Grands aménagements urbains et prise en compte des ...

Grands aménagements urbains et prise en compte
des préoccupations sécuritaires :
Actions et réactions à Lyon
RAPPORT DE RECHERCHE
PLAN URBANISME, CONSTRUCTION ET ARCHITECTURE
Sous la direction de Jacques COMBY
Mise en forme Bernard GAUTHIEZ
Equipe : Unité Mixte de Recherche UMR 5600 EVS
CNRS, Université de Lyon
Lyon, Janvier 2010
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Table des matières
Le présent document constitue le rapport final de l‟étude, dont les attendus et les objectifs sont
rappelés en introduction.
Il regroupe huit contributions organisées chronologiquement en deux parties principales,
correspondant au XIXe siècle et à la période des dernières décennies. Un exposé sur les notions et
concepts a été placé après l‟introduction, de façon à cadrer la façon dont la recherche a été envisagée
sur le plan scientifique.
L‟ensemble montre que la question générale de la sécurité est décomposable en de multiples facettes,
et ne saurait se résoudre à l‟approche unique de l‟ordre public. Les points de vue sont aussi variés, en
particulier si l‟on considère tous les groupes sociaux impliqués, habitants, usagers, élus, techniciens,
mais aussi riches, pauvres, marginaux. Avec la difficulté que dans nos sociétés, en règle générale, tout
n‟est pas dit, ni par les aménageurs, ni par les politiques, ni par les plus pauvres, pour des raisons qui
tiennent à la discrétion nécessaire à la réussite de certaines opérations (rue de la République), à
l‟avantage à ne pas diffuser une information qui pourrait susciter de l‟opposition, ou tout simplement à
la difficulté d‟accéder et de comprendre les textes administratifs et à l‟impossibilité de s‟exprimer. De
sorte qu‟on est en permanence confronté à la difficulté de faire la part des choses entre projets
affichés, mesures en place et leurs effets réels, et réalités sociales visées. Il semble en effet qu‟on soit
là au cœur de la gestion politique des villes.
pp. 5-6 : Introduction : Rappels sur la proposition retenue
7-12 : J. Comby - Réflexions sur quelques notions et concepts au croisé des
représentations
XIXe SIECLE :
13-51 : B. Gauthiez - La rénovation urbaine au centre de Lyon au XIXe siècle, une
histoire en trois phases
53-61 : E. Romanet-da Fonseca - La place Bellecour, espace symbolique et
aménagements à Lyon au XIXè siècle
63-87 : A.-S. Clemençon - « Ignobles tavernes et lieux crapuleux de débauche » La
sécurité dans la politique urbaine des Hospices civils de Lyon
1960-2010 :
89-95 : J. Bonnet - Elément de diagnostic : la part Dieu et Confluence
96-113 : Ch. Chemin - Pratiques sécuritaires et grand ensemble d‟habitat social : un
urbanisme à l‟épreuve des faits ? L‟exemple de la Ville Nouvelle à
Rillieux-La-Pape
114-140 : J. Comby - La prise en compte des dimensions urbaines de la
sûreté/sécurité à Lyon : jouissance paisible et/ou partage des
espaces collectifs (le cas des « Berges du Rhône »)
141-177 : I. Méliani - Le parc urbain, la sécurité et l‟usage : La pluralité des
représentations au cœur des parcs lyonnais
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Rappels sur la recherche
Les lignes qui suivent constituent un rappel des éléments essentiels de la proposition de recherche. Les
questionnements en référence à la problématique sont mobilisés dans les développements et peuvent
être consultés dans le détail dans la proposition initiale.
I – 1. Questionnement général
Evolution des questionnements et des jeux d‟acteurs dans la prise en compte des préoccupations
sécuritaires dans les grands aménagements urbains à Lyon, depuis le Second Empire.
Transformations du comportement des usagers. Des immeubles aux quartiers et aux espaces verts,
centre, faubourg, banlieue, dans l‟agglomération lyonnaise.
