Analyse de politiques publiques - IDHEAP

Peter Knoepfel
Philippe Warin (éds)
Analyse de politiques publiques -
grands exercices d'application
Matériel de cours de l'IDHEAP 2009
Chaire Politiques publiques et durabilité

Cours de base - Politiques publiques
Analyse de politiques publiques
Exemples de grands exercices d'application
à travers des travaux d'étudiants
Textes réunis par :
Peter Knoepfel
Philippe Warin
Matériel de cours de l'IDHEAP 10/2009
Chaire Politiques publiques et durabilité
Ce document se trouve sur notre site Internet: http://www.idheap.ch > publications
© 2009 IDHEAP, Chavannes-près-Renens

Avant-propos : consignes et objectifs
Cette publication sous forme de Matériel de cours de l’IDHEAP rassemble les deux meilleurs
travaux écrits réalisés par des étudiants ayant suivi le cours dédié à l’analyse des politiques
publiques à l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) de Grenoble (Mastère en politiques publiques
et changement social) 2008/2009 1 . Cette année aussi, ce cours a débouché sur la rédaction de
travaux de groupe demandant un investissement conséquent.
Les consignes qui avaient été données pour la rédaction des travaux étaient les suivantes :
1) définir tout d’abord le problème à la base de la politique publique choisie, en dresser
le modèle de causalité (hypothèse de causalité, hypothèse d’intervention) et le triangle
des acteurs ;
2) analyser empiriquement le jeu des acteurs impliqués lors de l’élaboration d’au moins
un des produits du cycle de la politique publique choisie.
Ainsi, le but de cette publication est de fournir des exemples d’application du cadre d’analyse
des politiques publiques tel qu’il est présenté dans l’ouvrage Analyse et pilotage des
politiques publiques (édition de 2001 ou de 2006) de Peter Knoepfel, Corinne Larrue et
Frédéric Varone à toutes les personnes qui, par leurs études, sont amenées à rédiger un tel
travail.
Ces exemples montrent comment le modèle d’analyse enseigné peut être appliqué à des
politiques publiques très différentes, permettant la compréhension des thématiques les plus
variées.
Chavannes-près-Renens et Grenoble, le 5 octobre 2009
Peter Knoepfel
Philippe Warin
1 D’autres travaux d’applications se trouvent dans : Knoepfel, P., Olgiati, M., Warin, P. (éds) 2006, Analyse de
politiques publiques – grands exercices d’application. Matériel de cours de l’IDHEAP 6/2006, Chaire politiques
publiques et durabilité. Knoepfel, P. Olgiati, M., (éds) 2006, Analyse de politiques publiques – petits exercices
d’application. Matériel de cours de l’IDHEAP 7/2006, Chaire politiques publiques et durabilité. Knoepfel, P.,
Olgiati, M., (éds) 2008, Analyse de politiques publiques – grands exercices d’application. Matériel de cours de
l’IDHEAP 2008, Chaire politiques publiques et durabilité. Knoepfel, P., Nahrath, S., Imesch, J. (éds) 2009,
Analyse de politiques publiques – grands exercices d’application. Matériel de cours de l’IDHEAP 8/2009,
Chaire politiques publiques et durabilité.

Table des matières
Le plan « Alzheimer et maladies apparentées » 2008-2010
volet maintien à domicile
Renaud Gay, Caroline Grisard, Mathieu Vieira
INTRODUCTION .................................................................................................................................................. 1
IERE PARTIE : LE MODELE DE CAUSALITE.................................................................................................. 6
A- UN MODELE DE CAUSALITE : LE TRIANGLE DES ACTEURS............................................................................... 6
B- DEFINITION POLITIQUE DU PROBLEME, HYPOTHESE CAUSALE ET HYPOTHESE D’INTERVENTION .................... 6
C- PRESENTATION DES ACTEURS......................................................................................................................... 9
IIEME PARTIE : DE LA MISE SUR AGENDA AU PLAN D’ACTION : LES DIFFERENTS PRODUITS DE
LA POLITIQUE PUBLIQUE............................................................................................................................... 12
A- LA DEFINITION POLITIQUE DU PROBLEME PUBLIC......................................................................................... 12
B- LE PROGRAMME POLITICO-ADMINISTRATIF.................................................................................................. 14
C- L’ARRANGEMENT POLITICO-ADMINISTRATIF................................................................................................ 19
D- LE PLAN D’ACTION....................................................................................................................................... 25
CONCLUSION..................................................................................................................................................... 32
ANNEXES............................................................................................................................................................ 35
BIBLIOGRAPHIE................................................................................................................................................ 41
La régularisation des sans-papiers par le travail
Noémie Bonnin, David Bousquet, Guillaume Brejassou, Dimitri Oudin
INTRODUCTION ................................................................................................................................................ 43
LES ORIGINES DE LA POLITIQUE PUBLIQUE............................................................................................. 45
UN CONTEXTE GÉNÉRAL FAVORABLE À LA MISE À L’AGENDA POLITIQUE DE LA QUESTION DE L’IMMIGRATION
CHOISIE. ................................................................. .…… ……………………………………………………..45
LA DÉFINITION DU PROBLÈME PUBLIC............................................................................................................... 47
ELÉMENTS INSTITUTIONNELS DE LA POLITIQUE PUBLIQUE............................................................... 49
PREMIERS ÉLÉMENTS D’ANALYSE ..................................................................................................................... 49
LES ACTEURS.................................................................................................................................................... 50
LES RESSOURCES À DISPOSITION DES ACTEURS ET LEUR MOBILISATION EN FONCTION DES RÈGLES
INSTITUTIONNELLES EN VIGUEUR...................................................................................................................... 54
LA PROGRAMMATION DE LA LOI N° 2007-1631 DU 20/11/2007 : LE PROGRAMME POLITICO
ADMINISTRATIF................................................................................................................................................ 57
LA GENÈSE POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE DU PPA ........................................................................................ 57
LES ÉLÉMENTS SUBSTANTIELS DU PPA............................................................................................................. 58
LES ÉLÉMENTS INSTITUTIONNELS ET LA PROCÉDURE D’APPLICATION DU PPA ................................................. 60
UN PPA MULTI NIVEAUX : LES JEUX DIRECTS ET INDIRECTS ............................................................................. 62
LA MISE EN OEUVRE DE LA LOI ................................................................................................................... 64
LE PLAN D'ACTION (PA).................................................................................................................................... 64
DES OUTPUTS ENTRE LES MAINS DES PRÉFETS................................................................................................... 69
DES ÉNONCÉS ÉVALUATIFS ENCORE NON DÉFINIS ............................................................................................. 69
CONCLUSION..................................................................................................................................................... 71
BIBLIOGRAPHIE................................................................................................................................................ 72

Le plan "Alzheimer et maladies apparentées" 2008-2012
volet maintien à domicile
de Renaud Gay, Caroline Grisard et Mathieu Vieira
Cours : Analyse et pilotage des politiques publiques
Année : 2009
Professeur : Peter Knoepfel
Formation : Master Sciences de gouvernement comparées
Institut : Institut d'Etudes Politiques de Grenoble
Introduction
“La France doit contribuer à faire basculer Alzheimer, en 10 ou 15 ans, dans le monde
des maladies dont il sera possible de stabiliser l’évolution. Dans quelques années, j’espère, on
ne souffrira plus comme aujourd’hui – peut-être même on ne mourra plus – de la maladie
d’Alzheimer” 1 . En présentant le plan Alzheimer 2008-2012, Nicolas Sarkozy semble vouloir
montrer la détermination des pouvoirs publics à lutter contre une maladie jusqu’à récemment
peu connue et reconnue. Ambitieux, ce plan représente un effort cumulé de 1,6 milliard
d’euros. Ancien “no man’s land”, la maladie d’Alzheimer est sortie de l’oubli pour devenir
“une grande cause nationale” en 2007 2 .
La maladie d’Alzheimer, enjeu du vieillissement de la population
La reconnaissance de la maladie d’Alzheimer en tant que maladie autonome touchant
essentiellement des personnes âgées est relativement récente. En effet, bien qu’identifiée au
début du XXème siècle par Alois Alzheimer, la maladie n’acquiert véritablement le statut de
pathologie autonome qu’à la fin des années 1970 3 . Historiquement, la maladie d’Alzheimer
est pensée comme une démence présénile, les symptômes se manifestant entre 40 et 60 ans 4 .
L’usage de nouvelles technologies biomédicales à partir de 1976 permet une meilleure
connaissance des maladies neurologiques et la redéfinition de la maladie d’Alzheimer. Le
critère de l’âge disparaît, la maladie est “désagisée” 5 , modifiant sa représentation en tant que
catégorie pathologique qui inclut dès lors de nombreux malades dits “séniles”.
Dès lors, maladie d’Alzheimer et vieillissement de la population sont intimement liés.
Au 1er janvier 2007, 10,3 millions de personnes sont âgés de plus de 65 ans, soit 16,2% de la
population, part qui n’atteignait pas les 15% en 1994. D’après le scénario central retenu par
l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE), qui suppose la
1
Discours du Président de la République, à Sophia Antipolis, le 1er février 2008.
2
NGATCHA-RIBERT Laëtitia, “D’un no man’s land à une grande cause nationale, les dynamiques de la sortie
de l’oubli de la maladie d’Alzheimer”, in Gérontologie et société, n°123, décembre 2000, pp. 229-247.
3
FOX Patrick, “From senility to Alzheimer’s disease: the rise of the Alzheimer’s disease movement”, in The
Milbank Quarterly, n°67, 1989, pp. 58-102.
4
On diagnostique une “démence sénile” lorsque les symptômes apparaissent au-delà de 60 ans.
5
NGATCHA-RIBERT Laëtitia, op. cit., p. 231.
1

poursuite des tendances démographiques récentes, la France compterait, à l’horizon 2050, 70
millions d’habitants. Un habitant sur trois serait âgé de plus de 60 ans, contre un sur cinq en
2005 1 .
Il n’existe pas d’indicateurs sanitaires fiables permettant de mesurer correctement la
prévalence de la maladie 2 . Aucun marqueur de la maladie n’a pu être identifié et les
connaissances étiologiques 3 sont très limitées. Selon l’étude PAQUID (Personnes Agées
Aquitaine), étude de cohorte menée en population générale depuis 1989 en Gironde et
Dordogne chez les individus âgés de plus de 65 ans, une démence sur deux n’est pas
diagnostiquée. Alors que la presse se faisait l’écho de 350 000 personnes concernées lors de la
mise en place du premier plan Alzheimer en 2001 (Le Monde, 12 octobre 2001), on évoquait
850 000 personnes touchées par la maladie en 2007. Néanmoins, des études ont élaboré des
estimations de prévalence. La prévalence de la maladie chez les sujets âgés de moins de 65
ans est particulièrement faible, aux alentours de 0,054% selon une étude anglaise 4 . La
prévalence est nettement plus élevée chez les personnes de plus de 65 ans. La maladie
concernerait 6,4% de cette population d’après les travaux du groupe Eurodem, et la
prévalence augmenterait avec l’âge, concernant 17,8% des sujets de plus de 75 ans selon
l’étude PAQUID 5 .
Source : Expertise collective, Maladie d’Alzheimer-enjeux scientifiques, médicaux et sociétaux, Les éditions
Inserm, 2007, p. 368.
1
ROBERT-BOBEE Isabelle, “Projections de la population 2005-2050 – Vieillissement de la population en
France métropolitaine”, in Economie et statistique, n° 408-409, 2007, pp. 95-112.
2
La prévalence correspond à la proportion de personnes atteintes d’une maladie x par rapport à la population
totale, à un instant t.
3
Etude des causes de la maladie.
4
Expertise collective, Maladie d’Alzheimer-enjeux scientifiques, médicaux et sociétaux, Les éditions Inserm,
2007, p. 367.
5
Ibid., p. 368.
2

Une prise en charge complexe et coûteuse
Comme nous l’avons souligné précédemment, la maladie tend à être sousdiagnostiquée
: la standardisation des critères de diagnostic par l’Agence Nationale
d’Accréditation et d’Evaluation en Santé (Anaes) ne date que de l’année 2000, les personnes
manifestant des troubles cognitifs n’ont pas toujours recours à un médecin, ce dernier
n’engage pas forcément les procédures diagnostiques pour une plainte cognitive, voire
n’annonce pas le diagnostic. D’autres causes expliquent ce sous-diagnostic : confusion entre
démence et vieillissement, sujet âgé isolé souffrant d’autres pathologies, attitude fataliste face
à la maladie, etc. Ce sous-diagnostic a des conséquences sanitaires et financières : difficultés
dans la vie quotidienne, solitude et détresse des proches, usage anarchique des soins
hospitaliers.
Les parcours de soins des malades sont extrêmement hétérogènes 1 . Relevant tant du
médical que du social, la prise en charge de la maladie est complexe, faisant appel à de
multiples structures. Le parcours de soins est relativement simple pour les sujets suivis
exclusivement par leur médecin généraliste ou diagnostiqués en établissement d’hébergement
de personnes âgées dépendantes (EHPAD). Mais le parcours peut être autrement plus
complexe, avec l’intervention de multiples structures ou personnes : médecin généraliste,
neurologue libéral, centre local d’information et de coordination (CLIC), recours à des aides
financières diverses (allocation personnalisée d’autonomie (APA)), accueil de jour,
hospitalisations, placement en EHPAD, etc.
Source : Expertise collective, Maladie d’Alzheimer-enjeux scientifiques, médicaux et sociétaux, Les éditions
Inserm, 2007, p. 443.
1 Ibid., p. 442.
3

Cette prise en charge et plus largement la maladie ont un coût. Trois types de coûts
peuvent être distingués 1 :
- les coûts directs : les ressources affectées à la prise en charge médicale et médicosociale
du patient.
- les coûts indirects : la perte de productivité du patient, pour un sujet âgé, ou de
l’aidant naturel en activité.
- les coûts intangibles : valeur intrinsèque de la santé.
En 2005, un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé
(Opeps) estime le coût annuel moyen par patient à 22 099€, dont 5 791€ de dépenses
médicales et 16 307€ de dépenses médico-sociales (dont 55% à charge des familles) 2 . Ainsi,
les coûts directs représentent 9,9 milliards d’euros, et seulement 9,4% de ce montant est
consacré aux dépenses médicales. Trois conclusions peuvent être tirées de ces estimations : le
coût de la maladie est essentiellement médico-social (90% des dépenses) ; la part des
dépenses médicamenteuses est très faible (en moyenne, 369€ par patient et par an) ; la
maladie coûte très chère au patient et à sa famille (en moyenne, 12 146€ par famille et par an
en 2004). Enfin, l’Opeps a établi deux scénarios d’évolution des dépenses liés à la maladie
d’Alzheimer, en les rapportant au produit intérieur brut (PIB) 3 :
Source : Expertise collective, Maladie d’Alzheimer-enjeux scientifiques, médicaux et sociétaux, Les éditions
Inserm, 2007, p. 467.
L’enjeu semble colossal : les dépenses liés à la maladie d’Alzheimer pourraient
représenter 2% du PIB en 2040 et plus de 7% des dépenses de santé.
Le Plan Alzheimer 2008-2012
Le 31 juillet 2007, Nicolas Sarkozy annonce le lancement d’un plan de lutte contre la
maladie d’Alzheimer, faisant suite au plan Kouchner 2001-2004 et au plan Douste-Blazy
2004-2007. La politique de santé contre cette maladie s’insère dans l’espace des politiques
publiques portant sur la dépendance et l’autonomie des personnes âgées. Ces politiques
1 Ibid., p. 464.
2 Ibid., p. 465.
3 Le scénario 1 est de type ceteris paribus, le PIB et le prix des services médico-sociaux augmentent au taux de
1,5 point et les salaires au taux de 1,6 point. Le scénario 2 introduit une qualification des services médicosociaux
et aligne la croissance des rémunérations sur celle des salaires.
4

publiques ont connu un fort développement au début des années 2000 avec par exemple la
mise en place de l’allocation personnalisée d’autonomie en 2002, de la caisse nationale de
solidarité pour l’autonomie en 2004 et du plan “Solidarité-Grand âge” de 2006.
Le plan Alzheimer fixe des priorités s’articulant autour de trois grands axes :
l’amélioration de la qualité de vie des malades et des aidants ; le soutien à la recherche afin de
mieux connaître la maladie ; la sensibilisation du public avec un travail de communication.
Nous nous intéresserons plus précisément à la volonté exprimée dans le plan de maintenir à
domicile les personnes atteintes de la maladie. En outre le plan Alzheimer peut être conçu
comme une politique de la vieillesse, entendue comme “l’ensemble des interventions
publiques structurant, de manière explicite ou implicite, les rapports entre vieillesse et
société” 1 . Plus précisément, le plan et son volet maintien à domicile s’inscrit dans la logique
d’intervention publique sur la vieillesse définie comme mode de vie spécifique. Avec le
rapport Laroque de 1962, une nouvelle doctrine d’action se dessine : il s’agit dès lors de
retarder au maximum les dépendances, en encourageant l’intégration des personnes âgées
dans leur milieu de vie. Le maintien à domicile devient un objectif prioritaire 2 .
L’enjeu du maintien à domicile sous-tend le premier axe du plan. Un fort consensus
entoure la question du maintien à domicile. Un rapport de l’Organisation de Coopération et de
Développent Economiques (OCDE) en 2004 pose six objectifs dans la lutte contre la maladie,
notamment “le maintien à domicile le plus longtemps possible” afin de retarder
l’institutionnalisation et “l’aide aux aidants afin de faciliter le maintien à domicile” 3 .
L’hospitalisation ou la mise en institut apparaissent comme des solutions de dernier recours
qui doivent être adoptées à un stade avancé de la maladie. Les pouvoirs publics cherchent à
rationaliser l’offre hospitalière, en attribuant des lits aux cas les plus graves. Dans une logique
normative différente, l’association France-Alzheimer soutient le maintien à domicile afin de
réintégrer le malade au sein de son cadre social normal. Enfin, les médecins jugent que
l’hospitalisation suite à une crise conduit à une dégradation de la santé du malade, constituant
en un sens un “point de non-retour”.
Hypothèses de travail
La question de l’aide aux aidants, étroitement liée au maintien à domicile, est
importante dans le plan. Nous faisons l’hypothèse que les aidants, en ayant recours à la
ressource interactive avec l’association France-Alzheimer, obtiennent une reconnaissance de
leur statut et de droits, en s’appuyant par ailleurs sur la principe de l’égalité entre les Hommes
et sur les règles institutionnelles concernant les aidants de personnes handicapées.
Le soutien à domicile passe par le développement de services de soins à domicile. Ces
services relèvent à la fois du médical et du social, de l’Etat central et des collectivités
territoriales. Aussi ce double cloisonnement peut apparaître comme un frein au
développement de ces services.
Notre recherche empirique s’inscrit dans une perspective descriptive 4 . Après avoir
présenté le modèle de causalité et le triangle des acteurs de notre politique publique (partie I),
1
GUILLEMARD Anne-Marie, Le déclin du social, Paris, PUF, 1986, p. 22.
2
Ibid., dans son analyse de la politique de la vieillesse, A.M. Guillemard procède à une périodisation des
interventions publiques en reconstruisant trois espaces temporels : de 1945 à 1961, la vieillesse est conçue
comme un droit social à la retraite ; de 1961 à 1975, la vieillesse apparaît comme un mode de vie spécifique ;
enfin à partir des années 1970, la vieillesse est approchée selon le niveau et mode de participation du groupe âgé
à la production, avec la question des préretraites.
3
Expertise collective, op. cit., p. 489.
4
KNOEPFEL Peter, LARRUE Corinne, VARONE Frédéric, Analyse et pilotage des politiques publiques,
Genève-Bâle-Munich, Helbing&Lichtenhahn, 2001, p. 289.
5

nous procéderons à l’analyse des quatre premiers produits de la politique publique, de la mise
sur agenda au plan d’action proprement dit (partie II).
Ière Partie : le modèle de causalité
Le modèle d’analyse choisi nécessite en premier lieu de mettre en lumière le “triangle
de base” d’une politique publique. Ce triangle se structure autour de trois pôles représentant
les différents acteurs impliqués dans cette politique publique. Par la reconstruction de ce
triangle, nous cherchons à identifier les acteurs empiriques concernés et à reconstituer le cadre
théorique sous-jacent à cette politique. En effet, toute politique publique peut être considérée
comme une construction théorique, comprenant une hypothèse causale et une hypothèse
d’intervention, façonnant un modèle de causalité.
A- Un modèle de causalité : le triangle des acteurs
Une politique publique apparaît comme “un enchaînement de décisions ou d’activités
résultant d’interactions structurées et répétées entre différents acteurs, publics et privés,
impliqués à divers titres dans l’émergence, la formulation et la résolution d’un problème
défini politiquement comme public” 1 . Ainsi, le triangle des acteurs cherche à recenser et
classer l’ensemble des acteurs formant les trois pôles du triangle. Nous distinguons :
- les autorités politico-administratives (acteurs publics), qui élaborent et appliquent la
politique publique ;
- les groupes cibles (acteurs privés ou publics) : à l’origine du problème collectif, les
activités et décisions des groupes cibles font l’objet d’une intervention concrète de l’Etat ;
- les bénéficiaires finaux (acteurs privés ou publics) : touchés par le problème collectif,
bénéficient du changement de comportement des groupes cibles ;
- un quatrième groupe peut être mentionné : les groupes tiers. Ce sont les acteurs qui,
sans être directement visés par la politique publique, voient leur situation se modifier
durablement. Ces changements peuvent être positifs (profiteurs) ou négatifs (lésés).
Ce triangle des acteurs forme un modèle de causalité. Ce modèle intègre la définition
du problème public, l’hypothèse causale, l’hypothèse d’intervention. La définition du
problème public fait le lien entre les bénéficiaires finaux et les autorités politicoadministratives.
L’hypothèse causale fait le lien entre groupes cibles et bénéficiaires finaux,
en répondant à la question de savoir qui est “coupable”, ou du moins responsable du
problème. L’hypothèse d’intervention relie les autorités politico-administratives avec les
groupes cibles en établissant comment le problème public peut être atténué, voire résolu.
B- Définition politique du problème, hypothèse causale et hypothèse d’intervention
Définition politique du problème
Affectant aujourd’hui près de 800 000 personnes, la maladie d’Alzheimer, étroitement
liée au vieillissement de la population et à l'allongement de la durée moyenne de vie, devrait
continuer à progresser dans les prochaines années. La question du maintien à domicile du
1 Ibid., p. 46.
6

malade, largement privilégié à la mise en institut, rejoint le problème politiquement reconnu
de la dépendance des personnes âgées. Mais peu soutenue, cette prise en charge à domicile
affecte la santé tant de l’aidant que du malade, participant alors à la hausse des dépenses de
santé.
Le lieu de vie du malade dépend de la sévérité des troubles. Toutefois le domicile
semble être un espace de vie privilégié. Ce choix concerne 90,9% des personnes malades
ayant un score MMSE (mini-mental state examination) de 24 à 30 ; 76,2% de celles ayant un
score MMSE compris entre 19 et 23, et 57,3% de celles ayant un score MMSE compris entre
10 et 181. Globalement, 75% des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer vivent à
domicile. En l’absence de dispositifs d’aide et d’accompagnement, ce choix du maintien a des
conséquences sur la santé de l’aidant (dépression, fatigue, isolement social), du malade
(hospitalisation comme réponse aux crises). Enfin, le maintien à domicile a des répercussions
économiques (retrait du marché du travail, coûts des dépenses de soins).
Hypothèse causale
Si les autorités politico-administratives veulent améliorer la prise en charge des
malades par les aidants naturels, alors elles doivent, d’une part, proposer une formation aux
aidants, bénéficiant par ailleurs d’un suivi médical et psychologique, et d’autre part,
améliorer la formation de services de soins à domicile renforcés et développer les accueils de
jour.
Plus de 70% des aidants passent plus de six heures par jour à prendre en charge le
proche malade 2 . Travail considérable qui plonge souvent la famille dans une solitude, voire
une détresse sociale. En effet, le malade et ses proches sont confrontés à des moments
difficiles (annonce du diagnostic, organisation de la prise en charge, gestion des crises), pour
lesquels les dispositifs d’aide sont soit inexistants, soit peu compréhensibles. Sans soutien,
l’état de santé de l’aidant et du malade se détériore, alimentant un recours aux soins qui aurait
pu être évité, augmentant ainsi les dépenses de santé.
Hypothèse d’intervention
Si les autorités politico-administratives veulent désengorger les hôpitaux et réduire les
coûts directs et indirects liés au développement de la maladie d’Alzheimer, alors elles doivent
renforcer les services de soins à domicile, les accueils de jour et consolider le statut et les
droits de l’aidant afin d’éviter une hospitalisation inutile du malade et une dégradation de
l’état de santé de l’aidant.
Afin de limiter les dépenses de santé afférentes à la maladie d’Alzheimer, les autorités
politico-administratives cherchent à développer des aides aux aidants afin de renforcer et
d’améliorer le maintien à domicile. Ainsi l’action publique poursuit trois objectifs :
“développer l’aide professionnelle à domicile, créer des solutions de répit souples et
innovantes, garantir des solutions proposées à tous les malades sur tout le territoire” 3 .
1 Fondation Médéric Alzheimer, Analyse et revue de la littérature française et internationale sur l’offre aux
aidants de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de maladies apparentées, novembre 2008, p. 11.
2 Plan “Alzheimer et maladies apparentées” 2008-2012, 1 er février 2008, p. 13.
3 Ibid.
7

Hypothèses d’intervention
- reconnaître des droits aux aidants
- renforcer les services d’aide à domicile
- développer les accueils de jour
Les groupes cibles
- personnel et institutions de santé
- structures et personnel paramédicaux
- aidant naturel
Les lésés
-consommateurs de médicaments
(franchise)
-EHPAD
8
Triangle des acteurs
Autorités politico-administratives
- ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative
- ministère du travail, des relations sociales, de la famille et des solidarités
- direction de la sécurité sociale/Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie
- l’agence nationale de la recherche
Hypothèse causale
La reconnaissance de droits à l’aidant,
notamment le droit au répit, et le
renforcement des services médicaux et
paramédicaux amélioreront la prise en
charge à domicile du malade et réduiront
les dépenses de santé.
Définition politique du problème
Affectant aujourd’hui près de 800 000
personnes, la maladie d’Alzheimer,
étroitement liée au vieillissement de la
population et à l'allongement de la durée
moyenne de vie, devrait continuer à
progresser dans les prochaines années. La
question du maintien à domicile du malade,
largement privilégié à la mise en institut,
rejoint le problème politiquement reconnu de
la dépendance des personnes âgées. Mais peu
encadrée, cette prise en charge à domicile
affecte la santé tant de l’aidant que du
malade, participant alors à la hausse des
dépenses de santé.
Les bénéficiaires finaux
- malades
- familles, aidants naturels
Les profiteurs
- industries géronto-technologiques
- recherche
- associations de malades

