Art et technique - Centre Pompidou
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<strong>Centre</strong> <strong>Pompidou</strong> / Dossiers pédagogiques / <strong>Art</strong> <strong>et</strong> philosophie : ART ET TECHNIQUE. CHOIX DE TEXTES ET PARCOURS<br />
Horkheimer (1895-1973). Pour les fondateurs de l'École de Francfort, l'art moderne est de<br />
plus en plus prisonnier du mode de production industrielle qui impose à tous les produits ses<br />
critères de rationalisation, de performativité <strong>et</strong> de standardisation.<br />
Les œuvres de l'esprit n'échappent pas à c<strong>et</strong>te logique dont le système capitaliste tire le plus<br />
grand profit <strong>et</strong> qui transforme les amateurs d'art en simples consommateurs de produits tout<br />
faits, destinés à les divertir. C'est le règne de l'industrie culturelle.<br />
Sous un tel règne, les produits culturels (qu'on ne peut plus appeler des œuvres d'art) sont<br />
<strong>technique</strong>ment formatés pour plaire au plus grand nombre <strong>et</strong> pour produire le bénéfice<br />
maximal. De tels produits, fabriqués en série, ne visent pas à interroger le monde, à lui offrir<br />
la voie d'une réforme possible, encore moins à libérer les masses de l'aliénation qui,<br />
toujours, les gu<strong>et</strong>te, mais au contraire à perpétuer le système en en recouvrant les<br />
souffrances du masque de l'amusement.<br />
Dans le capitalisme avancé, l’amusement est le prolongement du travail […] Le<br />
prétendu contenu n’est plus qu’une façade défraîchie, ce qui s’imprime dans l’esprit<br />
de l’homme, c’est la succession automatique d’opérations standardisées. Le seul<br />
moyen d’échapper à ce qui se passe à l’usine <strong>et</strong> au bureau est de s’y adapter<br />
durant les heures de loisirs.<br />
Adorno <strong>et</strong> Horkheimer, La dialectique de la raison (1944), Gallimard, 1983, p.147<br />
L’industrie culturelle réalise ainsi pleinement la logique marchande de nos sociétés soumises<br />
à l'exploitation bien réelle du travail <strong>et</strong> à l'épanouissement illusoire des loisirs, le premier<br />
comme les seconds n'ayant qu'un seul maître : le profit.<br />
HOMOGÉNÉISATION CULTURELLE ET CULTE DE L’ORIGINALITÉ<br />
La désacralisation de l'œuvre d'art contenue dans la perte de son aura semble donc bien<br />
peu favorable à la création d'œuvres originales, tout à la fois ancrées dans le réel, capables<br />
d'en proposer un éclairage critique <strong>et</strong> porteuses d'un authentique potentiel subversif. Tout au<br />
contraire, elle produit une homogénéisation culturelle à laquelle les <strong>technique</strong>s modernes<br />
participent au plus haut point. Dès lors, la démocratisation de l'art que Benjamin appelait de<br />
ses vœux a bien lieu mais elle se fait au bénéfice d'une gestion consumériste <strong>et</strong> purement<br />
comptable des produits culturels.<br />
Au demeurant, même les œuvres qui paraissent échapper à la planification technocratique<br />
de ce qu'il est bon de consommer culturellement, finissent par se soum<strong>et</strong>tre à la loi d'airain<br />
du marché. Ne participent-elles pas, à leur insu, à une régulation invisible (<strong>et</strong> d'autant plus<br />
dangereuse qu'elle est invisible) : celle d'un monde uniformément soumis à la logique<br />
implacable d'une productivité vide de sens ?<br />
Ainsi, la recherche de la nouveauté pour la nouveauté, qui caractérise beaucoup d'œuvres<br />
actuelles, finit par s'imposer comme une règle impérieuse <strong>et</strong> le culte de l'originalité livre le<br />
moi sans attache, sans passé ni avenir, seulement soucieux de se différencier des autres, à<br />
la loi du plus fort qui est, ici, celle des placements financiers. En se libérant de toutes les<br />
règles, l'art laisse en quelque sorte le champ libre à la règle invisible qui fait de l'homme<br />
même son instrument : la règle de la soumission aux mécanismes d'un monde désenchanté.<br />
Adorno peut ainsi écrire :<br />
Aucune expérience, pas même celle qui échappe le plus au commerce, qui ne soit<br />
minée. Ce qui se produit en économie, la concentration <strong>et</strong> la centralisation, qui tire<br />
à soi la dispersion, <strong>et</strong> ne réserve les existences indépendantes que pour les<br />
statistiques, agit à l'intérieur des innervations les plus subtiles de l'esprit, sans qu'il<br />
soit possible, la plupart du temps, de prendre conscience des médiations.<br />
Th. W. Adorno, Théorie esthétique (1966-1969), Klincksieck, 1995, p.56<br />
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