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Alexa Sarbacane, épisode 5 - Eric Vincent

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ERIC VINCENT<br />

ALEXA SARBACANE,<br />

DETECTIVE EXTRALUCIDE<br />

TOME 5<br />

VOL AU-DESSUS DE L’ATLANTIQUE


Site : http://ericvincent.no-ip.org/<br />

© <strong>Eric</strong> <strong>Vincent</strong> 2001. Tous droits réservés.<br />

Toute ressemblance avec des situations ou des personnages ayant existé, existant ou à<br />

venir, serait fortuite.


Les lunettes de star posées sur le bout du nez, <strong>Alexa</strong> bouquinait le dernier roman d'un célèbre<br />

écrivain crevant régulièrement les scores de vente (Note de l'auteur : par souci de discrétion,<br />

pour ne pas lui faire de la publicité gratuite, je ne citerai que ses initiales : E.V. ! Pour ceux qui<br />

n'auraient pas compris, je ne dirai pas qu'il oeuvre dans le fantastique, le policier et la sciencefiction<br />

! Pour ceux qui n'auraient toujours pas compris, regardez le nom de l'auteur du chefd'oeuvre<br />

présent !). Elle riait, pleurait, vibrait en lisant les aventures de son auteur favori<br />

transformé par le plus grand des mystères en super héros. Une profonde mutation lui avait<br />

accordé le pouvoir de faire la vaisselle, le ménage, le repassage et lui avait ôté tout<br />

grognement lorsqu'il devait descendre la poubelle. Ces capacités paranormales faisaient de lui<br />

un être extraordinaire dont toutes les femmes rêvaient et il ravalait Superman au rang des<br />

curiosités obsolètes.<br />

A plat ventre sur son drap de plage bariolé, elle balançait ses jambes en l'air au rythme des<br />

crises de rire. Parfois, ses minuscules pieds retombaient dans le sable. Précisément à l'instant<br />

où le ton devenait plus grave, où l'auteur dévoilait ses sentiments, ses turpitudes, ses frasques<br />

(Note de l'auteur : oh là ! Cela va devenir graveleux ! Je m'autocensure avant qu'il ne soit trop<br />

tard !), <strong>Alexa</strong> redevenait la personne sensible et émue que ses fans adoraient.<br />

Elle ne prêtait pas attention au groupe d'adolescents jouant au football sur la partie de sable<br />

humide et dure de la plage. Sa lecture la captivait mais son esprit se surprenait à vagabonder<br />

de temps en temps. Ses errances spirituelles l'entraînaient là-haut, près des étoiles, en orbite<br />

géostationnaire autour de la Terre. L'espace l'appelait de toutes ses forces. Elle viderait son<br />

compte bancaire pour acquérir une place sur le prochain vol d'Hermès, si cela suffisait à<br />

gagner son ticket pour le paradis ! L'espace... Y retournerait-elle un jour ? Son créateur auraitil<br />

la bonté de lui accorder deux fois dans sa vie cet immense privilège ?<br />

Elle retourna la couverture de son roman et apposa un baiser sous la photographie de<br />

l'auteur. Par ce geste, elle le gratifiait d'un honneur suprême, d'une délicate attention et d'une<br />

prière à exaucer !<br />

Elle sentit un léger courant d'air près d'elle : un drap de bain jeté élégamment sur le sable<br />

blond et doré par les derniers rayons de soleil de la journée. Marie venait de la rejoindre après<br />

avoir achevé une journée marathon.<br />

- Salut <strong>Alexa</strong> !<br />

- Salut ma grande ! Alors ? Cette cérémonie de clôture ?<br />

- Epuisante ! Je soufflerai dans un mois à peu près. D'ici là, notre politique va consister à<br />

vendre notre solution comme une sérieuse alternative à la navette américaine. Et le jour où la<br />

course à la colonisation de la Lune sera lancée, nous mènerons les débats. Il y a des milliards<br />

d'euros en jeu. Mes communiqués et ma force de vente conditionnent une partie de<br />

l'obtention des contrats. Tu imagines le niveau de responsabilité écrasant mes frêles épaules ?<br />

- J'imagine... Tu possèdes une sacrée influence ! A ce propos, d'ailleurs, si tu désires me<br />

pistonner pour un nouveau départ, je suis volontaire !<br />

- Tu as aimé ?<br />

- Marie... Aimer est un verbe trop faible pour décrire la joie qui m'habite lorsque je songe aux<br />

heures vécues en apesanteur, près de notre planète. Il n'y a rien de comparable. Quelle saveur<br />

peut avoir la vie terrestre après une telle expérience ? Je n'affirme pas être faite pour être<br />

3


spationaute. Non... Je crois sincèrement avoir été conçue pour exercer mes talents dans le<br />

domaine paranormal. Mais vivre près des étoiles est si enchanteur. Je pourrais enquêter dans<br />

l'espace. Il doit y avoir des fantômes sur les autres planètes, non ?<br />

- Sûrement.<br />

- <strong>Alexa</strong> <strong>Sarbacane</strong>, détective extralucide et intergalactique ! Cela sonne bien, je trouve !<br />

J'imagine la tête de mes clients. Des petits hommes verts ou bleus (Note de l'auteur : <strong>Alexa</strong><br />

confond avec d'autres personnages de la bande dessinée !), avec des grosses têtes carrées,<br />

pleines de boutons !<br />

- On dirait le portrait craché de mes collègues !<br />

- Oh ! Tu exagères, Marie ! Il y en a qui sont potables !<br />

- Tu trouves ? Franchement... Je me demande si je vais enfin trouver chaussure à mon pied !<br />

Tu ne pourrais pas te concentrer sur le sujet ?<br />

- J'ignore si j'y arriverai. D'habitude, je n'utilise mes dons que dans le cadre professionnel de<br />

mes enquêtes. Pas pour de la voyance en direct sur les espoirs du coeur.<br />

- C'est important pour moi. Je cherche la passion comme auparavant mais sans la violence et<br />

l'humiliation assorties aux sentiments. Je me sens prête à offrir mon coeur sans concession à<br />

un gentil homme passionné, présent, attentif, tendre, enthousiaste, battant, généreux,<br />

amoureux, chevaleresque, imaginatif, déluré, fou, grisant, sensuel.<br />

- Rien que cela ? Un conseil : embarque-toi sur la navette au prochain vol, ton oiseau rare est<br />

obligatoirement un extraterrestre ! Je n'ai jamais rencontré ce genre de phénomène sur la<br />

Terre. On dirait un personnage issu de la mythologie ! Crois-moi : les mecs parfaits n'existent<br />

qu'en rêve !<br />

- Tu ne veux vraiment pas essayer ?<br />

- D'accord... Si tu y tiens !<br />

<strong>Alexa</strong> plongea la tête dans son livre et ferma les yeux afin d'éviter la lumière du jour. Ainsi, si<br />

images il y avait, meilleure serait leur netteté. Elle psalmodia intérieurement qu'elle souhaitait<br />

connaître l'avenir sentimental de sa jeune amie. Malheureusement, miss <strong>Sarbacane</strong> ne s'était<br />

pas encore prêtée au jeu de la voyance pure. Elle ignorait donc que les flashs ne se<br />

contrôlaient pas aisément ; même en désirant être informé sur un sujet précis, il n'était pas<br />

rare de se voir éconduit et reconduit sur un autre sujet, le sujet essentiel pour le consultant à<br />

l'époque de la séance. La détective était victime de ce phénomène. Plus elle tentait de se<br />

consacrer au versant affectif de la responsable de la communication, plus on lui en montrait<br />

sur l'avenir professionnel de la jeune femme. Marie n'exercerait pas ses talents toute sa vie à<br />

Kourou. Elle quitterait l'Agence Spatiale Européenne dans peu de temps, quelques mois tout<br />

au plus. Intriguée par ce départ, <strong>Alexa</strong> voulut en savoir davantage. Pourquoi sa camarade<br />

abandonnerait-elle un job en or ? Elle la vit à Paris et dans une ville de province, une grande<br />

ville qu'elle ne reconnut pas. Malgré tout, la présence de nombreuses maisons à colombages<br />

et d'une cigogne entrevue sur un toit lui laissa imaginer qu'il s'agissait de Strasbourg. Elle<br />

voyagerait fréquemment, écrirait et parlerait beaucoup. Elle se tenait près d'un homme en<br />

costume bleu marine. A chaque vision, cet homme jeune, élégant et beau garçon était sur le<br />

devant de la scène. Un détail plut énormément à <strong>Alexa</strong> : ses costumes sombres tranchaient<br />

radicalement avec des cravates aux couleurs vives et aux imprimés psychédéliques et il portait<br />

systématiquement des chaussettes fantaisie du genre "Titi et Grosminet" ou "Snoopy". Il<br />

4


s'habillait d'une façon telle qu'il semblait vouloir rompre le sérieux de sa tâche grâce à ces<br />

accessoires vestimentaires.<br />

- Alors ? Tu ne vois rien ?<br />

- Si. Je crois que tu vas changer de métier.<br />

- Ah bon ?<br />

- Je pense que d'ici peu de temps, tu vas travailler pour un homme politique. Tu écriras ses<br />

discours, tu t'occuperas de son image, de sa communication, de ses meetings. Je le vois mais<br />

je ne le connais pas. Il a des cravates et des chaussettes marrantes.<br />

- <strong>Alexa</strong> ! Il faut toujours que tu remarques ce genre de détail avant l'essentiel...<br />

- Et c'est quoi l'essentiel, d'après toi ?<br />

- Est-ce qu'il devient député ou ministre ?<br />

- Député européen car je vous vois à Strasbourg, je pense. Mais aussi à Paris. Je m’explique :<br />

il vient de Paris ou il exerce un autre mandat dans la capitale.<br />

- Tu vois autre chose ?<br />

- Non, je suis désolée. Je n'arrive pas à me connecter sur le domaine sentimental. Il y a<br />

comme une barrière. Pourtant, il m'est arrivé de voir des événements de cette nature. Pour<br />

Yann et sa femme Juliette, entre autres. Pour toi, je fais un blocage comme si... tu n'y avais<br />

pas le droit ou comme si... tu rêvais d'un amour impossible et que rien d'autre n'existait. A<br />

moins que...<br />

- A moins que quoi ?<br />

- A moins que la fonction de ton député masque une autre réalité.<br />

- Ah… Tu le vois beau garçon ?<br />

- Plutôt... Il se pourrait qu'il soit l'arbre qui cache la forêt, que sa vie publique rayonnante<br />

occulte une relation plus discrète... Va savoir ! Les flashs sont capricieux !<br />

Marie sourit largement. Puis, son sourire s'effaça peu à peu comme s'il se teintait doucement<br />

de nostalgie. Elle plongea ses yeux tristes dans ceux d'<strong>Alexa</strong>. Cette vision ne l'avait pas<br />

entièrement satisfaite. Elle s'attendait peut-être à l'annonce d'un amour parfait (Note de<br />

l'auteur : cela n'existe pas... Les amours ne sont que ce que l'on en fait... à deux ! Sauf si on<br />

prend un spécimen capable de créer la magie du bonheur à lui tout seul : comme moi, par<br />

exemple !). Ou alors, Marie était à nouveau plongée dans les méandres des tumultes qui<br />

avaient failli l'emporter par le passé.<br />

- Tu es déçue, Marie ?<br />

- Non... Enfin... Je ne sais pas...<br />

- A quoi penses-tu ? Tu espérais le prince charmant arrivant à cheval sur la navette Hermès et<br />

t'enlevant pour t'emmener au jardin d'Eden ?<br />

- <strong>Alexa</strong> ! Tu me fais rire ! J'imagine la scène... Tu crois qu'on peut retrouver quelqu'un au<br />

jardin d'Eden, au paradis ?<br />

- Eh ! Ne te mets pas en tête d'aller au paradis pour trouver l'amour ! Tu le trouveras sur<br />

terre. A quoi pensais-tu ?<br />

- A lui. Celui que tu connaissais.<br />

5


- Il n'est pas au paradis (Note de l'auteur : je désapprouve l'affirmation d'<strong>Alexa</strong>. Vivre auprès<br />

de miss <strong>Sarbacane</strong>, si ce n'est pas le paradis, cela y ressemble fort !). Il est près de moi.<br />

- Je croyais qu'il n'était plus ton guide ?<br />

- Il a pris la place de mon ange gardien. Nous parvenons à communiquer à travers les mots<br />

choisis au hasard dans mes livres. Je l'ai su lorsque j'ai pris place à bord de la navette. Il m'a<br />

aidée à retrouver la trace du gourou.<br />

- Par quel moyen ?<br />

- Ma montre sonnait de plus en plus rapidement lorsque je me rapprochais du gourou sur la<br />

carte d'état-major. Je n'entends plus sa voix comme auparavant mais le savoir près de moi,<br />

savoir qu'il est mon ange gardien me sécurise. Je me sens capable de tout oser, de risquer ma<br />

vie s'il le faut car il veille sur moi.<br />

- Il communique avec ta montre ? C'est amusant ! Tu devrais en acheter une, dotée d'une<br />

mémoire.<br />

- Une mémoire ?<br />

- Oui ! Certains modèles permettent d'inscrire des messages en toutes lettres et de les faire<br />

défiler par une simple pression. Ou alors, tu prends un de ces petits appareils de type Tatoo<br />

ou Alphapage qui reçoivent du texte en clair. Tu peux lui poser des questions ?<br />

- Oui.<br />

- Demande-lui s'il pourrait communiquer à travers ce genre de machine !<br />

<strong>Alexa</strong> n'en était plus à une expérience curieuse dans le domaine. Si sa réponse était positive,<br />

elle pourrait alors collaborer avec lui de façon plus efficace. Elle pourrait lui demander des<br />

conseils... Elle... Non... Il n'aurait pas réponse à tout. Elle devrait effectuer ses propres choix<br />

en dernier ressort. De toutes les façons, elle le connaissait parfaitement. Si répondre à une<br />

question l'ennuyait, il la gratifierait d'une formule sibylline qu'elle devrait décortiquer au<br />

couteau durant des heures. Une blague de quinzième degré ou un silence éloquent. Par le<br />

passé, il avait joué au jeu des devinettes masquées dans ses phrases. Il aimait jouer avec les<br />

mots et ne s'en priverait pas dans le futur.<br />

Elle prit le temps de vider son corps et son esprit de toute influence extérieure et posa la<br />

question rituelle avec une pointe d'espièglerie :<br />

- Allô ? Mon ange gardien ? Tu es là ?<br />

Marie pouffa de rire.<br />

- Tu t'adresses toujours à lui de cette façon ?<br />

- Oui.<br />

- Il n'a pas un prénom ?<br />

- Si mais mon auteur refuse de le dévoiler avant la centième aventure.<br />

- Ah ! Je vois ! Encore une forte tête, celui-là !<br />

- Exactement ! Alors, mon ange ? Tu dors ou tu ouvres tes oreilles ?<br />

Procédant comme l'usage l'exigeait, elle ouvrit son roman favori (Note de l'auteur : voir plus<br />

haut pour connaître l'auteur) et lut au hasard :<br />

6


" Toujours prêt !"<br />

- Génial ! Il répond ! Tu crois que je peux interroger le mien ? Fit Marie.<br />

- On va lui demander ! Il connaît peut-être ton ange ?<br />

"Surtout pas ! C'est un grincheux !" Répondit-il à travers les mots d'une autre page.<br />

- Zut ! Je me disais que je n'aurais pas autant de chance que toi, <strong>Alexa</strong>.<br />

- C'est vrai que j'en ai énormément. Bon ! Je lui pose la question : dis-moi, ange gardien,<br />

pourrais-tu communiquer avec moi par le biais d'une montre perfectionnée, d'un ordinateur<br />

ou d'un pageur électronique.<br />

La réponse fut sans équivoque.<br />

"Je veux, mon neveu !"<br />

<strong>Alexa</strong> et Marie laissèrent éclater leur joie. Un ange gardien moderne, cool, câblé sur la<br />

technique ! Ils ne s'en laissaient pas compter au paradis ! Ils suivaient les progrès de la<br />

technologie, surfaient probablement sur Internet et il avait sûrement informatisé la gestion<br />

des nouveaux arrivants, des affectations d'anges gardiens (il avait bidouillé le programme<br />

pour s'attribuer une place de choix !), du recyclage d'âmes et des promotions internes. A n'en<br />

point douter, il avait introduit les nouveaux moyens de communication afin d'améliorer la<br />

connexion entre le monde des vivants et le monde de l'au-delà.<br />

<strong>Alexa</strong> songea immédiatement à son fournisseur de gadgets préféré sur la place de Paris : Ali<br />

Gator, un égyptien fantasque, un véritable globe-trotter sillonnant le monde entier (c'est à<br />

dire le Japon et les Etats-Unis) afin de dégoter le meilleur matériel lié au monde des<br />

enquêteurs et autres espions.<br />

- Tu crois que je peux lui poser une question, <strong>Alexa</strong> ?<br />

- Que veux-tu lui demander ? Interrogea la détective en soupçonnant la nature de la<br />

question.<br />

- Se souvient-il de moi ?<br />

- Te souviens-tu de Marie ?<br />

Elle ouvrit un autre chef-d'oeuvre de la littérature, un essai traitant de l'interaction entre la<br />

raréfaction des jupons et la baisse de la libido masculine dans le monde du vingt et unième<br />

siècle. Cet ouvrage constituerait bientôt sa nouvelle bible car elle ambitionnait de sauver à elle<br />

seule la décrépitude sentimentale des relations humaines. L'ange gardien se manifesta de<br />

façon troublante.<br />

"La mésange à tête orange siffla un air joyeux et entraînant puis s'envola pour ne<br />

plus jamais se poser sur la branche. Amours éphémères du printemps, charmes<br />

lancés dans le vent, espoirs déçus de ne pas être un amant."<br />

7


Marie plongea la tête dans son drap de plage, masquant son visage avec ses bras croisés.<br />

<strong>Alexa</strong> posa sa main droite sur l'épaule de la jeune femme en signe de réconfort. Non<br />

seulement il se souvenait d'elle mais il regrettait amèrement qu'une histoire ne soit pas née le<br />

jour de la rencontre. Simplement à cause de non-dit, à cause d'un manque de communication.<br />

Un manque de communication ! Pauvre Marie ! Elle ne pensait certainement pas que sa<br />

spécialité ne lui aurait pas permis de faire le premier pas vers cet homme qui l'avait émue.<br />

Elle martela le sable à de nombreuses reprises en se jurant qu'on ne l'y reprendrait plus. Elle<br />

serait aussi directe que possible à chaque fois que cela serait nécessaire dans sa vie, même si<br />

sa franchise l'exposait à de douloureux retours de bâton.<br />

8<br />

*<br />

* *<br />

Yann avait pris l'avion dès le jour suivant l'atterrissage d'Hermès. Il avait hâte de rejoindre<br />

Juliette, désormais future maman. Les honneurs, le cirage de pompe avec les officiels, il s'en<br />

moquait éperdument (Note de l'auteur : j'ai failli dire "Il n'en avait rien à cirer" mais avec<br />

cette phrase ajoutée au "cirage de pompe", vous auriez eu l'impression que j'étais dans le<br />

cirage et en mal d'expressions pompeuses !).<br />

Pourtant, le Président de la République en personne s'était déplacé avec une cohorte de<br />

personnages tous plus importants les uns que les autres. Ministres, ambassadeurs, secrétaires<br />

d'état, sous-secrétaires d'état, microscopiques fonctionnaires d'état, la cour entière de l'Elysée<br />

et du Palais Bourbon avait accompli les quelques milliers de kilomètres séparant la Guyane de<br />

la métropole. Une aubaine pour le commerce local profitant des miettes tombées dans le<br />

sillage de ces consommateurs de budgets étatiques.<br />

<strong>Alexa</strong> s'était longuement préparée pour cette soirée de gala présidée comme il se devait par le<br />

Président (Note de l'auteur : le Président préside ! Je donne dans l'original ! Tiens : je vais dire<br />

qu'<strong>Alexa</strong> provoque et qu'<strong>Eric</strong> <strong>Vincent</strong> vend des millions de livres ! Uniquement des<br />

pléonasmes !). Elle avait tenu à sa légendaire coutume vestimentaire colorée et à un<br />

maquillage à la hauteur de l'événement. Une robe fourreau jaune canari et un sac à main<br />

pourpre du plus bel effet, le tout rehaussé par un soupçon de rose aux pieds, aux ongles et<br />

sur les lèvres : cela suffirait à attirer l'attention sur elle afin qu'on la reconnaisse à coup sûr<br />

(Note de l'auteur : comme si passer à la télévision devant un milliard de téléspectateurs n'avait<br />

pas suffi ! J'adore l'assurance de cette fille !).<br />

Ne manquant jamais une occasion de se distinguer et de partager ses connaissances illimitées<br />

en matière d'apparence et d'allure avec autrui, elle avait convaincu Marie d'adopter des coloris<br />

que la jeune femme pensait ne jamais afficher étant donné sa crinière rousse. La détective<br />

l'avait persuadée d'accorder une jupe orange avec un débardeur turquoise et l'avait quasiment<br />

contrainte à faire l'acquisition de chaussures à talons d'un vert salade très croquant...<br />

Les deux pin-up se firent attendre longuement avant de montrer le bout de leur nez (fort<br />

charmant, au demeurant) à la fiesta où se pressaient environ quatre mille personnes, soit<br />

l'intégralité du personnel de l'Agence Spatiale, les officiels locaux, les journalistes ne<br />

manquant pas une occasion de se rincer le gosier et de se gaver de petits fours pour faire un<br />

papier sur l'événement majeur de l'histoire de l'espace européen.