C- Présentation des acteurs
Les autorités politico-administratives
- Ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative
Au sein du ministère de la santé, deux directions jouent un rôle central dans le plan
Alzheimer : la direction générale de la santé (DGS) et la direction de l’hospitalisation et de
l’organisation des soins (DHOS). La DGS élabore des politiques de promotion de la santé et
veille à l’amélioration des pratiques professionnelles (ressource humaine). Depuis la
réorganisation du ministère de la santé en mai 2007, la DHOS a élargi son champ de
compétences. Elle est compétente à l’égard de l’ensemble des établissements de santé : les
établissements de santé publics, les établissements de santé privés non lucratifs participant ou
non au service public hospitalier, les établissements de santé privés lucratifs (ressource
patrimoniale). Son champ d’action s’étend au financement des activités spécifiques de soins
aux personnes âgées, en établissements d’hébergement et à domicile (ressource monétaire).
De plus, elle oriente et anime les politiques de ressources humaines dans le champ des
établissements publics de santé, sociaux et médico-sociaux (ressource humaine).
- Ministère du travail, des relations sociales, de la famille et des solidarités
Au sein du ministère du travail, la direction générale des affaires sociales (DGAS)
occupe une place importante dans la définition et mise en oeuvre du plan Alzheimer. En effet,
la DGAS coordonne et anime la politique de prise en charge, d’aide à domicile et d’aide à
l’autonomie des personnes handicapées (ressource interactive). Participant à l’élaboration de
mesures à destination des personnes âgées, la DGAS définit la formation des professions
sociales (ressource personnel) et les règles de fonctionnement des établissements et services
sociaux et médico-sociaux (ressource droit).
- La direction de la sécurité sociale et la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie
La direction de la sécurité sociale (DSS) est rattachée à la fois au ministère du travail,
au ministère de la santé et au ministère du budget. Elle pilote le projet de loi de financement
de la sécurité sociale (PLFSS). Depuis la loi constitutionnelle n°96-138 du 22 février 1996, le
parlement vote une loi de financement de la sécurité sociale qui détermine les conditions
générales de son équilibre financier et fixe les objectifs de dépenses. En liaison avec les trois
précédentes directions, la DSS organise l’offre de soins (ressource interactive). La caisse
nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) a été créée par la loi n°2004-626 du 30 juin
2004 relative à la solidarité des personnes âgées et des personnes handicapées. Elle est un
établissement public chargé du financement d’actions soutenant notamment le développement
de l’aide à domicile (ressource monétaire). Productrice en outre d’expertises (ressource
cognitive), elle est financée pour partie par la “journée de solidarité” instaurée par cette même
loi.
- L’agence nationale de la recherche (ANR)
Etablissement public à caractère administratif créé le 1 er janvier 2007, l’ANR poursuit
un double objectif : produire de nouvelles connaissances (ressource cognitive) et favoriser les
interactions entre laboratoires publics et laboratoires d’entreprises en développant des
partenariats (ressource interactive). Selon le décret n° 2006-963 du 1 er août 2006, sa mission
principale réside dans le financement et la promotion des recherches fondamentales et
appliquées (ressource monétaire).
9

Les groupes cibles
- Personnel et institutions de santé
L’expression personnel de santé recouvre diverses professions disposant
essentiellement de la ressource cognitive (compétences, savoir ésotérique exclusif) : le
médecin généraliste qui suit le malade d’Alzheimer et l’aidant familial, mais aussi l’ensemble
des professionnels intervenant dans la prise en charge du malade (neurologues, gériatres,
psychiatres).
- Structures et personnel paramédicaux
Le secteur paramédical rassemble l’ensemble des professions de la santé n’appartenant
pas au personnel médical : ergothérapeutes, psychomotriciens, infirmiers. Plus précisément,
dans le cadre du maintien à domicile, les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et
les services polyvalents d’aide et de soins à domicile (SPASAD). Créés dans les années 1970,
les SSIAD regroupent des infirmières coordinatrices, des aides soignants et des auxiliaires
médicaux. Ils interviennent sur prescription médicale pour assurer les soins infirmiers et
d’hygiène générale et aident à l’accomplissement des actes essentiels de la vie. Les SPASAD
sont créés en 2004. Ils regroupent des SSIAD et des services d’aide à domicile.
Apparus dans les années 1970, les accueils de jour sont définis comme des aides au
répit de l’aidant. Formules innovantes, ces structures reçoivent pendant une journée des
personnes malades, permettant à l’aidant de se reposer. Loin d’être une simple garderie,
l’accueil de jour représente un temps de socialisation et de bien-être pour le malade. Les
accueils de jour sont reconnus par la loi de rénovant l’action sociale et médico-sociale du 2
janvier 2002. Le recours à l’hébergement temporaire, autre formule d’accueil temporaire, est
moins fréquent. Proposant un type d’hébergement séquentiel, s’étalant sur plusieurs jours,
l’hébergement temporaire peut provoquer des troubles chez les personnes handicapés
cognitifs et ne sont pas toujours organisés pour recevoir ce type de public.
- L’aidant naturel
L’aidant naturel est le proche du malade. Il peut faire valoir son expérience comme
type de savoir particulier (ressource cognitive) et rejoindre l’association France Alzheimer
(ressource interactive). Il vit le plus souvent avec lui, l’aide et l’accompagne quotidiennement.
Ce sont en majorité des femmes (62%) ; 17% des aidants ont moins de 55 ans, 25% ont entre
55 et 64 ans, 18% entre 65 et 74 ans, 28% entre 75 et 84 ans, 7% plus de 85 ans. Plus de la
moitié des aidants sont les conjoints (51%), 25% sont les enfants des personnes malades. 66%
des aidants sont à la retraite, 16% ont un travail à temps complet et 5% un travail à temps
partiel. 2% ne travaillent pas en raison de leur rôle d’aidant 1 .
Les bénéficiaires finaux
- Les malades
Environ 800 000 personnes seraient atteintes de la maladie d’Alzheimer en France en
2009. La maladie concerne majoritairement des personnes âgées. La prévalence chez les
sujets de plus de 65 ans serait de 6,4% et augmenterait avec l’âge. Les deux tiers des déments
1 chiffres tirés de Fondation Médéric Alzheimer, op. cit., p. 10-11.
10

seraient des femmes et la moitié serait âgée de plus de 85 ans 1 . Le lieu de vie du malade
dépend du stade de la maladie 2 , mais le choix du domicile prédomine (75% des malades).
- L’aidant naturel et la famille
Au-delà de l’aidant naturel décrit précédemment, la famille dans sa globalité est
concernée par la maladie. Plusieurs membres interviennent auprès du malade. Ainsi, il est
possible de distinguer aidants directs (conjoint, frère/soeur) et co-aidants (enfants le plus
souvent). En effet, l’existence d’un seul aidant naturel correspond rarement à la réalité, tout
un réseau de solidarités familiales se tissant entre aidants directs et co-aidants.
Les lésés
- Consommateurs de médicaments
Afin de financer le plan Alzheimer, le gouvernement français a établi un système de
franchises. La franchise correspond à une somme de 50 centimes d’euros pour l’achat de
chaque boîte de médicaments et sur chaque acte paramédical. Pour les transports par
ambulance, elle s’élève à 2 euros. Un plafond de 50 euros par an pour chaque individu est
fixé. Intégrées dans le PLFSS pour 2008, ces franchises doivent financer les volets “santé” et
“solidarité” du plan.
- Etablissements d’Habitation pour Personnes Agées Dépendantes
Les Etablissements d’Habitation pour Personnes Agées Dépendantes (Ehpad) sont la
forme la plus répandue d’institution à destination des personnes âgées. Il existe aujourd’hui
6100 établissements accueillant des malades d’Alzheimer et 1135 qui disposent d’une unité
spécifique pour accueillir des personnes atteintes de troubles cognitifs (environ 18 000
places).
Les profiteurs
- L’industrie géronto-technologique
Un business s’organise autour de la maladie d’Alzheimer, alimentant un marché “gris”
déjà florissant. Ainsi l’offre technologique, ou gérontotechnologie, ne cesse de s’accroître et
de se diversifier : bracelets “GPS”, système d’éclairage automatique, etc. Ces entreprises liées
aux nouvelles technologies se sont organisées en 2007 au sein de la SF-TAG, Société
Française des Technologies pour l’Autonomie et de Gérontologie. Elle se présente comme
“un lieu d’échange et d’action pour favoriser l’approche interdisciplinaire entre tous les
acteurs professionnels liés à la santé et au secteur médico-social”, cherchant à “promouvoir la
recherche, la connaissance des nouvelles technologies, la formation, la coordination,
l’évaluation des besoins des usagers” 3 .
- La recherche
L’investissement dans la recherche distingue ce plan des précédants. En engageant 200
millions d’euros sur cinq ans dans ce volet, le gouvernement espère améliorer la
connaissance, actuellement limitée, de cette maladie et développer des thérapeutiques pour
1
Expertise collective, Maladie d’Alzheimer-enjeux scientifiques, médicaux et sociétaux, Les éditions Inserm,
2007, p. 369 ;
2
Cf. supra.
3
http ://www.sftag.fr/content/view/15/35/lang,fr/, consulté le 1er février 2009.
11

freiner son évolution. Le principal acteur autour de la recherche est l'Agence nationale de la
recherche (ANR). Une fondation scientifique, adossée à l’Inserm, chargée de piloter la
recherche autour d’Alzheimer, a ainsi été mise en place au premier semestre 2008. La
recherche concerne plusieurs acteurs : équipes hospitalières, chercheurs en sciences humaines,
etc. Indirectement, ce sont à nouveau les industries géronto-technologiques qui peuvent
profiter de cet investissement dans la recherche.
- Associations de malades
Fondée en 1985 par deux gériatres, Françoise Forette et René Gonon, l’association
France-Alzheimer est la principale association de malades d’Alzheimer en France. Fédération
d’associations locales, France-Alzheimer travaille à la reconnaissance de la maladie comme
entité pathologique dissociée de la vieillesse. Comptant 12 000 adhérents et 40 000 donateurs,
l’association insiste sur le rôle et l’ “abnégation” de l’aidant dans son soutien quotidien au
proche malade, discours qui tend presque à oublier le malade lui-même 1 . Elle se veut
productrice d’une expertise fondée sur l’expérience de la maladie (ressource cognitive). Une
deuxième association peut être citée, la Fondation Médéric Alzheimer. Fondée en 1999, la
fondation axe son action sur l’aide aux aidants, en soutenant des initiatives locales et la
recherche en sciences sociales.
IIème Partie : De la mise sur agenda au plan d’action : les
différents produits de la politique publique
Toute politique publique est composée de six types de produits : la définition politique
du problème public, le programme politico-administratif, l’arrangement politico-administratif,
les plans d’action, les actes de mises en oeuvre, les énoncés évaluatifs. Nous nous
intéresserons aux quatre premiers produits. Ces différents produits, dont la production sont
régis par des règles institutionnelles, sont le fruit d’interactions entre les acteurs qui
mobilisent différentes ressources. Chacun de ces produits se définit d’un point de vue
substantiel (comment résoudre le problème ?) et d’un point de vue institutionnel (quels
acteurs, avec quelles ressources, selon quelles règles du jeu ?).
A- La définition politique du problème public
Le premier produit d’une politique publique, la définition politique du problème
public, apparaît avec la mise sur agenda. Nous parlons de problème public “si une situation
est jugée politiquement comme problématique et fait l’objet d’un débat politique” 2 . La
définition politique du problème public “résulte d’une lutte symbolique entre groupes rivaux
se déroulant dans un contexte institutionnel au moins partiellement établi” 3 .
Une récente mise sur agenda
1 BEARD Renée L., « Advocating voice : organisational, historical and social spheres of the Alzheimer’s disease
movement », in Sociology of health and illness, vol. 26, 2004, pp. 797-819.
2 KNOEPFEL Peter, LARRUE Corinne, VARONE Frédéric, op. cit., p. 150.
3 Ibid., p. 154.
12

Aux Etats-Unis, la maladie d’Alzheimer est considéré comme problème public au
début des années 1980, notamment grâce aux actions de l’ADRDA (Alzheimer's Disease and
Related Disorders Association). Cette mise sur agenda intervient beaucoup plus tard en
France. En 1998, le rapport du Haut comité de la santé publique, photographie de l’état de
santé des Français, ne fait pas mention de la maladie d’Alzheimer. Néanmoins, on distingue
deux principaux initiateurs de la mise sur agenda de la maladie : l’association France-
Alzheimer et les gériatres.
Tout d’abord l’association France-Alzheimer oeuvre à la reconnaissance politique de
la maladie à travers un travail de médiatisation et de production d’expertises, en s’appuyant
notamment sur les ressources cognitive et “organisation”. Cette médiatisation, combinée à
une mobilisation, passe par des actions ponctuelles et symboliques (lâcher de ballon le 22 juin
2004 sur le Parvis des Droits de l’Homme à Paris, campagne nationale de sensibilisation,
etc.). De plus, l’association fait valoir une expertise exclusive, fondée sur l’expérience de la
maladie. France-Alzheimer insiste particulièrement sur le “fardeau de l’aidant” qui
accompagne le malade. Les problèmes inhérents la maladie proviennent certes du manque de
connaissances sur cette pathologie, mais la recherche médicale ne constitue pas un axe
prioritaire de l’action associative, contrairement à d’autres associations de malades
(association française contre les myopathies, Actions traitements et Aides pour le sida). La
solitude de l’aidant, née de la complexité et de la faible offre de services, est mise en avant.
Reposant sur les ressources cognitive et interactive, l’action des gériatres peut être
analysée suivant deux étapes. S’appuyant sur la Fondation Nationale de Gérontologie créée en
septembre 1967, les gériatres, en “s’appropriant” le suivi des seniors malades, les ont
réinscrits dans le paradigme d’une médecine technico-scientifique. Ce processus de
médicalisation a eu pour conséquence de transformer les personnes âgées en malades,
« reconceptualisant » la vieillesse comme problématique, et devenant donc une catégorie
d’action publique 1 . Emerge alors la question de l’autonomie et de la dépendance des
personnes âgées. Les gériatres se saisissent alors de la maladie d’Alzheimer qui, en tant que
pathologie reconnue, renforce leur légitimité. Mais cette appropriation assimile la maladie à
l’enjeu de la dépendance des personnes âgées. Ainsi, le principal problème autour de la
maladie d’Alzheimer serait celui du soutien à l’autonomie et au maintien à domicile.
Il faut attendre 2000 et la publication du rapport Girard pour que la maladie devienne
un problème public autonome. Un processus de “désindexation” s’engage, dissociant la
maladie d’Alzheimer de la question de la dépendance 2 . La relation entre ces deux problèmes
sociaux reste cependant étroite 3 . A la même période sont organisées les Assises nationales de
la maladie d’Alzheimer tenues à l’Assemblée nationale. En 2001 est mis en place le plan
Kouchner qui prévoit notamment la création et diffusion des “consultations mémoire” et des
“centres de ressources et de recherche” afin d’améliorer le diagnostic. Bien que conforté par
la création des CLIC en 2001 et de l’APA en 2002, les mesures préconisées sont peu suivies
d’effet. Le plan Douste-Blazy (2004-2007), soucieux de répondre à la demande associative,
inscrit la maladie sur la liste des affections de longue durée (ALD), permettant une prise en
charge des soins à 100%, et surtout donnant à la maladie une visibilité publique 4 . En juillet
2005, le rapport parlementaire de l’Opeps suggère l’accélération de la mise en œuvre du plan
2004-2007 et préconise notamment le développement de la recherche sur la maladie. En 2007,
Nicolas Sarkozy fait de la maladie d’Alzheimer l’un de ses trois grands chantiers aux côtés de
la lutte contre le cancer et du développement des soins palliatifs.
1
NGATCHA-RIBERT Laëtitia, op. cit., p. 234.
2
Ibid., p. 243.
3
Comme nous le verrons dans l’analyse du PPA.
4
Plus précisément, la maladie d’Alzheimer était prise en charge comme ALD, mais n’était pas comprise
nommément dans la liste des pathologies ALD.
13

Le problème public
Pour définir le problème public, nous reprenons les quatre éléments constitutifs d’un
problème public distingués par P. Knoepfel, C. Larrue, F. Varone : l’intensité du problème, le
périmètre (ou l’audience) du problème, la nouveauté du problème, l’urgence du problème.
Le problème de la maladie d’Alzheimer est jugé grave tant au niveau individuel que
collectif. En effet, la maladie représente un coût financier pour le malade et sa famille et
conduit à une détérioration de la santé de l’aidant (détresse psychologique, dépression). La
maladie et son développement lié au vieillissement de la population représentent aussi un coût
pour la société, en participant notamment à la hausse des dépenses de santé. La maladie est
également un problème sociétal : que faire de cette population – les seniors - qui ne cessera de
croître ? Comment les prendre en charge, en tenant compte des pathologies inhérentes à cet
âge ? De plus, le problème est présenté comme sans frontières/diffus : selon certaines
prévisions, à l’horizon 2010, chaque famille compterait dans ses rangs une personne affectée
par la maladie. Le problème semble relativement nouveau : bien que la maladie ait été
identifiée au début du XX° siècle, celle-ci prend une autre ampleur avec le vieillissement
actuel de la population. Toutefois elle s’inscrit dans le problème reconnu politiquement de la
dépendance et de l’autonomie des personnes âgées. Enfin, la maladie d’Alzheimer se présente
comme un problème urgent. Une plus fine connaissance de la maladie, notamment dans son
recensement, montre l’importance que prendra la maladie avec le vieillissement de la
population.
Ainsi, reprenant les histoires causales des différents acteurs (fardeau de
l’aidant/recherche d’autonomie), une définition politique du problème public semble
s’imposer :
Affectant aujourd’hui près de 800 000 personnes, la maladie d’Alzheimer, étroitement
liée au vieillissement de la population et à l'allongement de la durée moyenne de vie, devrait
continuer à progresser dans les prochaines années. La question du maintien à domicile du
malade, largement privilégié à la mise en institut, rejoint le problème politiquement reconnu
de la dépendance des personnes âgées. Mais peu soutenue, cette prise en charge à domicile
affecte la santé tant de l’aidant que du malade, participant alors à la hausse des dépenses de
santé.
B- Le programme politico-administratif
Le programme politico-administratif (PPA) est le premier produit de la programmation
de la politique publique. Il peut être défini comme “l’ensemble des normes et des actes
réglementaires, que les parlements, les gouvernements et les autorités chargées de l’exécution
considèrent comme nécessaires pour appliquer une politique publique” 1 . Le PPA “définit en
termes juridiques le mandat politique formulé par le législateur à titre de solution au problème
public à résoudre, c’est-à-dire les objectifs à atteindre, et les droits et obligations imposés aux
groupes cibles” 2 .
1 KNOEPFEL Peter, LARRUE Corinne, VARONE Frédéric, op. cit., p. 173.
2 Ibid.
14

Normes et actes réglementaires du PPA
Le volet maintien à domicile du plan Alzheimer s’appuie sur un ensemble de textes
juridiques produits essentiellement dans les années 2000 en liaison avec le thème de
l’autonomie. Ces textes concernent trois domaines : la reconnaissance de l’aidant, son soutien
et le développement des services de soins à domicile.
- Sur la question de l’aidant et de ses droits, le texte juridique principal est la loi n°
2005-102 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des
personnes handicapées du 11 février 2005. Selon la loi, le handicap peut être “physique,
sensoriel, cognitif, mental ou psychique” (art. 41), incluant donc la maladie d’Alzheimer. La
loi mentionne un droit à la formation des aidants (art. 80). A cela s’ajoute la création d’un
congé de soutien familial instauré par la loi de financement de la sécurité sociale du 21
décembre 2006 (art. 125). Les dispositions de ce nouveau congé sont précisées par le décret
n°2007-573 du 18 avril 2007 et la circulaire DSS n°2007-446 du 18 décembre 2007.
- A propos des accueils temporaires, la loi du 11 février 2005 citée précédemment
mentionne le droit au répit pour l’entourage (art. 11). La loi de rénovation de l’action sociale
et médico-sociale du 2 janvier 2002 reconnaît l’existence d’accueils temporaires (art. 56). La
définition et l’organisation de ces structures d’accueil sont précisées dans le décret n°2004-
231 du 17 mars 2004. Ce décret est complété par la circulaire n° DGAS/SD3C/2005/ 224 du
12 mai 2005 relative à l’accueil temporaire des personnes handicapées.
- Le décret n°2004-613 du 25 juin 2004, précisé par la circulaire DGAS/2C n°2005-
111 du 28 février 2005, porte création des services polyvalents d’aide et de soins à domicile et
précise les conditions d'autorisation et de fonctionnement des services de soins infirmiers à
domicile (SSIAD) et des services polyvalents d’aide et de soins à domicile (SPASAD).
Principaux textes et normes constitutifs du PPA
- l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : “Les hommes
naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être
fondées que sur l’utilité commune”.
- l’article 34 de la Constitution sur les lois de financement de la sécurité sociale.
- la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.
- la loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
- la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation
et la citoyenneté des personnes handicapées.
- la loi n°2006-1640 de financement de la sécurité sociale du 21 décembre 2006.
- le décret n°2004-231 du 17 mars 2004
- le décret n°2004-613 du 25 juin 2004
- le décret n°2007-573 du 18 avril 2007
- la circulaire DGAS/2 C n° 2005-111 du 28 février 2005
- la circulaire n° DGAS/SD3C/2005/ 224 du 12 mai 2005
- la circulaire DSS n° 2007-446 du 18 décembre 2007
15

Un PPA mixte et partiellement cohérent
Un PPA est constitué, en général, de cinq éléments complémentaires : trois
substantiels (objectifs, éléments évaluatifs, éléments opérationnels) et deux institutionnels
(arrangement politico-administratif, éléments procéduraux) 1 .
- Les objectifs
Le PPA combine objectifs précis (congé de soutien familial, SSIAD-SPASAD) et
objectifs abstraits (formation de l’aidant).
- La loi du 11 février 2005 définit très abstraitement les droits de l’aidant : permettre à
“l’entourage de la personne handicapée de bénéficier de temps de répit” ; donner un “droit à
la formation” des aidants familiaux. Selon la circulaire du 18 décembre 2007 relatif au congé
familial, ce dernier est créé “en faveur de personnes salariées ou non salariées devant cesser
leur activité professionnelle pour s’occuper d’un proche souffrant d’un handicap ou d’une
perte d’autonomie d’une particulière gravité”, tout en assurant “un cadre juridique et
protecteur” au regard de la situation professionnelle du bénéficiaire et de ses droits à
l’assurance vieillesse.
- Selon le décret du 17 mars 2004, les structures d’accueil temporaire “[visent] à
développer ou maintenir les acquis et l'autonomie de la personne accueillie et faciliter ou
préserver son intégration sociale”. Plus précisément, elles ont pour objectif d’ “organiser,
pour les intéressés, des périodes de répit ou des périodes de transition entre deux prises en
charge, des réponses à une interruption momentanée de prise en charge ou une réponse
adaptée à une modification ponctuelle ou momentanée de leurs besoins ou à une situation
d’urgence ; [d’] organiser, pour l’entourage, des périodes de répit ou à relayer, en cas de
besoin, les interventions des professionnels des établissements et services ou des aidants
familiaux, bénévoles ou professionnels, assurant habituellement l’accompagnement ou la
prise en charge”.
- Concernant les SSIAD, la circulaire du 28 février 2005 les présente comme “un
élément indispensable du dispositif mis à la disposition des personnes âgées pour favoriser
leur maintien à domicile”. L’infirmier coordonnateur du SSIAD est chargé de l’ “évaluation
des besoins de soins des personnes suivies effectuée au cours des visites à domicile, de la
coordination du service avec les acteurs sanitaires et médico-sociaux du secteur”. Il doit en
outre élaborer et mettre en oeuvre des “projets individualisés de soins pour chaque personne
suivie”. Les SPASAD visent “à favoriser la coordination des interventions auprès de la
personne et à mutualiser les interventions visant à élaborer le projet individuel d’aide,
d’accompagnement et de soins permettant ainsi une prise en charge plus adaptée à la globalité
des besoins de la personne”. La circulaire rappelle l’objectif de 100 000 places disponibles
d’ici 2007, fixé par la réforme de solidarité pour les personnes dépendantes du 6 novembre
2003.
- Eléments évaluatifs
Des éléments évaluatifs sont précisés pour le congé de soutien familial, les accueils
temporaires et pour les SSIAD.
- Le décret du 18 avril 2007 prévoit la remise par le délégué interministériel aux
personnes handicapées au ministre chargé des personnes âgées et des personnes handicapées
d’un rapport évaluant l'efficacité du congé de soutien familial avant le 31 décembre 2008.
- La circulaire du 12 mai 2005 fixe un cadre évaluatif relativement précis pour les
accueils temporaires afin de mesurer l’insertion de l’accueil temporaire dans le paysage
1 Ibid., p. 176.
16

médico-social. Ainsi, “plusieurs paramètres doivent particulièrement faire l’objet de suivi et
d’évaluation afin de permettre les évolutions requises : le motif de l’accueil temporaire : à
quelle situation a t-on répondu ? ; le temps moyen du séjour, avec identification des situations
extrêmes ; le nombre de séjours uniques répétés, la fréquence maximale de ces répétitions ;
les suites de l’accueil temporaire notamment en terme d’évolution pour la personne ; les
relations de la structure d’accueil temporaire avec la famille et, le cas échéant, l’institution qui
lui a confié la personne ; les échecs et leur analyse”.
- Selon la circulaire du 28 février 2005, l’infirmier coordonnateur du SSIAD doit
établir un rapport d’activité du service et le transmettre à la DDASS. Ce rapport d’activité
“sera allégé” par rapport à celui prévu précédemment, et “comportera une série d’indicateurs
sociaux et médico-sociaux économiques”.
- Eléments opérationnels
Les éléments opérationnels définissent “les modalités d’intervention ou les mesures,
prévues pour réaliser les objectifs d’une politique publique” 1 . Les éléments de notre PPA
suivent essentiellement une logique de fourniture directe de biens et services.
- La création du congé de soutien familial se rapporte davantage à une modalité
incitative. Congé non-rémunéré et non-indemnisé par la sécurité sociale, il couvre une période
de 3 mois renouvelable dans la limite d’un an sur l’ensemble d’une carrière. Pour une même
personne aidée, plusieurs de ses proches peuvent successivement ou simultanément prétendre
au bénéfice d’un congé de soutien familial. Ce congé s’accompagne d’un cadre protecteur
pour le bénéficiaire : il suspend le contrat de travail sans le rompre, le bénéficiaire étant assuré
de retrouver son précédent emploi ou un emploi similaire avec une rémunération équivalente ;
il permet une affiliation gratuite à l’assurance vieillesse du parent au foyer. Toutefois
certaines clauses conditionnelles entourent ce droit : le bénéficiaire doit cesser son activité
professionnelle (être ni au chômage ni en arrêt maladie) ; les fonctionnaires sont exclus du
champ des bénéficiaires. Le proche doit avoir un lien de parenté au quatrième degré au plus
avec le bénéficiaire du congé ou bien être son conjoint ; le proche ne doit pas être en
établissement ; le proche est soit gravement handicapé (taux d’incapacité permanente d’au
moins 80%), soit en situation de perte d’autonomie (titulaire de l’APA pour les groupes 1 et 2
de la grille AGGIR).
- L’accueil temporaire “s’adresse aux personnes handicapées de tous âges et aux
personnes âgées et s’entend comme un accueil organisé pour une durée limitée, le cas échéant
sur un mode séquentiel, à temps complet ou partiel, avec ou sans hébergement, y compris en
accueil de jour” (décret du 17 mars 2004). La durée d’accueil temporaire est fixé à un
maximum de 90 jours sur un an. L’accueil temporaire est organisé en complément des prises
en charge habituelles en établissements et services. Les effectifs prévus pour l’accueil
temporaire doivent être adaptés aux catégories concernées. L’équipe thérapeutique de
l’accueil temporaire peut être renforcée en cas d’accueil de personnes lourdement
handicapées. La structure établit un projet personnalisé pour chaque malade ou handicapé. Le
dipositif doit “répondre aux besoins immédiats de la personne tout en préparant la suite de son
projet” (décret du 17 mars 2004).
- Le développement des places en SSIAD et SPASAD est financé par deux enveloppes
budgétaires : le plan handicap 2004-2007 (places pour personnes de moins de 60 ans) et le
plan vieillissement et solidarité 2004-2007 (places pour personnes de plus de 60 ans). Les
SSIAD peuvent assurer, sur prescription médicale, des soins techniques ou des soins de base
et relationnels auprès des personnes de soixante ans et plus malades ou dépendantes”
(circulaire du 28 février 2005). Le SSIAD peut faire appel à du personnel salarié du service ou
1 Ibid., p. 179.
17

