnes par an, soit un triplement en dix ans (<strong>de</strong>puis 1957).<br />
Pourtant, <strong>la</strong> société a décidé <strong>de</strong> se doter <strong>de</strong> nouveaux matériels, dont certains géants et<br />
ultra mo<strong>de</strong>rnes.<br />
Une nouvelle vague d’investissements (1953-1958)<br />
Une rupture conceptuelle semble impérative : « Ces investissements <strong>de</strong>vaient p<strong>la</strong>cer nos<br />
ateliers <strong>de</strong> production <strong>de</strong> pâte au niveau technique <strong>de</strong>s instal<strong>la</strong>tions scandinaves et<br />
américaines. Nous avons dû, pour ce<strong>la</strong>, rompre avec l’ancienne métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> progression<br />
qui consistait à juxtaposer un nombre croissant d’ateliers <strong>de</strong> petite capacité dont les<br />
ren<strong>de</strong>ments sont déplorables et l’entretien très élevé. Ceci explique l’ampleur <strong>de</strong>s<br />
investissements qui ont été respectivement supérieurs à 1 500 millions pour le premier<br />
programme et 2 000 millions pour le <strong>de</strong>uxième », le premier réalisé en 1953-1955 et le<br />
second en 1956-1959. Ces <strong>de</strong>ux programmes <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation et d’extension sont mis en<br />
œuvre successivement en 1953 et 1956, mais sans réalisations spectacu<strong>la</strong>ires, seulement à<br />
coup d’améliorations ponctuelles <strong>de</strong>s performances du site.<br />
Sans <strong>la</strong>ncer <strong>de</strong> nouvelles machines papetières, c’est l’environnement productif <strong>de</strong>s<br />
matériels en p<strong>la</strong>ce qui est profondément amélioré : « Nous approchons du terme <strong>de</strong> notre<br />
<strong>de</strong>uxième programme, qui peut se résumer schématiquement par <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
lessiveurs continus <strong>de</strong> 150 tonnes par jour, d’une chaudière <strong>de</strong> récupération et <strong>de</strong>s filtres<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong>vage ; nous disposerons ainsi d’une capacité <strong>de</strong> 100 000 tonnes par an, chiffre retenu<br />
dans le Rapport du groupe <strong>de</strong> travail du <strong>II</strong>I e P<strong>la</strong>n qui mentionne : “Les Américains<br />
estiment aujourd’hui que le meilleur prix <strong>de</strong> revient est obtenu par <strong>de</strong>s usines <strong>de</strong> 100 000<br />
tonnes au moins.” » 23<br />
Au terme du processus <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation et d’extension enclenché <strong>de</strong>puis les années 1940,<br />
l’usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> consacre son chiffre d’affaires <strong>de</strong> l’année 1958 à <strong>la</strong> fabrication <strong>de</strong> pâtes<br />
kraft (5 %), livrées à d’autres papetiers, à celle <strong>de</strong> papiers (67 %) et à celle <strong>de</strong> sacs pour<br />
gran<strong>de</strong> contenance (28 %) 24 .<br />
23 Jean Berthier, Note « « Troisième programme <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation et d’extension <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du Pin »,<br />
1958, archives historiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société générale, 80908.<br />
24 Note Cellulose du pin, 10 juin 1958, Archives historiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société générale, 1613.
Une inflexion stratégique (1958-1960)<br />
Un dilemme stratégique s’impose soudain aux dirigeants : faut-il continuer une production<br />
aussi diversifiée ? D’un côté, <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s clients transformateurs s’accentue pour du<br />
papier kraft pour sacs ; <strong>de</strong> l’autre, <strong>de</strong>s trop grands écarts <strong>de</strong> qualité sont constatés pour<br />
plusieurs types <strong>de</strong> pâte : « Nous comptons progressivement renoncer à <strong>la</strong> fabrication <strong>de</strong><br />
papiers kraft écrus frictionnés. » 25 L’on relève ainsi que <strong>la</strong> qualité <strong>de</strong> nos pâtes est très<br />
variable du fait <strong>de</strong>s irrégu<strong>la</strong>rités <strong>de</strong> qualité du bois traité : pin <strong>de</strong> dune, pin <strong>de</strong> <strong>la</strong>n<strong>de</strong>,<br />
déchets <strong>de</strong> scierie, mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong> feuillus, bois <strong>de</strong> très faibles diamètres, bois d’âges variés.<br />
Aussi les écarts <strong>de</strong> qualité <strong>de</strong> nos pâtes sont-ils à l’origine <strong>de</strong> difficultés pratiquement<br />
insurmontables pour <strong>la</strong> commercialisation <strong>de</strong> ces pâtes ; les pâtes obtenues à partir <strong>de</strong><br />
jeunes bois, qui constituent progressivement <strong>la</strong> part prépondérante <strong>de</strong> nos<br />
approvisionnements, ne sauraient subir un séchage avant <strong>la</strong> machine à papier, ce qui<br />
interdit toute commercialisation. » 26<br />
Un nouveau tournant s’esquisse : après avoir abandonné <strong>la</strong> pâte pour viscose au profit <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> pâte à papier, le site dé<strong>la</strong>isserait pour l’essentiel le « haut <strong>de</strong> gamme » <strong>de</strong> <strong>la</strong> pâte à papier<br />
et se spécialiserait dans le « moyen <strong>de</strong> gamme », du kraft <strong>de</strong> qualité mais en masse. Dans le<br />
« moyen-haut <strong>de</strong> gamme », seules les couvertures caisses seraient maintenues, en<br />
spécialisant « notre machine duplex sur les couvertures les plus nobles à haut indice<br />
d’éc<strong>la</strong>tement et, le cas échéant, sur le duplex b<strong>la</strong>nchi kraft » 27 . <strong>La</strong> machine actuelle pour<br />
papiers à sacs serait adaptée à <strong>la</strong> production <strong>de</strong> couvertures <strong>de</strong> qualité ordinaire, en <strong>la</strong><br />
dotant d’une secon<strong>de</strong> table (200 millions <strong>de</strong> francs-1958).<br />
Pour affûter cette spécialisation industrielle, « ce papier kraft serait produit par une<br />
machine mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> caractéristiques comparables à celles <strong>de</strong>s matériels actuellement en<br />
cours d’instal<strong>la</strong>tion en Scandinavie et déjà en service aux USA. Une telle machine<br />
assurerait une production annuelle <strong>de</strong> 50 000 tonnes, grâce à une <strong>la</strong>rgeur <strong>de</strong> 5,45m et<br />
pourrait tourner jusqu’à 600m à <strong>la</strong> minute » 28 . Le seul hic rési<strong>de</strong> dans son coût, estimé à<br />
850 millions <strong>de</strong> francs-1958. Ce vaste programme mobiliserait in fine <strong>la</strong> somme énorme 29<br />
(pour <strong>la</strong> société) <strong>de</strong> 2 900 millions-1958.<br />
Pour cette raison, un choix drastique s’impose à <strong>la</strong> Cellulose du pin : « Il a été préférable <strong>de</strong><br />
bloquer l’essentiel <strong>de</strong> l’extension sur l’usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong>, notre principal établissement. Les<br />
étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> marché montrent que le papier pour caisses carton est encore en plein<br />
développement (au moins 8 % par an), et, dans l’Europe <strong>de</strong>s Six, nous sommes, avec notre<br />
confrère italien Vita Mayer, les <strong>de</strong>ux seuls producteurs pour cette sorte. Il est donc possible<br />
<strong>de</strong> s’y développer. Actuellement, nous produisons 110 000 tonnes <strong>de</strong> papier pur kraft pour<br />
caisses carton sur trois machines : <strong>de</strong>ux à <strong>Facture</strong>, une à Bègles. Ceci rend <strong>la</strong> commercialité<br />
difficile, les qualités n’étant pas i<strong>de</strong>ntiques, et, surtout, <strong>la</strong> <strong>la</strong>rgeur <strong>de</strong> nos machines ne<br />
correspond plus à celle <strong>de</strong>s onduleuses mo<strong>de</strong>rnes » 30, d’où le projet <strong>de</strong> doubler <strong>la</strong> capacité<br />
<strong>de</strong> l’usine <strong>de</strong> <strong>Biganos</strong>, <strong>de</strong> 150 à 300 000 tonnes, dont 250 000 d’écru sur <strong>de</strong>ux machines :<br />
<strong>la</strong> machine à papier à sacs et une nouvelle machine pour le papier caisse pouvant fabriquer<br />
jusqu’à 275 000 tonnes par an. L’on prévoit en sus « l’instal<strong>la</strong>tion d’un b<strong>la</strong>nchiment : <strong>la</strong><br />