Leur remarquable arrivée déclencha une salve d'applaudissements, un mitraillage en règle des<br />

flashs et une bordée de sifflements masculins admiratifs : la rançon de la gloire. Elles<br />

s'approchèrent autant que possible du podium qui avait été monté près de la piste<br />

d'atterrissage d'Hermès. La navette trônait derrière, créant un fond technologique tranchant<br />

avec l'épais rideau vert de la forêt environnante. Le soleil rasait l'horizon et ses rayons se<br />

dispersaient peu à peu à travers les branchages des plus hautes cimes. Dans une demi-heure,<br />

le crépuscule viendrait avec son cortège de cris d'animaux nocturnes, ses ombres inquiétantes<br />

et la douceur rafraîchissante de l'air tiède. La nuit promettait d'être courte et longue à la fois.<br />

<strong>Alexa</strong> comptait bien s'éclater, donner libre cours à son imagination délurée et danser jusqu'à<br />

plus soif. Elle trouverait bien un cavalier à la hauteur pour l'accompagner. Henri Paillant<br />

l'avait assez surprise durant la semaine passée en orbite. Il était doté d'un tempérament<br />

joyeux, taquin et avait valsé avec elle en apesanteur pour amuser le reste de l'équipage.<br />

Le Président de la République fit son apparition avec son état-major au grand complet,<br />

accompagné d'une douzaine d'ambassadeurs, de militaires hauts gradés et d'industriels de<br />

renom. En bref, il provoqua un attroupement tel qu'il aurait presque pu passer inaperçu s'il<br />

n'avait pas mesuré près de deux mètres.<br />

Le silence se fit peu à peu tandis que le plus important personnage de l'état s'éclaircissait la<br />

voix avant d'entamer son discours.<br />

<strong>Alexa</strong> sentit des picotements dans les yeux. Elle ne portait pas de verres de contact et aucune<br />

bestiole ailée ou rampante n'avait entrepris une séance d'escalade sur son visage de poupon<br />

rose. Elle passa délicatement la main au-dessus de son nez en prenant la précaution de ne pas<br />

tartiner la couche de maquillage soulignant l'éclat de ses iris (Note de l'auteur : était-ce<br />

vraiment indispensable ?). Elle ignorait la provenance de ces démangeaisons. Elle avait eu<br />

son compte d'heures de sommeil la veille et s'était même payée le luxe d'une petite sieste dans<br />

un hamac après le déjeuner. Les allergies ne trouvaient pas un terrain de prolifération en elle,<br />

à part l'allergie profonde aux détracteurs d'<strong>Eric</strong> <strong>Vincent</strong> et une aversion profonde pour les<br />

couleurs ternes. En désespoir de cause, elle baissa ses paupières afin de calmer l'irritation. Un<br />

flash précis occupa son esprit durant deux ou trois secondes. Un dessin. Une peinture sur<br />

soie représentant un Bouddha indonésien, moins empâté que les représentations<br />

thaïlandaises. Il était peint sur un fond de montagne et cerné par la mer. La richesse des<br />

couleurs était prodigieuse. Du jaune, de l'orange, du vert, du bleu, cette réalisation incorporait<br />

toute la palette de l'arc-en-ciel. Sa taille était parfaitement délimitée : longue et étroite. Une<br />

cravate ! Amusant... Pourquoi <strong>Alexa</strong> voyait-elle des cravates partout ?<br />

L'attention qu'elle prêtait au monologue du Président s'évanouit peu à peu. Elle vagabonda<br />

dans l'assistance médusée par les propos prometteurs d'un avenir spatial riche. Non loin des<br />

officiels, elle crut reconnaître un visage. Incroyable ! L'homme du flash était devant elle.<br />

Timide, l'air emprunté, presque effacé derrière les hommes politiques de premier plan. Il<br />

portait une oreille attentive, signe d'un professionnalisme exigeant. Il semblait extrêmement<br />

jeune, pas plus de vingt-cinq ans. Dans son costume sombre, il n'émergeait pas du lot de<br />

costumés. A son cou pendait bien la preuve de son originalité, la magnifique cravate issue<br />

d'un voyage lointain ou acquise chez un importateur bien achalandé. Il bénéficiait d'une<br />

chaise, à l'instar de tous les officiels. Il occupait probablement un poste de secrétaire, de<br />

9


directeur de campagne ou de membre dirigeant d'une section de son parti politique. Lorsqu'il<br />

croisa ses jambes, miss <strong>Sarbacane</strong> distingua parfaitement la paire de chaussettes à l'effigie de<br />

Batman. Un fan de bandes dessinées... Ou un fan des chaussettes peu discrètes ! Une qualité<br />

précieuse aux yeux de la détective. Elle aurait bien placé deux doigts dans sa bouche pour<br />

émettre un sifflement strident et attirer l'attention de Marie mais son côté sage prit le pas sur<br />

son côté déjanté pour quelques instants. Elle repartit en direction de Marie avec la ferme<br />

intention de la traîner de gré ou de force afin qu'elle découvre la preuve de ses visions.<br />

- Marie !<br />

- Qu'y a-t-il ?<br />

- Suis-moi !<br />

- Pourquoi ?<br />

- Je vais te présenter un inconnu !<br />

- Quoi ? Tu vas me présenter un homme que tu ne connais pas ? ! Tu es tombée sur la tête ?<br />

- Je suis un peu folle sur les bords et c'est pour cette raison que j'ai autant de fans !<br />

- Je vois... Où se trouve-t-il ?<br />

- Là ! C'est lui !<br />

- Mignon... Comment vas-tu faire ?<br />

- Regarde la méthode et prends des notes.<br />

<strong>Alexa</strong> stoppa un serveur passant non loin de là, les bras chargés d'un plateau de coupes de<br />

champagne. Elle en prit trois. Elle tendit un verre à Marie et lui dit :<br />

- Tu fais exactement comme moi ! D'accord ?<br />

- D'accord !<br />

<strong>Alexa</strong> vida la quantité de champagne d'un trait et Marie fit de même. Ensuite, miss <strong>Sarbacane</strong><br />

lâcha son verre qui se fracassa en mille morceaux. Devant l'étonnement de Marie, elle la<br />

poussa un peu du coude pour l'aider à accomplir le geste. Une bonne centaine de regards<br />

convergèrent en même temps vers elles. Dont celui du jeune homme. <strong>Alexa</strong> ne rougit même<br />

pas alors que sa complice frisait la couleur d'une tomate bien mûre. Elle fixa l'homme droit<br />

dans les yeux et de ses doigts gracieux et fins, elle lui fit signe d'approcher. Il regarda derrière<br />

lui, doutant que le signe s'adressât à lui. Elle lui confirma d'un sourire qu'il était concerné. Il<br />

consentit à se lever pour faire connaissance avec les deux charmantes naïades.<br />

- Bonjour mademoiselle <strong>Sarbacane</strong> !<br />

- Bonjour monsieur l'inconnu !<br />

- Je me présente : Romain Latin. Je m'occupe de la communication d'Olivier de Provence, le<br />

secrétaire d'état aux nouvelles technologies.<br />

- Enchantée ! Apparemment, vous connaissez mon visage et sûrement mes exploits. Mais pas<br />

ceux de ma camarade Marie Curry, la responsable de la communication de l'Agence Spatiale<br />

Européenne.<br />

- Je suis ravi de faire votre connaissance, Marie !<br />

10


Elle lui tendit la main et il l'effleura des lèvres en se fendant d'un baisemain des plus élégants.<br />

Elle rougit jusqu'aux oreilles d'autant plus qu'<strong>Alexa</strong> la gratifia d'un clin d'oeil complice<br />

signifiant qu'il était accroc aux charmes épicés de Marie (Note de l'auteur : je sais ! Les<br />

charmes épicés de Marie Curry, je l'ai déjà fait dans l'<strong>épisode</strong> précédent mais je fais ce que je<br />

veux et je ne résiste pas au plaisir d'en remettre une couche ! J'aurais pu dire que Marie Curry<br />

était contaminée par l'amour, qu'elle irradiait de bonheur et que son futur mari s'appelait<br />

Pierre. Mais je ne souhaite pas abuser !).<br />

- Marie, savez-vous que mademoiselle <strong>Sarbacane</strong> va être honorée à la fin du discours ?<br />

- Non... Tu savais, <strong>Alexa</strong> ?<br />

- Je l'ignorais. Quel genre d'honneur ?<br />

- L'ordre national du mérite.<br />

- Seigneur ! Pour quelle raison obtiendrai-je une telle distinction ?<br />

- Pour vos exploits spatiaux. L'ensemble de l'équipage obtiendra la légion d'honneur ainsi que<br />

la personne responsable de votre venue sur les lieux pour enquêter.<br />

- Qui est-ce ?<br />

- J'ignorais son visage jusqu'à présent. C'est vous, Marie, qui avez eu l'idée !<br />

- Moi ? Je ne pourrai jamais monter sur le podium devant cette foule.<br />

- Mais si ! Il faudra bien. On ne refuse pas une décoration remise par le Président de la<br />

République. La seule qui en serait capable se trouve à vos côtés. Le caractère dominateur et<br />

inflexible de mademoiselle <strong>Sarbacane</strong> a fait le tour du monde...<br />

- Je suis flattée par le compliment, répondit l'intéressée.<br />

<strong>Alexa</strong> l'observa en détail. Il se rapprochait de Marie, captivée par sa flamboyante personnalité.<br />

Il tenait ses mains croisées derrière son dos. Il frottait nerveusement ses phalanges les unes<br />

contre les autres.<br />

"Il est fébrile. Il aimerait prendre la main de Marie dans la sienne et ne plus la quitter. Je le<br />

sens en lui et je le vois à son comportement. Il est subjugué mais il n'ose pas franchir le pas.<br />

Encore un de ces satanés timides qui ratent les plus merveilleuses femmes, c'est à dire nous !<br />

Il faudrait que je trouve un truc pour les réunir rapidement, ces deux tourtereaux..."<br />

Elle se plaça sur le côté gauche de Marie et lui murmura au creux de l'oreille :<br />

- Ton cavalier se tient très près de toi, Marie.<br />

- Je sais. Je suis terrorisée.<br />

- Pourquoi ? Il ne te plaît pas ?<br />

- Si... J'ai peur de ne pas être à la hauteur. J'ai peur de faire le premier pas. Tu crois qu'il va<br />

mal l'interpréter ?<br />

- Non. Il le prendra bien. Il est trop timide pour accomplir le premier geste mais il en meurt<br />

d'envie.<br />

- Comment le sais-tu ?<br />

- Je le sais, c'est tout.<br />

- Je n'y arriverai pas. Quel prétexte puis-je saisir ?<br />

11


- Aucun. Attends ! Tu vas voir !<br />

- Que fais-tu ?<br />

Marie n'eut pas le temps de placer la moindre remarque. Elle fut contrainte de se soumettre<br />

au plan machiavélique de miss <strong>Sarbacane</strong>. Cette dernière attrapa la main de Romain sans la<br />

moindre gêne et lui lança :<br />

- Moi, je n'ai pas le trac ! Mais ma copine, vous devriez la rassurer ! Vous êtes habitué à ce<br />

genre de cérémonie ! Regardez comme elle tremble !<br />

Le plus naturellement du monde, elle prit la main de Marie et la plaça dans celle de Romain<br />

afin qu'il vérifie que cette dernière tremblait effectivement. Il dut se rendre à l'évidence : elle<br />

tremblait comme une feuille ! Pas à cause de la remise de la décoration mais parce que cette<br />

situation provoquait un torrent d'émotions soudaines dans son corps. Comprimé dans la<br />

poitrine, son coeur battait la mesure. Il suppliait son propriétaire de recouvrer son calme.<br />

Cela n'en prit pas le chemin puisque Romain déclama :<br />

- C'est vrai que vous tremblez ! Vous frissonnez ! Vous avez froid ?<br />

"Réponds oui !" Hurla <strong>Alexa</strong> mentalement. "Même si ce n'est pas vrai !"<br />

- Non, répondit Marie. Mais votre présence chaleureuse me rassure...<br />

"Joliment dit, Marie" Commenta miss <strong>Sarbacane</strong>. "Je compte les points. Tu mènes 1 à 0."<br />

- Vous avez envie d'être... réconfortée ? Demanda le jeune loup aux dents longues.<br />

- Votre main tenant la mienne, c'est bien plus qu'un simple réconfort...<br />

- Que cela vous inspire-t-il ?<br />

- De ne plus la lâcher...<br />

- Il faudra faire une seule exception : pour votre montée sur les marches jusqu'au podium. Je<br />

ne pourrai pas vous accompagner.<br />

- Mais ensuite... Même si ma frayeur est passée après la décoration, vous aurez encore... envie<br />

de me... garder près de vous ?<br />

- Envie... Oui... Malheureusement, ma journée de travail ne sera pas achevée pour autant... La<br />

politique exige une présence et une disponibilité accrues. Ah ! La cérémonie de remise des<br />

récompenses va débuter. Cela va être à vous et miss <strong>Sarbacane</strong> de briller sous les feux de la<br />

rampe.<br />

- Vous aussi, un jour, vous brillerez sous les feux de la célébrité.<br />

En entendant son nom énoncé dans les haut-parleurs, Marie se détacha de Romain. Mais elle<br />

ajouta avant de s'éloigner :<br />

- Si vous avez envie de me revoir, rendez-vous à la porte du hangar à minuit, quoi qu'il<br />

arrive !<br />

12


Il fut sonné comme un boxeur. Un rendez-vous galant... et proposé par une jeune femme<br />

quasiment inconnue. Décidément, le vingt et unième siècle serait le siècle des surprises. <strong>Alexa</strong><br />

passa près de lui à son tour et lui lança :<br />

- Ma copine Marie, elle apprend vite ! Il faut dire que son professeur particulier est sacrément<br />

doué dans le domaine de la provocation !<br />

Il les regarda s'éloigner. Il avait hâte d'apprendre avec Marie et ne raterait le rendez-vous sous<br />

aucun prétexte. Même s'il devait jeter sa carte de membre du parti aux orties pour tenir sa<br />

promesse.<br />

*<br />

* *<br />

L'heure du retour avait sonné. La présence de la meilleure enquêtrice extralucide du monde<br />

n'était plus justifiée (Note de l'auteur : j'ai déposé un brevet pour vingt ans et j'ai cassé le<br />

moule à fabriquer une <strong>Alexa</strong> <strong>Sarbacane</strong> pour être certain qu'on ne la copiera pas ! Je veux<br />

demeurer l'unique détenteur du droit de clonage, la reproduction d'<strong>Alexa</strong> impliquant des<br />

restructurations industrielles non négligeables : réouverture des usines mexicaines de<br />

montage de la Coccinelle cabriolet rouge ancienne version, multiplication des magasins de<br />

location de déguisement, extension du domaine agricole encourageant la culture des fruits<br />

nécessaires à la confection de marmelades et confitures, ouvertures de cliniques afin de<br />

soigner les hommes tombés amoureux fous d'<strong>Alexa</strong> <strong>Sarbacane</strong>, boum dans les produits de<br />

coiffure fixants pour envoyer des myriades de mèches blondes vers les sommets crâniens,<br />

etc...).<br />

Elle songea à la cérémonie en bouclant ses valises. Le Président de la République avait<br />

réclamé la présence d'<strong>Alexa</strong> dans l'avion présidentiel. La veille, il avait souhaité la rencontrer<br />

en particulier. Il lui avait adressé ses plus vives félicitations pour la réussite de son enquête.<br />

Sans trahir véritablement le secret professionnel, à sa demande, elle lui avait livré quelques<br />

récits de son cru. Le Président, ce n'était un secret pour personne, était particulièrement<br />

intrigué et intéressé par les phénomènes paranormaux. Centralien de formation, il n'incarnait<br />

pourtant pas le scientifique borné et fermé tel qu'on en rencontrait certains spécimens dans<br />

des émissions télévisées. Au contraire, il adoptait un comportement résolument tourné vers la<br />

recherche de la vérité, la curiosité, l'intérêt, la confrontation, l'expérimentation. Une attitude<br />

qui aurait dû être l'éthique admise par la communauté scientifique.<br />

Tandis que le cocktail battait son plein, que l'orchestre jouait de la musique "fond sonore de<br />

série américaine" du type "La croisière s'amuse" (Note de l'auteur : je n'ai rien contre cette<br />

série mis à part qu'elle se déroule sur un bateau ! Malgré l'imagination débordante des<br />

scénaristes, pour moi, un bateau, c'est synonyme de nausées et de petits poissons amicaux se<br />

pressant autour de mon déjeuner retourné à l'océan !), le Président avait tenu à mieux<br />

connaître davantage celle dont on remarquait moins la distinction honorifique que la couleur<br />

de ses vêtements. Tentant vainement de décramponner ses gorilles musclés, il avait fendu la<br />

foule de fans gobeurs de mouches (Note de l'auteur : parce qu'ils avaient la bouche bée<br />

13


d'admiration devant miss <strong>Sarbacane</strong> et que les mouches, profitant de ces ouvertures<br />

inespérées, s'engouffraient joyeusement dans un tunnel non éclairé, ignorant qu'elles seraient<br />

précipitées dans la seconde suivante dans un bain d'acide gastrique !). Une fois parvenu à<br />

s'agglutiner avec le commun des contribuables (Note de l'auteur : j'emploie le terme<br />

"contribuable" au lieu de "mortel" car lorsque je reçois ma feuille d'imposition, c'est mortel !),<br />

le Président la pria de rejoindre la cohorte d'officiels. Ce qu'elle accepta de bonne grâce, son<br />

caractère dominateur ayant été momentanément émoussé par son séjour dans l'espace.<br />

L'entourage de qualité composé d'ambassadeurs (Note de l'auteur : pas l'apéritif mais la<br />

fonction !), de ministres non corrompus (espèce en voie de disparition), de secrétaires d'état<br />

productifs et efficaces (Note de l'auteur : je rappelle à mes lecteurs que je suis avant tout un<br />

auteur de science-fiction), d'élus au tour de tête n'excédant pas le soixante (Ah ! La sciencefiction...),<br />

cette étonnante assemblée de personnages hauts en couleurs et longs en bras<br />

n'impressionna guère miss <strong>Sarbacane</strong>. Pour une simple et unique raison s'appliquant<br />

quasiment à tout individu normalement constitué : tout ce beau monde avait quelque chose à<br />

cacher et rien n'échappait à l'oeil de Siamois d'<strong>Alexa</strong> (Note de l'auteur : je sais ! On dit "Oeil<br />

de lynx" mais le lynx n'a pas les yeux bleus, d'après mes informations !). Une réflexion<br />

désobligeante de la part d'une personne lui vaudrait une réplique sans bavure et propre à<br />

déclencher un mini Watergate.<br />

Le grand gaillard de l'état se pencha vers elle et lui avoua :<br />

- Vous devriez conseiller ma femme sur ses toilettes.<br />

- Pour quelle raison ?<br />

- Elle ne sait pas s'habiller. C'est une catastrophe ! Nous sommes la risée des magazines de<br />

presse. Vous, au moins, vous avez votre style ! Vous avez même rallié une nouvelle adepte !<br />

Commenta-t-il en voyant passer Marie Curry non loin de Romain Latin.<br />

- Mon style est inimitable, monsieur le Président ! Bon ! Si nous en venions au fait ! Vous<br />

avez une question précise à me poser, n'est-ce pas ?<br />

- On ne peut rien vous cacher... C'est délicat... Vous ne devinez pas ?<br />

- Oh si ! Comme tous les élus, vous souhaitez savoir si vous serez réélu aux prochaines<br />

élections présidentielles, non ?<br />

- Bien sûr !<br />

- C'est naturel ! Fit-elle en fermant les yeux quelques secondes.<br />

Les images défilèrent au pas de charge, comme les chars d'assaut Leclerc sur les Champs<br />

Elysées un 14 juillet, par peur qu'ils ne tombent en panne. <strong>Alexa</strong> n'aimait pas trop se prêter à<br />

ce genre d'exercice. Elle préférait, de loin, appliquer ses dons aux seules recherches<br />

qu'impliquaient ses enquêtes. Voir l'avenir d'une personne nécessitait un tact obligatoire au<br />

moment de délivrer le message au consultant. Malgré la liste interminable de qualités dont<br />