à des intervenants libéraux. Son action est supervisée par un infirmier coordonnateur qui
“organise le travail des aides-soignants, des aides médico-psychologiques ainsi que des
infirmiers salariés du service”. Un professionnel libéral (pédicure podologue par exemple)
peut conclure une convention avec le SSIAD. La principale condition imposée aux SSIAD et
SPASAD est de pouvoir assurer ou faire assurer la continuité des soins, notamment par la
mise en place d’un dispositif renvoyant les demandes vers un salarié d’astreinte, un
intervenant libéral avec lequel le service aura conventionné, un autre dispositif permettant
d’assurer la continuité des soins.
- Arrangement politico-administratif et éléments procéduraux
Le PPA comporte un arrangement politico-administratif (APA) qui peut être défini
comme l’ensemble des autorités et services administratifs compétents et des règles
institutionnelles spécifiques à la mise en oeuvre d’une politique publique. Au niveau central,
le ministère de la santé avec la DGS et la DHOS, le ministère du travail avec la DGAS jouent
un rôle essentiel. A ces différentes directions s’ajoute la DSS. Au niveau décentralisé, les
départements sont chef de file en matière d’action sociale. Disposant de la ressource droit, la
DSS est chargée de préparer la loi de financement de la sécurité sociale dans laquelle elle
intègre le congé pour soutien familial. La mise en place de ce congé nécessite l’intervention
da la CNSA (cf infra) qui dispose de la ressource monétaire. DHOS et DGAS sont toutes les
deux compétentes à intervenir dans la gestion des établissements médico-sociaux. Néanmoins,
la DGAS semble tenir une place plus importante au sein de l’APA. Combinant ressources
droit (poser les règles de fonctionnement des établissements et services sociaux et médicosociaux)
et personnel (définition de la formation des professions sociales), la DGAS est
l’acteur central du PPA. Toutefois, ses compétences en matière d’action sociale sont partagées
avec les départements. En effet, selon la loi du 13 août 2004, “le département définit et met en
œuvre la politique d’action sociale”, notamment auprès des personnes âgées, avec par
exemple la mise en place de l’allocation personnalisée d’autonomie.
- Le congé de soutien familial est prévu par la loi de financement de la sécurité sociale
(art. 125). Il est précisé que ce congé permet une affiliation gratuite à l’assurance vieillesse du
parent au foyer. Pour se faire, la CNSA doit rembourser à la Caisse Nationale des Allocations
familiales la couverture des droits à la retraite des personnes bénéficiaires du congé. Les
démarches à suivre pour obtenir ce congé sont décrites dans la circulaire du 18 décembre
2007 : le bénéficiaire doit informer son employeur par courrier deux mois avant le début de
congé en précisant notamment les dates de la période de prise de congé, et en fournissant les
justificatifs requis (déclaration sur l’honneur du lien familial avec la personne aidée ;
justificatif du handicap de la personne aidée). En outre, afin d’obtenir une affiliation à
l’assurance vieillesse, le bénéficiaire salarié doit fournir à la CAF l’attestation de son
employeur précisant la période de prise de congé de soutien familial. Cette affiliation est
permise sous réserve que ses ressources ou celles de son ménage ne dépassent pas le plafond
de ressources du complément familial.
- La création d’accueil temporaire peut intervenir “dans des établissements existants,
dans des établissements nouvellement créés, dans le cadre de structures dédiées ou sous la
forme de places d’accueil temporaire dans une structure prévue pour une prise en charge au
long cours” (circulaire du 12 mai 2005). Un arrêté préfectoral autorise cette activité. Selon la
procédure de droit commun, pour bénéficier d’un accueil temporaire, le bénéficiaire doit saisir
préalablement une commission compétente, qui sur avis d’une équipe pluridisciplinaire
évaluant les besoins de la personne, détermine la durée de l’accueil, l’éventuelle périodicité de
cet accueil, les modalités de l’accueil (temps complet, accueil de journée).
18

- Concernant les services de soins à domicile, les SSIAD sont créés sous autorisation
du préfet de département après avis du Comité Régional de l’Organisation Sociale et Médico-
Sociale (CROSMS). La maladie d’Alzheimer étant classée comme ALD, Les frais afférents
aux soins dispensés sont pris en charge à 100% par l’assurance maladie. Les frais liés au
recours à des SPASAD sont financés par l’assurance maladie et par l’allocation personnalisée
d’autonomie. Dans le cadre de la création des SPASAD, il existe deux procédures. Si le
SSIAD et le service d’aide à domicile composant le SPASAD ont déjà été autorisés, un arrêté
conjoint du président du conseil général et du préfet de département porte autorisation de la
structure. Si la mise en place du SPASAD nécessite la création soit d’un service d’aide à
domicile, soit d’un SSIAD, alors, après avis du CROSMS, une autorisation est délivrée soit
par le président du conseil général (pour un service d’aide à domicile), soit par le préfet (pour
un SSIAD).
Comment considérer ce PPA ? Tout d’abord son contenu substantiel est à la foi étendu
(SSIAD, accueils temporaires) et limité, en se contentant de déclarations d’intention (droit à
la formation pour l’aidant). Par ailleurs, les éléments substantiels du PPA se combinent avec
des éléments institutionnels précis. Aussi ce PPA peut-il être qualifié de mixte. Toutefois,
nous pouvons nous interroger sur sa cohérence. Il fixe un objectif de formation de l’aidant
sans le rendre opérationnel. L’action sociale est menée par le département et l’Etat sans que le
partage des compétences soit clairement défini. En outre, la ressource monétaire peut
manquer au département pour mener à bien sa politique. Par ailleurs, en accordant une place
centrale à la DGAS et à la DSS, écartant ainsi la DGS et la DHOS dans l’APA initial, la
politique publique est privée des ressources monétaire et patrimoniale de la DHOS et se
trouve redéfinie, en ne prenant plus en compte les problèmes de santé de l’aidant. Enfin, le
PPA peut apparaître comme en partie inadapté à la maladie d’Alzheimer, notamment en ce
qui concerne les modalités du congé de soutien familial 1 .
C- L’arrangement politico-administratif (APA)
« L’arrangement politico-administratif (APA) d’une politique publique représente
l’ensemble structuré d’acteurs publics et para-étatiques qui sont chargés de sa mise en
œuvre » 2 . Autrement dit, « un APA peut être interprété comme la base organisationnelle et
procédurale d’une politique publique » 3 . Il s’agit donc ici de déterminer quelles sont les
compétences, les responsabilités et les principales ressources des acteurs publics pour
l’exécution du PPA.
Le pilotage du plan
Le 1 er février 2008, le Président de la République a confié à Florence Lustman le
pilotage interministériel de mise en œuvre du plan Alzheimer 2008-2012. Pour mener à bien
sa mission, le choix a été fait de ne pas créer une structure nouvelle, mais de confier à une
mission de pilotage l’animation et la coordination des ministères, agences et acteurs de la lutte
contre la maladie d’Alzheimer au niveau national. D’autre part, Florence Lustman dispose
dans chacun des ministères concernés par le plan (ministère de la santé, de la jeunesse, des
sports et de la vie associative, ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la
1 Limité à un an, le congé doit être déclaré deux mois avant à l’employeur. Ces différentes contraintes sont peu
compatibles avec la prise en charge d’un malade dont l’évolution de l’état de santé n’est pas prévisible.
2 Ibid., p. 197.
3 Ibid., p. 198.
19

solidarité, secrétariat d’Etat à la solidarité, et du ministère de l’enseignement supérieur et de la
recherche) d’un correspondant spécifique en charge du dossier. Enfin, deux structures ont été
créées pour piloter le plan : un comité de pilotage et un comité de suivi.
- La mission de pilotage
En charge de l’animation et de la coordination des différents acteurs impliqués dans la
mise en œuvre du plan, la mission de pilotage est une équipe restreinte et pluridisciplinaire
composée de cinq personnes :
- Florence Lustman, inspecteur général des finances, chargée du plan Alzheimer ;
- Sandrine Lemery, commissaire contrôleur général des assurances, chargée de mission
;
- Benoît Levallart, praticien hospitalier (médecin gériatre), chargé de mission ;
- Pascale Rocher, directeur d’hôpital, chargée de mission ;
- Marie Gabernet-Loubère, assistante.
Les principales missions de cette équipe sont :
- la planification du déploiement du plan et le suivi de son exécution jusqu’à l’échelon
local ;
- la mise en cohérence avec les autres politiques gouvernementales (création du
cinquième risque, loi « hôpital, santé, patients, territoires »…) ;
- l’évaluation de la mise en œuvre du plan et de ses résultats ;
- la communication sur l’avancement du plan ;
- le compte-rendu semestriel de ces missions au Président de la République.
- Le comité de suivi
Réuni trois fois par an, le comité de suivi du plan associe les pilotes des 44 mesures et
l’ensemble des acteurs de la lutte contre la maladie d’Alzheimer. Lors des séances de comité
de suivi, la mission de pilotage présente les actions réalisées, les points particuliers à signaler
et fixe les résultats à atteindre sur six mois 1 . Le tableau de suivi du plan, indicateur principal
de la réalisation des objectifs fixés, détaille l’ensemble des mesures en sous mesures, actions
et tâches. Pour chacune des 44 mesures, il indique précisément le pilote, le calendrier, le
budget, les livrables et les données à fournir.
Les acteurs du plan
20
Pour chaque mesure, le plan prévoit un pilote ayant pour principales missions :
- la définition des actions à mener pour l’application de la mesure ;
- la mise en place d’un échéancier ;
- la coordination des sous pilotes, partenaires publics, privés et associatifs de la mesure ;
- la détermination d’indicateurs ;
- le suivi de l’évolution de la dépense publique réelle par rapport au budget
prévisionnel.
Il ne s’agit pas ici de présenter l’ensemble des pilotes, sous-pilotes et partenaires
impliqués dans l’ensemble des 44 mesures du plan. Ainsi, notre analyse se bornera aux deux
volets privilégiés, à savoir l’objectif 1 (« Apporter un soutien accru aux aidants ») et 3
(« Permettre aux personnes atteintes et à leurs proches de choisir le soutien à domicile ») du
1 Les documents relatifs à chaque séance de comité de suivi (ordre du jour, liste des participants, présentation du
suivi du plan, tableau de suivi du plan, liste des livrables disponibles, relevé de décisions) sont téléchargeables
sur le site : www.plan.alzheimer.gouv.fr

plan Alzheimer 2008-2012 1 . Afin de mieux comprendre comment s’opère la distribution des
rôles pour les cinq mesures relatives aux objectifs 1 et 3, nous avons réalisé un tableau,
présenté ci-dessous.
Objectif 1
Apporter un soutien
accru aux aidants
Objectif 3
Permettre aux
personnes atteintes
et à leurs proches
de
choisir le soutien
à domicile
Les acteurs impliqués dans l’APA
Mesure 1
Développement et
diversification des
structures de
répit
Mesure 2
Consolidation des
droits et de la
formation des
aidants
Mesure 3
Amélioration du
suivi sanitaire
des aidants
naturels
Mesure 6
Renforcement du
soutien à domicile
en favorisant
l’intervention de
personnels
spécialisés
Mesure 7
Amélioration du
soutien
à domicile grâce
aux
nouvelles
technologies
Pilote Sous-pilote(s) Partenaires
CNSA
DGAS
DSS
- DGAS
- Agence
nationale
d’évaluation
sociale
et médicosociale
(ANESM)
Ministère de
l’économie,
de l’industrie et
de
l’emploi
DGAS DSS
ANR
- DGS
- Médéric Alzheimer
- France Alzheimer
- Lions club
- CNSA
- France Alzheimer
- ANESM
- Haute autorité de
santé
(HAS)
- Caisse nationale
d’assurance maladie
(CNAMTS)
- HAS
- Syndicats de
médecins
- Sociétés savantes
- Médéric Alzheimer
- CNSA
- DSS
- DGS
- Fédération des
services
de soins infirmiers
à domicile
- CNSA
- Médéric Alzheimer
Les principaux acteurs publics impliqués dans l’APA sont donc le CNSA, la DGAS, la
DSS et l’ANR.
1 Pour une présentation détaillée de l’ensemble des acteurs du plan, voir l’Annexe.
21

Ressources et institutions mobilisées par les acteurs
- La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA)
La CNSA est un établissement public créé par la loi du 30 juin 2004. La loi sur
l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées du 11 février 2005 a renforcé ses
attributions. Ses principales missions sont :
- le financement des aides en faveur des personnes âgées dépendantes et des personnes
handicapées ;
- la garantie de l’égalité de traitement sur tout le territoire et pour l’ensemble des
handicaps ;
- une mission d’expertise, d’information et d’animation pour suivre la qualité du service
rendu aux personnes.
La CNSA est donc à la fois une caisse et une agence en charge de l’autonomie des personnes
âgées et handicapées.
La CNSA rassemble l’essentiel des moyens de l’Etat et de l’assurance maladie
consacrés à l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. Dans ce cadre,
elle verse aux Conseils généraux une partie de ces ressources pour financer les aides
individuelles, à savoir l’APA pour les personnes âgées, la prestation de compensation pour les
personnes handicapées, et le fonctionnement des Maisons départementales des personnes
handicapées. Elle distribue l’autre partie de ces ressources aux établissements et services
médico-sociaux accueillant des personnes âgées ou handicapées. En d’autres termes, la CNSA
dispose de la ressource monétaire.
- La Direction générale de l’action sociale (DGAS)
Conformément au décret n° 2007-1000 du 31 mai 2007 relatif aux attributions du
ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, le ministre du travail a
conjointement avec le ministre du logement et de la ville autorité sur la DGAS. La DGAS, en
liaison avec les directions concernées des pôles travail-solidarité, logement-ville et santé, a en
charge les politiques d’interventions sociales, médico-sociales et de solidarité. Ses principales
missions sont :
- l’élaboration des mesures relatives à l’aide et l’action sociale en faveur de la famille,
de l’enfance et des personnes âgées ;
- la définition et la coordination de la politique de prise en charge, d’intégration sociale,
d’aide à domicile et d’aide à l’autonomie des personnes handicapées ;
- la définition de la politique de formation des professions sociales, des conditions de
leur exercice et des règles déontologiques applicables ;
- la détermination de la législation relative à la création et au fonctionnement des
établissements, services sociaux et médico-sociaux.
Au regard de ces missions, la DGAS est de fait un acteur essentiel du plan Alzheimer faisant
valoir ses ressources juridique, interactive, patrimoniale et humaine.
- La Direction de la sécurité sociale (DSS)
Conformément au décret n° 2007-1002 relatif aux attributions du ministre de la santé,
de la jeunesse et des sports, le ministre de la santé a conjointement avec le ministre du travail
et le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique autorité sur la DSS.
Elle a pour principales missions :
22

- d’assurer la tutelle des organismes de sécurité sociale (caisses du régime général,
caisse du régime de base des professions indépendantes autres qu’agricoles, et les
caisses de régimes spéciaux) ;
- de participer à la surveillance des organismes de protection complémentaire et de la
mutualité ;
- d’élaborer et mettre en œuvre les politiques relatives à la couverture des risques
vieillesse, maladie, famille et accident du travail ;
- de piloter le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
En charge de la préparation du PLFSS, la DSS fait est dotée de la ressource juridique.
- L’Agence nationale de la recherche (ANR)
Agence de financement de projets de recherche, l’ANR est un établissement public
créé le 1 er janvier 2007. Elle s’adresse à la fois aux établissements publics et aux entreprises
avec un double objectif : produire de nouvelles connaissances et favoriser les interactions
entre laboratoires publics et laboratoires d’entreprises en développant les partenariats.
L’article 2 du décret n° 2006-963 du 1 er août 2006 portant organisation et fonctionnement de
l’Agence nationale de la recherche précise sa mission principale : « l’ANR a pour mission de
financer et de promouvoir le développement des recherches fondamentales, appliquées et
finalisées, l’innovation et le transfert technologiques et le partenariat entre le secteur public et
le secteur privé ».
Bénéficiant d’une capacité d’engagement financier pour des projets de recherche via des
appels à projet, l’ANR est le deuxième pilote à disposer de la ressource monétaire.
Les sept dimensions de l’APA
Peter Knoepfel et al. distinguent cinq dimensions internes permettant de définir le
fonctionnement de l’APA : le nombre et le type d’acteurs, le degré de coordination
horizontale, le degré de coordination verticale, le degré de centralité et le degré de
politisation. Viennent s’ajouter deux dimensions externes aidant à situer l’APA par rapport à
son environnement : le contexte administratif et le degré d’ouverture 1 .
- Un APA pluri-actoriel
Comme nous l’avons déjà indiqué plus haut, l’APA est caractérisé par un grand
nombre d’acteurs. Cette multitude d’acteurs publics, syndicaux et associatifs s’explique
aisément par la transversalité du plan et son caractère multi-sectoriel. En effet, le plan
Alzheimer 2008-2012 se présente sous la forme de trois axes : la santé, la solidarité et la
recherche. Cette transversalité se retrouve dans le pilotage du plan dans la mesure où les
directions et les établissements publics en charge de la mise en œuvre du plan sont attachés
aux ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, au ministère du
travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, au secrétariat d’Etat à la
solidarité, et au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Toutefois, une analyse approfondie des mesures fixées par le plan nous amène à
relativiser d’une part la présence d’un grand nombre d’acteurs, et d’autre part, leur
provenance différente. La distribution des rôles et des missions laisse entrevoir un pilotage
restreint, dont les principaux acteurs sont la DGAS, la CNSA, la DSS et l’ANR. Les autres
1 Ibid, pp. 200-211.
23

acteurs publics, syndicaux ou associatifs n’ont qu’un rôle de sous-pilote ou de partenaire, en
charge le plus souvent de l’expertise ou de l’évaluation d’une mesure.
- Un APA intégré
Malgré une structure complexe incluant de nombreux acteurs et une appartenance à
des organisations différentes (directions de ministère pour la DGAS et la DSS, et
établissements publics pour la CNSA et l’ANR), l’APA que nous étudions est coordonné
horizontalement. Pour chaque mesure, nous constatons une véritable coordination entre les
différents acteurs. Cette coordination horizontale élevée s’appuie sur un pilotage clairement
défini ainsi que sur un cahier des charges précis pour chaque mesure du plan. D’autre part, la
mise en place d’un comité de suivi se réunissant trois fois par an permet à l’ensemble des
acteurs du plan d’entretenir des relations.
- Un APA cloisonné
Si le degré de coordination horizontale est élevé, il n’en va pas de même pour le degré
de coordination verticale. L’APA peut être qualifié de cloisonné compte tenu de l’autonomie
dont disposent les Conseils généraux dans l’exécution du plan en matière sociale et médicosociale.
Ainsi, la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités
locales, marque l’achèvement de l’acte II de la décentralisation en détaillant les nouveaux
transferts de compétences au profit des collectivités territoriales. Ces transferts interviennent
en matière de développement économique, de transport, d’action sociale, de logement, de
santé et d’éducation. La loi du 13 août 2004 dispose notamment que « le département définit
et met en œuvre la politique d’action sociale » (art. 49).
Il existe de facto un partage des compétences entre les acteurs centraux et les acteurs
décentralisés (Conseils généraux). En atteste l’article 56 de la loi du 13 août 2004 précisant
que « le département définit et met en œuvre l’action sociale en faveur des personnes âgées ».
Plus précisément, « il coordonne, dans le cadre du schéma départemental d’organisation
sociale et médico-sociale, les actions menées par les différents intervenants, définit des
secteurs géographiques d’intervention et détermine les modalités d’information du public ». A
ce titre, les Conseils généraux ont à leur disposition un portefeuille de ressources qui peut
entrer en concurrence avec celui des acteurs centraux, notamment dans la mise en œuvre du
plan.
- Un APA centralisé
Comme nous l’avons suggéré plus haut, le choix a été fait d’un pilotage restreint.
Concernant les deux objectifs que nous analysons, quatre acteurs ont été choisis comme
« pilotes » : la CNSA, la DGAS, la DSS et l’ANR. Les autres acteurs (publics, syndicaux et
associatifs) ne jouent quant à eux qu’un rôle de « partenaires ». Le poids, l’influence et le
pouvoir sont donc distribués selon un modèle centralisé dans lequel prédomine quatre acteursclés.
Le caractère centralisé de l’APA trouve son explication dans le fait que le plan
Alzheimer est un plan gouvernemental, faisant partie des trois grands chantiers fixé par le
Président de la République en 2007.
- Un APA politisé
Un examen de la mise sur agenda du problème et de la biographie du plan Alzheimer
laisse apparaître un APA politisé. Elevé au rang de grand chantier national aux côtés de la
lutte contre le cancer et du développement des soins palliatifs, le plan Alzheimer est porté par
le Gouvernement qui jouit à cet égard des ressources confiance et majoritaire. En ce sens,
nous pouvons émettre l’hypothèse selon laquelle le degré élevé de politisation de l’APA peut
24

expliquer son caractère cloisonné et la possible concurrence entre les acteurs centraux et
décentralisés lors des actes de mise en œuvre (outputs). Dans le cas d’une politisation d’un
APA, le risque est plus élevé de se trouver en présence de produits moins prévisibles, voire
même contradictoires, qu’avec un APA purement bureaucratique.
- Un APA hétérogène
Comme le propose le modèle analytique défendu par Peter Knoepfel et al., il s’agit ici
de « procéder à une analyse positionnelle des acteurs de l’APA » 1 . Autrement dit, les acteurs
principaux de l’APA appartiennent-ils au même contexte administratif ? Force est de
constater tout d’abord que les principaux acteurs de l’APA, bien qu’étant tous des acteurs
publics, ne sont pas de même nature. En effet, la DGAS et la DSS sont deux directions
générales, alors que la CNSA et l’ANR sont tous les deux des établissements publics. D’autre
part, ces quatre acteurs n’interviennent pas dans les mêmes domaines. Ainsi, les acteurs de
l’APA investissent des champs divers : l’action sociale (DGAS et CNSA), la santé (DSS) et la
recherche (ANR). Ce contexte administratif hétérogène atténué par la mise en place du comité
de pilotage et du comité de soutien est un handicap supplémentaire pour les acteurs dans la
perspective de l’application du plan.
- Un APA partiellement ouvert
Nous considérons que l’APA est partiellement ouvert, dans la mesure où les
interactions formelles et informelles avec les acteurs de l’environnement social immédiat sont
relativement fréquentes. Le comité de suivi permet dès lors à l’ensemble des acteurs du plan
de rentrer en contact et d’échanger sur la mise en œuvre des 44 mesures. Ensuite, le pilotage
par mesure donne l’opportunité aux différents acteurs impliqués de communiquer
fréquemment. Cependant, l’APA n’est pas ouvert à l’ensemble des acteurs. La liste des
« pilotes » et des « partenaires » en charge du pilotage du plan est ainsi clairement définie.
D- Le plan d’action (PA)
Dans une logique séquentielle, nous arrivons ici à la troisième étape de l’analyse d’une
politique publique, à savoir sa mise en œuvre. Ne pouvant pas encore étudier les actes de mise
en œuvre (outputs), nous bornerons notre analyse de la mise en œuvre au plan d’action. Nous
définissons le plan d’action comme « l’ensemble des décisions de planification considérées
comme nécessaires à la production coordonnée et ciblée de prestations administratives
(outputs) » 2 . En d’autres termes, le plan d’action « fixe donc des priorités pour la production
des actes concrets et pour l’allocation des ressources nécessaires à ces décisions et activités
administratives » 3 .
Présentation du plan Alzheimer 2008-2012
Le plan Alzheimer 2008-2012 propose de fédérer une prise en charge globale de la
maladie pour le bénéfice de la personne malade et de ses aidants. Pour ce faire, il est doté
d’un budget de 1,6 milliards (1,2 milliards d’euros pour le médico-social, 200 millions
d’euros pour la santé et 200 millions d’euros pour la recherche) 4 . Il prévoit 44 mesures
réparties en trois axes :
1 Ibid, p. 207.
2 Ibid, p. 226.
3 Ibid, p. 226.
4 Pour un résumé des financements par volets et une synthèse des financements par mesure, voir l’Annexe.
25