25 Note « Conditions propres à l’industrie du kraft », Dossier « Troisième programme <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation et<br />
d’extension <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du Pin », 1958, archives historiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société générale, 80908.<br />
26 Ibi<strong>de</strong>m, p. 2.<br />
27 Ibi<strong>de</strong>m, p. 3.<br />
28 Ibi<strong>de</strong>m, p. 3.<br />
29 Soit 46 millions d’euros en pure valeur comptable, sans tenir compte <strong>de</strong>s parités <strong>de</strong> pouvoir d’achat.<br />
30 Note « Cellulose du pin. Programme d’investissement », mars 1969, archives historiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société<br />
générale, 80043.<br />
8
pâte b<strong>la</strong>nchie serait transformée en papier sur notre machine IV, avec instal<strong>la</strong>tion d’une<br />
<strong>de</strong>uxième chaudière <strong>de</strong> récupération » 31 . À partir <strong>de</strong> 1966/1969, l’on concentre sur <strong>la</strong> seule<br />
usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> les fabrications <strong>de</strong> papier pour embal<strong>la</strong>ges et carton kraft, aux dépens <strong>de</strong><br />
celle <strong>de</strong> Bègles, elle-même reconvertie dans <strong>la</strong> fabrication <strong>de</strong> pâtes mi chimiques à partir <strong>de</strong><br />
feuillus 32.<br />
<strong>La</strong> machine V (1961)<br />
Deux vagues d’investissement se succè<strong>de</strong>nt dans les années 1960-70 quand il s’avère que<br />
l’usine doit accompagner <strong>la</strong> montée en puissance <strong>de</strong>s débouchés <strong>de</strong> papier et carton<br />
d’embal<strong>la</strong>ge, suite au bond <strong>de</strong> <strong>la</strong> société <strong>de</strong> consommation et du transport <strong>de</strong> produits<br />
industriels préconditionnés. Une première machine, <strong>la</strong> « machine V », est installée en 1961<br />
afin <strong>de</strong> livrer du papier normal et Cellupak <strong>de</strong>stiné à <strong>la</strong> transformation en sacs <strong>de</strong> gran<strong>de</strong><br />
contenance. Les machines à papier présentent <strong>de</strong>s rames d’une <strong>la</strong>rgeur <strong>de</strong> sept à neuf<br />
mètres et <strong>de</strong>mi, bien au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>rgeur atteinte aux Papeteries <strong>de</strong> Gascogne à<br />
Mimizan (4,5m). Quelques années plus tard, <strong>de</strong> nouvelles presses sont installées 33 : comme<br />
<strong>la</strong> production s’était intensifiée – avec 225 tonnes <strong>de</strong> papier par jour, à une vitesse <strong>de</strong> 480 à<br />
500m/mn pour du 72 g/mètre², et parce que l’on rejette l’idée d’étendre <strong>la</strong> sécherie, déjà<br />
vaste, l’on choisit d’obtenir un papier plus sec dès <strong>la</strong> sortie <strong>de</strong>s presses, d’accroître « <strong>la</strong><br />
siccité ». Aussi <strong>de</strong>s presses à haute intensité sont-elles montées en 1968. En 1964 sont<br />
installés une chaudière <strong>de</strong> récupération qui permet <strong>de</strong> traiter les lessives résiduaires d’une<br />
production journalière <strong>de</strong> 450 tonnes <strong>de</strong> kraft et un filtre <strong>de</strong> <strong>la</strong>vage <strong>de</strong> <strong>la</strong> pâte afin<br />
d’améliorer les récupérations chimiques et l’épuration <strong>de</strong>s eaux usées 34 .<br />
<strong>La</strong> machine VI (1971)<br />
Pourtant, très vite, à l’apogée <strong>de</strong>s Trente Glorieuses, les experts prennent conscience <strong>de</strong>s<br />
perspectives stimu<strong>la</strong>ntes d’extension du marché ; or l’intégration européenne et<br />
l’abaissement général <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> douane dans le cadre <strong>de</strong>s accords internationaux<br />
(GATT) risquent <strong>de</strong> favoriser <strong>la</strong> concurrence étrangère. Il faut réagir vite et fort pour<br />
l’enrayer ! « Il faut tenir compte du fait que les prix <strong>de</strong>s sortes <strong>de</strong> papiers que nous<br />
fabriquons, qui se c<strong>la</strong>ssent dans les productions <strong>de</strong> masse, sont soumis aux pressions <strong>de</strong><br />
pays dotés <strong>de</strong> ressources forestières immenses, traitées dans <strong>de</strong>s unités dont <strong>la</strong> taille<br />
permet d’abaisser les prix <strong>de</strong> revient » 35, en Scandinavie et, <strong>de</strong> plus en plus, en Amérique<br />
du Nord. « <strong>La</strong> <strong>la</strong>rgeur <strong>de</strong> nos machines ne correspond plus à celle <strong>de</strong>s onduleuses<br />
mo<strong>de</strong>rnes » 36, déplorent les experts.<br />
<strong>La</strong> Cellulose du pin prend une nouvelle décision stratégique, avec l’achat d’une machine à<br />
papier d’une « capacité annuelle <strong>de</strong> 160 000 tonnes qui sera progressivement portée à<br />
240 000 tonnes » 37, afin <strong>de</strong> répondre à <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du marché <strong>de</strong>s caisses carton ondulé.<br />
L’on change une fois <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> dimension, par cette nouvelle « révolution »<br />
technologique, qui permettra <strong>de</strong> faire face à <strong>la</strong> révolution commerciale et logistique que<br />
suscite le développement <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> distribution, <strong>de</strong>s produits alimentaires emballés, <strong>de</strong>s<br />
31 Ibi<strong>de</strong>m.<br />
32 Compte rendu <strong>de</strong> <strong>la</strong> visite du secrétaire général <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du pin à <strong>la</strong> direction financière, 1 er avril<br />
1965, archives historiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société générale, 1613.<br />
33 « Les nouvelles presses <strong>de</strong> <strong>la</strong> machine V », L’Écho <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du pin, 1968, n°4.<br />
34 Rapport annuel <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du pin, 1964, archives historiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société générale, 1613.<br />
35 Note « Cellulose du pin. Programme d’investissement », mars 1969, archives historiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société<br />
générale, 80043.<br />
36 Compte rendu <strong>de</strong> <strong>la</strong> visite du secrétaire général <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du pin, document cité.<br />
37 Note « Cellulose du pin. Programme d’investissement », mars 1969, archives historiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société<br />
générale, 80043.<br />
9
échanges et du stockage <strong>de</strong>s pièces détachées, etc. Mais le coût <strong>de</strong> <strong>la</strong> machine et <strong>de</strong>s<br />
travaux connexes est estimé à 180 millions <strong>de</strong> (nouveaux) francs 38 .<br />
Cette énorme machine, <strong>la</strong> « machine VI », est montée en 1971 ainsi qu’un lessiveur. « Nous<br />
allons installer, à notre usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong>, une très grosse machine pour faire du papier <strong>de</strong><br />
couverture <strong>de</strong> caisses. Actuellement, l’usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> et l’usine <strong>de</strong> Bègles réunies ont une<br />
capacité <strong>de</strong> production totale <strong>de</strong> couverture <strong>de</strong> caisses <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> 110 000 tonnes par an.<br />
Cette seule machine, dès qu’elle sera installée, aura une capacité <strong>de</strong> 175 000 tonnes par<br />
an. » 39 Elle <strong>de</strong>vient le symbole <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance productive <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose à <strong>Facture</strong>-<br />
<strong>Biganos</strong> 40 ; il faut supposer qu’elle a remp<strong>la</strong>cé <strong>la</strong> machine <strong>II</strong>I installée en 1934. Cette<br />
machine VI est acquise en Italie, auprès <strong>de</strong> l’Officina Veronese Emilio Robbi-OVER –<br />
aujourd’hui Overmeccanica –, qui avait été fondée à Vérone en 1961 et qui avait acquis <strong>de</strong>s<br />
technologies <strong>de</strong> <strong>la</strong> firme canadienne Dominion Engineering Works of Montreal, une filiale<br />