était pétrie la jeune femme (Note de l'auteur : je n'ai pas ajouté grand-chose au modèle<br />

original...), le tact n'appartenait pas à son encyclopédie du savoir-vivre. Toutefois, elle<br />

s'appliqua à doser ses effets :<br />

- Votre nom sera celui du futur Président.<br />

14


- Mon nom, miss <strong>Sarbacane</strong> ?<br />

- Oui, votre nom... Mais vous n'occuperez pas ce poste... C'est Madeleine, votre femme, élue<br />

du Var, qui accédera à la fonction suprême.<br />

- Ma femme ?<br />

- Oui. Et... vous savez... pourquoi elle se présentera à votre place, sur votre conseil et avec<br />

votre soutien le plus complet... N'est-ce pas ?<br />

- Dites-le-moi !<br />

- Vous voulez entendre de ma bouche en coeur une mauvaise nouvelle ?<br />

- Dans votre bouche en coeur piquée d'une mouche aussi célèbre que la ceinture de bananes<br />

de Joséphine Baker, toute nouvelle sera adoucie...<br />

- Je sais, vous savez, votre médecin sait et le monde entier ignore que vous êtes malade et que<br />

vous ne vous représenterez pas à l'élection présidentielle. Je sais que vous soutiendrez la<br />

candidature de Madeleine et que vous ferez preuve d'une abnégation et d'un courage<br />

admirable en battant campagne pour elle jusqu'à la victoire, malgré la douleur. Je ne peux pas<br />

vous donner de faux espoirs quant à l'issue de la maladie sournoise et longue, selon<br />

l'expression consacrée, mais je peux vous affirmer que vous aurez la joie de verser votre<br />

larme de bonheur un dimanche soir en apprenant que tous vos efforts auront payé.<br />

Le plus haut personnage de l'état détourna la tête pour essuyer une larme glissant sur les<br />

profonds sillons que le temps avait creusés sous ses yeux. Le caractère fantasque de la jeune<br />

femme était célèbre dans de nombreuses contrées mais combien ignoraient qu'elle était<br />

sensible à ce point. Il la remercia d'un large sourire et lui promit de ne pas oublier ses paroles.<br />

Il la laissa retourner à la fête.<br />

Au moment où <strong>Alexa</strong> ferma son ultime valise (la quinzième ou la vingtième, elle ne les avait<br />

pas énumérées), elle ressentit des picotements dans la nuque. Il avait envie de communiquer.<br />

Elle prit un livre au hasard dans la bibliothèque en pin mise à sa disposition. Lorsqu'elle eut<br />

pris connaissance de son message, elle ne comprit pas immédiatement où il souhaitait en<br />

venir.<br />

"Déguisement"<br />

Que voulait-il dire ? Qu'un déguisement était-il resté dans un placard ? Elle refit le tour<br />

complet de sa chambre mais ne découvrit nul vêtement oublié. Malgré le manque flagrant de<br />

place dans ses appartements, elle n'avait pas poussé le bouchon trop loin en squattant les<br />

espaces de rangement de la chambre dévolus à son cher Yann. Donc, aucun risque qu'elle ait<br />

égaré une tenue. Marie avait restitué les quelques accessoires prêtés par la détective pour la<br />

cérémonie de la veille. Il fallait qu'il éclaircisse ses nébuleuses pensées.<br />

- Dis-moi ! Pourrais-tu préciser ta pensée ? Parce que je ne sais pas si ce sont les Pina Colada<br />

ou le manque de sommeil mais ce matin, j'ai besoin d'allumettes pour tenir mes paupières en<br />

position ouverte et d'explications pour ma malheureuse cervelle en marmelade.<br />

" Danger" lut-elle au détour d'une page prise au hasard.<br />

15


- Un danger ? Je suis en danger ? Il faut que je me déguise pour me mettre à l'abri du danger ?<br />

"Absolument" répondit-il de manière catégorique.<br />

D'ordinaire, miss <strong>Sarbacane</strong> aurait chipoté, discuté, pinaillé, critiqué ; bref, elle aurait usé de<br />

sa réputation de dominatrice. Là, elle défit la malle magique dévolue aux tenues de travail et<br />

au grimage sans perdre une seule seconde. Elle cogita brièvement pour se rendre<br />

méconnaissable et eut une brillante idée.<br />

16<br />

*<br />

* *<br />

L'ensemble du personnel navigant se tenait prêt à accueillir les officiels dans ce vol spécial à<br />

bord d'un Jumbo Jet, le Boeing 747. Près de quatre cent cinquante figures emblématiques de<br />

la cinquième république avaient pris place à bord. Même si la beauté des hôtesses de l'air<br />

n'était plus ce qu'elle était dans de nombreuses compagnies aériennes (du fait de la<br />

multiplication des vols, tout simplement), la légende perdurait au sein de cet équipage. Ces<br />

grandes blondes avaient de l'allure et un port royal. La plus minuscule d'entre elles, une<br />

délicieuse eurasienne à la peau mate et aux yeux verts, les cheveux noirs, brillants, ramassés<br />

en un subtil assemblage sous sa coiffe, ne dépareillait pas du reste de l'équipe. La charmante<br />

demoiselle compensait ses débuts peu assurés par une gentillesse désarmante et des sourires<br />

prévenants. Miss <strong>Sarbacane</strong>, méconnaissable, s'en tirait avec les honneurs pour sa première<br />

traversée transatlantique en tant qu'hôtesse de l'air.<br />

Elle plaçait les passagers à l'instar de ses supposées collègues. Elle mena Romain Latin à sa<br />

place sans qu'il ne la reconnaisse. Il avait l'air nettement moins frais qu'à son arrivée et il<br />

aurait menti en prétendant qu'il s'agissait d'un effet à retardement du décalage horaire. Que<br />

nenni ! Il s'agissait plutôt des conséquences dévastatrices d'une folle nuit passée au coeur<br />

d'une tornade rousse.<br />

Ses adieux avec Marie furent longs et chaleureux. Le jeune homme n'avait pas regretté son<br />

déplacement en Guyane. <strong>Alexa</strong> n'avait pas le moindre remords d'avoir foulé le sol de<br />

l'Amazonie. C'était les yeux remplis d'émotion qu'elle avait quitté l'équipage d'Hermès, la<br />

larme à l'oeil qu'elle avait serré Marie dans ses bras une dernière fois. Elle la reverrait bientôt.<br />

Elle le savait. Marie avait été subjuguée par Romain et ne tarderait pas à le rejoindre en<br />

métropole. Nul besoin de voyance pour deviner que les deux spécialistes de la<br />

communication étaient tombés follement amoureux. Le futur député avait intérêt à assurer<br />

avec mademoiselle Curry car elle avait le don de pimenter la relation.<br />

Une fois l'ensemble des passagers assis à leurs places, une invitation sonore et visuelle les pria<br />

instamment de se sangler correctement (Note de l'auteur : les gros porteurs ont beau paraître<br />

très stables, le geste a beau paraître inutile, je peux vous assurer qu'un énorme trou d'air vous<br />

décolle de votre siège en moins de deux secondes et qu'il s'agit véritablement d'une mesure<br />

indispensable). <strong>Alexa</strong> se prêta au jeu de la démonstration des gilets de sauvetage.<br />

Evidemment, vu leurs couleurs bariolées, elle s'extasia devant ces accessoires de secours dont


elle aurait aimé prélever un échantillon à bord. Elle ne fit que semblant de tirer sur les cordes<br />

de déclenchement, sans quoi, elle eut risqué de s'envoler dans les airs en flottant comme une<br />

plume.<br />

A la simple évocation du mot "flotter", elle songea à nouveau à sa fantastique semaine passée<br />

à bord d'Hermès. Elle comprenait à présent pourquoi tous les futurs spationautes rêvaient<br />

d'embarquer à bord de la navette spatiale. Ce rêve absolu l'avait transportée auprès des<br />

étoiles...<br />

Le Boeing s'aligna en bout de piste. Miss <strong>Sarbacane</strong> ainsi que ses collègues rejoignirent les<br />

places dévolues aux membres de l'équipage. Elle attendit bien sagement que l'appareil s'élance<br />

et prenne de l'altitude.<br />

*<br />

* *<br />

La pénombre avait été réalisée afin de projeter le dernier chef-d'oeuvre de Luc Besson sur<br />

l'écran (Note de l'auteur : un chef-d'oeuvre de Besson, c'est un pléonasme. Je suis un<br />

inconditionnel de ce cinéaste à ne pas confondre avec Bresson, Robert de son prénom, qui<br />

est le seul réalisateur à avoir réussi à me faire quitter une salle de cinéma avec la nausée, les<br />

regrets d'avoir déboursé vingt balles alors que je suis bon public d'ordinaire !). En pleine<br />

séance de cinéma, six hommes s'étaient brusquement levés et avaient abattu les gardes du<br />

corps du Président d'une balle en pleine tête. A présent, ils cernaient le Président en le<br />

menaçant de leurs armes.<br />

La panique s'empara des passagers mais leurs vociférations eurent tôt fait de taire les cris. Ils<br />

ne paraissaient pas être menés par un chef.<br />

<strong>Alexa</strong> avait assisté à la prise d'otage en avouant son impuissance. Rien ne l'avait averti du<br />

danger. Pas le moindre flash. La voyance n'opérait que lorsqu'elle la sollicitait précisément.<br />

Elle comprit que l'opération avait été minutieusement préparée lorsqu'elle vit des hommes<br />

armés descendre de l'étage supérieur du Jumbo. Là-haut, la paralysie était également de mise.<br />

Un homme, un grand roux aux yeux noirs et agressifs, doté d'une cicatrice parcourant tout<br />

son avant-bras gauche, la tenait en joue ainsi que ses camarades d'infortune. Les jeunes<br />

femmes tremblaient comme des feuilles et les stewards n'en menaient pas large non plus.<br />

<strong>Alexa</strong>, toujours aussi méconnaissable, ne comprit pas la signification de l'avertissement<br />

envoyé par son cher ange gardien. Pourquoi avait-il tenu absolument à ce qu'elle se déguise ?<br />

Elle ne connaissait pas le moindre terroriste agissant à visage découvert. Même pas le dernier<br />

arrivé en piste, leur chef, un petit homme aux cheveux courts, aux yeux noirs perçants, le<br />

visage ravagé par des centaines de minuscules trous, conséquences d'une varicelle carabinée<br />

lors de son enfance. Il s'adressa aux passagers très calmement :<br />

- Je suis Adrian O'Neal, membre de l'IRA. Notre mouvement n'a pas apprécié vos récentes<br />

déclarations, monsieur le Président. Absolument pas apprécié. Votre soutien à la politique<br />

anglaise de pacification de l'Ulster par la force va vous valoir un sérieux désagrément. Votre<br />

déplorable service de sécurité a été réduit à néant et vous ne sera plus d'aucun secours. Nous<br />

avons installé une bombe à bord de cet appareil. Suffisamment bien cachée et suffisamment<br />

17


complexe pour qu'aucun de vos hommes ne soit capable de la trouver et de la désamorcer.<br />

Elle est prévue pour exploser au moment où nous survolerons la France, la région parisienne,<br />

si tout va bien. Ne croyez pas que nous ferons partie du voyage. Nous avons prévu des<br />

parachutes ainsi que de l'oxygène afin d'effectuer une sortie honorable. Nous allons prendre<br />

le temps de ficeler l'intégralité des passagers ainsi que les membres de l'équipage. Ensuite,<br />

nous vous quitterons et laisserons l'avion continuer sa route en mode automatique jusqu'au<br />

lieu de crash. Bien entendu, nous avons éliminé les deux pilotes afin de nous assurer qu'il n'y<br />

aura aucune échappatoire. Notre opération a été préparée de longue date, monsieur le<br />

Président. Comme vous pouvez le constater, certains de mes hommes faisaient partie de<br />

votre entourage depuis pas mal de temps. Une infiltration nécessaire pour faire passer l'envie<br />

à la France de poursuivre son soutien à l'intolérance britannique. Le seul os, je dois dire, était<br />

la présence de cette détective renommée à bord de l'appareil. Par chance, elle n'est pas là. Sa<br />

venue aurait pu contrecarrer nos plans. Elle aurait pu sentir le danger, nous repérer et nous<br />

dénoncer. La chance fait partie du jeu. Paul, John, Sean, occupez-vous de les empaqueter<br />

comme prévu !<br />

<strong>Alexa</strong>, toujours en joue (Note de l'auteur : quelles joues ! On lui ferait la bise par<br />

gourmandise !), nota qu'ils étaient véritablement organisés comme des terroristes<br />

professionnels. Leurs dos accusaient tous de sérieux renflements, les preuves de la présence<br />

de parachute. Leurs armes, quant à elles, étaient entièrement démontables. Les pièces<br />

détachées, fabriquées en fibre de verre et autres alliages non résonnants sous les portiques de<br />

détection, en faisaient des fantômes très efficaces. Par contre, les balles demeuraient un secret<br />

de fabrication absolu. Quelle matière avait été employée pour les réaliser sans possibilité de<br />

détection ?<br />

Leur plan minuté se déroulait sans accroc. Pour chaque passager, le même traitement était<br />

appliqué. D'abord, deux tours de rouleau d'adhésif armé autour de la bouche pour bâillonner.<br />

Ensuite, des menottes en plastique pareilles à des colliers utilisés en plomberie enserraient les<br />

mains derrière le dos et les pieds. Bien entendu, l'opération s'achevait par un attachement au<br />

siège afin d'éliminer tout déplacement. Ils étaient rodés. L'opération ne prenait pas plus de<br />

quarante secondes par passager.<br />

<strong>Alexa</strong> eut droit au même traitement. Elle eut une frayeur lorsque son ennemi la bâillonna :<br />

elle craignit qu'il arrache la perruque en l'entourant avec l'adhésif et qu'il ne découvre la<br />

supercherie. Voilà donc la raison pour laquelle il l'avait priée de se déguiser. Elle ne les<br />

connaissait pas mais cet Adrian O'Neal n'ignorait pas qu'elle aurait pu faire capoter<br />

l'opération.<br />

Des terroristes de l'IRA, l'armée révolutionnaire irlandaise. Elle était à cent lieues d'imaginer<br />

que son imbécile d'auteur lui ferait un coup pareil à dix mille mètres d'altitude. Avait-il<br />

l'intention de l'envoyer rejoindre fantômes et autres esprits tortueux pour lui éviter d'avoir à<br />

affronter les mauvaises blagues de son auteur favori, une invitation à dîner dans<br />

l'appartement kitsch de Yann Delaunay ou les affres éprouvantes de la demande en mariage<br />

de Stéphane. Allait-elle mourir en s'envoyant en l'air dans le ciel azur de la planète bleue après<br />

s'être envoyée en l'air dans l'espace intersidéral ? (Note de l'auteur : je sais, je cède parfois à la<br />

facilité ! Mais je ne pouvais pas m'empêcher de la faire, celle-là ! Désolé !) Décidément, cet<br />

auteur lui en faisait voir de toutes les couleurs ! En plus, elle aimait cela, en voir de toutes les<br />

18


couleurs. Surtout lorsqu'il s'ingéniait à lui faire porter du turquoise et de l'orange, du vert et<br />

du rouge, du jaune et du violet. Uniquement des couleurs allant parfaitement ensemble.<br />

Lorsque la détective fut réduite au silence (Note de l'auteur : c'est honteux de maltraiter<br />

<strong>Alexa</strong> à ce point lorsqu'on connaît l'impact et le réconfort que ses paroles sagement déjantées<br />

peuvent procurer !), immobilisée comme l'ensemble des passagers, elle se demanda comment<br />

les pirates de l'air allaient quitter l'appareil sans provoquer une brusque dépression, arrachant<br />

les sièges, faisant voler tous les objets non fixés et plongeant le Jumbo droit vers l'océan.<br />

Ils se rendirent tous à l'arrière de l'appareil, vers la soute à bagages. Ils l'emprunteraient<br />

assurément pour quitter le navire avant qu'il ne coule (Note de l'auteur : je sais encore que je<br />

vais faire l'objet de remarques désobligeantes, de quolibets ! Nous ne sommes pas à bord<br />

d'un navire sur l'océan en train de sombrer. Toutefois, n'ayant point trouvé d'expression<br />

similaire à appliquer à propos d'un avion, je m'arroge le droit, au mépris des principes de<br />

l'Académie Française, d'utiliser les expressions comme il me plaît (Moi, je suis plutôt de<br />

l'académie des neuf...). Voilà ! Fin du commentaire sur la libre expression des auteurs<br />

d'héroïnes fantastiques.).<br />

Juste avant de quitter les passagers, les hommes de main jetèrent des grenades fumigènes. La<br />

fumée s'échappant de ces engins pouvait laisser augurer qu'il s'agissait d'un gaz lacrymogène<br />

destiné à couvrir leur fuite et à semer un peu plus la panique à bord (Note de l'auteur :<br />

comme si le fait d'être à bord d'un Boeing sans pilote, avec une bombe planquée et tous les<br />

passagers ficelés comme des rôtis ne suffisait pas...). <strong>Alexa</strong> se sentit défaillir. Le gaz s'avéra<br />

être un puissant soporifique (Note de l'auteur : comme mes déclarations d'amour ou<br />

d'impôts, je ne sais plus !).<br />

*<br />

* *<br />

Combien de minutes ou d'heures avaient pu s'écouler ? <strong>Alexa</strong> l'ignorait totalement en<br />

reprenant conscience. Ses compagnons d'infortune s'agitaient peu à peu sur leurs sièges au<br />

fur et à mesure que les effets des fumigènes s'estompaient. La détective se dit qu'il était<br />

urgent d'agir. Elle devait impérativement se débarrasser de sa ceinture (Note de l'auteur : ne<br />

croyez surtout pas qu'elle va se livrer à un strip-tease car si vous voyez <strong>Alexa</strong> un jour en<br />

bandes dessinées, vous constaterez que je mentionne la sangle de sécurité et non le ceinturon<br />

ceignant sa taille de guêpe et lui servant d'habitude à fouetter les vilains machos lui<br />

désobéissant !). Elle eut brusquement une idée de génie (Note de l'auteur : vous en doutiez ?<br />

Je vous rappelle que je suis son auteur...). Puisqu'elle avait les poignets ligotés dans le dos et<br />

que la boucle de ceinture se situait devant, il lui suffisait de se déhancher suffisamment (et<br />

elle était entraînée à ce jeu-là depuis qu'elle avait zouké comme une diablesse en Guyane)<br />

pour retourner la situation.<br />

Elle mit donc la manoeuvre à exécution. Elle se vrilla sur elle-même et parvint à se retourner<br />

aux trois quarts. Elle agrippa la boucle de ceinture et la débloqua. Ainsi, elle put se mettre sur<br />

ses jambes. En sautillant, elle parvint jusqu'au siège de Romain Latin, non loin de là. Tant pis<br />

si la scène le choquait ! Marie n'était pas présente pour assister à une attitude qui eut pu<br />

passer pour scabreuse en d'autres temps. La détective s'assit sur les genoux du responsable de<br />

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la communication et farfouilla à l'aveuglette en direction de son bas-ventre et sa braguette<br />

afin de mettre la main (Note de l'auteur : non ! Autocensure !) sur la boucle. Elle le libéra au<br />

bout de quelques secondes de vaines recherches.<br />

Le plus dur restait à accomplir. <strong>Alexa</strong> disposait toujours de gadgets sur elle au cas où des<br />

méchants auraient souhaité lui faire du mal ou la retenir prisonnière. Fort heureusement, elle<br />

n'était pas dans le premier cas de figure sans quoi elle aurait copieusement assaisonné son<br />

créateur de différents noms d'oiseaux. Par contre, la terrible réalité rencontrait bien la<br />

seconde hypothèse. Or, son cher Ali Gator, fournisseur de gadgets en tous genres, l'avait<br />

gratifiée, entre autres, d'une ceinture dont la boucle renfermait une lame à cran d'arrêt<br />

jaillissant sur une simple pression de la rose ornementale et dorée située au centre de<br />

l'accessoire vestimentaire. Le plus dur, donc, consistait à faire comprendre à Romain Latin<br />

qu'il devait se tourner et appuyer sur la rose. Comment lui faire comprendre ? Elle gesticula<br />

et mit son ventre en avant (Note de l'auteur : ce qui constitue une impossibilité<br />

physiologique, <strong>Alexa</strong> <strong>Sarbacane</strong> étant totalement dépourvue de surcharge graisseuse alors que<br />

moi, si j'avais eu à jouer son rôle, j'aurais réussi sans mal !). Il baissa les yeux au centre<br />

désigné et tira une tronche signifiant indubitablement qu'il n'avait rien compris au message.<br />

Il était inutile d'en faire davantage. <strong>Alexa</strong> se rua sur le côté dur d'un siège passager ce qui<br />

déclencha l'éjection de la précieuse lame. La lumière revint immédiatement dans les yeux du<br />

futur politicien. Il se tourna aussitôt pour présenter ses mains et la jeune femme toujours<br />

déguisée en Tonkinoise dut se plier à des mouvements d'arrière en avant et de bas en haut<br />

pour trancher les liens du prisonnier. La décence m'interdit de décrire la scène car elle atteint<br />

un degré d'érotisme torride bien involontaire et totalement déplacé dans la situation<br />

d'urgence dans laquelle se trouve notre héroïne. Il va de soi que toute reproduction<br />

graphique, photographique ou cinématographique de la libération devra être soumise à<br />

l'entière approbation de l'auteur.<br />

Tout à coup, les mains de Romain se libérèrent car il exerçait en même temps une forte<br />

pression sur les liens de plastique. Ainsi, il put arracher son bâillon et récupérer la précieuse<br />

et magique boucle pour achever le travail. Il trancha dans le vif en remerciant l'hôtesse de l'air<br />

par quelques coups de lame judicieusement placés. Lorsqu'il la vit retirer sa perruque, ses<br />

lentilles et tout le reste (du déguisement, bien entendu !), il fut ébahi de reconnaître la plus<br />

célèbre détective de l'univers (Note de l'auteur : que le premier dans la salle qui dit que<br />

j'exagère me prouve le contraire !) et accessoirement l'amie de sa tendre Marie.<br />