- la santé : « Mieux prendre en charge les malades et les aidants » ;
- la solidarité : « Se mobiliser pour un enjeu de société » ;
- la recherche : « Mieux connaître la maladie pour agir ».
Ces trois axes répondent à onze objectifs :
- apporter un soutien accru aux aidants ;
- renforcer la coordination entre tous les intervenants ;
- permettre aux personnes atteintes et à leurs proches de choisir le soutien à domicile ;
- optimiser le parcours de soins ;
- améliorer l’accueil en établissement pour une meilleure qualité de vie des personnes
atteintes de la maladie d’Alzheimer ;
- valoriser les compétences et développer les formations des professionnels ;
- fournir un effort sans précédent pour la recherche ;
- organiser un suivi épidémiologique ;
- informer et sensibiliser le grand public ;
- promouvoir une réflexion et une démarche éthique ;
- faire de la maladie d’Alzheimer une priorité européenne.
Pour avoir un aperçu des mesures préconisées par le plan, nous présenterons celles-ci dans
un tableau récapitulatif.
26
Les 44 mesures
AXE 1
Améliorer la qualité de vie des malades et des aidants
Objectif 1 : Apporter un soutien accru aux aidants
Mesure 1 : Développement et diversification des structures de répit
Mesure 2 : Consolidation des droits et de la formation des aidants
Mesure 3 : Amélioration du suivi sanitaire des aidants naturels
Objectif 2 : Renforcer la coordination entre tous les intervenants
Mesure 4 : Labellisation sur tout le territoire de « portes d’entrée unique » les « Maisons pour
l’Autonomie et l’intégration des malades d’Alzheimer » (MAIA)
Mesure 5 : Mise en place de « coordinateurs » sur l’ensemble du territoire
Objectif 3 : Permettre aux personnes atteintes et à leurs proches de choisir le soutien à
domicile
Mesure 6 : Renforcement du soutien à domicile, en favorisant l’intervention de personnes
spécialisées
Mesure 7 : Amélioration du soutien à domicile grâce aux nouvelles technologies
Objectif 4 : Optimiser le parcours de soins
Mesure 8 : Elaboration et mise en œuvre d’un dispositif d’annonce et d’accompagnement
Mesure 9 : Expérimentations de nouveaux modes de rémunération pour les professionnels de
santé
Mesure 10 : Création d’une carte d’information « Maladie d’Alzheimer » pour chaque
malade
Mesure 11 : Création des consultations mémoire dans les zones non pourvues
Mesure 12 : Création de « Centres mémoire de ressources et de recherche » dans les zones
non pourvues
Mesure 13 : Renforcement des consultations mémoire à forte activité
Mesure 14 : Surveillance des accidents iatrogènes médicamenteux
Mesure 15 : Amélioration du bon usage des médicaments
Objectif 5 : Améliorer l’accueil en établissement pour une meilleure qualité de vie des

personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer
Mesure 16 : Création ou identification, au sein des EHPAD, d’unités adaptées pour les
patients soufrant de troubles comportementaux
Mesure 17 : Création d’unités spécialisées au sein des Services de soins de Suite et de
Réadaptation (SSR), pour malades atteints d’Alzheimer
Mesure 18 : Hébergement des malades jeunes
Mesure 19 : Identification d’un « Centre national de référence pour les malades Alzheimer
jeunes
AXE 2
Connaître pour agir
Objectif 6 : Valoriser les compétences et développer les formations des professionnels
Mesure 20 : Un plan de développement de métiers et de compétences spécifiques pour la
maladie d’Alzheimer
Objectif 7 : Fournir un effort sans précédent pour la recherche
Mesure 21 : Création d’une fondation de coopération scientifique pour stimuler et
coordonner la recherche scientifique
Mesure 22 : Développement de la recherche clinique sur la maladie d’Alzheimer et
amélioration de l’évaluation des thérapies non-médicamenteuses
Mesure 23 : Allocations doctorales et post-doctorales
Mesure 24 : Poste de chefs de clinique assistants et assistants hospitalo-universitaires
Mesure 25 : Recherche en sciences humaines et sociales
Mesure 26 : Soutien de groupes de recherche sur les approches innovantes
Mesure 27 : Soutien de groupes de recherche en méthodologie et sciences humaines et
sociales
Mesure 28 : Création d’un centre de recherche sur le traitement automatisé de l’image
Mesure 29 : Etudes et suivi dans le temps d’importantes populations de malades (cohortes)
Mesure 30 : Génotypage à haut débit Exploitation du séquençage du génome du microcèbe
Mesure 31 : Exploitation du séquençage du génome du microcèbe
Mesure 32 : Formation à l’épidémiologie clinique
Mesure 33 : Développement des liens entre la recherche publique et l’industrie
Objectif 8 : Organiser un suivi épidémiologique
Mesure 34 : Mise en place d’un suivi épidémiologique
AXE 3
Se mobiliser pour un enjeu de société
Objectif 9 : Informer et sensibiliser le grand public
Mesure 35 : Mise en place d’un numéro unique et d’un site Internet d’information et
d’orientation locale
Mesure 36 : Tenues d’assises régionales pour accompagner la mise en œuvre du plan
Objectif 10 : Promouvoir une réflexion et une démarche éthique
Mesure 37 : Connaissance du regard porté sur la maladie
Mesure 38 : Création d’un espace de réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer
Mesure 39 : Lancement d’une réflexion sur le statut juridique de la personne atteinte de la
maladie d’Alzheimer en établissement
Mesure 40 : Organisation régulière de rencontres autour de la thématique de l’autonomie de
la personne souffrant d’une maladie d’Alzheimer
Mesure 41 : Information des malades et leurs proches sur les protocoles thérapeutiques en
cours en France
Objectif 11 : Faire de la maladie d’Alzheimer une priorité européenne
Mesure 42 : Inscription de la lutte contre la maladie d’Alzheimer comme priorité de l’Union
27

européenne lors de la présidence française
Mesure 43 : Valorisation et promotion de la recherche au plan européen
Mesure 44 : Tenue d’une conférence européenne à l’automne 2008
Présentation du plan d’action étudié
Le PA que nous analysons ici correspond aux objectifs 1 et 3 du plan Alzheimer 2008-
2012. Le PA comprend donc les mesures 1, 2, 3, 6 et 7. Nous examinerons le PA en détaillant
pour chaque mesure : l’objectif poursuivi, les actions envisagées, les acteurs impliqués et le
financement prévu.
- Mesure n°1 : Développement et diversification des structures de répit
- Objectif
Il s’agit de proposer une offre diversifiée de structures de répit sur l’ensemble du territoire, en
garantissant l’accessibilité à ces structures. Un triple objectif est ainsi poursuivi : assurer une
prise en charge de qualité pour la personne malade, tout en garantissant un temps de répit
pour l’aidant, et en permettant le recours à ces structures par des mesures financières
appropriées.
- Mesures
Quatre mesures sont retenues :
- l’évaluation des dispositifs existants ;
- l’expérimentation puis la généralisation de formules de répit innovantes ;
- la rédaction d’un cahier des charges pour donner à toutes les structures de répit une
dimension thérapeutique ;
- la rédaction d’un guide pour la création de centres d’accueil de jour et l’ouverture de
places de répit.
- Financement
Les expérimentations représentent un coût de 2,5 M d’euros par an (sur une durée de 2 ans).
Le financement additionnel de ces accueils de jour, par rapport aux créations déjà prévues,
ainsi que le financement du transport, représentent un total de 169,5 M d’euros sur 5 ans.
- Mesure n° 2 : Consolidation des droits et de la formation des aidants
- Objectif
Dans la lignée de la conférence nationale de la famille du 3 juillet 2006, qui avait inscrit
comme premier axe de ses recommandations la reconnaissance et le soutien des aidants
familiaux, l’objectif est double : renforcer les droits et la formation de l’aidant ainsi
qu’accompagner l’aidant dans le retour à l’emploi.
- Mesures
Deux mesures sont proposées :
- la mise en place de deux journées de formation par an pour chaque aidant familial ;
- la mise en œuvre d’une aide à la reprise d’activité pour les aidants familiaux.
- Financement
Les formations représentent un coût de 2,5 M d’euros par an. Le financement de l’aide à la
reprise d’activité correspond à 1 M d’euros par an.
28

- Mesure n° 3 : Amélioration du suivi sanitaire des aidants naturels
- Objectif
Dans un souci de prise en compte de l’état de santé de l’aidant, l’objectif est double : offrir
une consultation par an pour chaque aidant qui le souhaite et permettre à 70% des aidants des
patients en ALD de bénéficier de cette consultation.
- Mesures
Trois mesures sont présentées :
- l’inscription de cette dimension dans les recommandations ALD concernant la maladie
d’Alzheimer ;
- l’identification de ce thème dans la formation continue des médecins ;
- la mise en place d’une action de sensibilisation des aidants sur le « lieu unique »
(Maisons pour l’Autonomie et l’Intégration des malades Alzheimer).
- Financement
Le financement – assuré par l’assurance maladie – correspond à 5 M d’euros par an.
- Mesure n° 6 : Renforcement du soutien à domicile, en favorisant l’intervention de
personnels spécialisés
- Objectif
L’amélioration de l’offre à domicile de services de soins et d’aide passe par un triple objectif :
créer une formation d’assistant en gérontologie, offrir une nouvelle formation adaptée à la
spécificité de la dépendance psychique, et constituer des équipes spécialisées comprenant des
assistants en gérontologie, des psychomotriciens et des ergothérapeutes.
- Mesures
Quatre mesures sont retenues :
- la création de 500 équipes spécialisées (soit 5000 places de services à domicile) ;
- l’encouragement à la coordination des professionnels libéraux ;
- la mise en place d’un « coordinateur » pour assurer le lien entre les équipes
spécialisées et les autres intervenants (psychiatres, neuropsychologue), en liaison avec
le médecin traitant ;
- l’intégration dans le Plan Métiers de la question de la formation par les régions des
ergothérapeutes et des psychomotriciens.
- Financement
169 M d’euros sont prévus au total, dont 75 M pour la création des 500 équipes spécialisées.
- Mesure n° 7 : Amélioration du soutien à domicile grâce aux nouvelles technologies
- Objectif
Il s’agit de développer la domotique et les nouvelles technologies de l’information et de la
communication (NTIC) en faveur des personnes malades, par des appels à projets
pluridisciplinaires. Ces projets seront développés à partir du pôle de compétitivité sur les
géronto-technologies, créé à Grenoble en 2007.
- Mesure
Un appel à projets sur la domotique et les NTIC destinés à compenser la perte d’orientation et
d’autonomie sera lancé en 2009.
29

- Financement
Le coût de cette mesure se porte à 4 M d’euros sur un an (2009-2010).
Les quatre dimensions du PA
Peter Knoepfel et al. recommandent de tenir compte de quatre éléments pour l’analyse
du PA : le degré de formalisation, le degré de discrimination, le degré de restructuration de
l’APA et le degré d’affectation des ressources 1 .
- Un PA explicite
Comme le suggèrent Peter Knoepfel et al., nous observons aujourd’hui une « réelle
tendance à organiser formellement les plans d’action, comme un élément de production d’un
consensus lors de la mise en œuvre effective de la politique publique » 2 . Le plan d’action que
nous étudions ne déroge pas à cette tendance. Ce plan d’action « officiel » est connu de tous
les acteurs de la politique publique. Plus largement, le label « grande cause nationale »
attribué par le Premier ministre, par une décision du 27 juillet 2007 à la campagne organisée
par le « Collectif Alzheimer grande cause nationale » sur le thème de la maladie d’Alzheimer,
a permis au plan 2008-2012 de disposer d’une campagne d’information et de communication
importante. Grâce au label, la campagne a notamment bénéficié de tarifs préférentiels sur les
chaînes publiques nationales de radio et de télévision. Enfin, le grand public a également
accès à l’ensemble des informations relatives au plan Alzheimer 2008-2012 sur le site :
www.plan-alzheimer.gouv.fr.
- Un PA discriminatoire
Nous considérons que le PA que nous étudions s’apparente davantage à un PA
entonnoir plutôt qu’un PA arrosoir, pour reprendre une image pratique. Le PA fixe ainsi des
priorités temporelles, géographiques et sociales clairement définies. Pour chaque mesure du
plan, les acteurs, le calendrier, le financement et l’évaluation des actes de mise en œuvre sont
formellement établis. Comme nous l’avons déjà expliqué plus haut, les rôles sont distribués
selon un schéma pilote-partenaires. Ainsi, un cahier des charges est élaboré pour chaque
mesure. Un échéancier annuel et pluriannuel précis sont également mis en place. Il en est de
même pour le financement du plan, qui est détaillé pour chaque mesure et sous-mesures.
Enfin, une évaluation annuelle et pluriannuelle des actions entreprises est prévue. Pour étayer
notre propos, nous présentons sous la forme d’un tableau l’exemple de la mesure n° 6.
1 Ibid, pp 233-236.
2 Ibid, p. 233.
30

Un PA en entonnoir, l’exemple de la mesure n° 6
Acteurs Calendrier Financement Evaluation
Pilote :
DGAS
Sous-pilote :
DSS
Partenaires :
DGS, Fédération des
services infirmiers à
domicile
2008
- Adaptation de la
tarification des
SSIAD
- Etude par la HAS et
la DSS de la
coordination libérale
- Etudes des
modalités de
formation des
ergothérapeutes et
psychomotriciens
2009
Mise en place des
coordinations
libérales
2009-2012
Création des équipes
par montée en charge
progressive
Total sur 5 ans
169 M€ dont 75 M€
pour la création des
500 équipes
spécialisées
2008
4 M€
2009
15 M€
2010
30 M€
2011
45 M€
2012
75 M€
Indicateurs de
processus
- Modification de
l’article D 312-2 du
code de l’action
sociale des familles
pour compléter la
liste des
professionnels des
SSIAD intervenant à
domicile
- Création de
nouveaux centres de
formation pour les
ergothérapeutes et les
psychomotriciens
Indicateurs de
résultats
- Nombre de places
de SSIAD
spécialisées crées /
nombre de malades
d’Alzheimer (ALD)
à domicile
-Nombre de
SPASAD créés
-Nombre de
groupements de
coopération créés
(GCSMS) intégrant
un SSIAD
-Nombre de
coopérations
libérales
« Alzheimer » crées
-Nombre malades
Alzheimer à domicile
/ nombre de malades
d’Alzheimer en
établissement (ALD)
-Nombre de
professions formées
31

- Un PA avec une faible restructuration de l’APA
Nous n’assistons pas à une restructuration de l’APA, dans la mesure où les acteurs
présents dans l’APA restent inchangés. Ayant développé les questions du pilotage du plan et
de la répartition des tâches entre les différents acteurs impliqués, nous ne reviendrons pas ici
sur ce point. Toutefois, nous tenons à faire remarquer que les Conseils généraux ne sont pas
mentionnés dans le plan, malgré leur partage de compétences en matière d’action sociale avec
les acteurs centraux.
- Un PA avec une affectation claire des ressources
Comme pour la dimension précédente, nous ne traiterons pas cet élément d’analyse
dans le détail (cf. Un PA discriminatoire). Rappelons cependant que le plan d’action établit
clairement quelles ressources sont à la disposition de quels acteurs pour la mise en œuvre,
comme le montre l’exemple de la mesure n° 6 présenté plus haut. Le PA indique de fait les
priorités à suivre et met à disposition des moyens financiers selon une planification financière
à court et à moyen terme.
En définitive, notons que le plan d’action étudié peut être considéré comme un
véritable instrument d’action publique. En effet, celui-ci est formulé de manière explicite,
procède à des discriminations claires dans un cadre temporel donné, structure les tâches et les
compétences de chaque acteur appartenant à l’APA et lie les ressources administratives
allouées à des décisions spécifiques.
Conclusion
Le modèle d’analyse proposé par Peter Knoepfel, Corinne Larrue et Frédéric Varone a
une valeur heuristique indéniable et aide à la compréhension du plan Alzheimer 2008-2012 et
des logiques sociales et politiques qui le sous-tendent. Ainsi, nous avons pu mettre en lumière
l’intégration du plan Alzheimer dans la problématique plus large de la dépendance et de
l’autonomie. En outre, nous avons tenté d’éprouver nos hypothèses portant sur la
reconnaissance de l’aidant et sur les services de soins à domicile.
Alzheimer et enjeu de l’autonomie
Le plan Alzheimer s’insère dans un espace de politiques publiques déjà balisé. En effet
le plan est intimement lié aux enjeux de la dépendance et de l’autonomie des personnes âgées
et/ou handicapées. La mise sur agenda de la maladie est principalement le fait des gériatres et
des associations de malades. Les gériatres utilisent la maladie d’Alzheimer reconnue comme
pathologie autonome pour acquérir une légitimité disciplinaire. Mais cette appropriation par
les gériatres de la maladie l’assimile à la question de la dépendance et de l’autonomie, qui
sont au coeur des problématiques gériatriques. L’association France Alzheimer, et dans une
moindre mesure, la Fondation Médéric Alzheimer, en s’appuyant sur leur ressource cognitive
fondée sur l’expérience de la maladie, mettent en avant le rôle de l’aidant dans la prise en
charge du malade au domicile qui concerne une majorité de personnes et cherchent à obtenir
sa reconnaissance par les pouvoirs publics. Ainsi, le problème public de la maladie
d’Alzheimer est posé en termes de maintien à domicile et de soutien à l’aidant. Cette
32

inscription de la maladie, entendue comme problème public, dans l’espace des politiques
publiques portant sur l’autonomie se retrouve dans le PPA. Ce PPA sert d’appui au plan
Alzheimer considéré comme plan d’action, tout en s’avérant parfois inadapté à la maladie.
Discussion sur les hypothèses
La reconnaissance du rôle de l’aidant, encouragée plus particulièrement par les
associations de malades, s’appuie sur des règles et normes portant sur l’aidant familial d’une
personne handicapée édictés dans les années 2000. Le plan Alzheimer reprend en effet l’idée
d’une formation offerte aux aidants, principe déjà posé – mais sous la forme d’une simple
déclaration d’intention – dans la loi du 11 février 2005. Par ailleurs, un congé de soutien
familial fut créé en 2007, dans cette même logique de reconnaissance de l’aidant. Toutefois,
ce nouveau droit s’avère être peu adapté à la maladie d’Alzheimer (limité à un an, déclaré
deux mois à l’avance à l’employeur). D’où la mise en place d’une aide à la reprise d’activité
pour compléter ce précédent dispositif. En outre, conformément aux demandes des
associations intégrés à l’APA en tant que partenaires, l’aidant est conçu comme un “second”
malade qui doit être suivi médicalement. Cependant, la non-intégration de la DGS dans la
mise en oeuvre de cette mesure pose question. Compétente dans la définition des pratiques
professionnelles, la DGS apparaît comme l’acteur administratif pertinent pour améliorer le
suivi sanitaire des aidants.
Concernant les structures de répit et les services de soins à domicile, nous avions posé
l’hypothèse d’un potentiel frein à leur développement du fait d’un double cloisonnement
médical/médico-social et Etat central/départements. Cette hypothèse est partiellement validée
par l’analyse de l’APA du plan Alzheimer. Si l’APA semble avoir un degré de coordination
horizontale élevé, il n’en va pas de même pour le niveau de coordination verticale. Chef de
file en matière d’action sociale depuis la loi du 13 août 2004, le département “définit et met
en œuvre l’action sociale en faveur des personnes âgées”. Or les conseils généraux ne sont pas
associés directement à la mise en oeuvre du plan. En outre, les départements disposent d’une
batterie de ressources qui peuvent potentiellement entrer en concurrence avec les acteurs
centraux (ressource monétaire avec l’allocation personnalisée d’autonomie ; ressources
cognitive et interactive avec les schémas gérontologiques ; etc.). Nous supposons que le
cloisonnement de l’APA provient de son caractère politisé. Par ailleurs, la question du
cloisonnement médical/médico-sociale semble avoir été résolue par la mise à l’écart de la
DHOS au profit de la DGAS. Cette éviction pose la question de la réelle mise en oeuvre des
mesures, au regard des importantes ressources dont dispose la DHOS (ressources
patrimoniale, humaine, monétaire).
Limites et nouveau questionnement
Parvenus au terme de notre recherche, nous constatons que le modèle d’analyse
défendu par Peter Knoepfel et al., nous a permis de vérifier en partie nos hypothèses de
travail. Il convient de souligner ici une des limites de notre analyse du plan Alzheimer 2008-
2012 à travers ses objectifs 1 et 3. Compte tenu du manque de recul, nous n’avons pas pu
étudier les produits 5 et 6, à savoir les actes de mise en œuvre (outputs) et les énoncés
évaluatifs sur les effets (impacts et outcomes). Ainsi, il serait pertinent de poursuivre la
discussion de notre deuxième hypothèse de travail. Dans une perspective plus analytique que
prescriptive 1 , il conviendrait d’analyser les produits 5 et 6 du plan afin d’observer si la mise
en œuvre de celui-ci ne se trouve pas entravée par l’autonomie dont disposent les conseils
1 Cf. « Tableau 9 : Utilité du modèle selon le niveau et l’ambition de la recherche empirique », Ibid, p. 289.
33

généraux en matière sociale et médico-sociale, aboutissant à une potientielle mise en œuvre
hétérogène sur le territoire.
Enfin, il serait intéressant d’appliquer le modèle d’analyse à l’ensemble des mesures
du plan Alzheimer 2008-2012 et de le replacer dans le contexte de la « nouvelle planification
sanitaire et sociale » 1 . En effet, comme le montrent Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès, les
instruments d’action publique (IAP) ne sont pas des institutions neutres 2 . Par conséquent, le
choix de l’instrument plan n’est pas qu’un choix technique. Cet instrument de pilotage est
porteur de valeurs, d’une interprétation du social et de conceptions précises du mode de
régulation envisagé.
1
JOURDAIN Alain, BRECHAT Pierre-Henri (dirs.), La nouvelle planification sanitaire et sociale, Rennes,
Presses de l’EHESP, 2008.
2
LASCOUMES Pierre, LE GALES Patrick (dirs.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences
Po, 2004.
34

Les principaux acteurs du plan
Annexes
Pilotes Mesures
Cabinet recherche 42
Cabinet santé 42
Cabinet solidarité 4 20 35 39
Direction générale de l’action sociale 2 5 6 16 18
Direction générale de la santé 8 10 14 36 37 40 41 44
Direction de l’hospitalisation et de
l’organisation des soins
11 12 13 17 19 22 24 34 38
Direction de la sécurité sociale 3 9
Agence nationale de la recherche 7
Caisse nationale de solidarité pour
1
l’autonomie
Fondation de coopération scientifique 21 23 25 26 27 28 29 30 31 33 43
Haute autorité de santé 15
Les autres acteurs et partenaires du plan
Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS)
Agence nationale d’évaluation sociale et médico-sociale (ANESM)
Assemblée des départements de France (ADF)
Association des neurologues libéraux de langue française
Caisse des dépôts et des consignations
Caisse nationale d’assurance maladie (CNAMTS)
Collectif Alzheimer
Délégation aux affaires européennes et internationales du ministère de la santé (DAEI)
Délégation à l’information et à la communication du ministère de la santé (DICOM)
Direction générale de la santé (DGS)
DGUHC
Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS)
Fédération hospitalière de France (FHF)
Fédération nationale de la mutualité française (FNMF)
Gérontopôle de Toulouse
Institut Alzheimer
Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES)
Institut national de la veille sanitaire
Institut de Santé publique, d’Epidémiologie et de Développement (ISPED Bordeaux)
Les entreprises du médicament (LEEM)
Lions club
Fondation Médéric Alzheimer
Ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi
Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche
35

Ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité
Missions régionales de santé (MRS)
Mutualité sociale agricole (MSA)
Régime social des indépendants (RSI)
Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG)
Société française de neurologie (SFN)
Syndicats de médecins
Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM)
Institut national de veille sanitaire
Source : www.plan-alzheimer.gouv.fr
Résumé des financements
1,6 milliard d’euros sur 5 ans / 300 millions d’euros dès 2008
Le volet médico-social plus d’1,2 milliard d’euros
Les dépenses s’élèveront à 254 millions d’euros en 2008.
Le financement est assuré par l'assurance maladie et la Caisse Nationale pour la Solidarité et l'Autonomie.
Le volet sanitaire plus de 200 millions d’euros
Les dépenses s’élèveront à 254 millions d’euros en 2008.
Les dépenses sanitaires représenteront 23 millions d’euros en 2008, principalement assurées par l’assurance
maladie.
Le volet recherche 200 millions d’euros
La création d’une Fondation de coopération scientifique, permettra de stimuler et coordonner les recherches sur
la maladie d’Alzheimer en France, et d’attirer des ressources publiques et privées vers cette thématique.
En 2008 : il est prévu une dépense de 29 millions d’euros (dont une dotation initiale en capital de la Fondation de
Coopération Scientifique de 14,4 M€ par l’Etat).
36
2008 2009 2010 2011 2012
Volet médico-social 254 134 202 274 379 1242
dont fonctionnement 74 134 202 274 379 1062
dont investissement 180 180
Volet sanitaire
(hors recherche clinique)
Volet recherche
(hors recherche clinique)
23 44 48 53 59 226
29 42 38 46 45 201
TOTAL 306 220 288 373 482 1669
Synthèse des financements par mesure
total des dépenses
liées aux mesures

