02.03.2013 Views

Sociologie des acteurs de la gentrification des quartiers anciens ...

Sociologie des acteurs de la gentrification des quartiers anciens ...

Sociologie des acteurs de la gentrification des quartiers anciens ...

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

<strong>Sociologie</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>acteurs</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>quartiers</strong><br />

<strong>anciens</strong> centraux d’hier et d’aujourd’hui<br />

Anaïs Collet<br />

GRS-Université Lyon II<br />

collet_a@yahoo.fr<br />

Résumé<br />

Le travail présenté est celui d’une thèse en cours sur les <strong>acteurs</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> <strong>de</strong> <strong>quartiers</strong><br />

lyonnais et parisiens <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1970 et d’aujourd’hui. Il ne porte pas tant sur les <strong>quartiers</strong><br />

« gentrifiés » et les transformations qui les affectent, que sur les rapports à l’espace rési<strong>de</strong>ntiel <strong>de</strong><br />

certains <strong>acteurs</strong> du changement urbain : en quoi investir et s’investir (c’est-à-dire pas seulement<br />

économiquement) dans certains espaces peut participer à <strong>la</strong> construction d’une i<strong>de</strong>ntité sociale<br />

individuelle et/ou collective, et avoir <strong><strong>de</strong>s</strong> effets dans les trajectoires sociales. Pour ce<strong>la</strong>, les travaux<br />

menés exploitent <strong>la</strong> profon<strong>de</strong>ur historique dont on dispose aujourd’hui sur <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> selon<br />

<strong>de</strong>ux axes. On présente d’abord les premiers résultats <strong>de</strong> <strong>la</strong> comparaison intertemporelle1 qui porte<br />

sur les trois points suivants : qui sont les <strong>acteurs</strong> <strong>de</strong> l’embourgeoisement <strong>de</strong> certains <strong>quartiers</strong> à<br />

certaines époques ; pourquoi le sont-ils (quelles sont leurs logiques sociales) ; enfin, comment ce<br />

changement se déroule-t-il (en insistant sur les compétences spécifiques que les <strong>acteurs</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

<strong>gentrification</strong> mettent en œuvre dans ce processus). D’autre part, on présente <strong>la</strong> démarche<br />

longitudinale <strong>de</strong> suivi <strong><strong>de</strong>s</strong> trajectoires (rési<strong>de</strong>ntielles, mais aussi professionnelles, familiales, etc)<br />

d’<strong>anciens</strong> gentrifieurs, et son intérêt pour <strong>la</strong> connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> interactions entre <strong>la</strong> dimension<br />

spatiale et les autres dimensions <strong><strong>de</strong>s</strong> trajectoires sociales.<br />

Introduction<br />

Le travail présenté ici est celui d’une thèse en cours ; il concerne un objet particulier, <strong>la</strong><br />

<strong>gentrification</strong>, c’est-à-dire l’embourgeoisement <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>quartiers</strong> <strong>anciens</strong> centraux <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> villes ; en<br />

même temps, il y a l’ambition, à travers cet objet particulier, <strong>de</strong> traiter <strong>de</strong> questions sociologiques<br />

transversales.<br />

Dans un premier temps, on définit précisément l’objet <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche et ses enjeux. On présente<br />

ensuite les premiers résultats d’une comparaison intertemporelle qui porte sur les trois questions<br />

suivantes à <strong>de</strong>ux époques, les années 1970-80 d’une part, <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> actuelle d’autre part : qui sont<br />

les <strong>acteurs</strong> <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> aux <strong>de</strong>ux époques ; pourquoi le sont-ils ; et enfin comment ce<strong>la</strong> prend-il<br />

forme. On enfin ébauche <strong>la</strong> réflexion sur le suivi longitudinal <strong>de</strong> trajectoires d’<strong>anciens</strong> gentrifieurs.<br />

Ces réflexions et résultats concernent surtout <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1970-80, dans <strong>la</strong> mesure où<br />

l’enquête sur les terrains actuels ne fait que commencer.<br />

Une sociologie <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>acteurs</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong>, dans une<br />

perspective historique<br />

L’objet sur lequel porte le travail <strong>de</strong> recherche actuellement en cours est un phénomène <strong>de</strong><br />

renouvellement urbain qui concerne les <strong>quartiers</strong> <strong>anciens</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> villes. Ces <strong>quartiers</strong> <strong>anciens</strong><br />

ont connu, ou connaissent encore, pour certains d’entre eux, une pério<strong>de</strong> pendant <strong>la</strong>quelle, habités<br />

par <strong><strong>de</strong>s</strong> catégories popu<strong>la</strong>ires vieillissantes aux logements pauvres, ils sont abandonnés par les<br />

pouvoirs publics. A partir <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1970, et successivement <strong>de</strong>puis lors, ces <strong>quartiers</strong> ont été<br />

1


éinvestis par une popu<strong>la</strong>tion plus jeune, plus diplômée, et disposant <strong>de</strong> davantage <strong>de</strong> moyens<br />

matériels que <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion progressivement remp<strong>la</strong>cée.<br />

C’est ce phénomène qui est désigné par le terme « <strong>gentrification</strong> » forgé en 1963 par Ruth G<strong>la</strong>ss, et<br />

que C. Bidou-Zachariasen définit en insistant sur ses <strong>de</strong>ux aspects concomitants : il y a « à <strong>la</strong> fois<br />

une transformation <strong>de</strong> <strong>la</strong> composition sociale <strong><strong>de</strong>s</strong> rési<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> certains <strong>quartiers</strong> centraux, à travers<br />

le remp<strong>la</strong>cement <strong>de</strong> couches popu<strong>la</strong>ires par <strong><strong>de</strong>s</strong> couches moyennes sa<strong>la</strong>riées, et un processus <strong>de</strong><br />

nature distincte, celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> réhabilitation, <strong>de</strong> l’appropriation et <strong>de</strong> l’investissement par ces couches<br />

sociales d’un stock <strong>de</strong> logements et <strong>de</strong> <strong>quartiers</strong> ouvriers ou popu<strong>la</strong>ires » [1].<br />

L’idée majeure qui gui<strong>de</strong> le travail <strong>de</strong> recherche ici présenté est <strong>de</strong> travailler sur ce type <strong>de</strong><br />

phénomène en évitant <strong>la</strong> perspective monographique. On suit pour ce<strong>la</strong> <strong>de</strong>ux lignes directrices.<br />

D’une part, il s’agit <strong>de</strong> faire porter <strong>la</strong> connaissance et l’analyse davantage sur les groupes, les<br />

ménages, les individus <strong>acteurs</strong> <strong>de</strong> ces transformations sociales et spatiales, que sur les espaces où<br />

elles se déroulent. C’est aussi pourquoi on ne travaille pas sur l’ensemble <strong>de</strong> ces <strong>acteurs</strong> - on exclut<br />

notamment du noyau <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche les agents immobiliers, promoteurs, services municipaux<br />

d’urbanisme. D’autre part, l’idée est d’exploiter <strong>la</strong> perspective historique dont on dispose<br />

maintenant puisque ce phénomène urbain existe <strong>de</strong>puis quelques décennies et qu’il a déjà été décrit<br />

et étudié en France et dans d’autres pays. Cette perspective historique comprend concrètement <strong>de</strong>ux<br />

axes <strong>de</strong> recherche : d’une part, <strong>la</strong> comparaison historique <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>acteurs</strong> et <strong><strong>de</strong>s</strong> processus <strong>de</strong><br />

l’embourgeoisement <strong>de</strong> <strong>quartiers</strong> <strong>anciens</strong> centraux entre leurs premières formes dans les années<br />

1970-80 et <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> actuelle ; d’autre part le suivi <strong>de</strong> trajectoires d’<strong>anciens</strong> « gentrifieurs ». Ces<br />

<strong>de</strong>ux axes correspon<strong>de</strong>nt aux <strong>de</strong>ux dimensions <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports entre espace et socialisation : <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

popu<strong>la</strong>tions sont engagées dans <strong><strong>de</strong>s</strong> processus <strong>de</strong> changement urbain... qui sont en retour<br />

constitutifs du <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> ces popu<strong>la</strong>tions.<br />

Centrer <strong>la</strong> recherche sur les ménages <strong>acteurs</strong> <strong>de</strong> l’embourgeoisement et mettre en re<strong>la</strong>tion leurs<br />

rapports à l’espace rési<strong>de</strong>ntiel avec les autres dimensions <strong>de</strong> leur vie sociale, professionnelle,<br />

familiale etc., permet d’abor<strong>de</strong>r d’autres questions re<strong>la</strong>tives non pas aux processus <strong>de</strong> changement<br />

urbain, mais plutôt aux groupes sociaux et à leur inscription dans l’espace (par exemple, les enjeux<br />

liés au positionnement dans <strong>la</strong> ville, le rapport entretenu par certains groupes sociaux particuliers<br />

avec <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces spécifiques, l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> c<strong>la</strong>sses moyennes, <strong>de</strong> leurs mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> vie et systèmes <strong>de</strong><br />

valeurs...), questions qui sont traitées ailleurs à propos d’autres espaces et/ou d’autres popu<strong>la</strong>tions.<br />

Ce<strong>la</strong> nous différencie en revanche <strong><strong>de</strong>s</strong> autres travaux courants sur <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> : monographies,<br />

étu<strong><strong>de</strong>s</strong> socio-économiques centrées sur le marché immobilier, ou approches distributionnelles <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

répartition <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes sociaux dans l’espace.<br />

De nombreux travaux sociologiques et géographiques s’intéressent en effet à ce processus sous <strong>la</strong><br />

forme d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> monographiques sur <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>quartiers</strong> particuliers [2]. Ces travaux visent souvent à<br />

décrire avec finesse et exhaustivité les différents aspects d’un embourgeoisement en cours : son<br />

contexte urbain et historique, ses <strong>acteurs</strong>, les modalités <strong>de</strong> son déroulement, ses conséquences pour<br />

le quartier (le marché immobilier local, <strong>la</strong> trame commerciale, l’aspect physique du bâti, etc.) et<br />

pour <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion dans son ensemble (éventuels conflits <strong>de</strong> voisinage, etc.)... Mises côte à côte, ces<br />

monographies donnent à voir <strong><strong>de</strong>s</strong> processus toujours particuliers, dont les points communs<br />

permettent <strong>de</strong> dresser un modèle général <strong>de</strong> remp<strong>la</strong>cement d’une catégorie d’habitants par une<br />

autre : le stage mo<strong>de</strong>l, qui décrit <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> comme un processus articulé en différentes<br />

étapes, chaque étape signa<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> propagation du phénomène à <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces plus <strong>la</strong>rges et à <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

popu<strong>la</strong>tions plus nombreuses et moins spécifiques. Ce faisant, il est à même d’intégrer <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

situations <strong>de</strong> plus en plus diverses, notamment en ce qui concerne les popu<strong>la</strong>tions engagées. Il<br />

apparaît alors utile <strong>de</strong> souligner ces différences entre les <strong>acteurs</strong> et <strong>de</strong> les expliquer, plutôt que <strong>de</strong><br />

chercher à les intégrer à un modèle global. Pour ce<strong>la</strong>, l’étu<strong>de</strong> doit avoir pour objet central les<br />

popu<strong>la</strong>tions en jeu plutôt que l’espace où elles agissent. Plus fondamentalement, l’idée est d’étudier<br />

<strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> pas seulement pour elle-même, mais surtout pour en tirer <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances sur le<br />

rapport <strong><strong>de</strong>s</strong> individus et <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes à l’espace dans lequel ils s’inscrivent.<br />

2


Une autre approche dont nous nous démarquons est <strong>la</strong> théorie géo-économique du rent gap<br />

développée par Neil Smith [3], selon <strong>la</strong>quelle c’est <strong>la</strong> perspective d’une plus-value économique<br />

(acquisition à bas prix, rénovation du bâti et « amélioration » du quartier, revente avec profit) qui<br />

amène les couches moyennes à investir dans les <strong>quartiers</strong> <strong>anciens</strong> dé<strong>la</strong>issés et qui fait advenir le<br />

processus complet <strong>de</strong> <strong>gentrification</strong>. Il arrive que les gentrifieurs déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> rester dans les lieux<br />

une fois le bâti et le quartier réhabilités ; dans ce cas, le bénéfice financier est seulement potentiel ;<br />

mais on peut supposer qu’il existe d’autres bénéfices matériels, sociaux et symboliques. Cette<br />

théorie ignore donc <strong><strong>de</strong>s</strong> enjeux et <strong><strong>de</strong>s</strong> investissements autres qu’économiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>acteurs</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> ; <strong>de</strong> plus, on ne peut tenir les individus pour parfaitement calcu<strong>la</strong>teurs et<br />

rationnels même si on les considère comme stratégiques. Ce sont <strong>de</strong>ux points sur lesquels <strong>la</strong><br />

perspective proposée peut apporter <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances utiles.<br />

Enfin, les processus d’embourgeoisement sont également souvent étudiés, en France, à l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

résultats <strong><strong>de</strong>s</strong> recensements : répartition spatiale <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes catégories sociales dans l’espace,<br />

cartographies, indices <strong>de</strong> co-présence et indicateurs d’évolution du peuplement <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>quartiers</strong>...On<br />

pense par exemple au récent ouvrage d’E. Maurin sur <strong>la</strong> ségrégation rési<strong>de</strong>ntielle [4] fondé sur <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

données <strong>de</strong> l’INSEE : l’auteur ausculte <strong>la</strong> répartition <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes sociaux sur le territoire en<br />

calcu<strong>la</strong>nt <strong><strong>de</strong>s</strong> indices d’écartement à <strong>la</strong> situation parfaite <strong>de</strong> mixité sociale (sous- ou surreprésentation<br />

<strong>de</strong> catégories sociales particulières) dans un certain nombre <strong>de</strong> voisinages. Ce travail<br />

nécessaire <strong>de</strong>meure néanmoins plus <strong><strong>de</strong>s</strong>criptif qu’explicatif ou compréhensif. L’auteur propose<br />

certes <strong><strong>de</strong>s</strong> interprétations <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation qu’il décrit, mais sans chercher à saisir pourquoi « le<br />

territoire <strong>de</strong>vient un enjeu <strong>de</strong> plus en plus central », pourquoi il y a <strong><strong>de</strong>s</strong> « stratégies d’esquive » dans<br />

le champ rési<strong>de</strong>ntiel, comment cet évitement prend forme dans les espaces <strong>de</strong> pratiques... E. Maurin<br />

reconnaît d’ailleurs que « comprendre [leur] ressort profond suppose [...] <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>cendre dans<br />

l’intimité <strong><strong>de</strong>s</strong> rési<strong>de</strong>nts, <strong>de</strong> leurs peurs et <strong>de</strong> leurs aspirations » ; il reconnaît aussi qu’il y a un « flou<br />

grandissant sur <strong>la</strong> signification exacte <strong><strong>de</strong>s</strong> phénomènes d’embourgeoisement observés à travers les<br />

recensements <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion » et qu’on doit prendre en compte <strong><strong>de</strong>s</strong> différenciations plus fines à<br />

l’intérieur <strong><strong>de</strong>s</strong> catégories <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>tion concernées (c<strong>la</strong>sses supérieures, c<strong>la</strong>sses moyennes).<br />

Les axes spécifiques du travail entrepris le différencient donc <strong><strong>de</strong>s</strong> travaux déjà menés, et visent à le<br />

rendre complémentaire. L’objectif est surtout d’explorer davantage les rapports à l’espace<br />

rési<strong>de</strong>ntiel <strong>de</strong> certains <strong>acteurs</strong> du changement urbain : en quoi investir et s’investir (c’est-à-dire pas<br />

seulement économiquement) dans certains espaces peut participer à <strong>la</strong> construction d’une i<strong>de</strong>ntité<br />

sociale individuelle et/ou collective, et avoir <strong><strong>de</strong>s</strong> effets dans les trajectoires sociales.<br />

Pour ce<strong>la</strong>, on compare <strong><strong>de</strong>s</strong> situations actuelles aux situations étudiées dans les années 70-80 sur<br />

trois points : premièrement, qui est acteur <strong>de</strong> l’embourgeoisement <strong>de</strong> certains <strong>quartiers</strong> à certaines<br />

époques ; <strong>de</strong>uxièmement, pourquoi ces individus et groupes sociaux sont <strong>acteurs</strong> du changement<br />

urbain à cet endroit et à ce moment, et que leur apporte cette inscription dans l’espace ; enfin,<br />

comment ce changement se déroule (les modalités d’appropriation du territoire, les formes prises<br />

par <strong>la</strong> cohabitation, et les compétences spécifiques que les <strong>acteurs</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> mettent en<br />

œuvre dans ce processus). D’autre part, et c’est <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième dimension historique du projet, on veut<br />

voir quelles conséquences ce phénomène a non pas pour l’espace, mais pour <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion<br />

« gentrifieuse » ; ce <strong>de</strong>rnier point peut être étudié en retraçant les parcours (carrières rési<strong>de</strong>ntielles,<br />

mais aussi professionnelle, familiale, militante...) d’<strong>anciens</strong> « gentrifieurs » : ce<strong>la</strong> permet <strong>de</strong> repérer<br />

les effets probables d’une telle expérience rési<strong>de</strong>ntielle sur <strong>la</strong> trajectoire sociale ultérieure.<br />

Les cas <strong>de</strong> <strong>gentrification</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> années 70-80 (même si ce terme n’était pas encore utilisé alors)<br />

auxquels nous faisons le plus souvent référence concernent le quartier Daguerre à Paris, et le<br />

quartier <strong>de</strong> <strong>la</strong> Croix-Rousse à Lyon ; ils ont été décrits et étudiés par <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs <strong>de</strong><br />

l’Observatoire du Changement Social (programme <strong>de</strong> recherche du CNRS mis en p<strong>la</strong>ce en 1977).<br />

Les travaux <strong>de</strong> l’Observatoire ont donné lieu à <strong><strong>de</strong>s</strong> publications régulières entre 1977 et 1982, à un<br />

ouvrage <strong>de</strong> synthèse, L’esprit <strong><strong>de</strong>s</strong> lieux, et à quelques publications spécifiques à certains <strong>quartiers</strong><br />

(comme Le triangle du XIVème, sur le XIVème arrondissement <strong>de</strong> Paris) [5].<br />

3


Les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> dimensions <strong>de</strong> <strong>la</strong> comparaison inter-temporelle<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>acteurs</strong> et <strong><strong>de</strong>s</strong> processus <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong><br />

L’exploration <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> dimensions <strong>de</strong> cette perspective particulière sur <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> conduit<br />

à <strong><strong>de</strong>s</strong> questions sociologiques plus fondamentales. Ces questions peuvent être comprises et<br />

éc<strong>la</strong>irées à l’ai<strong>de</strong> d’un dialogue entre <strong><strong>de</strong>s</strong> auteurs et <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches, à chaque pério<strong>de</strong> et entre les<br />

pério<strong><strong>de</strong>s</strong>.<br />

La <strong>gentrification</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1970-1980<br />

Qui étaient les <strong>acteurs</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> ?<br />

Il s’agit dans un premier temps d’expliciter et <strong>de</strong> déconstruire les « figures » <strong>de</strong><br />

l’embourgeoisement urbain - médiatisées comme « hippies » puis comme « bobos » - et <strong>de</strong> cerner<br />

les caractéristiques <strong><strong>de</strong>s</strong> individus et <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes particulièrement actifs dans <strong>la</strong> recomposition<br />

sociale <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>quartiers</strong> <strong>anciens</strong> dans les années 1970-1980.<br />

Les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> chercheurs <strong>de</strong> l’O.C.S. ont permis <strong>de</strong> caractériser finement ces popu<strong>la</strong>tions, en<br />

particulier celles qui transformèrent les <strong>quartiers</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Croix-Rousse à Lyon et Daguerre à Paris.<br />

Elles appartiennent aux « nouvelles couches moyennes » (terme pluriel soulignant leur diversité)<br />

caractérisées par leur positionnement sur le marché du travail - ce sont plutôt <strong><strong>de</strong>s</strong> sa<strong>la</strong>riés <strong>de</strong> l’Etat,<br />

exerçant une activité « sociale » au sens <strong>la</strong>rge (éducation, santé, architecture,...) dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

professions récemment développées, où <strong>la</strong> reproduction sociale est donc rare pour <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons<br />

structurelles ; on y trouve également <strong><strong>de</strong>s</strong> étudiants ou <strong><strong>de</strong>s</strong> marginaux vivant <strong>de</strong> « petits métiers »<br />

avant <strong>de</strong> s’installer comme artisans ou restaurateurs (surtout à Croix-Rousse). Ils sont aussi<br />

caractérisés par leur adhésion à un système <strong>de</strong> valeurs inspiré <strong>de</strong> 1968, valorisant<br />

l’interconnaissance, <strong>la</strong> convivialité (surtout à Daguerre), <strong>la</strong> lutte et <strong>la</strong> contestation politiques. Jean<br />

Rémy dresse peu ou prou le même portrait, les gentrifieurs étant selon lui constitués principalement<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> c<strong>la</strong>sses moyennes ayant un fort capital culturel et un assez faible capital économique - ce qui<br />

les met face à <strong><strong>de</strong>s</strong> contradictions dans leur vie quotidienne.<br />

C. Bidou, dans Les aventuriers du quotidien [6], a aussi rencontré, en quartier ancien comme en<br />

vil<strong>la</strong>ge péri-urbain, ces « nouvelles couches moyennes sa<strong>la</strong>riées » qu’elle a d’ailleurs contribué à<br />

définir. Elle insiste davantage sur plusieurs points qui nous semblent particulièrement intéressants<br />

pour <strong>la</strong> comparaison avec les popu<strong>la</strong>tions actuellement actrices <strong>de</strong> l’embourgeoisement.<br />

