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La saga Arlette, tome 3 - Je me livre ... Eric Vincent

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<strong>Eric</strong> VINCENT<br />

LA SAGA ARLETTE<br />

TOME 3<br />

Infir<strong>me</strong> hier,<br />

branlant aujourd’hui,<br />

debout dès demain


Site : http://ericvincent.no-ip.org/<br />

2<br />

<strong>La</strong> <strong>saga</strong> <strong>Arlette</strong>, <strong>to<strong>me</strong></strong> 3<br />

© <strong>Eric</strong> <strong>Vincent</strong> 1999. Tous droits réservés.<br />

Toute ressemblance avec des situations ou des personnages ayant existé, existant ou à<br />

venir, serait fortuite.


A <strong>Arlette</strong>, la fem<strong>me</strong> qui m’a écouté…<br />

Infir<strong>me</strong> hier, branlant aujourd’hui, debout dès demain<br />

3


4<br />

<strong>La</strong> <strong>saga</strong> <strong>Arlette</strong>, <strong>to<strong>me</strong></strong> 3<br />

<strong>Arlette</strong> avait senti la vie s’échapper du corps d’<strong>Eric</strong>. D’abord, les <strong>me</strong>mbres s’étaient figés<br />

définitive<strong>me</strong>nt, les blessures empêchant tout mouve<strong>me</strong>nt. Ensuite, elle avait dû soutenir<br />

sa tête, la nuque perdant brusque<strong>me</strong>nt toute force. Enfin, ses yeux et ses lèvres avaient<br />

connu les derniers spas<strong>me</strong>s présageant une mort proche. Son regard aimanté, si enjôleur,<br />

si rieur et son sempiternel sourire étaient tombés aux oubliettes.<br />

<strong>Arlette</strong> le tenait dans ses bras, une main sous la tête, l’autre sur le ventre de son<br />

compagnon pour retenir les entrailles mises à nu. <strong>La</strong> mitrailleuse l’avait presque coupé en<br />

deux lors de cette embuscade tendue par la milice du président, le Cul Cul Clan. Un<br />

nouveau piège imaginé par cette fiotte de président !<br />

Les balles fusaient autour d’elle. Elle s’en moquait. Elle n’écoutait mê<strong>me</strong> pas les<br />

suppliques de Yann l’exhortant à quitter le squat au plus vite. Yann Delaunay,<br />

l’organisateur des opérations commandos contre le pouvoir en place, l’ardent défenseur<br />

de la mixité. Tous les <strong>me</strong>mbres de la F.O.U.N.E. (Fédération Omni Universelle Niquant<br />

les Enflures) luttaient pour le droit à la mixité, pour le droit à vivre en couples<br />

hétérosexuels et non plus exclusive<strong>me</strong>nt en couples homosexuels. Tous luttaient contre le<br />

président BACANAL et ses deux sbires, ses deux â<strong>me</strong>s damnées, Vigor et Margarine,<br />

respective<strong>me</strong>nt ministre de la prospection et ministre de l’intérieur. Deux belles enflures<br />

(c’était le cas de le dire et la raison du combat) qui appliquaient le règle<strong>me</strong>nt à la lettre (la<br />

lettre Q).<br />

<strong>La</strong> loi, votée quelques années auparavant, était parfaite<strong>me</strong>nt claire sur le sujet : une peine<br />

de vingt ans d’emprisonne<strong>me</strong>nt en cas de vie commune mixte, voire une exécution<br />

sommaire si preuve était faite que l’accusé avait commis des actes de guerre contre<br />

l’autorité gouverne<strong>me</strong>ntale.<br />

<strong>La</strong> mitrailleuse avait achevé le dernier pan de béton protecteur. <strong>La</strong> milice approchait<br />

dangereuse<strong>me</strong>nt. <strong>Eric</strong> l’avait retenue au maximum afin de per<strong>me</strong>ttre l’évacuation des<br />

fem<strong>me</strong>s, des enfants et des vieillards ; <strong>Arlette</strong> s’était portée à ses côtés, imitant Yann venu<br />

en renfort. Ils auraient dû faire confiance à Antoine, le fils d’<strong>Arlette</strong> : le responsable de<br />

l’observation et de l’espionnage, roi de l’optique électronique, avait détecté les préparatifs<br />

d’une opération d’envergure exceptionnelle, une manoeuvre destinée à éradiquer<br />

définitive<strong>me</strong>nt la F.O.U.N.E. Mê<strong>me</strong> si son expérience était courte dans le domaine, il<br />

savait ce qu’il faisait, il était passé maître dans l’art de piéger l’ennemi à son insu.<br />

Ils auraient dû l’écouter. Cela aurait évité l’inutile sacrifice de vies, sacrifice amoindri grâce<br />

à l’action d’<strong>Eric</strong>, seul avec son fusil mitrailleur, ajustant chacun de ses tirs en les<br />

combinant avec des ricochets, com<strong>me</strong> au billard, sport tranquille dans lequel il excellait.<br />

Malheureuse<strong>me</strong>nt, malgré l’aide de ses comparses, le feu de l’ennemi était trop fort, trop<br />

nourri. Un <strong>me</strong>mbre actif du Cul Cul Clan l’avait eu par derrière, le prenant à revers. <strong>La</strong><br />

rafale, une dizaine de balles de gros calibre, fit des ravages dans le dos et dans le ventre,<br />

traversant son corps de part en part, <strong>me</strong>ttant ses intestins à l’air. Yann avait abattu<br />

l’enflure d’une balle en pleine tête, en poussant une quantité de jurons. Une seule balle. Il<br />

fallait économiser les munitions et ces salopards ne valaient pas plus.<br />

<strong>Arlette</strong> avait hurlé en se précipitant auprès de son aimé. Pas <strong>Eric</strong> ! Pas lui qui l’avait<br />

sauvée de la conversion à l’homosexualité, traite<strong>me</strong>nt particulière<strong>me</strong>nt douloureux<br />

pratiqué par des Amazones sur les sujets déviationnistes. A l’époque, <strong>Eric</strong> se livrait à la<br />

guerre en solitaire. D’ailleurs, au début, à la F.O.U.N.E., ils avaient cru qu’il s’agissait d’un


Infir<strong>me</strong> hier, branlant aujourd’hui, debout dès demain<br />

espion de Vigor et Margarine. Sa solitude et son passé inexistant en faisaient un suspect<br />

douteux. Il était apparu com<strong>me</strong> par magie, entrant dans le commissariat, abattant toutes<br />

les fiottes lui barrant le passage. Pour la sauver.<br />

Qui était-il ? Elle ne le saurait probable<strong>me</strong>nt jamais car il mourait dans ses bras.<br />

- <strong>Je</strong> t’ai<strong>me</strong>, mon chéri ! Lui cria-t-elle dans l’assourdissant tumulte de la bataille.<br />

Il tenta de desserrer les dents, combattant la douleur, pour lui souffler quelques mots. Sa<br />

poitrine se souleva pour s’emplir d’air et il lâcha :<br />

- Mission… finie…<br />

Ses dernières paroles. <strong>La</strong> poitrine retomba lente<strong>me</strong>nt, l’ulti<strong>me</strong> souffle de vie partit. Le<br />

regard se figea. <strong>Arlette</strong> leva les yeux au ciel pour crier sa haine de l’injustice. Pourquoi ?<br />

Pourquoi lui ? Lui qui aimait tant donner, se voyait repris par le Tout Puissant. Pourquoi<br />

l’avait-il envoyé pour le reprendre par la mort violente ?<br />

Pour montrer le chemin, la voie à suivre, la voix à écouter. Pas pour lui infliger une<br />

nouvelle épreuve, com<strong>me</strong> elle le crut un instant. Pour lui donner la force de gagner le<br />

combat pour le droit à la différence, pour le droit au bonheur.<br />

Yann vit bien qu’elle ne pouvait plus réagir. Elle en était incapable, tétanisée, accablée par<br />

le chagrin. Il l’empoigna fer<strong>me</strong><strong>me</strong>nt tandis qu’un hom<strong>me</strong> bâti com<strong>me</strong> une montagne<br />

traîna la dépouille du défenseur des nuits câlines. Yann couvrit leur sortie au lanceflam<strong>me</strong>s,<br />

barrant le passage à la milice, le temps de gagner les bases arrières. Ils<br />

descendirent l’escalier <strong>me</strong>nant à la cave du bâti<strong>me</strong>nt et entrèrent dans le réseau des égouts<br />

par une porte dérobée. Lorsqu’ils furent à une distance respectable du théâtre des<br />

opérations, Yann retira une télécommande d’une des poches de son treillis. Il arma et<br />

déclencha l’explosion. Au-dessus, le bâti<strong>me</strong>nt délabré partit en fumée et des tonnes de<br />

gravats s’abattirent sur les miliciens. Ils n’en réchapperaient pas.<br />

*<br />

* *<br />

Le cortège avançait lente<strong>me</strong>nt dans la nuit. Une longue file inattendue de <strong>me</strong>mbres de la<br />

F.O.U.N.E. Toute la communauté avait tenu à suivre les chefs pour rendre un dernier<br />

hommage à <strong>Eric</strong>, la légende vivante (!). Ils avaient tous cru volontiers qu’il était immortel,<br />

réussissant chaque opération entreprise, accomplissant les pires folies imaginées par leur<br />

état-major, avec Yann et <strong>Arlette</strong> à la tête.<br />

<strong>Arlette</strong> était là, juste derrière le chariot tiré par des baudets du Poitou, animaux<br />

qu’affectionnait <strong>Eric</strong> pour les adorables têtes expressives. Elle était soutenue par Antoine<br />

et Charlotte, ses enfants. Yann et sa nouvelle compagne, Nadine, étaient égale<strong>me</strong>nt du<br />

voyage. Il avait un bras en écharpe. Une égratignure, selon lui, que Nadine avait soignée à<br />

<strong>me</strong>rveille. <strong>La</strong> nouvelle venue s’était vue confier la responsabilité de la logistique médicale<br />

dans les actions de guerre et dans le quotidien de la F.O.U.N.E. Son joli minois de brune<br />

aux yeux intensé<strong>me</strong>nt noirs, au teint mat, avait immédiate<strong>me</strong>nt plu à Yann. Il était com<strong>me</strong><br />

envoûté, amoureux fou, mê<strong>me</strong> s’il savait que cet amour pouvait cesser d’un jour à l’autre<br />

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6<br />

<strong>La</strong> <strong>saga</strong> <strong>Arlette</strong>, <strong>to<strong>me</strong></strong> 3<br />

par la faute d’une balle perdue. Le dra<strong>me</strong> frappant le couple symbole de la résistance et de<br />

la beauté réussie de la mixité prouvait que le bonheur ne tenait qu’à un fil.<br />

Il faisait nuit noire. Pas de lune, juste des torches enflammées au pétrole pour éclairer la<br />

forêt enchantée de Brocéliande, au coeur de la Bretagne.<br />

<strong>Eric</strong> ne tenait pas à grand-chose au sujet de sa mort. Il souhaitait seule<strong>me</strong>nt disparaître par<br />

le feu. Ses cendres devraient être dispersées dans le cours d’eau le plus proche, sans<br />

aucune cérémonie. <strong>La</strong> seule incartade qu’il acceptait, c’était les mots d’un prêtre pendant<br />

la crémation. Des mots ne faisant pas référence à la religion catholique, ni à aucune autre<br />

religion. Juste des mots parlant de Dieu, de l’amour, de la mission que nous avons tous<br />

d’aider, d’ai<strong>me</strong>r, d’accomplir notre chemin avec la plus grande conviction.<br />

Le prêtre averti vint près du bûcher improvisé et prononça les paroles attendues, telles<br />

que les avait souhaitées <strong>Arlette</strong>, se conformant aux dernières volontés d’<strong>Eric</strong>. Il fut sobre.<br />

- Mes enfants, si nous som<strong>me</strong>s réunis ici, c’est pour accompagner <strong>Eric</strong> dans son dernier<br />

voyage. C’est aussi pour affronter ensemble cette terrible épreuve et soutenir ceux qui<br />

l’ont aimé. J’étais de ceux-là parce que j’aimais nos conversations sans fin où il voulait<br />

bannir toute religion de nos discours pour ne retenir que l’essentiel : l’amour des autres, le<br />

don de soi. Donner, il savait le faire. Réconforter aussi car il possédait ce don précieux<br />

d’offrir les mots chargés d’énergie galvanisant l’â<strong>me</strong>. Il ne refusait jamais de passer<br />

quelques instants avec l’un de nous tous lorsque le doute s’insinuait, lorsque le<br />

décourage<strong>me</strong>nt guettait, lorsque la foi nous abandonnait. Mê<strong>me</strong> au plus bas, il trouvait la<br />

force, l’envie de faire don de ses dernières parcelles d’énergie.<br />

Avant-hier, encore, il a fait preuve d’abnégation, offrant sa vie pour en sauver des dizaines<br />

d’autres. Il s’est sacrifié. Il a achevé sa mission avec éclat, avec panache, repoussant une<br />

fois de plus les limites de ce qu’il était humaine<strong>me</strong>nt possible de réaliser. Il est reparti près<br />

de Dieu avec le senti<strong>me</strong>nt d’avoir <strong>me</strong>né un combat juste, une mission de sauvegarde du<br />

bonheur. Qu’il repose en paix auprès du Seigneur, il a ample<strong>me</strong>nt gagné sa place parmi<br />

ceux qui sont méritants.<br />

Le prêtre recula, laissant le libre accès au bûcher. Yann se tourna vers <strong>Arlette</strong> et lui tendit<br />

la torche. <strong>Arlette</strong> regarda la flam<strong>me</strong> vaciller dans tous les sens, ballottée par le vent<br />

naissant. Cette flam<strong>me</strong> lui rappela le regard de son amant quand il la désirait. Oui ! C’était<br />

cela ! Le feu qui le consumait ! Elle le reconnaissait entre mille regards expressifs offerts<br />

tout au long de ces années vécues ensemble, dans le combat. Un regard sur mille, si<br />

particulier. Un regard renforcé par son amorce de sourire propre à lui : juste la<br />

commissure gauche de sa bouche qui se redressait. A ces instants précis, elle savait qu’il<br />

usait de son pouvoir paranormal, son don de télépathie. Il sondait son â<strong>me</strong> à la recherche<br />

de ses désirs secrets. Et, tout à coup, il savait et offrait ce dont elle avait envie.<br />

Son corps était enveloppé de bandelettes imprégnées d’essence, afin d’accélérer la<br />

combustion. Son visage avait été recouvert de la mê<strong>me</strong> façon. Elle aurait tant aimé revoir<br />

son visage, une dernière fois. Non ! Elle ne pouvait pas se résoudre à cette idée. Il avait<br />

rejoint le firma<strong>me</strong>nt, les vallées éternelle<strong>me</strong>nt fleuries de l’Eden. Son visage avait cessé de<br />

vivre. Il était mort. Elle ne put prendre la torche, se sentant défaillir. Elle fit un signe de la<br />

tête à Yann. Un signe négatif. Alors, sans attendre davantage, l’ex commissaire de police<br />

jeta le morceau de bois enflammé. Le brasier prit instantané<strong>me</strong>nt. <strong>Arlette</strong> baissa les yeux,


Infir<strong>me</strong> hier, branlant aujourd’hui, debout dès demain<br />

puis les ferma pour laisser échapper des sanglots dont le bruit fut couvert par le souffle<br />

brûlant consumant les restes de son amour.<br />

Des images, tant d’images de bonheur, défilant com<strong>me</strong> un long métrage devant ses yeux.<br />