(en M€)
2008 2009 2010 2011 2012
AXE I. AMELIORER LA QUALITE DE VIE DES MALADES ET DES AIDANTS
Objectif n°1
mesure n°1
mesure n°2
mesure n°3
Objectif n°2
mesure n°4
mesure n°5
Apporter un soutien accru aux
aidants
Développement et diversification des
structures de répit
Consolidation des droits et de la
formation des aidants
21,3 27,6 33,9 40,2 46,5 169,5
2,5 3,5 3,5 3,5 3,5 16,5
Amélioration du suivi sanitaire des
5 5 5 5 20
aidants naturels
Renforcer la coordination entre
tous les intervenants.
Labellisation sur tout le territoire de «
portes d’entrée unique »
les « Maisons pour l’Autonomie et
l’Intégration
des malades Alzheimer » (MAIA)
Mise en place de « coordonnateurs »
sur l’ensemble du territoire
5,3 5,3 5,3 5,3 6,7 27,9
2,5 6,0 15,0 30,0 60,0 113,5
total des dépenses
liées aux mesures
Objectif n°3 Permettre aux personnes atteintes et à leurs proches de choisir le soutien à domicile
mesure n°6
mesure n°7
Renforcement du soutien à domicile,
en favorisant l’intervention de
personnels spécialisés
4,0 15,0 30,0 45,0 75,0 169,0
Amélioration du soutien à domicile
2 2 4,0
grâce aux nouvelles technologies
Objectif n°4 Optimiser le parcours de soins
mesure n°8
mesure n°9
mesure n°10
mesure n°11
mesure n°12
mesure n°13
mesure n°14
mesure n°15
Elaboration et mise en œuvre d’un
dispositif
d’annonce et d’accompagnement
Expérimentations de nouveaux
modes de rémunération
pour les professionnels de santé
Création d’une carte d’information
« Maladie d’Alzheimer » pour chaque
malade
Création des consultations mémoire
dans les zones non pourvues
Création de « centres mémoire de
ressources et de recherche »
dans les zones non pourvues
Renforcement des consultations
mémoire à forte activité
Surveillance des accidents
iatrogènes médicamenteux
Amélioration du bon usage des
médicaments
0,10 0,10
0,11 0,11 0,22
6,92 9,38 9,38 9,38 9,38 44,44
1,14 1,14 1,14 1,14 1,14 5,7
7 11,3 12,3 12,3 12,3 55,2
0,2 0,2
Objectif n°5 Améliorer l'accueil en établissement pour une meilleure qualité de vie des personnes
0,2
37

mesure n°16
mesure n°17
38
atteintes de la maladie d'Alzheimer
Création ou identification, au sein des
EHPAD,d’unités adaptées pour les
patients souffrant de troubles
comportementaux
création de 12 000 places
spécifiques Alzheimer
adaptation en personnels de 18 000
places existantes
investissements - reconstruction et
adaptation de 15 000 places
Création d’unités spécialisées au sein
des services de Soins de Suite et de
Réadaptation (SSR), pour malades
atteints d’Alzheimer
12 24 36 48 60 180,0
25,2 50,4 75,6 100,8 126 378,0
180,0 180,0
fonctionnement 2,40 7,80 13,20 18,60 24,00 66,00
investissement 2,40 5,40 5,40 5,40 5,40 24,00
mesure n°18 Hébergement des malades jeunes 0,2 0,2
mesure n°19
Identification d’un « centre national
de référence pour les malades
Alzheimer jeunes»
0,6 0,6 0,6 0,6 0,6 3,0
Objectif n°6 Valoriser les compétences et développer les formations des professionnels
mesure n°20
Un plan de développement de
métiers et de compétences
spécifiques pour la maladie
d’Alzheimer
AXE II. CONNAITRE POUR AGIR
Objectif n°7 Fournir un effort sans précédent pour la recherche
mesure n°21
mesure n°22
mesure n°23
mesure n°24
Appels à projets de l’agence
nationale de la recherche,
et recherches dans les organismes
Création d’une fondation de
coopération scientifique
pour stimuler et coordonner la
recherche scientifique
Dotation en capital de la fondation
par l'Etat
(hors dépenses déjà prévues par le
plan)
Développement de la recherche
clinique sur la maladie d’Alzheimer et
amélioration de l’évaluation des
thérapies non-médicamenteuses
Allocations doctorales et postdoctorales
Postes de chefs de clinique
assistants et
assistants hospitalo-universitaires
10,00 15,00 15,00 15,00 15,00 70,0
0,26 0,32 0,32 0,32 0,32 1,54
10,00 10,00
3,00 6,00 9,00 12,00 15,00 45,0
1,10 1,10 1,10 1,10 1,10 5,5
0,84 0,84 0,84 0,84 3,4

mesure n°25
mesure n°26
mesure n°27
mesure n°28
mesure n°29
Recherche en sciences humaines et
sociales 2,06 2,06 2,06 2,06 8,24
Soutien de groupes de recherche sur
des approches innovantes 1,42 1,42 1,42 1,42 5,68
Soutien de groupes de recherche en
méthodologie et Sciences Humaines
et Sociales
Création d’un ventre de recherche
sur le traitement automatisé de
l’image
Études et suivi dans le temps
d'importantes populations de
malades (cohortes)
1,23 1,23 1,23 1,23 4,92
8,00 3,00 8,00 4,00 23,00
1,15 1,15 2,72 2,72 2,72 12,03
mesure n°30 Génotypage à haut débit 3,20 2,15 5,35
mesure n°31
Exploitation du séquençage du
génome du microcèbe
0,20 1,24 1,24 1,24 1,24 5,16
mesure n°32 Formation à l'épidémiologie clinique 0,20 0,40
mesure n°33 Formation à l'épidémiologie clinique 0,16 0,16 0,16 0,16 0,40
Objectif n°8 Organiser un suivi épidémiologique
mesure n°34
Mise en place d’un suivi
épidémiologique
AXE III. SE MOBILISER POUR UN ENJEU DE SOCIETE
Objectif n°9 Informer et sensibiliser le grand public
mesure n°35
mesure n°36
mesure n°37
Mise en place d’un numéro unique et
d’un site Internet d’information et
d’orientation locale
Tenues d’assises régionales pour
accompagner la mise en oeuvre du
plan
Connaissance du regard porté sur la
maladie
Objectif n°10 Promouvoir une réflexion et une démarche éthique
mesure n°38
mesure n°39
mesure n°40
mesure n°41
Création d’un espace de réflexion
éthique sur la maladie d’Alzheimer
Lancement d’une réflexion sur le
statut juridique de la personne
atteinte de la maladie d’Alzheimer en
établissement
Organisation régulière de rencontres
autour de la thématique de
l’autonomie de la personne souffrant
d’une maladie d’Alzheimer
Information des malades et leurs
proches sur les protocoles
thérapeutiques en cours en France
Objectif n°11 Faire de la maladie Alzheimer une priorité européenne.
mesure n°42 Inscription de la lutte contre la
1,1 0,3 0,3 0,3 0,3 2,3
0,7 0,2 0,9 0,9 0,9 3,6
2,3 2,3
0,1 0,1
0,4 0,4 0,4 0,4 0,4 2,0
0,03 0,03 0,03 0,03 0,03 0,2
0,05 0,05 0,05 0,05 0,05 0,3
39

mesure n°43
mesure n°44
40
maladie d’Alzheimercomme priorité
de l’Union européenne lors de la
présidence française
Valorisation et promotion de la
recherche au plan européen
Tenue d'une conférence européenne
à l'automne 2008
Source : www.plan-alzheimer.gouv.fr
0,3 0,3
306 220 288 373 482 1669

Ouvrages et articles
Bibliographie
BEARD Renée L., « Advocating voice : organisational, historical and social milieux of the
Alzheimer’s disease movement », in Sociology of health and illness, vol. 26, 2004, pp. 797-
819
Expertise collective, Maladie d’Alzheimer-enjeux scientifiques, médicaux et sociétaux, Les
éditions Inserm, 2007
Fondation Médéric Alzheimer, Analyse et revue de la littérature française et internationale
sur l’offre aux aidants de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de maladies
apparentées, novembre 2008
FOX Patrick, “From senility to Alzheimer’s disease : the rise of the Alzheimer’s disease
movement”, in The Milbank Quarterly, n°67, 1989, pp. 58-102
GUILLEMARD Anne-Marie, Le déclin du social, Paris, PUF, 1986
JOURDAIN Alain, BRECHAT Pierre-Henri (dir.), La nouvelle planification sanitaire et
sociale, Rennes, Presses de l’EHESP, 2008
KNOEPFEL Peter, LARRUE Corinne, VARONE Frédéric, Analyse et pilotage des politiques
publiques, Genève-Bâle-Munich, Helbing&Lichtenhahn, 2001
LASCOUMES Pierre, LE GALES Patrick (dir.), Gouverner par les instruments, Paris,
Presses de Sciences Po, 2004
MOULIAS Robert, “Commentaires sur le rapport Ménard”, in Gérontologie, n°146, 2ème
trimestre 2008, pp. 7-33
NGATCHA-RIBERT Laëtitia, “D’un no man’s land à une grande cause nationale, les
dynamiques de la sortie de l’oubli de la maladie d’Alzheimer”, in Gérontologie et société,
n°123, décembre 2000, pp. 229-247
ROBERT-BOBEE Isabelle, “Projections de la population 2005-2050 – Vieillissement de la
population en France métropolitaine”, in Economie et statistique, n° 408-409, 2007, pp. 95-
112
41

Sources juridiques
- article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
- article 34 de la Constitution sur les lois de financement de la sécurité sociale
- loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale
- loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales
- loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et
la citoyenneté des personnes handicapées
- loi n°2006-1640 de financement de la sécurité sociale du 21 décembre 2006
- décret n°2004-231 du 17 mars 2004 relatif à la définition et à l’organisation de l’accueil
temporaire des personnes handicapées et des personnes âgées
- décret n°2004-613 du 25 juin 2004 relatif aux conditions techniques d’organisation et de
fonctionnement des services de soins infirmiers à domicile
- décret n° 2006-963 du 1 er août 2006 portant organisation et fonctionnement de l’Agence
nationale de la recherche
- décret n°2007-573 du 18 avril 2007 relatif au congé de soutien familial
- décret n° 2007-1000 du 31 mai 2007 relatif aux attributions du ministre du travail, des
relations sociales et de la solidarité
- décret n° 2007-1002 du 31 mai 2007 relatif aux attributions du ministre de la santé, de la
jeunesse et des sports
- circulaire DGAS/2 C n° 2005-111 du 28 février 2005 relative aux conditions d’autorisation
et de fonctionnement des services de soins à domicile
- circulaire DGAS/SD3C n° 2005-224 du 12 mai 2005 relative à l’accueil temporaire des
personnes handicapées
- circulaire DSS n° 2007-446 du 18 décembre 2007 relative au congé de soutien familial
Sites Internet
www.plan-alzheimer.gouv.fr
www.travail.solidarité.gouv.fr
www.securite-sociale.fr
www.agence.nationale-recherche.fr
www.cnsa.fr
www.sante-jeuness-sports.gouv.fr
42

La regularisation des sans-papiers par le travail
de Noémie Bonnin, David Bousquet, Guillaume Brejassou et Dimitri Oudin
Cours : Analyse et pilotage des politiques publiques
Année : 2009
Professeur : Peter Knoepfel
Formation : Master Sciences de gouvernement comparées
Institut : Institut d'Etudes Politiques de Grenoble
Introduction
Notre travail portera sur la régularisation des sans-papiers au travers de l’article 40 de la loi n°
2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, lequel a été complété
par deux circulaires, celle du 20 décembre 2007, « relative aux autorisations de travail
délivrées aux ressortissants des nouveaux Etats membres de l’Union européenne pendant la
période transitoire et des Etats tiers, sur la base de listes de métiers connaissant des difficultés
de recrutement » ainsi que celle du 7 janvier 2008 dont l’objet est la délivrance de cartes de
séjour portant la mention « salariée » au titre de l’admission exceptionnelle au séjour.
Contexte général
L’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République a eu pour conséquence
l’institutionnalisation d’un ministère de l’Immigration de l'intégration, de l'identité nationale
et du codéveloppement. La création d’un tel ministère en France est un phénomène nouveau
qui peut s’expliquer par la volonté du Président Sarkozy de transformer la configuration des
dynamiques migratoires vers la France. C’est dans cette perspective que M. Sarkozy a fixé à
son ministre Brice Hortefeux « l’objectif que l’immigration économique représente 50% du
flux total des entrées à fin d’installation durable en France. 53 »
Cette volonté d’évoluer vers une immigration principalement motivée par des raisons
professionnelles est justifiée au travers du processus discursif de légitimation opposant une
immigration « subie » et une immigration choisie, cette dernière étant parfaitement résumée
en ces termes par Brice Hortefeux :
L’immigration choisie et concertée, c’est le contraire de l’immigration zéro, qui n’est ni possible,
ni souhaitable. Et c’est aussi le contraire de l’immigration subie – subie par les Français, subie par
les immigrés résidant légalement en France et subie, aussi, par les migrants clandestins euxmêmes,
qui sont souvent les victimes de filières et qui ne trouvent en France que l’échec. […]
L’immigration choisie […] c’est donc une immigration régulée, d’autant mieux acceptée par nos
compatriotes qu’ils auront conscience de sa contribution positive à la vie de notre nation. […] La
transformation de notre politique d’immigration a une exigence : le rééquilibrage des différentes
composantes de l’immigration, au profit de l’immigration pour motifs professionnels. […] Nous le
savons, une ouverture maîtrisée de notre marché du travail à des salariés étrangers peut être une
source de gains de croissance et donc d’une prospérité accrue pour notre pays 54 .
53 N. Sarkozy (9 juillet 2007) « Lettre de mission de M. Nicolas SARKOZY, Président de la République,
adressée à M. Hortefeux, ministre de l'Immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du
codéveloppement. »
54 B. Hortefeux (18 juillet 2007) « Discours lors des ‘Journées de la coopération internationale
et du développement. »

C’est dans ce contexte de volontarisme politique porté en premier lieu par le Président
Sarkozy et son ministre de l’Immigration Brice Hortefeux que s’inscrit la loi du 7 novembre
2007, laquelle ouvre la possibilité aux sans-papiers d’être régularisés par l’obtention d’une
carte de séjour portant la mention « salarié ». Cette disposition s’inscrit dans une certaine
rupture en ce qu’au travers du processus de régularisation, elle traite du problème du travail
clandestin des sans-papiers qui n’a été que rarement porté à l’agenda par les gouvernements
successifs, voire même qui a été souvent, de manière délibérée, passé sous silence 55 .
Problématique
Les dispositifs ouvrant la voie à la régularisation des sans-papiers par le travail sont sélectifs.
En effet, et tel que nous l’expliquerons plus en détail au cours de notre étude, la régularisation
se fait, à l’origine, sur la base de deux listes de métiers, une relativement large pour les
ressortissants des pays membres de l’Union européenne en transition, une autre, plus
restreinte, à destination des ressortissants des pays tiers. En d’autres termes, le travail n’a ici
pas de valeur intrinsèque à la décision de régularisation, mais une valeur instrumentale
conditionnée en premier lieu par un choix politique de sélection et de catégorisation,
contribuant à un double mouvement d’inclusion et d’exclusion d’une partie des travailleurs
sans-papiers sur la base de leur origine et du travail qu’ils occupent. Ce double mouvement
d’inclusion et d’exclusion nous interroge sur l’attitude de l’ensemble des acteurs concernés
par la politique, tant ceux qui se trouvent au cœur du processus de régularisation que ceux qui
en sont laissés à la marge 56 . L’objet de notre analyse, qui se fera à la lumière des travaux de
Knoepfel, Larrue et Varrone 57 , sera donc de nous demander dans quelle mesure la loi du 7
novembre 2007 ouvrant la possibilité aux sans-papiers d’être régularisés par le travail a un
impact sur la configuration des relations entre les acteurs impliqués par cette mesure et sur
les stratégies que ces derniers déploient.
Pour tenter de répondre à cette question nous émettrons plusieurs hypothèses :
44
- Les politiques publiques touchant aux questions migratoires sont quasisystématiquement
controversées 58 . En conséquence, cette absence de consensus
empêche une complète stabilisation de la politique, laquelle est constamment remise
en cause, tant sur son fond que sur sa forme.
- La production d’un discours affichant la volonté politique de faire du travail le premier
motif des flux migratoires à destination de la France et le refus de régulariser
massivement les sans-papiers au nom d’une immigration choisie, et non plus subie,
crée, dans le cadre de la politique que nous étudions, un décalage entre les attentes
des différents acteurs. Cette tension contribue à une instabilité dans le processus de
mise en œuvre de cette politique publique.
55 Voir par ex., « l’immigration clandestine n’est pas inutile car, si l’on s’en tenait à l’application stricte
des règlements et des accords internationaux, nous manquerions peut-être de main d’œuvre », J.-M.
Jeanneney alors ministre des Affaires Sociales en 1966, cité dans P. Egré, P. Henry (2007) Cachan,
la vérité : le défi migratoire Ed. de l’Aube : Paris, p.200.
56 L’exemple des grèves de la fin des sans-papiers travaillant dans l’hôtellerie et la
restauration est à ce titre particulièrement significatif (cf. infra).
57 P. Knoepfel, C. Larrue, F. Varone (2001) Analyse et pilotage des politiques publiques, Helbing & Lichtenhan.
58 Voir à titre d’exemple Alison Crosby (2006) « Les frontières de l’appartenance : Réflexions sur les politiques
migratoires en ce début de XXIe siècle », Publications occasionnelles d’Inter Pares, n°7, pp. 1-14.

Plan
Afin d’infirmer ou de confirmer nos hypothèses, nous présenterons dans un premier temps les
éléments institutionnels de la politique publique, à partir desquels nous identifierons en
particulier le triangle institutionnel des acteurs, ainsi que les hypothèses causale et
d’intervention qui lui sont associées. Puis, nous nous intéresserons à la programmation de
cette politique, laquelle nous permettra de comprendre comment et de quelle façon cette
politique a pris naissance. Enfin, nous étudierons la mise en œuvre de cette politique, de sorte
à analyser sa concrétisation et les configurations interactionnelles entre les différents acteurs.
Les origines de la politique publique
Un contexte général favorable à la mise à l’agenda politique de la question de
l’immigration choisie
Des difficultés de recrutement de main-d’œuvre peu qualifiée
En France, force est de constater que des difficultés de recrutement sont apparues dans
certains secteurs d'activité et que, pour certaines catégories de postes et de qualifications, les
entreprises sont même confrontées à des pénuries de main-d’œuvre, bridant leur capacité à
répondre à la demande et créant d'importantes tensions sur l'offre.
Dans le même temps, certains de nos partenaires européens ont, eux aussi, à faire face à un
manque de compétences dans certaines branches de l'industrie et des services :
- l'Allemagne souffrirait d'un déficit d'informaticiens estimé à 300 000 emplois,
- le patronat italien des provinces du Nord ne parviendrait pas à pourvoir 200 000 postes
industriels spécialisés,
- le Royaume-Uni manquerait encore de quelque 220 000 personnes hautement
qualifiées.
La diversité des situations, en termes de chômage ou de dynamique d'emploi, qui caractérisent
ces pays suggère que les pénuries de main-d’œuvre ne sont pas seulement liées à des
évolutions ponctuelles du marché du travail.
Le recrutement difficile du personnel non qualifié constitue un phénomène nouveau. Plus
grave encore, ces tensions sur le marché du travail semblent changer de nature et s'amplifier.
Les difficultés de recrutement récemment rencontrées en France ont coexisté avec quelque 2,5
millions de demandeurs d'emploi, c'est-à-dire qu'une partie des offres d'emplois n'a pu être
satisfaite par la réserve de main d'œuvre constituée par ces chômeurs. Ce n'est donc pas de
manque de main-d’œuvre dont souffrent les entreprises mais bien de compétences précises
pour certains types de métiers et d’un désintérêt assez général pour certaines catégories
d’emplois provoquant au final une divergence entre l’offre et la demande d’emplois.
Au-delà des facteurs purement conjoncturels, liés aux mécanismes d'ajustement du marché du
travail, la pénurie de certains types de personnel traduit un dysfonctionnement à ne pas
négliger. Ce signal, qualitatif, de l'évolution du réservoir de main-d’œuvre des entreprises,
doit aussi s'apprécier en terme quantitatif. En effet, la perspective d'un recul de la population
active d'ici à dix ans s'apparente à la raréfaction d'un des facteurs de production. La
substitution du capital au travail connaissant des limites, en particulier s'agissant du travail
qualifié, les entreprises seront amenées à rencontrer des difficultés croissantes pour recruter.
45

Pour remédier à cette situation, plusieurs solutions ont été envisagées, voire appliquées dans
le cas de l'Allemagne ou du Royaume-Uni, parmi lesquelles l'appel à la main-d'œuvre
étrangère. Si, pour le moment, la France semble plutôt opter pour un renforcement des
dispositifs de formation professionnelle, le recours à l'immigration dans un but économique
n'est pas exclu ; il est même de plus en plus souvent évoqué.
Cette solution est d’autant plus prise en compte avec sérieux que la persistance du travail
illégal des étrangers en France est une illustration de la demande constante et insatisfaite des
entreprises. Il est vrai que les étrangers en situation irrégulière qui occupent un emploi (par
définition illégalement) ne représente qu’une part modeste et décroissante des infractions
constatée pour « travail illégal » (4% : Bernard 2002). Toutefois, les illégaux jouent un rôle
déterminant dans la flexibilité de l’emploi, notamment dans des secteurs tels que le bâtiment,
l’agriculture, l’hôtellerie-restauration, …
La question de la régulation des dysfonctionnements et tensions que l’on peut trouver sur le
marché du travail peut donc être mise en lien avec celle de l’immigration, ce qui amène nos
dirigeants à mettre en œuvre un certain nombre de politiques publiques dans ce sens.
Une volonté politique de rompre avec « l’immigration subie »
Selon les estimations de l’INSEE, environ 5 millions d’immigrés, dont 3 millions
d’étrangers 59 sont présents en France (Borrel, août 2006). Suite à l’élection de Nicolas
Sarkozy au poste de Président de la République et à la naissance d’un ministère de
l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, une
attention particulière s’est portée sur la question des sans-papiers. Le nombre d’immigrants
illégaux sur le territoire français est certes difficile à identifier et peut varier du simple au
double selon les estimations, soit de 200 000 à 400 000 (Denis, 12 août 2007). Par ailleurs,
force est de constater que s’opère une pression migratoire conséquente sur certains territoires,
et ce, particulièrement en outre-mer (Ternisien, 22 novembre 2006). C’est à ce titre que le
ministère de l’Immigration justifie sa lutte contre l’immigration illégale, de sorte que « sauf
situations particulières, tout étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit dans
son pays d’origine » (Hortefeux, op. cit.).
Si l’on considère le passé de la politique migratoire française, la période de l'après-guerre a vu
une immigration massive venant d'Europe du Sud et du Maghreb ; celle-ci étant corrélée avec
un fort besoin de main d'œuvre pour reconstruire une France exsangue puis accompagner le
développement économique des trente glorieuses. Le lien entre immigration et travail existe
donc depuis longtemps. Mais à partir de 1974, l’immigration se limite quasi-exclusivement au
regroupement familial et aux motifs humanitaires (Stefanini et al., 2006). La dernière
régularisation massive en date (1998) répondait de cette logique, reposant sur le respect de
l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (Egré, Henry 2007). Certes,
des régularisations antérieures, telles qu’en 1981-1982 étaient conditionnées par l’occupation
d’un travail, déclaré ou non. Mais l’idée sous-jacente à ces régularisations était que les sanspapiers
s’étaient intégrés par leur travail, et ce, quelle que soit sa nature de l’emploi et de
l’origine du migrant (Egré, Henry, op. cit.).
A partir de 2006, la volonté de promouvoir une immigration à dimension économique refait
surface dans le programme électoral du candidat à la présidence Nicolas Sarkozy. Crée en
2007, le ministère de l’Immigration se fixe comme objectif que « l’immigration
professionnelle devra représenter, à terme, 50% du flux total des entrées à des fins
d’installation durable en France », et ce, alors qu’ « en 2006, l’ensemble des cartes de séjour
délivrées pour motif professionnel représentaient 7% des flux migratoires » (Hortefeux 19
59 Les 2 autres millions ont acquis la nationalité française.
46

juin 2008). L’articulation entre travail et immigration devient donc un nouvel axe vers lequel
l’action publique cherche à se déployer.
La définition du problème public
La confrontation du problème de pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs
économiques et de la question de la maîtrise de l’immigration à destination du territoire
français a permis la mise à l’agenda politique de ces questions qui a abouti à la politique
publique que nous étudions. Par ailleurs, dès que la question a été soulevée, le gouvernement
a affirmé son opposition au principe d’une régularisation massive ; les dossiers devant par
conséquent être traités au cas par cas.
Les principes généraux de la politique publique
Les acteurs politico-administratifs refusent donc une immigration « subie », composée
d'individus plus ou moins qualifiés, s'adaptant plus ou moins au marché du travail. Au
contraire, ils veulent se servir de cette immigration et en tirer bénéfice au lieu d'en subir les
désagréments. Ayant identifié des tensions au sein de certaines branches professionnelles, les
autorités politico-administratives font le choix du recours à la main d’œuvre issue de
l'immigration pour combler ces manques. Etant donné qu’une partie des postes en question est
déjà occupée par des travailleurs en situation illégale, il s’agirait simplement d’accorder un
permis de séjour au titre de leur travail à ces sans-papiers. Cependant, puisque toute
régularisation massive est exclue, des groupes restreints de bénéficiaires doivent être
identifiés de façon très précise.
Le problème social que constituait la question des immigrés a donc été transformé en
problème public. Ce dernier symbolise le prolongement du problème social, puisqu'il a été
débattu au sein de l'espace politico-administratif après avoir émergé dans la société civile. Il
représente le fruit d'une construction collective, liée à des représentations sociales, à des
valeurs. Historiquement, l'immigration est vue comme un mal, un danger pour la population
autochtone : « ils nous volent nos emplois, ils profitent de notre protection sociale sans rien
faire, etc. » (voir notamment Ceyhan 2003). Cette loi est soumise à ces représentations
lorsqu’elle propose une vision utilitariste des migrants. Ce sont uniquement dans les métiers
où l'on manque de travailleurs que ces derniers sont orientés. Le système politicoadministratif
propose donc ainsi de reprendre le contrôle de l'immigration, en l'utilisant à des
fins précises.
Comme nous l’avons déjà signalé, l’immigration voire même la régularisation d’une
population immigrée en situation irrégulière sur le critère du besoin de main d’œuvre n’est
pas un fait nouveau en France. Or, cette politique publique présente une spécificité nouvelle
puisqu’il existe des restrictions fortes au groupe des bénéficiaires ; les immigrés connaissent
en effet un sort différencié selon le métier qu’ils pratiquent et leur pays d’origine. Il existe en
effet une différenciation entre les ressortissants des pays de l’Union Européenne en période de
transition et ceux des pays tiers, pour qui la liste des métiers donnant droit au permis de séjour
est beaucoup plus réduite. Il s'agit ainsi de choisir uniquement dans la population migrante les
forces de travail souhaitées. Nous faisons donc à la fois face à des conditions objectives
constitutives de la situation problématique, tout autant qu'à des processus collectifs de
représentations, dépendant donc plus du champ subjectif.
Dans le cadre des politiques d'immigration qui sont des objets sensibles socialement, une
nuance peut être apportée. Cette loi répond-elle précisément à une demande clairement établie
de diriger les migrants vers certains métiers ? Les pouvoirs publics semblent ici en quelque
sorte récupérer un réel problème social en l'orientant à leur guise. Cette loi enrichit les
47