D’abord, il s’agit d’une catégorie <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>tion peu évi<strong>de</strong>nte à nommer et à situer dans l’espace<br />

social : elle appartient aux c<strong>la</strong>sses ou aux couches moyennes qui sont le « ventre mou » d’un espace<br />

social structuré <strong>de</strong> façon très po<strong>la</strong>risée en France. P. Bourdieu, dans La distinction [7], les situe<br />

dans <strong>la</strong> « petite bourgeoisie » très extensive (« tout ce qui n’est pas le prolétariat et <strong>la</strong> vraie<br />

bourgeoisie », c’est-à-dire le tertiaire dans son ensemble), dans <strong>la</strong> sous-catégorie <strong>de</strong> « petite<br />

bourgeoisie nouvelle » (instituteurs et professions intellectuelles, services médicaux et sociaux).<br />

Cette catégorisation, que l’on retrouve également chez d’autres auteurs à l’époque, ne satisfait<br />

cependant pas un grand nombre d’intellectuels souffrant, selon C. Bidou, <strong>de</strong> « culpabilité<br />

idéologique », et qui considèrent que le système <strong>de</strong> valeurs <strong>de</strong> ces « nouvelles couches moyennes »<br />

les différencie <strong>de</strong> <strong>la</strong> « petite bourgeoisie » où leurs positions socio-économique les p<strong>la</strong>cent pourtant<br />

(« il n’est jamais imaginé qu’elles puissent ne pas faire partie intégrante <strong><strong>de</strong>s</strong> couches dominées, tant<br />

apparaîtrait grand alors le risque d’assimi<strong>la</strong>tion injurieuse à <strong>la</strong> funeste "petite bourgeoisie", à<br />

<strong>la</strong>quelle elles n’appartiennent effectivement pas » [8]).<br />

En effet, ces catégories semblent se définir autant par leur système <strong>de</strong> valeurs que par leur situation<br />

professionnelle ; celui-ci se distingue sur plusieurs points sail<strong>la</strong>nts (on suit C. Bidou) : le rapport au<br />

travail d’abord, qui est pacifié, sort d’un paradigme d’aliénation et est associé à <strong>de</strong> nouvelles<br />

4


valeurs (liberté, autonomie, épanouissement...) ; le refus ou l’incapacité <strong>de</strong> se situer dans <strong>la</strong><br />

hiérarchie au travail comme dans l’espace social (interprété par C. Bidou comme une « sorte <strong>de</strong><br />

rationalisation <strong>de</strong> satisfaction d’une position n’offrant pas grand pouvoir » liée au peu d’histoire et<br />

<strong>de</strong> visibilité sociale <strong>de</strong> leurs professions) ; les rapports à l’espace et au temps sont marqués par un<br />

sur-investissement du hors-travail (c’est-à-dire <strong>de</strong> l’espace-temps rési<strong>de</strong>ntiel) ainsi que du<br />

« quotidien » ; enfin, en ce qui concerne l’espace, ces enquêtés valorisent l’ancienneté du bâti,<br />

l’interconnaissance, <strong>la</strong> convivialité, le mé<strong>la</strong>nge social et ethnique, <strong>la</strong> concentration <strong><strong>de</strong>s</strong> différentes<br />

activités dans l’espace local, l’« authenticité » <strong><strong>de</strong>s</strong> gens, <strong><strong>de</strong>s</strong> re<strong>la</strong>tions, <strong><strong>de</strong>s</strong> bâtiments, etc... On verra<br />

plus loin ce qui peut expliquer ces goûts.<br />

Pourquoi ont-ils été <strong>acteurs</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> ?<br />

Comme annoncé plus haut, une <strong><strong>de</strong>s</strong> questions fondamentales que nous souhaitons poser sur <strong>la</strong><br />

<strong>gentrification</strong> est celle non pas <strong><strong>de</strong>s</strong> logiques urbaines, mais <strong><strong>de</strong>s</strong> logiques sociales à l’œuvre dans ce<br />

phénomène. Concrètement, il s’agit <strong>de</strong> trouver les termes d’une apparente adéquation entre les<br />

caractéristiques d’un espace et les caractéristiques d’une popu<strong>la</strong>tion à un moment donné : pourquoi<br />

cet espace-là est-il choisi, et pourquoi l’est-il par cette popu<strong>la</strong>tion-là ? Quels sont les déterminants<br />

<strong>de</strong> ces choix rési<strong>de</strong>ntiels ?<br />

Il s’agit d’abord <strong>de</strong> comprendre pourquoi les popu<strong>la</strong>tions précé<strong>de</strong>mment décrites trouvent dans le<br />

champ rési<strong>de</strong>ntiel, un lieu (une scène) d’expression. Une explication est proposée par les<br />

chercheurs du programme O.C.S. : ils considèrent que <strong>la</strong> constitution d’une i<strong>de</strong>ntité sociale<br />

(entendue comme « l’image <strong>de</strong> soi que l’on donne aux autres et que les autres vous renvoient [...]<br />

qui permet [...] <strong>de</strong> reconnaître ses semb<strong>la</strong>bles et <strong>de</strong> se différencier <strong><strong>de</strong>s</strong> autres » [9]) fait l’objet d’une<br />

stratégie : un objectif, <strong><strong>de</strong>s</strong> ressources, et un champ d’action, qui peut être rési<strong>de</strong>ntiel, ou<br />

professionnel, associatif, familial... L’hypothèse est alors <strong>la</strong> suivante : « si l’i<strong>de</strong>ntité sociale se<br />

construit pour certains et en partie dans et par le quartier, c’est que l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle ne<br />

paraît plus suffisante, ou ne correspond pas aux ressources <strong><strong>de</strong>s</strong> individus » [10]. Les popu<strong>la</strong>tions<br />

enquêtées par ces chercheurs sont en effet en début <strong>de</strong> carrière professionnelle incertaine ou<br />

présentant peu d’opportunités d’ascension, ils sont parfois en trajectoire <strong><strong>de</strong>s</strong>cendante par rapport<br />

aux parents, ou bien <strong>la</strong> dévaluation <strong><strong>de</strong>s</strong> titres sco<strong>la</strong>ires ne leur permet pas <strong>de</strong> valoriser leur capital<br />

sco<strong>la</strong>ire à sa juste valeur ; le champ professionnel ne permettrait donc pas, selon cette analyse, <strong>la</strong><br />

construction d’une i<strong>de</strong>ntité sociale valorisante.<br />

Le champ rési<strong>de</strong>ntiel, en tant qu’espace physique, social et symbolique, présenterait a contrario <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

opportunités pour valoriser leurs capitaux spécifiques (faible capital économique, forts capitaux<br />

culturel et social...). Notamment, c’est dans le quartier ancien un peu dégradé et popu<strong>la</strong>ire (le<br />

« quartier-vil<strong>la</strong>ge » mythique) que ces ressources seraient le plus valorisées : un quartier peu cher<br />

permet d’investir le faible capital économique dans un logement dont ils peuvent assurer <strong>la</strong> remise<br />

en état, voire <strong>la</strong> transformation (et en même temps y imprimer leur marque) ; ceci nécessite en effet<br />

<strong>la</strong> mobilisation <strong>de</strong> compétences (architecture, brico<strong>la</strong>ge, déco) et <strong>de</strong> temps dont ils disposent, ou<br />

dont le réseau dont ils disposent (capital social) dispose... De même, l’espace social du quartier peut<br />

être un champ <strong>de</strong> valorisation du capital social et symbolique, et les champs associatif et politique<br />

locaux peuvent permettre <strong>de</strong> valoriser les capitaux culturel et linguistique... (ce qui expliquerait que<br />

les gentrifieurs se caractérisent aussi par leur forte visibilité dans l’espace rési<strong>de</strong>ntiel).<br />

S. Beaud [11] montre, <strong>de</strong> <strong>la</strong> même manière bien qu’à propos d’un objet très différent (le rapport aux<br />

étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> jeunes issus <strong>de</strong> l’immigration) comment le quartier peut être un espace-ressource (petits<br />

boulots, réseau d’entrai<strong>de</strong> pour les trajets par exemple...) valorisant <strong><strong>de</strong>s</strong> ressources spécifiques <strong>de</strong><br />

façon compensatoire par rapport à l’échec <strong>de</strong> <strong>la</strong> socialisation sur <strong>la</strong> scène sco<strong>la</strong>ire. A un moment<br />

donné <strong>de</strong> <strong>la</strong> trajectoire, l’inscription dans l’espace pourrait donc remplir un rôle socialement utile.<br />

Dans les <strong>de</strong>ux cas, le choix géographique <strong>de</strong> localisation <strong><strong>de</strong>s</strong> activités, du temps passé, <strong><strong>de</strong>s</strong> re<strong>la</strong>tions<br />

nouées, correspondrait au choix d’un espace où on dispose du maximum <strong>de</strong> ressources pour se<br />

construire une i<strong>de</strong>ntité sociale valorisante.<br />

5


De manière générale, S. Beaud comme l’OCS montrent que le rapport au quartier doit être analysé<br />

en re<strong>la</strong>tion avec l’ensemble <strong>de</strong> <strong>la</strong> trajectoire (et pas seulement <strong>la</strong> trajectoire rési<strong>de</strong>ntielle), puisqu’il<br />

peut être investi <strong>de</strong> façon compensatoire par rapport à l’échec <strong>de</strong> <strong>la</strong> socialisation sur d’autres scènes<br />

(notamment professionnelle). Dans <strong>la</strong> plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> enquêtes portant sur <strong><strong>de</strong>s</strong> situations<br />

d’investissements dans l’espace rési<strong>de</strong>ntiel, les <strong>acteurs</strong> du changement urbain sont en effet dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

situations professionnelles peu valorisantes : on l’a vu à propos <strong><strong>de</strong>s</strong> « aventuriers du quotidien » ;<br />

dans <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> J.-S. Bordreuil sur l’instal<strong>la</strong>tion <strong><strong>de</strong>s</strong> artistes à SoHo [12], il s’agit d’artistes<br />

débutants n’ayant encore ni capital économique ni reconnaissance professionnelle ; c’est encore le<br />

cas dans les enquêtes <strong>de</strong> S. Chalvon-Demersay, d’O. Benoît-Guilbot, ou <strong>de</strong> B. Bensoussan sur les<br />

terrains <strong>de</strong> l’O.C.S.. F. Weber, à partir <strong>de</strong> ses terrains d’enquête, fait à cette époque <strong>la</strong> même<br />

hypothèse : « les choses se passent comme si, dans <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité sociale, <strong>la</strong> position<br />

dans l’univers professionnel perdait <strong>de</strong> son importance, <strong>la</strong>issant ainsi plus <strong>de</strong> part aux références<br />

territoriales et régionales » [13].<br />

A <strong>la</strong> lumière <strong>de</strong> ces travaux, <strong>la</strong> question est moins : « comment peut-il y avoir adéquation entre<br />

certains espaces et certaines popu<strong>la</strong>tions à un moment donné ? » que « pourquoi et comment<br />

l’inscription territoriale peut être mobilisée comme ressource sociale ? ». Une <strong><strong>de</strong>s</strong> réponses à cette<br />

question repose sur l’idée d’i<strong>de</strong>ntification entre un groupe social et un lieu : le choix <strong>de</strong> certains<br />

espaces ayant les caractéristiques particulières est aussi l’occasion <strong>de</strong> matérialiser et d’affirmer<br />

certaines valeurs, certains goûts : le quartier est alors investi en symboles.<br />