Du bonheur à l’état pur, mê<strong>me</strong> lorsque <strong>Eric</strong>, très fort en apparence, se laissait aller à des<br />

mo<strong>me</strong>nts de tristesse désespérante. Le film ne cessa pas. Com<strong>me</strong>nt ne pas se souvenir de<br />

la convention secrète de la F.O.U.N.E., tenue dans le Vercors enneigé, dormant dans des<br />

refuges de haute montagne chauffés unique<strong>me</strong>nt au feu de cheminée ? Com<strong>me</strong>nt auraitelle<br />

pu oublier leur fuite face au R.A.I.D.E. (Régi<strong>me</strong>nt Armé d’Intervention De l’Etat) qui<br />

s’était achevée près de Vieux Boucau, dans les <strong>La</strong>ndes, dans une cabane isolée du reste du<br />

monde ? Com<strong>me</strong>nt oublier qu’il lui avait fait l’amour alors qu’ils étaient pris au piège dans<br />

un réseau de caves d’un ensemble immobilier, méprisant le danger planant au-dessus de<br />

leurs têtes ? Com<strong>me</strong>nt oublier leur première rencontre, dans ce commissariat aux allures<br />

de camp retranché où il avait accompli un exploit, avait fait sauter la porte de la cellule où<br />

elle croupissait depuis quelques jours et où il l’avait embrassée chaude<strong>me</strong>nt dès le premier<br />

regard, l’attirant contre son torse musclé (!), velu (pas trop) et tatoué (Pas du tout ! Tu<br />

ai<strong>me</strong>rais un « <strong>Arlette</strong> for ever » ? A moins que tu ne préfères un papillon ? Non ! <strong>Je</strong> sais !<br />

Un tatouage de canne à pêche sur un endroit stratégique ! Ainsi, lorsque la bête serait<br />

excitée, la canne à pêche serait dépliée ! Cela s’appelle avoir la gaule !).<br />

Malgré la douleur des coups encaissés durant les nombreuses séances d’interrogatoire, elle<br />

s’était donnée à son baiser, à sa caresse forte et tendre. Une ruse de l’ennemi pour<br />

l’attendrir ? Non… Elle lui avait fait confiance d’entrée de jeu. Com<strong>me</strong>nt ne pas se<br />

souvenir de lui ? Dans un an, dans dix ans, dans vingt ans, peu importait le temps<br />

nécessaire à leur victoire, tous se souviendraient d’<strong>Eric</strong>. Surtout elle.<br />

Combien de temps ? Trente minutes ? Une heure ? Les flam<strong>me</strong>s avaient accompli leur<br />

ouvrage. Du compagnon, il ne restait plus que de la braise chaude. Ironie du sort ! Mê<strong>me</strong><br />

mort, il était capable de lui offrir de la chaleur. Quelques individus avaient recueilli des<br />

cendres, juste de quoi remplir une urne. Ils remirent l’objet anodin à <strong>Arlette</strong>. <strong>La</strong><br />

cérémonie tirait à sa fin. Les participants, exténués par une longue marche à travers les<br />

bois, atteints par le chagrin, s’apprêtaient à se retirer lorsque des coups de feu claquèrent.<br />

Quelques coups sourds suivis par des éclairs de lumière aveuglante.<br />

- Des fusées éclairantes ! Cria Yann.<br />

- Par-là ! Cria Antoine sans paniquer.<br />

En maître de l’observation, il fut certain de repérer une brèche dans le dispositif ennemi.<br />

Les coups de feu, plus secs, des automatiques se déclenchèrent dès que la clairière fut<br />

suffisam<strong>me</strong>nt éclairée. Com<strong>me</strong> en plein jour ! Ils faisaient tous une cible facile. Les<br />

premiers tombèrent rapide<strong>me</strong>nt. Antoine hurla ses ordres à la radio. Une demi-douzaine<br />

d’explosions suivit aussitôt, à une cinquantaine de mètres droit devant eux. Des<br />

hurle<strong>me</strong>nts s’élevèrent entre les arbres. L’ennemi avait oublié, selon toute vraisemblance,<br />

que la F.O.U.N.E. tenait en Antoine un petit génie de la prévoyance. Après la guerre, il<br />

pourrait se reconvertir en assureur ! Il avait préparé le terrain en y incorporant des<br />

explosifs. Yann avait connecté le tout à une radiocommande. Le déclenche<strong>me</strong>nt des<br />

hostilités par l’ennemi avait entraîné une réaction à la <strong>me</strong>sure de l’agression. Hélas ! Cette<br />

précaution ne suffisait pas. <strong>La</strong> milice tentait de refor<strong>me</strong>r le cercle infernal. Les blessés<br />

allaient devenir trop nombreux et ralentiraient inévitable<strong>me</strong>nt leur progression.<br />

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8<br />

<strong>La</strong> <strong>saga</strong> <strong>Arlette</strong>, <strong>to<strong>me</strong></strong> 3<br />

Antoine aboya de nouveaux ordres. Des véhicules blindés, armés de mitrailleuses lourdes,<br />

surgirent de l’arrière du convoi. Elles furent précédées par deux avions d’acrobatie<br />

reconvertis en chasseur bombardier. Ils lâchèrent chacun successive<strong>me</strong>nt, deux bombes<br />

au phosphore qui nettoyèrent le front sur au moins deux cents mètres de large.<br />

Les autos mitrailleuses se séparèrent en deux groupes de façon à élargir la brèche. <strong>La</strong><br />

surprise organisée par l’ennemi passée, la bataille tourna à l’avantage des résistants. <strong>La</strong><br />

milice, motorisée, avait oublié de s’assurer la maîtrise des airs. Les deux appareils refirent<br />

plusieurs passages, larguant des bombes d’une trentaine de kilos dont le principe actif<br />

avait été sérieuse<strong>me</strong>nt amélioré par Yann. Ils purent regagner leurs bases secrètes après<br />

avoir transformé l’embuscade en victoire décisive.<br />

*<br />

* *<br />

Quelque part dans Rennes, dans un lieu tenu secret, <strong>Arlette</strong> était assise sur un banc, les<br />

coudes posés sur une table en bois, seule. Son regard volait d’Antoine s’affairant avec un<br />

groupe d’espions, à Yann donnant un coup de main à Charlotte pour déballer le matériel<br />

de soins. Nadine avait réussi un beau coup en détournant un camion destiné à l’hôpital<br />

universitaire. En solo ! Pas mal pour un début. <strong>La</strong> petite brune apprenait bien, très bien.<br />

Elle était absente, à la recherche de matériel médical plus lourd, indispensable aux<br />

chirurgiens pour opérer dans de <strong>me</strong>illeures conditions. Leur quotidien, ainsi que celui de<br />

nombreux autres corps de métiers, était mis à rude épreuve car les fournitures faisaient<br />

cruelle<strong>me</strong>nt défaut.<br />

<strong>Arlette</strong> faisait mille efforts pour se concentrer sur sa tâche, sur ceux qui l’entouraient<br />

affectueuse<strong>me</strong>nt et qui s’activaient dans un ballet parfaite<strong>me</strong>nt organisé. Elle éprouvait les<br />

pires difficultés à ne pas focaliser sur la mort de son amour. C’était une terrible épreuve.<br />

D’autant plus terrible qu’elle avait presque perdu <strong>Eric</strong> une première fois. Lorsque<br />

Philippe, son ju<strong>me</strong>au, était mort au cours d’une opération spéciale...<br />

Il était encore plus fêlé qu’<strong>Eric</strong>. Il avait sauté sur un objectif trop important, mal préparé.<br />

Son parachute s’était pris dans des fils de fer barbelés électrifiés. Il avait grillé com<strong>me</strong> un<br />

cochon, suspendu à la toile de soie bleue et rouge. Son corps, méconnaissable, avait été<br />

exposé au public par le gouverne<strong>me</strong>nt de BACANAL com<strong>me</strong> le résultat invariable des<br />

vaines tentatives d’opposition à la loi.<br />

Sophie, sa veuve, avait quitté le mouve<strong>me</strong>nt. Pas par perte de conviction mais parce<br />

qu’elle ne voulait pas ajouter son nom à la longue liste des morts. Elle était partie<br />

rejoindre un certain <strong>Je</strong>an-Xavier de Felder, en Australie, un pays où la mixité était légale.<br />

Elle pourrait y avoir des enfants, d’adorables bambins, de façon naturelle. Elle pourrait les<br />

élever sans être obligée de les sou<strong>me</strong>ttre aux piqûres hormonales. Oui, en France, non<br />

seule<strong>me</strong>nt la conception des enfants était inévitable<strong>me</strong>nt réalisée « in vitro » mais ils<br />

étaient gavés dès leur plus jeune âge de quantités phénoménales d’hormones sexuelles de<br />

synthèse afin de préparer des générations d’homosexuels, filles ou garçons. Les <strong>me</strong>cs<br />

ressembleraient à des fiottes finies ou à des gros durs en cuir, les fem<strong>me</strong>s ressembleraient<br />

à des garçons manqués ou à des mangeuses de minous perpétuelle<strong>me</strong>nt affamées.<br />

Vigor et Margarine, sous les ordres de l’ignoble BACANAL, organisaient, façonnaient le<br />

monde à leur image. Ils se livraient à une course de vitesse avec la F.O.U.N.E., une course


Infir<strong>me</strong> hier, branlant aujourd’hui, debout dès demain<br />

à la suprématie grâce au nombre d’adeptes. A tout instant, l’avantage pouvait basculer<br />

dans l’un ou l’autre des camps. <strong>La</strong> F.O.U.N.E. ou le Cul Cul Clan.<br />

Philippe mort, Sophie partie, <strong>Eric</strong> mort. <strong>Arlette</strong> frissonna. Devait-elle partir, laissant ses<br />

enfants et les autres prendre la suite ? Ils comprendraient. Ils savaient tous à quel point<br />

inimaginable l’amour entre <strong>Arlette</strong> et <strong>Eric</strong> avait été puissant. <strong>La</strong> blessure infligée était à la<br />

<strong>me</strong>sure de cet amour incom<strong>me</strong>nsurable. Ils comprendraient, ils pardonneraient sa<br />

faiblesse. Et… Et s’ils ne comprenaient pas ? Si le mouve<strong>me</strong>nt perdait sa vigueur en<br />

perdant son égérie ? Non ! Elle n’avait pas le droit de s’abandonner ! Elle devait<br />

poursuivre jusqu’à la victoire finale. Elle frappa du poing sur la table. Elle vengerait la<br />

mort de son aimé au centuple !<br />

Elle se leva d’un bond, monta sur la table et entama un strip-tease destiné à attirer ses<br />

partisans (Là, je fantas<strong>me</strong> !). Elle empoigna… un micro (Lecteur, tu as fantasmé une<br />

fraction de seconde, hein ?) et enflamma l’assistance médusée en quelques mots :<br />

- Vous voulez votre vengeance ?<br />

Une vague de « oui » déferla dans la foule. Ils voulaient éliminer des enflures du Cul Cul<br />

Clan avant de se <strong>livre</strong>r à une séance géante d’échangis<strong>me</strong> (Cela com<strong>me</strong>nce à devenir<br />

graveleux ! On va s’en tenir à cela, non ? Non ? Tu en veux plus ? ).<br />

- N’y a-t-il personne pour m’offrir un plan de vengeance ? Dit-elle en provoquant les<br />

supporters.<br />

- Si ! Moi ! J’ai un plan ! Hurlèrent plusieurs personnes en levant les mains.<br />

<strong>Arlette</strong> sentit l’énergie, le courage revenir. Haranguer les siens était un bon moyen de<br />

gagner sur le temps et un moyen pour gagner tout court. <strong>Eric</strong> serait vengé. Com<strong>me</strong><br />

toujours, par sécurité, ils décidèrent de lever le camp pour une nouvelle cachette que seule<br />

<strong>Arlette</strong> connaissait.<br />

*<br />

* *<br />

Vigor et Margarine étaient en train de s’engueuler com<strong>me</strong> Albin et Renato dans « <strong>La</strong> cage<br />

aux folles ». Margarine en prenait pour son grade. Vigor, le ministre de la prospection, lui<br />

reprochait l’inefficacité de ses chefs miliciens. Il se proposait de les enfiler pour voir ce<br />

qu’ils avaient dans les tripes. Margarine lui rappela que c’était son privilège et que si Vigor<br />

avait des velléités de tromperie, il pouvait toujours aller dans l’école des miliciens assouvir<br />

ses pulsions ou user de son droit de cuissage poilu sur n’importe quel <strong>me</strong>mbre de son<br />

secrétariat. Ils stoppèrent leurs chamailleries lorsqu’ils sentirent une présence dans<br />

l’obscurité.<br />

- Qui est là ? Demanda Margarine, pas très courageuse lorsqu’il s’agissait de se battre avec<br />

ses petits poings.<br />

- C’est moi, fit une voix tout droit sortie d’outre tombe.<br />

9


10<br />

<strong>La</strong> <strong>saga</strong> <strong>Arlette</strong>, <strong>to<strong>me</strong></strong> 3<br />

Une for<strong>me</strong> approcha, semblant glisser au-dessus du sol. Nul ne pouvait voir son visage.<br />

Elle portait chasuble et masque de métal argenté. Lorsqu’elle relevait briève<strong>me</strong>nt sa tête,<br />

on pouvait apercevoir ses yeux d’un noir incandescent, aussi incroyable que cela pouvait<br />

paraître. On aurait dit une ombre lumineuse<strong>me</strong>nt maléfique.<br />

- Maître ! Dirent-ils en choeur. Que pouvons-nous pour vous servir ?<br />

- Bien peu que vous puissiez accomplir ! Déclama la voix sépulcrale. <strong>Je</strong> vous confie des<br />

missions et vous êtes incapables de les <strong>me</strong>ner à bien ! Vous deviez massacrer ces maudits<br />

résistants lors de la crémation ! Sauf leur chef, <strong>Arlette</strong>. <strong>Je</strong> lui réserve une bonne surprise.<br />

Par votre faute, mon plaisir a été gâché.<br />

- Nous nous rattraperons, Maître ! Ordonnez et nous exécuterons !<br />

<strong>La</strong> for<strong>me</strong> haussa les épaules. Ce damné <strong>Eric</strong> avait réussi à contrecarrer ses plans une<br />

première fois. Elle l’avait laissé jouer avec <strong>Arlette</strong>, en Italie. Pour mieux le briser. Il avait<br />

réussi à recréer un futur <strong>me</strong>illeur en effaçant les méfaits de son frère. Elle avait perdu le<br />

ju<strong>me</strong>au ainsi que son invention et avait dû effectuer des recherches afin de dénicher un<br />

nouvel inventeur. L’équipe de scientifiques avait jeté son dévolu sur un autre enfant, un<br />

vietnamien. Pas facile à trouver. <strong>La</strong> for<strong>me</strong> avait tout de mê<strong>me</strong> mis la main sur l’identité de<br />

ce cobaye. Il s’était révélé prodigieuse<strong>me</strong>nt doué. Bien plus que Philippe. Sa<br />

télécommande per<strong>me</strong>ttait de naviguer dans le temps mais aussi de traverser les mondes<br />

parallèles.<br />

Tuer l’inventeur et s’emparer de sa création avaient été un jeu d’enfant. Passant dans un<br />

monde parallèle avec l’appareil et détruisant toute trace, tout plan, elle devenait<br />

intouchable. Elle avait conclu un pacte et était désormais protégée par celui qui haïssait les<br />

anges en mission. Elle n’avait qu’une idée en tête : détruire l’amour entre <strong>Arlette</strong> et <strong>Eric</strong>, le<br />

piétiner. Pour accomplir son noir dessein, l’ombre possédait un plan infaillible. <strong>Eric</strong> était<br />

mort dans cette di<strong>me</strong>nsion. Celui provenant de sa di<strong>me</strong>nsion pouvait donc entrer en<br />

action.<br />

- Tout est prêt pour sa venue ?<br />

- Oui, Maître. Le lieu a été choisi.<br />

- Parfait ! Passez à l’action ! Ordonna le suppôt de Satan.<br />

A ces mots, il actionna la télécommande. Vigor et Margarine s’engouffrèrent dans la porte<br />