I – 2. Eléments essentiels de la problématique
La question de la sûreté urbaine est une question ancienne, mais posée de façons probablement très
différentes selon les moments et les contextes. Une recherche portant sur des contextes historiques
particuliers doit en effet aider à comprendre et situer les questionnements actuels relatifs à la sûreté, de
même qu‟à mieux identifier les secteurs et les jeux d‟acteurs d‟où elle pourrait être absente à des titres
divers.
Lyon et son agglomération, qui capitalisent des expériences historiques et actuelles particulièrement
riches, ont été retenues comme terrain d‟étude. L‟agglomération lyonnaise offre en effet autour des
thématiques des risques urbains, de la sûreté, de la prise en compte des préoccupations sécuritaires, un
champ d‟étude scientifique marqué par un siècle et demi de politiques hygièno-sécuritaires souvent
très volontaires. Aujourd‟hui encore les « politiques globales de sécurité » conduites dans
l‟agglomération constituent un laboratoire d‟analyse des pratiques. Celles de la prévention
situationnelle notamment pour laquelle Lyon a fait office de référence avec la mise en place d‟une
Commission de la Prévention situationnelle qui a vocation, selon les décideurs lyonnais, à servir
d‟exemple et d‟expérimentation et qui doit contribuer à débloquer des situations figées depuis la loi
d‟orientation du 21/01/95 dont le décret d‟application n‟a jamais vu le jour. Cette forte implication,
explique le soutien de la ville de Lyon au projet proposé.
Conjointement les multiples projets de rénovation et/ou restructuration urbaine récemment réalisés ou
en cours facilitent le suivi du fil conducteur historique de l‟étude qui prend source dans
les grandes percées haussmanniennes du XIXème.
I - 3. Une étude fondée sur trois sous thèmes
La recherche est conduite à partir de trois sous thèmes de recherche confiés à trois équipes, dont les
passerelles servent d‟apport respectif aux questionnements de chacun et à la problématique
d‟ensemble. Si le choix a été fait pour des raisons de mise en ordre pratique de lecture du projet et
pour faciliter le travail des équipes de recherche de distinguer : étude historique, étude des pratiques
actuelles et étude des parcs et jardins, les trois thèmes s‟inscrivent dans une même problématique et
suivent le même fil conducteur. On parlera en ce sens de l‟étude des moments où l‟espace est produit,
selon quelles préoccupations et projets, quelles représentations plus ou moins explicites, selon quelles
connaissances et/ou appropriation des problèmes. L‟étude de l‟histoire lyonnaise du XIX siècle a
aujourd‟hui, des moments et par là des contextes et des situations « réelles », aux échelles variables du
territoire urbain, des enjeux, des choix et décisions politiques, doit permettre de mieux évaluer les
singularités supposées ou réelles de ces situations « historiques » (au sens le plus large). Les discours
des acteurs, en particulier, (politiques, concepteurs, gestionnaires, techniciens, policiers), explicites et
implicites, mis en regard avec les formes urbanistiques, architecturales et sociales produites, dans le
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détail de leurs dispositifs (éclairage, réseaux, mobilier urbain, espaces verts, voirie…), permettront de
saisir dans quelle mesure l‟aménagement urbain ou l‟architecture sont déterminés et dans quelle
mesure par des considérations de l‟ordre de la sûreté, selon les contextes notamment historiques mais
aussi, de manière plus générale, au-delà des contextes historiques. En ce sens l‟analyse doit servir
également à identifier les éventuelles ruptures et continuités dans la prise en compte implicite ou
explicite de la dimension sécuritaire des aménagements par les acteurs et concepteurs des réalisations,
et dans les pratiques urbaines ? La réflexion privilégiera les frontières variables dans la ville et les jeux
d‟échelles impliqués, des bâtiments aux quartiers, entre les domaines privés et publics, entre les
responsabilités collectives de la sûreté et les perceptions individuelles de la sécurité.