J.-S. Bordreuil parle <strong>de</strong> « valeur territorialisante » <strong>de</strong> certains espaces pour certaines popu<strong>la</strong>tions :<br />

une i<strong>de</strong>ntité sociale peut être adossée à une i<strong>de</strong>ntité spatiale (dans le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> artistes qui<br />

s’installèrent à SoHo, l’appropriation d’un espace décalé géographiquement, socialement,<br />

architecturalement par rapport au centre du marché <strong>de</strong> l’art, a soutenu l’affirmation d’une position<br />

décalée et novatrice sur ce marché <strong>de</strong> l’art). Dans ce cas, l’inscription territoriale a eu <strong><strong>de</strong>s</strong> effets<br />

bénéfiques pour <strong>la</strong> constitution d’une i<strong>de</strong>ntité... professionnelle ! Dans ce cas, l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong><br />

l’i<strong>de</strong>ntité artistique à l’espace est poussée à son maximum : les caractéristiques spatiales dans<br />

lesquelles se sont développés les mouvements artistiques émergents à SoHo les ont façonnés (big<br />

works, found objects, art environnemental, pop art, factory art...).<br />

En fait, cette « valeur territorialisante » n’existe pas d’elle-même comme une caractéristique<br />

intrinsèque à l’espace : ce sont les pionniers ou les gentrifieurs qui s’y installent qui donnent à leur<br />

insertion spatiale une valeur territorialisante en y mettant en jeu <strong>de</strong> façon affirmative leur i<strong>de</strong>ntité.<br />

De <strong>la</strong> même manière, C. Bidou-Zachariasen montre dans « L’espace urbain comme ressource<br />

sociale dans le roman proustien » [14] comment <strong>la</strong> bourgeoisie du XIXème siècle, telle qu’elle est<br />

décrite par Proust, mobilise l’espace comme une ressource pour construire son i<strong>de</strong>ntité et sa<br />

visibilité sociales.<br />

Les « aventuriers du quotidien » rencontrés à Paris par C. Bidou choisissent aussi pour quartier<br />

d’habitation un espace support <strong>de</strong> leurs valeurs : dans le quartier d’Aligre, le mé<strong>la</strong>nge social,<br />

ethnique, l’ancienneté, le désordre, le mé<strong>la</strong>nge <strong><strong>de</strong>s</strong> activités d’habitat et d’artisanat représentent et<br />

matérialisent leurs valeurs (mythe du vil<strong>la</strong>ge cosmopolite et pacifique). Mais ces habitants sont<br />

dans un rapport <strong>de</strong> contemp<strong>la</strong>tion avec ces symboles ; eux-mêmes ne mettent pas en œuvre ces<br />

valeurs dans leurs pratiques. Selon l’auteur, c’est leur position sociale particulière qui explique ce<br />

rapport mythique au quartier : « <strong>la</strong> mise en scène <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie sociale dans le petit théâtre vil<strong>la</strong>geois<br />

participe <strong>de</strong> ce même désir <strong>de</strong> nier les rapports sociaux » [15]. C’est aussi un rapport mythique au<br />

quartier ancien que décrit Jean Rémy dans sa synthèse sur le retour aux <strong>quartiers</strong> <strong>anciens</strong> [16] :<br />

celui-ci est choisi non pas pour sa valeur utilitaire mais pour les valeurs qu’il symbolise<br />

(valorisation <strong>de</strong> l’ancien, convivialité, opposition à <strong>la</strong> banlieue mo<strong>de</strong>rniste et fonctionnaliste, etc.) et<br />

bien que les pratiques dans ce quartier soient en opposition avec ces valeurs.<br />

6


Comment ont-ils été <strong>acteurs</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> ?<br />

Le troisième questionnement concerne les configurations et les modalités <strong>de</strong> l’embourgeoisement<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>quartiers</strong> <strong>anciens</strong> aux <strong>de</strong>ux pério<strong><strong>de</strong>s</strong> considérées : si ce<strong>la</strong> permet <strong>de</strong> mesurer le rôle <strong>de</strong> ces<br />

habitants en termes <strong>de</strong> changement urbain, l’objectif est surtout <strong>de</strong> cerner <strong>la</strong> manière dont ces<br />

changements s’opèrent, en apparence "naturellement", à travers le rapport à l’espace, et aux autres<br />

groupes sociaux dans cet espace, <strong><strong>de</strong>s</strong> « nouveaux habitants ». Ceci recouvre les dispositifs multiples<br />

par lesquels ils ancrent leur présence, marquent le territoire, se ren<strong>de</strong>nt visibles, imposent leurs<br />

mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong> sociabilité, valorisent certains espaces ou certains rythmes, induisent <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

changements volontaires, mais aussi involontaires et parfois sous <strong>la</strong> forme d’effets pervers, se<br />

substituent à <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion plus ancienne comme « représentants » du quartier, etc.<br />

On est ici au cœur <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> <strong>la</strong> cohabitation <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes sociaux dans un même espace : le<br />

quartier et l’immeuble ne sont jamais le lieu d’une simple juxtaposition <strong>de</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> vie différents ;<br />

une confrontation <strong>de</strong> pratiques et <strong>de</strong> valeurs les anime <strong>de</strong> micro-luttes pour l’imposition <strong>de</strong> normes,<br />

<strong>de</strong> systèmes <strong>de</strong> valeurs, <strong>de</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> sociabilités, <strong>de</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> vie différents.<br />

Dans le cas du quartier Daguerre, S. Chalvon-Demersay [17] montre bien comment le fait <strong>de</strong><br />

recevoir <strong><strong>de</strong>s</strong> amis à toute heure, d’étendre sa lingerie à <strong>la</strong> fenêtre, ou <strong>de</strong> peindre en couleurs sa boîte<br />

aux lettres sont <strong><strong>de</strong>s</strong> marquages conflictuels dans le temps et l’espace du quartier, tandis que <strong>la</strong><br />

consommation <strong>de</strong> pain cuit au feu <strong>de</strong> bois mène à <strong>la</strong> fermeture d’<strong>anciens</strong> commerces ; et comment<br />

le fait d’inciter ses pairs à venir habiter le même quartier provoque une hausse <strong><strong>de</strong>s</strong> prix <strong>de</strong><br />

l’immobilier et accentue l’éviction <strong><strong>de</strong>s</strong> autres catégories d’habitants. Les effets induits sur <strong>la</strong><br />

fréquentation <strong><strong>de</strong>s</strong> écoles <strong>de</strong> quartier, sur le tissu associatif ou encore sur <strong>la</strong> représentation politique<br />

locale sont également fondamentaux. Le quartier <strong>de</strong>vient ainsi le lieu d’une domination<br />

économique, matérielle et symbolique locale. On voit dans ce cas que c’est l’investissement <strong>de</strong><br />

ressources propres aux « gentrifieurs » qui conduit à une situation <strong>de</strong> domination économique et<br />

commerciale (Daguerre), culturelle et politique (Croix-Rousse)...<br />

Cette domination locale est probablement l’élément principal qui fait que l’inscription dans le<br />

quartier confère un certain pouvoir. Mais il semble que le processus même <strong>de</strong> conquête et<br />

d’investissement dans un territoire soit aussi source <strong>de</strong> valorisation sociale.<br />

Le texte <strong>de</strong> J.S. Bordreuil sur SoHo attire particulièrement l’attention sur tous les éléments à <strong>la</strong> fois<br />

du contexte et du déroulement du processus <strong>de</strong> <strong>gentrification</strong>, car ces modalités peuvent être en<br />

elles-mêmes <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments constitutifs <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité sociale mise en jeu. En l’occurrence, c’est<br />

l’action même <strong>de</strong> conquête du territoire et d’inscription spatiale - contre <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions, contre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

réglementations, etc. - qui, plus que son résultat, a participé à <strong>la</strong> construction i<strong>de</strong>ntitaire<br />

professionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> artistes, car cette action <strong>de</strong> conquête et d’appropriation <strong>de</strong> l’espace requérait <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

savoir-faire et <strong><strong>de</strong>s</strong> manifestait valeurs spécifiques (capacités <strong>de</strong> mobilisation contre les frontières<br />

administratives et réelles, d’action collective, <strong>de</strong> visibilité ; transgression ; inventivité, etc.).<br />

Il faut ainsi considérer l’hypothèse selon <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> « conquête » d’espaces popu<strong>la</strong>ires et/ou<br />

dégradés met en œuvre <strong><strong>de</strong>s</strong> compétences et <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs caractérisant l’i<strong>de</strong>ntité sociale recherchée<br />

par les gentrifieurs. Est-ce que le mouvement même <strong>de</strong> "frottement" avec <strong><strong>de</strong>s</strong> c<strong>la</strong>sses inférieures<br />

peut être l’occasion pour ces personnes <strong>de</strong> mettre en œuvre <strong><strong>de</strong>s</strong> compétences, et <strong>de</strong> manifester <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

valeurs <strong>de</strong> façon valorisante ? Lesquelles ? C’est une perspective peu développée par les chercheurs<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> années 1970, et un travail rétrospectif tout autant qu’une mise en œuvre sur les terrains actuels<br />

semblent féconds.<br />

La <strong>gentrification</strong> d’aujourd’hui<br />

L’enquête sur les terrains actuels est en cours, c’est pourquoi on ne présente pas ici <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats<br />

permettant pleinement <strong>la</strong> comparaison avec les connaissances acquises sur l’époque passée, mais<br />

7


seulement <strong><strong>de</strong>s</strong> hypothèses, <strong><strong>de</strong>s</strong> pistes <strong>de</strong> recherche suggérées par ces connaissances et qui gui<strong>de</strong>nt le<br />

travail d’enquête. On livre aussi quelques éléments déjà rencontrés sur le terrain, mais sur lesquels<br />

on manque encore <strong>de</strong> recul pour savoir quel statut leur accor<strong>de</strong>r et comment les organiser<br />

L’enquête concerne <strong>de</strong>ux <strong>quartiers</strong> actuellement en embourgeoisement : le Bas-Montreuil, dans <strong>la</strong><br />

banlieue Est <strong>de</strong> Paris, et <strong>la</strong> Croix-Rousse (p<strong>la</strong>teau et pentes), qui connaissent <strong><strong>de</strong>s</strong> renouvellements<br />

successifs <strong>de</strong> peuplement, et qui seront ainsi comparés aux pentes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Croix-Rousse <strong><strong>de</strong>s</strong> années<br />

1970. On procè<strong>de</strong> à une campagne d’entretiens semi-directifs auprès d’<strong>acteurs</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong>,<br />

ainsi qu’à un travail d’observation. Les hypothèses et observations que l’on présente ici, et qui<br />

portent aussi bien sur les caractéristiques <strong>de</strong> cette popu<strong>la</strong>tion que sur ses motivations et sur les<br />

modalités <strong>de</strong> son inscription territoriale, gui<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> réalisation <strong><strong>de</strong>s</strong> entretiens.<br />

Qui sont les <strong>acteurs</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> actuelle ?<br />