<strong>de</strong> General Electric of Canada, en particulier le Papriformer Twin Wire, inventé au<br />
PAPRICAN, le Pulp & Paper Research Institute of Canada, à Montréal. Robbi entend<br />
prospecter un marché européen en forte expansion.<br />
Or le tout premier projet mis en œuvre est précisément celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du Pin : avec<br />
une <strong>la</strong>rgeur <strong>de</strong> 8,1 m et une vitesse <strong>de</strong> 900 mètres par minute, c’était alors <strong>la</strong> machine <strong>la</strong><br />
plus <strong>la</strong>rge d’Europe 41. Cette enc<strong>la</strong>ve industrielle en pleine forêt girondine ne peut en effet<br />
rester compétitive qu’au prix d’un effort constant d’investissement, qui appartient<br />
véritablement à ce qu’on pourrait appeler « les gênes » <strong>de</strong> cette entreprise, éloignée <strong>de</strong>s<br />
gran<strong>de</strong>s régions industrielles. L’équipement comprend <strong>de</strong>s lessiveurs et diffuseurs Kamyr,<br />
fabriqués en Suè<strong>de</strong> par l’une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s spécialistes du « b<strong>la</strong>nchiment continu », <strong>de</strong>s<br />
évaporateurs Kestner, un four à chaux Polysius, <strong>de</strong>s épurateurs Voith et Bird, <strong>de</strong>s<br />
machines à papier Beloit et Over-Meccanica/Dominion (avec plus <strong>de</strong> sept mètres <strong>de</strong> <strong>la</strong>ize),<br />
un Twintop Former Escher-Wyss, et <strong>de</strong>s presses Voith 42 . De gran<strong>de</strong>s perspectives <strong>de</strong><br />
rentabilisation <strong>de</strong> cet investissement s’ouvrent à l’usine, car cette machine « ne couvrira<br />
que 60 % <strong>de</strong> l’augmentation prévue <strong>de</strong> production <strong>de</strong> carton ondulé et kraft liner dans <strong>la</strong><br />
Communauté économique européenne entre 1967 et 1975 » 43 , ce qui évite toute saturation<br />
du marché.<br />
Une force <strong>de</strong> frappe efficace<br />
L’instal<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux machines V et VI a nécessité l’extension <strong>de</strong>s bâtiments qui les<br />
abritent. En parallèle, <strong>de</strong>s chaudières puissantes sont mises en p<strong>la</strong>ce, en 1972 pour une<br />
chaudière mixte mê<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s écorces et du gaz, et en 1974 pour une chaudière <strong>de</strong><br />
récupération. De même, après les investissements effectués dans ce domaine en 1949 et<br />
1962, l’on met en p<strong>la</strong>ce en 1977 et développe <strong>de</strong>s ateliers <strong>de</strong> préparation <strong>de</strong>s bois, pour<br />
l’écorçage, le broyage et le triage. Des investissements complémentaires comprennent,<br />
dans <strong>la</strong> première moitié <strong>de</strong>s années 1970, un four à chaux, un vaporateur, un nouveau<br />
lessiveur continu.<br />
Enfin, l’une <strong>de</strong>s machines anciennes – mais nous en ignorons <strong>la</strong> numérotation –, arrêtée<br />
pendant les travaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> nouvelle machine VI, est remo<strong>de</strong>lée et rentre en fonction en<br />
38 Soit le même montant en euros, car le franc <strong>de</strong>s années 1966-1971 équivaut peu ou prou à l’euro actuel… –<br />
mais toujours sans tenir compte <strong>de</strong>s parités <strong>de</strong> pouvoir d’achat.<br />
39 J. Reymond, « Conférence. Le groupe <strong>de</strong> <strong>La</strong> Cellulose du pin », op.cit.<br />
40 Cf. Compte rendu, Visite <strong>de</strong> <strong>la</strong> Smurfit-Kappa ; collège André <strong>La</strong>hay, An<strong>de</strong>rnos-les-Bains, 2008-2009 (sur<br />
internet).<br />
41 Source internet concernant <strong>la</strong> firme OVER. Cf. le site [perinijournal/com].<br />
42 Dossier Cellulose du Pin <strong>de</strong> <strong>la</strong> direction générale <strong>de</strong> l’Inventaire, Bor<strong>de</strong>aux.<br />
43 Note « Émission d’obligations Cellulose du pin, mars 1969, archives historiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société générale,<br />
80043.<br />
10
1976 : cette unité <strong>de</strong> cellulose <strong>de</strong>vient une « unité <strong>de</strong> pâte à haut ren<strong>de</strong>ment », capable <strong>de</strong><br />
produire 150 tonnes par jour d’une pâte <strong>de</strong> feuillus à 70 % <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>ment. « Un<br />
imprégnateur haute pression a été ajouté avant le lessiveur ; le lessiveur proprement dit a<br />
été entièrement revu pour fonctionner sans crépines, c’est-à-dire sans ces grilles <strong>la</strong>térales<br />
sur les parois <strong>de</strong>s lessiveurs continus, qui <strong>la</strong>issent passer les liqui<strong>de</strong>s nécessaires aux<br />
circu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong>s produits chimiques en retenant les copeaux, mais qui, hé<strong>la</strong>s, se colmatent<br />
dès que <strong>la</strong> granulométrie et <strong>la</strong> qualité du bois ne sont pas parfaites. » 44 Une instal<strong>la</strong>tion <strong>de</strong><br />
défibrage en ligne et une instal<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> <strong>la</strong>vage par presse à vis complètent <strong>la</strong><br />
mo<strong>de</strong>rnisation <strong>de</strong> cette machine. Cette pâte est ensuite utilisée sur <strong>la</strong> machine VI pour <strong>la</strong><br />
fabrication <strong>de</strong> kraft liner.<br />
<strong>La</strong> capacité annuelle <strong>de</strong> 150 000 tonnes atteinte en 1966 passe à 240 000 tonnes en 1971<br />
pour les pâtes et 230 000 tonnes pour les papiers. Cette force <strong>de</strong> frappe couronne « <strong>la</strong><br />
geste industrielle » esquissée au milieu <strong>de</strong>s années 1920 et <strong>la</strong> stratégie <strong>de</strong> spécialisation sur<br />
le papier kraft (notamment le kraft liner). Le positionnement <strong>de</strong> l’usine s’avère pertinent,<br />
avec cette spécialisation sur <strong>de</strong>ux filières bien adaptées à l’environnement forestier (le pin)<br />
et aux procédés techniques mobilisés. <strong>La</strong> puissance productive a bénéficié d’une « mise à<br />
jour » incessante, dans <strong>la</strong> maintenance courante <strong>de</strong>s équipements, mais aussi grâce à <strong>de</strong>s<br />
investissements dont il faut jauger l’ampleur. Les gains <strong>de</strong> productivité sont spectacu<strong>la</strong>ires<br />
car toutes ces extensions sont réalisées à effectifs constants.<br />
5. L’argent, nerf <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> <strong>la</strong> compétitivité<br />
Les investissements industriels – <strong>la</strong> <strong>croissance</strong> dite « organique » – et <strong>la</strong> <strong>croissance</strong> dite<br />
« externe » (les achats <strong>de</strong> sociétés) sont été financés par <strong>la</strong> capacité d’autofinancement, qui<br />
est <strong>de</strong>venue substantielle, contrairement à <strong>la</strong> situation <strong>de</strong>s années 1930. Elle utilise souvent<br />
ses bénéfices bruts pour amortir ses dépenses structurelles, comme en 1945, année où <strong>la</strong><br />
réévaluation comptable du bi<strong>la</strong>n, due à l’hyper-inf<strong>la</strong>tion, permet <strong>de</strong> consoli<strong>de</strong>r les réserves<br />
et donc les fonds propres. Les profits reviennent à partir <strong>de</strong> l’année 1946 (18 millions <strong>de</strong><br />
francs), ce qui permet <strong>de</strong> verser le <strong>de</strong>uxième divi<strong>de</strong>n<strong>de</strong> (9,6 millions) <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
société ! Le seul programme d’extension du site prévu sur 1946-1951 est estimé à 314<br />
millions <strong>de</strong> francs-1946 et, avec l’augmentation du fonds <strong>de</strong> roulement nécessaire (pour les<br />
stocks), l’on parvient à un montant <strong>de</strong> 414 millions, pour lequel les banquiers pensent que<br />
l’autofinancement ne peut couvrir que 150 millions, d’où le recours à l’émission d’actions<br />
et d’obligations et à <strong>de</strong>s emprunts 45.<br />
Cette somme <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 400 millions est énorme puisque <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong>s immobilisations à <strong>la</strong><br />
date <strong>de</strong> 1945 tourne autour <strong>de</strong> 507 millions et, net <strong>de</strong>s amortissements effectués, autour <strong>de</strong><br />