étoilée. Une porte sur la di<strong>me</strong>nsion des autres mondes. Des mondes parallèles où notre<br />

bonne vieille Terre vivait d’autres histoires, avec d’autres évolutions, d’autres personnages,<br />

parfois les mê<strong>me</strong>s mais avec des destinées différentes. Une multitude de possibilités<br />

toutes parties d’un point unique, la naissance de l’univers. Les mondes parallèles étaient la<br />

réponse à la sempiternelle question : « que se serait-il passé si je n’avais pas fait cela ou si<br />

j’avais choisi telle voie plutôt que telle autre ? »<br />

Dans ces mondes, on trouvait des réponses.<br />

*<br />

* *<br />

<strong>Eric</strong> était allé chercher des croissants chauds très tôt le matin. Marina dormait com<strong>me</strong> un<br />

bébé. Hier soir, Philippe et Sophie étaient venus dîner. Pris de panique à l'idée de ne rien


Infir<strong>me</strong> hier, branlant aujourd’hui, debout dès demain<br />

avoir préparé, il s’était précipité dans la cuisine. Le réfrigérateur contenait un foie gras et<br />

un magnifique homard breton. Sur la terrasse, au frais, un panier d'huîtres Fines de Claire<br />

de Marennes attendait l'ouverture. Le repas avait donc été pensé dans ce nouveau futur.<br />

Il avait commis gaffe sur gaffe avec Philippe dont il ignorait tout, des habitudes au métier.<br />

Sauf la date d'anniversaire puisqu'il était son ju<strong>me</strong>au ! Sophie n'était pas morte d'une<br />

overdose, com<strong>me</strong> dans l'ancien passé. Philippe avait dit "oui" là où son frère avait dit<br />

"non". Il avait assumé la mission et <strong>Eric</strong> crut comprendre, à plusieurs reprises dans la<br />

conversation, que cela n'avait pas été une simple paire de manches. Pourtant, c'était une<br />

réussite car Sophie transpirait la joie de vivre et la trans<strong>me</strong>ttait jour après jour à ses élèves<br />

en cours d'anglais.<br />

A leur départ, ils s’étaient retrouvés seuls, lui, Marina et le bébé dormant dans son petit lit.<br />

A trois mois passés, il faisait ses nuits et de <strong>me</strong>rveilleuses risettes devant lesquelles <strong>Eric</strong><br />

était sensé s'extasier. Il découvrait en fait sa fille, Natalia. Aucune gaffe possible quant à<br />

elle car il avait examiné rapide<strong>me</strong>nt son <strong>livre</strong>t de famille sur lequel figurait la date de<br />

naissance : 2 juillet 2002. Encore le mois de juillet !<br />

Il s’était allongé près de Marina et s'était collé contre elle, la serrant si fort qu'elle ne put se<br />

méprendre sur ses intentions. Elle s'offrit avec générosité, avec ardeur, pendant des<br />

heures, jusqu'à ce qu'elle s'endor<strong>me</strong>, épuisée, à bout des coups fous de son bout doux.<br />

Elle perdit douce<strong>me</strong>nt connaissance, étonnée par une excitation faramineuse. Com<strong>me</strong>nt<br />

lui expliquer qu’il n'avait pas fait l'amour depuis plus de neuf mois ? Com<strong>me</strong>nt lui<br />

expliquer qu’il la retrouvait vivante alors qu’il la croyait morte ? Surtout, com<strong>me</strong>nt avait-il<br />

pu tenir toute la soirée sans la prendre plus de deux fois dans la cuisine, à son grand<br />

étonne<strong>me</strong>nt et à sa grande joie ? Il se le demandait encore !<br />

Il avait préparé le petit déjeuner et l'avait poussé sur la desserte jusque dans la chambre.<br />

Marina dormait. Il se pencha sur elle, dégageant la cascade de cheveux masquant ses joues<br />

et sa gorge. Il la couvrit de baisers jusqu'à ce que ses yeux s'entrouvrent. Elle lui offrit l'un<br />

de ses légendaires sourires auxquels il ne résistait jamais. Il se laissa choir sur son ventre.<br />

Elle gémit d'aise et lui dit :<br />

- Il y a longtemps que tu ne m'avais pas fait l'amour com<strong>me</strong> cette nuit !<br />

- Vrai<strong>me</strong>nt ?<br />

- Oui. Au moins... deux semaines !<br />

Cet écart raisonnable le rassura. A 36 ans, il n'était pas inapte au service sexuel !<br />

- Tu as faim ?<br />

- Tu crois ? J'ai une faim de loup après ce que tu m'as fait subir !<br />

- Tu as subi ?<br />

- Oh oui ! Fit-elle avec délice.<br />

- Coquine !<br />

- Quel délire ! Qu'est-ce qui m'a valu d'avoir droit au turbo, cette nuit ?<br />

- Il y avait une belle ligne droite, bien rectiligne. C'était tentant d'effectuer un<br />

dépasse<strong>me</strong>nt.<br />

- Un surpasse<strong>me</strong>nt, en vérité !<br />

- Tu as aimé ?<br />

11


12<br />

<strong>La</strong> <strong>saga</strong> <strong>Arlette</strong>, <strong>to<strong>me</strong></strong> 3<br />

- Quelle question ! <strong>Je</strong> suis surprise que tu la poses encore après, quoi... une bonne<br />

vingtaine d'orgas<strong>me</strong>s arrachée à mon ventre. Tu ne changeras jamais, tu douteras toujours<br />

de toi !<br />

- Toujours. <strong>Je</strong> doute donc je suis, disait Descartes. Douter <strong>me</strong> per<strong>me</strong>t de <strong>me</strong> re<strong>me</strong>ttre en<br />

question, de m'améliorer, de donner davantage.<br />

Il posa les plateaux sur le lit. Il n'avait pas fait les choses à moitié mais, s’il en avait eu le<br />

temps, il aurait cuisiné des cakes maison, du gâteau au fromage blanc ou une viennoiserie<br />

savoureuse pour relever le niveau du petit déjeuner. Ces lacunes n'empêchèrent pas<br />

Marina de dévorer à pleines dents, justifiant son appétit légendaire.<br />

<strong>Eric</strong> se leva et se rendit aux toilettes. Lorsqu’il eut évacué le trop plein nocturne (un bon<br />

litre ! Normal, vu ce qu’il avait éclusé la veille au soir ! De l'eau, bien sûr !), il se retourna<br />

et découvrit des étoiles. Plein d'étoiles ! Des mains l'empoignèrent fer<strong>me</strong><strong>me</strong>nt et le firent<br />

plonger dans le néant. Au passage, on le gratifia d’un coup sur la tête (c'est <strong>me</strong>illeur pour<br />

le suspense !).<br />

*<br />

* *<br />

De la musique rock punk, au loin. Des couleurs dansantes, des odeurs de sueur, de tabac.<br />

<strong>Eric</strong> était allongé sur une banquette en cuir, froide et élimée. Il se redressa lente<strong>me</strong>nt, la<br />

tête <strong>me</strong>urtrie, surmontée par un bel oeuf de pigeon. Qui que ce soit, son agresseur ne<br />

l’avait pas raté ! Il avait fait le nécessaire pour qu’il sombre dans l’inconscience, pas le<br />

superflu pour qu’il rende l’â<strong>me</strong>.<br />

Il posa enfin ses coudes sur la table. Devant son nez, il y avait un indien. Pas un valeureux<br />

guerrier apache ou sioux mais une boisson composée de sirop de grenadine et<br />

d’Orangina. Sa consommation préférée dans les années 80.<br />

« Flesh to flesh » de Billy Idol martyrisait des enceintes de piètre qualité. Ces détails<br />

confirmaient un nouveau retour dans le passé. Pourquoi ces années-là ? Il n’en gardait pas<br />

de souvenir désagréable, à part la mort lente de son grand-père et l’épisode Nadine,<br />

l’histoire qui n’aurait jamais dû arriver. Il y avait eu la rencontre avec Annabelle à la<br />

faculté, histoire qui n’aurait pas dû durer plus d’une ou deux années, s’il s’était fié à son<br />

instinct au lieu de s’en re<strong>me</strong>ttre à sa raison. Cette période comportait peu d’événe<strong>me</strong>nts<br />

sur lesquels on pouvait jouer pour le blesser. D’ailleurs, qui lui en voulait ? Il tentait<br />

d’apporter une réponse à cette question lorsque deux types habillés de cuir vinrent<br />

s’asseoir à ses côtés. L’un des deux posa sa main sur son épaule et lui dit :<br />

- Alors, mon minet, cela ne te plaît pas, cette boisson ?<br />

- Si, si ! Répondit le matou en question.<br />

- Dis, après avoir siroté ensemble, on pourrait faire un truc plus sympa à trois ! Lui dit<br />

l’autre en glissant une main sur la cuisse de l’écrivain.<br />

Ce dernier sursauta.<br />

- Eh ! Cela te dérange ? Tu ne serais pas l’un de ces maudits hétérosexuels à qui le<br />

gouverne<strong>me</strong>nt coupe la gorge ?


Infir<strong>me</strong> hier, branlant aujourd’hui, debout dès demain<br />

En un éclair, <strong>Eric</strong> comprit qu’il n’était pas tombé dans un endroit habituel. Quel<br />

gouverne<strong>me</strong>nt coupait la gorge aux <strong>me</strong>mbres de la caste à laquelle il appartenait corps et<br />

â<strong>me</strong> ? Ces types parlaient un français sans accent. Il se trouvait donc en France, dans un<br />

futur où on aurait la nostalgie des années 80. Un futur où ses préférences sexuelles étaient<br />

à garder sous silence.<br />

- Non, bien sûr, dit-il en <strong>me</strong>ntant effronté<strong>me</strong>nt. <strong>Je</strong> préfère seule<strong>me</strong>nt un endroit plus<br />

tranquille…<br />

- Regarde-les, eux ! Là ! Fit le premier en désignant un couple. Ils s’en fichent d’un endroit<br />

plus tranquille ! On peut le faire où on veut, personne ne viendra nous poser la moindre<br />

question !<br />

- Quand mê<strong>me</strong> ! <strong>Je</strong> ne voudrais pas qu’on nous dérange. <strong>Je</strong> suis plutôt du genre exclusif, si<br />

vous voyez ce que je veux dire. Quand il y en a trop, le travail est bâclé. Vous ne voudriez<br />

pas que le travail soit bâclé ?<br />

Les deux homosexuels se consultèrent du regard. Non, ils ne voulaient pas partager avec<br />

d’autres clients du bar. Ils ne voulaient pas faire com<strong>me</strong> les autres, ceux qui avaient<br />

attaché deux pauvres zigotos et qui leur faisaient subir les pires outrages en public.<br />

- OK ! On va dans les toilettes !<br />

Quelle aubaine ! <strong>Eric</strong> se leva et, instinctive<strong>me</strong>nt, plongea ses mains dans ses poches de<br />

survête<strong>me</strong>nt. Ses clefs de voiture et d’apparte<strong>me</strong>nt, accompagnées de son porte-monnaie.<br />

Poli<strong>me</strong>nt, il les laissa passer devant lui. Il serra son argent dans la main droite, le trousseau<br />

de clefs dans la main gauche. Ils verrouillèrent l’entrée des WC.<br />

- Par lequel tu com<strong>me</strong>nces ?<br />

- Par toi, annonça l’écrivain, envoyant valser ses clefs dans les dents et le nez du gars trop<br />

pressé d’enfiler des perles.<br />

<strong>Eric</strong> lui en resservit une part avec un coup de pied bien placé entre les jambes, pendant<br />

qu’il se tenait le visage à deux mains. L’autre, interloqué l’espace de quelques secondes, se<br />

décida à réagir. Il voulut se jeter sur l’auteur, celui-ci le reçut avec son poing droit garni de<br />

pièces de monnaie. Il n’apprécia pas les euros lourds. <strong>Eric</strong> l’attrapa par le revers de son<br />

cuir et l’envoya dans le sèche main métallique. Il partit à la renverse, la marque de<br />

l’interrupteur profondé<strong>me</strong>nt incrustée dans son front. Le porte serviette, assez branlant,<br />

fut arraché d’un seul coup et utilisé pour asséner le coup de grâce au premier récupérant<br />

de la première attaque. De rage, <strong>Eric</strong> rajouta des coups pure<strong>me</strong>nt gratuits à ces deux<br />

fiottes qui avaient osé imaginer qu’ils allaient pouvoir jouer à saute-mouton ou sautebouchon<br />

avec lui. Cette perspective le dégoûtait. Cette pratique ne le gênait pas à<br />

condition qu’ils le fassent entre eux mais pas avec lui. Il aimait trop les fem<strong>me</strong>s pour<br />

changer d’orientation sexuelle.<br />

Ils gisaient sur le sol. Il y avait des traces de sang un peu partout sur les murs, sur le<br />

carrelage. <strong>Eric</strong> les avait sérieuse<strong>me</strong>nt estourbis. Cela leur servirait de leçon ! <strong>La</strong> prochaine<br />

fois, avant de brancher n’importe quel type, ils réfléchiraient à deux fois.<br />

13


14<br />

<strong>La</strong> <strong>saga</strong> <strong>Arlette</strong>, <strong>to<strong>me</strong></strong> 3<br />

Il fallait trouver une solution pour sortir du guêpier dans lequel il s’était fourré. Tôt ou<br />

tard, des clients de ce bar sado-maso iraient vidanger leurs litres de bière ou de whisky. Ils<br />

trouveraient porte close, la défoncerait (ils étaient habitués à défoncer les portes closes…)<br />

et le découvriraient en bien mauvaise posture.<br />

Il scruta rapide<strong>me</strong>nt les lieux. Par chance, il y avait un vasistas. Un peu trop haut. Tant<br />

pis ! Il traîna les deux crétins auprès du mur, sous la fenêtre à bascule. Ils serviraient de<br />

marchepied. En deux temps, trois mouve<strong>me</strong>nts, il fut dehors, dans une ruelle sordide. Il<br />

traversa rapide<strong>me</strong>nt et leva les yeux à l’angle de la rue. Deux plaques y figuraient, une<br />

ancienne et une nouvelle. Sur la nouvelle, on pouvait lire : « Rue Rimbaud ». Sur<br />

l’ancienne : « Rue Victor Hugo ». Les deux indiquaient qu’il se trouvait à Rennes (écrit<br />

« Reine » sur la nouvelle plaque). Au mê<strong>me</strong> endroit que sa première incursion dans le<br />

passé ! Seule la rue avait été débaptisée. Normal ! Victor Hugo était connu pour ses<br />

frasques avec ses différentes maîtresses, Rimbaud batifolait davantage avec ses amis. Les<br />

types avaient dit vrai. <strong>Eric</strong> évoluait dans une époque où la mixité n’était pas la bienvenue.<br />

Il désespérait de rencontrer des fem<strong>me</strong>s dans ce monde où les hom<strong>me</strong>s, qui n’en étaient<br />

plus vrai<strong>me</strong>nt com<strong>me</strong> il les concevait, s’envoyaient en l’air entre eux.<br />

Il emprunta la rue Rimbaud, Victor Hugo pour lui, et se mit en quête d’informations sur<br />

ce futur, com<strong>me</strong> il l’avait fait la première fois à Rennes. <strong>La</strong> rue était remplie de véhicules<br />

récents, c’est à dire de voitures datant de début 2000. Aucun modèle inconnu. Curieux ! Il<br />

