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PREFACE. J87
lus rehauflees Se recherchées , bien affifesën leur lieu par art Se non à fa voile , donneuy
nom de Poëte, Se non au verfificateur, compofeur d'Epigrammes, Sonnets, Satyres,
Elégies , Se autres tels menus fatras , où l'artifice ne fe peut eftendre : la fimple narration
enrichie d'vn beau langage , eft la feule perfedion de telles compofitions.
Veux-tu fçauoir , Ledeur, quandles vers font bons Se dignes de la réputation d'vn ex¬
cellent ouurierîSuy le confeil d'Horace:il faut que tu les dcfmembrcs Se defafTçmbles de
leur nombre , mefure Se pieds , que tu les tranfportes , faifant les derniers mots, les pre¬
miers^ ceux du millieu,les derniers. Si tu trouues après tel defaflemblement de la ruine
du baftiment, de belles &: excellentes paroles, &phrafes non vulgaires, qui te contrai¬
gnent d'enleuer ton efprit outre le parler commun; penfe que tels vers font bons Se di¬
gnes d'vn excellent Poète. Exemple des mauuais vers.
Madame en bonnefoy ie -vous donne mon coeur,
N'vfeT^point enuers moy s'il vous platfi de rigueur.
Efface c Se rigueur, tu n'y trouuerasvnfeul mot qui ne foit vulgaire ou triuial : Où
fitulisceux-cy,
Son harnoù ilendojje , & furieux aux armes
Profenditpar lefer vnfeadron de genfd'armes :
tu trouueras au defmembrement Se defliaifon de ces deux carmes,qui te feruent d'exem¬
ple pour les autres , toutes belles Se magnifiques paroles , ffarnoè , endojfe ,furieux , armes,
profendit,fer , feadron , genfd'armes. Cela fe doitfaire tant que l'humain artifice le pourra:
car bien fouuent la matière ny le fens ne défirent pas telle hauffeure de voix , Se principa¬
lement les narrations Se pourparlers des Capitaines , confeils Se délibérations es grandes
affaires, lefquelles ne demandent que parole nue Se fimple, Se l'expoûtion du faid : car
tantoft il doit eftre orné , Se tantoft non : car c'eft vn extrême vice à vn Orféure de plom¬
ber de l'or. Il faut imiter les bons mefnagers , qui tapiffent bien leurs fales , chambres Se.
cabinets,& non les galetas, où couchent les valets. Tu auras les conceptions grandes Se
hautes, comme ie t'ay plufieurs fois aduerti,& non monftrueufes ny quinteffencieufes
comme font celles des Efpagnols. Il faudroit vn Apollon pour les interpréter, encor il
y feroit bien cmpefché auec tous fes oracles Se Trépieds.
Tu n'oubliras les noms propres des outils de tous meftiers, Se prendras plaifir à t'en
enquerre le plus que tu pourras, Se principalement de la Chatte. Homère a tiré toutes
fes plus belles comparaisons de là. le veux bien t'aduertir, Ledeur, de prendre garde aux
lettres} Se feras iugemét de celles qui ontplus de fon,& de celles qui en ont le moins. Car
A,0, V, Se les confones, M, B, Se les SS, finiffants les mots, & fur toutes les RR,qui font
les vrayes lettres Héroïques , font vne grande fonnerie Se batterie aux vers. Suy Virgile
qui eft maiftre paffé en la compofition Se ftrudure des carmes : regarde vn peu quel bruit
font ces deux icy fur lafin du huidiefme de l'iEneide :
Vna omnes ruere , ac totumJpumare reduttis
Conuulfum remù , rofirùflridentibus aquor.
Tu en pourras faire enta langue autant que tu pourras. Tu n'oublieras auffi d'inférer
en tes vers ces lumières , ou pluftoft petites âmes de la Poëfie , comme ,
Italiam mettre iacens, ,
qui eft proprement vnSarcafme: c'eft à dire, vnemocquerie, que levainqueur fait fur
le corps nauré à mort de fon ennemy.
Etfratrem ne défèrejrater.
Etdulcesmoriens reminifeitur Argos.
Seminecéfque micant digiti ,ferrûmque retrattant.
Au refte, Lecteur, fiietevouloisinftruirc&t'informer de tous les préceptes qui ap¬
partiennent à la Poëfie Heroïque,il me faudroit vne rame de papier:Mais les principaux
que tu as leu auparauant,te conduiront facilement à la cognoiflance des autres. Or ve¬
nons à nos vers communs de dix à onze fyllabcs,lefquels pour eftre plus courts Scprettcz,
contraignent les Poëtes de remafeher Se ruminer plus longuement: & telle contrainte
en méditant &rcpenfant,fait le plus fouuent inuenter d'excellentes conceptions, riches
paroles Se phrafes clabourées : tant vaut la meditation,qui par longueur de temps les en¬
gendre envn efprit melancholique, quand la bride de la contrainte arrefte& refraint la
première courfe impetueufe des fureurs Se monftrueufes imaginations de l'efprit , à l'e¬
xemple des grandes riuieres qui bouillonnent, efeument Se fremittent à l'entour de leurs
remparts : ou quand elles courent la plaine fans contrainte , elles marchent lentement Se
parefleufement ; fans frapper les riuages ny d'efeumes ny de bruit. Tu n'ignores pas, Le-1
deur,qu'vn Poëte ne doit iamais eftre médiocre en fon meftier , ny fçauoir fa leçon à de-j
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