227 millions ; c’est donc l’équivalent <strong>de</strong>s instal<strong>la</strong>tions en p<strong>la</strong>ce ou <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong> leur valeur<br />
que l’on projette d’investir en moins d’un lustre ! L’on retrouve là <strong>la</strong> base <strong>de</strong> l’histoire du<br />
site : une course incessante à l’investissement <strong>de</strong> capacité et <strong>de</strong> productivité, en clé <strong>de</strong> sa<br />
survie compétitive. À <strong>la</strong> date <strong>de</strong> 1958, un banquier se montre effaré <strong>de</strong> ce rythme : « Depuis<br />
1943, les taux d’accroissement [du chiffre d’affaires et du tonnage <strong>de</strong>s produits vendus]<br />
sont assez constants, <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> 13 % pour le chiffre d’affaires et <strong>de</strong> 8 % pour les<br />
tonnages. Il s’agit d’une entreprise en essor, grâce à <strong>de</strong>ux programmes totalisant 3 500<br />
millions d’investissements nouveaux, dont <strong>la</strong> suite logique se trouve matérialisée dans le<br />
cadre d’un troisième programme » 46 , celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> machine V.<br />
44 Daniel Melin, directeur <strong>de</strong> l’usine, « Travaux <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation en cours à l’usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> », L’Écho <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Cellulose du pin, février 1976, n°1.<br />
45 « Note sur le programme d’extension <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du pin. Usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> », 11 décembre 1946,<br />
archives historiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société générale, 80908.<br />
46 Note « Cellulose du pin. Usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> », 4 décembre 1958, archives historiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société générale,<br />
80908.<br />
11
Le soutien du Crédit national<br />
L’entreprise négocie <strong>de</strong>s crédits à moyen et long termes, accordés surtout par le Crédit<br />
national, l’institution semi-publique chargée <strong>de</strong> ce type <strong>de</strong> prêts à l’époque, et aussi par <strong>la</strong><br />
Société générale, le groupe CIC ou <strong>la</strong> Société financière européenne – même si une part <strong>de</strong><br />
cet argent va bien sûr aussi vers les autres usines <strong>de</strong> l’entreprise. Le Crédit national<br />
accompagne l’étape <strong>de</strong> re<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>rnisation avec un gros prêt en 1949 (100 millions<br />
sur dix ans), garanti par un nantissement d’actions <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société forestière <strong>de</strong> <strong>la</strong> Saussouze.<br />
Mais il réescompte aussi trois crédits bancaires à moyen terme (100 millions en septembre<br />
1949, puis encore 100 millions en avril 1950, 300 millions en mai 1952 – utilisé seulement<br />
pour moitié), chacun sur cinq ans 47 . Le Crédit national prête, entre 1970 et 1977, 138,3<br />
millions à long terme et 45 millions à moyen terme, tandis que <strong>la</strong> Société générale avance<br />
20 millions à moyen terme en 1975, et un <strong>la</strong>rge pool bancaire 48 55,9 millions en 1972-1974.<br />
<strong>La</strong> fidélité du pool bancaire<br />
Banalement, <strong>la</strong> firme recourt à <strong>de</strong>s flux <strong>de</strong> prêts à moyen terme (réescomptés ou pas) et<br />
d’avances courantes <strong>de</strong> trésorerie, grâce à un « pool » ou consortium bancaire. Pour <strong>la</strong><br />
seule année 1949, 350 millions sont empruntés à cinq ou dix ans, ce qui finance <strong>la</strong> montée<br />
en puissance <strong>de</strong>s nouveaux équipements. C<strong>la</strong>ssiquement, toute <strong>la</strong> panoplie <strong>de</strong>s crédits<br />
bancaires est offerte à ce bon client, qui plus est bénéficiant <strong>de</strong> <strong>la</strong> garantie implicite du<br />
groupe Saint-Gobain : escompte <strong>de</strong> papier commercial (les traites sur les clients), crédits<br />
<strong>de</strong> campagne, crédits <strong>de</strong> préfinancement d’exportations par acceptation <strong>de</strong> banque, créditre<strong>la</strong>is<br />
(en attendant les émissions <strong>de</strong> titres), crédits re<strong>la</strong>is réescomptables, crédits<br />
documentaires, avals et cautions. <strong>La</strong> Société générale, avec ses agences <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux et<br />
Arcachon, est le banquier historique (avec 35 à 48 % <strong>de</strong> ces encours, selon leur type),<br />
<strong>de</strong>vant le Crédit lyonnais (19 à 32 %), <strong>la</strong> BNCI (10 À 15 %), le CNEP (8 À 10 %), le CCF et le<br />
CIC 49 .<br />
Le pool, en 1975 par exemple, mêle <strong>de</strong>s banques parisiennes (Société générale, BNP, Crédit<br />
lyonnais, etc.) et <strong>la</strong> Société bor<strong>de</strong><strong>la</strong>ise <strong>de</strong> CIC 50 : ce crédit <strong>de</strong> trésorerie <strong>de</strong> 80 millions <strong>de</strong><br />
francs réunit <strong>la</strong> Société générale, son chef <strong>de</strong> file, avec 39 %, <strong>la</strong> BNP avec 20 %, le Crédit<br />
lyonnais avec 20 %, le CIC avec 9 %, Paribas avec 5 %, le CCF avec 4 % et <strong>la</strong> Banque <strong>de</strong> Suez<br />
avec 4 % – celle-ci ayant été introduite parce que <strong>la</strong> Compagnie financière <strong>de</strong> Suez 51 est<br />
<strong>de</strong>venue <strong>la</strong> marraine <strong>de</strong> Saint-Gobain en 1969 et a introduit sa banque dans les<br />
financements du groupe. En parallèle, un crédit spécifique a été accordé par le groupe CIC,<br />
un crédit à moyen terme <strong>de</strong> 29,4 millions <strong>de</strong> francs par le groupe CIC, dont 11,5 en pool<br />
entre les banques régionales du groupe 52 .<br />
Une succession d’émissions d’obligations<br />
De façon là aussi c<strong>la</strong>ssique, <strong>la</strong> Cellulose du pin réalise <strong>de</strong>s émissions d’obligations<br />
successives, pour financer ses investissements <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> mais, <strong>de</strong> plus en plus, son<br />
47 Dossier « Cellulose du Pin », archives historiques du Crédit lyonnais, DEEF, 1954.<br />
48 Dossier « Cellulose du Pin. Dettes à long et moyen termes au bi<strong>la</strong>n du 31 décembre 1977 », archives <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Société bor<strong>de</strong><strong>la</strong>ise <strong>de</strong> CIC, 1978.<br />
49 Note « Cellulose du pin. Re<strong>la</strong>tions avec <strong>la</strong> Société générale », 1962, archives historiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société<br />
générale, 80907.<br />
50 Dossier « Cellulose du Pin », archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société bor<strong>de</strong><strong>la</strong>ise <strong>de</strong> CIC, février 1975.<br />
51 Cf. <strong>Hubert</strong> <strong>Bonin</strong>, Suez. Du canal à <strong>la</strong> finance (1858-1987), Paris, Économica, 1987.<br />
52 Dossier « Cellulose du Pin », archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société bor<strong>de</strong><strong>la</strong>ise <strong>de</strong> CIC, 23 avril 1975.<br />
12
déploiement ailleurs : une fraction seulement <strong>de</strong> cet argent sert donc au site <strong>de</strong> <strong>Biganos</strong>,<br />
mais lui est nécessaire quand les grosses machines IV, V et VI sont installées.<br />
Tableau 6. Les émissions <strong>de</strong> titres <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du pin<br />
Actions Obligations Modalités <strong>de</strong> l’émission État du capital et<br />
<strong>de</strong>s fonds<br />
propres<br />
1945 50 millions<br />
sur 30 ans<br />
Société générale chef <strong>de</strong><br />
file (42.5 %), <strong>de</strong>vant<br />
Crédit lyonnais (28.5 %),<br />
BNCI et Société bor<strong>de</strong><strong>la</strong>ise<br />
<strong>de</strong> CIC (14.5 % chacun)<br />
258,2 dont 80<br />
millions <strong>de</strong><br />
capital<br />
Bénéfice<br />
net<br />
13<br />
Divi<strong>de</strong>n<strong>de</strong> versé<br />
l’année suivante<br />
pour l’exercice<br />
écoulé<br />
(millions <strong>de</strong> francs)<br />
1946 Incorporation <strong>de</strong> 80<br />
