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Denisa-Adriana OPREA, Ethique au féminin et postmoderne du vide ...

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texte) <strong>et</strong> par l’absence de toute nostalgie. De fait, le <strong>postmoderne</strong> comprime l’espace<br />

<strong>et</strong> le temps, les dématérialise. Il vit dans l’inconscience d’un temps égal à lui-même <strong>et</strong><br />

dans un «here» qui est en réalité un «nowhere» (CC: 135; en anglais <strong>et</strong> en italique<br />

dans le texte), un «everywhere», une a-topie. En revanche, pour Claire Dubé, la <strong>du</strong>rée<br />

<strong>et</strong> la mémoire sont essentielles. Si la première témoigne de la précarité <strong>et</strong> de la<br />

fragilité de l’être <strong>et</strong> <strong>au</strong>ssi, <strong>du</strong> fait même, de son humanité, la seconde le préserve de la<br />

dissémination identitaire <strong>et</strong> de la perte de soi: «[la mémoire], [c’]était peu, très peu.<br />

Infime. Et pourtant, c’était tout. Tout ce qui importait. Quand ce lien disparaît, il ne<br />

reste plus rien. La chaîne humaine est brisée. On ne s’aperçoit pas des failles, <strong>et</strong> peu à<br />

peu tout s’effrite, ne restent que des apparences, des images, <strong>et</strong> puis c’est la<br />

disparition» (CC: 137). Par la voix de Claire Dubé, la pensée féministe s’immisce <strong>au</strong><br />

cœur même d’un <strong>postmoderne</strong> amnésique <strong>et</strong> aphasique.<br />

Si déambuler dans les rues de Montréal donne lieu à un découpage de<br />

strates de mémoire personnelle <strong>et</strong> collective, rouler dans les rues de San Francisco<br />

équiv<strong>au</strong>t <strong>au</strong> dépaysement <strong>et</strong> à l’absurde. La topographie de la ville est labyrinthique.<br />

Le personnage est saisi dans un rése<strong>au</strong> entropique de routes, <strong>au</strong>toroutes,<br />

embranchements, sorties, sens interdits, culs-de-sac, <strong>et</strong>c. Préoccupé comme il est à<br />

déchiffrer les directions indiquées sur les panne<strong>au</strong>x de signalisation ou les sens des<br />

échangeurs, il ne peut pas s’inscrire dans l’espace, n’a véritablement pas de contact<br />

avec lui. Il y roule hébété, «comme un rat conditionné» (CC: 9). La structure<br />

enchevêtrée de la métropole – qui n’est pas la ville tentaculaire moderne, mais une<br />

ville spectrale, sans épaisseur – <strong>et</strong> les longues distances qui relient un point à l’<strong>au</strong>tre<br />

invalident pratiquement l’espace <strong>et</strong> le temps: «À la sortie de San Jose […] je me<br />

trompai d’embranchement. Il fallut passer par l’<strong>au</strong>toroute <strong>du</strong> Sud, roulant<br />

longtemps, interminablement, dans la nuée blanche des lampes à vapeur de mercure<br />

<strong>et</strong> de sodium, des tubes <strong>au</strong> néon, à l’argon, à l’hélium, qui s’allumaient partout,<br />

faisaient ressembler la fameuse vallée à la Voie lactée» (CC: 35).<br />

La ville <strong>postmoderne</strong> «apparaît souvent comme un texte donné à<br />

déchiffrer» (Horvath, 2003: 352). Panne<strong>au</strong>x <strong>et</strong> enseignes, néons <strong>et</strong> publicités<br />

sollicitent constamment le personnage. Loin de poser des indices <strong>et</strong> des points de<br />

repère, ce langage de la ville préside en réalité à l’errance <strong>et</strong> à la dématérialisation<br />

de l’indivi<strong>du</strong>. Repro<strong>du</strong>its à l’identique dans toutes les villes américaines <strong>et</strong> non<br />

seulement, les Wendy’s, Safeway, McDonald’s ou Liquor Store cessent d’être des<br />

signifiés identitaires. Ils minent <strong>et</strong> disséminent l’identité spatiale <strong>et</strong> indivi<strong>du</strong>elle.<br />

Être dans une ville <strong>postmoderne</strong>, c’est en réalité être hors-lieu, car «There is no<br />

there, there» (CC: 135, en anglais <strong>et</strong> en italique dans le texte). La textualité urbaine<br />

se fait plus dense <strong>et</strong>, implicitement, plus dépaysante <strong>et</strong> plus impersonnelle, à<br />

proximité <strong>et</strong> à l’intérieur des aéroports. Ils sont des non-lieux par excellence, car ils<br />

«n’opèrent <strong>au</strong>cune synthèse, n’intègrent rien, <strong>au</strong>torisent seulement, le temps d’un<br />

parcours, la coexistence d’indivi<strong>du</strong>alités distinctes» (Augé, 1992: 139): «De<br />

l’<strong>au</strong>toroute, je regardai une dernière fois les blancheurs de North Beach, les rues<br />

grimpant vers l’ouest, les gratte-ciel en miroirs, en acier inoxydable, en verre noir,<br />

où se reflétait le ciel sans nuages de la Californie. Au premier plan, les panne<strong>au</strong>x<br />

publicitaires: We got the Money, Bank of America is leading now. Accélérer, filer<br />

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