- Mademoiselle <strong>Sarbacane</strong> ? !<br />

- Eh oui ! Surpris ?<br />

- Je pensais que vous étiez restée en Guyane... Pourtant, on m'avait assuré que le Président<br />

réclamait votre présence à bord. Comment se fait-il que vous soyez vêtue comme une<br />

hôtesse de l'air ?<br />

- Une petite voix m'a dit de me déguiser avant d'embarquer.<br />

- Ces terroristes vous auraient abattue, assurément.<br />

- Il ne faut pas perdre de temps, Romain. Libérez les passagers, je file à l'avant de l'appareil.<br />

20


En véritable boy-scout, le politicien trancha les colliers de plastique aussi vite qu'il le put.<br />

<strong>Alexa</strong> jeta un coup d'oeil à sa montre. Ils avaient sombré dans l'inconscience une dizaine<br />

d'heures ! Dans moins de trois heures, ils survoleraient Paris et ses environs. A cet instant,<br />

leurs morceaux s'éparpilleraient au-dessus de la capitale comme autant de confettis un jour de<br />

carnaval. Il n'y avait donc pas une minute à perdre. Trouver et désamorcer la bombe était la<br />

priorité absolue. Comment la trouver ? Comment la désamorcer ? Des artificiers. Il lui<br />

faudrait en contacter et obtenir la garantie d'avoir affaire au meilleur d'entre eux. La moindre<br />

fausse manipulation l'enverrait, elle et quatre cents passagers, rejoindre l'au-delà. Bien qu'elle<br />

adore son ange gardien, elle n'était pas pressée d'aller lui donner l'accolade !<br />

- Romain ! Cria-t-elle.<br />

- Quoi ?<br />

- Trouvez-moi un téléphone satellitaire ! Répondit-elle. J'ai un mauvais pressentiment.<br />

Sa crainte s'avéra fondée. Résoudre le problème de la bombe demeurait incontestablement<br />

épineux. Mais en plus, elle découvrit les facteurs aggravants en entrant dans la cabine de<br />

pilotage. Les deux pilotes et le mécanicien de bord avaient été lâchement refroidis d'une balle<br />

en pleine tête. Elle avait beau avoir une petite accoutumance aux visions cadavériques des<br />

morgues où son cher Yann Delaunay l'avait traînée parfois pour faire parler les morts (Note<br />

de l'auteur : <strong>Alexa</strong> est si persuasive et adorable qu'elle y parviendrait sans difficulté !), le<br />

carnage dont elle était l'involontaire témoin lui souleva le coeur. Elle détourna les yeux<br />

quelques secondes pour se calmer les nerfs avant d'oser regarder le tableau de bord. Elle<br />

cherchait la radio. Elle la trouva. Elle était en miettes. Voilà qui n'arrangeait pas ses affaires et<br />

coupait l'appareil du monde extérieur. Ces pourris avaient parfaitement manigancé leur coup.<br />

Tout à coup, elle vit une chose qu'elle ne pourrait plus jamais oublier de sa vie. Sur le côté<br />

gauche du Boeing, un autre appareil l'accompagnait. Pas un Boeing ou un Airbus, ni même<br />

un Tupolev russe. Ce drôle d'engin avait la forme d'une toupie et brillait de mille feux.<br />

- Qu'est-ce que c'est que cette... chose ? S'exclama-t-elle à haute voix.<br />

La toupie volait à la même vitesse que le long courrier. Il était impossible de distinguer un<br />

hublot, un cockpit et encore moins de pilote. Brusquement, l'engin les dépassa pour se porter<br />

à l'avant, très près du nez du 747. La manoeuvre avait été exécutée à la vitesse de l'éclair,<br />

comme s'il s'était dématérialisé et rematérialisé en un autre point. Le plus hallucinant n'était<br />

pas la vitesse à laquelle il volait mais celle à laquelle il était capable de changer de<br />

positionnement. Elle nota qu'aucun appareil n'était capable d'un pareil prodige et qu'aucun<br />

être vivant n'aurait pu encaisser une accélération voisine, à vue d'oeil, d'une cinquantaine de<br />

G ! Même une mouche n'y aurait pas survécu et aurait achevé sa vie collée contre une paroi, à<br />

l'état liquide !<br />

Aussi curieusement qu'elle était apparue, la forme s'éloigna à une vitesse fulgurante. En<br />

moins de deux secondes, elle ne fut plus qu'un minuscule point lumineux au-delà de<br />

l'horizon.<br />

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<strong>Alexa</strong> était complètement abasourdie par cette apparition digne de la vierge Marie (pas Curry<br />

mais l'autre, celle qui était apparue à... à lui). Elle en oubliait pratiquement la situation<br />

d'extrême danger dans laquelle elle était personnellement plongée et accessoirement les autres<br />

passagers (Note de l'auteur : tout le monde s'accordera à penser que <strong>Alexa</strong> est plus<br />

importante, en grandeur d'âme, à défaut de grandeur en taille, que le commun des futurs<br />

mortels ayant pris place à bord.).<br />

Elle rebroussa chemin en refermant la porte de la cabine. Le Président de la République lui fit<br />

face.<br />

- Mademoiselle <strong>Sarbacane</strong> ! Vous étiez déguisée ?<br />

- Oui.<br />

- Romain m'a dit que vous aviez eu une vision.<br />

- Malheureusement, ce n'était pas une vision mais un avertissement. On me demandait de<br />

changer mon aspect vestimentaire. J'ai pensé qu'on m'en voudrait. Pas au reste des passagers.<br />

Je n'ai plus pensé à l'importance que vous revêtiez...<br />

- Que pouvons-nous faire ? Les pilotes sont morts ?<br />

- Ils sont décédés. La radio est détruite.<br />

- Nous jouons de malchance ! Heureusement, nous détenons un téléphone satellitaire avec<br />

une batterie chargée pour deux heures de communication.<br />

- En économisant, cela suffira. Il faut commencer par contacter votre état-major en leur<br />

demandant de prévoir des moyens navals de récupération, le meilleur artificier du monde et<br />

un instructeur pilote de 747 hors pair !<br />

- Pourquoi un bateau ?<br />

- Parce que si je ne trouve pas la bombe, il nous faudra amerrir avant l'échéance finale. De<br />

gré ou de force, il faudra plonger vers l'océan avant l'heure fatidique. Pour ne pas ajouter des<br />

morts au-dessus de Paris, pour sauver notre peau aussi.<br />

- Je comprends. Nous allons nous en occuper. Mademoiselle, nous allons dégager une partie<br />

de l'appareil afin que vous soyez au calme.<br />

- Pour me concentrer ? J'espère que cela fonctionnera ! Je ne tiens pas à ce que mes pouvoirs<br />

me fassent faux bond aujourd'hui.<br />

- Je sais que je vais vous mettre une terrible pression sur les épaules mais nous comptons<br />

tous sur vous...<br />

- Je sais.<br />

Elle s'isola dans le carré des stewards jouxtant la cabine de pilotage. Avant toute tentative de<br />

voyance, de projection sur le futur ou le passé, elle tenta de se remémorer l'intégralité de<br />

l'action des commandos terroristes. Pourquoi avaient-ils pris la peine d'embarquer et de<br />

débarquer en plein vol, prenant des risques insensés (un saut à dix mille mètres d'altitude<br />

représentant un exploit sportif hors du commun) ? Pourquoi n'avaient-ils pas placé un bagage<br />

anodin sur le tapis ou glissé leur objet maléfique dans un sac pris au hasard ? Parce que les<br />

bagages passaient à la détection avant d'entrer dans la soute à bagages. Ils auraient pu<br />

s'assurer la complicité d'un mécanicien soutenant leur cause. Il aurait risqué de parler. Non...<br />

L'explication était plus simple, forcément. Ils avaient pris place à bord pour fabriquer leur<br />

bombe. Directement, comme leurs armes. Ils avaient introduit les différents éléments de la<br />

22


ombe, les avaient assemblés et l'avait entreposée dans la carlingue. La soute à bagages étaitelle<br />

hors de cause ? Comment savoir ?<br />

Elle ferma les yeux mais ses pouvoirs ne lui donnèrent aucune indication. Cela aurait été trop<br />

simple. Elle imagina sans peine que son créateur, dans un élan de frustration et de vie peu<br />

aventureuse, se plaisait à lui faire endurer les pires turpitudes. Elle enragea.<br />

- Parle-moi ! Implora-t-elle en ouvrant un magazine au hasard. Dis-moi où se trouve cette<br />

damnée bombe que je lui montre que la plus sexy des bombes, c'est moi !<br />

"Je ne sais pas !"<br />

Sa réponse laconique la laissa sans voix. Elle ignorait la signification de ces mots. Il ne savait<br />

pas où se trouvait la bombe ou il ne savait pas si elle était la plus sexy des bombes ? Il<br />

n'ajouta pas le moindre commentaire à cette amorce faiblarde de dialogue en forçant les<br />

pages du magazine à se coller entre elles. Elle désespéra de rentrer un jour chez elle<br />

autrement que dans un sac en plastique.<br />

*<br />

* *<br />

Face à la panne si redoutée des pouvoirs d'<strong>Alexa</strong>, les passagers avaient été mis à contribution.<br />

<strong>Alexa</strong> les avait priés avec insistance de vérifier le contenu de leurs poubelles, sacs à main,<br />

sacoches, valises (y compris celles sous les yeux), compartiments de rangement. Dans le<br />

même temps, <strong>Alexa</strong> avait mis à contribution les stewards et les hôtesses afin de vérifier si la<br />

cabine de pilotage ne recelait pas un objet inhabituel. Ensuite, elle avait dû se résoudre à<br />

imaginer que la bombe avait été placée dans la soute à bagages. Le compartiment géant<br />

contenait au bas mot cinq ou six cents valises, sacs gigantesques et autres malles<br />

diplomatiques.<br />

Ses pouvoirs ne lui avaient indiqué qu'une seule chose, un seul mot : danger. Ils étaient en<br />

danger, un danger véritablement périlleux. La présence de la bombe était une certitude. Il<br />

restait à peine deux heures avant d'aller présenter ses hommages à Dieu, Jésus et ses apôtres.<br />

Dire que tout ce beau monde était soi-disant chargé de veiller sur les humains.<br />

La fouille de la soute prendrait des heures. Chacun devrait reconnaître le contenu précis de<br />

ses bagages (Note de l'auteur : vu ce que j'emmène à chaque fois en vacances, l'inventaire<br />

aurait pu durer des lustres). Elle courrait au-devant de la mort, à coup sûr.<br />

Elle sentit un changement dans son corps. Au début, elle était incapable de le décrire. Mais au<br />

bout de quelques minutes, elle s'aperçut bêtement qu'elle avait soif ! Elle ne s'était pas<br />

alimentée, ni abreuvée depuis trop longtemps et le soleil de Guyane avait entamé ses réserves<br />

en eau avant d'embarquer. Elle se dirigea alors vers l'office et ouvrit le réfrigérateur. Il y avait<br />

des Colas, des jus d'orange, de la limonade, des panachés, de la bière en boîte. Evidemment,<br />

elle eut préféré ingurgiter un bon jus de carottes infiniment plus générateur d'amabilité (dont<br />

elle ne manquait pas). Elle se rabattit sur une boîte de jus d'orange. Comme la contenance de<br />

ces boîtes n'excédait pas trente-trois centilitres, elle prit la liberté d'en prélever une seconde.<br />

C'est alors qu'un détail la choqua. Les deux canettes ne pesaient pas le même poids. Si la<br />

23


première faisait bien les trois cent cinquante grammes annoncés, la seconde pesait près du<br />

double. Elle soupesa l'ensemble des boîtes de jus d'orange. Toutes les autres équivalaient à la<br />

première. Seule celle-ci défiait les lois de la pesanteur et suscitait son intérêt. Elle approcha<br />

son oreille mais elle ne perçut pas le moindre tic-tac de vieux coucou de l'horlogerie suisse.<br />

Elle abaissa les paupières et eut la vision d'une machine infernale explosant et volatilisant leur<br />

avion. Malgré la frayeur engendrée par le choc de la scène, un détail l'intrigua.<br />

Le Président se porta à ses côtés, l'air sombre des soirs de défaite électorale, prêt à<br />

démissionner en assumant pleinement ses responsabilités. Il avait contacté son état-major qui<br />

ne donnait pas cher de leur peau à tous. Il désespérait d'apprendre enfin une bonne nouvelle<br />

et ce fut la raison d'aborder miss <strong>Sarbacane</strong> (Note de l'auteur : quand on connaît <strong>Alexa</strong>, on<br />

trouve mille raisons de vouloir l'aborder ! Mais elle a vite fait de vous saborder votre<br />

abordage si vous vous y prenez comme un malotru !).<br />

- La prochaine fois, dit-il, je mesurerai davantage mes paroles.<br />

- A quel propos ?<br />

- Avant de dénoncer les terroristes et de soutenir ceux qui les combattent.<br />

- Ne vous jetez pas la pierre. Vous avez agi en votre âme et conscience. Vous n'avez pas à<br />

rougir de vos actes, monsieur. Avez-vous vu comme moi ce que ces hommes ont réalisé ? La<br />

sauvagerie et la froideur employées pour tuer les membres de votre sécurité, des pères de<br />

famille pour la plupart. Ils ont éliminé les pilotes aussi froidement. Ces personnes valent<br />

d'être combattues. Ce que je ne comprends pas, c'est la raison pour laquelle elles ne vous ont<br />

pas éliminé.<br />

- Tout simplement pour torturer ma conscience jusqu'à l'ultime instant où cette satanée<br />

bombe explosera. Si seulement nous la trouvions !<br />

- Elle est là... Enfin, je crois ! Tenez ! Soupesez ces boîtes avec précaution.<br />

Le plus haut personnage de l'état accepta d'effectuer le test proposé par <strong>Alexa</strong>. A la mine<br />

effrayée qu'il afficha, elle comprit qu'ils étaient bien sur la même longueur d'onde. La<br />

deuxième canette affichait une surcharge pondérale totalement inexpliquée.<br />

- Nom de Dieu !<br />

- Je crois que Dieu a bien voulu nous aider aujourd'hui. On va reposer tout ceci dans le<br />

réfrigérateur et contacter les artificiers.<br />

- Pourquoi ne pas aller à la soute à bagages et jeter cette bombe dans l'océan ?<br />

- Pour deux raisons. La première, c'est que personne ne sait manoeuvrer l'ouverture de la<br />

soute sans faire prendre un risque à l'ensemble des passagers.<br />

- Et la seconde ?<br />

- Lorsque j'ai eu la vision de l'explosion, je tenais la boîte. Mais elle n'explosait pas. Je ne<br />

comprends pas pourquoi.<br />

- La bombe est ailleurs ?<br />

- Je le crois. Il faut les conseils d'un artificier, d'un expert, c'est l'unique solution.<br />

24


Ils décidèrent d'utiliser le téléphone pour la seconde fois. Il fallait économiser le temps de<br />

parole, économiser ces fichues batteries qui, années après années, ne tenaient toujours pas<br />

plus de deux heures en conversation. <strong>Alexa</strong> regretta sérieusement de ne pas avoir eu le droit<br />

d'emmener son propre matériel sur le site de Kourou. Elle aurait disposé d'atouts<br />

supplémentaires. Elle se sentait seule et responsable. Le Président s'en remettait totalement<br />

au flair, à l'intuition, à l'instinct et aux dons de ce petit bout de femme. Elle mesurait le poids<br />

de la pression sur ses épaules. Elle aurait tant aimé que Yann soit là pour l'épauler. Ou<br />

Stéphane. Tout à coup, elle mesura le vide laissé par son absence. Elle fut presque tentée de<br />

l'appeler quelques secondes pour lui dire combien elle l'aimait, combien elle attendait qu'il<br />

joue son rôle de pilier dans leur couple, qu'il la soutienne dans leurs épreuves, qu'il dynamise<br />

leurs relations, qu'il dynamite la tranquillité. En pensant "dynamite", elle revint aussitôt à la<br />

réalité. Elle était seule dans un avion en perdition.<br />

*<br />

* *<br />

<strong>Alexa</strong> avait eu mille fois raison de reposer bien sagement la boîte de jus d’orange dans le<br />

réfrigérateur. D'après les indications fournies par l'artificier Daniel Pétard, la boîte contenait<br />

un détonateur sophistiqué au sodium et au magnésium. <strong>Alexa</strong> n'avait absolument pas compris<br />

ses explications ; elle avait simplement retenu qu'il était impossible d'éloigner le détonateur de<br />

plus de cinq mètres sans quoi l'explosion aurait lieu. De plus, si la température ambiante de la<br />

boîte repassait au-dessus de dix degrés, la mise à feu aurait lieu. La déflagration proviendrait<br />

de l'arrière du réfrigérateur. Huit cents grammes de Semtex, le plus puissant des explosifs<br />

traditionnels, avaient été fixés sur le moteur de l'appareil électroménager. L'expert en explosif<br />

connaissait parfaitement ce type de machine infernale : elle était la signature de l'IRA et avait<br />

été employée dans une demi-douzaine d'attentats.<br />

- Si vous connaissez parfaitement ce produit, avait annoncé le Président, nous sommes tirés<br />

d'affaire !<br />

- Pas vraiment, lâcha Daniel.<br />

- Pourquoi ?<br />

- J'ai oublié de vous expliquer la façon dont nous avons réglé le problème à chaque<br />

intervention. Nous avons fait évacuer la zone de risque, placé une charge et laissé exploser le<br />

paquet piégé. Lorsque nous en avons eu l'occasion, une fois, nous avons relié le réfrigérateur<br />

à un petit groupe électrogène et nous avons déplacé le tout dans un lieu sûr et dégagé. Si vous<br />

comprenez notre façon d'agir, vous comprenez qu'elle ne peut s'appliquer dans votre<br />

situation. Huit cents grammes de Semtex, c'est quatre fois plus qu'il n'en faut pour réduire à<br />

néant le 747. Ce n'est pas la quantité d'explosif qui est importante, c'est le fait qu'à votre<br />

altitude, le moindre trou dans la carlingue va déchirer la coque en mille morceaux.<br />

- Si nous parvenions à voler à trois cents mètres d'altitude, par exemple, cela nous laisserait-il<br />

une chance de survie ?<br />

- Si la quantité d'explosif avait été faible, oui. Huit cents grammes ne vous laisseront pas cette<br />

chance. Le seul point positif dans votre cas est que la charge est placée à l'arrière de l'appareil.<br />

Dans le pire des cas, pour avoir une minuscule chance de vous en tirer avec des survivants,<br />

25


ce serait de vous concentrer à l'avant de l'appareil, de créer une barricade entre la bombe et<br />

vous à l'aide de tous les objets tombant sous votre main, de voler au ras de l'océan jusqu'à ce<br />

que l'engin explose. La queue se détacherait, vous plongeriez dans l'eau. Evidemment, dans<br />

ce cas de figure, vous allez couler en quelques minutes. Très peu d'entre vous vont survivre.<br />

- Pourquoi ne pas tenter de désamorcer la bombe ? Intervint miss <strong>Sarbacane</strong>. Le détonateur<br />

ne peut agir si elle est désamorcée.<br />

- C'est vrai, remarqua Daniel à juste titre. Avez-vous observé cette bombe ?<br />

- Oui.<br />

- Combien de fils voyez-vous ?<br />

- Des dizaines.<br />

- C'est là le problème ! Pour la désactiver, il faut couper un nombre inconnu de câbles et dans<br />

un ordre précis. Sinon, tout explose. C'est irréalisable. D'autant plus que je ne suis pas sur<br />

place.<br />

- Je veux tout de même tenter l'expérience !<br />

- C'est de la folie !<br />

- Peut-être pas, coupa le Président. Mademoiselle <strong>Sarbacane</strong> possède des dons<br />

extraordinaires. J'ai confiance en elle.<br />

L'artificier ne sut pas quoi répondre. Pour lui, l'alternative la moins désastreuse consistait à<br />

limiter le nombre de morts. Pas pour <strong>Alexa</strong>. Elle tenait à vivre de nombreuses autres<br />

aventures, impatiente de découvrir les rocambolesques enquêtes que son ami Yann lui<br />

confierait (Note de l'auteur : Yann ! C'est vite dit ! <strong>Alexa</strong> oublie une fois de plus que c'est<br />

moi, l'auteur, qui imagine les horreurs qu'elle doit subir avec son sourire en coeur légendaire,<br />

piqué d'une mouche gracieuse ! Rendons à <strong>Eric</strong> <strong>Vincent</strong> ce qui lui appartient !). Elle ne se<br />

contenterait pas d'une option dégâts minimum. Elle jouerait le quitte ou double.<br />

26<br />

*<br />

* *<br />

Miss <strong>Sarbacane</strong> s'était installée aux commandes du Boeing. Suivant les instructions d'un<br />

pilote chevronné d'Air France, elle avait débranché le pilote automatique, avait amené<br />

l'appareil à une altitude de mille pieds (Note de l'auteur : soit environ trois cent trente mètres<br />

en prenant un pied normal alors que cela fait beaucoup moins lorsque je prends mon pied<br />