était sûre<strong>me</strong>nt dans un futur proche. Voyons ! Les dernières élections présidentielles<br />

venaient d’avoir lieu cette année, l’assemblée nationale avait été renouvelée. Zut ! Etait-ce<br />

un coup d’état ? Com<strong>me</strong>nt était-ce possible, un tel bouleverse<strong>me</strong>nt, en aussi peu de<br />

temps ? Pourquoi ces bagnoles étaient-elles majoritaire<strong>me</strong>nt peintes en rose fuchsia ? A<br />

cause de tous ces homosexuels ? Probable<strong>me</strong>nt. Il ne croisait que ce genre de couples sur<br />

les trottoirs de la rue com<strong>me</strong>rçante. Les magasins de vête<strong>me</strong>nts restaient dans le ton de la<br />

population. <strong>La</strong>tex, cuir, chaînes, pas trop le choix.<br />

Il stoppa net devant un vendeur d’électroménager. Des postes de télévision étaient tous<br />

branchés sur le journal télévisé. Il nota la date inscrite au bas de l’écran : 5 octobre 2002. Il<br />

ne comprenait pas. Il s’agissait du soir de la journée entamée quelques heures plus tôt<br />

avec Marina. Il avait vu Guy quatre jours auparavant. Il ne lui avait pas parlé d’un brusque<br />

change<strong>me</strong>nt intervenu à Rennes. Quel bazar ! Il n’y avait pas que Rennes qui avait viré au<br />

rose et au cuir. Vu l’allure du présentateur du journal télévisé de la première chaîne, <strong>Eric</strong><br />

supposa que la révolution sexuelle avait soufflé sur la France entière.<br />

- Margarine ! S’écria-t-il soudain en reconnaissant l’un des gardes russes d’<strong>Arlette</strong>, dans la<br />

grotte de Padirac.<br />

Margarine avait apparem<strong>me</strong>nt pris du galon car le sous-titre indiquait qu’il était ministre<br />

de l’intérieur ! Le ministère était installé au Queen’s, l’ancienne boîte de nuit de Paris où se<br />

réunissait la fine fleur des déjantés, folles et autres curiosités de la capitale. Il annonçait<br />

que la résistance avait essuyé un sérieux revers la nuit passée, que plusieurs chefs avaient<br />

été abattus. Il y avait donc une résistance refusant que des types com<strong>me</strong> <strong>Eric</strong> se fassent<br />

égorger parce qu’ils refusaient d’enfiler des perles dans les bars sado-maso. Tant mieux !<br />

Il fallait trouver le moyen de gagner les rangs de la résistance. Une chose, au moins, était<br />

claire : il n’était pas dans le passé, pas dans le futur mais dans le présent. Un autre présent


Infir<strong>me</strong> hier, branlant aujourd’hui, debout dès demain<br />

où les hétérosexuels étaient chassés, traqués com<strong>me</strong> des bêtes. Voilà donc pourquoi la<br />

porte franchie avait un aspect différent : des étoiles au lieu du <strong>me</strong>rcure liquide. Elle l’avait<br />

conduit vers un autre monde, un monde parallèle. L’invention de Philippe existait donc<br />

toujours ; pire, elle avait été améliorée et cela compliquait la tâche pour tout re<strong>me</strong>ttre<br />

d’aplomb. Avec une notable différence, cette fois : <strong>Eric</strong> n’était pas en possession de la<br />

fa<strong>me</strong>use télécommande. <strong>La</strong> présence de Margarine n’était pas fortuite : il devait posséder<br />

la clef des mondes. Il fallait l’atteindre. <strong>Eric</strong> trembla à l’idée de l’usage qu’il pourrait en<br />

faire.<br />

*<br />

* *<br />

L’ombre paraissait satisfaite. Son plan, quelque peu contrarié par l’échec du raid dans la<br />

forêt de Brocéliande, reprenait son cours normal. <strong>Eric</strong> venait d’arriver dans ce monde et<br />

avait rapide<strong>me</strong>nt compris qu’il y était en danger. Il se sentirait désormais traqué. Vigor<br />

arriva en haletant. Il s’agenouilla devant son maître.<br />

- Relève-toi ! Ordonna ce dernier. Bien ! Tu as <strong>me</strong>né ta mission correcte<strong>me</strong>nt, pour une<br />

fois. Tu auras droit à une collection complète de nouveaux vibromasseurs !<br />

- Merci, ô mon maître !<br />

- C’est mérité. Dis à Margarine qu’il est temps de lâcher ses troupes aux basques de mon<br />

« jouet ». <strong>Je</strong> veux qu’il soit traqué longue<strong>me</strong>nt avant d’être arrêté. Pas question de le tuer !<br />

Ensuite, qu’il soit incarcéré à Rennes et interrogé de manière musclée.<br />

- Il sera fait selon vos désirs, mon maître.<br />

Vigor se retira rapide<strong>me</strong>nt alors qu’il aimait bien traîner après avoir investi une place. Le<br />

maître possédait le pouvoir suprê<strong>me</strong>. Il était protégé par des forces incom<strong>me</strong>nsurables. Il<br />

n’était pas question de désobéir une seule seconde. Il risquait de subir de grandes<br />

souffrances, voire de perdre la vie. Il ne put voir l’ombre se frotter les mains de plaisir. Le<br />

plaisir d’engendrer le mal, la perte des deux êtres qu’elle haïssait le plus. Elle voulait voir la<br />

haine naître en ceux qui s’aimaient d’un amour infini, indestructible. Le couple symbole<br />

de l’union parfaite entre deux â<strong>me</strong>s et deux corps. Cette ombre qui ne parvenait pas à<br />

atteindre l’amour, avait choisi la haine en pactisant avec Satan en personne. <strong>La</strong> haine<br />

enflamma son regard noir et effroyable.<br />

*<br />

* *<br />

<strong>Eric</strong> déambulait sur une avenue lorsqu’il croisa enfin deux fem<strong>me</strong>s. Elles avaient l’air<br />

« normal ». C’était une grande brune aux cheveux longs accompagnée d’une métisse<br />

décolorée en blonde.<br />

- Bonsoir <strong>me</strong>sda<strong>me</strong>s ! Dit-il avec politesse.<br />

- Bonsoir.<br />

- <strong>Je</strong> suis vrai<strong>me</strong>nt étonné de ne pas avoir rencontré de fem<strong>me</strong>s avant vous. L’une de vous<br />

deux pourrait-elle m’expliquer ?<br />

- Quoi ? Vous ne savez pas que vous entrez dans la zone féminine, ici ?<br />

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<strong>La</strong> <strong>saga</strong> <strong>Arlette</strong>, <strong>to<strong>me</strong></strong> 3<br />

- Ah bon ?<br />

- Vous n’êtes pas de là ?<br />

- Non, précisé<strong>me</strong>nt !<br />

- Eh bien, cette zone va de l’avenue de la Chatte Rousse à la rue du Mont de Vénus. A<br />

l’est, c’est délimité par la place Sainte Nitouche. <strong>La</strong> limite ouest com<strong>me</strong>nce ici, au 69<br />

avenue Navratilova.<br />

- D’accord ! Est-ce que les fem<strong>me</strong>s ai<strong>me</strong>nt les hom<strong>me</strong>s dans ce ghetto (gay tôt ?) ?<br />

- Quoi ! Crièrent-elles de concert (deux cons sert !). Tu es un de ces maudits résistants de<br />

la F.O.U.N.E ! Mais… je te reconnais ! Tu es <strong>Eric</strong> <strong>Vincent</strong>, un des leaders !<br />

A ces mots, la plus brune des deux plongea la main dans son sac. Ne faisant ni une, ni<br />

deux, ni trois (etc…), le pseudo leader détala com<strong>me</strong> un (chaud) lapin sans demander son<br />

reste, ni sans chercher à savoir quelle b(r)aguette magique allait sortir cette folle furieuse.<br />

Deux homosexuelles ! C’était bien sa veine ! Une détonation propulsa un dangereux<br />

projectile frôlant ses oreilles. Elle lui tirait dessus, cette malade ! Parce qu’il aimait les<br />

fem<strong>me</strong>s ! Quel monde de dingues !<br />

Il courrait com<strong>me</strong> Ben Johnson au temps de sa plus grande for<strong>me</strong>, avec la fer<strong>me</strong> intention<br />

de gagner dix mètres aux cent mètres sur ses poursuivantes. Comble de malchance,<br />

aucune rue ne traversait l’avenue empruntée. Il était réduit à zigzaguer entre les véhicules<br />

en stationne<strong>me</strong>nt pour ne pas prendre un pruneau dans le dos. Ah ! Enfin un axe<br />

transversal ! Il fonça sans prendre la précaution de vérifier l’arrivée d’un véhicule. Que<br />

croyez-vous qu’il arrivât ? Il prit une balle dans le bras gauche. Une douleur terrible ! (Si,<br />

ça fait mal ! Moi, en jouant au tennis, j’ai pris une balle dans la gorge et une dans les<br />

parties alors, dans le bras !)<br />

Malgré la blessure, il poursuivit sa course effrénée. Elles voulaient sa mort et elles le<br />

poursuivraient com<strong>me</strong> deux chiennes de chasse tant qu’elles ne l’auraient pas farci de<br />

projectiles. Le sang coulait abondam<strong>me</strong>nt. <strong>La</strong> balle avait heurté l’os, juste en dessous du<br />

coude, dans l’avant-bras. Il y avait pire, com<strong>me</strong> blessure.<br />

<strong>La</strong> situation, malgré l’impact inattendu, s’améliorait : il les avait distancées. Il n’avait jamais<br />

couru aussi vite de sa vie, bien qu’il ne soit pas doué pour l’athlétis<strong>me</strong>. Haletant, suant,<br />

écumant, bavant, fourbu, il s’engagea dans une rue peu éclairée.<br />

*<br />

* *<br />

Margarine s’approcha de la console de radio. Il établit la communication avec l’escadrille<br />

du Cul Cul Clan. Le capitaine répondit aussitôt.<br />

- Nous som<strong>me</strong>s prêts !<br />

- <strong>La</strong>ncez vos troupes ! Prenez-le vivant !<br />

- Reçu cinq sur cinq ! En avant ! Ordonna l’officier.<br />

*<br />

* *<br />

Des éclairs de lumière l’aveuglèrent. Des batteries de projecteurs éblouissants lui faisaient<br />

face. Sa course était stoppée en plein élan. Il reconnut parfaite<strong>me</strong>nt le cliquetis de fusils


Infir<strong>me</strong> hier, branlant aujourd’hui, debout dès demain<br />

qu’on ar<strong>me</strong>. Des dizaines de cliquetis, des dizaines d’ombres lui faisant face, le <strong>me</strong>naçant.<br />

Il était pris au piège. Derrière lui, <strong>Eric</strong> entendit des voix de fem<strong>me</strong> hurlant :<br />

- Il est là, ce salaud ! On va le buter !<br />

Tout était fini. Il allait mourir. Il ferma les yeux. Ses dernières pensées allèrent aux plus<br />

beaux mo<strong>me</strong>nts de sa vie. A ses enfants, à ses parents, à <strong>Arlette</strong>, à Marina, à ses amis. <strong>La</strong><br />

fusillade éclata. Il se coucha par pur réflexe, espérant par ce geste, prolonger son existence<br />

de quelques secondes. Il perçut une nuée de balles vrombissant au-dessus de ses oreilles.<br />

Le bruit cessa aussitôt. A part la douleur lancinante dans son bras, il ne ressentait rien<br />

d’autre. Il tourna la tête. A cinquante mètres de là, deux corps gisaient sur le bitu<strong>me</strong>. Ses<br />

deux poursuivantes.<br />

- Emparez-vous de lui ! Cria un milicien.<br />

Des mains l’arrachèrent du sol. <strong>La</strong> douleur le transperça, il hurla. On le voulait vivant mais<br />

pas forcé<strong>me</strong>nt en bonne santé, frais com<strong>me</strong> un gardon. Il fut traîné de force dans un<br />

fourgon cellulaire. Là, deux types casqués à la mode des CRS l’enchaînèrent à la paroi du<br />

camion. Pieds et poings entravés.<br />

- Intervention terminée ! Brailla le capitaine. Infirmier ! Examinez la blessure du<br />

prisonnier.<br />

Un milicien au brassard blanc avec une croix rose entra, lui retourna le bras et l’inspecta<br />

rapide<strong>me</strong>nt. Il sortit une bande, déchira le sweet-shirt. Il trempa la bande dans un liquide à<br />

l’odeur entêtante. Il banda (!) rapide<strong>me</strong>nt et serra. Il mit du sparadrap pour tenir le tout.<br />

Dommage ! L’écrivain aurait préféré une épingle à nourrice, fort utile pour bricoler les<br />

<strong>me</strong>nottes.<br />

- Blessure superficielle ! On vous opèrera plus tard. Il n’y a aucun risque.<br />

Il prit une seringue, la remplit d’un produit et piqua auprès de la plaie. Un antibiotique,<br />

vraisemblable<strong>me</strong>nt. Avec un sédatif aussi, car irrésistible<strong>me</strong>nt, <strong>Eric</strong> sentit sa conscience<br />

l’abandonner. Intérieure<strong>me</strong>nt, dans un dernier instant de lucidité, il pria le ciel pour ne pas<br />

s’être trompé, pour être dans une nouvelle di<strong>me</strong>nsion. Il ne supporterait pas de perdre<br />

Marina une seconde fois.<br />

*<br />

* *<br />

<strong>Eric</strong> tenait une sacrée gueule de bois. Les effets secondaires des produits médica<strong>me</strong>nteux,<br />

à n’en point douter.<br />

Sa cellule était grise, sale, humide. Un vrai stéréotype de ce genre d’endroit, un cauchemar.<br />

Il aurait voulu posséder un magnétoscope, une télévision et un bon De Funès pour<br />

apporter un peu de gaieté dans cet univers sordide. Pas besoin de se demander où il se<br />

trouvait : les barreaux à la fenêtre ne laissaient pas le moindre doute à ce sujet.<br />

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<strong>La</strong> <strong>saga</strong> <strong>Arlette</strong>, <strong>to<strong>me</strong></strong> 3<br />

L’obscurité dans laquelle il baignait, cessa brusque<strong>me</strong>nt. Un pan entier de la pièce<br />

s’alluma. Une télévision géante ! Super ! On allait peut-être lui passer son film comique,<br />

après tout ! Sympa, la taule ? C’était conclure un peu vite. Le film com<strong>me</strong>nça. Point de<br />

« Grande vadrouille » ou de « Petit baigneur » avec Louis de Funès mais plutôt « <strong>La</strong><br />

grande farfouille » ou « Le petit baiseur » avec Louis le Funeste, le pourfendeur<br />

d’hémorroïdes. Zut ! Ils allaient lui passer des films X d’un genre qui ne lui plaisait pas du<br />

tout. Ils ambitionnaient de faire de lui un hom<strong>me</strong> « normal » selon leurs critères ; c’est à<br />

dire un enfonceur de portes fermées, un pourfendeur de bestiaux monu<strong>me</strong>ntaux et un<br />

docile compagnon pour grosse brute épaisse.<br />

Il tourna le dos au film et se boucha les oreilles. Aussitôt, la suite du film se déroula sur<br />

l’autre pan, juste en face de lui, le volu<strong>me</strong> sonore triplé. Il ferma les yeux. En réponse, il<br />

reçut une décharge électrique dans les pieds ! Aïe ! Ils avaient les moyens de le forcer. Il<br />

eut l’idée de grimper sur le lit, se <strong>me</strong>ttant hors d’atteinte du plancher électrifié. Peine<br />

perdue ! Des arcs électriques traversèrent la pièce et le frappèrent de plein fouet. Le choc<br />

le projeta au sol et son corps fut agité de convulsions. Ces cabrioles provoquées<br />

réveillèrent la blessure causée au bras. <strong>La</strong> balle avait disparu mais la cicatrice était trop<br />

fraîche et très sensible.<br />

Leurs méthodes d’enfoirés le condamnaient donc à regarder leur satané film où des <strong>me</strong>cs<br />

jouaient au petit train, locomotive et wagons compris. Quelle distraction ! Avaient-ils<br />

l’intention de le convertir en diffusant ces âneries ? Si c’était le cas, il leur souhaitait bien<br />

du courage ! Il lui suffirait de penser à <strong>Arlette</strong> dont il avait eu la virginité, en souvenir au<br />

moins, ou à sa dernière nuit avec Marina, pour contrer leurs vaines tentatives.<br />