millions <strong>de</strong> réserves<br />
160 17,699 9,600<br />
1947 Émission <strong>de</strong> 80 millions 100 millions 240 26,669 13,200 (6 % du<br />
(février) (+ incorporation <strong>de</strong> 80<br />
millions <strong>de</strong> réserve <strong>de</strong><br />
réévaluation)<br />
capital appelé)<br />
1948<br />
25,263 23,000<br />
1949 Incorporation <strong>de</strong> 60<br />
millions <strong>de</strong> réserves<br />
300<br />
1950 Incorporation <strong>de</strong> 150<br />
millions <strong>de</strong> réserves<br />
480<br />
1951 Incorporation <strong>de</strong> 480<br />
960<br />
Pas <strong>de</strong> divi<strong>de</strong>n<strong>de</strong><br />
millions <strong>de</strong> réserves<br />
(récession)<br />
1952<br />
1953<br />
57,6<br />
1954 500 millions Société générale chef <strong>de</strong><br />
file (38.25 %)<br />
Crédit lyonnais : 25.65 %<br />
BNCI : 23.05 %<br />
CNEP : 13.05 %<br />
Société bor<strong>de</strong><strong>la</strong>ise CIC : 10<br />
%<br />
1955 Incorporation <strong>de</strong> 640<br />
millions <strong>de</strong> réserves<br />
1 600<br />
1958 Incorporation <strong>de</strong> 800<br />
millions <strong>de</strong> réserves<br />
2 400 268 168<br />
1959 3 200 3,9 (NF) 3.751 (NF)<br />
1960 Fusion-absorption <strong>de</strong>s<br />
Papeteries <strong>de</strong> Roquefort<br />
et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société <strong>la</strong>ndaise<br />
<strong>de</strong>s celluloses (Tartas)<br />
53,4 (NF) 9,8 6,310<br />
1961 9,2 7,472<br />
1962 Fusion-absorption <strong>de</strong>s 17,5 millions Société générale chef <strong>de</strong><br />
58,5 6,3 8,188<br />
Papeteries <strong>de</strong> <strong>la</strong> Seine <strong>de</strong> nouveaux file : 38.644 %<br />
francs Crédit lyonnais : 22,788 %<br />
BNCI : 15.398 %<br />
CNEP : 11.335 %<br />
Société bor<strong>de</strong><strong>la</strong>ise CIC :<br />
8.835 %<br />
CCF : 3 %<br />
1963 59<br />
8,8 8,157<br />
1964 8,9 8,049<br />
1965 30 millions Société générale chef <strong>de</strong><br />
9,2 8,1<br />
NF file : 35.263 %<br />
Crédit lyonnais : 20.794 %<br />
BNCI : 15.398 %<br />
CNEP : 10.343 %<br />
Paribas : 8.75<br />
Société bor<strong>de</strong><strong>la</strong>ise CIC :<br />
8.062 %<br />
CCF : 2.737 %<br />
1966 8,8 8,1<br />
1967<br />
9 8,1<br />
1968 59,4<br />
Mars<br />
Société générale chef <strong>de</strong><br />
1969<br />
file : 38 %<br />
Crédit lyonnais : 22 %<br />
BNP : 25.5 %<br />
CNEP : 14.051 %<br />
Société bor<strong>de</strong><strong>la</strong>ise : 8.5 %<br />
CCF : 3 %<br />
Paribas : 3 %
1970 Incorporation <strong>de</strong> 800<br />
Augmentation<br />
millions <strong>de</strong> réserves<br />
<strong>de</strong> 70,7 à 106,1<br />
Archives historiques du Crédit lyonnais, DAF AH924 ; DEEF 52788/2 (rapports annuels <strong>de</strong> <strong>la</strong> société) ; DEEF 69AH38. Archives historiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société<br />
générale, émission d’obligations en 1945, B8059 ; 1954, B8653 et 80908 ; mars 1969, 80043<br />
6. Des débouchés en interne et en externe<br />
En ce qui concerne le « kraft apprêté », l’usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong>, en 1968, trouve ses débouchés<br />
en interne, pour une bonne part, donc au sein du groupe Cellulose du Pin/Saint-Gobain<br />
lui-même – et <strong>la</strong> seule sacherie du site consomme une fraction sensible du kraft apprêté –,<br />
pour quatre gros clients acquérant 39 % du total, mais surtout en externe, avec un vivier <strong>de</strong><br />
53 clients.<br />
Tableau 7. Les débouchés principaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> production <strong>de</strong> kraft apprêté<br />
GC <strong>de</strong> <strong>la</strong> machine V <strong>de</strong> l’usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong>-<strong>Biganos</strong> en 1968 (tonnes)<br />
<strong>La</strong>farge embal<strong>la</strong>ge 10 500<br />
Sacherie <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> (filiale du groupe) 9 700<br />
Papeterie <strong>de</strong> <strong>la</strong> Seine (filiale du groupe) 9 300<br />
Papeteries Aubry 8 300<br />
Charfa (filiale du groupe) 8 200<br />
Sacherie <strong>de</strong> Betheniville (filiale du groupe) 5 900<br />
Sacheries d’Alsace 3 500<br />
Source : J. Reymond, « Conférence. Le groupe <strong>de</strong> <strong>La</strong> Cellulose du pin. Sa structure et son environnement »,<br />
troisième partie, L’Écho <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du pin, 1969, n°3<br />
Pour le « papier <strong>de</strong> couverture <strong>de</strong> caisse », une proportion semb<strong>la</strong>ble est orientée vers les<br />
filiales du groupe (37 %), mais le vivier comprend quant à lui un total <strong>de</strong> 92 clients en 1968<br />
dans <strong>la</strong> cartonnerie (qui fabrique <strong>de</strong>s caisses <strong>de</strong> carton ondulé à partir <strong>de</strong> ce papier <strong>de</strong><br />
couverture), tandis que <strong>la</strong> sacherie constitue un second débouché important, au sein du<br />
groupe ou à l’extérieur.<br />
Tableau 8. Les débouchés principaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> production <strong>de</strong> papier <strong>de</strong> couverture <strong>de</strong> caisse<br />
<strong>de</strong> l’usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong>-<strong>Biganos</strong> en 1968 (tonnes)<br />
Si<strong>de</strong>k-Société industrielle <strong>de</strong>s embal<strong>la</strong>ges kraft<br />
6 400<br />
(filiale du groupe) (à Bègles et Vil<strong>la</strong>ndraut)<br />
Walton & P<strong>la</strong>ce (filiale du groupe) 6 300<br />
Cartonneries <strong>de</strong> Champagne (filiale du groupe) 5 200<br />
Etablissements Tailleur 4 200<br />
Soustre (filiale du groupe) (à Saint-Seurin-sur-l’Isle) 3 600<br />
Manufacture <strong>de</strong> <strong>la</strong> Côte-d’Or (filiale du groupe) 3 500<br />
Ondulrex (participation du groupe) 3 400<br />
Source : J. Reymond, « Conférence. Le groupe <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du pin. Sa structure et son environnement »,<br />
troisième partie, L’Écho <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du pin, 1969, n°3<br />
7. Une enc<strong>la</strong>ve capitaliste qui s’enracine dans son terroir<br />
Rappelons que Saint-Gobain reste l’actionnaire stratégique <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du pin, avec 51,3<br />
% du capital en 1968, aux côtés <strong>de</strong> Pricel (groupe Gillet, 28 %) et <strong>de</strong>s Raffineries <strong>de</strong> Berre<br />
(une co-filiale <strong>de</strong> Saint-Gobain, 4,8 %), et le conseil d’administration accueille ses<br />
représentants, sans enracinement dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> forêt <strong>la</strong>ndaise, contrairement aux<br />
Papeteries <strong>de</strong> Gascogne. <strong>La</strong> Cellulose du Pin est bien une « enc<strong>la</strong>ve » du grand capitalisme<br />
dans <strong>la</strong> forêt girondine, d’autant plus que son Siège est situé à Paris ! Si le chiffre d’affaires<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> seule Cellulose du Pin s’accroît ainsi <strong>de</strong> 192 millions <strong>de</strong> francs en 1961 à 309 millions<br />
en 1968 et 561 millions en 1973, elle n’est plus que le centre d’un mini-groupe dont le<br />
chiffre d’affaires consolidé atteint quant à lui 1 602 millions en 1973, tant il fédère d’usines<br />
dispersées dans le pays.<br />
Pourtant, le groupe Saint-Gobain, par son bras armé Cellulose du pin, s’est affirmé au fil<br />
<strong>de</strong>s ans comme une partie prenante <strong>de</strong> <strong>la</strong> filière bois girondine et aquitaine. C’est que, bien<br />
au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong>, ce sous-groupe mobilise environ 5 000 sa<strong>la</strong>riés dans le Sud-<br />
14
Ouest, du Périgord aux <strong>La</strong>n<strong>de</strong>s 53 et réalise dans <strong>la</strong> région un chiffre d’affaires d’un milliard<br />
<strong>de</strong> francs (hors taxes) en 1973, dont une bonne moitié pour les quatre usines du cœur <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Cellulose (<strong>Facture</strong>, Bègles, Roquefort et Tartas, riches <strong>de</strong> 2 150 sa<strong>la</strong>riés).<br />
Directeur puis, à partir <strong>de</strong> 1953, prési<strong>de</strong>nt-directeur général <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du Pin, Jean<br />