(qui est plus grand)... Je prends mon pied à écrire des histoires de pied... Marrant, non ?<br />

Non ? Bon, j'essaierai de faire mieux la prochaine fois !). Une fois le pilote automatique remis<br />

en fonction, elle avait dû s'isoler pour se concentrer et mettre au point sa tactique. Elle devait<br />

le mettre à contribution dans sa périlleuse tentative de désamorçage.<br />

- Ecoute, mon ange gardien. Je te demande de m'aider. La vie des quelques centaines de<br />

personnes est en jeu. Tout repose sur mes fragiles épaules (Note de l'auteur : pas si fragiles<br />

que cela pour supporter mes blagues...). J'ai besoin de toi. J'aimerais que tu te manifestes de la<br />

même manière que lorsque nous traquions le gourou de Kourou (Voir l'<strong>épisode</strong> "le gourou<br />

de Kourou" dans lequel on trouve un gourou habitant pas très loin de Kourou !). Manifeste-


toi à travers l'alarme de ma montre. Lorsque je m'apprête à sectionner le bon fil, déclenche<br />

un bip long. Si je me trompe, ne te manifeste pas. Je t'en conjure, ne me laisse pas tomber.<br />

Elle lut sa réponse dans un magazine :<br />

"On forme une équipe."<br />

Elle se glissa jusqu'à l'arrière de l'appareil, là où le drame se jouerait si ses dons ou son ange<br />

gardien se mettaient à défaillir. Elle attendit patiemment que la barricade faite de sacs de<br />

voyage, sacs à main, sacs en croco, sacs à patates, sacs à puces (Note de l'auteur : je demande<br />

pardon à la S.P.A.) et mises à sac soit érigée et consolidée. Puis, elle fit le vide en elle et<br />

s'empara d'une paire de ciseaux à ongles. Elle eut une dernière pensée pour ses amis, Yann,<br />

Juliette, Marie, pour Stéphane, pour sa famille et pour lui, persuadée de le rejoindre dans l'audelà<br />

dans moins d'une minute. Elle se dit qu'elle était en train de commettre la bêtise la plus<br />

cinglée de son existence et qu'elle la regretterait amèrement dans peu de temps. Elle trembla<br />

comme une feuille et se mit à transpirer à grosses gouttes. Elle prit le paquet de fils avec mille<br />

précautions, ferma les yeux et commença à les séparer un à un, lentement, mesurant chaque<br />

geste. Elle devait "sentir" le danger. L'ennui, c'était qu'elle ne sentait que cela. Ces maudits<br />

câbles électriques lui fichaient une peur bleue. Elle tremblait. Le paquet diminuait lentement<br />

entre ses mains. Combien de fils faudrait-il trancher ? Combien de temps durerait ce<br />

supplice ?<br />

Tout à coup, elle se calma nettement. Sa montre se manifesta par un bip long.<br />

- Celui-ci ? Le jaune ? C'est le premier ?<br />

Nouveau bip long accompagné d'une quiétude anormale. Les mains moites, elle écarta le fil<br />

jaune du reste. Elle ouvrit les lames de la paire de ciseaux, les appuya contre la gaine plastifiée<br />

et inspira profondément. Puis, elle referma sa main d'un coup sec. Rien ne s'était passé. Cela<br />

ne signifiait nullement que la partie était gagnée. Elle sépara les deux éléments de façon à ce<br />

qu'aucun contact fortuit ne se produise.<br />

Ensuite, elle poursuivit la terrible épreuve de nerfs en reprenant l'ensemble des liens. Elle les<br />

avait comptés. Il y en avait soixante-quinze. Elle consulta sa montre, non pour voir s'il se<br />

manifestait mais pour constater qu'il ne restait plus qu'une heure avant l'arrivée à Roissy.<br />

Dans quelques minutes, ils survoleraient la France. Si l'explosion devait avoir lieu, elle devait<br />

se produire au-dessus de l'océan. Elle prit son courage à deux mains (Note de l'auteur : il<br />

fallait au moins deux mains car <strong>Alexa</strong> était très courageuse ! Moi, j'aurais tout laissé péter<br />

pour monter directement au ciel et admirer les vastes plaines du paradis où des fleurs<br />

multicolores poussent par milliards. J'invente carrément tout ! Je ne saurai jamais à quoi<br />

ressemble le paradis puisque j'irai rôtir en enfer pour avoir brisé des milliers de coeur en<br />

annonçant mon remariage !). Nouveaux tremblements accompagnés d'une peur panique et<br />

nouveau silence de son ange gardien. Elle pria le ciel de réussir, afin que la suite de ses<br />

aventures puisse s'accomplir jusqu'au millième <strong>épisode</strong>. Dans celui-ci, elle devra tremper ses<br />

cheveux blancs et raréfiés dans la barbe à papa pure pour espérer voir la célèbre mèche<br />

27


eprendre de l'altitude ! (Note de l'auteur : personne ne suit ce que je dis ! C'est quand même<br />

malheureux de voir qu'il n'y a pas un lecteur pour hurler "halte au mensonge !" Mille<br />

<strong>épisode</strong>s ! Je mets, en moyenne, un mois et demi pour écrire, en dilettante, une aventure<br />

d'<strong>Alexa</strong> <strong>Sarbacane</strong>. En admettant que j'y consacre tout mon temps libre, que ma compagne<br />

accepte que j'y consacre tout mon temps libre (ce n'est pas gagné !) et que je raccourcisse le<br />

délai à un mois, j'écrirais donc douze "<strong>Alexa</strong> <strong>Sarbacane</strong>" à l'année. Soit cent vingt en dix ans.<br />

Il me faudra environ quatre-vingts ans pour atteindre le millier d'exemplaires différents !<br />

Etant donné mes trente-quatre ans actuels, cela pousse le compteur à cent quatorze ans ! Il<br />

ne faut pas rêver ! Je ne tiendrai jamais la distance ! Donc, lecteur, lectrice, surveillez mes<br />

paroles ! Elles cachent parfois des inepties monstrueuses du genre : un ministre honnête, un<br />

patron de gauche, un impôt juste, une voiture pas chère, le génie militaire, quand l'essence<br />

sera rendue à cinq francs le litre, je ne roulerai plus, etc...).<br />

28<br />

*<br />

* *<br />

L'alarme de la montre réglementaire des spationautes s'était brusquement déclenchée, collant<br />

la trouille de sa vie à miss <strong>Sarbacane</strong> (Note de l'auteur : à part le jour où elle était sortie<br />

complètement ratée de chez le coiffeur ! Le dit coiffeur fut d'ailleurs tondu manu militari en<br />

place publique afin de laver cet affront fait à la plus grande détective que la Terre ait portée.).<br />

Il ne s'agissait pas d'une quelconque programmation quotidienne ou exceptionnelle mais de<br />

lui qui se manifestait. Elle ouvrit une revue pour en savoir plus.<br />

"Terminé !" lut-elle au hasard.<br />

L'opération de désamorçage prenait fin. Afin de s'en assurer définitivement, elle ouvrit la<br />

porte du réfrigérateur et retira la fausse canette de jus d’orange. Afin d'atteindre la<br />

température fatidique et limite plus rapidement, elle fit un geste qui donna soudain envie à<br />

tous ses fans de devenir une vulgaire boîte en fer blanc : elle plaça l'objet contre son ventre.<br />

Elle frissonna à plusieurs reprises mais le réchauffement espéré eut lieu (Ne doutons pas de<br />

la capacité d'embrasement de miss <strong>Sarbacane</strong>). Par contre, elle faisait preuve d'un sang-froid à<br />

toute épreuve, hérité de sa jeune expérience de spationaute. La bombe n'explosa pas. Elle<br />

avait réussi. Les terroristes, quel que soit l'endroit où ils se terraient, n'auraient pas la joie<br />

(pour eux, pas pour les fans d'<strong>Alexa</strong>) d'apprendre que l'avion s'était volatilisé sous les yeux<br />

des contrôleurs du ciel. Malheureusement, la situation, même si elle s'améliorait<br />

singulièrement, comportait encore quelques lacunes en matière de sécurité absolue. Leur<br />

appareil filait ventre à terre à huit cents kilomètres à l'heure droit sur la Bretagne.<br />

Lorsque miss <strong>Sarbacane</strong> eut réussi à se frayer un chemin dans le monceau de bagages amassés<br />

pour réaliser une barricade, elle s'empara d'un micro et annonça de manière sonore :<br />

- La bombe est hors d'usage !


Un tonnerre d'applaudissements déferla dans l'avion. Une salve de hourras lui fut aussitôt<br />

décernée. On la porta en triomphe jusqu'au trône du roi tout puissant où elle reçut des mains<br />

du saint-père en personne la canonisation, l'intronisation dans l'ordre des grands maîtres<br />

confituriers et eut enfin le droit de porter le jupon (Note de l'auteur : je tiens au jupon, tout le<br />

monde l'aura remarqué ! Je le placerai dans chacune de ses aventures jusqu'à temps qu'<strong>Alexa</strong><br />

cède à cette coutume ancestrale !).<br />

Calme, sereine, sûre d'elle, miss <strong>Sarbacane</strong> ne se départit pas pour annoncer la suite des<br />

réjouissances. Elle fut à peine consciente de briser très légèrement l'ambiance en déclarant<br />

tout de go :<br />

- Y a-t-il un pilote dans l'avion ? (Note de l'auteur : l'expression est tirée d'un film dont le titre<br />

est cette question. Il me semble bienvenu de réhabiliter ce concentré d'humour potache et de<br />

premier degré dans la situation présente.)<br />

Les passagers se dévisagèrent mutuellement afin de déceler dans le regard voisin une lueur<br />

optimiste et affirmative. Hélas ! Il fallut se rendre à l'évidence : même le ministre de la<br />

défense, un ancien militaire, ignorait tout des manettes d'une machine volante. La visite à<br />

l'étage supérieur du 747 donna un résultat aussi désastreux. Personne ne possédait les<br />

capacités à piloter un avion de ligne. Ce chargement de politiciens ambitieux, hommes d'état<br />

croulants, hommes d'affaires véreux et d'une femme fantastique n'avait pas la moindre notion<br />

de pilotage. C'est alors que le Président fit une remarque laissant présager quelle tournure<br />

prendraient les événements.<br />

- Mais vous, miss <strong>Sarbacane</strong>, vous avez suivi un entraînement à bord d'Hermès. Vous avez<br />

même entamé une manoeuvre avec la navette spatiale. Vous êtes familiarisée avec le tableau<br />

de bord compliqué de l'engin de l'espace le plus sophistiqué au monde. Un Boeing 747 ne<br />

vous posera certainement pas plus de difficultés !<br />

- Monsieur le Président, répondit l'intéressée, je n'ai pas voté pour vous aux dernières<br />

élections présidentielles et je viens de comprendre subitement pourquoi. Vous êtes fou à lier !<br />

Premièrement, je n'ai pas piloté la navette spatiale. J'ai surtout appris à reconnaître les<br />

boutons sur lesquels je ne devais pas appuyer ! J'ai eu trois semaines pour le faire ! Là, vous<br />

me demandez d'apprendre à piloter tout court un bahut de plusieurs centaines de tonnes en<br />

moins d'une heure chrono. Vous rendez-vous compte que vous gagnez des élections avec des<br />

discours de ce genre, en demandant et en promettant l'impossible ?<br />

- Je m'en rends compte, admit-il simplement. Mais vous nous avez tiré d'un mauvais pas<br />

jusqu'à maintenant et il n'y a pas une personne ici qui doute que vous ne soyez pas en mesure<br />

de renouveler votre fantastique exploit. Je suis désolé de vous le dire mais même un pilote<br />

amateur ferait des erreurs avec cet avion que vos dons surnaturels sauront éviter. De plus...<br />

- Oui ?<br />

- De plus... Personne ne doute que l'avion se soumettra à votre charme naturel. Il se pliera à<br />

vos quatre volontés.<br />

- Priez surtout le ciel pour qu'il ne se plie pas à l'atterrissage ! Ajouta-t-elle en se dirigeant vers<br />

le cockpit sous les encouragements de la foule en liesse comme si le peuple était heureux<br />

d'apprendre que l'empereur leur offrait les jeux du cirque ! Au détail près qu'<strong>Alexa</strong> avait<br />

29


nettement la sensation d'entrer dans l'arène et de servir d'appât aux lions (Note de l'auteur :<br />

encore une ineptie ! Non pas qu'<strong>Alexa</strong> ne soit pas appétissante mais sa taille et son anatomie<br />

personnelles n'en feraient qu'un amuse-bouche pour des grands fauves affamés ! Telle sainte<br />

Blandine, sainte <strong>Alexa</strong> serait épargnée !).<br />

La cabine de pilotage avait été débarrassée des corps des pilotes. Ces derniers reposaient avec<br />

les membres de l'équipe de sécurité présidentielle dans une partie de l'avion transformée pour<br />

l'occasion en chapelle ardente. Etant donné la mort brutale dont ils avaient été victimes,<br />

<strong>Alexa</strong> avait espéré un bref instant que leur esprit n'était pas encore parti, estimant qu'un<br />

travail demeurait inachevé sur terre (ou plutôt dans les airs, dans leur cas). En résumé, elle<br />

avait caressé le fol espoir qu'un fantôme soit présent parmi eux. Comme elle était en mesure<br />

de les voir et de communiquer avec eux, elle aurait été guidée. Hélas ! Les pilotes, le<br />

mécanicien et les as de la sécurité s'étaient rendus dans l'autre monde sans passer par la case<br />

prison et sans toucher vingt mille balles (Note de l'auteur : une seule avait suffi ! Je sais, ma<br />

blague est mauvaise ! Mais je pose tout et vous ferez le tri !).<br />

Elle s'installa sur le siège du commandant de bord. Les côtes de la Bretagne n'étaient plus si<br />

éloignées, à présent. Voler à une altitude de trois cents mètres devenait dangereux. Les plus<br />

hauts sommets bretons frisaient cette altitude : elle ne tenait pas à s’aplatir sur une grosse<br />

colline aussi près du but.<br />

Romain Latin vint s'asseoir à ses côtés, le téléphone en main.<br />

- J'ai pensé qu'il serait plus simple que je colle le combiné contre votre oreille pendant que<br />

vous exécuterez les manoeuvres. Deux mains valent mieux qu'une dans ce cas, je suppose ?<br />

- C'est une brillante idée, Romain ! Vous irez loin !<br />

- Vous avez eu des visions me concernant ?<br />

- Oui mais vous n'en saurez pas plus !<br />

- Dites-moi au moins si elles concernent aussi Marie ?<br />

- Oui...<br />

Son visage s'éclaira comme un lampadaire. Le doux prénom lui faisait de l'effet. La tornade<br />

rousse avait dû faire des ravages la veille. Il était pressé de la retrouver et de se faire incendier<br />

par son tempérament volcanique.<br />

<strong>Alexa</strong> désengagea le pilote automatique. Elle tira le volant vers elle, lentement, sans brusquer<br />

l'appareil. Dans le même temps, elle poussa la manette des gaz pour maintenir la vitesse en<br />

ascension. Lorsque l'altimètre approcha des deux mille pieds (soit environ sept cents mètres),<br />

elle repoussa le volant, ramena le régime des moteurs à la puissance nominale et stabilisa<br />

l'assiette. Enfin, elle réenclencha le pilote automatique. Elle ignorait totalement la procédure à<br />

suivre et l'altitude à conserver. Tout ce qu'elle savait, c'est que l'ordinateur de bord était<br />

programmé pour les amener droit sur l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle. Les terroristes<br />

n'avaient pas touché à sa programmation puisqu'ils souhaitaient voir l'avion se désintégrer audessus<br />

de la région parisienne.<br />

- Vous désirez les contacter dès maintenant ? Demanda Romain.<br />

30


- Allez-y ! Appelez-les ! Ils vont m'en apprendre un maximum sur le maniement de cet avion.<br />

Je vais tâcher de ne pas nous planter dans le décor. J'aime bien les décapotables mais je<br />

détesterais décoiffer ce pauvre Boeing qui ne demande qu'à atterrir.<br />

- J'ai ceci pour vous aider !<br />

Il exhiba un paquet de pense-bêtes autocollants multicolores.<br />

- Excellente idée, Romain ! Nous allons noter et repérer chacun des instruments essentiels<br />

pour poser ce bahut sur la piste. Avec une grande dose de chance, nous y arriverons. Vous<br />

avez la ligne ?<br />

- C'est bon ! Cela sonne !<br />

Il plaqua le combiné sur la délicate oreille d'<strong>Alexa</strong> (et non pas : il plaqua <strong>Alexa</strong> en la laissant<br />

dormir sur ses deux oreilles vêtue d'un délicat combiné). La jeune femme entendit les paroles<br />

rassurantes d'une voix connue.<br />

- Commandant Verse ! Quelle heureuse surprise ! Vous n'êtes pas à Kourou ?<br />

- Non ! J'ai pris un vol précédent pour rejoindre ma famille en métropole. Je suis un expatrié<br />

en Guyane. Mon épouse est fortement asthmatique et ne supporte pas l'humidité ambiante<br />

de ce territoire d'Amérique du sud. De plus, elle est totalement arachnophobe. A un point<br />

inimaginable. Vous connaissez le genre de spécimen rempli de pattes et de poils que l'on<br />

rencontre par là-bas. Alors, pour elle, il était impensable de déménager. Mais assez parlé de<br />

mes soucis ménagers ! J'ai échangé mes vacances contre une heure de formation à distance<br />

sur 747. Cela vous tente ?<br />

- Et comment ! J'ai besoin d'un cours accéléré !<br />

- Je suis l'homme qu'il vous faut. Je connais cet engin comme ma poche. J'ai travaillé quinze<br />

années au service d'Air France.<br />

Cette longue expérience sur ce type d'appareil rassura la détective en jupette (Note de<br />

l'auteur : une jupette d'hôtesse, pas une jupette de l'ancien ministre pour envoyer les vieilles<br />

voitures à la casse et laisser les conducteurs ivres déambuler sur les routes en toute<br />

impunité... Une jupette... Encore un effort, <strong>Alexa</strong>, et la tradition ancestrale viendra rétablir<br />

l'usage du jupon !). Le commandant Verse lui décrivit un à un les instruments qui lui seraient<br />

utiles. L'altimètre, bien entendu, mais aussi l'indicateur de poussée des moteurs, la manoeuvre<br />

du train d'atterrissage et sa commande de verrouillage. Il lui expliqua comment abaisser les<br />

volets, les vitesses à respecter, l'angle des virages et le G-mètre. Le long courrier était tout<br />

sauf un avion d'acrobatie. Pas question de faire un looping avec un vénérable aïeul de<br />

l'aéronautique, ni même un virage serré, encore moins une ascension ou une descente trop<br />

brutale. L'avion ne supportait pas plus d'un G et demi. Au-delà, on risquait purement et<br />

simplement de briser les ailes. Or, un avion sans aile, a à priori quelques difficultés à se<br />

mouvoir d'un point à l'autre. A fortiori si les dites ailes supportent les quatre réacteurs<br />

insufflant la poussée nécessaire à son avancée. Toute manoeuvre avec un Boeing<br />

s'apparentait à la chevauchée d'un dinosaure révolté par la platitude du scénario du deuxième<br />

31


<strong>épisode</strong> de "Jurassic Park" : cela n'avait rien d'une promenade de santé. Il détailla encore<br />

quelques instruments et posa finalement une question cruciale :<br />

- La radio est hors d'usage, nous le savons. Le cap est bloqué sur la bonne direction et<br />

verrouillé. En le déverrouillant, nous pourrons vérifier un point extrêmement important.<br />

- Lequel ?<br />

- Si l'ordinateur de bord peut accepter des ordres venus du sol.<br />

- A quoi cela servira-t-il ?<br />

- A vous faire atterrir en vous téléguidant en automatique.<br />

- Quoi ? Comment est-ce possible ?<br />

- Depuis plus de dix ans, déjà, nous sommes en mesure de poser un avion de ligne grâce à un<br />

système expert. Les ordinateurs des tours de contrôle sont capables de mettre les avions en<br />

file indienne, de leur indiquer les manoeuvres à réaliser et de leur faire accomplir sans<br />

l'intervention du pilote.<br />

- Pour les manoeuvres dans le ciel, je vois bien. Mais il faut bien actionner le levier du train<br />

d'atterrissage, réaliser quelques opérations à la main.<br />

- Non... Tout est prévu pour être automatisé. C'est faisable. C'est fait, en réalité,<br />

mademoiselle <strong>Sarbacane</strong>. La nuit, lorsque le ciel est moins chargé, les contrôleurs du ciel<br />

laissent parfois les machines ordonner aux machines sans que les pilotes ne puissent discuter<br />

les ordres de l'ordinateur. En fait, seule la puissance de calcul en temps réel de ces<br />

prodigieuses centrales à solutionner du casse-tête chinois demeure insuffisante pour prendre<br />

en charge le ciel parisien dans son intégralité, même aux heures de pointe. Sinon, il y a belle<br />

lurette qu'on aurait viré les contrôleurs du ciel, toujours en grève pour un oui, pour un non,<br />

et les pilotes de la compagnie nationale française, trop grassement rétribués, eux aussi<br />

toujours en grève à deux périodes de l'année : à Noël et aux vacances d'été, les mois sensibles<br />

en ce qui concerne le chiffre d'affaires des compagnies aériennes. Vous avez repéré le bouton<br />

qui débloque le cap imposé par l'ordinateur ?<br />

- Oui.<br />

- Allez-y !<br />

<strong>Alexa</strong> actionna l'interrupteur. Rien de spécial ne se passa. A plusieurs reprises, Alain Verse se<br />

renseigna sur le comportement de l'avion. A chaque question, il obtint une réponse unique de<br />

la part de la jeune femme : la trajectoire ne déviait pas d'un degré, ni même d'une minute du<br />

cap initialement prévu. Cette absence notoire de réaction chagrina sérieusement le<br />

commandant à l'autre bout du combiné. L'ordinateur se désengageait parfaitement mais avait<br />