L’enquête par entretiens permettra à terme <strong>de</strong> décrire finement cette popu<strong>la</strong>tion, ses caractéristiques<br />

sociologiques (âge, niveau d’instruction, PCS, niveau <strong>de</strong> revenus) ainsi que ses représentations et<br />

ses valeurs, ses ressources et ses stratégies d’i<strong>de</strong>ntité sociale, et <strong>de</strong> percevoir comment ces<br />

différents aspects expliquent les choix rési<strong>de</strong>ntiels et les rapports à l’espace rési<strong>de</strong>ntiel - et dans<br />

quelle mesure ces explications ressemblent à celles avancées dans les années 80.<br />

Sur quels points les « nouveaux » habitants du Bas-Montreuil et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Croix-Rousse sont-ils<br />

comparables ou différents <strong>de</strong> ceux qui transformèrent Daguerre ou déjà <strong>la</strong> Croix-Rousse dans les<br />

années 70 ? Et ces différences sont-elles dues aux évolutions structurelles, ou indiquent-elles que<br />

les processus eux-mêmes et leurs <strong>acteurs</strong> sont différents ?<br />

Les ménages qui semblent à première vue concernés, et qui sont souvent qualifiés <strong>de</strong> « bourgeoisbohème<br />

» [18], se distinguent <strong><strong>de</strong>s</strong> popu<strong>la</strong>tions enquêtées par l’OCS sur quelques points, notamment<br />

le niveau d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong>, l’insertion professionnelle et le niveau <strong>de</strong> revenus. Pourtant, malgré <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

positions sociales et professionnelles différentes, leurs rapports au travail, à <strong>la</strong> hiérarchie sociale, au<br />

temps et à l’espace paraissent familiers, ainsi que <strong>la</strong> tendance à vouloir se constituer en modèle<br />

culturel par opposition aux systèmes <strong>de</strong> pratiques et <strong>de</strong> représentations <strong><strong>de</strong>s</strong> autres groupes sociaux.<br />

Les premiers constats effectués sur le terrain invitent toutefois à porter une gran<strong>de</strong> attention à <strong>la</strong><br />

diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> ménages et <strong><strong>de</strong>s</strong> catégories sociales impliquées dans <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> du Bas-Montreuil.<br />

Une <strong><strong>de</strong>s</strong> conclusions du travail <strong>de</strong> thèse <strong>de</strong> J.-Y. Authier [19] est que <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> est un<br />

processus continu, qu’il ne s’agit pas simplement du remp<strong>la</strong>cement d’une popu<strong>la</strong>tion par une autre<br />

qu’on pourrait décrire <strong>de</strong> façon unique, mais <strong>de</strong> renouvellements successifs ; dès lors, on ne pourra<br />

pas trouver <strong>de</strong> « modèle unique » <strong>de</strong> gentrifieur, sous peine <strong>de</strong> déformer <strong>la</strong> réalité, mais un<br />

« dégradé » <strong>de</strong> profils <strong><strong>de</strong>s</strong> années 70 à nos jours, l’important étant d’en souligner les points<br />

communs et les différences.<br />

C’est bien ce que l’on constate rapi<strong>de</strong>ment dans le Bas-Montreuil, où on trouve plusieurs « profils »<br />

<strong>de</strong> gentrifieurs qui ne correspondant pas fermement à <strong><strong>de</strong>s</strong> dates d’instal<strong>la</strong>tion dans le quartier (les<br />

seules variables qui paraissent jusqu’à présent fortement corrélées à <strong>la</strong> date d’instal<strong>la</strong>tion sont celles<br />

liées directement au marché immobilier : prix <strong>de</strong> vente ou <strong>de</strong> location pour <strong><strong>de</strong>s</strong> biens comparables,<br />

et types <strong>de</strong> biens disponibles sur le marché). On trouve en effet <strong><strong>de</strong>s</strong> « artistes » : <strong><strong>de</strong>s</strong> intermittents<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> arts vivants, peintres ou sculpteurs, ayant besoin d’espace peu onéreux pour travailler et<br />

présenter leurs travaux, sont venus dès les années 80, certains sont restés, d’autres sont partis<br />

ailleurs (parfois plus haut dans Montreuil) ; <strong><strong>de</strong>s</strong> intermittents <strong>de</strong> l’audiovisuel, techniciens,<br />

producteurs, scénaristes ou réalisateurs, arrivés <strong>de</strong> façon continue <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> fin <strong><strong>de</strong>s</strong> années 80 (les<br />

techniciens <strong>de</strong> l’audiovisuel ayant en général <strong><strong>de</strong>s</strong> revenus plus réguliers que les artistes du spectacle<br />

vivant). On trouve également <strong><strong>de</strong>s</strong> enseignants du secondaire ou du supérieur, ainsi que <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

chercheurs ; ils semblent plus souvent militants d’organisations politiques, syndicales ou<br />

associatives locales ou nationales ; ils sont arrivés dès les années 80 et jusqu’à très récemment (ils<br />

se sont parfois même installés ailleurs à Montreuil dans les années 80, mais ont récemment<br />

8


déménagé pour le Bas-Montreuil, faisant donc partie <strong><strong>de</strong>s</strong> gentrifieurs <strong>de</strong> ce quartier bien que<br />

« migrants internes » à <strong>la</strong> commune...) Il semblerait qu’on trouve également <strong><strong>de</strong>s</strong> avocats, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

mé<strong>de</strong>cins, <strong><strong>de</strong>s</strong> chefs d’entreprise.<br />

On trouve donc une diversité <strong>de</strong> gentrifieurs, aux positions sociales et économiques formant un<br />

<strong>la</strong>rge éventail, qui eux-mêmes cohabitent dans le même quartier et participent différemment à sa<br />

<strong>gentrification</strong>.<br />

Pour établir finement les ressemb<strong>la</strong>nces et différences par rapport aux genrifieurs <strong>de</strong> l’époque<br />

précé<strong>de</strong>nte, l’enquête doit encore s’étoffer afin <strong>de</strong> démêler ce qui provient d’évolutions structurelles<br />

ou <strong>de</strong> changements concernant le processus <strong>de</strong> <strong>gentrification</strong> lui-même (nous avons surtout constaté<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> ressemb<strong>la</strong>nces jusqu’ici, mais nous avons aussi interrogé peu d’habitants très récemment<br />

installés). En ce qui concerne les activités professionnelles <strong><strong>de</strong>s</strong> nouveaux habitants du Bas-<br />

Montreuil, on constate <strong><strong>de</strong>s</strong> ressemb<strong>la</strong>nces avec celles évoquées pour les années 70 (activités<br />

sociales et culturelles au sens <strong>la</strong>rge, avec une moins forte représentation du secteur public, et <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

« techniciens <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture » et professions artistiques plus nombreux). On retrouve aussi, semble-til,<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> trajectoires socioprofessionnelles et <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports au travail simi<strong>la</strong>ires à ceux évoqués à<br />

propos <strong><strong>de</strong>s</strong> terrains <strong><strong>de</strong>s</strong> années 70 : <strong><strong>de</strong>s</strong> positions professionnelles peu valorisantes par rapport aux<br />

étu<strong><strong>de</strong>s</strong> effectuées ou aux origines sociales (enseignants du secondaire par exemple) ; <strong><strong>de</strong>s</strong> positions<br />

professionnelles mal assurées économiquement (intermittents) et professionnellement (artistes<br />

débutants ou marginaux, souvent obligés <strong>de</strong> recourir à <strong><strong>de</strong>s</strong> emplois dits « alimentaires »... qu’on<br />

peut aussi considérer comme <strong><strong>de</strong>s</strong> membres <strong><strong>de</strong>s</strong> professions intermédiaires investissant peu leur<br />

emploi et ayant une importante pratique artistique...). On retrouve dans <strong>de</strong> nombreux cas une<br />

perméabilité importante entre les espaces et les temps du travail et du hors-travail (artistes,<br />

enseignants).<br />

Le questionnement sur <strong>la</strong> position <strong>de</strong> ces popu<strong>la</strong>tions au sein <strong><strong>de</strong>s</strong> c<strong>la</strong>sses moyennes et sur ce qui en<br />

fait - ou non - <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes sociaux dotés d’une i<strong>de</strong>ntité spécifique est un autre point <strong>de</strong> comparaison<br />

avec les « embourgeoiseurs » <strong><strong>de</strong>s</strong> années 70-80. En effet, <strong>de</strong> <strong>la</strong> même façon que M. Dagnaud et O.<br />

Benoît-Guilbot définissaient « <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse d’alternative », à <strong>la</strong>quelle on a vu qu’on pouvait rattacher<br />

les « embourgeoiseurs » <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>quartiers</strong> <strong>anciens</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> années 70-80, on doit cerner le plus précisément<br />

possible les individus actuellement gentrifieurs et voir s’ils partagent eux aussi, a minima,<br />

ressources, conditions d’existence et valeurs. De ce point <strong>de</strong> vue-là, il y a un important travail à<br />

mener sur le terme « bourgeois-bohème » et sur <strong>la</strong> catégorie multiforme qu’il est censé recouvrir :<br />

initialement catégorie journalistique [20] passée dans le vocabu<strong>la</strong>ire du marketing, elle est <strong>de</strong>venue<br />

catégorie du sens commun en prenant <strong><strong>de</strong>s</strong> contours très fluctuants, et ambitionne apparemment <strong>de</strong><br />

combler une <strong>la</strong>cune <strong>de</strong> <strong>la</strong> sociologie <strong><strong>de</strong>s</strong> c<strong>la</strong>sses moyennes. Un <strong><strong>de</strong>s</strong> points intéressants sera<br />

d’ailleurs <strong>de</strong> voir si les « bobos » peuvent être caractérisés socialement <strong>de</strong> façon non équivoque<br />

sans mentionner leurs comportements rési<strong>de</strong>ntiels : <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> serait-elle une <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

caractéristiques constitutives du groupe social qu’on nomme « bobos » ? Inversement, est-ce que<br />

les gentrifieurs <strong><strong>de</strong>s</strong> années 2000 s’apparentent massivement à ce « groupe social » (qui doit être<br />

défini sociologiquement) ? Cette réflexion pourrait nourrir les débats actuels sur les c<strong>la</strong>sses sociales<br />

et notamment sur les c<strong>la</strong>sses moyennes [21]. De plus, on a souvent remarqué que les ménages<br />

prennent position explicitement vis-à-vis <strong>de</strong> ce groupe, chacun s’en sentant très proche mais<br />

toujours légèrement extérieur : quel est l’enjeu <strong>de</strong> cette distinction, et du positionnement par rapport<br />

à cette catégorie ?<br />

Pourquoi sont-ils <strong>acteurs</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> ?<br />

L’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong> entretiens <strong>de</strong>vrait permettre <strong>de</strong> tester les interprétations et explications proposées<br />

dans les années 1970-80, notamment les <strong>de</strong>ux hypothèses suivantes : l’hypothèse centrale selon<br />

<strong>la</strong>quelle le choix géographique <strong>de</strong> localisation <strong><strong>de</strong>s</strong> activités, du temps passé, <strong><strong>de</strong>s</strong> re<strong>la</strong>tions nouées,<br />

correspondrait au choix d’un espace où on dispose du maximum <strong>de</strong> ressources pour se construire<br />

9


une i<strong>de</strong>ntité sociale valorisante (cette hypothèse semb<strong>la</strong>it en effet vérifiée à <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> précé<strong>de</strong>nte) ;<br />

l’hypothèse du choix d’un espace-support <strong>de</strong> goûts et <strong>de</strong> valeurs.<br />