Berthier 54 a acquis une stature étonnante, car, <strong>de</strong>puis cette enc<strong>la</strong>ve <strong>la</strong>ndaise, il conquiert<br />
<strong>de</strong>s positions régionales et nationales d’envergure : prési<strong>de</strong>nt du Syndicat <strong>de</strong>s fabricants <strong>de</strong><br />
pâtes et papiers, du Syndicat du pin maritime français (<strong>de</strong>puis 1941), prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’Agence<br />
française <strong>de</strong> <strong>papeterie</strong>s, vice-prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> Caisse <strong>de</strong> prévoyance <strong>de</strong>s <strong>La</strong>n<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Gascogne,<br />
ou prési<strong>de</strong>nt du groupe Énergie au sein du Centre d’expansion <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux et du Sud-<br />
Ouest mis en p<strong>la</strong>ce par Jacques Chaban-Delmas et les autorités pour méditer sur <strong>la</strong><br />
mo<strong>de</strong>rnisation <strong>de</strong> l’économie locale. Jean-C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Arnaud – son successeur comme P-DG en<br />
196x jusqu’à sa retraite en décembre 1976 –, s’affirme lui aussi en « figure » <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
communauté <strong>de</strong>s affaires, souvent évoqué et interrogé par <strong>la</strong> presse régionale ou<br />
spécialisée ; il est admis d’ailleurs au conseil d’administration <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> banque<br />
régionale, <strong>la</strong> Société bor<strong>de</strong><strong>la</strong>ise <strong>de</strong> CIC (1971-1981) 55. Le successeur <strong>de</strong> J.-C. Arnaud, Michel<br />
Besson, était déjà le directeur général et conduit en P-DG <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> cette aventure<br />
industrielle.<br />
<strong>La</strong> Cellulose du pin amplifie peu à peu son unité <strong>de</strong> recherche et développement. <strong>La</strong> mise<br />
au point <strong>de</strong>s machines et <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> fabrication <strong>de</strong>s pâtes constitue déjà un levier<br />
d’innovation empirique. Mais, à partir <strong>de</strong> 1951, <strong>de</strong>s experts mènent <strong>de</strong> véritables<br />
recherches à propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> production en continu. Plus tard, <strong>la</strong> société participe aussi à <strong>la</strong><br />
création en 1967 <strong>de</strong> <strong>la</strong> Station <strong>de</strong> recherches forestières <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux, qui s’installe à<br />
Cestas-Pierroton, en mobilisant <strong>de</strong>s industriels et l’Institut nationale <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche<br />
appliquée : ce<strong>la</strong> permet <strong>de</strong> donner une ampleur véritable à l’antique annexe <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> Station <strong>de</strong> recherches forestières <strong>de</strong> Nancy établie en 1950. L’usine <strong>de</strong> <strong>Biganos</strong> n’est<br />
plus seulement un « îlot industriel » perdu dans <strong>la</strong> forêt <strong>la</strong>ndaise, mais par surcroît une<br />
pièce essentiel d’une communauté du pin et <strong>de</strong> <strong>la</strong> forêt qui s’est cimentée avec vigueur<br />
<strong>de</strong>puis <strong>la</strong> Secon<strong>de</strong> Guerre mondiale et <strong>la</strong> crise <strong>de</strong>s activités historiques du gemmage et du<br />
bois <strong>de</strong> mine, par exemple par le biais <strong>de</strong> <strong>la</strong> Coopérative agricole et forestière <strong>de</strong>s <strong>La</strong>n<strong>de</strong>s,<br />
fondée en 1961. Ce re<strong>la</strong>tif enracinement, qui gomme quelque peu l’aspect d’« enc<strong>la</strong>ve<br />
capitaliste », est enfin renforcé par le développement d’un petit centre <strong>de</strong> recherche et<br />
d’essais, qui mobilise une quarantaine d’ingénieurs et <strong>de</strong> techniciens pour <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche<br />
appliquée en continu.<br />
Enfin, l’assise sociale <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du pin s’est renforcée au fil <strong>de</strong>s ans. À <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> 1958, le<br />
seul site <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> emploie 1 184 sa<strong>la</strong>riés. <strong>La</strong> politique « paternaliste » est poursuivie,<br />
parce qu’un programme <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> maisons (pour 30 millions <strong>de</strong> francs) est <strong>la</strong>ncé<br />
au tournant <strong>de</strong>s années 1950 : quelques-unes sont bâties chaque année 56. Mais <strong>la</strong> société<br />
participe aussi, dans le cadre du 1 % patronal, au financement du logement social par le<br />
biais <strong>de</strong> <strong>la</strong> société d’habitations à loyer modéré Le Toit girondin.<br />
Tableau 9. Sa<strong>la</strong>riés du site <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> en octobre 1958<br />
Total 1 184<br />
Ouvriers 752<br />
Ouvrières 121<br />
Employés 180<br />
Employées 67<br />
53 J.-P. Delpérié, « <strong>La</strong> Cellulose du pin, une entreprise régionale », L’Écho <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du pin, 1977, n°3.<br />
54 « Jean Berthier », in Jean et Bernard Guérin, Des hommes et <strong>de</strong>s activités autour d’un <strong>de</strong>mi-siècle,<br />
Bor<strong>de</strong>aux, Éditions B.E.B., 1957, pp 75-76.<br />
55 Cf. <strong>Hubert</strong> <strong>Bonin</strong>, Banque et bourgeoisies. <strong>La</strong> Société bor<strong>de</strong><strong>la</strong>ise <strong>de</strong> CIC (1880-2005), Bruxelles, Peter<br />
<strong>La</strong>ng, 2010.<br />
56 Rapport annuel pour l’année 1951, archives du Crédit lyonnais, DEEF 52788/2.<br />
15
8. Vers un fragile apogée<br />
Cadres 33 masculins et une femme<br />
Archives historiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société générale, Émission d’obligations Cellulose du pin, 1958, 60908<br />
Tout semble aller pour le mieux, au terme <strong>de</strong> ce cycle <strong>de</strong> <strong>croissance</strong> technique et<br />
productive. En signe <strong>de</strong> cette prospérité, les effectifs <strong>de</strong> l’établissement se sont fortement<br />
accrus, <strong>de</strong> 871 en 1940 à 1 200 en 1955, tandis que 1 400 emplois connexes ou indirects<br />
(sous-traitance, etc.) renforceraient cette mobilisation <strong>de</strong> ressources humaines. Si<br />
l’établissement n’est plus qu’une pièce dans un vaste rouage européen, il gar<strong>de</strong> donc un<br />
rôle clé pour <strong>de</strong>s productions essentielles et portées par une bonne <strong>croissance</strong> à cet apogée<br />
<strong>de</strong>s Trente Glorieuses, et <strong>la</strong> production cumulée <strong>de</strong>s sites <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> et <strong>de</strong> Roquefort<br />
double presque entre 1969 et 1972.<br />
Tableau 10. Production cumulée <strong>de</strong>s usines <strong>de</strong> <strong>Facture</strong> et Roquefort à l’apogée <strong>de</strong>s Trente Glorieuses (tonnes)<br />
1969 1970 1971 1972<br />
Kraft liner 146 000 148 000 162 000 214 000<br />
Kraft gran<strong>de</strong> contenance 108 000 108 000 100 000 104 000<br />
Kraft embal<strong>la</strong>ge 51 500 55 000 59 000 72 000<br />
Total 205 000 301 000 321 000 390 000<br />
Malgré cette force apparente, avec une production <strong>de</strong> 350 000 tonnes <strong>de</strong> pâte et <strong>de</strong> papier<br />
kraft d’embal<strong>la</strong>ge en 1976, l’usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong>-<strong>Biganos</strong> est soudain confrontée à une érosion<br />
<strong>de</strong> sa compétitivité dans <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> moitié <strong>de</strong>s années 1970 et surtout à une intensification<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> concurrence : <strong>de</strong> grosses usines <strong>de</strong> « liner » ouvrent en Suè<strong>de</strong> et au Portugal, ou<br />
accroissent leur potentiel <strong>de</strong> production, avec en 1973-1975 une augmentation <strong>de</strong> 450 000<br />
tonnes <strong>de</strong>s capacités 57 . Une étape décisive est atteinte, qui concerne en fait l’ensemble du<br />
groupe Cellulose du pin et Saint-Gobain, et également toute l’industrie papetière française,<br />