eprésentations collectives de la peur des immigrés, tout en proposant une sorte de consensus
(embauche d'individus, intervenus en règle ou non sur le territoire français). L'on peut ainsi y
voir un progrès vers l'intégration d'une partie de la population immigrée.
En guise de conclusion sur ce premier produit, nous pouvons reprendre le processus de
définition d'un problème public. Nous sommes passés d'une situation privée problématique,
caractérisée par une non-reconnaissance sociale, à la formulation d'un problème social (c'est
ici au niveau politique que le problème n'est pas repris et mis à l'agenda), à la construction du
problème public (le problème est thématisé mais aucune politique publique adaptée n'est mise
en place).
Les dimensions d’analyse opérationnelle
La définition d’un problème public est une chose hautement subjective. Elle ne dépend pas
uniquement des conditions objectives de la situation jugée problématique, mais de
l’évaluation et du jugement qu’en font les acteurs. Il s’agit donc de prendre en compte les
représentations qu’ont chacun des acteurs de la nature du problème, comme nous l’avons vu
précédemment. Pour ceux qui ont intérêt à une nouvelle politique publique, il faut parfois
combiner des aspects substantiels (fluidifier les tensions existantes sur le marché du travail)
avec des dimensions plus institutionnelles (code du travail, lois existantes sur l’immigration).
Il faut donc réussir à coupler les deux axes pour parvenir à faire émerger un projet crédible et
réalisable.
Pour rentrer plus en détails dans la compréhension du problème public, nous pouvons
mettre en lumière quatre éléments constitutifs.
- L’intensité du problème : aujourd’hui et pour les acteurs politico-administratifs (le
degré d’intensité varie d’un acteur à l’autre et d’une période à l’autre), les deux problèmes qui
nous concernent ici (tensions sur le marché du travail et immigration) sont jugées assez
sérieux pour entamer une nouvelle politique publique. Ils se réfèrent aux conséquences de ces
problèmes : du coté du travail, certains employeurs font face à des pénuries de main d’œuvre.
De l’autre, l’immigration est un sujet politiquement sensible, et le fait de légiférer peut être
profitable pour les promoteurs de ces projets.
- Le périmètre du problème : l’assiette des individus concernés est ici large. En effet,
nous pouvons dire que les tensions sur le marché du travail peuvent se révéler néfastes pour la
société dans son ensemble (délais allongés ou retards dans des constructions dans le domaine
du Bâtiment et Travaux Publics – BTP – par exemple). En ce qui concerne l’immigration, là
aussi l’étendue des effets négatifs peut être large : chômage, inoccupation, délinquance…
Pour autant, seuls quelques métiers sont touchés par le problème de tensions, localisés de
façon précise. L’immigration n’est pas non plus uniforme sur le territoire. Les effets de ces
problèmes publics dépendent donc de plusieurs critères géographiques, sectoriels etc. Mais
leur importance est suffisamment grande pour leur permettre une visibilité publique, et donc
prouver la légitimité de légiférer. C’est aussi que les solutions apportées à ces problèmes
reflètent une image positive, logique (contrairement à d’autres politiques dans le passé :
réformes des retraites, du code du travail…).
- La nouveauté du problème : les deux problèmes publics auxquels nous faisons face ne
sont pas clairement nouveaux. C’est leur approche qui diffère, et c’est en cela que leur mise à
l’agenda a été facilitée. Comme la plupart des interventions publiques qui consistent plutôt en
des corrections ou des réorientations d’une politique antérieure, c’est l’approche de
l’immigration par le travail qui est nouvelle, ou en tous cas rénovée.
- L’urgence du problème : nous ne sommes pas ici dans une situation claire d’urgence.
Notons cependant que les tensions existantes sur le marché du travail étaient à régler
48

apidement. Une action concernant l’immigration était à réaliser par le gouvernement de Mr
Sarkozy, étant donné que sa campagne électorale portait en partie sur ce sujet.
Les processus de mise à l’agenda
En ce qui concerne les acteurs et le processus de mise à l'agenda, il est difficile de cerner les
« initiateurs », responsables de la prise en considération du problème par les autorités. La
population immigrée, d'une part, n'a aucune chance que le problème social qu'elle subit
(manque de travail, difficultés d'intégration) soit mis à l'agenda. D'autre part, la seule
possibilité que cette politique publique réponde au schéma de bottom up est que le problème
social provienne des chefs d'entreprises qui font face à des manques de personnel. A ce titre,
certains syndicats de chefs d’entreprise (notamment dans le BTP), ont clairement appelé à des
régularisations de leurs employés (voir notamment l’Express 18 avril 2008).
Ce cas reste à préciser, mais nous pouvons d'ores et déjà proposer les thèses « d'offre
politique », inspirées notamment du modèle du « public choice ». Ainsi, les autorités ne
répondraient pas uniquement à des demandes sociales déjà formulées, mais seraient aussi à
l'origine de formulations de problèmes publics et des politiques publiques correspondantes.
L'objectif simple est d'accroître la popularité du gouvernement en exercice. Le pouvoir en
place dit qu’il paraît nécessaire de réguler les flux migratoires vers la France et que l'Etat ne
peut pas, en quelque sorte, subvenir à toute la misère du monde (voir notamment Hortefeux,
op.cit.). Il propose donc une politique de régulation, avec un double bénéfice à la clé, puisque
les problèmes de tensions dans certains métiers seraient aussi réglés.
Eléments institutionnels de la politique publique
Ainsi, l’institutionnalisation d’un ministère chargé spécifiquement de traiter de l’immigration
coïncide avec la double volonté politique de favoriser l’immigration professionnelle (avec
comme objectif, 50% des titres de séjour délivrés pour ce motif) et de mettre un terme à
l’immigration illégale (Hortefeux, 19 juin 2008). La conjonction de ces deux objectifs se
retrouve au travers de la lutte contre une immigration « subie » au profit d’une immigration
« choisie », en accordance notamment avec les besoins du marché du travail. C’est dans ce
cadre que l’article 40 de la loi du 20 novembre 2007, complétée par la circulaire du 7 janvier
2008 instaure la possibilité aux sans-papiers d’être régularisés au travers de l’obtention d’une
carte de séjour au motif « salarié ».
Premiers éléments d’analyse
Définition du problème
La rhétorique immigration « subie » vs. immigration « choisie » nous permet dès lors
d’identifier le problème, double, pour lequel la politique que nous étudions cherche une
solution. L’immigration illégale est en effet vue comme un problème en termes
« humanitaires » – puisque nombre de ces sans-papiers, souvent victimes de « passeurs »,
restent sur le territoire français dans des situations précaires de long terme –, et également en
termes « sécuritaires » au sens où l’autorité de l’Etat est, par la non-application de ses
49

décisions, remise en cause 60 (voir par ex. Hortefeux 19 juin 2008). De l’autre côté, nombre
d’immigrants illégaux travaillent au noir alors que le marché du travail « traditionnel » subit
certaines tensions sectorielles auxquelles l’immigration (dont l’immigration illégale, et ce,
« au cas par cas ») peut, dans une certaine mesure, répondre.
C’est ainsi que le caractère instrumental de l’immigration prônée par les acteurs politicoadministratifs
contraste avec la conception traditionnelle de l’immigration depuis 1974
(Stefanini et al, op. cit.). L’articulation entre travail et immigration apparaît donc comme un
nouvel axe vers lequel l’action publique cherche à se (re)déployer. Et elle trouve son
expression concrète au travers du processus de régularisation par le travail de certains sanspapiers.
L’hypothèse causale
50
apporte une réponse politique à la question de savoir qui ou quoi est « coupable » ou « objectivement
coupable » du problème collectif à résoudre. Définir l’hypothèse causale d’une politique publique consiste
donc à en désigner les groupes cibles et les bénéficiaires finaux (KNOEPFEL et al., 2001).
Dans notre cas, l’hypothèse causale peut donc être ainsi formulée : « S’il y a une présence
importante sur le territoire français d’étrangers clandestins, dont beaucoup sont embauchés au
noir par les patrons, et comme des tensions se font sentir sur le marché du travail dit
« conventionnel », alors il faut que l’autorité administrative parvienne à mettre en adéquation
la politique migratoire globale avec les besoins dans certains métiers. »
L’hypothèse d’intervention
établit comment le problème collectif à résoudre peut être atténué, voire résolu, par une politique publique.
Elle définit les modalités de l’intervention étatique qui vont influencer les décisions et les activités des
groupes cibles désignés, de façon à ce que celles-ci soient compatibles avec les objectifs politiques.
(KNOEPFEL et al., op. cit.)
Ainsi, il nous devient possible de formuler l’hypothèse d’intervention : « s’il y a inadéquation
entre la politique migratoire et le marché de l’emploi et que de nombreux sans-papiers sont
embauchés au noir par les patrons, alors il faut traiter au cas par cas et à titre « exceptionnel et
humanitaire » les dossiers de régularisation des sans papiers de manière à répondre aux
besoins dans certains secteurs économiques, identifiés par la mise en place d’une liste des
métiers en tension aux niveaux national et régional. »
Les Acteurs
Les autorités politico-administratives
Elles incarnent les acteurs à l’origine de la politique publique. On retrouve donc le ministère
de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement, ainsi que
celui de l’Economie, des finances, et de l’emploi. Ces deux ministères sont en effet à l’origine
de la politique mise en œuvre. Ils travaillent en concertation, dans le but de lier les problèmes
de recrutement dans certains métiers, ainsi que de lutter contre le travail au noir des sanspapiers,
et contre l’immigration illégale en règle générale. Cette concertation est
particulièrement claire au travers de la co-rédaction par les ministères de l’Immigration et de
60 En effet, le taux d’exécution des mesures d’éloignement reste bas, dans la mesure où près
de 80% de ces décisions ne sont pas appliquées (22,5% en 2002 selon T. Mariani 18 juin
2003).

l’Emploi de la circulaire du 20 décembre 2007 relative aux autorisations de travail qui dresse
la liste des métiers en tension, et sur laquelle se fonde la délivrance de la carte de séjour
portant la mention « salarié ».
Les groupes-cibles
se composent des personnes et des organisations de ces personnes dont le comportement est jugé
politiquement comme la cause (in)directe du problème collectif que la politique publique cherche à résoudre
(Knoepfel et al., op. cit.).
Dans le cadre de la politique que nous étudions, les groupes cibles sont identifiés comme les
migrants présents illégalement sur le territoire français, touchés directement par la politique
publique, originaires de nouveaux Etats membres de l’Union européenne pendant la période
transitoire, et d’Etats tiers. Ce sont eux qui vont pouvoir bénéficier de contrats de travail, et
ainsi d’une carte de séjour temporaire. Il est bien précisé que cette loi ne vise en aucun cas à
régulariser de façon massive tous les ressortissants se présentant. Au contraire cette loi a
« pour objet de préciser le cadre de la régularisation au cas par cas », en fonction de leurs
compétences professionnelles très recherchées.
De même, les patrons sont des groupes cibles. En effet, ces derniers sont inclus dans le
processus de régularisation et sont encouragés à déposer eux-mêmes les dossiers de
régularisation, lesquels sont appelés à être traités avec « une particulière diligence »
(Circulaire du 7 janvier 2008). Par cette incitation, c’est bien le comportement des patrons
eux-mêmes qui est voué à évoluer. En ce sens, en embauchant la main d’œuvre au noir, ils
sont identifiés et désignés comme responsables du problème à résoudre :
Je n’accepte pas que […] des « patrons voyous », exploitent la misère de « sans
papiers ». Contre les esclavagistes de notre temps, notre combat est, plus que jamais,
déterminé. (Hortefeux, 18 septembre 2007).
Les bénéficiaires finaux
rassemblent les personnes et les associations de ces personnes qui sont directement touchées par le problème
collectif, qui en subissent les effets négatifs […]. Les bénéficiaires finaux sont donc les acteurs qui bénéficient,
d’une manière plus ou moins directe et selon les objectifs voulus de la politique en question, du changement
de comportements des groupes cibles (Knoepfel et al. op. cit.).
Il s’agit donc des personnes « régularisables », puisque leurs compétences permettent de
pallier certains besoins de recrutement. Ces derniers ont été listés de façon extrêmement
précise, avec une liste au niveau national et sa déclinaison aux niveaux régionaux.
Dans le même temps, les patrons peuvent-être également vus comme les bénéficiaires finaux
de cette politique, en ce qu’ils peuvent désormais avoir à leur disposition une main d’œuvre
qui leur manquait. De plus, ceux qui auraient embauché sans le savoir un sans-papier
disposent au travers de cette possibilité de régularisation un moyen de « revenir à la légalité ».
En d’autres termes, les patrons ne sont pas nécessairement coupables du problème public, ils
peuvent également en être victimes et pourront à ce titre bénéficier de la politique :
Certains patrons, heureusement pas la majorité, ont choisi un temps la facilité en
recrutant à bon compte des clandestins car ils ne bénéficiaient pas de droits syndicaux,
ni du salaire minimum. D'autres se sont peut-être laissés abuser. Mais aujourd'hui ce
n'est plus possible. (Hortefeux 24 avril 2008, nos italiques).
On peut donc ici voir toute l’ambivalence du processus de régularisation que nous étudions,
où tant les sans papiers que les patrons sont vus potentiellement comme coupables du
51

problème public et bénéficiaires de la politique visant à résoudre ce problème. Cette
ambivalence permet de justifier une inclusion seulement partielle de ces acteurs au processus
de régularisation mais, dans le même temps, traduit une instabilité dans la définition du public
inclus et grâce à laquelle les acteurs exclus peuvent tenter de réintégrer ce processus.
Les lésés
Plusieurs groupes lésés deviennent par ailleurs identifiables ; il s’agit d’une part des sanspapiers
ne répondant pas aux critères définis ; d’autre part, des patrons de certains secteurs en
tension mais non retenus dans les listes de métiers ; et enfin, des associations de défense des
sans-papiers qui prônaient une régularisation massive.
Le premier de ces groupes comprend donc toutes les personnes dont les compétences ne
correspondent pas à la liste des 150 métiers listés pour les ressortissants des Etats membres de
l’Union européenne, soumis à des dispositions transitoires. En ce qui concerne les
ressortissants de pays tiers, les dispositions sont plus étroites, puisque la liste est établie par
métiers mais aussi par zones géographiques. Les personnes ne rentrant pas dans ce cadre sont
donc nombreuses. Ce phénomène vient de l’application du principe de préférence
communautaire, qui crée une liste pour les ressortissants de pays tiers plus restreinte que celle
ouverte aux ressortissants des nouveaux Etats membres, dont elle constitue un « sousensemble
». C’est d’ailleurs ce sentiment d’avoir été lésés, parce que ne rentrant pas dans ces
listes sélectives, qui a justifié la mobilisation, voire la grève de la faim, des sans-papiers
travaillant notamment dans les milieux de la restauration et de l’hôtellerie (voir notamment
Serafini, 25 août 2008).
Parallèlement, le second groupe de lésés est incarné par les patrons qui avaient poussé en
faveur d’une régularisation par le travail, mais dont le secteur professionnel a été écarté des
listes des métiers en tension retenus. C’est pourquoi ces derniers ont directement interpellé le
gouvernement afin d’élargir ces listes, notamment celles concernant les ressortissants des
pays tiers (L’Express, 18 avril 2008)
Enfin, les associations qui soutenaient une régularisation plus massive (telle que France Terre
d’Asile ou la Cimade) peuvent également être vues comme des lésés, dans la mesure où leurs
revendications n’ont pas été entendues. Avant tout, ces associations luttaient contre le
caractère instrumental de la politique d’immigration, et cherchaient de ce fait à s’inscrire dans
une logique de régularisation exclusivement humanitaire. C’est à ce titre qu’on peut les
considérer comme étant lésées, dans la mesure où leurs revendications n’ont pas eu d’impact
sur le programme politico administratif.
Les profiteurs
D’autres groupes qui ne sont pas directement visés par la politique publique arrivent
cependant à en tirer parti. Ainsi, trois groupes ont pu être identifiés.
Ainsi, notamment, les avocats spécialisés dans le droit des étrangers (sans assimiler les
avocats travaillant au titre de l’aide juridictionnelle) peuvent être vus comme tirant profit de
cette politique dans la mesure où leur domaine de compétence s’est vu étendu par ces
nouvelles dispositions législatives et réglementaires.
Par ailleurs, on peut également considérer les syndicats comme étant profiteurs, en ce qu’ils
ont été mis sur le devant de la scène, et ont obtenu un droit de cité dans les préfectures au
sujet de ces questions, alors qu’historiquement ces derniers n’avaient jamais soutenu les
travailleurs sans-papiers. D’une certaine façon, les syndicats ont joui d’un regain de légitimité
suite à cette politique, notamment concernant la défense des lésés.
52

Enfin et paradoxalement, les associations peuvent également être vues comme profiteurs (type
Ordre de Malte par ex.), au même titre que les avocats, dans la mesure où leur domaine de
compétence et d’action s’est vue élargi.
Nous pouvons replacer l’ensemble de ces acteurs sur ce triangle institutionnel.
S’il y a une présence importante sur le
territoire français d’étrangers clandestins,
dont beaucoup se font embaucher au noir
par les patrons , et comme des tensions se
font sentir sur le marché du travail dit
« conventionnel », alors il faut que
l’autorité administrative parvienne à mettre
en adéquation la politique migratoire
globale avec les besoins dans certains
métiers.
Les Lésés
Les sans papiers dont
la qualification ne
correspond pas aux
besoins identifiés et les
employeurs qui
souhaitaient
leur régularisation,
certaines
associations
Les Groupes
cibles
Les migrants
illégaux,
Les patrons
Autorités politico-administratives
ministères de l’immigration et de l’emploi
L’immigration illégale sur le
territoire français constitue un
problème public qu’il faut
résoudre, de sorte à lutter
contre l’immigration
« subie », en faveur d’une
immigration « choisie »
s’il y a inadéquation entre la politique migratoire et le
marché de l’emploi et que de nombreux sans-papiers sont
embauchés au noir par les patrons, alors il faut traiter au
cas par cas et à titre « exceptionnel et humanitaire » les
dossiers de régularisation des sans papiers de sorte à
répondre aux besoins dans certains secteurs économiques,
identifiés par la mise en place d’une liste des métiers en
tension aux niveaux national et régional.
Profiteurs
syndicats, avocats,
associations
Bénéficiaires finaux
Les sans-papiers régularisés
dont la compétence a été
reconnue, les patrons
53

Les ressources à disposition des acteurs et leur mobilisation en fonction des règles
institutionnelles en vigueur
Les principales ressources dont disposent les autorités politico-administratives pour mettre en
œuvre cette politique publique, qui se situe au carrefour des politiques migratoires et des
politiques du travail, sont :
- le droit
- la force
- le personnel
- le soutien politique
- l’argent
La ressource juridique (le droit)
Dans le cas de la politique publique que nous étudions, il s’agit de la ressource la plus
évidente. En effet, l’ensemble de la politique est définie par des textes (lois et circulaires),
sources de légitimation de l’action publique :
- la loi n°2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à
l’intégration et à l’asile, et notamment son article 40 ;
- la circulaire du 20 décembre 2007 relative aux autorisations de travail délivrées aux
ressortissants des nouveaux Etats membres de l’Union européenne pendant la période
transitoire et des Etats tiers, sur la base de listes de métiers connaissant des difficultés
de recrutement ;
- la circulaire du 7 janvier 2008 relative à la délivrance de cartes de séjour portant la
mention salariée au titre de l’admission exceptionnelle au séjour.
Cette ressource est mobilisée de manière assez régulière, notamment sur le terrain par les
préfectures, dès qu’il s’agit de motiver un refus de délivrance de titre de séjour ou une OQTF
(Obligation à Quitter le Territoire Français). Elle peut aussi être mobilisée devant les
juridictions administratives, en cas de contestation de la part des populations cibles.
La ressource violence (la force)
Légitimée par le droit, la politique d’immigration « choisie » s’appuie également sur le
« monopole de la violence physique légitime », notamment lorsqu’il s’agit d’arrestations ou
d’éloignement. Les forces de l’ordre sont alors mises à contribution pour atteindre les
objectifs fixés (ici 26 000 reconduites à la frontière).
La ressource humaine (le personnel)
Au niveau national, le ministère de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et
du développement solidaire dispose, depuis le décret d'organisation du 26 décembre 2007,
d'une administration centrale de plein exercice. Il s’agit d’une administration de missions
ayant principalement une fonction d'état-major. Elle rassemble autour du secrétariat général
des services principalement issus du ministère des Affaires étrangères et européennes, du
ministère de l'Intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales et du ministère du
Travail, des relations sociales et de la solidarité. L’ensemble de ces services concourt à
l’accomplissement de la politique publique étudiée.
54

Au niveau local, celle-ci s’assoit sur les services préfectoraux (et notamment les services
« étrangers » des préfectures), mais aussi sur : les services de police et de gendarmerie,
l’ANAEM (Agence Nationale d’Accueil des Etrangers et des Migrations), les DDTEFP
(Directions Départementales du Travail, de l’Emploi et des Formations Professionnelles)…
La ressource majoritaire (le soutien politique)
Au cours de la campagne électorale pour l’élection présidentielle de 2007, le thème de
l’immigration a fait une entrée fracassante dans les débats ; le ministère de l’Immigration et
de l'identité nationale que propose Nicolas Sarkozy ayant suscité de vives réactions, à gauche
comme à droite. L’élection de ce dernier a donc logiquement été suivie par la création d’un
nouveau grand ministère : le ministère de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité
nationale et du développement solidaire.
Les victoires de l’UMP (un parti ayant clairement affirmé ses intentions en matière
d’immigration), tant à la présidentielle qu’aux législatives, a donc fortement contribué à
fournir à cette question un soutien politique.
La ressource monétaire (l’argent)
Le budget 2009 du ministère prévoit une enveloppe globale de 538,3 millions d’euros, soit
une baisse de 71,3 millions (-11,6%) par rapport à l’année passée qui avait vu la création du
ministère. Cette enveloppe globale de 538,3 millions en crédits de paiement se répartit en trois
programmes :
- "immigration et asile", doté de 436 millions,
- "intégration et accès à la nationalité", doté de 77,8 millions,
- "développement solidaire et migrations", doté de 24,5 millions.
Il est important de noter que, malgré le contexte de réduction des dépenses publiques, le
programme "immigration et asile", qui regroupe les politiques relatives à la circulation des
étrangers avec notamment la lutte contre l’immigration illégale, est à la hausse dans le budget
2009 : 436 millions contre 414 l’année précédente.
De plus, parmi les principales orientations pour 2009-2011, sont notamment prévues (sans
budgets annoncés) le renforcement des mesures d’éloignement des étrangers en situation
irrégulière, et "l’optimisation" de la gestion des centres de rétention administrative.
La confiance, une ressource absente
Par contre, on peut aussi remarquer que certaines ressources font défaut à cette politique, et
notamment le consensus, autrement dit la ressource confiance. En effet, s’il existe un soutien
politique indiscutable, on ne peut pas réellement parler de consensus sur cette question,
source de conflits au sein de l’opinion publique. L’opposition critique naturellement
publiquement la politique d’immigration « choisie » du gouvernement et de nombreuses
associations se sont créées ou se mobilisent de plus en plus pour dénoncer la cette politique
(ex : RESF, Réseau éducation sans frontières).
De plus, au-delà des critiques partisanes et associatives, le Comité des Droits de l’Homme de
l’ONU a récemment rappelé la France à l’ordre pour non respect du Pacte international relatif
aux droits civils, politiques et à la Convention sur le droit d’asile. L’un des principaux
reproches adressés à ce pays porte sur la manière dont l’État traite les étrangers et
particulièrement sur le fait que de “très nombreux” sans papiers et demandeurs d’asile “sont
55

etenus dans des locaux inappropriés”. De même, il regrette que l’État français soit resté sourd
aux accusations de mauvais traitements d’étrangers dans les prisons et les centres de rétention.
Cet absence de consensus est bien entendu un point d’appui très fort des opposants à la
politique gouvernementale : ils s’en servent pour légitimer leur action, ne disposant ni du
soutien politique, ni de la ressource juridique contrairement aux acteurs politico-administratifs
locaux ou nationaux.
Les règles institutionnelles encadrant l’utilisation de ces ressources
Les règles institutionnelles « représentent parfois des contraintes, parfois des opportunités
pour les acteurs politiques » (KNOEPFEL et al., op.cit.) au sein desquelles et en fonction
desquelles ces acteurs mobilisent leurs ressources. Il s’agit en un sens de « règles du jeu »,
lesquelles peuvent être édictées formellement, au travers d’un cadre juridique et réglementaire
précisément défini, ou informellement au travers de négociations entre les différents acteurs.
Dans le cadre de la politique que nous étudions, nous pouvons identifier les « droits
humains », résultants à la fois des processus formels et informels, i.e. notamment la
Convention Européenne des Droits de l’Homme, expliquant par là même la persistance du
critère humanitaire qui motive la décision, laquelle restant à la discrétion du préfet. Il est en
effet demandé à ce dernier, une fois « établi l'aptitude des intéressés à travailler dans l'un des
métiers » jugés en tension, d'apprécier les critères d'ordre humanitaire ou exceptionnel « avec
la plus grande bienveillance » (Circulaire du 7 janvier 2008).
Autrement dit, la décision de régularisation, au nom des critères humanitaires et
exceptionnels, revient ultimement en la personne du préfet, dont le rôle « d'appréciation » de
la situation des sans-papiers contraste avec le souci d'objectivation de l'évaluation des besoins
dans certains secteurs. Le préfet est donc central et témoigne d'un schéma organisationnel
centré autour des préfectures, lequel influence fortement les relations interinstitutionnelles au
niveau local (Préfectures, ANAEM, DDETFP, …). Toutefois, on ne peut nier la
prédominance, au niveau national, des acteurs ministériels qui d’une part définissent la
politique publique et d’autre part disposent d’un pouvoir hiérarchique direct sur les acteurs
préfectoraux... En d'autres termes, et en dépit du fait que les listes de métiers aient été
déclinées régionalement, en fonction de besoins évalués au niveau local, force est de constater
que la politique de régularisation résulte avant tout d'une logique centralisatrice personnifiée
par le rôle du préfet.
Egalement, la centralité du préfet auquel échoit la décision ultime sur des critères
humanitaires non « objectivement » définis doit attirer notre attention sur l'existence possible
de négociations et de jeux d'influence des patrons en particulier. En d'autres termes, sous
couvert d'une objectivité administrative quasi-mécaniste au travers d'une circulaire édictant
des listes nationale et régionales, le processus décisionnel de la régularisation, en restant
adaptable aux situations jugées, au cas par cas, à la discrétion du préfet, ouvre la voie à une
part de non-dits et de jeux implicites d'acteurs cherchant à moduler les dispositions
réglementaires. Cette part d'implicite pour une telle politique peut dans une certaine mesure
être rattachée à l’ambigüité du problème traité : le travail clandestin est illégal et doit donc
être pointé comme quelque chose d’indésirable néanmoins, il contribue en partie du
dynamisme économique 61 .
61 Jeanneney op. Cit.
56