Il était forcé de subir leur program<strong>me</strong>. Soit ! Ils ne l’empêcheraient pas d’entendre au lieu<br />

d’écouter. Il s’installa donc confortable<strong>me</strong>nt sur son lit, dos au mur, prêt à leur prouver<br />

qu’ils échoueraient.<br />

*<br />

* *<br />

L’ombre espionnait derrière la lourde porte d’acier, par une trappe amovible. Elle se<br />

régalait. <strong>Eric</strong> allait être reconverti en homosexuel puis en grande folle, à grands renforts<br />

d’hormones féminines de synthèse. Tôt ou tard, les résistants apprendraient son existence.<br />

Ils essaieraient de le libérer. Ils y parviendraient, bien entendu. Tout serait fait pour qu’ils<br />

y parviennent. Ensuite, <strong>Arlette</strong> découvrirait un double de son compagnon doublé d’un<br />

traître. Elle finirait par l’abattre ou il finirait par la trahir. En tous les cas, ils se<br />

détesteraient mutuelle<strong>me</strong>nt, sexuelle<strong>me</strong>nt. Quelle victoire ! L’anéantisse<strong>me</strong>nt serait total.<br />

Le mystérieux être demanda un compte-rendu détaillé sur la conversion au responsable<br />

du program<strong>me</strong>. Ce dernier répondit qu’il était trop tôt pour juger des premiers effets. <strong>Eric</strong><br />

se contentait pour l’instant de regarder les films éducatifs, ayant compris qu’il n’avait pas<br />

le choix. Les premiers résultats significatifs viendraient lorsque étant trop sevré, il<br />

com<strong>me</strong>ncerait par être excité à la vue des corps d’hom<strong>me</strong>s se mêlant inti<strong>me</strong>nt. Après cela,<br />

il faudrait passer aux travaux pratiques. On entamait ces exercices première<strong>me</strong>nt avec des<br />

transsexuels, puis avec des hom<strong>me</strong>s normaux. Enfin, l’ulti<strong>me</strong> étape consistait à en faire<br />

une grande folle totale<strong>me</strong>nt efféminée, épilée des bras aux pieds, gavée d’hormones<br />

féminines. <strong>La</strong> cerise sur le gâteau était d’en faire un véritable transsexuel, ce qui briserait<br />

complète<strong>me</strong>nt <strong>Arlette</strong>. Perdre <strong>Eric</strong> une seconde fois serait au-dessus de ses forces. L’avoir<br />

perdu au combat, avec en souvenir une image intacte de lui, en héros, en martyr, c’était


Infir<strong>me</strong> hier, branlant aujourd’hui, debout dès demain<br />

presque supportable. Non ! Là, c’était bien plus vicieux. Elle devait le perdre<br />

complète<strong>me</strong>nt, être déçue par lui. Il devait descendre du socle de la statue héroïque qu’il<br />

s’était forgée au combat.<br />

L’ombre savait parfaite<strong>me</strong>nt que <strong>Eric</strong> était mort, la résistance le savait mais pas le peuple<br />

français. Jusqu’au dernier mo<strong>me</strong>nt, il fallait garder le secret de la mort du <strong>Eric</strong> de ce<br />

monde, afin de donner plus de poids à son plan ignoble. Dévoiler la véritable nature de ce<br />

faux héros ! Le faire passer pour un traître et décrédibiliser la résistance entière.<br />

- Est-il résistant au traite<strong>me</strong>nt ?<br />

- Difficile à dire ! Il est passif. Cette passivité peut durer une quinzaine de jours.<br />

- C’est trop ! Passez les films jour et nuit.<br />

- Cela peut le briser.<br />

- <strong>Je</strong> veux qu’il soit brisé. Aug<strong>me</strong>ntez les doses d’hormone !<br />

- Bien, Maître !<br />

L’ombre se retira. Le geôlier déverrouilla la porte et entra dans la cellule, une seringue à la<br />

main. Il activa manuelle<strong>me</strong>nt la décharge électrique. <strong>Eric</strong> tomba sur sa couchette et perdit<br />

conscience.<br />

*<br />

* *<br />

<strong>Arlette</strong> dormait profondé<strong>me</strong>nt. Pourtant, dans son som<strong>me</strong>il, elle sentait une main posée<br />

sur son épaule. Etait-ce <strong>Eric</strong>, revenu du grand royau<strong>me</strong> éternel pour lui donner de douces<br />

heures de bonheur ? Elle ouvrit les yeux. Quelqu’un était penché sur elle.<br />

- Maman !<br />

- Antoine ?<br />

- Réveille-toi ! J’ai des informations à te communiquer.<br />

Il était près de cinq heures du matin. Qu’est-ce qui lui valait un pareil traite<strong>me</strong>nt ? Une<br />

nouvelle attaque ? En ce mo<strong>me</strong>nt, les pièges tendus par l’ennemi devenaient de plus en<br />

plus efficaces, de plus en plus précis. L’ennemi marquait des points. <strong>Eric</strong> n’était plus là. Ils<br />

ne bénéficiaient plus de ses prémonitions fort utiles.<br />

Antoine se rattrapa en lui tendant un bol de café noir brûlant. Du café dès cinq heures ?<br />

L’information devait valoir son poids en or.<br />

Yann, Nadine et Charlotte étaient de la partie. Sa fille avait une petite mine. Elle avait dû<br />

travailler toute la nuit. Une tâche ingrate, très difficile à <strong>me</strong>ner...<br />

L’état-major attendait qu’<strong>Arlette</strong> ait terminé son café pour avoir les idées claires. Ce<br />

préalable était indispensable. Sans son café matinal, elle aurait été incapable de bien<br />

enta<strong>me</strong>r sa journée. Pire, mê<strong>me</strong> : elle aurait pu com<strong>me</strong>ttre des erreurs qu’elle n’aurait pas<br />

commises en temps ordinaire, avec une bonne dose de breuvage noir. Elle aurait fait les<br />

pires bêtises. Com<strong>me</strong>, par exemple, <strong>me</strong>ttre un slip, un pyjama et des chaussettes la nuit !<br />

Com<strong>me</strong> écouter un disque de Georgette Lemaire ! Com<strong>me</strong> monter avec un hom<strong>me</strong> sur<br />

un âne plutôt que de monter un hom<strong>me</strong> monté com<strong>me</strong> un âne ! Com<strong>me</strong> s’asseoir à côté<br />

de n’importe qui dans les bus ! Que des bêtises !<br />

19


20<br />

<strong>La</strong> <strong>saga</strong> <strong>Arlette</strong>, <strong>to<strong>me</strong></strong> 3<br />

Une fois le bol avalé, l’oeil eut l’étincelle magique indiquant que son corps adoptait un<br />

régi<strong>me</strong> de croisière pour la journée (Et quel corps !). Elle descendit de sa couchette, passa<br />

derrière un paravent, enleva sa tenue de gros lapin rose (On peut fantas<strong>me</strong>r, non ?) sous<br />

laquelle elle gardait secrète sa somptueuse guêpière d’un blanc virginal (On peut<br />

fantas<strong>me</strong>r, non ? Qu’est-ce que je préfère ? Le lapin rose ou la guêpière blanche ? Hein ?<br />

<strong>La</strong> réponse n’est pas si facile à trouver !). Elle fit un brin de toilettes, se sécha et enfila sa<br />

tenue de combat. Un string couleur camouflage ! Des Rangers à talons aiguille (Non, là, je<br />

délire !) !<br />

- Alors ? Quelles sont ces informations ?<br />

Antoine prit la parole :<br />

- J’ai eu un informateur. D’après lui, il y aurait un prisonnier spécial dans la maison d’arrêt<br />

de Rennes.<br />

- Un prisonnier spécial ? Qui ?<br />

- <strong>Je</strong> ne sais pas. Il est tenu au secret, confiné dans un quartier isolé.<br />

- Qu’a-t-il de spécial, ce prisonnier ?<br />

- Ce ne peut être qu’un résistant très important, ce qui lui vaut un isole<strong>me</strong>nt.<br />

- Les prisonniers importants sont générale<strong>me</strong>nt détenus dans les prisons parisiennes.<br />

- C’est vrai, intervint Yann. Cela ne tient pas debout. Tu devrais vérifier.<br />

- C’est en cours. J’ai une petite idée pour cela. S’il s’avère que c’est vrai<strong>me</strong>nt un<br />

personnage important, que fait-on ?<br />

- On le récupère ! Dit Yann.<br />

- <strong>Je</strong> n’ai<strong>me</strong> pas cela, coupa <strong>Arlette</strong>. Cela ressemble à un piège. Un de plus ! En ce mo<strong>me</strong>nt,<br />

nous ne cessons pas de tomber dans des embuscades. Ce prisonnier si important ne<br />

devrait pas être incarcéré à Rennes, sauf si on voulait qu’il serve d’appât. On lui fait jouer<br />

le rôle de la chèvre. <strong>Je</strong> n’ai<strong>me</strong> pas ça...<br />

- <strong>Je</strong> te comprends, Maman. Tu es traumatisée par la mort d’<strong>Eric</strong>. Seule<strong>me</strong>nt, le combat<br />

continue. <strong>Eric</strong> aurait dit la mê<strong>me</strong> chose. Il ne faut pas stopper. <strong>Je</strong> vais vérifier l’identité de<br />

ce dignitaire de la résistance. Tu <strong>me</strong> connais ? <strong>Je</strong> suis le roi de l’observation ! Mê<strong>me</strong> si je<br />

dois <strong>me</strong> poster en face avec une lunette astronomique pendant des jours !<br />

- D’accord ! Vérifie tes informations !<br />

<strong>Arlette</strong> s’assit sur le bord de sa couchette. Charlotte, en peignoir, vint à ses côtés. Elle la<br />

réconforta, sentant parfaite<strong>me</strong>nt le désarroi s’emparant de sa mère. <strong>Eric</strong> n’était plus là.<br />

Son amour et sa force lui manquaient.<br />

*<br />

* *<br />

Le gars trottinait genti<strong>me</strong>nt dans le bois, en tenue rose fluo. Il faisait son jogging matinal<br />

avant d’aller au travail. Un bien triste travail aux yeux de la résistance. Un travail fort<br />

agréable à ses yeux. Il était technicien de rééducation. Son travail consistait à rééduquer les<br />

résistants pour en faire de parfaits homosexuels. Il adorait particulière<strong>me</strong>nt déflorer les<br />

reconvertis, jouissant intensé<strong>me</strong>nt à chaque fois. C’était si amusant de s’occuper de ces<br />

originaux, ces déviationnistes conçus bien souvent « in utero », à l’ancienne manière.


Infir<strong>me</strong> hier, branlant aujourd’hui, debout dès demain<br />

Quelle horreur ! L’idée de s’introduire dans le vagin d’une fem<strong>me</strong> l’horrifiait. C’était à<br />

vomir. Mon Dieu ! Les fem<strong>me</strong>s s’occupaient désormais entre elles et c’était tant mieux !<br />

Il arriva exténué à sa voiture. Il prit appui sur le toit du véhicule pour retrouver son<br />

souffle. C’est à ce mo<strong>me</strong>nt qu’il entendit :<br />

- A l’assaut ! Attrapez-le !<br />

Quatre hom<strong>me</strong>s s’élancèrent dans sa direction, sortant du bois tels des diables en boîte.<br />

Super ! Quatre hom<strong>me</strong>s pour lui. Hélas ! Trois fois hélas ! Ils arboraient l’emblè<strong>me</strong> de la<br />

F.O.U.N.E. Ils ne venaient pas s’occuper de sa rondelle large com<strong>me</strong> un boulevard. Ils<br />

voulaient le tuer. Non, plutôt l’enlever, pour le torturer. Instinctive<strong>me</strong>nt, il plongea la<br />

main à l’intérieur de sa voiture et en retira un objet long et lisse. Un perforateur<br />

instantané !<br />

- Empêchez-le de se suicider ! Hurla l’un des commandos.<br />

Le technicien baissa sa culotte et tenta de se fourrer l’objet dans le trou de balle. Il<br />

possédait l’ar<strong>me</strong> régle<strong>me</strong>ntaire du gouverne<strong>me</strong>nt : un vibromasseur airbag. Si un<br />

homosexuel était pris (enfin, capturé !) par un <strong>me</strong>mbre de la résistance (à ne pas<br />

confondre avec un <strong>me</strong>mbre très résistant), il devait se suicider en s’enfonçant l’ar<strong>me</strong> dans<br />

les fesses et la déclencher. <strong>La</strong> taille de l’engin, fort respectable avec ses cinq centimètres de<br />

diamètre et ses quarante centimètres de long, passait instantané<strong>me</strong>nt à deux mètres<br />

cinquante de long sur un mètre de diamètre. Il prenait son pied une dernière fois, un<br />

super pied radical. Il s’éclatait la rondelle, dans tous les sens du ter<strong>me</strong>.<br />

Un gaillard lui bloqua le bras avant qu’il ne puisse s’adonner à l’ulti<strong>me</strong> vice. L’engin se<br />

déclencha au dehors, entre les jambes, lui écrabouillant les boules au passage. Ils le<br />

ligotèrent rapide<strong>me</strong>nt, ce qui lui fit oublier la douleur car il adorait être entravé.<br />

Malheureuse<strong>me</strong>nt, il allait être interrogé et ces maudits résistants trouveraient le moyen de<br />

le faire parler.<br />

*<br />

* *<br />

<strong>Eric</strong> s’était réveillé avec une drôle de sensation. Bien qu’il soit au régi<strong>me</strong> sec dans sa geôle,<br />

il prenait du poids. Enfin, non ! Des for<strong>me</strong>s ! Ses hanches étaient de plus en plus<br />

dessinées et sa poitrine flirtait avec le bonnet B. Quelle horreur ! Ils le transformaient.<br />

Quant à sa drôle de sensation, c’était une monstrueuse érection apparue en voyant les<br />

habituels films X d’un genre particulier. Il ne savait plus quoi faire pour échapper à cette<br />

mutation. Il avait beau penser à toutes les plus belles fem<strong>me</strong>s du monde, il sentait qu’ils<br />

brisaient sa résistance petit à petit. Com<strong>me</strong> la poitrine et les hanches étaient constituées de<br />

tissu adipeux chez la fem<strong>me</strong>, il entama des séries d’exercices physiques destinés à les faire<br />

fondre. Ainsi, il retardait l’échéance fatale. Combien de temps résisterait-il ? Il l’ignorait…<br />

Des bruits filtrèrent à travers la porte. L’infirmier allait revenir. Ses nombreuses traces de<br />

piqûre indiquaient qu’il y en aurait d’autres…<br />

*<br />

* *<br />

21


22<br />

<strong>La</strong> <strong>saga</strong> <strong>Arlette</strong>, <strong>to<strong>me</strong></strong> 3<br />

Le type était assis dans la pièce close. <strong>Arlette</strong> faisait les cent pas devant lui. Il fallait qu’il<br />

parle. Pour l’instant, l’interrogatoire faisait chou blanc. Cette fiotte était une dure à cuire.<br />

<strong>Arlette</strong> se pencha vers lui.<br />

- Pour la dernière fois : qui est le prisonnier spécial que vous détenez à la prison ?<br />