En résumé, il semble que l‟étude de réalisations « étagées » dans le temps depuis le milieu du
XIXe siècle, une période où les questions de sûreté ont eu une grande importance, parfois sur des
plans un peu oubliés aujourd‟hui comme celui de la sécurité sanitaire, ou à la portée fortement
atténuée comme celui de la violence politique, permet de souligner les singularités éventuelles sus
évoquées mais aussi soit à même de donner des éclairages importants et significatifs pour aborder les
enjeux actuels. Dans cette logique les quartiers et les immeubles seront étudiés aussi sous l‟angle de
leur adaptation postérieure jusqu‟à nos jours, en vue d‟identifier les nouveaux dispositifs de sûreté qui
leur ont été appliqués et les contextes historiques, techniques et intellectuels dans lesquels ces
transformations ont été effectuées, ceci du XIXe siècle à l‟actuel (volets études historiques et des
pratiques actuelles, et sur des cas d‟espèces particuliers volets parcs).
L‟autre aspect important de la question est celui de l‟effet réel des dispositifs relatifs à la
sûreté, et en particulier à la sécurité. Si l‟impact de l‟environnement est incontestable quelle est la
mesure réelle de cet impact ? Ne faut-il pas éviter de tomber dans un déterminisme excessif de type
spatialisme, voire localisme. Quelles sont les limites « techniques » de cet apport, quelles sont celles
imposées par les jeux d‟acteurs.
La traduction méthodologique de ces questionnements partagée par les trois sous thèmes explique la
part importante de l‟analyse accordée dans chacun d‟entre eux au repérage des acteurs, à leur rôle, aux
discours explicite et implicite autour des projets et à leur traduction dans les projets réalisés, enfin et
surtout aux situations « réelles ». Afin de conforter la synergie entre les équipes, le groupe a mis en
place des séances de travail régulières (en moyenne bimensuelle) consacrées à la présentation par
l‟une des équipes de l‟avancement de ses travaux et à son évaluation critique par les partenaires, et au
recadrage éventuel de la problématique générale. Le but de ces séances a été aussi de fédérer le travail
sur chaque thème à partir des premiers résultats obtenus par les différentes sous équipes.
Conjointement, avec les mêmes objectifs et à des fins d‟acquisition de connaissances (au sens le plus
large), trois séminaires avec les professionnels ont été organisés en début de la recherche, auxquels a
participé l‟ensemble de l‟équipe de recherche : (annexe 1).
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Jacques COMBY, Université de Lyon, UMR 5600 Environnement, Ville, Société
Réflexions sur les notions et concepts en jeu :
Sécurité, Sûreté
La formulation de pistes de recherche autour des thèmes « sécurité » et « sûreté » n‟est pas simple si
l‟on tient compte de l‟ampleur des champs considérés qui peuvent s‟associer à ces deux termes.
Travailler à leur intersection semble compliquer encore un peu plus la tâche. Les deux termes ont une
base commune, le latin. Le terme latin est la sécurité, le terme francisé est la sûreté. L‟expérience a
montré, dans le cadre de cette étude, que les acteurs eux-mêmes étaient demandeurs d‟un
questionnement sémantique. Une attente quasi générale s‟exprime sur un besoin de définition
traduisant un langage commun pour permettre « au moins » de mieux communiquer. On peut pourtant
se demander si chercher un langage commun, normalisé, est bien raisonnable, voire dangereusement
réducteur au risque pour chacun d‟emprunts ou de compromis qui donnent le sentiment de se sentir un
peu à l‟étroit. On notera, il est vrai, que les entretiens sur la question montrent dans bien des cas une
certaine gêne tant dans la formulation d‟un concept pour chacun des termes que dans la distinction qui
en est faite. On peut donc admettre dans cette recherche d‟une définition commune, l‟avantage d‟une
fin de mise en ordre ou ce même chacun pourra éventuellement se reconnaître et/ou trouvera un rôle à
jouer, voire celui qu‟on lui attribue. Il n‟est pas certain pour autant que les dimensions opérationnelles
en soient renforcées.
