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Chapitre 31
La cave à vin n’était pas un endroit que Grier fréquentait souvent. D’abord, le chardonnay à 20
dollars qu’elle sirotait le soir ne valait guère la peine de monter et descendre l’escalier. Et ensuite, avec
sa porte de coffre-fort, son plafond bas et ses étagères qui couraient partout le long des murs, elle avait
toujours trouvé que la pièce ressemblait à une prison.
Et sans surprise, lorsque son père les enferma tous trois dans l’enceinte exiguë, la carrure d’Isaac
réduisit l’endroit à la taille d’une boîte de mouchoirs, si bien que Grier eut l’impression de ne plus
pouvoir respirer.
Une table vernie se trouvait au centre de l’espace et la jeune femme s’installa sur l’une des quatre
chaises. Comme Isaac s’asseyait de l’autre côté de la table, le souvenir de leur rencontre lui revint
aussitôt en mémoire : ils étaient assis de la même manière, l’un en face de l’autre.
Sauf qu’à présent, même si aucun d’eux ne portait de menottes, elle avait le sentiment irrépressible
qu’ils étaient liés l’un à l’autre… et que tous ces bouchons de bouteille formaient un peloton d’exécution
sur le point de faire feu.
Seigneur, quand on lui avait présenté Isaac, elle n’avait eu aucune idée de ce qui l’attendait.
D’un autre côté, peut-on jamais le savoir ? Les aléas de la vie, combinés à des choix malheureux,
peuvent parfois bousculer notre quotidien et former une sorte de tourbillon qui nous aspire pour nous
projeter dans un monde totalement différent.
Même en restant barricadé chez soi.
Assis près de la porte, son père posa les coudes sur la table et croisa les doigts.
— Ici, nous sommes en sécurité, dit-il en désignant une bouche d’aération percée au plafond et dotée
de deux petits drapeaux qui flottaient dans sa brise. La VMC puise l’air à quelques rues de là, ce qui
élimine tout risque de contamination. Il y a aussi un tunnel d’évacuation et un émetteur radio qui
déformera nos voix au cas où nous serions enregistrés.
Grier n’avait jamais entendu parler de ce tunnel. Elle balaya la pièce du regard sans trouver le
moindre signe d’un passage secret. Cela étant, vu tous les pièges cachés dans cette maison, elle n’était
pas vraiment surprise.
— Si je devais parler à quelqu’un, à qui me conseilleriez-vous de m’adresser ? demanda Isaac.
— Ça dépend de…
— Et maman, alors ? interrompit Grier en dévisageant son père, guettant le moindre tic autour de ses
yeux ou de sa bouche. Est-ce qu’elle est vraiment morte d’un cancer ?
Sept ans s’étaient écoulés, mais le souvenir des derniers jours de sa mère était encore vivace, et elle
se les repassa dans son esprit, cherchant les failles dans les murs des événements, les endroits où les
choses auraient pu être différentes de ce qu’elles avaient paru.
— Oui, répondit son père. Oui… Elle… Oui, c’était un cancer. Je te le jure.
Grier expira, médusée d’être soulagée par cette épouvantable maladie. Elle préférait que la
coupable soit mère Nature et qu’il n’y ait pas à réécrire l’histoire. Une deuxième fois.
Elle s’éclaircit la gorge et acquiesça.
— Bon. Alors, ça va.
Elle sentit une main chaude couvrir la sienne et la serrer. Comme son père avait les paumes sur la
table, elle se rendit compte qu’il s’agissait d’Isaac. Lorsqu’elle le regarda, il rompit le lien, ayant gardé
le contact juste assez longtemps pour lui faire savoir qu’il était avec elle sans pour autant qu’elle se sente
prisonnière.
Seigneur, cet homme était à la fois tout et son contraire. Brutal. Sensuel. Protecteur.