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dernier chant de l’Enfer de Dante en 1582, jusqu’à<br />
celle d’Ariane de Monteverdi représentée en 1608. Il<br />
n’est pas inutile de préciser qu’une première version de<br />
l’œuvre fut composée quelques mois seulement après<br />
la première de la célèbre Arianna sous le titre de Il<br />
pianto d’Orfeo, et on peut penser que, du moins du<br />
point de vue littéraire (car on ignore si cette première<br />
version fut également composée par Belli), Chiabrera a<br />
tiré les leçons de cette influence. Des traces éloquentes<br />
sont d’ailleurs visibles dans l’Orfeo dolente, qui reprend<br />
plusieurs fois <strong>des</strong> schémas syntaxiques présents chez<br />
Striggio/Monteverdi et même chez Rinuccini/Peri. Ainsi<br />
le "Ecco ch’a voi ritorno" du premier (début du<br />
Premier Intermède) répond au "Ecco pur ch’a voi ritorno"<br />
du second (début de l’acte II), tandis que "Rive<br />
ombrose e selvagge, / Deserte orride piagge" de<br />
Chiabrera (début du Troisième Intermède) fait écho au<br />
"Funeste piagge, ombrosi orridi campi" de Rinuccini<br />
(Scène 4 de l’Euridice), et les exemples sont bien sûr<br />
très nombreux.<br />
Musicalement on relèvera la brève ritournelle instrumentale<br />
par laquelle débute l’œuvre et qui est tout<br />
entière construite sur un tétracorde <strong>des</strong>cendant, schéma<br />
musical promis à un brillant avenir, notamment dans<br />
l’opéra vénitien, pour accompagner la forme spécifique<br />
du lamento. Le chant d’Orphée est âpre et tourmenté,<br />
contrebalancé par les admonestations de Pluton et les<br />
mises en garde de Calliope. L’association de chromatismes<br />
et de dissonances en rend le chant à la fois particulièrement<br />
expressif et redoutablement exigeant pour<br />
l’interprète qui doit littéralement incarner le personnage<br />
pour le représenter, selon les canons esthétiques de<br />
l’époque, c’est-à-dire le rendre présent sur scène. Mais<br />
par rapport à la première version de 1608, bien plus<br />
radicale, puisqu’elle s’achevait sur un long monologue<br />
d’Orphée s’éloignant vers son pathétique <strong>des</strong>tin de<br />
solitude, la version de Belli est plus riche en chœurs (et<br />
en cela plus conforme aux pratiques florentines <strong>des</strong><br />
Intermè<strong>des</strong>) qui reposaient généralement sur un mètre<br />
poétique différent et en conséquence sur une "intonazione"<br />
(mise en musique) plus variée. C’est ainsi que le<br />
chœur <strong>des</strong> Grâces, dans le Quatrième Intermède,<br />
apporte une note d’optimisme dans leur supplique au<br />
<strong>héros</strong> à reprendre goût à la vie, et rappelle l’allégresse<br />
du premier acte de l’Orfeo montéverdien. Le cinquième<br />
Intermède est d’ailleurs tout entier dévolu aux Grâces<br />
qui achève l’œuvre dans une tonalité festive.<br />
Le programme est complété par plusieurs pièces monodiques<br />
de contemporains de Belli, principalement de<br />
Caccini qui théorisa, dans ses Nuove musiche, cette<br />
nouvelle pratique musicale fondée sur la rhétorique<br />
<strong>des</strong> affetti. L'ensemble <strong>des</strong> pièces présentées ici donne<br />
un aperçu assez fidèle de toutes les techniques vocales<br />
préconisées par le maître florentin, <strong>des</strong> diminutions de<br />
Muove si dolce et Caduca fiamma, en passant par le<br />
pathétisme endolori et passaggiato de Tutto il dì piango,<br />
tandis que l'on succombera à la beauté envoûtante de<br />
Tu ch'hai le penne, véritable diamant brut de ces<br />
Nuove musiche, qui ouvrait à la musique occidentale<br />
un horizon décidément plus serein que celui d'Orphée.<br />
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