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Denisa-Adriana OPREA, Ethique au féminin et postmoderne du vide ...

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contenu, irréels. Ils sont ravalés, annulés, par leurs propres représentations. Ces<br />

dernières constituent <strong>au</strong>tant d’hyperespaces, plus «vrais» <strong>et</strong> plus «parfaits» que<br />

l’original qu’ils invalident. Ils ne peuvent être vécus que sur le mode de la<br />

distanciation <strong>et</strong> <strong>du</strong> repliement sur soi. Le personnage n’y adhère pas, ne peut pas s’y<br />

investir. Devant la «fameuse vue de la baie de San Francisco», Claire Dubé reste<br />

«per<strong>du</strong>[e] dans [ses] pensées» (CC: 13).<br />

«Toutes les villes se ressemblent» (CC: 80), constate-t-elle. De par leur<br />

«décor idéal pour publicité d’alcool de luxe dans le New York Times <strong>du</strong> dimanche»<br />

(CC: 92) <strong>et</strong> leur musique d’ambiance «entièrement synthétisée» (CC: 95), les<br />

rest<strong>au</strong>rants huppés où Zarian entraîne la jeune Québécoise sont <strong>au</strong>tant<br />

d’hyperespaces. Ils exhibent leur réel, tout en le dépassant dans le simulacre. À<br />

l’opposé, Claire Dubé travaille à investir les non-lieux de repères identitaires <strong>et</strong> de<br />

mémoire. Elle cherche à définir son propre traj<strong>et</strong> dans la ville. Elle s’accroche <strong>au</strong> réel,<br />

à sa vérité concrète, palpable. À la place Embarcadero, elle déniche une fontaine<br />

conçue par un de ses compatriotes. Devant l’absurde «ornementation démente» (CC:<br />

106) des maisons qui bordent le Golden Gate Park, elle rappelle que Janis Joplin a<br />

vécu dans les parages. Sa démarche est constamment détournée par Zarian. À côté de<br />

lui, la jeune femme est happée par une structure enchevêtrée <strong>et</strong> absurde d’espaces, où<br />

le degré premier <strong>du</strong> réel se trouve constamment érodé par la fiction <strong>et</strong> par l’hyperréel.<br />

La même impression d’irréalité est créée par l’esthétisation extrême <strong>du</strong><br />

paysage californien <strong>et</strong> <strong>au</strong>ssi par sa singulière immobilité. À San Francisco, tout se<br />

passe comme si une bagu<strong>et</strong>te magique avait coupé court à la <strong>du</strong>rée, nivelé les<br />

différences <strong>et</strong> ré<strong>du</strong>it <strong>au</strong> silence le bruissement de la vie <strong>et</strong> <strong>du</strong> temps qui passe.<br />

Humains, bâtiments <strong>et</strong> végétation y vivent hors temps, figés dans leur perfection <strong>et</strong><br />

dans leur solitude. Avec leurs «couleurs de bonbons» (CC: 29) <strong>et</strong> leur gazon<br />

immanquablement vert <strong>et</strong> impeccable, les maisons récusent la «patine <strong>du</strong> temps»<br />

(CC: 29). Elles esthétisent, éliminent toute trace de la mémoire. Les rues qui les<br />

relient sont «déserte[s] <strong>et</strong> silencieuse[s] comme une allée de cim<strong>et</strong>ière» (CC: 21).<br />

Dépourvues de leur valeur communicationnelle <strong>et</strong> de leur socialité, elles sont<br />

fonctionnalisées à l’extrême: «Jamais en six mois, constate Claire Dubé, je n’avais vu<br />

un seul être humain marcher ici. Tout le monde circulait en voiture» (CC: 64). Elles<br />

témoignent de la dégradation des relations humaines <strong>et</strong> <strong>au</strong>ssi de la perte de conctact<br />

avec le degré premier de la nature, ré<strong>du</strong>ite à un élément de décor. L’indivi<strong>du</strong> ne peut<br />

que se barricader de façon paranoïaque entre les murs d’une demeure qu’il n’habite<br />

véritablement pas, mais qui le préserve de l’<strong>au</strong>tre <strong>et</strong> le m<strong>et</strong> face à sa solitude: «Le fond<br />

de la baie se confondait avec la ligne m<strong>au</strong>ve de l’horizon. Le bleu de ce ciel était le<br />

résultat de plus de deux mois de sécheresse. Pourtant, les pelouses étaient <strong>au</strong>ssi vertes<br />

qu’un gazon irlandais. Un cyprès, un séquoia. Un ginkgo bilobé <strong>au</strong> milieu d’une<br />

couronne de glaïeuls rouges: jardins paysagés à photographier en Ektachrome. Le<br />

silence planait, comme dans un film dont on <strong>au</strong>rait enlevé la bande sonore. Feuilles<br />

lustrées, trop brillantes, trop foncées. Miroirs noirs <strong>du</strong> lierre, c<strong>et</strong>te luxueuse m<strong>au</strong>vaise<br />

herbe des Californiens. Romarin, jasmin, l<strong>au</strong>riers-roses <strong>et</strong> fleurs d’oranger:<br />

écoeurants, insupportables, à la longue, pour mon odorat septentrional. Maisons<br />

pastels, orientées à l’avenant, déposées indivi<strong>du</strong>ellement, sans souci d’un style, d’un<br />

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