été saboté afin de demeurer sourd aux injonctions de ses puissants frères de silicium. L'avenir<br />

s'annonçait sombre pour l'apprenti pilote et son non moins mal à l'aise copilote. Il plongea<br />

brusquement dans les ténèbres lorsque la batterie du téléphone lâcha subitement.<br />

32<br />

*<br />

* *


<strong>Alexa</strong> pria intérieurement le ciel d'avoir l'amabilité de ne pas la lâcher en ce jour de terreur.<br />

Elle s'adressa à son ange gardien à haute voix, suscitant l'intérêt et l'étonnement de Romain<br />

Latin.<br />

- Dis donc, mon ange... Tu ferais bien de rameuter tous tes confrères de là-haut ! On va avoir<br />

besoin de vos ailes pour poser ce 747. J'espère ne pas les perdre aux premiers virages !<br />

- Vous vous adressez toujours à votre ange gardien de cette façon ?<br />

- Oui. Pourquoi ?<br />

- Vous me parleriez comme cela, je ne vous répondrais pas.<br />

- C'est la raison pour laquelle vous ne pourriez pas prendre sa place. Il est unique.<br />

- Il va se manifester ?<br />

- Sûrement ! Bon ! Si je fais une bourde, mon ange, tu déclenches la sonnerie de ma montre,<br />

OK ? Une série de bips pour m'alerter. Surtout, ne te crois pas obligé de m'alarmer en<br />

permanence, je risquerais de perdre mon sang-froid ! Avec un bahut gavé de passagers, de<br />

bagages, dont ma malle personnelle, et rempli de kérosène, nous pourrions aboutir à un feu<br />

d'artifice du tonnerre ! A ce propos, comme nous arrivons bientôt au-dessus de l'aéroport,<br />

dois-je vider les réservoirs ?<br />

Une série de bips se fit entendre dans l'habitacle. L'oeil rigolard de Romain se mua en regard<br />

interloqué et dubitatif. L'ange avait répondu ! Pourrait-il en faire autant avec le sien ? Lui<br />

demander des nouvelles de sa délicieuse Marie Curry avec laquelle il avait vécu une nuit<br />

brûlante et infernale. Quelle rousse incendiaire ! Il en gardait quelques souvenirs "mordants"<br />

à la base du cou et sur différentes parties de son corps. Le futur député européen était loin de<br />

se douter que la tigresse se délecterait de lui chaque nuit qu'ils passeraient ensemble.<br />

- Je ne vide pas les réservoirs ! J'ai compris ! Pourquoi ? Sûrement parce que je risque de m'y<br />

reprendre à plusieurs reprises avant d'être à la hauteur idéale, dans l'alignement de la piste et<br />

avant d'être en mesure de toucher le sol en toute sécurité.<br />

Un bip confirma sa réponse. Il parlait de faits précis vécus dans sa vie terrestre, des restes de<br />

cours de pilotage, de notions enfouies dans son esprit tordu. La détective espérait<br />

secrètement qu'il appellerait quelques défunts pilotes errant au paradis de l'aviation à sa<br />

rescousse. Une seule chose la rassurait quelque peu : sa montre, vieille d'à peine trois<br />

semaines, ne la lâcherait pas. Il pourrait donc se manifester à sa guise en déclenchant l'alarme.<br />

Heureusement car ce damné téléphone avait refusé de donner signe de vie, prématurément<br />

vidé de ses forces vitales.<br />

- Regardez, <strong>Alexa</strong> ! Cette masse d'agglomérations !<br />

- C'est la région parisienne. On va être fixé rapidement sur notre sort. Demandez aux<br />

hôtesses de bien vouloir appliquer les consignes de sécurité qu'elles connaissent<br />

probablement par coeur. Que les passagers se sanglent et se protègent efficacement ! On se<br />

pose face au vent, c'est ma seule certitude sur l'atterrissage. Comme la radio de bord est hors<br />

service, nous allons devoir passer en rase-mottes au-dessus du terrain, repérer la manche à air<br />

33


et nous placer correctement. Essayez de déterminer quelle est la piste la plus longue, à vue de<br />

nez, histoire de se donner les meilleures chances de s'en sortir vivants.<br />

Intérieurement, elle redouta le pire : un crash au sol avec le carburant et la carlingue<br />

s'embrasant immédiatement. Périr par le feu représentait le comble de la douleur et de<br />

l'horreur à ses yeux (Note de l'auteur : Normal puisque <strong>Alexa</strong> étant parfaite, est assimilée à la<br />

catégorie des anges et donc destinée à vivre au paradis. En conséquence, elle ne peut<br />

supporter les flammes de l'enfer.). Elle imaginait le choc provoqué parmi les siens découvrant<br />

les meilleurs morceaux de son anatomie au milieu des décombres.<br />

L'aéroport serait bientôt en vue. Elle décida de débloquer l'engagement du pilote<br />

automatique. Elle tint fermement le volant, se crispant peu à peu sur les commandes. Elle<br />

ralentit le régime moteur en surveillant étroitement le niveau de puissance des réacteurs. En<br />

même temps, elle accordait une extrême importance à la vitesse qui chutait rapidement. Il ne<br />

fallait pas qu'elle plonge trop vite car les turboréacteurs de la maison Rolls Royce délivraient<br />

leur poussée avec un temps de retard. Elle se tint un peu au-dessus de la limite. Elle s'y tint<br />

car elle devrait probablement exécuter des virages et ne pas risquer le décrochage en adoptant<br />

une vitesse trop basse. Elle stabilisa l'appareil à trois cents kilomètres à l'heure et à une<br />

altitude de quatre cents mètres. La balise la guidait toujours parfaitement d'après l'indicateur<br />

dans le cockpit. Elle ne déviait pas par rapport au cap initial. C'était sa grande crainte : dévier<br />

insensiblement et ne plus être capable de retrouver les pistes, devoir se poser en catastrophe<br />

dans une plaine. Même une longue portion d'autoroute, parfaitement dégagée, ne suffirait pas<br />

à recevoir le Jumbo Jet : trop étroite...<br />

- <strong>Alexa</strong> ! Regardez ! Je vois quelque chose de dégagé dans l'ensemble des villes en face de<br />

nous.<br />

- Vous croyez que c'est l'aéroport ?<br />

- J'en mettrais ma main à couper !<br />

- Ouf ! Cela aurait pu être pire ! Marie a failli se retrouver sans descendance par votre faute.<br />

- Miss <strong>Sarbacane</strong> ! Ah vraiment, votre réputation vous a précédée !<br />

- Ma réputation ? Quelle réputation ?<br />

- Celle d'avoir un humour bien à vous !<br />

- Si vous commencez à être désagréable, je vous débarque illico ! J'ouvre la fenêtre, un<br />

tonneau et vous voilà dehors ! Non mais ! Vous avez une chance incroyable d'être le futur<br />

mari de ma copine Marie !<br />

- Son futur mari ? Vous en avez trop dit ou pas assez !<br />

- Il faut que je me concentre.<br />

- Non, non ! Vous ne vous en tirerez pas à si bon compte ! Vous avez encore le temps de<br />

m'avouer ce que vous avez vu.<br />

- D'accord, si vous y tenez ! Avant que nous mourions tous, vous avez le droit de connaître<br />

quelques détails sur votre vie future. Vous retrouverez Marie, très prochainement. Telle que<br />

je la connais, elle vient d'envoyer sa lettre de démission dès ce matin. Le temps d'effectuer<br />

son préavis, de s'organiser pour son retour sur la métropole et vous la tiendrez bientôt dans<br />

vos bras. Elle travaillera pour vous.<br />

- Je ne le pense pas... Je n'ai pas les moyens d'entretenir du personnel.<br />

34


- Vous êtes particulier, vous ! Vous voulez savoir ce que j'ai vu et vous le réfutez<br />

immédiatement ! Laissez-moi achever le tableau ! Bon ! Après vos retrouvailles, il y aura vos<br />

épousailles, la ripaille, la nuit de noces dans la paille et ainsi de suite. Ensuite, elle prendra en<br />

charge la communication de votre campagne européenne.<br />

- Ma campagne européenne ? Pour quoi faire ?<br />

- Pour devenir un gentil député nous abreuvant de lois compliquées et castratrices, pardi !<br />

- Député européen ? Moi ?<br />

<strong>Alexa</strong> ferma les yeux une brève seconde afin de compléter les pièces manquantes du futur.<br />

Elle fut visiblement satisfaite de sa vision.<br />

- Vous serez même ministre de l'industrie, dans un gouvernement futur.<br />

- Whaou ! C'est un sacré scoop ! Si seulement cela pouvait être vrai !<br />

- Oh ! Dites donc, jeune homme, vous n'avez pas un peu fini de m'insulter ? Osez prétendre<br />

que j'affabule revient à risquer sa vie. Vous avez une chance inouïe d'être pistonné par Marie<br />

sinon, il y a longtemps que je vous aurais enfermé dans la soute à bagages dans une cage,<br />

avec une femelle gorille en manque d'amour !<br />

- Quel humour, miss <strong>Sarbacane</strong> ! Il est célèbre dans le monde entier !<br />

- Célèbre ou pas célèbre, le seul point positif que je retire de ma vision, c'est que cela va<br />

arriver. Si cela arrive, cela signifie que l'atterrissage ne causera pas votre mort.<br />

- Par extension, les autres passagers se verront sauvés de la mort, non ?<br />

- Pas forcément. Vous pouvez demeurer l'unique survivant à la catastrophe aérienne. C'est<br />

joyeux, comme perspective, non ? Allez ! Ne faites pas cette tête-là ! Vous allez vivre un<br />

avenir somptueux. Vous n'êtes pas aux commandes mais vous devez me supporter (Note de<br />

l'auteur : <strong>Alexa</strong> s'imagine toujours impossible à vivre. C'est faux ! Elle est purement et<br />

simplement adorable et incomprise de la part des autres...). D'ailleurs, vous allez devoir<br />

supporter mes manoeuvres ! Nous approchons...<br />

Les pistes de Roissy montraient enfin le bout de leur nez (Note de l'auteur : je sais, je sais !<br />

Les pistes n'ont pas de nez. Sauf les pistes de cirque lorsque le clown perd son nez rouge.).<br />

<strong>Alexa</strong> fit tout ce qu'elle put pour éviter les habitations tout en volant suffisamment bas pour<br />

repérer le sens du vent. Lorsqu'elle eut la manche à air bien en vue, ce fut pour constater<br />

qu'elle était parfaitement à l'horizontale. Le vent soufflait régulièrement, un mauvais point en<br />

cas de crash et d'incendie. Elle reprit un peu d'altitude en poussant les moteurs pour réaliser<br />

sa manoeuvre. Curieusement, mais fort heureusement, le ciel de Roissy était désert. Les<br />

autorités du transit aérien avaient pris les mesures nécessaires pour dérouter ou faire attendre<br />

les autres vols. A Orly, les appareils devaient se poser à la queue leu leu en cet instant précis.<br />

Elle repéra la piste la plus longue et s'éloigna afin de réaliser un virage et s'aligner du mieux<br />

qu'elle pouvait. Au bout de cinq minutes, elle pencha l'appareil sur la droite et lui fit faire une<br />

boucle de lacet pour le remettre face à son objectif. Elle abaissa la vitesse et positionna les<br />

volets sur trente degrés. Ensuite, elle chercha la commande du train d'atterrissage.<br />

- Vous croyez que cette poignée manoeuvre le train d'atterrissage ? Demanda-t-elle à Romain.<br />

- Je n'en sais rien ! C'est vous le pilote !<br />

35


- C'est fin comme du gros sel, ça ! Bon ! Dessus, il y a écrit : "Landing system". Je suppose<br />

que c'est bon ! Allez ! Hop !<br />

Un bruit de moteur électrique s'amorça et coupa aussitôt.<br />

- Il est rapide, cet engin !<br />

Au même moment où le délai de réaction du fleuron de l'industrie aéronautique américaine<br />

l'émerveillait, un bip retentit. Il émanait de sa montre la reliant à lui.<br />

- Il y a un problème ? S’informa Romain.<br />

- Apparemment... Sur le train d'atterrissage ? Dit-elle en s'adressant à lui.<br />

Le bip persista. Il était régulier et persistant. Son rythme leur rappela une mélodie connue.<br />

Romain rompit le silence en premier :<br />

- Je ne suis pas un spécialiste mais... on dirait du morse.<br />

- Du morse ? Du morse ! Trois brèves, trois longues, trois brèves. Cela donne S.O.S. Le train<br />

d'atterrissage est mal ou pas sorti. On va se poser sur le ventre ! (Note de l'auteur : il y a<br />

parfois des situations de la vie quotidienne ou mensuelle, voire annuelle (selon si madame est<br />

gourmande ou pas) où le fait de se poser sur le ventre est très agréable...)<br />

- Bon sang ! Le train est bloqué et vous ne l'aviez pas vu ! Pour un détective extralucide, vous<br />

ne voyez pas grand-chose !<br />

- Alors vous, si vous tenez à ce que nos relations restent cordiales, je vous conseille de fermer<br />

votre boîte à camembert ! De plus, bien que je sache que le terme "détective" est<br />

exclusivement masculin, je tiens expressément à le féminiser. Vous direz donc "la détective"<br />

la plus douée de l'univers ! Cette exception littéraire a été exigée auprès de l'auteur de mes<br />

aventures sous peine de grève sans préavis (Note de l'auteur : c'est une astuce pour pouvoir<br />

me reposer de temps en temps, partir en vacances, sortir entre amis, écrire des romans qui<br />

deviendront des prix Nobel de littérature, dormir le jour, écrire la nuit, etc...).<br />

- Entendu, mademoiselle LA détective ! Que fait-on avec un train dont on ne sait pas jusqu'à<br />

quel point il est sorti ?<br />

- Si je le savais, j'entamerais immédiatement la procédure prévue dans le manuel du parfait<br />

pilote dans ce cas de figure !<br />

A cette seconde même, une mélodie retentit dans le cockpit. Un air parfaitement connu : le<br />

thème de "Mission impossible". Le portable d'<strong>Alexa</strong> !<br />

- Dans mon sac, mon portable ! Nous sommes stupides ! Nous n'avons même pas pensé aux<br />

portables cellulaires. Nous ne sommes plus au-dessus de l'atlantique, avec les zones d'ombre<br />

téléphonique que cela inclut. Ici, nous captons tout !<br />

Lorsque Romain eut déplié l'antenne, pris la ligne et porté le combiné à l'oreille d'<strong>Alexa</strong>, elle<br />

put enfin identifier l'origine de l'appel.<br />

36


- Commandant Verse ! Je suis heureuse de vous parler ! Enfin des bonnes nouvelles !<br />

- Pas si bonnes, miss <strong>Sarbacane</strong>... pas si bonnes... Votre train d'atterrissage est entièrement<br />

bloqué. Vous allez devoir voler en cercle au-dessus de l'aéroport en attendant la préparation<br />

de la piste.<br />

- En quoi consiste-t-elle ?<br />

- Nous allons placer des filets de retenue pour vous ralentir. De plus, nous allons inonder la<br />

piste de neige carbonique et de mousse. Cela permettra d'éviter un incendie lorsque vous<br />

allez toucher le sol. Evidemment, dès que vous serez en phase finale d'approche, nous vous<br />

ferons larguer le reste de carburant afin de ne pas ajouter un risque supplémentaire. Je vous<br />

indiquerai la position de la manette. La façon d'atterrir varie à peine. On se pose comme si<br />

tout était parfaitement normal. Sauf qu'au dernier instant, vous pousserez le volant en avant<br />

très légèrement afin de présenter toute la surface du ventre de l'avion face à la piste. Ainsi,<br />

vous éviterez de disloquer l'appareil.<br />

- Bien sûr, il vaut mieux éviter de disloquer notre Jet. Jusque là, nous nous en sommes bien<br />

sortis. Avez-vous repéré les terroristes qui ont quitté l'avion ?<br />

- Aucune trace. Ils se sont volatilisés. S'ils étaient attendus par un puissant hors-bord, ils ont<br />

déjà regagné la côte irlandaise depuis des lustres. Même avec votre aide, il serait impossible de<br />

mettre la main sur eux. L'Irlande du Nord est impénétrable. Votre terroriste est hors<br />

d'atteinte...<br />

<strong>Alexa</strong> en fut attristée. Elle avait secrètement espéré que le chef de la bande, Adrian O'Neal, et<br />

ses acolytes, auraient été mis sous les verrous. En désespoir de cause, elle entama des cercles<br />

sans fin dans le ciel, attendant que le "lit" anti-feu soit organisé au sol.<br />

*<br />

* *<br />

Cette tentative serait unique. <strong>Alexa</strong> ne tenait pas à renouveler la malheureuse expérience de<br />

sitôt. La purge des réservoirs avait été accomplie, elle volait quasiment aux vapeurs de<br />

kérosène. La descente avait été parfaite ; elle se présentait bien en face de la piste. Les<br />

hôtesses de l'air avaient recommandé aux passagers de boucler leurs ceintures, de boucler<br />

leurs boîtes à camembert (bien qu'ils aient terriblement envie de hurler en songeant qu'il n'y<br />

avait pas le moindre pilote à bord !) et de boucler leurs fins de mois car il ne faut tout de<br />

même pas oublier qu'ils voyageaient avec Air France (compagnie bien connue pour son taux<br />

de service bas, son taux de grève élevé, son inflation sur les prix des billets et sur le salaire des<br />

pilotes). La vénérable institution française, flirtant constamment avec les déficits,<br />

s'enorgueillirait désormais d'avoir parmi son personnel une fausse hôtesse dotée d'une fausse<br />

qualité de pilote.<br />

La détective, malgré une fragilité apparente de ses doigts fins, fut très tentée de s'agripper aux<br />

commandes et de les serrer aussi fort que possible. Elle combattit farouchement cette<br />

tentation. Elle réduisit totalement la puissance des réacteurs et commença à tirer sur le<br />

volant, par petites tractions. Le Boeing décrocha doucement. La piste défilait vite, très vite,<br />

bien que la vitesse soit correcte. Au dernier instant, elle songea qu'elle n'avait pas de train<br />

37


d'atterrissage. Le commandant Verse lui avait recommandé de procéder de façon classique<br />

jusqu'à deux ou trois mètres du sol puis de pousser le volant en avant afin de présenter le nez<br />

de l'appareil dans l'alignement de la queue. Ainsi, elle éviterait de toucher par l'arrière et de<br />

taper dur par l'avant.<br />

Elle réaligna le fuselage. Le choc ébranla le Boeing pourtant proche d'une retraite bien<br />

méritée. Le problème auquel elle serait confrontée désormais, c'était le freinage et<br />

accessoirement, la trajectoire. Aucun moyen de freiner hormis les filets tendus éclatant les<br />

uns après les autres, embrochés et déchiquetés par les dizaines de tonnes du cargo aux<br />

couleurs bleu, blanc et rouge. Le problème accessoire, la trajectoire, se manifesta après avoir<br />

défoncé une douzaine de filets de rétention : l'avion dévia peu à peu et quitta la piste et son<br />

matelas de mousse anti-incendie. Il s'engagea sur l'herbe des champs bordant les pistes de<br />

l'aéroport. Au bout, il y avait d'autres pistes et le terminal principal de Roissy.<br />

- Seigneur ! Ne m'abandonne pas maintenant, s'il te plaît ! Et toi, mon ange gardien, trouvemoi<br />

une idée de génie ! L'inversion de la poussée n'est pas suffisante !<br />

Tout à coup, elle sentit un changement véritablement marquant dans le comportement de<br />

l'avion en perdition. Il ralentit considérablement. Ce n'était pas une conséquence du<br />

frottement répété avec l'herbe folle des vertes prairies couvertes de fleurs multicolores et<br />

parfumées, verts alpages où de paisibles bovins paissaient en toute quiétude pour ensuite<br />

donner un excellent lait, abondant, servant à la confection de spécialités fromagères<br />

savoureuses et odorantes utilisées lors de chaleureuses soirées festives entre amis (Note de<br />

l'auteur : j'ai tout de même le droit d'imaginer que les aéroports feront un jour bon ménage<br />

avec les vaches ! Ou que les avions décolleront à la verticale ! Ou qu'on pourra tous se<br />

téléporter à l'autre bout du monde en un clin d'oeil sans s'ennuyer à faire la queue pour<br />

enregistrer les bagages, à faire la queue dans les toilettes de l'appareil ou à faire la queue pour<br />

voir l'unique hôtesse sympathique et avenante dans la machine volante !).<br />

Donc, aucune cause naturelle n'expliquait ce brusque freinage. Il ne fallut pas plus de deux<br />

cents mètres pour immobiliser les tonnes de ferraille. Romain Latin ayant rejoint son siège au<br />

fond de l'avion parce qu’<strong>Alexa</strong> ne tenait pas à ce que le futur compagnon de son amie, Marie<br />

