Denisa-Adriana OPREA, Ethique au féminin et postmoderne du vide ...
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l’<strong>au</strong>tre, Montréal, espace des racines <strong>et</strong> <strong>au</strong>ssi d’un perpétuel devenir.<br />
Le <strong>postmoderne</strong> désubstantialise l’espace de l’intime <strong>et</strong> désagrège les<br />
valeurs de l’appartenance. Telle qu’elle est représentée dans le roman, la maison est<br />
loin de connoter chaleur <strong>et</strong> présence de l’<strong>au</strong>tre, stabilité <strong>et</strong> sécurité, mémoire <strong>et</strong><br />
rêverie 4 . Elle n’est pas un lieu identitaire, mais un endroit impersonnel <strong>et</strong><br />
fonctionnel. Elle est soit un hyperespace, comme la maison que les O’Doorsey<br />
louent à Claire Dubé <strong>et</strong> à son mari, soit un non-lieu, comme la maison de Diran<br />
Zarian. Les manières de l’habiter sous-tendent un horizon ontologique que<br />
définissent le f<strong>au</strong>x <strong>et</strong> le simulacre, la volatilité <strong>et</strong> l’éphémère, le rej<strong>et</strong> des attaches <strong>et</strong><br />
la perte d’identité.<br />
À San Francisco, Claire Dubé habite une «<strong>au</strong>thentique copie de maison<br />
romaine» (CC: 19). À son intérieur, la distribution de l’espace repro<strong>du</strong>it à l’identique<br />
les détails de l’architecture antique: «la porte-fenêtre […] donnait sur une espèce<br />
d’atrium à la romaine: patio central, creusé d’un bain qui occupait […] la place de<br />
l’impluvium dans la maison pompéienne classique» (CC: 16). Elle s’intègre<br />
parfaitement dans le paysage d’une Californie fascinée par le F<strong>au</strong>x Absolu (Eco,<br />
1985: 13), <strong>au</strong>trement dit, par la copie plus vraie que l’original <strong>et</strong> qui, <strong>du</strong> fait même,<br />
invalide l’original. Dans le <strong>postmoderne</strong> californien, le recyclage des signifiés <strong>et</strong> des<br />
signifiants matériels <strong>et</strong> spirituels <strong>du</strong> passé se réclame de la logique <strong>du</strong> «présentisme»<br />
dont parle F. Hartog. De fait, le <strong>postmoderne</strong> revisite le passé non pas pour participer<br />
d’une histoire ou d’une culture qu’il tenterait ainsi de mieux connaître ou comprendre.<br />
Il ne vise non plus à se légitimer d’une descendance ou de racines mais, justement, à<br />
prouver qu’il n’a plus (besoin) de racines, saisi comme il est dans les plis d’un présent<br />
«sans épaisseur» (Eco, 1985: 34), où s’effondrent <strong>et</strong> se confondent spatialités <strong>et</strong><br />
temporalités. La possibilité même de dislocation <strong>et</strong> de repro<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> passé<br />
témoigne de ce flou identitaire. Si un signifié historique <strong>et</strong> culturel, défini<br />
essentiellement par son appartenance à un espace-temps, peut être repro<strong>du</strong>it à toute<br />
époque <strong>et</strong> sous tout espace, alors sa matérialité <strong>et</strong> son <strong>au</strong>thenticité mêmes sont remises<br />
en question. Porté par une nostalgie de la nostalgie, le <strong>postmoderne</strong> fait <strong>du</strong> passé<br />
l’obj<strong>et</strong> de «la consommation vorace d[e] présent» (Eco, 1985: 14).<br />
L’intérieur de la maison qu’occupent Claire Dubé <strong>et</strong> sa famille prolonge<br />
la logique de la copie <strong>et</strong> de l’hyperréalité, tout en ouvrant <strong>au</strong> patchwork <strong>et</strong> <strong>au</strong> kitsch<br />
<strong>postmoderne</strong>s. Il est décoré de bleu, couleur qui témoigne de l’obsession de Brigid<br />
O’Doorsey pour Brigid O’Sh<strong>au</strong>ghnessy, le personnage <strong>du</strong> F<strong>au</strong>con maltais. Il est<br />
envahi par des poupées «<strong>au</strong>x cheveux roux, <strong>au</strong>x yeux bleus, toutes habillées en<br />
bleu» (CC: 21), <strong>au</strong>tant de simulacres <strong>du</strong> même personnage. Entr<strong>et</strong>enant un f<strong>au</strong>x<br />
mythe personnel, il participe <strong>du</strong> détraquement comportemental <strong>et</strong> identitaire de<br />
l’indivi<strong>du</strong> <strong>postmoderne</strong>.<br />
L’architecture romaine de la demeure des O’Doorsey est f<strong>au</strong>ssée par la<br />
décoration <strong>et</strong> par la distribution fonctionnelle des pièces. L’atrium coexiste avec les<br />
«clichés de Walt Disney» (CC: 36), qui «garni[ssent]» (CC: 36) les murs de la<br />
chambre de Joe, le fils de Diran Zarian, tandis que le bassin à l’antique côtoie les<br />
gadg<strong>et</strong>s de la civilisation contemporaine: télévision, ordinateur, robots, <strong>et</strong>c. La<br />
maison <strong>postmoderne</strong> se donne sur le mode de l’hétérogène, de l’amalgame de styles<br />
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