A ce stade, il est nécessaire de présenter le cycle de notre politique publique à l'étude.
Conformément au concept de cycle d'une politique, il nous est possible de situer à quel stade
est la loi du 20 novembre 2007 relatif à « la délivrance de cartes de séjour portant la mention
« salarié » au titre de l'admission exceptionnelle de séjour ». Le Produit 1 : Mise à l’Agenda et
Définition du Problème Public a déjà été décrit dans la partie 2.2. Nous pouvons donc
désormais passer à l’analyse des produits 2 (Programme Politico-administratif) et 3
(Arrangement Politico-Administratif) qui relèvent de la programmation de la loi.
LA PROGRAMMATION DE LA LOI n° 2007-1631 du
20/11/2007 : LE PROGRAMME POLITICO ADMINISTRATIF
Comme pour toute politique publique, il convient d'abord d'analyser et d'étudier la phase de
programmation des politiques publiques, avec en particulier l'élaboration du programme
politico-administratif (PPA). Le PPA a pour objectif de stabiliser les attentes des différents
acteurs participant à l'élaboration de la solution au problème public en leur proposant à la fois
une orientation substantielle et un cadre institutionnel. Ainsi, le PPA « recouvre toutes les
décisions législatives et réglementaires, tant de l'Etat central que des collectivités
territoriales, nécessaires à la mise en œuvre de la politique publique ».
Le programme politico-administratif que nous étudions ici est le passage :
- de la définition des problèmes : immigration illégale et les tensions sectorielles sur le
marché du travail,
- à la mise en œuvre de la politique publique correspondant : régularisation au cas par cas
et à titre « exceptionnel et humanitaire » des sans papiers pour répondre aux besoins dans
certains secteurs économiques, identifiés par la mise en place d’une liste des métiers en
tension aux niveaux national et régional.
La genèse politique et administrative du PPA
Une fois le problème public identifié (cf. partie précédente), tout un travail de réflexion s’est
engagé avant d’aboutir à la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007. Ce travail a été à la fois
politique et administratif.
Sur le plan politique, l’UMP a réuni, dès le 9 juin 2005, une Convention thématique pour un
projet populaire relative à l’immigration et à l’intégration. Cette convention avait pour
objectif de définir les grands axes de la politique d’immigration et d’intégration du projet de
Nicolas Sarkozy pour l’élection présidentielle de 2007. Elle a donné lieu à la rédaction d’un
rapport de 60 pages, intitulé « Une immigration choisie – Une immigration réussie » et dont
les principales propositions sont :
� Adapter les flux annuels d'immigration aux besoins et aux capacités d'accueil de la
France, en fixant des plafonds en fonction des différentes voies d'entrée (immigration
économique, asile, regroupement familial...).
� Mettre en place un système de points pour attirer les personnes étrangères
correspondant à un besoin du marché du travail, sans porter atteinte aux intérêts des
pays d'origine.
� Poursuivre et renforcer la politique d'immigration choisie, qui consiste à mieux
57

58
équilibrer l'immigration économique et l'immigration familiale.
� Attirer les meilleurs étudiants en fonction des besoins de notre économie et de ceux
des pays d'origine.
� Développer l'utilisation des technologies biométriques dans les documents officiels.
� Appliquer la loi matrimoniale française à tous les couples vivant en France.
� À l'image de l’accord signé par Nicolas Sarkozy au Sénégal, signer des traités de
codéveloppement et d'immigration concertée avec les pays sources d'immigration.
� Conditionner la politique de délivrance des visas aux efforts de chaque pays d'origine
pour reprendre ses clandestins.
� Renforcer la police européenne aux frontières.
� Mettre en place un pacte européen de l'immigration entre les grandes nations
européennes, qui comporterait des obligations en matière de régularisation et
d'éloignement des clandestins.
� Réformer l'aide médicale d'État en la versant aux personnes vraiment nécessiteuses.
� Proposer un traité multilatéral en matière de migrations, prévoyant des droits et des
devoirs pour les pays sources et les pays de destination, et créer une organisation
mondiale chargée de le faire appliquer.
� Recentrer la politique d'aide au développement de la France sur l'Afrique et la
soumettre à des obligations de résultats.
� Renforcer notre politique d'aide au développement dans ses aspects portant sur la santé
des femmes et des enfants et la formation professionnelle et technique.
� Créer une banque européenne du codéveloppement destinée à mobiliser l'épargne des
12 millions d'immigrés dans l'Union européenne en faveur du développement de leurs
pays d'origine.
A la lecture de cette liste d’objectifs, on trouve les germes de la politique publique étudiée dès
les premières propositions de l’UMP en matière d’immigration. Avec l’élection de Nicolas
Sarkozy à la Présidence de la République et la victoire de l’UMP aux élections législatives
qui ont suivi, ces propositions ont trouvé à la fois une légitimation électorale et des moyens de
mise en œuvre.
Sur le plan administratif, il faut souligner les travaux préalables des DDTEFP et des services
centraux du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi, qui ont présidé à la
définition et au recensement des critères économique et sociaux de définition des secteurs en
tension.
Les éléments substantiels du PPA
Les objectifs définis du PPA
L’objectif affiché du Gouvernement en la matière est de lutter efficacement contre
l’immigration illégale et le travail « au noir », ainsi que passer d’une immigration présentée
comme subie à un système encadré d’immigration choisie.
Pour cela, il entend redéfinir les principes de la politique d’accueil des étrangers de la France,
notamment par une lutte plus directe contre les étrangers en situation irrégulière sur le
territoire français (augmentation du nombre d’expulsions et de reconduites à la frontière,

quotas de régularisation par département et par région) et par une progression de la part de
l’immigration économique.
D'un point de vue juridique, le PPA représente donc l'ensemble des normes et actes
réglementaires que le Parlement (Assemblée nationale et Sénat), le Gouvernement (sous
l'autorité de François Fillon et de Nicolas Sarkozy) et le ministère de l’Immigration, de
l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire (sous l'autorité de Brice
Hortefeux) ont considéré comme nécessaires pour atteindre un état social souhaitable qui
serait ainsi défini : réduction de l’immigration illégale et du travail clandestin d'une part, et
résolution des problèmes de tensions sectorielles sur le marché du travail d'autre part.
Ainsi, le PPA résulte avant tout d’une position de synthèse entre les attentes de la sphère
institutionnelles incarnée par le ministère de M. Hortefeux - et plus généralement par le
gouvernement actuel - et celles qui ont été formulées par la sphère économique. Cette dernière
a en effet à maintes reprises développé des argumentaires en faveur du nécessaire règlement
des tensions sectorielles sur le marché du travail, sources de manque à gagner et de perte de
productivité pour les entreprises.
Les éléments opérationnels du PPA
D'un point de vue opérationnel, le programme politico-administratif (PPA) repose d'abord et
avant tout sur la nouvelle loi, et notamment son article 40 ici étudié, mais également sur tout
un arsenal législatif et juridique, définissant le cadre d’action des pouvoirs publics en la
matière.
Cet ensemble de textes précise dans quelles conditions un travailleur sans papiers pourra être
régularisé :
− Articles L.121-2 et L.313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du
droit d'asile ; R 341-4 et suivants du code du travail.
− Circulaire DPM/DMI3/2004/249/DLPAJ//FCT/4b n°NOR/INT/D/04/00066/ du
26 mai 2004 relative au régime applicable aux ressortissants de l'Union
européenne, de l'Espace économique européen et de la Confédération helvétique
en matière d'admission au séjour et au travail.
− Circulaire DPM/DMI2/2006/200 du 29 avril 2006 relative aux autorisations de
travail délivrées aux ressortissants des nouveaux Etats membres de l'Union
européenne pendant la période transitoire.
− Circulaire DPM/DMI n°2006-541 du 22 décembre 2006 relatives aux
autorisations de travail délivrées aux ressortissants de la Bulgarie et de la
Roumanie pendant la période transitoire applicable à ces deux nouveaux Etats
membres de l'Union européenne.
− Loi n°2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à
l'intégration et à l'asile du 20 novembre 2007 (notamment son article 40) ;
− Circulaire n°NOR IMI/N/07/00011/C du 20 décembre 2007 relatives aux
autorisations de travail délivrées aux ressortissants des nouveaux Etats membres
de l'Union européenne pendant la période transitoire et des Etats tiers, sur la base
de listes de métiers connaissant des difficultés de recrutement.
− Circulaire n°NOR IMI/N/08/00012/C du 7 janvier 2008, relative à l'application de
l'article 40 de la loi du 20 novembre 2007 relative à la délivrance de cartes de
59

60
séjour portant la mention « salarié » au titre de l'admission exceptionnelle au
séjour.
Parmi tous ces énoncés législatifs, la circulaire du 20 décembre 2007 est celle qui accapare
l’enjeu le plus important. En effet, c’est à travers une de ses annexes que sont explicitées les
listes de métiers ouvrant le droit à l’obtention d’un titre de séjour avec la mention « salarié ».
Elle décrit également les critères qui ont permis leur constitution. Nous y reviendrons plus en
détails dans la partie portant sur le PA.
Les énoncés évaluatifs
L’analyse de la loi nous a permis de cerner les éléments constitutifs de la politique de
régularisation des sans papiers par le travail et d’étudier une cristallisation de l’agencement
des acteurs dans une nouvelle configuration institutionnelle. A partir de là, il nous reste à nous
interroger sur les effets de cette politique. En effet, une politique publique vise à résoudre un
problème social défini politiquement comme relevant de la sphère publique. Une fois
programmée et mise en œuvre, elle fait – ou devrait faire – l’objet d’une évaluation
systématique.
Dès lors, il paraît nécessaire de souligner le fait que « le ministère de l’Immigration n'est pas
en mesure de communiquer de statistiques sur les résultats de la procédure d'admission
exceptionnelle au séjour en raison notamment de l'adaptation tardive de l'outil statistique 62 ». Il
n’avait pas été prévu d’évaluation quantitative de l’impact du processus de régularisation par
le travail.
De ce fait, on peut supposer que le caractère controversé de la mesure et la tension inhérente
entre la production d’un discours appelant les sans-papiers à regagner leur pays d’origine et la
volonté d’augmenter l’immigration pour motifs professionnels ont enjoint les décideurs
politiques à ne pas produire d’énoncés évaluatifs « scientifiques » (ou du moins statistiques)
ni de façon formelle.
Les éléments institutionnels et la procédure d’application du PPA
Avant cette nouvelle circulaire, précisons que l'admission exceptionnelle au séjour se
traduisait nécessairement par la délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention
« vie privée et familiale », selon l'article L.313-14 du code de l'entrée et du séjour des
étrangers et du droit d'asile (CESEDA). Ce dispositif a été modifié par l'article 40 de la loi
n°2007-1631 du 20 novembre 2007 qui ajoute la possibilité que l'admission exceptionnelle au
séjour prenne la forme, sous certaines conditions, d'une carte de séjour temporaire portant la
mention « salarié ». Nous allons donc ici présenter ces conditions.
Les régularisations se passent au cas par cas, il ne s'agit au aucun cas d'opération générale de
régularisations. Il s'agit de ressortissants qui, compte tenu de leurs compétences
professionnelles très recherchées, sont susceptibles de s'intégrer pleinement par leur travail à
la société française.
Les conditions à remplir pour être régularisé
Il faut donc que les candidats répondent à deux conditions cumulatives :
− La reconnaissance de qualifications et/ou d'expérience professionnelles dans l'un des
62
J.-P. Courtois, F.-N. Buffet, (20 novembre 2008) « Projet de loi de finances pour 2009 : Sécurité -
Immigration, asile et intégration » ;

métiers de la liste, concernant sa région administrative de résidence. La circulaire précise
qu'en cas de litige sur les compétences réelles de la personne, il sera possible de contacter
le consulat compétent du pays d'origine afin de faire authentifier des attestations ou
diplômes produits ou de vérifier l'exactitude de l'expérience professionnelle alléguée dans
le pays d'origine.
− La preuve d'un engagement ferme de l'employeur à occuper l'étranger concerné dans l'un
des métiers figurant dans la déclinaison régionale de la liste des métiers ouverts. Cette
preuve prendra la forme d'un contrat de travail à durée indéterminée, ou à titre
exceptionnel à durée déterminée mais d'une durée supérieure à un an. La conclusion de ce
contrat est subordonnée à la régularisation de la personne. Il incombe à l'employeur
d'assurer l'apport de tous les justificatifs prévus par l'arrêté du 10 octobre 2007 pour la
délivrance d'une carte de séjour temporaire mention « salarié ». Les justificatifs sont les
suivants :
1° Une lettre motivant le recrutement du salarié et détaillant les fonctions qu'il va
exercer
2° Le formulaire CERFA correspondant à la nature de l'activité salariée exercée en
France
3° Un extrait à jour K bis s'il s'agit d'une personne morale ; un extrait à jour K, une
carte d'artisan ou, à défaut, un avis d'imposition s'il s'agit d'une personne physique
4° Les statuts de la personne morale, s'ils existent
5° La licence d'entrepreneur de spectacles pour la carte de séjour temporaire portant
la mention « profession artistique et culturelle »
6° La copie du dernier bordereau de versement des cotisations et contributions
sociales adressé à l'organisme chargé de leur recouvrement
7° Le cas échéant, la copie du dernier bordereau de versement des cotisations à la
caisse des congés payés
8° La copie du passeport ou du document national d'identité du salarié si celui-ci
réside à l'étranger
9° Le curriculum vitae du salarié ou tout autre justificatif de sa qualification et de
son expérience ; le cas échéant, la copie du diplôme ou titre permettant l'exercice de
l'activité salariée ; lorsque l'exercice de l'activité est soumis à des conditions
réglementaires spécifiques, les justificatifs que ces conditions sont remplies
Notons que l'employeur n'est pas tenu de rechercher préalablement des candidats sur le
marché du travail national.
Le rôle de la DDTEFP
Le dossier est transmis à la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation
professionnelle (DDTEFP), au service de la main d'œuvre étrangère. Ces services
déconcentrés dépendent du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, et sont
chargés de la mise en œuvre, au niveau départemental, des politiques décidées par le
gouvernement. L'employeur devra acquitter la redevance et la contribution forfaitaire dues au
titre de l'embauche d'un salarié étranger.
La DDTEFP est chargée, pour sa part, de vérifier la conformité du dossier avec les textes
législatifs et réglementaires en la matière. Elle délivre un avis motivé et principalement
technique, en vue de la décision préfectorale.
61

La position incontournable du préfet
Les préfets sont les acteurs incarnant l’élément institutionnel incontournable pour
l’application de la loi. Les Préfets de région et de département, ou du moins les services qui
travaillent pour eux, ont à charge d’évaluer la recevabilité de chaque demande conformément
aux critères explicités ci-avant. Ils déterminent donc qui aura droit à une régularisation et qui
n’y aura pas droit et devra donc quitter le territoire français. Ils ont également à charge
l’examen du renouvellement annuel du titre de séjour délivré, ce qui consiste simplement à
vérifié que l’individu régularisé au titre de salarié exerce toujours le métier pour lequel il a
obtenu son titre de séjour.
Mais d’autre part, les préfets disposent d’un pouvoir discrétionnaire important dans la mesure
où ils ont le droit de déroger légèrement aux règles définies en régularisant des travailleurs
exerçants des métiers autres que ceux figurant sur leur liste régionale, s’ils estiment que
localement de graves difficultés de recrutement se font ressentir. Ils disposent également de la
compétence pour apprécier les critères d'ordre humanitaire ou exceptionnel, en procédant à un
examen individualisé, et établir l'aptitude des personnes à travailler dans l'un des métiers
concernés.
De plus, il leur est demandé de traiter « avec une particulière diligence » 63 c'est-à-dire de
manière prioritaire et surtout moins stricte les demandes envoyées par les employeurs euxmêmes.
Ils disposent donc du pouvoir d’arbitrer l’ordre de traitement des dossiers
indépendamment de leur ordre d’arrivée, mais aussi d’imposer un traitement différent entre
ceux-ci sans avoir à rendre de comptes sur ce point.
Au regard de ces éléments, on comprend le caractère très centralisé et très contrôlé de cette
politique. En dépit d’une déclinaison régionale des listes de métiers, il ne faut oublier que
celles-ci ont été définies dans tous les cas par les autorités administratives nationales ; et que
c’est exclusivement le préfet, représentant de l’autorité de l’Etat dans les départements et
régions qui contrôle les outputs de la loi.
Un PPA multi niveaux : les jeux directs et indirects
Aussi, compte tenu des règles institutionnelles (caractérisées par une centralisation du
processus décisionnel) et des ressources détenues par les acteurs politico-administratifs, les
autres acteurs du triangle institutionnel, et en particulier les lésés, cherchent à influer sur
l’édiction du plan d'action (PA) en mobilisant eux-mêmes d’autres ressources. En fonction de
celles dont ils disposent, ils peuvent agir plus ou moins directement, plus ou moins à la marge
du processus, entraînant éventuellement des incohérences entre les principes initialement
édictés et leur réalisation pratique.
L’exemple de l’hôtellerie-restauration
On peut, à ce titre, citer les patrons de l’hôtellerie-restauration (lesquels sont appuyés
également par les syndicats) dont les employés sans-papiers ne sont pas formellement inclus
dans le processus de régularisation, faisant d’eux des lésés (cf. triangle institutionnel).
Si les éléments institutionnels et substantiels excluent ces acteurs, ces derniers essaient de
« rentrer dans le jeu », notamment en accompagnant le mouvement des sans-papiers, tels que
le Syndicat national des hôteliers, restaurateurs, cafetiers et traiteurs (Synhorcat) et l’Union
des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) qui « se sont joints aux sans-papiers pour
interpeller le gouvernement » (L’Express.fr, 18 avril 2008). Ces syndicats affirment
63 Circulaire du 20 décembre 2007, op. cit.
62

notamment que l’embauche par les patrons des sans-papiers, qui ont montré à ces derniers de
faux documents, n’a souvent pas été faite en connaissance de cause. Les patrons auraient pour
nombre d’entre eux cru en toute bonne foi avoir embauché des étrangers présents légalement
sur le territoire français 64 . Autrement dit, la stratégie des patrons consiste à s’intégrer dans le
groupe des victimes du problème des sans-papiers pour ainsi passer du groupe des lésés à
celui des bénéficiaires finaux de la politique.
Les jeux des acteurs en vue d’une redéfinition de la configuration du PPA ont donc pour
conséquence l’émergence d’une coalition de groupes, qui malgré des intérêts
traditionnellement hétérogènes, voire contradictoires 65 parviennent dans une certaine mesure à
s’allier dans les stratégies mises en place en vue d’une régularisation des sans-papiers
travaillant dans l’hôtellerie et la restauration. L’existence de cette coalition hétérogène
d’acteurs peut s’expliquer par l’incapacité des autorités politico-administratives à mobiliser la
ressource confiance. En effet, ces acteurs s’appuient sur cette absence de consensus pour
développer une stratégie consistant à publiciser au maximum leur cause, notamment par des
actions spectaculaires (telles que le soutien aux grèves de la faim).
Parallèlement à cette stratégie médiatique, les acteurs cherchent à profiter d’une « brèche »
réglementaire dans le PPA. En effet, comme nous le verrons plus en détail au niveau du plan
d’action la circulaire du 20 décembre 2007 ouvre la possibilité de procéder à des
régularisations dans certains cas exceptionnels (tension sectorielle localement importante pour
un métier ne figurant pas sur la liste régionale).
Or c’est à partir de cette disposition qu’un nombre relativement conséquent de sans-papiers
travaillant dans l’hôtellerie et la restauration a pu être régularisé. Ceci, dans une certaine
mesure, rentre en contradiction avec l’énoncé initial du PPA. Cette incohérence s’est vue par
la suite légitimer par les acteurs politiques eux-mêmes, au travers d’une justification de ces
régularisations par une lecture ex post des dispositions en œuvre. C’est ainsi que, notamment,
le ministre de l’Immigration a expliqué ces régularisations comme entrant pleinement dans les
dispositifs du PPA, notamment puisqu’il ne s’agit pas d’une régularisation massive, mais au
cas par cas, et que ces régularisations ont lieu dans des secteurs connaissant des graves
pénuries de main d’œuvre (Hortefeux 23 avril 2008). Or de fait, ces secteurs avaient été
initialement non inclus dans la formalisation politico-administrative des métiers en tension.
Une redéfinition du PPA en faveur de davantage de bénéficiaires
Ce paradoxe entre la production d’un discours qui visait à exclure une certaine catégorie de la
population de travailleurs sans-papiers et son inclusion de fait au sein du processus de
régularisation a au final été résolu par une redéfinition du PPA, au travers d’une
institutionnalisation de la reconnaissance des travailleurs illégaux de l’hôtellerie restauration
en tant que potentiellement éligibles à la régularisation. En effet, les mouvements de grève,
entamés en avril 2008 ont abouti à la mise en place de réunions entre le ministère de
l’Immigration et la CGT au cours desquelles a finalement été décidée l’extension des critères
de régularisation.
A ce titre, désormais, la régularisation peut porter sur l’ensemble des 150 métiers prévus par
la liste qui initialement avait été exclusivement destinée aux ressortissants des pays de
l’Union Européenne en transition. De même, les travailleurs intérimaires peuvent désormais
voir leur situation être régularisée, à condition, notamment, que ceux-ci puissent justifier de
12 SMICS mensuels du 1 er janvier 2007 au 30 juin 2008. Ainsi, le jeu des acteurs est donc à la
64 Ainsi par exemple, la Synhorcat se défend de « se mettre dans les rails de la CGT »
(Synhorcat, « C.R. du Comité Directeur », 23 avril 2008)
65 Ibid.
63

fois direct et indirect en ce qu’il porte tant sur les éléments substantiels que sur les éléments
institutionnels du PPA (Barbier, 17 décembre 2008).
C’est ainsi qu’au travers d’un moyen détourné combinant la publicisation d’une cause avec un
travail d’expertise juridique et réglementaire que de nouveaux acteurs ont été introduits. En
particulier, les syndicats qui, jusqu’alors, n’avaient été que très peu mobilisés sur les
questions des travailleurs étrangers, notamment dans la mesure où aucun rôle formel ne leur
avait été initialement confié par le PPA (à la différence des patrons par exemple) deviennent
des acteurs à part entière, des interlocuteurs et offrent leur support en accompagnant ces sanspapiers
et les aidant à déposer leurs dossiers. A ce titre, le jeu des acteurs a permis de redéfinir
une configuration qui n’avait pas été formellement édictée par le PPA initial.
Au final, on peut donc dire que le programme politico-administratif ici étudié définit en
termes juridiques (lois, arrêtés, circulaires) le mandat politique formulé par le législateur et le
gouvernement à titre de solution au problème public à résoudre. On y retrouve les éléments
substantiels, les objectifs, les éléments opérationnels, les ressources et éléments procéduraux
imposés aux groupes cibles. Par sa définition des modalités substantielles et institutionnelles
de la régularisation des sans-papiers au titre de leurs compétences professionnelles et en
raison des besoins économiques du pays, la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 a fixé un
nouvel agencement des acteurs impliqués dans ce domaine.
LA MISE EN OEUVRE DE LA LOI
Le plan d'action (PA)
Le plan d'action (PA) est défini comme l'ensemble des décisions de planification considérées
comme nécessaires à la production coordonnée et ciblée de prestations administratives
(outputs) et qui, dans certaines circonstances, peuvent déjà être partiellement établies dans le
PPA. Les plans d'action fixent donc des priorités pour la production des actes concrets et pour
l'allocation des ressources nécessaires à ces décisions et activités administratives.
La définition de listes de métiers ouvrant droit à régularisation
De manière pratique, et à la suite de l’ensemble de textes juridiques parus, les pouvoirs
publics ont élaboré deux listes de métiers pour lesquels l'offre est en moyenne très supérieure
à la demande au niveau national et pour lesquels d'importantes difficultés à pourvoir les
postes se font sentir :
- celle des 150 métiers, qui est ouverte aux travailleurs de l’Union européenne,
64
- celle des 30 métiers, qui est proposée aux travailleurs de pays tiers et ne comprend pas
de métiers peu qualifiés.
En application du principe de préférence communautaire, la liste ouverte aux ressortissants de
pays tiers est plus restreinte que la deuxième. Ces listes ont été effectuées par un suivi de
l'évolution des métiers en tension, un travail de prospective sur les métiers et qualifications
réalisé par le Centre d'Analyse Stratégique (CAS) et la Direction de l'Animation et de la
Recherche des Etudes et des Statistiques (DARES), par les constats de l'Agence Nationale
Pour l’Emploi (ANPE), et enfin par les propositions directes des fédérations professionnelles.
Elles ont été soumises aux partenaires sociaux, puis adoptées par le Comité Interministériel de
Contrôle de l'Immigration (CICI).