Curry, ne soit exposé aux risques majeurs de la cabine de pilotage, le nouveau pilote n'avait<br />

pas le moindre témoin de cette scène hallucinante à ses côtés. Elle percevait des forces,<br />

vivantes, stoppant son avion à l'aide de leurs bras et de leur volonté. Elle les sentait<br />

parfaitement bien qu'elles soient totalement invisibles aux yeux des mortels communs. Elle<br />

avait invoqué Dieu et son ange gardien (Note de l'auteur : l'ange gardien d'<strong>Alexa</strong>, pas celui de<br />

Dieu ! Dieu n'a pas besoin d'ange gardien puisqu'il est parfait. Le problème, c'est qu’<strong>Alexa</strong> est<br />

parfaite aussi. Pourquoi a-t-elle donc besoin d'un ange gardien ? Si un lecteur trouve<br />

l'explication, qu'il me la fournisse gratuitement et dans les meilleurs délais. J'écris parfois sans<br />

maîtriser mes pulsions : comme celle d'adjoindre les services d'ange gardien à l'espiègle<br />

détective). Lequel des deux avait monopolisé autant de bras décharnés ? Vu le bricolage et<br />

l'artisanat déployé pour stopper le monstre lancé à toute allure, <strong>Alexa</strong> se douta qu'il avait<br />

rameuté quelques connaissances au sein du Paradis & Co (Note de l'auteur : para disco ! Je<br />

brûlais d'envie de la placer depuis quelque temps. Cela ne veut rien dire mais moi, je m'amuse<br />

comme je veux !). Au moment même où elle songeait à cette explication, sa montre sonna. Il<br />

38


confirmait qu'il était l'auteur de ce sauvetage miraculeux ? Pas du tout ! Elle se souvint qu'elle<br />

avait programmé sa montre afin de ne pas oublier de prendre rendez-vous chez son coiffeur<br />

attitré : un Italien, véritable virtuose des ciseaux, du rasoir, du pinceau et de la mèche. Son<br />

séjour prolongé en Guyane avait accéléré la pousse de la toison dorée : à croire que la<br />

chevelure avait pris le rythme de croissance de la forêt amazonienne ! Elle ne souhaitait plus<br />

recourir abondamment aux laques et autres produits fixants, propulsés par des gaz nocifs<br />

concourant largement à la pollution de l'atmosphère que la forêt précédemment citée,<br />

poumon de la Terre, passablement décimée par le feu et l'abattage systématique, avait du mal<br />

à digérer.<br />

Elle était perdue dans ses pensées lorsqu'elle sentit une main se poser sur son épaule.<br />

- Romain !<br />

- <strong>Alexa</strong> ! Vous êtes une championne ! Bravo ! Personne n'est blessé ! C'est un vrai miracle !<br />

Tout le monde est sorti, nous n'attendons plus que la vedette de l'année ! Vous n'allez pas<br />

prendre racine ici, un risque d'incendie subsiste, malgré l'arrosage des pompiers. Il ne faudrait<br />

pas qu'une étincelle ne transforme le miracle en un désastre. Dehors, les passagers vont vous<br />

acclamer, j'en suis sûr ! Ils ne tiennent pas à vous voir partir en fumée et au ciel ! (Note de<br />

l'auteur : cette femme-là est une sainte, elle sera canonisée un jour, j'en suis convaincu !<br />

Tiens ! Canonisée... Cela me donne une idée... Et si je la propulsais à travers l'espace vers la<br />

Lune en écrivant un remake du "Voyage vers la Lune", de Jules Verne ? Une célébrité<br />

propulsée au firmament de la gloire des enquêtes mystiques tout simplement propulsée au<br />

firmament des étoiles... Une idée à mettre immédiatement sur orbite !)<br />

- Un miracle... Vous ne croyez pas si bien dire, lâcha la blonde platine (Note de l'auteur : je<br />

parle d'<strong>Alexa</strong> et non d'un tourne-disque couleur blé ou d'un quelconque métal. Désolé ! Le<br />

français est ainsi fait qu'un mot a plusieurs significations. C'est cette caractéristique qui me<br />

permet de produire autant de notes de l'auteur.).<br />

Elle décida de quitter son siège de commandant de bord mais elle éprouva les pires difficultés<br />

à déambuler dans le couloir. Curieusement, cette expérience l'avait plus éreintée, vidée, que le<br />

retour du vol spatial. A bien y réfléchir, elle trouva naturelles les réactions de son corps. La<br />

tension nerveuse avait été maximale durant plusieurs heures, si intense qu'elle en avait omis<br />

de se nourrir. Cet oubli d'apport de calories salvatrices se faisait cruellement sentir au<br />

moment où elle s'engagea sur le toboggan de secours.<br />

Elle glissa rapidement jusqu'au sol où elle fut accueillie par les bras experts de deux pompiers<br />

en uniforme et par les hourras de la foule en délire. Oui, la foule ! Car aux nombreux<br />

passagers de ce vol spécial, en tête desquels on retrouvait le Président, s'était adjointe une<br />

immense partie des usagers de l'aéroport heureuse de découvrir une vedette en chair et en os<br />

et témoin privilégiée d'un atterrissage peu banal.<br />

Elle fut portée en triomphe jusqu'aux marches du palais du festival de Cannes où elle reçut le<br />

premier prix d'interprétation féminine dans le film "Y a-t-il un pilote bon marché dans l'avion<br />

de chez Air France ?" sous l'ovation du public debout sur les sièges pour l'occasion et<br />

applaudissant à tout rompre (Note de l'auteur : que de mots nécessaires pour expliquer ce<br />

que l'anglais résume en "standing ovation" !). Elle eut besoin de ses petites lunettes de lecture<br />

39


pour déchiffrer les treize pages de remerciements totalement improvisées au cas où elle aurait<br />

eu la palme (Note de l'auteur : le tuba, le masque et les bouteilles d'oxygène (bien que les<br />

bouteilles de Romanée-Conti soient meilleures !), etc...). La cérémonie ne faisait que<br />

commencer lorsque la détective fit un caprice de star : elle réclama une portion de carottes<br />

râpées et une tartine couverte de confiture de mirabelles. On crut qu'elle avait la grosse tête<br />

alors que son petit estomac avait une grosse faim. Elle fut rapidement encadrée par un<br />

cordon sanitaire (Note de l'auteur : voilà une expression qui m'amuse beaucoup : "cordon<br />

sanitaire". Où peut-on en acheter ? En pharmacie d'hôpital ? Chez un fournisseur de matériel<br />

d'alpinisme ? Le cordon sanitaire, c'est aussi la chaînette de la chasse d'eau que l'on tire dans<br />

les sanitaires ?). Une armada de policiers fondit sur celle que la vénérable institution eut aimé<br />

élire comme égérie. En tête des hommes casqués et bottés, un visage familier fit son<br />

apparition : l'inspecteur Delaunay.<br />

- Yann ! Comme c'est gentil de venir m'accueillir ! Tu étais venu avec un sac poubelle pour<br />

récupérer les morceaux ? Désolée ! L'explosion n'a pas eu lieu ! Tes collègues légistes en<br />

seront quittes pour passer un week-end tranquille sans avoir besoin de jouer au puzzle en<br />

reconstituant mon corps à partir de débris éparpillés sur le tarmac.<br />

- Cette éventualité ne m'a pas effleuré !<br />

- Oh ! Juliette est venue aussi ! Dis donc : tu es sûr qu'elle est enceinte ? On ne voit rien !<br />

- Miss <strong>Sarbacane</strong>... Que veux-tu voir au bout de six semaines de grossesse ? Il est trop tôt.<br />

- Excuse-moi ! Je ne suis pas spécialiste de la procréation et de l'élevage des mouflets ! Etant<br />

donné que mon Stéphane d'amour n'a pas encore envisagé le sujet.<br />

- Justement, <strong>Alexa</strong>... A propos de Stéphane...<br />

- Où est-il ? Il n'est pas venu ? Il est gonflé ! Tu viens, Juliette vient et lui, monsieur, il reste<br />

tranquille pépère à la maison devant la télévision à regarder sa tendre moitié se battre avec un<br />

avion récalcitrant ! Il aurait vu venir, cela m'aurait fait plaisir !<br />

- <strong>Alexa</strong>, je... je...<br />

- Eh bien quoi ?<br />

- Je ne sais pas comment te dire... Hier soir, avec Juliette, nous sommes allés chez lui pour<br />

l'inviter à dîner avant ton retour. Il n'était pas là. Nous sommes passés à son lieu de travail. Il<br />

n'y a pas mis les pieds depuis trois jours. J'ai contacté ses parents et cela n'a rien donné.<br />

- Qu'es-tu en train de m'expliquer, Yann ?<br />

- Que Stéphane... a disparu !<br />

40<br />

*<br />

* *<br />

A bord de la Volkswagen de service, le silence était de mise. Yann conduisait prudemment<br />

malgré la présence du gyrophare clignotant au-dessus du toit. L'état de Juliette, six semaines<br />

de grossesse, justifiait à ses yeux une vigilance extrême. Son épouse avait pris place devant,<br />

étant victime du mal des transports ; logiquement, miss <strong>Sarbacane</strong> avait jeté son dévolu sur la<br />

banquette arrière. Elle en était fort aise : cela l'autorisait à laisser couler des larmes<br />

d'inquiétude. Enfin !


Le temps n'était pas passé rapidement car les officiels avaient tenu à questionner la détective<br />

avant son départ et à fêter l'événement. Ensuite, elle avait dû assister à une seconde<br />

réception, prévue depuis son retour spatial et organisée à grands renforts de personnalités,<br />

cette fois. Une deuxième épreuve tandis qu'elle avait déjà pris connaissance d'une missive<br />

tendue par l'inspecteur Delaunay lui signifiant la disparition de son compagnon.<br />

Yann avait eu comme une sorte de prémonition lorsqu'il avait voulu rendre une visite<br />

surprise à Stéphane. Comme le sas d'entrée était ouvert puisque la femme de ménage récurait<br />

le sol, Juliette et lui étaient montés directement à l'appartement, sans prendre la précaution de<br />

sonner à l'Interphone. Ils avaient frappé à la porte, la sonnette étant en panne. Là, ils en<br />

furent quittes pour un phénomène inattendu. La porte s'ouvrit lentement sous les coups<br />

reçus. Elle n'était pas verrouillée.<br />

L'inspecteur fit reculer Juliette et s'empara de son arme de service : cela ressemblait à un<br />

cambriolage sans trace apparente d'effraction et les voleurs étaient peut-être encore sur les<br />

lieux de leur forfait. Il pénétra prudemment dans le minuscule appartement. Tout était en<br />

place. Si voleurs il y avait eu, ils avaient oublié la chaîne hi-fi, le téléviseur, le magnétoscope et<br />

l'ordinateur. Des oublis impardonnables ou l'oeuvre de drogués à la recherche d'espèces<br />

exclusivement.<br />

Puis, Yann commença sérieusement à douter de l'hypothèse d'un vol. Tout était rangé. Il<br />

ouvrit un placard. Les vêtements étaient en place, les chemises et autres pantalons occupaient<br />

leurs emplacements respectifs dans la partie de la penderie. Il vérifia la machine à laver : elle<br />

était vide. Rien ne traînait. Stéphane était peut-être tout simplement sorti pour accomplir une<br />

course rapide et n'avait pas pris la sage précaution de verrouiller la porte de l'appartement.<br />

Pourtant, Yann éprouvait sans cesse le doute. Tout était trop parfait, même pour un type<br />

hyper maniaque. Il décrocha le téléphone. Aucune tonalité ne résonna dans l'écouteur tandis<br />

que l'appareil était parfaitement relié à la prise murale.<br />

Il découvrit le portable juste à côté. Il était éteint. Il s'avança jusqu'à la salle de bains. Elle<br />

était aussi vide que la cuisine, les toilettes et la chambre.<br />

- Yann...<br />

- Juliette, tu peux entrer. Stéphane n'est pas là. J'ai une drôle d'impression. Son téléphone est<br />

hors service, son portable aussi. Tous ses vêtements sont là. Où peut-il être ?<br />

- Je crois que tu trouveras une réponse dans l'une de ces deux lettres...<br />

- Quoi ?<br />

L'inspecteur, suivant son idée, n'avait même pas remarqué la présence des deux missives sur<br />

la table de la cuisine. Il en prit connaissance. La première était ancienne : elle remontait au<br />

départ d'<strong>Alexa</strong>. Il comprit en la lisant pourquoi la jeune femme avait redouté que son<br />

compagnon ait eu des idées d'officialisation d'union. La seconde lettre datait d'un jour. Son<br />

contenu n'avait pas grand-chose à voir avec la première et il révélait des éléments plus que<br />

troublants. De toutes les façons, pour le policier, la teneur des mots ne laissait aucun doute<br />

quant au dénouement de cette affaire : Stéphane avait disparu et ne serait jamais retrouvé.<br />

Enfin... si Yann en croyait ce qu'il lisait.<br />

41


Aussitôt, il avait appelé ses collègues de l'identité judiciaire afin de passer l'appartement au<br />

peigne fin. Il tenait avant tout à écarter l'éventualité d'un enlèvement ou d'un assassinat<br />

déguisé en disparition carrément abracadabrante. Il donna le signalement de Stéphane aux<br />

polices des frontières, à Interpol, à la gendarmerie. Ensuite, il attendit patiemment le retour<br />

d'<strong>Alexa</strong> pour lui faire-part de la terrible nouvelle.<br />

L'intéressée sanglotait toujours en silence sur la banquette arrière de la Polo. Les décibels du<br />

moteur couvraient suffisamment le léger bruit de ses reniflements. Elle lisait et relisait le<br />

contenu de la copie tendue par Yann sur le tarmac de Roissy, quelques heures auparavant.<br />

Malgré l'heure tardive, la nuit tombée et le froid vif de cette fin d'hiver, la jeune femme<br />

s'exclama soudain :<br />

- Arrête-toi là, Yann !<br />

- Où ? Ici ? Ce quartier n'est pas très sûr, miss <strong>Sarbacane</strong>. Je sais que tu n'es pas à la noce en<br />

ce moment (Note de l'auteur : elle n'y sera jamais, sauf à celle des autres (les miennes, par<br />

exemple), car <strong>Alexa</strong> est vouée pour l'éternité à faire voeu de célibat, de piété, de chasteté, de<br />

charité, de pauvreté (J'exagère légèrement)...) mais ce n'est pas une raison pour déambuler<br />

dans ce coupe-gorge !<br />

- Je veux aller dans ce magasin, là, au coin de la rue !<br />

- Là ? Ce bazar à électronique bon marché ?<br />

- Ce marchand est mon premier fournisseur de matériel et de gadget, Yann. Stoppe la<br />

voiture !<br />

Etant donné le ton peu enjoué pris par la détective, le flic obéit sans discuter davantage. Elle<br />

descendit et l'entendit lancer :<br />

- Je ne bougerai pas de là tant que tu ne seras pas remontée dans la voiture !<br />

- Tu peux couper le moteur, j'en ai pour un petit quart d'heure !<br />

Yann obtempéra et alluma l'autoradio histoire de meubler le temps restant à s'écouler. Il<br />

surveilla d'un oeil l'entrée sombre et étroite de l'échoppe plongée dans l'obscurité. Seul un<br />

mince filet de lumière filtrait d'une porte située au fond de la boutique.<br />

Miss <strong>Sarbacane</strong> s'avança et frappa à la porte. Elle le fit plusieurs fois, paraissant composer<br />

une sorte de rythme ou de code secret. La séance de tambourin improvisée sur la vitre fit son<br />

effet : un grassouillet bonhomme vint aussitôt à la rencontre du futur acheteur.<br />

- Mademoiselle <strong>Alexa</strong> ! Comment vas-tu ? Mal, je suppose ! Tu as composé le code d'urgence<br />

sur la porte de mon magasin.<br />

- Oui, Ali. J'ai besoin d'un gadget précis pour contacter un ami... très proche. Ses conseils<br />

seront précieux pour retrouver la trace de mon compagnon.<br />

- La trace de ton compagnon ? Tu m'inquiètes, mademoiselle <strong>Alexa</strong>. Entre ! Viens !<br />

42


Ali Gator, importateur de produits électroniques en tous genres, bricoleur à ses heures<br />

perdues, l'attira jusqu'à la cuisine où Samira, sa femme, faisait dîner les trois enfants encore en<br />

bas âge. Il fit les honneurs des présentations à son épouse, extrêmement fier de connaître la<br />

célèbre détective extralucide.<br />

- C'est mademoiselle <strong>Alexa</strong> <strong>Sarbacane</strong> ! Ma plus illustre cliente ! Tu te rends compte, hein, elle<br />

est allée dans l'espace ! Bientôt, elle marchera sur la Lune, comme Louis Armstrong et Phil<br />

Collins, assura l'Egyptien en confondant les astronautes et les musiciens.<br />

L'épouse se fendit de sa plus belle révérence et relaya l'information auprès des bambins. Quoi<br />

qu’<strong>Alexa</strong> touche, l'objet serait immédiatement qualifié de relique religieuse au même titre que<br />

le saint suaire. Quoi qu'elle dise, ses paroles concurrenceraient la Bible ou le Coran, peu<br />

importe. Ses mots seraient immortalisés dans les esprits.<br />

- Je t'offre le thé à la menthe ! Indiqua Ali sur un ton n'offrant aucune prise au refus.<br />

<strong>Alexa</strong> accepta volontiers cette boisson extrêmement sucrée. Le liquide chaud réchauffa son<br />

estomac, son corps transis par le froid vif et mordant, son coeur meurtri par la nouvelle de la<br />

disparition. Lorsqu'elle eut avalé quelques gorgées, elle eut le courage de remercier Ali pour<br />

son hospitalité et entreprit de dépeindre le sombre tableau auquel elle était confrontée.<br />

L'intéressé, debout, finit par s'asseoir et à s'avachir sur sa chaise et sur la table. La détresse<br />

qu'il lisait au fond des yeux couleur Méditerranée de sa jeune amie le ratatinait au fur et à<br />

mesure qu'elle progressait dans le récit. Comment une pareille tragédie pouvait frapper cette<br />

héroïne qui, aujourd'hui encore, avait fait preuve d'un courage et d'un sang-froid inouïs en<br />

posant un avion en perdition ?<br />

Dépassant allègrement les cent kilos sur la balance, Ali diminuait à vue d'oeil dans sa<br />

gandoura. Ses vêtements, ses babouches, tout devenait subitement trop large, trop grand<br />

pour lui. Ses misérables problèmes s'envolaient face à la gravité des faits brisant la jeune<br />

femme. Dans ce cas, que pouvait-il accomplir, lui, petit boutiquier, pour aider de ses faibles<br />

moyens la plus célèbre enquêtrice ? Il ne tarda plus à lui demander :<br />

- Que puis-je pour toi, mademoiselle <strong>Alexa</strong> ?<br />

- Je cherche une montre spéciale. Elle doit être dotée au moins d'un afficheur de message de<br />

la plus grande capacité possible, une alarme et un chronomètre.<br />

- Mademoiselle <strong>Alexa</strong>, tu as frappé à la bonne porte ! J'ai ce qu'il te faut ! Une fabrication<br />

japonaise de haute fiabilité, je te le jure sur la tête de mes enfants, tu vas être emballée. Viens<br />

voir !<br />

Ali déballa une petite merveille, un véritable concentré de technologie nipponne. Etant<br />

donné qu'il l'avait extraite de son coffre personnel et non d'un quelconque placard du lieu de<br />

vente, l'instrument servant à égrener le temps devait posséder une grande valeur marchande<br />

(Note de l'auteur : <strong>Alexa</strong> n'a pas précisé que la montre devait indiquer l'heure, les minutes, les<br />

secondes ainsi que le jour et le mois. Vous préciseriez ce point essentiel si vous veniez<br />

d'apprendre que votre conjoint avait disparu ? Je sais, certains vont répondre qu'ils aimeraient<br />

43


voir disparaître leurs femmes à condition qu'elles soient remplacées par Claudia Schiffer ou<br />

l'une de ses collègues mannequins. Certes... Mais qu'ils y prennent garde ! Ont-ils songé qu'ils<br />

devront alors soutenir des conversations avec la remplaçante à côté desquelles les dialogues<br />