comme nous le verrons dans <strong>la</strong> troisième partie <strong>de</strong> notre étu<strong>de</strong>.<br />
Certes, le chiffre d’affaires du groupe Cellulose du pin a doublé <strong>de</strong> 268 millions <strong>de</strong> francs<br />
(320 millions €) en 1964 à presque 500 millions (430 millions €) en 1972. Mais le profit<br />
brut n’évolue que <strong>de</strong> 5,6 à 6,7 millions <strong>de</strong> francs pour <strong>la</strong> société mère et les chiffres<br />
consolidés sont encore plus médiocres : « <strong>La</strong> faible rentabilité s’explique par une trop<br />
gran<strong>de</strong> dispersion <strong>de</strong> ses sites <strong>de</strong> production et par un coût trop élevé <strong>de</strong> sa matière<br />
première par rapport à ses concurrents nordiques. Elle rési<strong>de</strong> surtout dans une très (et<br />
sans doute trop) gran<strong>de</strong> dispersion <strong>de</strong>s activités et une absence <strong>de</strong> spécialisation » 58 , tandis<br />
que les prix stagnent à cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> poussée <strong>de</strong>s importations. Bref, <strong>la</strong> belle aventure vécue<br />
par l’usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong>-<strong>Biganos</strong> est ternie par le caractère aventurier <strong>de</strong> <strong>la</strong> stratégie<br />
multiforme et multi-sites du groupe ! Le « modèle économique » qui a prévalu <strong>de</strong>puis<br />
1960, celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> diversification horizontale et <strong>de</strong> l’intégration verticale et qui avait<br />
prospéré semble remis en cause ; <strong>la</strong> juxtaposition d’une belle usine, vantée comme « <strong>la</strong><br />
plus puissante <strong>de</strong> l’Europe <strong>de</strong>s Six », et d’une ribambelle d’usines <strong>de</strong> papier et <strong>de</strong><br />
transformation <strong>de</strong>vient insensiblement contestée !<br />
9. L’interférence d’une nouvelle exigence, l’environnement<br />
Îlot industriel isolé dans un milieu forestier, cette usine-cathédrale est apparue comme un<br />
bienfait pour une contrée manquant quelque peu d’une offre d’emploi vigoureuse, en <strong>de</strong>s<br />
temps où le tourisme du Bassin n’avait percé qu’en <strong>de</strong>s espaces fort réduits. L’on se<br />
préoccupait peu alors <strong>de</strong> ce qui <strong>de</strong>vient « l’environnement ». Ainsi, tours <strong>de</strong> cette<br />
cathédrale, les cheminées <strong>de</strong> l’usine envoient dans l’air non pas <strong>de</strong>s substances toxiques,<br />
57 Henri <strong>de</strong> Menthon, « Perspectives du carton ondulé et du kraft liner », L’Écho <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cellulose du pin,<br />
février 1976, n°1, pp. 4-5.<br />
58 Marc <strong>de</strong> Ferrière Le Vayer, op.cit., p. 118.<br />
16
comme certains établissements d’incinération <strong>de</strong> déchets, mais <strong>de</strong>s composés malodorants,<br />
qui constituent l’originalité olfactive <strong>de</strong> <strong>la</strong> contrée, parfois sur <strong>de</strong> vastes étendues, jusqu’au<br />
Bassin, par vent <strong>de</strong> nord-est.<br />
L’irruption <strong>de</strong>s préoccupations environnementales<br />
Jusqu’au tournant <strong>de</strong>s années 1960, <strong>la</strong> maîtrise <strong>de</strong>s effluents, déchets, gaz <strong>de</strong> rejet, etc.<br />
était incorporée dans le processus productif banal, en tenant compte <strong>de</strong>s impératifs <strong>de</strong><br />
l’efficacité <strong>de</strong> <strong>la</strong> mécanique industrielle. Pour fabriquer le papier kraft, l’entreprise<br />
extrayait <strong>la</strong> cellulose <strong>de</strong>s troncs <strong>de</strong> pin au préa<strong>la</strong>ble écorcés, en les trempant dans <strong>de</strong>s bains<br />
à base <strong>de</strong> sou<strong>de</strong> ou d’autres produits chimiques tout aussi sympathiques. Quand les bains<br />
étaient renouvelés, les anciens étaient rejetés dans <strong>la</strong> rivière proche, le ruisseau <strong>de</strong> Leygat,<br />
un affluent <strong>de</strong> l’Eyre puis dans l’Eyre, qui les absorbait avant <strong>de</strong> les amener dans le Bassin,<br />
où le jeu <strong>de</strong>s marées était censé diluer ces apports. Comme il se pratiquait couramment<br />
dans l’industrie, on <strong>la</strong>issait « <strong>la</strong> nature » assimiler les rejets produits, que ce soit dans le<br />
sous-sol ou l’eau… En réaction, ont pourtant été installés <strong>de</strong>s « bassins <strong>de</strong> <strong>la</strong>gunage » pour<br />
les effluents liqui<strong>de</strong>s.<br />
Et, surtout, une initiative est prise en 1950, quand on déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> creuser une « décharge »<br />
d’une superficie <strong>de</strong> six hectares environ – dont l’activité polluante n’est étudiée qu’au<br />
milieu <strong>de</strong>s années 1990 : y sont empilés les déchets <strong>de</strong> <strong>papeterie</strong>, <strong>de</strong>s copeaux et sciures <strong>de</strong><br />
bois, <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>stiques divers, <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> fer et fi<strong>la</strong>sse, <strong>de</strong> vieux papiers et carton, <strong>de</strong>s toiles et<br />
feutres <strong>de</strong> machines à papier, etc. Puis les lixiviats <strong>de</strong> <strong>la</strong> décharge sont orientés vers un<br />
bassin, le bassin Saugnac, d’où ils sont repris pour être traités par <strong>la</strong> station <strong>de</strong> traitement<br />
<strong>de</strong>s eaux résiduaires <strong>de</strong> l’usine. Les boues carbonatées, quant à elles, sont entreposées au<br />
sud <strong>de</strong> l’usine, à proximité du ruisseau <strong>La</strong>canau 59 .<br />
Une première expérience originale<br />
Or, désormais, <strong>la</strong> préoccupation environnementale s’impose <strong>de</strong> plus en plus, comme le<br />
symbolise <strong>la</strong> création d’un ministère <strong>de</strong> l’Environnement au début <strong>de</strong>s années 1970. C’est<br />
alors que l’usine <strong>de</strong> <strong>Facture</strong>-<strong>Biganos</strong> est confrontée à <strong>de</strong>s critiques vigoureuses et doit<br />
procé<strong>de</strong>r à un profond « examen <strong>de</strong> conscience ». Elle doit tenir compte <strong>de</strong>s « nuisances »<br />
industrielles, alors que <strong>la</strong> fabrication <strong>de</strong> pâtes et papiers nécessite d’utiliser d’importants<br />
volumes d’eau et d’en rejeter une bonne partie. Les « eaux résiduaires », les eaux <strong>de</strong> <strong>la</strong>vage<br />
<strong>de</strong>s fibres, sont chargées <strong>de</strong> matières organiques, <strong>de</strong> <strong>la</strong> lignine solubilisée en milieu alcalin<br />
(alcali-lignines – d’où un pH alcalin élevé), et renferment <strong>de</strong>s substances minérales en<br />
solution (sulfate, carbonate, chlorure <strong>de</strong> sodium, voire aussi sels <strong>de</strong> calcium). Or, leur rejet<br />
dans <strong>la</strong> rivière débouche sur une « pollution primaire », avec <strong>la</strong> consommation <strong>de</strong><br />
l’oxygène dissous dans <strong>la</strong> rivière – parce que les substances alcali-lignines sont<br />
« chimiquement <strong>de</strong>man<strong>de</strong>uses d’oxygène » –, et sur une « pollution secondaire », due à <strong>la</strong><br />
présence <strong>de</strong>s sels minéraux, d’où <strong>de</strong>s colonies géantes <strong>de</strong> bactéries venues « réaliser le<br />
cycle du soufre ». Or l’on découvre que 6 à 8 mg par litre <strong>de</strong> matières organiques suffisent<br />
pour entraîner <strong>la</strong> prolifération microbienne.<br />
Avec <strong>la</strong> <strong>croissance</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> production, le rejet d’effluents s’intensifie. Sans être toxiques pour<br />
l’homme, elles constituent une réelle menace pour l’équilibre <strong>de</strong>s écosystèmes <strong>la</strong>ndais, et<br />
en particulier pour l’océan. L’on ne se rend pas vraiment compte encore <strong>de</strong> l’ampleur <strong>de</strong>s<br />
futures exigences environnementales ni <strong>de</strong> <strong>la</strong> montée en puissance <strong>de</strong>s courants <strong>de</strong> pensée<br />
environnementalistes, même si c’est à l’échelle du Bassin et <strong>de</strong> cette usine. Ce n’est que <strong>la</strong><br />