- Vous ne saurez pas ! J’ai été entraîné à résister à la torture !<br />

- C’est ce qui va t’arriver, à force de te taire. Cela sera bien pire que ton perforateur<br />

instantané ! Bien pire !<br />

- <strong>Je</strong> m’en fiche ! J’avais cinq ans quand je <strong>me</strong> suis fait faire mon premier piercing ! Et<br />

seule<strong>me</strong>nt treize pour mon dépucelage réalisé par deux gros balèzes ! Alors, tes <strong>me</strong>naces,<br />

tu peux te les carrer où je pense !<br />

- <strong>Je</strong> sais où tu penses, mon gros cochon ! Mê<strong>me</strong> pas en rêve, crétin ! Par contre, nos<br />

méthodes de torture sont nouvelles. <strong>Je</strong> ne pense pas que tu aies véritable<strong>me</strong>nt idée de ce<br />

qui va t’arriver…<br />

<strong>Arlette</strong> se releva et frappa à la porte. Un garde la déverrouilla. Le prisonnier en profita<br />

pour se ruer au dehors, bousculant le chef de la résistance. Cette dernière l’envoya valser<br />

au fond de la pièce en lui plaçant un violent coup de pied dans les valseuses. Il hurla de<br />

douleur.<br />

- Que cela te serve de leçon ! Tes parties vont être mises à rude épreuve !<br />

Elle claqua la porte de rage. Il fallait cette information. Un personnage important<br />

croupissait à l’ombre. Il fallait le sortir de là. Elle s’arrêta de marcher et releva la tête.<br />

- A toi de jouer, Charlotte ! Dit-elle à sa fille.<br />

<strong>La</strong> jeune fem<strong>me</strong> acquiesça. A son tour, elle entra dans la cellule.<br />

- Alors, mon mignon ? Tu as mal ? Oh… Mon pauvre chou ! Viens <strong>me</strong> voir ! <strong>Je</strong> vais<br />

soigner tes douleurs.<br />

- Ah ?<br />

- Oui. <strong>Je</strong> vais te faire un petit massage.<br />

- Un massage ?<br />

- Oui, dit-elle. Avant, il faut que je <strong>me</strong>tte ma tenue de travail.<br />

Elle retira son peignoir bleu. Elle dévoila des dentelles blanches, des échancrures, un<br />

décolleté vertigineux. Le prisonnier poussa un hurle<strong>me</strong>nt. Il se réfugia dans un angle de la<br />

pièce. Il tremblait com<strong>me</strong> une feuille. Elle se jeta sur lui com<strong>me</strong> une tigresse en furie. Il<br />

tenta de se débattre. En vain ! Elle lui avait collé la tête entre ses seins. Il n’avait pas le<br />

choix : soit il respirait son odeur de pêche dorée, soit il mourrait étouffé, écrasé, entre<br />

deux magnifiques obus de beau calibre. Elle lui défit le pantalon et sortit un bout de<br />

tuyauterie très molle. Il criait com<strong>me</strong> un pourceau qu’on égorge.


Infir<strong>me</strong> hier, branlant aujourd’hui, debout dès demain<br />

- C’est tout l’effet que je te fais ? Vilain garne<strong>me</strong>nt ! Ce n’est pas gentil ! <strong>Je</strong> plais aux<br />

garçons, d’habitude. A tous les garçons ! Mê<strong>me</strong> les timides, com<strong>me</strong> toi. Oh ! C’est cela ! <strong>Je</strong><br />

t’intimide ! Eh bien, je vais prendre les choses en main !<br />

A ces mots, elle prit le petit oiseau du gars et se mit à l’astiquer joyeuse<strong>me</strong>nt.<br />

- Oh non ! Non ! Criait-il à tue tête.<br />

- Mais si ! Tu vas voir ! Cela va venir ! Tu vas devenir un véritable hom<strong>me</strong> !<br />

Voyant que son cobaye résistait à l’entreprise de bétonnage, elle décida d’employer tous<br />

les argu<strong>me</strong>nts buccaux dont la nature l’avait dotée. Le béton était trop sec, il faut rajouter<br />

un peu d’humidité, un tour de main et elle obtiendrait un pilier de soutène<strong>me</strong>nt. Lui, au<br />

début, avec son petit oiseau entre les dents de cette tigresse, se prit pour Titi dans la<br />

bouche de Grosminet : pas vrai<strong>me</strong>nt heureux d’être là. Cela s’améliora peu à peu : petit à<br />

petit, l’oiseau fit son nid.<br />

- Eh bien ! Tu vois, mon chou ! Annonça-t-elle fière<strong>me</strong>nt au bout de quelques allers et<br />

retours. On se fait à tout !<br />

Le type chialait parce qu’il avait une érection avec une belle plante alors qu’il était habitué<br />

à l’avoir com<strong>me</strong> un piquet en présence de jeunes freluquets. <strong>La</strong> première fois de sa vie.<br />

C’était sans compter sur l’expérience de Charlotte dans le domaine de la rééducation.<br />

Elle coucha le malheureux (à moins que ce ne soit le mâle heureux !) sur le dos et lui fit<br />

hu<strong>me</strong>r son parfum inti<strong>me</strong>. Elle observa la réaction. Positive ! Il était en train de se doper<br />

com<strong>me</strong> les cyclistes, à l’E.P.O. (Enivrant Parfum Onirique).<br />

Charlotte fut très satisfaite de ses progrès. Elle le questionna de nouveau :<br />

- Maintenant que tu es devenu un gentil garçon, bien poli avec les jeunes fem<strong>me</strong>s, tu vas<br />

<strong>me</strong> dire qui est dans la prison !<br />

- Non ! Jamais !<br />

- Non ?<br />

- Non ! Non ! Hurla-t-il.<br />

Etait-ce le refus de révéler l’identité du prisonnier ou la crainte d’en avoir davantage ?<br />

- Bon. Com<strong>me</strong> tu voudras ! Allez ! En route ! <strong>Je</strong> vais faire un peu de « chevauchée<br />

fantastique ». Tu as vu le film avec John Wayne ? Non ? Ce n’était pas du tout com<strong>me</strong> je<br />

vais le faire !<br />

Joignant le geste à la parole, elle vint dépuceler le technicien en lui offrant son intimité<br />

surchauffée et abondam<strong>me</strong>nt lubrifiée. Une caractéristique génétique bien connue. L’autre<br />

craqua complète<strong>me</strong>nt. Il cria, hurla, com<strong>me</strong> s’il subissait la plus infamante des infamies !<br />

- Pas ça, pitié !<br />

- Tu avoues ?<br />

- Oui ! Oui ! Le prisonnier, c’est <strong>Eric</strong> <strong>Vincent</strong> !<br />

- Qui ?<br />

23


24<br />

<strong>La</strong> <strong>saga</strong> <strong>Arlette</strong>, <strong>to<strong>me</strong></strong> 3<br />

- <strong>Eric</strong> <strong>Vincent</strong> ! <strong>Je</strong> vous en prie ! Arrêtez ! Arrêtez ! Supplia-t-il en pleurant à grosses<br />

lar<strong>me</strong>s.<br />

Il fallait préciser, tout de mê<strong>me</strong>, que Charlotte avait brûlé les étapes, traumatisant l’enflure<br />

pour de bon. D’ordinaire, elle faisait preuve de patience et changeait au moins une<br />

quinzaine de fois de tenue affriolante pendant le stage de reconversion. Les résistants de<br />

la F.O.U.N.E. regrettaient parfois de ne pas être des fiottes pour avoir le plaisir d’être<br />

rééduqués !<br />

Charlotte abandonna sa victi<strong>me</strong> à son triste sort. Elle en serait quitte pour vider ses yeux<br />

de toutes ses lar<strong>me</strong>s. Elle alla à la rencontre de sa mère après s’être rhabillée.<br />

- Maman…<br />

- Oui ?<br />

- Il a avoué.<br />

- Qui est-ce ?<br />

- <strong>Je</strong> ne comprends pas. Il <strong>me</strong>nt.<br />

- Qui est-ce ?<br />

- <strong>Eric</strong>…<br />

- Quoi ? Tu es sûre que…<br />

- Il <strong>me</strong>nt, c’est évident. Pourtant, j’ai été au bout de la torture ! Il ne peut que <strong>me</strong>ntir.<br />

- C’est juste, admit <strong>Arlette</strong>.<br />

Elle se dirigea, accompagnée de sa fille, vers la cellule. Elle sortit son pistolet mitrailleur.<br />

Le technicien, en les voyant entrer, crut qu’elles venaient le libérer, échangeant ses<br />

informations contre sa liberté. Il n’en fut rien. <strong>Arlette</strong> alla droit sur lui, arma son pistolet<br />

et le pointa sur la tête du prisonnier.<br />

- Tu vas <strong>me</strong> redire cal<strong>me</strong><strong>me</strong>nt ce que tu viens d’avouer à Charlotte !<br />

- J’en ai rien à faire ! Vous pouvez <strong>me</strong> flinguer !<br />

- Tu parles ou je recom<strong>me</strong>nce à t’expliquer le principe du moteur à explosion, avec le<br />

piston qui monte et qui descend !<br />

- Non ! OK ! OK ! Le prisonnier s’appelle <strong>Eric</strong> <strong>Vincent</strong> !<br />

- C’est impossible.<br />

- <strong>Je</strong> vous le jure ! <strong>Je</strong> l’ai vu !<br />

- Il ressemble à cette personne ? Demanda <strong>Arlette</strong> en exhibant une photographie de son<br />

amour perdu à jamais.<br />

- Oui ! C’est lui ! C’est exacte<strong>me</strong>nt lui !<br />

- Tu <strong>me</strong>ns ! Dit <strong>Arlette</strong>.<br />

- Non, je vous jure !<br />

- Tu <strong>me</strong>ns ! Ajouta Charlotte. Attention ! <strong>Je</strong> vais rejouer du pipeau !<br />

- Non ! C’est lui !<br />

- C’est impossible ! Coupa <strong>Arlette</strong>. Il est mort !<br />

- Quoi ?<br />

- Mort et brûlé.<br />

- Mais non ! <strong>Je</strong> l’ai vu. Ils l’ont arrêté il y a quinze jours. Il a été blessé, il a reçu une balle<br />

dans le bras gauche. Ils sont en train de le rééduquer pour en faire un hom<strong>me</strong> com<strong>me</strong><br />

moi.


Infir<strong>me</strong> hier, branlant aujourd’hui, debout dès demain<br />

- Maman ? Com<strong>me</strong>nt est-ce possible ?<br />

- Ne te laisse pas avoir, Charlotte. Cette histoire sent le piège depuis le début. On dirait<br />

une nouvelle, issue de l’esprit détraqué d’un écrivain en mal d’affection ! Ce prisonnier ne<br />

peut être qu’un imposteur ! A moins que… Dis-moi ! As-tu vu le prisonnier torse nu ?<br />

- Oui. Il est entière<strong>me</strong>nt nu dans sa cellule.<br />

- As-tu remarqué quelque chose, dans son dos ? Demanda <strong>Arlette</strong>, prise soudaine<strong>me</strong>nt<br />

d’un doute.<br />

<strong>Eric</strong> avait été opéré d’un grain de beauté dans le dos, un magnifique spéci<strong>me</strong>n de<br />

papillo<strong>me</strong>. Pas Philippe. Et si Philippe n’était pas mort com<strong>me</strong> on l’avait supposé ?<br />

<strong>Arlette</strong> se souvenait pourquoi <strong>Eric</strong> avait dû subir cette ablation : il était entré, de front,<br />

avec deux camarades, dans la cantine du lycée, passant par une porte standard de 70<br />

centimètres de large. Il avait dû se résoudre à passer de côté, arrachant le grain et ornant<br />

sa chemisette bleu ciel d’une splendide tache de sang. Tout cela pour arriver le premier à<br />

table !<br />

- <strong>Je</strong> l’ai bien vu : il avait une cicatrice sur le haut de la colonne vertébrale, entre les<br />

omoplates. Une cicatrice en for<strong>me</strong> de croix de Lorraine.<br />

Incroyable ! Le dos était celui d’<strong>Eric</strong>, pas celui de Philippe. Elle sortit précipitam<strong>me</strong>nt et<br />

fonça aux toilettes, prise de fortes nausées. On voulait la torturer, la faire souffrir en lui<br />

laissant croire qu’il était vivant. Qui ? Qui pouvait être suffisam<strong>me</strong>nt cruel pour la faire<br />

souffrir de la sorte ? Elle sanglota en pensant à son bien aimé disparu.<br />

*<br />

* *<br />

<strong>La</strong> nouvelle avait fait le tour du quartier général. Malgré ses appels au cal<strong>me</strong>, <strong>Arlette</strong> ne<br />

parvenait pas à raisonner la foule de résistants réclamant, à juste titre, une opération<br />

spéciale pour libérer un hom<strong>me</strong> prisonnier, l’un des leurs. Il s’agissait peut-être d’un triplé<br />

inconnu jusqu’à ce jour ? Ou d’un clone ? Pourtant, personne au monde n’était supposé<br />

posséder la technologie du clonage. Elle s’appliquait aux grenouilles, aux veaux, pas aux<br />

humains. Qui était véritable<strong>me</strong>nt cet <strong>Eric</strong> <strong>Vincent</strong> soumis au processus de conversion ?<br />

Pour le savoir, il n’y avait qu’une seule solution : celle préconisée par Yann. Une<br />

intervention dans les plus brefs délais, intervention que réprouvait <strong>Arlette</strong>. <strong>Eric</strong> était mort<br />

et la logique voulait donc que l’autre ne soit qu’une copie de l’original.<br />

Devant la vindicte populaire, <strong>Arlette</strong> fut obligée de se sou<strong>me</strong>ttre (elle aimait bien se<br />

sou<strong>me</strong>ttre !). <strong>La</strong> majorité l’emportait, l’option libératoire dominait. Elle dut s’incliner (en<br />

avant de préférence, car elle aimait vrai<strong>me</strong>nt être dominée…).<br />

Yann obtint les renseigne<strong>me</strong>nts qu’il voulut : la cellule précise où se trouvait le prisonnier.<br />

Elle était près de la rue. En lançant des grappins, tirés par un camion spécial développant<br />

huit cents chevaux, les barreaux et le mur se briseraient en un éclair.<br />

Antoine exploita aussi les informations. Il savait com<strong>me</strong>nt utiliser le satellite d’observation<br />

Hubble, com<strong>me</strong>nt le pirater.<br />

Seul dans un coin, il se connecta sur l’ordinateur principal de la N.A.S.A. Cela ne<br />

demanda pas plus de quelques minutes. Un jeu d’enfant pour une personne dont le passe-<br />

25


26<br />

<strong>La</strong> <strong>saga</strong> <strong>Arlette</strong>, <strong>to<strong>me</strong></strong> 3<br />

temps consistait à casser des défenses informatiques. L’observation, l’espionnage, c’était<br />

devenu cela : dix pour cent d’action sur le terrain, trente pour cent de fouille de poubelles<br />

(on trouvait des tas de docu<strong>me</strong>nts précieux au fond des poubelles), soixante pour cent de<br />

pro<strong>me</strong>nade dans les systè<strong>me</strong>s informatiques.<br />

Il entra dans le module de commande du télescope spatial. Cet engin possédait une<br />

optique suffisam<strong>me</strong>nt puissante pour aller explorer le fin fond de l’univers, il pouvait voir<br />

le trou de balle d’un extraterrestre sur Mars, il devait pouvoir repérer avec ses censeurs<br />

thermiques, un hom<strong>me</strong> dans sa cellule. Il manoeuvra. Dans l’espace, le télescope visa la<br />

Terre en se retournant complète<strong>me</strong>nt. Il disposait d’une fenêtre de quatre minutes pour<br />

agir. Le temps était parfaite<strong>me</strong>nt clair au-dessus de la Bretagne (c’est de la sciencefiction<br />

!). A présent, il lui fallait un peu de chance. Il entra les coordonnées (latitude,<br />

longitude) précises à la seconde près de la cellule où se trouvait <strong>Eric</strong>.<br />

