Denisa-Adriana OPREA, Ethique au féminin et postmoderne du vide ...
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<strong>postmoderne</strong> d’une toute <strong>au</strong>tre manière.<br />
C<strong>et</strong> article se propose d’illustrer la confrontation entre le <strong>postmoderne</strong> <strong>du</strong><br />
<strong>vide</strong> <strong>et</strong> le féminisme à travers l’étude <strong>du</strong> roman Copies conformes 2 (1989), de<br />
Monique LaRue. Plus précisément, il se penche sur le parcours spatial de Claire<br />
Dubé, la narratrice-personnage principal, afin de m<strong>et</strong>tre en avant, d’une part, la<br />
géométrie dématérialisée, fonctionnelle des non-lieux <strong>postmoderne</strong>s <strong>et</strong>, d’<strong>au</strong>tre part,<br />
la tentative de l’héroïne d’investir ces derniers <strong>et</strong> de valeurs <strong>et</strong> de sens. Pour ce faire,<br />
il procède à un découpage de la ville <strong>postmoderne</strong>, tant dans sa géographie <strong>et</strong> dans<br />
sa dynamique que dans les manières d’être qu’elle engendre.<br />
La Californie dans laquelle plonge la protagoniste de LaRue est un<br />
parangon <strong>du</strong> <strong>vide</strong> 3 . Elle se présente comme un monde hypertechnicisé <strong>et</strong><br />
déterritorialisant, où règnent le f<strong>au</strong>x, le simulacre, la simulation <strong>et</strong> l’image. Les<br />
copies s’y <strong>du</strong>pliquent à l’infini; elles suspendent toute origine, annulent le réel dans<br />
l’hyperréel, envahissent tous les nive<strong>au</strong>x <strong>du</strong> savoir-faire-vivre californien <strong>et</strong><br />
pervertissent l’humain. Schizophrène, <strong>au</strong>tiste <strong>et</strong> factice, l’american way of life<br />
rebute Claire Dubé. Prise dans le dédale des simulacres, la jeune femme s’en sort<br />
grâce <strong>au</strong> recours constant à des valeurs qui ne sont plus de mise dans la société<br />
californienne, telles l’amour, la fidélité, la responsabilisation, la raison, la maternité.<br />
Par son parcours, le personnage signifie, essentiellement, l’<strong>au</strong>thenticité, la raison <strong>et</strong><br />
l’humanité, comme opposées à la déshumanisation <strong>et</strong> à l’absurde américains.<br />
Au plan <strong>du</strong> parcours spatial, l’évolution de Claire Dubé reflète la logique<br />
conflictuelle qui oppose, dans le roman, féminisme <strong>et</strong> <strong>postmoderne</strong> <strong>du</strong> <strong>vide</strong>. La jeune<br />
femme entreprend constamment d’humaniser les non-lieux qu’elle investit. Par le fait<br />
même, elle opère une modification <strong>du</strong> paradigme spatial de la fin <strong>du</strong> millénaire. En<br />
eff<strong>et</strong>, selon de nombreux théoriciens, le <strong>postmoderne</strong> correspond à une crise de<br />
l’expérience de l’espace <strong>et</strong> <strong>du</strong> temps, manifeste notamment à travers la compression<br />
de l’espace-temps. S’il n’était, dans une modernité hantée par la temporalité, qu’une<br />
catégorie contingente, l’espace devient la catégorie dominante de la postmodernité<br />
(Jameson: 1984; Harvey, 1989: 201-210; Olalquiaga: 1992). Ce changement de<br />
paradigme va de pair avec la chute dans le présentisme, c’est-à-dire un présent<br />
«monstre», gu<strong>et</strong>té par l’entropie, qui est «à la fois tout (il n’y a que <strong>du</strong> présent) <strong>et</strong><br />
presque rien (la tyrannie de l’immédiat)» (Hartog, 2003: 217), <strong>et</strong> dont l’instantanéité,<br />
l’éphémère, l’amnésie sont les mots d’ordre. Anhistorique, narcissiquement replié sur<br />
lui-même, ce présent s’étale dans les structures d’un espace déterritorialisant, sans<br />
profondeur, sans volume. Saturé d’images <strong>et</strong> de simulacres, ce véritable hyperespace<br />
demande de l’indivi<strong>du</strong> «to grow new organs, to expand [his] sensorium and [his]<br />
body to some new, as y<strong>et</strong> inimaginable, perhaps ultimately impossible, dimensions /<br />
de développer de nouve<strong>au</strong>x organes, d’élargir [ses] sensations <strong>et</strong> [son] corps jusqu’à<br />
ce qu’ils touchent à de nouvelles <strong>et</strong> peut-être, en dernière analyse, impossibles<br />
dimensions» (Jameson, 1984: 80) pour qu’il puisse l’habiter.<br />
Porteur des valeurs de la mémoire <strong>et</strong> de la <strong>du</strong>rée, le parcours de Claire<br />
Dubé donne de la profondeur <strong>et</strong> <strong>du</strong> poids humain à l’hyperréel californien. Une<br />
opposition se précise de ce point de vue, entre, d’un côté, San Francisco, ville<br />
sans mémoire, atemporelle <strong>et</strong> figée dans sa perfection de carte postale, <strong>et</strong>, de<br />
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