"des feux de l'amour" ou de "Santa Barbara" ressembleront à de la philosophie pure et<br />

profonde ?).<br />

- Voilà, mademoiselle <strong>Alexa</strong> ! Je te donne la liste des fonctions. Ne m'interromps pas, elle est<br />

longue ! Comme tu peux le constater, il n'y a que trois boutons. Ils ne fonctionnent que pour<br />

régler la montre. Le premier permet de faire défiler les menus, le second les options des<br />

menus et le troisième sert à confirmer les choix. Un fonctionnement peu courant car la<br />

montre est entièrement vocale. C'est à dire qu'elle fonctionne à commande vocale et répond<br />

par la voix. Tout l'écran est voué à l'affichage des données graphiques demandées. Bien<br />

entendu, tu as l'heure complète. Mieux que cela, elle te la donne selon le fuseau horaire dans<br />

lequel tu te trouves. Grâce à une balise G.P.S. miniature, le fameux système de<br />

positionnement par satellite, elle sait quelle heure afficher car elle sait où tu te trouves.<br />

Imagine... On t'enlève, tu ne sais pas où tu te trouves, elle te fournit les coordonnées précises<br />

de l'endroit où tu es détenue. Pour te donner une idée du lieu géographique où tu te situes,<br />

elle t'indique quatre noms de grandes villes au nord, au sud, à l'ouest et à l'est avec les<br />

kilométrages. Elle fait aussi afficheur de messages que tu enregistres vocalement et que tu<br />

affiches ou réentends à volonté. La capacité est de soixante-quatre millions de caractères. De<br />

quoi voir grand. C'est aussi un agenda, calendrier, alarme, etc... elle est dotée des<br />

caractéristiques habituelles d'un agenda électronique. Enfin, elle fait téléphone et permet<br />

donc de se brancher sur n'importe quel réseau téléphonique, Internet pour consulter des sites<br />

spécialisés sur les portables et pour recevoir des messages. Tu as vu sa taille ? A peine plus<br />

grande qu'une montre normale ! Et pourtant, en ce qui concerne sa fonction téléphonie, tu<br />

vas être éblouie ! C'est un satellitaire !<br />

- Quoi ? Ali, tu plaisantes ? Les plus petits satellitaires prennent encore autant de place que<br />

deux bananes accolées l'une à l'autre ! (Note de l'auteur : tiens ! Vous vous demandiez si<br />

j'étais encore obnubilé par le fruit phallique par excellence ? Réponse : oui !)<br />

- Je sais... Ce que tu tiens entre tes mains, mademoiselle <strong>Alexa</strong>, est le seul exemplaire en<br />

Europe. Il en existe une dizaine au total. Il vaut... cinquante mille francs environ.<br />

Miss <strong>Sarbacane</strong> pâlit immédiatement en entendant la somme. Elle s'attendait cependant à un<br />

prix exorbitant d'après les caractéristiques énoncées. Elle était abasourdie par la longue liste<br />

d'avantages débitée à un train d'enfer par le marchand. A coup sûr, l'appareil regorgeait de<br />

fonctions supplémentaires qu'elle découvrirait dans le manuel d'utilisation épais comme un<br />

dictionnaire !<br />

- Ali... Je ne peux pas t'acheter un pareil bijou ! Ce n'est pas parce que je n'ai pas l'argent, je<br />

pourrais le trouver mais, cinquante mille francs représentent une sacrée somme pour une<br />

montre ! Elle est anti-choc, au moins ?<br />

- Heureusement, mademoiselle <strong>Alexa</strong>, heureusement ! Elle est en titane et l'électronique<br />

intérieure est isolée par des matières absorbant les chocs. De plus, elle est étanche à deux<br />

cents atmosphères et insensibles aux rayonnements électromagnétiques.<br />

44


- Ah bon ? Une bombe nucléaire à impulsion électromagnétique ne la détruirait pas ?<br />

- Non.<br />

- Ali... D'où sort ce matériel ? C'est militaire ?<br />

- Secret professionnel, mademoiselle <strong>Alexa</strong>.<br />

- C'est une pure merveille mais je ne peux pas l'acheter. Tu n'as pas quelque chose de plus<br />

simple ?<br />

- Mais qui a parlé d'acheter ? Pour commander et importer davantage de matériel chez mon<br />

fournisseur, il faut tester le produit. Moi, je m'y connais en électronique, en matériel mais je<br />

ne suis pas capable de dire si le produit comblera toutes les exigences de mes clients les plus<br />

sérieux. Alors, de temps en temps, je leur confie la mission de tester mes nouveautés. Je te la<br />

laisse un mois à l'essai. Dans un mois, tu me donnes ton avis. Comme elle ne sera plus neuve,<br />

je te ferai un bon prix pour l'occasion.<br />

- Ali... Je ne sais quoi te dire... Comment te remercier de ta confiance et ta générosité ?<br />

- Eh bien... Si la montre t'aide à résoudre une énigme, dis seulement où tu l'as eue...<br />

- Sacré Ali ! Je te ferai de la publicité, ne t'inquiète pas ! Mille mercis ! Je vais en prendre soin.<br />

Mille mercis une fois de plus...<br />

L'affable Egyptien s'en était tiré par une pirouette commerciale et humoristique. Mais au fond<br />

de lui-même, il avait tu la véritable raison : <strong>Alexa</strong> était si meurtrie par la disparition de son<br />

compagnon que le vendeur ne pouvait décemment pas parler argent ce soir-là. Pour lui<br />

remonter le moral et lui changer les idées, il avait immédiatement songé à cette montre si<br />

spéciale. En abaissant le rideau métallique devant le magasin, saluant une dernière fois son<br />

amie détective, il avait souri intérieurement : la jeune femme détenait le futur outil de travail<br />

des espions américains. En exclusivité, en avant-première. Il l'avait ébloui plus qu'à l'habitude.<br />

Elle qui était friande de gadgets avait été stupéfaite. A sa façon, il lui avait remonté le moral et<br />

cela lui suffisait simplement à conclure que cette journée avait été une excellente journée.<br />

*<br />

* *<br />

Yann et Juliette l'avaient déposée au pied de son immeuble un quart d'heure plus tôt. Les<br />

larmes ne cessaient de couler aux coins des yeux, presque malgré elle. Toutefois, elle avait<br />

décidé de se rendre chez Stéphane dès le lendemain pour activer ses sens paranormaux sur<br />

les lieux de la disparition. Elle irait là-bas sans conviction. Yann était persuadé qu'il s'agissait<br />

d'un enlèvement, d'une mise en scène parfaite. Pas <strong>Alexa</strong>. Lorsqu'elle avait lu la lettre, elle<br />

avait su immédiatement qu'il disait vrai. Si la première lettre avait été un appel au secours, la<br />

seconde évoquait le départ définitif.<br />

Assise sur son lit en tailleur (Note de l'auteur : dans la position, pas en tailleur Chanel !<br />

Passées certaines heures, il vaut mieux se mettre en pyjama pour être au lit !), elle déplia à<br />

nouveau le papier légèrement froissé à force d'être lu. Les glandes lacrymales accentuèrent<br />

leur production tandis qu'elle n'avait pas encore entamé la lecture. Elle connaissait les mots<br />

par coeur et leur simple évocation suffisait à lui tirer des larmes de douleur (Note de l'auteur :<br />

je vous conseille de sortir les mouchoirs en tissu. En tissu car les mouchoirs en papier<br />

contribuent à la destruction de la forêt amazonienne et de ses consoeurs. Je sais : un auteur<br />

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est imprimé et contribue aussi à détruire la forêt. Mais, moi, je ne suis pas imprimé puisque je<br />

n'écris pas mes mémoires d'ancien prisonnier ayant violé une quinzaine de femmes ou mon<br />

autobiographie relatant les milles et une façons de détourner l'argent des caisses de mon parti<br />

politique... Donc, en écrivant des histoires qui n'intéressent pas les maisons d'édition, j'agis en<br />

véritable écologiste ! Merci les éditeurs !).<br />

Le début de la lettre l'avait alertée. Cela commençait par un impersonnel "chère <strong>Alexa</strong>", signe<br />

que la teneur de la missive ne recèlerait pas que des amabilités.<br />

"Chère <strong>Alexa</strong>,<br />

Dans un dictionnaire, on rencontre parfois de drôles de mots. Des mots qu'on n'aimerait<br />

jamais prononcer. Comme les mots "partir", "quitter" ou "abandonner". Des mots que je<br />

n'aurais jamais voulu écrire, dire. Pourtant, ce soir, je vais devoir les utiliser, les tracer sur<br />

cette feuille blanche. Je vais noircir la blancheur immaculée de ce papier et noircir l'avenir de<br />

notre amour.<br />

Longtemps, j'ai cru que nos destinées constituaient deux lignes parallèles se suivant<br />

indéfiniment. Peu à peu, j'ai compris qu'il ne s'agissait pas de droites mais de paraboles. Nos<br />

vies se sont approchées si près l'une de l'autre que j'ai pensé qu'elles ne formeraient plus<br />

qu'une seule et même ligne un jour. Et puis, au fil des jours, nous nous sommes éloignés l'un<br />

de l'autre. Tu as suivi ton chemin, ce destin extraordinaire faisant de toi un être baigné de<br />

lumière céleste, investi de dons fantastiques que tu mets au service de tous. Je ne pouvais pas<br />

lutter avec une destinée aussi puissante. Lorsque j'ai écrit que je souhaitais m'unir à toi, de<br />

façon déguisée, tu as répondu en fuyant au loin. Il ne m'a fallu que trois semaines pour le<br />

comprendre. J'aurais dû comprendre que je n'étais pas fait pour toi et que tu ne l'étais pas<br />

pour moi. Au fond de moi-même, je le savais. Je ne voulais simplement pas y croire, je niais<br />

l'évidence. Lorsque tu n'es pas revenue avec Yann, j'ai compris que tu avais peur de t'engager<br />

parce que tu savais que tu ne devais pas le faire avec moi. Il me fallait prendre la décision que<br />

tu refuserais de prendre, te contentant du statu quo existant entre nous. Je conviens que cette<br />

situation te convenait à peu près. Tu me voyais quand tu pouvais, tu me donnais ce qu'il<br />

restait, tu freinais l'avancée de nos sentiments pour te protéger. <strong>Alexa</strong>, parfois, l'amour est<br />

comme un combat de boxe : il faut abaisser totalement sa garde, sa protection,<br />

volontairement, pour gagner la confiance de l'autre. Offrir son visage et son coeur à la<br />

rudesse des coups. Il faut parfois bluffer, parier, miser... Peu importe que tu n'aies pas agi de<br />

la sorte en ouvrant ton coeur totalement aux sentiments. Désormais, il est trop tard. Ma tête<br />

a fini par raisonner mon coeur, même si la douleur est vive et intense. J'ai pris la décision de<br />

partir. Bien entendu, en glissant ta clef dans la serrure de la porte de mon appartement, tu ne<br />

comprendras pas. Tu te demanderas, à juste titre, pour quelle raison mon habitation n'a pas le<br />

moindre meuble retiré, pourquoi mes vêtements sont encore dans les placards, pourquoi le<br />

magasin qui m'emploie a reçu ma lettre de démission sans préavis, pourquoi mes parents ont<br />

reçu une brève missive leur expliquant que je disparaissais, pourquoi le téléphone est coupé<br />

et pourquoi l'électricité le sera aussi dans deux jours. Tellement de questions bien légitimes et<br />

si peu de temps pour te répondre. Sache que là où je vais, je serai bien, heureux, occupé. Je<br />

ne t'oublierai pas. On n'oublie pas six longues années de vie commune, <strong>Alexa</strong>. On n'oublie<br />

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jamais. On fait quelques cartons de souvenirs, on les met dans un coin de la mémoire, le plus<br />

reculé possible, et on s'occupe par tous les moyens en attendant que le temps passe et altère<br />

la mémoire. Le cerveau n'est pas comme un disque dur d'ordinateur, effaçable à volonté. Il se<br />

souvient ; seul le temps altère la qualité des souvenirs. On lui reproche sans cesse mais c'est<br />

parfois utile. J'espère vieillir vite pour ne garder qu'un souvenir lointain et merveilleux de six<br />

longues et belles années avec la plus douce des pharmaciennes, la plus tendre des<br />

blondinettes à mèche célèbre dans le monde entier. Les sentiments... les sentiments... il<br />

faudra beaucoup de sensations nouvelles pour les ranger dans un coin poussiéreux de ma<br />

cervelle...<br />

Je sais que tu vas tenter, avec l'aide de Yann, de retrouver ma trace. C'est peine perdue. Tu y<br />

passerais ta vie entière et cela ne suffirait pas. Dissuade Yann d'en faire autant. Je me rappelle<br />

qu'un certain soir où tu étais mal en point, très mal en point, un être donna sa vie pour sauver<br />

la tienne. J'eus énormément de mal à croire à cette histoire insensée. Pourtant, le résultat était<br />

là, bien visible, devant moi : tu étais guérie et rien ne comptait plus que cela. Ce soir, moi<br />

aussi, j'ai été témoin d'un phénomène inexplicable. Des êtres venus d'ailleurs ont pris contact<br />

avec moi. Des êtres ayant jugé que j'étais digne de communiquer avec eux, d'échanger ma<br />

culture avec la leur, digne de représenter la race humaine dans leur confrérie. Je sais que tu<br />

penses que je suis timbré, au moins autant que j'ai pu le penser au début, lorsque tu étais<br />

guérie, lorsque tu as utilisé tes dons. Pourtant, je n'ignore pas que tu seras la seule à me<br />

croire. Tu sais que je dis la vérité.<br />

Je pars avec eux, <strong>Alexa</strong>. Plus rien ne me retient sur la Terre. C'est curieux, n'est-ce pas ? Je<br />

m'étais toujours interdit de prononcer ces mots, ni même d'y penser. Et voilà que ce soir, ils<br />

attendent que j'ai fini de tracer ces lignes noires en pleurant toutes les larmes de mon corps.<br />

Ils attendent que je rompe le dernier fil invisible nous reliant encore. Plus rien ne me retient.<br />

Ton départ a été le dernier coup de ciseau dans notre relation. Ce soir, j'ai rendez-vous à la<br />

campagne pour m'embarquer pour un vol sans retour... sans retour... L'occasion est trop belle<br />

pour la laisser filer. Je vais connaître un destin extraordinaire, à ton image. Mais personne<br />

n'en saura jamais rien. Tout le monde pensera que je me suis donné la mort ou que j'ai<br />

disparu pour échapper au fisc, comme n'importe quel bon citoyen devrait le faire. Tu seras la<br />

seule à savoir la vérité profonde, <strong>Alexa</strong>, à savoir que je ne mentais pas. Pour cela, il te suffira<br />

de faire comme je t'ai vue le réaliser tant de fois avec cette précision toujours aussi<br />

fascinante : il te suffira d'apposer tes mains sur ton Vidal, d'attendre que la douce chaleur<br />

t'envahisse et de fermer les yeux au moment où la température sera idéale. Tu auras alors la<br />

vision de la réalité.<br />

Désormais, je te garde près de moi en pensées, seulement. Mes sentiments sont ceux que tu<br />

imagines. A toi d'imaginer.<br />

Stéphane"<br />

Le Vidal avait été posé sur les draps rose et parme. Miss <strong>Sarbacane</strong> l'observait curieusement :<br />

comme s'il s'agissait à présent d'un ennemi... Il suffisait de laisser les sensations glisser en elle<br />

et matérialiser la réponse. Il n'y aurait pas d'entrave à la vision, d'après les termes de<br />

47


Stéphane. Pour la première fois de sa vie, elle redoutait ses pouvoirs. La force de leur capacité<br />

de destruction. Si elle s'en servait, elle pouvait détruire son coeur pour de nombreuses<br />

années. Aurait-elle la force d'y survivre, elle qui avait tant besoin d'exprimer sa joie avec<br />

intensité, elle, la délurée n'hésitant jamais à céder avec complaisance à la provocation et à la<br />

folie ? Cette révélation ferait-elle d'elle une détective "rangée", roulant en grosse limousine de<br />

piètre qualité (Renault, Peugeot, Citroën, Fiat, etc...) ou d'excellente qualité (Mercedes) ?<br />

S'habillerait-elle en noir, gris et blanc, oubliant définitivement les couleurs de l'arc-en-ciel<br />

faisant sa légende ? Le risque n'était pas négligeable...<br />

Elle souleva le dictionnaire médical et le plaça face à ses genoux toujours en tailleur (Note de<br />

l'auteur : voir plus haut pour la définition.). Elle inspira profondément, posa les mains sur la<br />

couverture, ferma les yeux et attendit patiemment que son moteur interne atteigne la<br />

température de bon fonctionnement.<br />

Tout à coup, l'image apparut dans son champ de vision. Rien de furtif, comme d'habitude.<br />

Non, une image aussi précise qu'une photographie, aussi intense que possible, une vision de<br />

trois ou quatre secondes, le temps nécessaire pour lever les doutes. Une toupie lumineuse,<br />

brillant de mille feux. Identique en tout point à celle vue lorsqu'elle s'était retrouvée seule à<br />

bord de la cabine de pilotage du Boeing 747. Elle rompit le contact avec le Vidal. Il disait<br />

vrai.<br />

48<br />

*<br />

* *<br />

Deux mois s'étaient écoulés sans que miss <strong>Sarbacane</strong> ne soit quasiment sortie de son<br />

appartement. Depuis huit longues semaines, elle n'avait consenti qu'à rendre une visite à Ali<br />

Gator pour acquérir la fameuse montre. L'appareil lui permettait des conversations vocales<br />

surprenantes avec son ange gardien. Elle avait commandé un autre modèle au cas où le<br />

premier tomberait en panne. Lorsqu’Ali l'avait questionnée sur le niveau de son moral, elle<br />

avait esquivé élégamment la question et s'était éclipsée en laissant l'Egyptien quelque peu<br />

désemparé.<br />

Le répondeur avait été débranché, elle ne prenait plus la moindre affaire en charge. Nous<br />

étions au début du printemps et pour une fois, la saison s'annonçait belle. Ce matin, <strong>Alexa</strong><br />

sortit de la salle de bains, ouvrit les volets et laissa entrer les rayons du soleil dans<br />

l'appartement. Le ciel était aussi limpide que les yeux de miss <strong>Sarbacane</strong>, c'est à dire d'un bleu<br />

parfait, sans le moindre nuage. Etait-ce un signe ?<br />

Elle se dirigea sans mot dire vers le réfrigérateur, prise d'une fringale matinale assez légitime.<br />

Elle tira la porte vers elle, recevant une dose inhabituelle de fraîcheur. Les aliments brillaient<br />

par leur absence. Normal ! Aucune course entreprise depuis deux mois… Cela ne pouvait pas<br />

aboutir à un miracle dans les compartiments fraîcheur, conservation et congélation.<br />

- Zut ! Je n'ai rien à manger, ni à boire ! Pas même la moindre marmelade ! Miss <strong>Sarbacane</strong>, tu<br />

mollis, ma fille ! Il va falloir que tu aies une petite conversation en tête-à-tête avec ton auteur<br />

pour lui expliquer que tu ne peux pas décevoir ton public, tes milliards de fans !


Elle claqua rageusement la porte. Deux mois qu'elle commandait ses courses par Internet<br />

auprès de l'hypermarché du coin, deux mois que les livreurs se succédaient à la porte et deux<br />

mois que les denrées périssables pourrissaient parfois dans le bac parce qu'elle n'avait plus le<br />

courage de manger. Deux mois de sa vie où elle ne désirait plus le moindre contact avec le<br />

monde des vivants, si décevant.<br />

- J'en ai marre ! J'en ai assez ! Tu entends, Stéphane ? Je vais vivre ! Tant pis pour toi !<br />

Elle consulta son poignet. L'écran était vide de toute information. Il suffisait de quelques<br />

mots repérés dans une phrase pour que les innombrables fonctions s'activent.<br />

- Quel jour sommes-nous ?<br />

- Nous sommes le mardi 1er avril. Il est neuf heures et quinze minutes.<br />

- Le 1er avril ? Tiens ! Mon ange gardien, tu es là ?<br />

- Bien sûr, <strong>Alexa</strong>.<br />

- Bon anniversaire !<br />

- Merci ! Tu n'as pas oublié ?<br />

- Non... Il y a des événements que... je ne peux pas oublier... Donne-moi un conseil, j'en ai un<br />

besoin urgent !<br />

- Vis ! Sois toi-même ! Fais plaisir à ton auteur !<br />

<strong>Alexa</strong> sourit largement. La première fois depuis huit semaines. Faire plaisir à son auteur... Il<br />

avait toujours de bons conseils en réserve lorsqu'il s'agissait de les prodiguer à autrui. Elle se<br />

mira dans le miroir et l'interrogea sur sa beauté, sur ses beaux restes. Le miroir ne put que se<br />

fendre d'une remarque sincèrement élogieuse (Note de l'auteur : le miroir se fend d'une<br />

remarque ! Elle est bonne, non ? Un miroir qui se fend ? Tout le monde a suivi, hein ? Je ne<br />

poursuis pas davantage mes explications.).<br />

Elle ouvrit un pan d'armoire et sortit quelques vêtements. Après avoir enfilé les sousvêtements,<br />

elle se glissa dans un jupon qu'elle recouvrit d'une robe fleurie et ample. Un<br />

jupon ! Enfin ! (Note de l'auteur : mille mercis, <strong>Alexa</strong> ! Je suis obligé de stopper l'histoire à ce<br />

point car la matérialisation de ce fantasme typiquement masculin me fait baver à un point tel<br />

que je risque de m'électrocuter avec mon ordinateur portable !)<br />

*<br />

* *<br />

A suivre…<br />

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