Les ménages actuellement impliqués dans les <strong>quartiers</strong> en <strong>gentrification</strong> semblent mieux insérés<br />

professionnellement, et <strong>de</strong>vraient donc, selon ce modèle, avoir moins besoin <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène<br />

rési<strong>de</strong>ntielle pour <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> leur i<strong>de</strong>ntité sociale. On les voit plutôt cumu<strong>la</strong>nt <strong><strong>de</strong>s</strong> i<strong>de</strong>ntités<br />

sociales assez valorisées dans plusieurs champs à <strong>la</strong> fois. C’est ce que montrent les auteurs <strong>de</strong> Du<br />

domicile à <strong>la</strong> ville [22] : les plus actifs dans le quartier sont aussi les plus investis<br />

professionnellement. Comment expliquer ces situations ? Peut-être le quartier permet-il <strong>de</strong> valoriser<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> dispositions qui <strong>de</strong>meurent non activées dans l’espace professionnel ?<br />

Même si parmi les premiers enquêtés du Bas-Montreuil, plusieurs semblent bien insérés<br />

professionnellement, d’autres cependant se sont installés dans ce quartier et s’y sont investis à un<br />

moment <strong>de</strong> crise dans le champ professionnel ou familial ; ils disposaient alors <strong>de</strong> ressources<br />

(finances, temps, compétences, etc) non exploitées dans ces sphères et qui furent investies dans <strong>la</strong><br />

vie locale.<br />

La problématique d’un arbitrage entre investissement dans le lieu <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce ou dans le travail est<br />

néanmoins peut-être datée. Elle doit en tous cas être complétée par celle <strong>de</strong> l’arbitrage qui semble<br />

s’y être substitué, du moins dans les discours : celui qui oppose un style <strong>de</strong> vie très tourné vers le<br />

local et une vie éc<strong>la</strong>tée entre <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces <strong>de</strong> pratiques très variés (on pense aux écrits <strong>de</strong> F. Ascher<br />

par exemple) ; ce<strong>la</strong> renvoie aux réflexions actuelles montrant que les pratiques d’ancrage et <strong>de</strong><br />

mobilité ne sont pas exclusives l’une <strong>de</strong> l’autre... On doit également penser aux diverses formes <strong>de</strong><br />

ruptures ou <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tivisation du statut professionnel qui peuvent être voulues et plus ou moins<br />

temporaires - on pense par exemple aux personnes en congé <strong>de</strong> maternité ou congé parental, ou<br />

mères (ou pères) au foyer avec <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants, ou encore aux personnes étrangères venues sans<br />

situation professionnelle préa<strong>la</strong>ble - situations qui impliquent souvent une présence plus importante<br />

dans le quartier <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce.<br />

L’hypothèse d’un rapport mythique au quartier ancien popu<strong>la</strong>ire doit elle aussi être testée dans les<br />

entretiens et l’observation : ce rapport ne risque-t-il pas d’être encore plus mythique aujourd’hui, si<br />

les conditions socio-économiques d’existence se sont élevées mais que le système <strong>de</strong> valeurs a<br />

perduré ? On a jusqu’ici retrouvé dans l’enquête <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments du système <strong>de</strong> valeurs post-soixantehuitard,<br />

à commencer par l’image du « vil<strong>la</strong>ge », qui se caractérise surtout par <strong><strong>de</strong>s</strong> activités<br />

concentrées dans une aire restreinte, et par un fort <strong>de</strong>gré d’interconnaissance entre habitants du<br />

quartier.<br />

Au niveau <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntification à une image <strong>de</strong> quartier comme manifestant <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs et <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

positions, un jeu subtil apparaît autour <strong>de</strong> l’histoire sociale et politique <strong>de</strong> Montreuil. D’une part, on<br />

retrouve, parmi les éléments appréciés dans le quartier, <strong>la</strong> forte diversité sociale et ethnique ; mais<br />

il n’est pas sûr qu’elle soit aussi valorisée que sur les terrains antérieurs, ou du moins qu’elle le soit<br />

<strong>de</strong> façon aussi « mythifiée »... D’autre part, les « nouveaux » habitants manifestent un intérêt et un<br />

enthousiasme pour l’histoire industrielle et agricole <strong>de</strong> Montreuil, ce qui mène à <strong>la</strong><br />

patrimonialisation <strong>de</strong> bâtiments industriels et d’espaces horticoles (notamment les « murs à<br />

pêches », aujourd’hui partiellement c<strong>la</strong>ssés site protégé suite à l’action d’habitants réunis en<br />

association). Cette patrimonialisation, qui n’est pas sans rappeler le réinvestissement <strong>de</strong> l’histoire<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> canuts par les « embourgeoiseurs » <strong>de</strong> <strong>la</strong> Croix-Rousse, est bien sûr une attitu<strong>de</strong> nouvelle à<br />

l’égard <strong>de</strong> l’histoire récente <strong>de</strong> <strong>la</strong> commune, contribuant à faire basculer dans un passé<br />

« historicisé » voire désincarné <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> très récente où <strong>la</strong> municipalité communiste, concentrée<br />

sur son électorat ouvrier, souhaitait construire <strong><strong>de</strong>s</strong> logements sociaux sur ces <strong>anciens</strong> espaces<br />

industriels ou horticoles en friche : comme l’écrit Sylvie Tissot dans sa thèse sur <strong>la</strong> réforme <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>quartiers</strong>, « avec les murs à pêches, une autre manière <strong>de</strong> raconter l’histoire se met en p<strong>la</strong>ce à<br />

Montreuil, qui signe <strong>la</strong> condamnation du modèle d’aménagement <strong>de</strong> l’après-guerre » [23].<br />

10


Comment sont-ils <strong>acteurs</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> ?<br />

Les « gentrifieurs » actuels sont visibles et se ren<strong>de</strong>nt visibles : ils impriment leur marque <strong>de</strong> façon<br />

plus ou moins volontaire sur le bâti (ne serait-ce que par <strong>la</strong> rénovation, constitutive <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

<strong>gentrification</strong>, et par l’affirmation <strong>de</strong> certains goûts en matière d’aménagement) ; leur présence se<br />

remarque par <strong><strong>de</strong>s</strong> affiches et petites annonces pour <strong><strong>de</strong>s</strong> événements dont ils sont organisateurs et/ou<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong>tinataires ; ils sont également présents dans <strong>la</strong> vie associative, politique, dans les écoles, dans<br />

l’animation <strong>de</strong> quartier, <strong>de</strong> rue ou d’immeuble, dans les commerces (bars et restaurants)... C’est ce<br />

que l’enquête montre, à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’observation et d’une attention accrue, lors <strong><strong>de</strong>s</strong> entretiens, à tout<br />

ce qui est dit <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces fréquentés, <strong><strong>de</strong>s</strong> sociabilités, mais aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> horaires <strong>de</strong> vie, <strong><strong>de</strong>s</strong> bruits, <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

points d’accord, <strong>de</strong> négociations et <strong>de</strong> conflits entre diverses popu<strong>la</strong>tions, qui informent sur les<br />

goûts, les normes et les usages du quartier <strong>de</strong> ces popu<strong>la</strong>tions.<br />

On peut dès lors faire l’hypothèse suivante : si le fait <strong>de</strong> « se fondre » dans un quartier popu<strong>la</strong>ire,<br />

d’y trouver sa p<strong>la</strong>ce, est valorisé aujourd’hui comme dans les années 70 par <strong><strong>de</strong>s</strong> nouvelles couches<br />

moyennes, dans les années 1970 cette intégration se jouait en gran<strong>de</strong> partie sur <strong>la</strong> scène <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

représentation politique (Croix-Rousse) ou sur <strong>la</strong> scène commerçante (Daguerre), tandis qu’elle<br />

passerait aujourd’hui par l’appropriation d’éléments plus ou moins mythifiés <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture popu<strong>la</strong>ire<br />

locale.<br />

Une autre hypothèse sur les gentrifieurs <strong>de</strong> 2000, qui nécessite l’observation <strong><strong>de</strong>s</strong> dispositifs <strong>de</strong><br />

« prise <strong>de</strong> possession » <strong><strong>de</strong>s</strong> territoires, est qu’ils auraient une capacité d’appropriation <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture<br />

popu<strong>la</strong>ire, <strong>de</strong> ses mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong> sociabilité : <strong>la</strong> sociologie culturelle met actuellement en<br />

exergue une tendance à <strong>la</strong> volonté d’« hybridation <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture cultivée » [24] <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

catégories valorisant traditionnellement <strong>la</strong> culture savante : les emprunts à <strong>la</strong> culture popu<strong>la</strong>ire (un<br />

café <strong>de</strong> quartier, une sociabilité dans les espaces publics, une décoration à base <strong>de</strong> « récup’ »...) puis<br />

leur appropriation, seraient valorisés. L’acte d’appropriation <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture popu<strong>la</strong>ire manifesterait<br />

ainsi à <strong>la</strong> fois <strong><strong>de</strong>s</strong> goûts popu<strong>la</strong>ires et une aisance culturelle propre aux catégories dominantes ; il<br />

serait donc en lui-même valorisant socialement (comme l’appropriation territoriale révé<strong>la</strong>it en ellemême<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> compétences, <strong><strong>de</strong>s</strong> dispositions, <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs et <strong><strong>de</strong>s</strong> goûts constitutifs <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

artistes <strong>de</strong> SoHo).<br />

A Montreuil, certaines observations vont dans ce sens : <strong>la</strong> forte fréquentation <strong>de</strong> quelques cafés<br />

locaux <strong>de</strong>venus lieux <strong>de</strong> rencontres habituels ; <strong>la</strong> sociabilité dans <strong>la</strong> rue, et notamment autour <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

marchés ; <strong>la</strong> revitalisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> tradition du carnaval et <strong>de</strong> <strong>la</strong> pratique <strong><strong>de</strong>s</strong> vi<strong>de</strong>-greniers ; <strong>la</strong><br />

décoration <strong>de</strong> certains logements à partir d’objets symbolisant <strong>la</strong> consommation <strong>de</strong> masse détournés<br />

<strong>de</strong> leur fonction initiale (présentoir commercial <strong>de</strong> cartes postales détourné en dispositif <strong>de</strong> salon<br />

pour montrer <strong><strong>de</strong>s</strong> photos privées ; pot <strong>de</strong> petit suisse géant transformé en <strong>la</strong>mpe ; etc.), et à partir<br />

d’objets et <strong>de</strong> meubles récupérés dans les vi<strong>de</strong>-greniers et aux puces.<br />

