Art et technique - Centre Pompidou
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<strong>Centre</strong> <strong>Pompidou</strong> / Dossiers pédagogiques / <strong>Art</strong> <strong>et</strong> philosophie : ART ET TECHNIQUE. CHOIX DE TEXTES ET PARCOURS<br />
À propos de c<strong>et</strong> intérêt pour la rouille, Robert Rauschenberg, associé aux nouveaux réalistes<br />
avant de l’être aux artistes du mouvement Pop américain, précise : « Nous vivons à une<br />
époque de surabondance. L’avidité est sans limite. Je ne fais que l’exposer, j’essaie de<br />
réveiller les gens. Je veux simplement confronter les individus avec leurs ruines […] Mes<br />
assemblages sont des sortes de souvenirs dépourvus de nostalgie. J’éprouve de la<br />
sympathie pour les obj<strong>et</strong>s abandonnés, je fais donc de mon mieux pour les sauver. » 7<br />
Jean Tinguely, Baluba, 1961 - 1962<br />
Installation. Assemblage<br />
Métal, fil de fer, obj<strong>et</strong>s en plastique, plumeau, baril, moteur,<br />
187 x 56,5 x 45 cm. 150 kg environ<br />
Achat à l'artiste en 1982 - AM 1981-851<br />
Photo Philippe Migeat/<strong>Centre</strong> <strong>Pompidou</strong>, MNAM-CCI/Dist. RMN-GP<br />
© Adagp, Paris<br />
Les Baluba, série de statu<strong>et</strong>tes motorisées que Jean Tinguely<br />
réalise entre 1961 <strong>et</strong> 1962, sont des machines aux rouages<br />
bringuebalants, aux mouvements irréguliers, des assemblages<br />
imparfaits comme les êtres humains. Confronté à la mécanisation<br />
des hommes, Tinguely humanise les machines. Il réassemble<br />
de vieux rouages mis au rebut, relie de vieilles pièces de<br />
métal à des moteurs de perceuses, les habillant de fragments<br />
d’obj<strong>et</strong>s les plus dépareillés possibles, tubes métalliques, fils de<br />
fer tordus, vieux tuyaux d’arrosage, accessoires de cordonnier,<br />
que viennent colorer quelques plumeaux <strong>et</strong> balles de ping-pong<br />
ajoutés par sa compagne, Niki de Saint-Phalle.<br />
En tant que fétiches emplumés de la société de consommation,<br />
animés du souffle de vie que le mouvement mécanique confère<br />
à leurs membres ressoudés, leurs silhou<strong>et</strong>tes semblent dotées<br />
d’une âme propre. Ainsi, en posant le pied sur le gant rose qui<br />
cache une pédale, le spectateur peut-il réveiller les vieux démons<br />
qui sommeillent dans la carcasse, Baluba effectuant alors pour lui une danse dérisoire <strong>et</strong><br />
névrotique, tressautant de haut en bas au rythme saccadé de ses pulsions motrices.<br />
Comme les compressions de César, les machines de Tinguely rendent la tôle au<br />
grouillement intestinal du monde organique, animent la surface de leurs vieux matériaux<br />
pour une contemplation jouissive. Car il s’agit bien ici de jouissance, de la pulsion de vie<br />
que l’on proj<strong>et</strong>te dans la machine confrontée à la mort. À l’image de son Hommage à New<br />
York, immense mécanisme ayant pour fonction de s’autodétruire à grand bruit en activant<br />
toute une mécanique conçue pour taper sur ses propres rouages, la production industrielle<br />
pourrait bien trouver sa principale raison d’être dans l’extraordinaire dépense d’énergie<br />
qu’elle manifeste, dépense d’énergie dont le caractère spectaculaire suffit à justifier tous les<br />
sacrifices. En ce sens, la frénésie productive s’accomplirait essentiellement dans sa<br />
destruction. Comme tend à le suggérer La Vittoria, c<strong>et</strong> énorme phallus d’aluminium que<br />
Tinguely dresse en 1970, devant la cathédrale de Milan, pour lui faire cracher des feux<br />
d’artifice jusqu’à ce que, par combustion, détumescence s’en suive. Le feu d’artifice, voilà<br />
bien l’emblème de la dépense spectaculaire, de la pure dépense d’énergie recherchée dans<br />
la jouissance <strong>technique</strong>.<br />
Jean Tinguely<br />
Mai 1925, Fribourg (Suisse) – septembre 1991, Berne (Suisse)<br />
Nationalité suisse<br />
7 Robert Rauschenberg, Entr<strong>et</strong>iens, 1980.<br />
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