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Chapitre 14
Coincé comme un rat, songea Isaac. Lorsqu’il croisa les yeux de son avocate, hôtesse et cuisinière,
il était évident qu’elle savait qu’elle avait raison sur toute la ligne.
Il avait l’impression qu’elle l’avait mis à nu.
— Je crois que vous devriez vous désister de mon procès, dit-il d’un ton sinistre. À compter de ce
soir.
Elle parsema l’omelette frémissante de fromage râpé et de bacon.
— Je ne suis pas une dégonflée. Contrairement à vous.
OK. Là, il était vraiment en rogne.
— Je ne le suis pas non plus.
— Vraiment ? Et fuir vos responsabilités, vous appelez ça comment ?
En un instant, il s’était penché de l’autre côté du comptoir et la toisait d’un air menaçant. Tandis
qu’elle le fusillait du regard, il répondit d’une voix rude :
— J’appelle ça survivre.
Par courage, ou par stupidité, elle s’obstina.
— Parlez-moi. Nom de Dieu, laissez-moi vous aider. Mon père a des relations. Du genre haut
placées et très bien installées dans les arcanes du pouvoir. Il peut vous filer un coup de main.
Isaac conservait une apparence calme, mais son cerveau tournait à plein régime. Bon sang, qui était
son père ? Childe… Childe… Ce nom n’éveillait aucun souvenir.
— Isaac, répéta-t-elle. Je vous en prie…
— Vous m’avez fait libérer. Et ça, ça m’a aidé. Maintenant, il faut me laisser partir. Et oublier notre
rencontre. Si votre père est le genre d’homme que vous prétendez, vous savez très bien que dans certaines
branches de l’armée, une désertion équivaut à une peine de mort.
— Je croyais que vous n’étiez pas dans l’armée.
Sans tenter de le rattraper, il laissa ce mensonge s’ajouter à la pile de bobards qu’il lui avait
racontés.
Elle ajouta un peu de sel dans le silence seulement troublé par le craquement de la salière. Puis elle
replia l’omelette sur elle-même et la laissa quelques instants sur le feu.
Deux minutes plus tard, elle lui servit une assiette blanche et carrée, avec une fourchette en argent
ciselée.
— Je sais que vous êtes poli, dit-elle, mais ne m’attendez pas. C’est meilleur chaud.
Manger avant elle ne lui plaisait pas, mais étant donné qu’il l’avait rembarrée sur tout le reste, il
pensa que c’était l’occasion de se montrer accommodant. Gagnant l’évier, il se lava les mains avec du
savon puis s’assit et dévora son repas jusqu’à la dernière bouchée.
C’était divin.
— Restez dormir ici, dit-elle après s’être servi une part d’omelette qu’elle entama, debout devant le
comptoir. Et demain matin, je me désisterai de votre affaire, mais à condition que vous preniez le petit
déjeuner avec moi. Ah, et vous emporterez votre argent quand vous partirez. Je refuse d’être mêlée à ça.
Si vous fuyez, vous aurez cette dette sur la conscience.
Une vague d’écœurement le traversa, le clouant à son tabouret. Curieusement, parmi ses nombreux
péchés, lui devoir de l’argent représentait un fardeau insupportable, bien plus que le nombre de cadavres
qu’il avait semés sur son chemin. Mais c’était l’effet que les gens respectables produisaient
invariablement sur lui… Ils lui donnaient une vision bien trop nette de ce qu’il était.
Alors qu’il s’apprêtait à refuser son offre, elle le prit de court.