Mais on constate a contrario une importante importation <strong>de</strong> consommations culturelles légitimes<br />

voire avant-gardistes dans <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces a priori pas <strong><strong>de</strong>s</strong>tinés à ce<strong>la</strong> (exposition <strong>de</strong> tableaux et débats<br />

politiques dans les bars et les restaurants ; concerts et spectacles <strong><strong>de</strong>s</strong>tinés à une clientèle très<br />

exigeante et très « pointue » dans d’<strong>anciens</strong> bâtiments industriels reconvertis, voire dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

espaces d’artisanat encore actifs ; organisation <strong>de</strong> tournois d’échecs géants dans un square...). Dans<br />

le même sens, les gentrifieurs apprécient l’accueil fait par <strong>la</strong> municipalité aux associations et aux<br />

activités culturelles (équipements culturels tels que le cinéma municipal, nombreuses activités pour<br />

les enfants et les adultes, locaux pour les associations) ; mais leur forte mobilisation dans ces<br />

domaines les amène souvent, au-<strong>de</strong>là d’une simple consommation <strong><strong>de</strong>s</strong> équipements et <strong><strong>de</strong>s</strong> activités<br />

offerts, à s’en détacher pour consommer voire proposer <strong><strong>de</strong>s</strong> activités ailleurs.<br />

Quant au rapport à <strong>la</strong> politique locale, même s’il semble différent <strong>de</strong> celui <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1970, il n’est<br />

pas moins important et doit également faire l’objet d’une analyse : le rôle accordé par les média au<br />

« vote bobo » lors <strong><strong>de</strong>s</strong> élections municipales <strong>de</strong> 2001 (notamment l’hypothèse <strong>de</strong> sa responsabilité<br />

dans le basculement à gauche <strong>de</strong> Paris et <strong>de</strong> Lyon) attirent d’ailleurs l’attention sur cette dimension.<br />

11


A Montreuil, où <strong>la</strong> mairie est communiste <strong>de</strong>puis 1935 et jusqu’en 1992 (date où le maire actuel, J.-<br />

P. Brard, élu <strong>de</strong>puis 1984, quitte le PC), avec <strong><strong>de</strong>s</strong> succès garantis dès le premier tour jusqu’en 1995,<br />

l’enjeu politique est actuellement fort et très présent dans les discussions : le maire actuel semble<br />

menacé, ou du moins débordé par <strong><strong>de</strong>s</strong> électeurs écologistes, socialistes ou d’extrême-gauche qui ne<br />

lui ont pas accordé leur confiance en 2001, préférant voter pour le candidat affilié aux Verts - luimême<br />

issu <strong>de</strong> l’extrême gauche indépendante. Celui-ci a obtenu ses meilleurs résultats dans<br />

certains bureaux <strong>de</strong> vote du Bas-Montreuil. Ces scores nouveaux, portés par l’arrivée massive <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

nouveaux habitants dans le quartier, sont ambigus, et révélent à <strong>la</strong> fois sur le fond une adhésion<br />

globale à <strong>la</strong> politique municipale qui a fait Montreuil, et sur <strong>la</strong> forme, un net désaccord sur <strong>la</strong> façon<br />

<strong>de</strong> diriger du maire actuel.<br />

En pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> campagne pour le référendum concernant <strong>la</strong> constitution européenne, les militants<br />

politiques (PC, PS, Verts) et associatifs (ATTAC) distribuant <strong><strong>de</strong>s</strong> tracts étaient nombreux sur les<br />

marchés du Bas-Montreuil, et plusieurs associations, bars ou restaurants organisaient <strong><strong>de</strong>s</strong> débats<br />

politiques. La politique municipale est en tous cas un réel sujet <strong>de</strong> discussion entre nombre <strong>de</strong> nos<br />

enquêtés, et ce d’autant plus que le maire, <strong>de</strong>puis son retrait du PC, cherche à accumuler un capital<br />

politique « réputationnel » [25], multipliant pour ce<strong>la</strong> les contacts avec les média et les<br />

intellectuels, dont <strong>de</strong> nombreux représentants vivent aujourd’hui dans le Bas-Montreuil.<br />

Par ailleurs, il semble que le processus même <strong>de</strong> conquête et d’investissement dans un territoire,<br />

autant que son résultat, soit aussi source <strong>de</strong> valorisation sociale. Le texte <strong>de</strong> J.S. Bordreuil sur SoHo<br />

attire particulièrement l’attention sur tous les éléments à <strong>la</strong> fois du contexte et du déroulement du<br />

processus <strong>de</strong> <strong>gentrification</strong>, car ils peuvent être en eux-mêmes constitutifs <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité sociale mise<br />

en jeu. A SoHo, c’est l’action même <strong>de</strong> conquête du territoire et d’inscription spatiale - contre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

institutions, contre <strong><strong>de</strong>s</strong> réglementations, etc. - qui, plus que son résultat, a participé à <strong>la</strong> construction<br />

i<strong>de</strong>ntitaire professionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> artistes, car cette action <strong>de</strong> conquête et d’appropriation <strong>de</strong> l’espace<br />

requérait <strong><strong>de</strong>s</strong> savoir-faire et manifestait <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs spécifiques (capacités <strong>de</strong> mobilisation contre les<br />

frontières administratives et réelles, d’action collective, <strong>de</strong> visibilité ; transgression ; inventivité,<br />

etc.).<br />

Il faut ainsi considérer l’hypothèse selon <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> « conquête » d’espaces popu<strong>la</strong>ires et/ou<br />

dégradés met en œuvre <strong><strong>de</strong>s</strong> compétences et <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs caractérisant l’i<strong>de</strong>ntité sociale recherchée<br />

par les gentrifieurs. Le mouvement même <strong>de</strong> « frottement » avec les habitants plus <strong>anciens</strong>, c’est-àdire<br />

<strong>de</strong> coexistence <strong>de</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> vie, d’attentes et <strong>de</strong> normes différentes, serait l’occasion pour ces<br />

ménages <strong>de</strong> mettre en œuvre <strong><strong>de</strong>s</strong> compétences, et <strong>de</strong> manifester <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs <strong>de</strong> façon valorisante.<br />

Sur <strong>la</strong> scène politique par exemple, les diverses interventions semblent par exemple être l’occasion<br />

non seulement <strong>de</strong> « conquérir, d’investir » l’espace politique <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville, mais aussi <strong>de</strong> déployer <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

réseaux qui confèrent une visibilité locale, qui manifestent une certaine appartenance, et <strong>de</strong> mettre<br />

en œuvre <strong><strong>de</strong>s</strong> ressources spécifiques : happenings ou concerts <strong>de</strong> soutien pour les uns, action directe<br />

dans <strong>la</strong> rue pour les autres, joutes orales pour certains, recours au droit ou à l’histoire pour les<br />

spécialistes, capacité et volonté <strong>de</strong> rallier le plus grand nombre ou action volontairement<br />

accaparée... Chacune <strong>de</strong> ces formes d’action, même si elle échoue à atteindre ses objectifs, aura au<br />

moins permis <strong>de</strong> faire preuve, sur <strong>la</strong> scène publique locale, <strong>de</strong> savoir-faire et <strong>de</strong> valeurs contribuant<br />

à <strong>la</strong> formation d’une i<strong>de</strong>ntité collective locale. Cette perspective, peu développée par les chercheurs<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> années 1970, semble ainsi particulièrement fécon<strong>de</strong> sur les terrains actuels.<br />

Deux exemples concrets illustrent cette perspective. D’abord dans celui <strong><strong>de</strong>s</strong> artistes qui occupent <strong>de</strong><br />

façon plus ou moins légale d’<strong>anciens</strong> bâtiments industriels (affirmant ainsi <strong><strong>de</strong>s</strong> certaines positions<br />

par rapport à l’administration municipale) et qui les transforment en lieux <strong>de</strong> création artistique et<br />

<strong>de</strong> propositions culturelles envers les habitants (affirmant localement et publiquement <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

compétences architecturales et décoratives, ainsi qu’une i<strong>de</strong>ntité professionnelle <strong>de</strong> créateur et<br />

d’animateur culturel).<br />

On le constate ensuite dans le cas d’un investissement très particulier du milieu sco<strong>la</strong>ire : <strong>la</strong><br />

mobilisation, dans un quartier du Bas-Montreuil, <strong>de</strong> parents <strong>de</strong> catégories socioprofessionnelles<br />

12


moyennes et supérieures regroupés au sein d’une association <strong>de</strong> parents d’élèves, qui se donnaient<br />

pour objectif d’enrayer l’évitement sco<strong>la</strong>ire dont souffrait le collège local. Ce<strong>la</strong> supposait tout<br />

d’abord <strong>de</strong> rejeter soi-même cette stratégie <strong>de</strong> l’évitement, mais aussi <strong>de</strong> se donner <strong>de</strong> bonnes<br />

raisons <strong>de</strong> le faire et <strong>de</strong> le faire faire aux autres parents ensuite. Ceci passait par l’affirmation d’un<br />

collectif organisé partageant un même objectif, par l’affirmation <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs qui sous-tendaient<br />

cette action (valeurs républicaines en faveur du système sco<strong>la</strong>ire public), puis par l’activation <strong>de</strong><br />

ressources propres (temps pour aller chercher les enfants et faire du soutien sco<strong>la</strong>ire, compétences<br />

en <strong>la</strong>ngues pour assurer une formation complémentaire ou dans les disciplines enseignées pour<br />

assurer le soutien sco<strong>la</strong>ire, aisance dans le rapport aux institutions politiques sollicitées, réseaux<br />

professionnels dans le domaine culturel pour faciliter <strong><strong>de</strong>s</strong> activités et sorties, etc.), ressources que,<br />

<strong>de</strong> plus, ce collectif ne <strong><strong>de</strong>s</strong>tinait pas seulement à lui-même. L’action menée, quel que soit son<br />

résultat, était bien l’occasion pour ces parents <strong>de</strong> manifester leur présence et les attributs <strong>de</strong> leur<br />

position sociale.<br />

Les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> dimensions du suivi <strong>de</strong> trajectoires d’<strong>anciens</strong><br />

« gentrifieurs »<br />

Il s’agit <strong>de</strong> retracer les trajectoires rési<strong>de</strong>ntielles, mais aussi sociales, professionnelles, familiales ou<br />

militantes d’<strong>acteurs</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> première « vague » <strong>de</strong> <strong>gentrification</strong> partageant une expérience<br />

rési<strong>de</strong>ntielle commune (qui s’est présentée, on l’a vu, comme une expérience particulière au sens<br />

où <strong>la</strong> scène rési<strong>de</strong>ntielle était particulièrement investie), et <strong>de</strong> voir quels effets cette expérience a pu<br />

avoir sur <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> leurs parcours. Pour ce<strong>la</strong>, on réalisera <strong><strong>de</strong>s</strong> entretiens biographiques avec <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

certains <strong>anciens</strong> enquêtés <strong>de</strong> l’O.C.S. que l’on <strong>de</strong>vrait pouvoir retrouver, ainsi qu’avec <strong><strong>de</strong>s</strong> enquêtés<br />

récents <strong>de</strong> l’enquête « Rapports rési<strong>de</strong>ntiels » menée par l’équipe <strong>de</strong> J.Y. Authier qui se sont<br />

révélés avoir été gentrifieurs dans les années 1970. Ils seront interrogés sur leur trajectoire<br />

rési<strong>de</strong>ntielle et plus <strong>la</strong>rgement biographique <strong>de</strong>puis cette expérience.<br />