Cependant, le processus de sélection des métiers figurant dans les listes, sous couvert d’une
certaine rationalité, relève d’un choix éminemment politique 66 . De façon tout à fait
significative, les réunions au cours desquelles les listes ont été édictées ont été assurées sous
le secrétariat de la Direction de la Population et des Migrations, qui est sous autorité conjointe
du ministère du Travail et du ministère de l’Immigration et qui est à la fois chargée de
produire une expertise, statistique notamment, sur la situation de l’immigration en France,
mais également a en charge de participer à l’accueil et l’intégration des immigrés. A ce titre,
« elle s’appuie sur deux grands opérateurs : l’ANAEM (Agence Nationale de l’Accueil des
Etrangers et des Migrations) et l’ACSÉ (Agence nationale pour la Cohésion Sociale et
l’Egalité des Chances) ; elle participe à l’élaboration législative en matière d’acquisition et de
retrait de la nationalité française, et statue sur le plus grand nombre. 67 » En d’autres termes, le
rôle de la DPM n’est pas purement descriptif, il est également prescriptif et donc intégré,
« politiquement », dans le processus des décisions touchant aux politiques migratoires. Etaient
également présents, le CICI, la Direction Générale à l’Emploi et à la Formation
Professionnelle (DGEFP), la Direction Générale du Trésor et de la Politique Economique
(DGTPE), la DARES, l'ANPE, la Direction Régionale à l’Emploi et à la Formation
Professionnelle (DRTEFP) Ile de France, l'ANAEM, le Conseil d'Analyse Stratégique (CAS)
ainsi que le ministère des Affaires Etrangères, autrement dit, seulement des institutions
publiques. En ce sens, les représentants du patronat, ni du monde associatif, n’ont été présents
au moment de l’édiction de la liste en elle-même.
Ainsi, s’agissant des méthodes à partir desquelles les listes sont établies, on peut dire que
s’agissant de celle relative aux ressortissants européens, elles sont au nombre de trois :
● 61 métiers déjà ouverts depuis le 1er mai 2006, dont le taux de tension moyen (rapport entre les offres
faites par les employeurs et les demandes de personnes à la recherche d'un emploi) est de 1,4 et qui
représentent 25% de la part des offres d'emploi enregistrées en 2006 par l'ANPE ;
● 54 métiers dont le taux de tension moyen est de 0,9 et pour lesquels des consultations ont été conduites en
avril dernier, notamment au sein du Comité de dialogue social international et européen (CDSEI) ;
● 35 métiers demandés par les fédérations professionnelles 68 . […]
Une définition laissant transparaître des choix avant tout politiques
En ce qui concerne ces deux premiers sous-ensembles, les listes ont donc été établies en fixant
un seuil pour la valeur de la tension sectorielle (rapport entre le nombre d’offres d’emploi et
le nombre de demandes au sein d’une même branche professionnelle), respectivement à 1,4 et
à 0,9. Il s’agit donc bien d’un critère objectivant et permettant de discriminer les métiers sans
ambigüité ; néanmoins reste en suspens la question du choix de ces valeurs précises qui lui
repose tout de même sur une part d’arbitraire. En effet, choisir une valeur légèrement
inférieure (0,85 par exemple) aurait permis à l’évidence d’inclure davantage de métiers dans
cette liste. Le choix de ces valeurs limites reste donc en premier lieu une décision
politique qui cherche à se draper d’impartialité à travers l’appui de l’expertise apportée par les
différentes institutions publiques citées ci-avant et ayant participé à la définition des dites
valeurs.
66 Sauf indication contraire, les renseignements sur l’élaboration de ces listes est tirée de l’annexe 1 de la
circulaire du 20 décembre 2007 relative aux autorisations de travail délivrées au ressortissants des nouveaux
États membres de l'Union européenne pendant la période transitoire et des États tiers, sur la base de listes de
métiers connaissant des difficultés de recrutement.
67 ministère du Travail, des Relations Sociales et de la Solidarité (2 août 2007) « Direction de
la Population et des Migrations (DPM) », disponible sur
68 Circulaire du 20 décembre 2007, op. cit.
65

Par ailleurs, l’objectivité de la liste devient encore plus difficile à justifier dans le cas du
troisième sous-ensemble : la prise en compte des demandes par les fédérations
professionnelles a certes été faite autour d’une concertation, mais elle a nécessairement exclu
une partie des acteurs. Ainsi, si l’Institut de l’entreprise, l’Association française des banques,
l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie et la Fédération française du bâtiment 69
étaient présents, on peut noter l’absence du Syndicat National des Hôteliers, Restaurateurs,
Cafetiers et Traiteurs (Synhorcat).
66
La méthode adoptée pour constituer cette liste repose sur l'indicateur de tension enregistré par l'ANPE mais
aussi sur la pérennité des besoins économiques des secteurs professionnels concernés tels qu'ils ont été
identifiés par les travaux du Conseil d'analyse stratégique (CAS) et restitués dans le rapport “Prospective des
métiers et des qualifications, les métiers à l'horizon de 2015 70 ”
A cet égard, il est intéressant de noter que le rapport du CAS, conjointement rédigé avec la
DARES 71 établit deux prévisions qui en un sens permettent au ministère de l’Immigration de
justifier un double processus de sélection des régularisations. Ainsi, ce rapport prédit pour
2015 un solde migratoire annuel de 100 000 personnes. Si ce chiffre est donné à titre
d’estimations purement prospectives, il est fort possible qu’une telle donnée soit à terme
implicitement assimilée à un objectif à atteindre permettant de légitimer certains choix
politiques. D’autre part, le rapport prévoit des « opportunités limitées pour les jeunes peu
qualifiés », mais en revanche, des difficultés de recrutement pour les métiers qualifiés.
Autrement dit, l’édiction d’une liste à partir du rapport du CAS permet une sélection
quantitative et qualitative des métiers éligibles.
Cette sélection est d’autant plus stricte pour la liste des ressortissants des pays tiers qu’
[u]n premier tri a été réalisé en retenant les métiers de niveau de qualification requérant des diplômes ou
titres de l'enseignement supérieur et connaissant un indicateur de tension supérieur à 0,9 (21 métiers). Cette
sélection a été complétée par des métiers de niveaux de qualification V et VI pour lesquels étaient relevées
les tensions les plus fortes 72 .
En conséquence, alors que la liste pour les ressortissants des pays européens « recouvre 1 371
931 offres d'emploi enregistrées en 2006 par l'ANPE ce qui représente 40% du total des offres
d'emploi », le « projet de liste [pour les ressortissants de pays tiers] correspond […] à 152 760
offres enregistrées à l'ANPE en 2006, soit une part de 4% de l'ensemble des offres. 73 » A cet
égard, les métiers demandés par les fédérations professionnelles, n’ayant pas été déterminés
par l’indicateur de tensions, se retrouvent potentiellement plus facilement évincés du
processus de sélection dans le cadre de la liste pour les ressortissants des pays tiers.
Notons par ailleurs que cette liste restreinte de 30 professions pourra être complétée dans le
cadre d’accords bilatéraux de gestion concertée de flux migratoires, tel l’accord signé le 25
octobre 2007 avec la République du Congo, qui prévoit d’accueillir, en France, 100 jeunes
professionnels et de délivrer 150 cartes "compétences et talents", ou celui signé avec le
Gabon.
Autrement dit, sous couvert d’une certaine scientificité dans l’élaboration des listes, par
l’usage d’instruments (cf. l’indicateur de tension de l’ANPE) qui pourrait laisser penser à un
mouvement quasi-mécanique de sélection des métiers, celle-ci reste en premier lieu, un choix
politique. Celui-ci vise à restreindre l’accès à la régularisation des sans-papiers ressortissants
69 ministère de l’Immigration (juin 2007) Communiqué : Immigration de travail : Brice Hortefeux
engage une concertation avec les fédérations professionnelles.
70 Circulaire du 20 décembre 2007, op. cit.
71 Centre d’Analyse Stratégique, Dares (2007) Les Métiers en 2015, rapport disponible sur
72 Circulaire du 20 décembre 2007, op. cit.
73 Ibid.

de pays tiers et crée un décalage entre les attentes du dispositif et la configuration migratoire
actuelle, tel que le souligne un rapport rédigé « au nom de la commission des Finances, du
contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur les administrations chargées
de l'immigration économique » 74 :
En l'espèce, les métiers ouverts à l'immigration professionnelle pour les ressortissants
des États tiers à l'Union européenne, sans que la situation du marché du travail ne soit
opposable, correspondent à des emplois qualifiés. Les préfectures interrogées par votre
rapporteur spécial sur les modalités de mise en œuvre de l'article 40 de la loi relative à
la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile ont toutes fait valoir que ce
dispositif ne pouvait s'appliquer aux demandes de régularisation déposées sur un
motif économique par des ressortissants étrangers en situation irrégulière, puisque
ceux-ci occupaient dans leur très grande majorité des emplois peu qualifiés, dans le
domaine notamment du bâtiment, du nettoyage et de la restauration 75 .
Une brèche importante dans le PA
Comme nous l'avons vu dans notre étude du PPA, les acteurs cherchent à profiter d’une
« brèche » réglementaire dans le PPA. En effet, si la circulaire établit des listes précisément
dressées à partir desquelles les régularisations peuvent être mises en place, l’autre circulaire
relative à la mise en œuvre concrète du dispositif et adressée aux préfets ouvre la porte à des
exceptions. Ainsi, elle laisse entrevoir la possibilité de régularisation pour des sans-papiers
travaillant dans des métiers ponctuellement ou localement en tension qui ne seraient pas
référencés dans la première circulaire.
« A titre exceptionnel, seules pourront tout de même faire l'objet d'un examen les
demandes qui, tout en respectant l'intégralité des autres conditions, seraient liées à un
métier qui, sans figurer dans la liste régionale, connaît des difficultés de recrutement
particulièrement aiguës dans le bassin d'emploi concerné. Dans cette hypothèse, vous
pourrez ne pas opposer l'irrecevabilité et examiner la demande suivant les modalités
exposées ci-dessus. » 76
A l’évidence, l’intégration de ces quelques lignes à une circulaire d’application de la loi ouvre
la porte à de nombreuses tentatives de contournement dans la mesure où elles permettent des
exceptions au cadre général incarné par les listes des métiers. Mais, de plus le cadre de ces
régularisations exceptionnelles reste extrêmement flou. Dès lors, déterminer dans quelles
conditions (quelle valeur de la tension sectorielle ? sur quel périmètre géographique ?) cellesci
peuvent être envisagées est un choix qui restera à la discrétion des services préfectoraux ;
induisant de fait une part d’arbitraire non négligeable dans la procédure.
L’existence de cette brèche importante dans le PA est donc une opportunité sur laquelle
peuvent s’appuyer les lésés pour à leur tour tenter de devenir bénéficiaires ; et comme nous
l’avons vu précédemment, c’est précisément ce qu’il s’est produit dans le cas de l’hôtellerie
restauration.
Compte tenu de ces éléments, la faille que nous avons relevée dans le PA est loin d’être
anodine. En effet, la part d’arbitraire introduite (dans la mesure où le cadre précis des
régularisations exceptionnelles n’est pas défini) fait reposer sur la seule personne du préfet le
74
A. Ferrand (25 juin 2008) « Rapport d’information n° 414 ; Immigration professionnelle :
difficultés et enjeux d’une réforme ».
75
A. Ferrand, op. cit
76
Circulaire NOR n° : IMI/N/08/00012/C concernant Application de l'article 40 de la loi du 20 novembre 2007
relatif à la délivrance de cartes de séjour portant la mention « salarié » au titre de l'admission exceptionnelle au
séjour.
67

choix de régulariser ou non certains sans-papiers. Dès lors, de nombreux groupes de
travailleurs ou d’employeurs, dès lors qu’ils parviennent à mobiliser suffisamment de
ressources, peuvent faire pression sur les services préfectoraux pour tenter d’obtenir des
régularisations et réussir. Cette situation qui a donc pu être observée dans le cas des hôteliers
restaurateurs traduit en fait, l’incapacité du PA à produire des outputs. En effet, la définition
de ces derniers est largement soumise aux pressions de certains acteurs, en particulier les
groupes lésés. Ayant perdu le jeu direct à l’étape du PPA, certains d’entre eux peuvent
parvenir à faire infléchir les outputs pour gagner à leur tour dans le cadre d’un jeu indirect.
L'importance relative des jeux d'acteurs, directs et indirects
Au travers d’un moyen détourné combinant la publicisation d’une cause avec un travail
d’expertise juridique et réglementaire, de nouveaux acteurs ont été introduits.
De manière singulière, les syndicats qui, jusqu’alors n’avaient été que très peu mobilisés sur
les questions des travailleurs étrangers, notamment dans la mesure où aucun rôle formel ne
leur avait été initialement confié par le PPA (à la différence des patrons par exemple)
deviennent des acteurs à part entière, des interlocuteurs et offrent leur support en
accompagnant ces sans-papiers et les aidant à déposer leurs dossiers. A ce titre, le jeu des
acteurs a permis de redéfinir une configuration (PA) qui n’avait pas été formellement édictée
par le PPA initial.
Des acteurs qui avaient perdu le jeu direct et n’étaient pas intégrés au PPA arrivent à faire
infléchir par un jeu indirect le PA voire même les outputs pour devenir bénéficiaires de cette
politique publique (par une médiatisation importante, par une mobilisation syndicale inédite
sur la question des sans-papiers…).
Toutefois, force est de constater que la reconnaissance institutionnelle de la tension spécifique
sur le marché du travail de l'hôtellerie et de la restauration reste en premier lieu un choix
politique. En effet, les rapports de la DARES définissent un nombre de métiers en tension
plus important que celui de la liste. Le choix d'un secteur spécifique est donc bel est bien lié à
des contingences politiques, voire un « lot de consolation » suite à l'impossibilité pour l'Etat
français d'abaisser la TVA dans ce secteur, ce qui constitue pourtant à la fois une demande
ancienne des patrons et une promesse de campagne maintes fois exprimée. En effet, et de
façon tout à fait significative, on peut se rendre compte que, très souvent, les responsables
syndicaux d’employeurs, sans établir expressément un lien discursif entre ces deux
problématiques, produisent des discours associant la question des régularisations et celle de la
TVA 77 .
La réintroduction de nouveaux acteurs tend là encore à confirmer une dimension implicite
non-négligeable dans les règles encadrant le jeu de ces acteurs, et qui permet à ces derniers de
négocier, de faire jouer de leur influence sur la production des outputs. A l’évidence, dans le
cas des régularisations à titre exceptionnel, le préfet joue un rôle crucial dans la mesure où lui
seul prend la décision, sans avoir besoin de la justifier. Dès lors, on peut émettre plus
généralement l'hypothèse, matériellement difficile à vérifier, que certains patrons, en fonction
de leurs relations (avec les personnalités politiques locales notamment), de leur entente avec
le préfet, et plus généralement de leur influence sur la vie socio-économique locale peuvent
peser en faveur de ces régularisations à titre exceptionnel. En d'autres termes, l'influence sur
les outputs ne se jouerait pas nécessairement au sein d'un cadre réglementaire précisément
défini ; elle pourrait se situer à l'extérieur, introduisant une part de non dit et d’arbitraire.
77 A titre d’exemple, voir l’interview d’André Daguin sur RTL (21 avril 2008) "100.000
régularisations dans la restauration sont à faire", disponible sur
ou Synhorcat, (23 avril 2008) « C.R. du Comité Directeur », disponible sur
68

Des outputs entre les mains des préfets
Les outputs sont l'ensemble des produits finaux des processus politico-administratifs qui,
s'inscrivant dans sa mise en œuvre, s'adressent individuellement aux personnes faisant partie
des groupes cibles visés. Les actes finaux comprennent les produits administratifs directement
adressés aux groupes cibles par l’administration et par les autres organes (privés et
paraétatiques) en charge d’exécuter des tâches publiques.
En ce qui concerne la politique publique que nous étudions, la production d’outputs est assez
limitée : en effet, contrairement à de nombreuses autres politiques publiques, celle-ci ne se
traduit pas par des allocations de ressources, de subventions, de mesures incitatives, etc. Il
s’agit en fait principalement des titres de séjours délivrés par les préfectures aux étrangers leur
permettant ainsi de résider régulièrement sur le territoire et d’y travailler en toute légalité ou,
au contraire, des refus opposés aux demandes conjointes des employeurs et des travailleurs.
Pour ce qui est de la délivrance de ces titres de séjour, nous avons remarqué que la définition
des outputs conservait une part d’ambigüité du fait de l’existence d’une brèche dans le plan
d’action. Cet output peut donc être infléchi par le biais de pressions portées par des coalitions
d’acteurs exclus des listes de métiers lors de la définition du PPA. En s’appuyant sur l’aspect
discrétionnaire du pourvoir du préfet de délivrer des titres de séjour à titre exceptionnel, des
patrons (soutenus par leurs employés sans-papiers, ainsi que des syndicats et des associations)
peuvent jouer de leur influence pour obtenir gain de cause. Ainsi, ils peuvent parvenir à faire
considérer de nouvelles catégories de métiers comme étant en tension et jouer sur la définition
des bassins d’emplois en difficulté pour en faire étendre le périmètre de manière à être inclus
à l’intérieur et permettre au final à leur salarié illégaux de candidater à la régularisation.
Cependant il faut garder à l’esprit le fait que les autorités politico-administratives à l’origine
de l’ensemble de cette politique publique, ont toujours rejeté en bloc l’idée d’une
régularisation massive. Dès lors, de nombreuses conditions ont été fixées (cf. PPA) pour
pouvoir avoir droit à l’output carte de séjour et de manière évidente un certain nombre de
dossiers remis aux préfectures seront refusés. Pour les individus concernés cela signifie qu’ils
resteront illégalement sur le sol français ce qui n’est pas souhaitable dans une optique de
garantie de l’autorité de l’Etat. Dès lors, intervient l’output à caractère répressif, qui se traduit
par une Obligation à Quitter le Territoire Français (OQTF) délivrée aux personnes non
régularisables. Les individus concernés ayant été identifiés par les autorités administratives,
ceux-ci se retrouvent dans une position délicate ; en cas de non respect de l’obligation à
quitter le territoire, ils risquent d’être expulsés de force.
D’autre part, en ce qui concerne le renouvellement de cette carte de séjour, il sera effectué
dans les conditions de droit commun, en vérifiant notamment que l'activité exercée reste, au
moins les deux premières années, circonscrite à un métier sous tension.
Au final, l’ensemble des outputs de cette politique publique, qu’il s’agisse de la délivrance
des titres de séjour ou du volet répressif pouvant conduire à une expulsion, se trouve entre les
mains du préfet. Cela traduit bien, là encore, le profond ancrage national de cette politique et
la volonté de l’exécutif central d’en garder le contrôle.
Des énoncés évaluatifs encore non définis
Les effets d’une politique publique sont de deux ordres : d’une part, les impacts, c'est-à-dire
les effets observables auprès des groupes cibles, et, d’autre part, les outcomes, c'est-à-dire les
effets observables auprès des bénéficiaires finaux.
69

Cette politique publique n’en est qu’à sa première année de mise en application et la seule
évaluation qui en est faite est celle des services du ministère de l’Immigration, de
l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. M. Brice HORTEFEUX a
lui-même présenté un rapide bilan de son action depuis son entrée en fonction lors de ces
vœux, début janvier 2009. Il s’est félicité d’une réduction de l’immigration familiale et d’une
bonne application des dispositions prévues par la loi du 20 novembre 2007, notamment en ce
qui concerne l’immigration et la régularisation économiques.
En ce qui concerne les groupes cibles, c’est-à-dire les migrants présents illégalement sur le
territoire français, force est de constater que cette politique publique, au sein d’une politique
migratoire et d’intégration globale, a restreint les conditions de régularisation et augmenté les
difficultés pour obtenir des papiers. Preuve en est l’augmentation du nombre de reconduites à
la frontière, le chiffre de l’année 2008 dépassant même les objectifs ministériels.
S'agissant des patrons ayant embauché les sans-papiers, le processus conduisant à la
régularisation a sans conteste contribué à une plus grande « implication de l'employeur dans la
procédure d'admission exceptionnelle au séjour », tel que le préconisait la circulaire du 7
janvier 2008. Egalement, on peut dire que la politique que nous avons étudiée a contribué à un
certain « shame-effect » auprès des employeurs, tel qu'a pu le montrer la stratégie des
syndicats de l'hôtellerie et de la restauration consistant à condamner l'emploi délibéré de
clandestins et défendant dans le même temps les hôteliers et restaurateurs qui auraient, en
toute bonne foi, engagé des étrangers qu'ils croyaient être légalement présents sur le territoire
français.
En ce qui concerne les bénéficiaires finaux, c’est-à-dire les personnes « régularisables »
puisque leurs compétences permettent de pallier certains besoins de recrutement, leur
situation est très inégale selon les régions. En effet, chaque préfecture agit de manière
spécifique, notamment en raison du pouvoir discrétionnaire du Préfet en matière de
régularisation et de l’insertion de cette politique spécifique au milieu d’une orientation
politique plus globale de lutte contre l’immigration illégale, le travail au noir, le maintien de
manière irrégulière sur le territoire… De plus, les besoins en main d’œuvre varient fortement
d’une région à l’autre, ce qui explique que deux étrangers ayant pourtant des profils
comparables pourront connaître des sorts différents en fonction du lieu d’enregistrement de
leur demande.
S'agissant des employeurs qui se sont ainsi vus proposer une main d'œuvre répondant à leurs
besoins, ces derniers ont pu trouver un intérêt non négligeable dans la politique que nous
avons étudiée. Par ailleurs, si l'embauche des clandestins en vue de leur régularisation se fait
au prix d'une procédure coûteuse (en temps, au vu du nombre conséquent de documents à
fournir, mais aussi en termes d'argent étant donné la redevance forfaitaire dont les employeurs
doivent s'acquitter), l'engagement, financier notamment, des patrons à embaucher les sanspapiers
ne peut-être tenu qu'à la condition que ces derniers soient régularisés. En un sens, les
patrons ont donc les premiers tiré avantage de la politique de régularisation, expliquant ainsi
pourquoi certaines catégories d'employeurs, initialement exclues, ont cherché à s'intégrer au
sein du groupe des bénéficiaires finaux.
70

CONCLUSION
2008 a été, elle, l’année de l’affirmation et de l’adhésion. (1) Affirmation, avec la constitution, une fois
le ministère créé, d’une administration centrale et d’une culture commune. […] (2) Adhésion, ensuite,
parce qu’en 2008, nous avons gagné la bataille des idées. En effet, les principes qui guident la
nouvelle politique d’immigration de la France sont désormais quasi unanimement compris et
partagés 78 .
En définitive, on peut dire que l’analyse du pilotage de la politique publique a confirmé nos
hypothèses. L’absence de consensus entre les différents acteurs a conduit à une certaine
instabilité dans la mise en œuvre de la politique et a abouti récemment à un élargissement des
critères d’admission exceptionnelle au séjour pour les travailleurs sans papiers ressortissants
de pays tiers. En ce sens, l’analyse de cette politique nous a amené également à confirmer
l’analyse de Knoepfel, Larrue et Varrone, selon laquelle le cycle politique n’est pas un
processus linéaire, mais est soumis à de constants réajustements et redéfinitions.
L’étude du triangle des acteurs nous a permis d’identifier et de différencier les inclus des
exclus, ces derniers cherchant à influer sur le processus de programmation voire de mise en
œuvre de la politique publique de sorte à passer du groupe des lésés à celui des bénéficiaires.
Les stratégies employées par ces acteurs consistaient notamment à profiter de l’absence de
consensus sur cette politique publique, cherchant au travers d’une publicisation de leur cause
à rééquilibrer les interactions entre les différents acteurs.
De manière plus générale, les politiques migratoires, en définissant un « nous » et un « autre »
procèdent d’un double mouvement d’inclusion et d’exclusion, expliquant dans une large
mesure ces tensions interactionnelles. Mais le problème public, les hypothèses causales et
d’intervention n’existent que parce qu’elles sont identifiées comme telles par les décideurs
politiques. Autrement dit, les mécanismes au travers desquelles ce mouvement
d’inclusion/d’exclusion s’opère ne vont pas de soi. Nous avons en effet réussi à démontrer
qu’au-delà du discours de légitimation politique et de mise en adéquation entre flux
migratoires et besoins économiques, la politique que nous avons étudiée et la façon dont
celle-ci a été mise en œuvre résultent d’un choix de sélection des catégories éligibles qui reste
avant tout politique.
78
Brice Hortefeux (13 janvier 2009) « Discours de Brice Hortefeux à la presse ». Nos
italiques.
71

BIBLIOGRAPHIE
P. Knoepfel, C. Larrue, F. Varone (2001) Analyse et pilotage des politiques publiques,
Helbing & Lichtenhan.
Loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration
et à l'asile.
Circulaire n° IMI/N/08/00012/C concernant l’Application de l'article 40 de la loi du 20
novembre 2007 relatif à la délivrance de cartes de séjour portant la mention « salarié » au titre
de l'admission exceptionnelle au séjour.
Circulaire N° IMI/N/07/00011/C relative aux autorisations de travail délivrées au
ressortissants des nouveaux États membres de l'Union européenne pendant la période
transitoire et des États tiers, sur la base de listes de métiers connaissant des difficultés de
recrutement.
Ph. Bernard (2002) Immigration : le défi mondial, Ed. Gallimard.
C. Borrel (août 2006), « Enquêtes annuelles de recensement 2004 et 2005 : Près de 5 millions
d’immigrés à la mi 2004 », INSEE Première n° 1098.
T. Denis (12 août 2007) « La pression s’accentue sur les clandestins », La Croix.
L. van Eeckhout (9 janvier 2008) « Régularisation : un espoir pour les sans-papiers », Le
Monde.
France Terre d’Asile (9 janvier 2008) « Communiqué de Presse (Circulaire Travail) ».
B. Hortefeux (18 septembre 2007) « Discours devant l’Assemblée Nationale ».
___________(19 juin 2008) « Discours de Brice Hortefeux à la presse ».
__________ (23 avril 2008) « Pas de régularisation massive des sans-papiers », propos
recueillis par M.-C. Tabet, Le Figaro .
T. Mariani (18 juin 2003) Rapport sur le projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration et
au séjour des étrangers en France.
________ (12 septembre 2007) Rapport sur le projet de loi relatif à la maîtrise de
l’immigration, à l’intégration et à l’asile.
T. Serafini (25 août 2008) « Un Anniversaire marqué par la lutte des salariés sans-papiers »,
Libération.
P. Stefanini, J.-L. Schneider, Y. Chassard, L. Schmid (2006) « A-t-on vraiment besoin d’une
immigration économique en France ? », Horizons Stratégiques, 1/1, pp. 62-71.
X. Ternisien (22 novembre 2006) « L’outre-mer s’alarme de l’afflux d’immigrés
clandestins », Le Monde.
72