Derrière lui, Yann, Nadine, <strong>Arlette</strong>, Charlotte et quelques autres s’étaient massés (dans le<br />

sens d’amasser, pas se masser parce que ce n’était vrai<strong>me</strong>nt pas le mo<strong>me</strong>nt de se faire<br />

masser, aussi agréable que cela soit !). Une image thermique apparut. Il y avait bien un être<br />

vivant dans cette pièce. <strong>La</strong> for<strong>me</strong> était humaine. Les traits n’étaient pas reconnaissables.<br />

Mê<strong>me</strong> le program<strong>me</strong> d’analyse morphologique serait incapable de recréer un visage sur<br />

l’écran à partir de ces observations.<br />

- Allez ! Fit Antoine à voix basse. Fais un petit effort ! L’angle est super. Pointe-toi à la<br />

fenêtre que je te capte !<br />

Il ne restait plus qu’une minute. Hubble s’éloignait. L’angle d’observation se détériorait.<br />

<strong>La</strong> for<strong>me</strong> se mit en mouve<strong>me</strong>nt.<br />

- Oui ! S’exclama Antoine triomphale<strong>me</strong>nt.<br />

Le visage resta à la fenêtre une seconde. Puis, l’hom<strong>me</strong> fut violem<strong>me</strong>nt projeté en arrière<br />

et gigota frénétique<strong>me</strong>nt sur le sol. D’ores et déjà, ils avaient appris, grâce au talent<br />

d’Antoine, deux informations essentielles : le prisonnier endurait des tortures à l’électricité<br />

et son visage n’était pas celui d’un inconnu. L’image était assez nette sur l’écran<br />

d’ordinateur pour ne laisser aucun doute. C’était <strong>Eric</strong>. Aussi absurde que cela puisse<br />

paraître (c’est que je suis absurde !). <strong>Arlette</strong> avait pleuré à chaudes lar<strong>me</strong>s.<br />

*<br />

* *<br />

Yann grimpa silencieuse<strong>me</strong>nt. Il valait mieux. Agir en fin d’après-midi, en plein jour, était<br />

en soi une hérésie. Seule<strong>me</strong>nt, c’était trop tentant.<br />

<strong>Eric</strong> entendit des cliquetis métalliques auprès de sa fenêtre. Il s’approcha tout en gardant<br />

un oeil distrait sur les images projetées sur le mur, histoire de ne pas se faire électrocuter.<br />

Il vit un hom<strong>me</strong> agrippant les barreaux. Il le reconnut immédiate<strong>me</strong>nt :<br />

- Yann ?<br />

- <strong>Eric</strong> ! <strong>Je</strong> suis rude<strong>me</strong>nt content de te voir. On va te sortir de là ! Le temps de fixer ces<br />

grappins !


Infir<strong>me</strong> hier, branlant aujourd’hui, debout dès demain<br />

Il allait être libéré ! Il tenta d’apporter son aide mais le regard détourné une brève seconde<br />

des films éducatifs lui valut un rappel à l’ordre à base de secousses douloureuses. Il devrait<br />

pourtant bien décrocher une seconde ou deux pour s’échapper de la cellule ! Yann se<br />

rendit compte du problè<strong>me</strong>, <strong>Eric</strong> le vit à la moue qui agita son visage. Visible<strong>me</strong>nt, il<br />

n’avait pas prévu ce problè<strong>me</strong>.<br />

<strong>La</strong> sirène de l’établisse<strong>me</strong>nt pénitentiaire se déclencha, des coups de feu claquèrent. Yann<br />

redescendit à toute vitesse et hurla :<br />

- Démarre !<br />

Les barreaux et la moitié du mur partirent en morceaux. Les gravats atterrirent aux pieds<br />

de Yann, en contrebas. <strong>Eric</strong> se pencha en avant. Il était en bas. Il y avait un énor<strong>me</strong><br />

camion manoeuvrant pour se <strong>me</strong>ttre en position de départ. Son conducteur apparut :<br />

Nadine ! Nadine Auger ! Sa petite amie de Terminale A5. Que faisait-elle là ? Elle faisait<br />

partie de la résistance ! Incroyable ! Dans ce monde, les gens ne remplissaient pas le<br />

mê<strong>me</strong> rôle que dans son univers. A ce propos, il ignorait complète<strong>me</strong>nt ce qu’elle était<br />

devenue dans son monde. Ses dernières nouvelles à son sujet n’étaient pas toutes fraîches.<br />

Il était en licence, elle entrait en première année de D.E.U.G de biologie. Depuis, plus<br />

rien. <strong>Eric</strong> était sorti avec Annabelle, il n’avait pas revu Nadine. A vrai dire, cela ne lui<br />

manquait pas : les deux mois, entrecoupés de quinze jours de batte<strong>me</strong>nt, où ils étaient<br />

sortis ensemble, s’étaient avérés n’être qu’une erreur complète. 13 février 1983 – 25 avril<br />

1983. A l’époque, il était complète<strong>me</strong>nt fou de cette petite brune aux yeux noirs et au teint<br />

mat. Elle avait de somptueux cheveux noirs, brillants et un regard mi-moqueur, mivulgaire<br />

qui ne manquait pas de piquant. Le seul hic, c’était qu’elle avait accepté de sortir<br />

avec lui parce qu’elle ne savait pas com<strong>me</strong>nt dire non. Elle était trop jeune et très<br />

impressionnée par les excès de romantis<strong>me</strong> du futur écrivain. Depuis, il avait évité les<br />

éternelles trouillardes face à la vie.<br />

Nadine ! Quand mê<strong>me</strong> ! Il ne s’attendait pas à une pareille surprise !<br />

- Descends ! Cria Yann.<br />

Il reçut une rafale au mê<strong>me</strong> instant. Elle ne lui laissa pas l’ombre d’une chance. C’était<br />

trop tard. <strong>Eric</strong> attrapa la corde lorsqu’il entendit une voix lui ordonner :<br />

- <strong>La</strong>isse ça ! Recule ou je te flingue !<br />

Un garde était entré. Trop tard pour fuir ! Il leva les mains, assez pour que ses libérateurs<br />

comprennent qu’ils avaient échoué. L’opération prenait fin. Nadine démarra en trombe,<br />

abandonnant la dépouille de Yann.<br />

*<br />

* *<br />

Nadine était inconsolable. Elle se sentait responsable de la mort de Yann. Elle n’avait pas<br />

réussi à le convaincre d’endosser un gilet pare-balles. « Trop contraignant pour grimper à<br />

la corde ! » avait-il lancé en rigolant. Elle se reprochait de ne pas l’avoir assez tempéré<br />

pour lui donner le temps d’élaborer un plan tenant la route. A présent, <strong>Eric</strong> serait gardé<br />

27


28<br />

<strong>La</strong> <strong>saga</strong> <strong>Arlette</strong>, <strong>to<strong>me</strong></strong> 3<br />

avec une extrê<strong>me</strong> vigilance. Elle voulut partir. Les autres la retinrent de com<strong>me</strong>ttre un<br />

geste qu’elle regretterait sûre<strong>me</strong>nt. Elle les re<strong>me</strong>rcia. Elle voulait seule<strong>me</strong>nt s’isoler,<br />

pleurer Yann sans que les autres ne la voient. Elle ne voulait pas de leur pitié.<br />

Avant de partir, elle vint s’asseoir auprès d’<strong>Arlette</strong>.<br />

- <strong>Je</strong> suis désolée pour lui, lui dit la responsable des résistants.<br />

- Il m’arrive ce qui t’est arrivé. Ce qui nous arrivera à tous.<br />

- Non. On y arrivera, un jour, à remporter la victoire finale. Toutes les fiottes iront se faire<br />

voir ailleurs ! Vigor et Margarine en tête !<br />

Nadine sourit un peu mais le coeur n’y était pas.<br />

- Tu sais, dit-elle, c’était vrai<strong>me</strong>nt <strong>Eric</strong> à la prison.<br />

- Ah ?<br />

- Oui. <strong>Je</strong> ne sais pas com<strong>me</strong>nt. C’est… lui. C’était si… troublant de le voir vivant !<br />

- J’imagine… Oui, j’imagine que j’aurais ressenti ce trouble si j’avais été là.<br />

<strong>Arlette</strong> se perdit dans ses pensées. <strong>Eric</strong>, son amour. L’hom<strong>me</strong> aux mille tours de magie, si<br />

bavard, si prolixe en mots tendres, parfois si silencieux lorsqu’il était sub<strong>me</strong>rgé par<br />

l’émotion. Alors, il devenait un autre. Un petit enfant perdu, sans repère, telle<strong>me</strong>nt<br />

attendrissant et telle<strong>me</strong>nt désarmant. Elle préférait lorsqu’il usait et abusait de l’humour.<br />

Dans ces mo<strong>me</strong>nts, elle le sentait fort, sûr de lui. <strong>La</strong> machine était en route, rien ne<br />

pouvait la stopper. Par contre, dans ses mo<strong>me</strong>nts de silence, elle le sentait faible, sans<br />

défense, paralysé. Il changeait complète<strong>me</strong>nt. Il s’échappait de son univers, devenant<br />

soudaine<strong>me</strong>nt sérieux. Mis à part au combat, elle détestait le voir réagir avec sérieux. Avec<br />

lui, sérieux rimait toujours avec gravité. Il l’avait telle<strong>me</strong>nt habituée à plaisanter de tout.<br />

En fait, il fonctionnait intensé<strong>me</strong>nt au moral. Un rien suffisait pour l’abattre, un rien<br />

suffisait pour le galvaniser. Il était ainsi fait. Fragile et fort, en mê<strong>me</strong> temps. Com<strong>me</strong><br />

lorsqu’il lui faisait l’amour… Com<strong>me</strong>nt était l’autre, le prisonnier ? Le faux <strong>Eric</strong> ?<br />

Nadine était partie depuis longtemps. <strong>La</strong> pauvre ! Elle était bien jeune pour endurer de<br />

telles épreuves. Personne n’était entraîné à endurer la mort des amis, des proches au<br />

combat. Cette saleté de guerre durait depuis cinq ans, presque autant que la seconde<br />

guerre mondiale. C’était une guerre vicieuse, d’un genre nouveau. Il y avait eu des guerres<br />

ethniques, politiques, territoriales, idéologiques, religieuses. Ils vivaient la première guerre<br />

sexuelle. Chacun était persuadé de détenir la clef pour le <strong>me</strong>illeur des mondes. Chacun se<br />

battait avec les mê<strong>me</strong>s ar<strong>me</strong>s, des méthodes identiques. Des méthodes de reconversion !<br />

Elle pensa à l’autre. Qui était-il ? Un imposteur ? Un triplé ? Peut-être un danger, peutêtre<br />

en danger. Elle se dit qu’il fallait le libérer. C’était l’unique moyen de savoir qui il était.<br />

Après tout, il ne pouvait pas lui faire du mal. Si ce n’était au coeur s’il s’avérait décevant<br />

ou si son coeur était pris par une autre. Elle convoqua son état-major et en premier lieu,<br />

son spécialiste de l’observation : Antoine.<br />

*<br />

* *


Infir<strong>me</strong> hier, branlant aujourd’hui, debout dès demain<br />

<strong>La</strong> for<strong>me</strong> n’ignorait pas que l’attaque de la prison de Rennes avait bouleversé ses plans.<br />

Cet imbécile de Delaunay, par sa tentative mal préparée ayant tourné au vinaigre, s’était<br />

attiré l’intérêt et la sympathie des médias. Une contre-attaque rapide s’imposait. Tant pis<br />

pour la conversion d’<strong>Eric</strong> ! De toutes les façons, malgré les doses éléphantesques<br />

d’hormones féminines administrées chaque jour, malgré une transformation physique<br />

manifeste, il résistait de manière étonnante au processus de « fiottisation ». On avait tenté,<br />

de force, une initiation à l’aide de trois techniciens. <strong>Eric</strong> les avait massacrés avec une rare<br />

délectation. Plus on essayait de le convertir, moins cela marchait.<br />

Restait une possibilité moins satisfaisante, moins raffinée mais de bonne guerre. Un<br />

procès. <strong>Eric</strong> devait être jugé et condamné pour haute trahison envers l’état. Un procès<br />

équitable où la seule sentence envisageable serait la mort. Une deuxiè<strong>me</strong> mort aurait<br />

raison d’<strong>Arlette</strong>. Sa santé <strong>me</strong>ntale vacillerait. Quelle joie ! Le procès ne réclamait qu’un<br />

juge sympathisant. Oh ! Bien sûr ! Il y en avait un qui était naturelle<strong>me</strong>nt désigné pour<br />

accomplir cette honorable mission. Il fallait juste le sortir de sa retraite dorée.<br />

*<br />

* *<br />

Désormais, ce n’était plus qu’un secret de polichinelle. Le présentateur du journal télévisé<br />

local, Albert Dujonc, appelait son spécialiste des affaires juridiques : <strong>Je</strong>an Filet. L’affaire<br />

de l’année allait secouer la préfecture de l’Ile et Vilaine. Ce maudit tueur hétérosexuel<br />

serait jugé à Rennes pour les nombreux actes ignobles qu’il avait commis.<br />

Le nom du magistrat chargé de faire pencher la balance d’un côté ou d’un autre, tomba.<br />

C’était <strong>Je</strong>an-Luc Gagné. <strong>Arlette</strong>, devant son poste de télévision, s’écroula sur le bois ciré<br />

de sa table. Le juge Gagné… Le prêtre défroqué, le concentré d’intolérance. L’ancien<br />

serviteur de Dieu s’était mué en suppôt de Satan. Il avait été l’un des tout premiers<br />

ecclésiastiques à afficher ses penchants pour la gent masculine. Ses premiers amants, il en<br />

fit la conquête derrière l’église où il ne fit que des bêtises. Ah ! Etre la bonne du curé, tout<br />

le monde le voulait bien, mais ne le pouvait point. Il fallait accepter que les cierges<br />

remplissent (c’est le cas de dire !) une autre fonction que celle du re<strong>me</strong>rcie<strong>me</strong>nt. Quant<br />

aux frères qu’il côtoyait, ils eurent tôt fait de découvrir son gros cierge rouge…<br />

A présent, il se vengeait des brimades du passé. Il avait repris ses études de droit, avait<br />

atteint le niveau de magistrature suprê<strong>me</strong> et était devenu le grand inquisiteur (il adorait<br />

faire toutes sortes d’inquisition !) de la sixiè<strong>me</strong> république. Il avait d’ailleurs participé à la<br />

fondation de celle-ci en suggérant le drapeau national : une banane et des kiwis sur un<br />

fond rose.<br />

Sous la tutelle de ce sinistre personnage, <strong>Eric</strong> ne pouvait pas être jugé de manière plus<br />

inéquitable. Par contre, l’occasion d’agir était trop belle. Une opération parfaite<strong>me</strong>nt<br />

organisée avait des chances d’aboutir à la libération du prisonnier et à l’exécution de ce<br />

juge corrompu dont le grand plaisir était d’assister aux plaidoiries des avocats en étant<br />

raide à poil sous sa robe. Ou alors en portant string ficelle et soutien gorge. Avec ses deux<br />

assesseurs (à ne pas confondre avec ses potes assez frères), assis à sa droite et à sa gauche,<br />

il se prenait pour Dieu le Père ! Ils appréciaient la parole de Dieu exprimée dans toutes les<br />

langues…<br />

29


30<br />

<strong>La</strong> <strong>saga</strong> <strong>Arlette</strong>, <strong>to<strong>me</strong></strong> 3<br />

Après la mort de Yann, Antoine avait été promu « organisateur d’actions spéciales ». <strong>La</strong><br />

tâche consistait à trouver tout ce qui pouvait em<strong>me</strong>rder le président BACANAL et toute<br />

sa clique. Il avait carte blanche et libre imagination pour agir. Sa première idée fut de<br />

placarder sur tous les murs de la région de splendides affiches <strong>me</strong>ttant en scène le<br />

président de la République avec la mère Denis, égérie d’un célèbre lessivier, dans une<br />

situation pour le moins inattendue : elle avait ôté tout son linge et nettoyait la vizirette du<br />

président à 800 tours/minute ! L’affiche avait déclenché l’hilarité générale dans la<br />