préhistoire <strong>de</strong> programmes d’investissement nécessairement plus amples !<br />
59 Éléments puisés sur internet, passim.<br />
17
Une première initiative mobilise en 1959 un procédé pionnier, l’épuration <strong>de</strong>s eaux<br />
résiduaires par infiltration dans le sol 60 . Sur un espace <strong>de</strong> 27 hectares à l’écart <strong>de</strong> toute<br />
habitation, les effluents liqui<strong>de</strong>s sont répandus par trois canaux d’infiltration et quatre<br />
drains ouverts <strong>de</strong> 500 mètres <strong>de</strong> longueur, disposé Est-Ouest, distants <strong>de</strong> 15 mètres, et sur<br />
six hectares à l’origine. Ce processus dure cinq ans, jusqu’en juillet 1964 seulement : l’on<br />
s’est aperçu que, au fil du temps, le fonds <strong>de</strong>s canaux se tapisse <strong>de</strong> fibres <strong>de</strong> cellulose ayant<br />
échappé aux filtres <strong>de</strong> sortie <strong>de</strong> l’usine et constitue une sorte <strong>de</strong> sous-pâte, d’où <strong>de</strong>s frais<br />
d’entretien élevés pour rétablir <strong>la</strong> fluidité. Un <strong>de</strong>uxième programme est alors <strong>la</strong>ncé : le<br />
terrain est transformé ; <strong>de</strong>ux bassins d’infiltration d’un mètre <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur sont mis en<br />
service avec une surface totale <strong>de</strong> cinq hectares ; leur capacité atteint 50 000 mètres cubes.<br />
Ces prélèvements réguliers mesurent l’évolution <strong>de</strong>s traitements, afin <strong>de</strong> vérifier si, comme<br />
prévu, <strong>la</strong> progression souterraine <strong>de</strong>s effluents liqui<strong>de</strong>s débouche bien sur leur épuration,<br />
donc si cette nappe tend bien à se rapprocher d’une sorte <strong>de</strong> nappe phréatique épurée <strong>de</strong><br />
façon biologique. Une fois « traitées » par le simple jeu <strong>de</strong> l’évolution biologique, par<br />
phénomène <strong>de</strong> biodégradabilité, ces eaux sont peu à peu entraînées par pesanteur vers <strong>la</strong><br />
rivière proche. Les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s experts concluent à l’efficacité du procédé, car <strong>la</strong> pollution<br />
est bloquée à une distance <strong>de</strong> 500 mètres du lieu <strong>de</strong> déversement <strong>de</strong>s effluents.<br />
<strong>La</strong> construction du wharf <strong>de</strong> <strong>La</strong> Salie<br />
Pourtant, d’autres campagnes d’investissement sont ensuite <strong>la</strong>ncées par <strong>la</strong> Cellulose du<br />
pin, pour traiter <strong>de</strong>s effluents liqui<strong>de</strong>s toujours en plus grand nombre. L’entreprise est en<br />
particulier indirectement associée à <strong>la</strong> décision <strong>de</strong> construire un réseau <strong>de</strong> collecte d’eaux<br />
usées à l’échelle du Bassin d’Arcachon, avec une conduite finale qui déboucherait en mer et<br />
aboutirait au rejet <strong>de</strong> ces effluents, censés se dissoudre naturellement dans les remous<br />
océaniques. Un programme <strong>de</strong> travaux est mis en œuvre entre 1968 et 1971, sous <strong>la</strong><br />
maîtrise d'ouvrage du Syndicat intercommunal <strong>de</strong>s communes riveraines du Bassin<br />
d'Arcachon (SIACRUBA, l’ancêtre du SIBA). Le projet comprend une canalisation <strong>de</strong> 30,5 km,<br />
<strong>de</strong> 1 200 mm <strong>de</strong> diamètre et d’un débit <strong>de</strong> 800 litres/secon<strong>de</strong>, reliant l’usine à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge <strong>de</strong><br />
<strong>La</strong> Salie. Puisque c’est l’océan qui accueillerait ces effluents, le Bassin d'Arcachon luimême<br />
serait débarrassé <strong>de</strong> cette pollution chimique.<br />
Reste à construire l’émissaire en mer, pour diffuser ces effluents au <strong>la</strong>rge. Le programme<br />
prend p<strong>la</strong>ce en 1970-1972. <strong>La</strong> société alleman<strong>de</strong> Harmstorf obtient l’adjudication <strong>de</strong> ces<br />
travaux en 1970 : en partant <strong>de</strong> l'extrémité <strong>de</strong> l'émissaire jusqu’à 5 500 mètres au <strong>la</strong>rge,<br />
elle doit poser un diffuseur <strong>de</strong> 250 mètres <strong>de</strong> long et une canalisation p<strong>la</strong>stique <strong>de</strong> 1,20<br />
mètre <strong>de</strong> diamètre enfouie sous <strong>de</strong>ux mètres <strong>de</strong> couverture par <strong>de</strong>s fonds al<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> -25 à -<br />
30 mètres. Ce chantier est effectué à l'ai<strong>de</strong> d’une barge et d’un engin sous-marin à<br />
chenilles. Ce <strong>de</strong>rnier, aussi appelé « traîneau d’ensouil<strong>la</strong>ge », creuse une tranchée, y passe<br />
le tuyau et le recouvre <strong>de</strong> sable à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> vibreurs. Mais <strong>de</strong>s difficultés surgissent, dues à <strong>la</strong><br />
présence <strong>de</strong> <strong>la</strong> houle, et le chantier ne peut être terminé dans le dé<strong>la</strong>i prévu, à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong><br />
1970). En outre, l’un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux diffuseurs est cassé tandis que l’autre est emporté par une<br />
tempête ! Et au moins quatre acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> plongée graves ont eu lieu, dont <strong>de</strong>ux furent<br />
fatals 61 .<br />
Soudain, quand on s’approche <strong>de</strong> <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s travaux, dans le cadre du nouveau calendrier<br />
qui a été défini en fonction <strong>de</strong> ces aléas, <strong>la</strong> dévaluation du dol<strong>la</strong>r et <strong>la</strong> réévaluation du mark<br />
60 Cf. Michel Marchand et Jean Séchet, « Un dispositif d’épuration <strong>de</strong>s eaux résiduaires <strong>de</strong> <strong>papeterie</strong> par<br />
infiltration », in Groundwater Pollution ; Pollution <strong>de</strong>s eaux souterraines, Proceedings of the Moscow<br />
Symposium, August 1971 ; Actes du colloque <strong>de</strong> Moscou, août 1971, IAHS-AISH Publishings, n°103, 1975,<br />
pp. 132-145.<br />
61 Cf. le site [j.dufau.free.fr/chariot].<br />
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constituent <strong>de</strong>s facteurs décisifs dans <strong>la</strong> mise en faillite <strong>de</strong> Harmstorf, qui subit <strong>de</strong> lour<strong>de</strong>s<br />
pertes sur un programme en A<strong>la</strong>ska… Tout est remis en cause en Giron<strong>de</strong> ! Le matériel est<br />
purement et simplement abandonné par <strong>la</strong> firme ; et le traîneau d’ensouil<strong>la</strong>ge, « le<br />
chariot », s’enlise en mer, au <strong>la</strong>rge, pour le futur bonheur <strong>de</strong>s plongeurs 62 et <strong>de</strong>s pêcheurs !<br />
Il faut par conséquent dénicher une solution <strong>de</strong> remp<strong>la</strong>cement : au lieu d’une conduite<br />
sous-marine, l’on choisit <strong>de</strong> construire une estaca<strong>de</strong> (ou wharf). L'ouvrage en acier soudé<br />
fait 800 mètres <strong>de</strong> long ; et il est composé d’un tuyau <strong>de</strong> 1,50 mètre <strong>de</strong> diamètre surmonté<br />
d'une passerelle <strong>de</strong> trois mètres <strong>de</strong> <strong>la</strong>rge p<strong>la</strong>cée au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s plus hautes vagues. Ces<br />
instal<strong>la</strong>tions entrent enfin en fonction en avril 1974.<br />
Remerciements<br />
• Nous <strong>de</strong>vons à Roger Castet et Ma<strong>de</strong>leine Dessales une reproduction <strong>de</strong>s articles décisifs <strong>de</strong> ce journal<br />
interne, pour les années 1963-1979.<br />
• Les archivistes <strong>de</strong> Crédit lyonnais-Crédit agricole (Anne Brunterch, Nancy Aravena et Pascal Penot) , <strong>de</strong><br />
BNP-Paribas (Roger Nougaret et Anne Grimault) et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société générale (Marjo<strong>la</strong>ine Meeschaert) nous ont<br />
fourni <strong>de</strong>s dossiers substantiels.<br />
• Marc <strong>de</strong> Ferrière Le Vayer nous a suggéré quelques points.<br />
62 Sur ces activités <strong>de</strong> plongée, cf. le site du GRAMASA-Groupe <strong>de</strong> recherche sur le Mur <strong>de</strong> l’At<strong>la</strong>ntique dans le<br />
secteur d’Arcachon.<br />
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