Art et technique - Centre Pompidou
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<strong>Centre</strong> <strong>Pompidou</strong> / Dossiers pédagogiques / <strong>Art</strong> <strong>et</strong> philosophie : ART ET TECHNIQUE. CHOIX DE TEXTES ET PARCOURS<br />
l’homme moderne est ici aussi invoquée. Au Cabar<strong>et</strong> Voltaire, on assiste à des danses<br />
masquées où les costumes géométriques, fabriqués de matériaux divers, animent leur<br />
porteur de mouvements saccadés ou fluides ; des lectures de poèmes phonétiques,<br />
sollicitant tous les organes de la parole, articulent des sonorités percutantes en des façons<br />
de danses buccales. Comme dans les lectures simultantes, tableaux à plusieurs voix, les<br />
mots ont été éclatés <strong>et</strong> leurs sonorités réassemblées pour composer de nouveaux langages,<br />
purement suggestifs. L’acceptation du caractère irrationnel de chaque acte, la volonté de<br />
faire résonner le mot dans le corps <strong>et</strong> de relier le sens aux expériences sensorielles<br />
sont au cœur de ces actions.<br />
Raoul Hausmann, Mechanischer Kopf (Tête mécanique), [1919]<br />
Titre attribué : Der Geist unserer Zeit (L'esprit de notre temps)<br />
Assemblage. Marotte de coiffeur en bois <strong>et</strong> divers obj<strong>et</strong>s fixés dessus :<br />
un gobel<strong>et</strong> télescopique, un étui en cuir, un tuyau de pipe, un carton blanc<br />
portant le chiffre 22, un morceau de mètre de couturière, un double<br />
décimètre, rouage de montre, un rouleau de caractère d'imprimerie<br />
32,5 x 21 x 20 cm<br />
Achat, 1974 - AM 1974-6<br />
© Adagp, Paris<br />
Raoul Hausmann, membre majeur de Dada Berlin, réalise<br />
Tête mécanique en 1919. Également intitulé Der Geist<br />
unserer Zeit, l’Esprit de notre temps, ce buste est réalisé à<br />
partir d’une tête de mannequin en bois, laquelle est affublée<br />
de divers accessoires : sur le front, un mécanisme de montre<br />
Suisse, produit de la plus méticuleuse subdivision des<br />
tâches ; entre les deux yeux, un mètre de couturier <strong>et</strong>, à<br />
l’oreille, un double décimètre dressé comme une antenne, la<br />
réunion des deux donnant toute la démesure de l’importance<br />
accordée à l’esprit de mesure. Sur le dessus du crâne, une<br />
pièce en acier rétractable, sorte de parabole dérisoire, contraste de tous ses refl<strong>et</strong>s avec le<br />
bois de la tête. Sur l’oreille droite, un mécanisme de machine à écrire laisse entendre que,<br />
du côté des l<strong>et</strong>tres, ça ne va pas mieux : les sons se sont changés en concepts<br />
enregistrables avant d’être entendus. Enfin, au dos du crâne, est accroché un portefeuille en<br />
arrière-pensée.<br />
Créature recomposée, affublée d’implants contre-nature, c<strong>et</strong>te Tête mécanique renvoie à<br />
son spectateur l’image de l’homme moderne, dont l’esprit est saturé d’un bric-à-brac de<br />
stimuli <strong>et</strong> d’informations dépareillées. Ce visage segmenté donne à voir les fractures internes<br />
de l’homme rationnel, formé à des disciplines diverses mais déconnectées les unes des<br />
autres, ayant appris à dissocier ce que lui communiquent ses cinq sens, à se couper du<br />
monde par une pratique excessive de l’abstraction, jusqu’à ne plus pouvoir l’appréhender<br />
globalement, faire corps avec lui. Telle est la condition de l’homme moderne, dont l’esprit est<br />
partagé en domaines de compétences disjoints, habitué depuis sa plus tendre enfance à tout<br />
subdiviser, en catégories, en concepts, en parties <strong>et</strong> en sous-parties, qu’il s’agisse de<br />
l’espace, du temps, de son propre corps ou de son cerveau.<br />
Si l’expression de la névrose collective qui semble être à l’origine de ces obsessions<br />
mécanistes peut aujourd’hui paraître outrée, c’est sans considérer l’histoire qui fournit, au<br />
tout début siècle, des images comparables de têtes, vivantes celles-ci, affublées des mêmes<br />
accessoires de mesure. Les clichés que réalisait Alphonse Bertillon, chef du service<br />
photographique de la Préfecture de police de Paris, en mesurant les nez, les yeux, les<br />
oreilles, les fronts, les bouches, les sourcils de tous les criminels arrêtés, visaient à établir un<br />
portrait type de chacun d’entre eux. Que l’on pense également, à l’application que les nazis<br />
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