Bretagne et avait eu un écho national, couvrant ainsi le retentisse<strong>me</strong>nt que le<br />

gouverne<strong>me</strong>nt voulait donner au procès du vrai/faux <strong>Eric</strong> <strong>Vincent</strong>.<br />

<strong>Arlette</strong> le convoqua et le somma de <strong>me</strong>ttre au point un plan infaillible. Elle ne voulait pas<br />

la moindre perte dans les rangs de la F.O.U.N.E. Plus de précipitation.<br />

Le brillant élève se creusa aussitôt la cervelle. Il suffisait de le <strong>me</strong>ttre au défi pour qu’il<br />

exécute sa noble tâche avec brio.<br />

*<br />

* *<br />

Ce matin-là, la porte s’était déverrouillée sans que l’écrivain ne soit plongé de force dans<br />

l’inconscience. Depuis quelques jours, les choses changeaient. D’abord, la diffusion de<br />

films éducatifs avait cessé. En mê<strong>me</strong> temps, le traite<strong>me</strong>nt hormonal avait été suspendu. Sa<br />

poitrine avait repris une taille normale (un petit 115), ses hanches étaient redevenues<br />

abruptes, son pénis avait dégonflé pour attendre enfin 30 centimètres (mais je rigole !). De<br />

plus, alors qu’on l’avait privé de nourriture pour casser sa volonté, on le gavait com<strong>me</strong><br />

une oie lui en faisant avaler des <strong>me</strong>ts tous plus savoureux les uns que les autres. Les<br />

commandes venaient directe<strong>me</strong>nt de chez Hédiard, Fauchon et Dalloyau, certaine<strong>me</strong>nt<br />

pas des cuisines de la prison.<br />

Une fem<strong>me</strong> était entrée. Son avocate, soi-disant. Elle l’avait invité à la suivre. Durant le<br />

transport jusqu ‘au tribunal, elle l’avait averti : il avait intérêt à plaider coupable. Le<br />

problè<strong>me</strong>, c’était qu’il ne savait pas de quoi il était coupable. Lorsqu’elle lui demanda<br />

quelle étaient ses tendances sexuelles, il lui répondit qu’il avait tendance à faire l’amour<br />

plusieurs fois par nuit et par jour. Elle précisa sa question : quelles étaient ses<br />

préférences ? Il lui indiqua alors qu’il aimait tout : par-dessus, par-dessous, par derrière,<br />

par-devant, en haut, en bas, au premier étage, au sous-sol, en avion, en train, en arrièretrain,<br />

à la queue leu leu. Décidé<strong>me</strong>nt, com<strong>me</strong> il ne comprenait rien et qu’elle était très<br />

curieuse, elle renchérit (et non pas rend chéri) : quels étaient ses types de partenaire ?<br />

Il répondit qu’il aimait vrai<strong>me</strong>nt tout, sans distinction : les blondes, les brunes, les rousses,<br />

les noires, les jaunes, les rouges, les bleues avec un grand cou (à ne pas confondre avec les<br />

bleus avec un grand coup, appelés communé<strong>me</strong>nt « héma<strong>to<strong>me</strong></strong>s » !).<br />

Elle lui demanda ses orientations ; il précisa : « Toujours face à la Mecque ! » car ici, dans<br />

ce monde, il ne valait mieux pas tourner le dos à la <strong>me</strong>c sous peine d’avoir des problè<strong>me</strong>s<br />

d’hémorroïdes !<br />

Elle s’énerva et cracha enfin le morceau : préférait-il les hom<strong>me</strong>s ou les fem<strong>me</strong>s ?<br />

- Les fem<strong>me</strong>s, bien sûr !


Infir<strong>me</strong> hier, branlant aujourd’hui, debout dès demain<br />

Elle avait vomi son petit déjeuner sur ses chaussures. Après cela, elle le traita de tous les<br />

noms d’oiseaux qu’elle put se souvenir et fut limite de piquer une crise d’hystérie quand il<br />

lui avoua son désir de la décoincer si cela la chantait.<br />

Quatre gentils garçons dans le vent, venus de Liverpool, l’accueillirent à la sortie du<br />

fourgon cellulaire. Ils le <strong>me</strong>nèrent au tribunal. Il avait été surpris de découvrir que la<br />

télévision s’intéressait à son cas. Pour qui le prenaient-ils pour lui faire les honneurs des<br />

médias ? <strong>La</strong> minute de droits télévisés du procès vaudrait très cher. En effet, son avocate<br />

se dirigea droit vers le juge dès son entrée. Il eut un mouve<strong>me</strong>nt de recul lorsqu’elle<br />

s’approcha d’un peu trop près. Il lui dit qu’il souffrait d’une atroce migraine. Elle le<br />

rassura un peu en lui avouant que le prévenu l’avait aussi rendue malade en lui parlant<br />

dans le panier à salade.<br />

Il prit la parole après que l’avocate lui ait remis un objet :<br />

- Silence, s’il vous plaît ! Accusé, levez-vous !<br />

Com<strong>me</strong> <strong>Eric</strong> était l’accusé, il obtempéra.<br />

- Ecoutez ceci et dites à la cour si vous reconnaissez avoir prononcé ces paroles !<br />

Il écouta. Il s’agissait de sa conversation avec l’avocate, conversation tenue quelques<br />

minutes auparavant pendant leur venue au palais de justice.<br />

- Oui, c’est moi ! C’est ma voix !<br />

- Vous pensez ce que vous dites ?<br />

- Oui, heureuse<strong>me</strong>nt !<br />

- Vous ai<strong>me</strong>z les fem<strong>me</strong>s ?<br />

- Oui !<br />

Un « oh ! ! » horrifié parcourut l’assistance. Des sifflets lui furent adressés. Devant la<br />

vindicte populaire, le juge décida d’ajourner la séance. Il mit le juge<strong>me</strong>nt en délibéré.<br />

*<br />

* *<br />

Lorsque le juge Gagné refit son apparition, il avait l’air moins fier, moins dominateur. Il<br />

fit signe au prisonnier d’approcher. Ce dernier obéit. Il lui dit :<br />

- Venez à côté ! Il faut que je vous parle !<br />

- Ce n’est pas mon avocate qui doit <strong>me</strong> représenter ? Lui demanda l’accusé, conscient qu’il<br />

n’agissait pas com<strong>me</strong> le voulait le droit.<br />

- Non, pas dans ce cas ! Vous n’obtiendrez rien avec cette furie !<br />

- Ah ! Dans ce cas, je vous suis !<br />

<strong>Eric</strong> remarqua un renfle<strong>me</strong>nt inhabituel dans le bas de son dos. Il comprit qu’il se tramait<br />

un truc pas catholique dont le juge n’était pas le maître en pénétrant dans la salle réservée<br />

aux délibérations. Les deux assesseurs et les <strong>me</strong>mbres du jury, un beau tas de fiottes,<br />

31


32<br />

<strong>La</strong> <strong>saga</strong> <strong>Arlette</strong>, <strong>to<strong>me</strong></strong> 3<br />

étaient ligotés, bâillonnés. Plusieurs personnes armées les tenaient en joue, dont une que<br />

l’écrivain reconnut.<br />

- <strong>Arlette</strong> !<br />

- <strong>Eric</strong> ?<br />

- C’est incroyable ! Vous êtes venus <strong>me</strong> libérer ?<br />

- Oui. Viens ! Il faut faire vite. Quant à toi, juge félon, tu vas payer ! A poil !<br />

<strong>La</strong> figure emblématique de la F.O.U.N.E. <strong>me</strong>naça le juge avec un automatique. Le<br />

magistrat n’eut pas d’autre choix que de retirer sa robe. Il avait un perforateur instantané<br />

fourré dans le derrière. Cela aurait dû lui donner le sourire. Hélas pour lui ! Il avait aussi le<br />

sexe introduit dans une petite guillotine radiocommandée.<br />

- Pour tous les cri<strong>me</strong>s que tu as commis ! Hurla <strong>Arlette</strong> en actionnant la télécommande.<br />

<strong>La</strong> la<strong>me</strong> aiguisée vint trancher son missile à tête chercheuse. Il tomba par terre et fut suivi<br />

d’une giclée de sang. Le juge n’eut pas le temps de se plaindre. <strong>Arlette</strong> l’acheva en<br />

déclenchant le perforateur qui lui explosa le fion, collant de la bidoche sur le mur<br />

bicentenaire du palais. <strong>Arlette</strong> attrapa le prisonnier et l’entraîna au dehors. Ils<br />

s’échappèrent en filant par les toits. En bas, ils furent récupérés par Antoine et des<br />

hom<strong>me</strong>s de main. L’opération avait été ronde<strong>me</strong>nt <strong>me</strong>née. <strong>Eric</strong> était libre.<br />

*<br />

* *<br />

<strong>Arlette</strong> et <strong>Eric</strong> avaient longue<strong>me</strong>nt parlé. Il avait avoué venir d’un monde parallèle. Il avait<br />

évoqué la possibilité d’être le jouet d’une personne mystérieuse manipulant le passé,<br />

l’avenir et les présents possibles. Elle était peinée de le voir en si bonne for<strong>me</strong> alors<br />

qu’elle l’avait tenu dans ses bras quelques jours auparavant, rendant son dernier soupir. Il<br />

lui avait décrit avec précision tous les événe<strong>me</strong>nts survenus dans son monde, ses vaines<br />

tentatives pour réparer les méfaits de la télécommande à voyager dans le temps. Il avait<br />

parlé de sa rencontre avec l’autre <strong>Arlette</strong>, avec Marina, sa mort, sa résurrection. A la fin, il<br />

lui avait dit :<br />

- <strong>Je</strong> ne sais mê<strong>me</strong> plus où j’en suis. <strong>Je</strong> ne pourrai jamais revenir dans mon monde. <strong>Je</strong> ne<br />

sais pas s’il existe encore, s’il est tel que je l’ai laissé ou s’il sera bouleversé. De toutes les<br />

façons, je ne pourrai jamais repartir. Cela sera avec joie que j’embrasserai la cause de la<br />

F.O.U.N.E.<br />

- Vrai<strong>me</strong>nt ?<br />

- Oui. <strong>Je</strong> pourrais être utile, mê<strong>me</strong> si je n’ai pas les qualités de combattant du <strong>Eric</strong> que tu<br />

aimais.<br />

- C’est gentil. Rien ne t’y oblige.<br />

- J’ai envie d’embrasser autre chose que la cause.<br />

- Quoi, par exemple ? Fit <strong>Arlette</strong> dont le regard devint brillant.<br />

- Tes lèvres…


Infir<strong>me</strong> hier, branlant aujourd’hui, debout dès demain<br />

Il s’approcha d’elle. Ils se terraient dans un réseau de caves, à l’abri de l’ennemi, à l’abri<br />

des regards indiscrets égale<strong>me</strong>nt. Elle se laissa faire. Il l’enlaça le plus tendre<strong>me</strong>nt possible,<br />

cherchant à caresser son dos, ses reins, ses hanches. Les mains glissèrent un peu plus bas<br />

et rencontrèrent ses deux adorables rondeurs d’amour chaudes. Sa bouche se colla plus<br />

fort contre la sienne. Il la sentit fondre complète<strong>me</strong>nt. Envolée sa peur d’avoir affaire à<br />

un imposteur ! Contre lui, elle retrouva des sensations qu’elle croyait perdues à jamais. Ils<br />

se laissèrent choir sur le gravier rond disposé sur le sol en terre battue. Elle dégrafa son<br />

treillis à l’entrejambe. Les pressions sautèrent preste<strong>me</strong>nt. Elle dégagea le sexe de<br />

l’hom<strong>me</strong> de sa prison Dim et vint s’offrir sa raideur au fond de son ventre. Elle soupira et<br />

sourit jusqu’aux oreilles, bien que l'obscurité empêchât de bien distinguer son visage. Il lui<br />

donna ce pour quoi il avait failli être exécuté. Il eut été dommage de gâcher une pareille<br />

érection.<br />

Au mo<strong>me</strong>nt où elle jouit bruyam<strong>me</strong>nt, une explosion fit trembler tout le sous-sol. Le feu<br />

se propagea d’un seul coup. Des cris, des hurle<strong>me</strong>nts. Trop tard pour les autres. <strong>Eric</strong><br />

bloqua la porte en se levant précipitam<strong>me</strong>nt. Elle prit sa main et le pria de venir avec elle.<br />

Ils coururent aussi vite qu’ils purent. Lorsqu’ils sortirent pour se retrouver dans un garage<br />

souterrain, ils eurent une surprise extrê<strong>me</strong><strong>me</strong>nt désagréable.<br />

- Vigor !<br />

*<br />

* *<br />

<strong>La</strong> pourriture de ministre se tenait devant eux, planqué derrière une cinquantaine de<br />

miliciens. Ils étaient sous le feu des projecteurs, tenus en respect par un tas de fiottes.<br />

Tout à coup, sans que ce traître ait pu dire quoi que ce soit, une porte se matérialisa à ses<br />

côtés. Une porte étoilée avec la consistance du <strong>me</strong>rcure. Margarine en sortit. Il venait d’un<br />

monde parallèle, du futur ou du passé. Il tenait un enfant. Un bébé.<br />

- Tu le reconnais ? Dit-il en tournant le nourrisson afin que l’écrivain puisse observer le<br />

dos.<br />

Il le reconnaissait. En haut, entre les omoplates, il y avait le papillo<strong>me</strong>. Son papillo<strong>me</strong>.<br />

Sans qu’il puisse faire le moindre geste, Margarine injecta un produit bleuté dans le bras<br />

du gosse. On aurait dit du liquide de refroidisse<strong>me</strong>nt. Aussitôt, <strong>Eric</strong> éprouva un malaise.<br />

L’enfant hurla à la mort. <strong>Eric</strong> s’effondra. <strong>Arlette</strong> tenta de lui porter secours. Les yeux de<br />

l’hom<strong>me</strong> se révulsèrent. L’enfant mourrait. <strong>Eric</strong> cessait d’exister. <strong>Arlette</strong> le vit mourir<br />

pour la seconde fois. Elle s’écroula contre lui, luttant pour le sauver, maudissant le ciel qui<br />

lui reprenait son ange. Elle n’eut qu’une seule réponse. Un ricane<strong>me</strong>nt venu du fond du<br />

garage. Le rire d’un être abject heureux de lui faire du mal, heureux d’avoir enfin eu sa<br />

victoire. Heureux et satisfait d’avoir pu la briser. Elle sombra dans le désespoir. Le cœur<br />

d’<strong>Eric</strong> cessa de battre.<br />

*<br />

* *<br />

33


Dictionnaire :<br />

34<br />

<strong>La</strong> <strong>saga</strong> <strong>Arlette</strong>, <strong>to<strong>me</strong></strong> 3<br />

- Fiotte : garçon ayant peur des filles. A ne pas confondre avec « Fiat », marque pour les<br />

<strong>me</strong>cs qui en ont !<br />

- Homosexuel : personne ne travaillant pas chez Lego et ignorant tout des<br />

emboîte<strong>me</strong>nts.<br />

- Enflure : personne ayant tendance à enfler quand elle se fait piquer par un gros dard.<br />

- Charlotte : gâteau sucré au langage salé à base de biscuit trempé de crè<strong>me</strong>…<br />

- Elf : société de forage préférée des fiottes.<br />

- Rééduquer : apprendre à être propre, à se tenir droit et à frapper à la porte avant<br />

d’entrer.<br />

- Gouffre de Padirac : orifice naturel très humide. Ne pas confondre avec le trou de<br />

Bâle, en Suisse ou le trou de balle, autre orifice naturel plus sec.<br />

- Perforateur instantané : de Black et Decker. Moi, je préfère l’avoir raide et blanche.

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