Ceci permettra peut-être <strong>de</strong> désigner les variables les plus décisives dans le fait d’être à un moment<br />

en position, collectivement, <strong>de</strong> modifier <strong>la</strong> composition sociale mais aussi le fonctionnement et<br />

l’image d’un quartier.<br />

Surtout, ce matériau permettra <strong>de</strong> revenir sur l’hypothèse fondamentale faite par le groupe <strong>de</strong><br />

l’O.C.S. selon <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> construction d’une i<strong>de</strong>ntité sociale est un objectif servi par une stratégie<br />

pouvant se déployer sur <strong>la</strong> scène rési<strong>de</strong>ntielle. La construction d’une i<strong>de</strong>ntité sociale est-elle le<br />

moteur <strong><strong>de</strong>s</strong> choix rési<strong>de</strong>ntiels ? Pour quelles catégories d’habitants, à quels moments du cycle <strong>de</strong><br />

vie, dans quelles conditions ? Et est-ce que les ressources investies dans le champ rési<strong>de</strong>ntiel à<br />

l’époque <strong>de</strong> son embourgeoisement ont eu <strong><strong>de</strong>s</strong> effets sur l’i<strong>de</strong>ntité dans d’autres champs, comme le<br />

champ professionnel ? On pense par exemple à <strong>la</strong> réputation locale qui peut ai<strong>de</strong>r à trouver un<br />

travail ou une clientèle, ou aux responsabilités associatives acquises dans le quartier qui peuvent<br />

donner accès par exemple à <strong><strong>de</strong>s</strong> responsabilités municipales. On pense aussi aux effets potentiels <strong>de</strong><br />

l’implication dans le quartier sur les parcours sco<strong>la</strong>ires <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants ou sur l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> réseaux <strong>de</strong><br />

sociabilité.<br />

Il s’agit aussi <strong>de</strong> mesurer et <strong>de</strong> qualifier les effets propres <strong><strong>de</strong>s</strong> positions spatiales et <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports à<br />

l’espace rési<strong>de</strong>ntiel <strong><strong>de</strong>s</strong> individus sur les divers aspects <strong>de</strong> leurs trajectoires. En effet, <strong>la</strong><br />

« construction sociale qu’est le rapport rési<strong>de</strong>ntiel se présente certes comme un produit <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie<br />

sociale, mais elle peut aussi être considérée comme l’une <strong>de</strong> ses dimensions structurantes : elle<br />

engage en effet <strong><strong>de</strong>s</strong> décisions et <strong><strong>de</strong>s</strong> arbitrages qui sont opérés par <strong><strong>de</strong>s</strong> personnes tout en étant par<br />

ailleurs socialement situés » [26]. Ainsi, « les observations d’OCS suggèrent même une<br />

interdépendance entre ces choix [du logement] et ceux qui concernent l’insertion professionnelle et<br />

peut-être même <strong>la</strong> taille <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille. Le choix du quartier et du logement s’intègre dans<br />

l’ensemble du mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie qui forme ainsi système. » [27]. On s’inscrit là dans <strong>la</strong> problématique<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> effets <strong>de</strong> lieu, et dans un débat avec ceux pour qui les conditions d’existence liées au<br />

13


positionnement spatial dans <strong>la</strong> ville ne sont qu’une traduction spatiale du positionnement préa<strong>la</strong>ble<br />

dans l’espace social [28].<br />

Ce matériau rare (<strong><strong>de</strong>s</strong> trajectoires biographiques longues rassemblées autour d’une expérience<br />

rési<strong>de</strong>ntielle commune) permet aussi <strong>de</strong> questionner <strong>la</strong> constitution éventuelle d’un groupe social<br />

par l’expérience commune <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>gentrification</strong> : est-ce que les micro-luttes décrites ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus ne<br />

sont pas fédératrices pour les nouveaux habitants (qui partagent déjà un certain nombre <strong>de</strong><br />

caractéristiques sociales) ? est-ce qu’elle ne leur permet pas <strong>de</strong> voir émerger un groupe et un<br />

système <strong>de</strong> valeurs commun, prélu<strong>de</strong> éventuel à une i<strong>de</strong>ntité collective ? Selon C. Bidou, si l’on<br />

peut montrer que <strong><strong>de</strong>s</strong> gens partagent un même discours, <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs, <strong><strong>de</strong>s</strong> situations<br />

socioprofessionnelles, familiales et <strong><strong>de</strong>s</strong> pratiques simi<strong>la</strong>ires, on peut considérer qu’ils forment un<br />

groupe social. La question se pose à nouveau aujourd’hui.<br />

Enfin, le cas <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>acteurs</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> première <strong>gentrification</strong> restés dans les lieux <strong>de</strong>puis cette pério<strong>de</strong> pose<br />

<strong>la</strong> question <strong>de</strong> <strong>la</strong> position qu’ils occupent aujourd’hui dans le quartier, et notamment <strong>de</strong> <strong>la</strong> façon<br />

dont ils se positionnent par rapport aux nouveaux gentrifieurs...<br />

Notes<br />

[1] BIDOU-ZACHARIASEN C., « Processus <strong>de</strong> <strong>gentrification</strong> et nouveaux espaces <strong>de</strong><br />

croissance », in TALLARD M., THERET B., URI D. (dir.), Innovations institutionnelles et<br />

territoires, L’Harmattan, Paris, 2000, p. 264<br />

[2] C’était, entre autres, <strong>la</strong> perspective adoptée pour le travail <strong>de</strong> recherche mené en DEA à propos<br />

d’un quartier londonien : COLLET A., 2003, Les rapports entre espace physique et espace social :<br />

l’exemple <strong>de</strong> Stoke Newington, quartier londonien en <strong>gentrification</strong>, Mémoire <strong>de</strong> DEA <strong>de</strong><br />

<strong>Sociologie</strong>-Anthropologie, sous <strong>la</strong> direction <strong>de</strong> Jean-Yves Authier, Université Lumière-Lyon 2,<br />

2003<br />

[3] SMITH N., 1979, « Toward a theory of <strong>gentrification</strong> : a back to the city movement by capital<br />

not people », Journal of the American P<strong>la</strong>nning Association, n° 45, pp. 538-548<br />

[4] MAURIN E., Le ghetto français : enquête sur <strong>la</strong> ségrégation urbaine, Seuil, Paris, 2004<br />

[5] Collectif, L’esprit <strong><strong>de</strong>s</strong> lieux. Localités et changement social en France, Programme Observation<br />

du changement social, Editions du CNRS, Paris et CHALVON-DEMERSAY S., 1984, Le Triangle<br />

du XIVème : <strong><strong>de</strong>s</strong> nouveaux habitants dans un vieux quartier <strong>de</strong> Paris, Editions <strong>de</strong> <strong>la</strong> Maison <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

sciences <strong>de</strong> l’homme, Paris.<br />

[6] BIDOU C., Les aventuriers du quotidien, PUF, Paris, 1984<br />

[7] BOURDIEU P., La distinction, Editions <strong>de</strong> Minuit, Paris, 1979<br />

[8] BIDOU C., op. cit., p. 26<br />

[9] BENOIT-GUILBOT O., « Quartiers-dortoirs ou <strong>quartiers</strong>-vil<strong>la</strong>ges ? », in COLLECTIF, L’esprit<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> lieux. Localités et changement social en France, Programme Observation du changement<br />

social, Editions du CNRS, Paris, 1986, p. 129<br />

[10] op. cit., p. 155<br />

[11] BEAUD S., 80% <strong>de</strong> réussite au bac, et après ?, La Découverte, Paris, 2002, chapitres 3 et 6, et<br />

BEAUD S., « Un temps é<strong>la</strong>stique. Etudiants <strong><strong>de</strong>s</strong> "cités" et examens universitaires », Terrain, 29<br />

sept. 1997, pp. 43-58<br />

[12] BORDREUIL J.-S., « SoHo, ou comment le "vil<strong>la</strong>ge" <strong>de</strong>vint p<strong>la</strong>nétaire », Villes en parallèle,<br />

n° 20-21, 1994, pp. 145-181<br />

14


[13] CHAMBOREDON J.-C., MATHY J.-P., MEJEAN A., WEBER F., « L’appartenance<br />

territoriale comme principe <strong>de</strong> c<strong>la</strong>ssement et d’i<strong>de</strong>ntification », <strong>Sociologie</strong> du Sud-Est, n° 41-44,<br />

1984-85<br />

[14] BIDOU-ZACHARIASEN C., « L’espace urbain comme ressource sociale dans le roman<br />

proustien », Espaces et sociétés<br />

[15] Les aventuriers du quotidien, op. cit., p. 80<br />

[16] REMY J., « Retour aux <strong>quartiers</strong> <strong>anciens</strong> : recherches sociologiques », <strong>Sociologie</strong> urbaine et<br />

rurale. L’espace et l’agir, L’Harmattan, Paris, 1998<br />

[17] CHALVON-DEMERSAY S., Le Triangle du XIVème : <strong><strong>de</strong>s</strong> nouveaux habitants dans un vieux<br />

quartier <strong>de</strong> Paris, Ed. <strong>de</strong> <strong>la</strong> Maison <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences <strong>de</strong> l’homme, Paris, 1984<br />

[18] à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> <strong>la</strong> parution en 2000 <strong>de</strong> l’ouvrage <strong>de</strong> D. Brooks, Bobos in paradise : the new upper<br />

c<strong>la</strong>ss and how they got there (Simon & Schuster, 284 p.)<br />

[19] AUTHIER J.-Y., La vie <strong><strong>de</strong>s</strong> lieux. Un quartier du Vieux-Lyon au fil du temps, PUL, Lyon,<br />

1993<br />

[20] à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> <strong>la</strong> parution en 2000 <strong>de</strong> l’ouvrage <strong>de</strong> D. Brooks, Bobos in paradise : the new upper<br />

c<strong>la</strong>ss and how they got there (Simon & Schuster, 284 p.)<br />

[21] cf Sociétés contemporaines, n° 45-46, 2002 consacré aux catégories sociales<br />

[22] AUTHIER J.-Y. (dir.), Du domicile à <strong>la</strong> ville. Vivre en quartier ancien, Editions Anthropos,<br />

Paris, 2001<br />

[23] TISSOT S., Réformer les <strong>quartiers</strong>. Enquête sociologique sur une catégorie <strong>de</strong> l’action<br />

publique, Thèse <strong>de</strong> doctorat <strong>de</strong> sociologie sous <strong>la</strong> direction <strong>de</strong> Christian Topalov, EHESS, 2002, p.<br />

253<br />

[24] DONNAT O., Les Français face à <strong>la</strong> culture : <strong>de</strong> l’exclusion à l’éclectisme, La Découverte,<br />

Paris, 1994, p.358<br />

[25] L’expression est <strong>de</strong> D. Gaxie<br />

[26] AUTHIER J.-Y., 2001, Espace et socialisation. Regards sociologiques sur les dimensions<br />

spatiales <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie sociale, Habilitation à diriger <strong><strong>de</strong>s</strong> recherches, Université Lumière Lyon 2, p. 93<br />

[27] BENOIT-GUILBOT O., « Quartiers-dortoirs ou <strong>quartiers</strong>-vil<strong>la</strong>ges ? », op. cit., p. 135.<br />

[28] BOURDIEU P., 1993, « Effets <strong>de</strong> lieu » in La misère du mon<strong>de</strong>, Seuil, Paris, p. 159-167.<br />

15

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!