Il n‟a pas été choisi de chercher à donner une définition aux termes évoqués mais plutôt d‟évaluer la
mobilité de concepts et notions que certains qualifient parfois d‟ambigus, dans leur trouble pour les
définir. La démarche permet encore de souligner les difficultés de communication entre les domaines
de compétence, difficultés associées, entre autres, au poids des logiques internes (au sens le plus large
des déterminants qui les conditionnent).
La proposition nécessaire et très utile formulée par le bilan de l‟appel d‟offre PUCA donne un point
d‟appui intéressant à l‟analyse. Selon les termes employés et pour rappel :
« Il semble désormais bien admis que le mot « sûreté » permet de distinguer, dans le champ de la
sécurité des biens et des personnes, tout ce qui touche à la jouissance paisible et au partage des espaces
collectifs (la sûreté serait donc aujourd‟hui « un élément » du champ de la sécurité). On peut ainsi
l‟opposer aux matières qui font depuis longtemps l‟objet de réglementation et de normes incontestées
(sécurité incendie, défense contre certains risques naturels, par exemple..). Ce qui caractérise la sûreté
est qu‟elle ne peut être efficacement traitée comme un objet en soi. Elle fait le lien entre des cultures et
des compétences professionnelles diverses. En ce sens, la prise en compte de la dimension urbaine de la
sûreté doit pouvoir faire la synthèse de connaissances aujourd‟hui réparties entre des logiques encore
cloisonnées. Compte tenu de cet aspect protéiforme du concept de sûreté, la consultation s‟adressait aux
chercheurs d‟horizons différents et complémentaires : sociologie, droit, histoire, science politique,
géographie, anthropologie urbaine, architecture ».
Si la plupart des entretiens réalisés montrent que le concept de sûreté est en effet reconnu, entre autres
protéiforme 1 et que la distinction envisagée entre sécurité et sûreté est, avec des nuances assez bien
acceptée sous cette forme, elle fait aussi apparaître sans grande surprise, qu‟au delà d‟un discours
normalisant les interprétations qui en sont faites relèvent d‟un langage beaucoup moins partagé, ou
tout au moins ambigu 2 . En forme d‟anecdote pour exemple (parmi tant d‟autres dans les entretiens)
certains gestionnaires de la sécurité interrogés sur le terme (sans que leur en soit nécessairement
demandé une définition) lui accordent un sens chargé d‟un fort poids historique que l‟on pourrait juger
réducteur de prime abord mais qui traduit surtout une acceptation du terme répondant plus simplement
de l‟une des formes de représentation possible : « Est-ce que ces termes (Sécurité-Sûreté) sont
porteurs de légitimité ?
1 L‟idée renvoyant au besoin d‟interdisciplinarité.
2 Quand bien même aucune véritable contre-proposition en la matière n‟est-elle systématiquement formulée.
7

Quelle étiquette allons-nous avoir si on nous associe à la sûreté? Ce terme renvoie à une autre époque
le XIXème siècle, ou la sûreté était attachée à une fonction très policière, où la sûreté c’était la Police
nationale. Le terme est très connoté police ». On est loin ici de la référence à l‟idée de jouissance
paisible. Si l‟on fait référence à l‟histoire, en d‟autres temps et ce n‟est pas récent (en cela les esprits
peuvent en être marqués), on sait que la notion de sûreté était en effet associée au maintien de l‟ordre.
Rome 3 , par l'empereur Auguste, a été pionnière en établissant en Gaule une force publique chargée de
la « sûreté » des villes et des campagnes introduisant le maintien de l‟ordre 4 .
Bien plus tard, pour aller vite, dans le cadre de l'ordonnance criminelle de 1670, l‟évolution de la
fonction des prévôts, des maréchaux 5 169 a vu leur pouvoir étendu à la sûreté aux grands chemins, à
prêter main-forte à la justice et empêcher les violences publiques (ibid, 2002). Enfin de l'édit du15
mars 1667 de Colbert, sous Louis XIV, avec la création du lieutenant général de police, en passant par
1944, où dans un contexte il est vrai très particulier, la police est devenue Sûreté nationale jusqu‟à la
loi du 10 juillet 1966 qui crée l'actuelle Police nationale, le terme sûreté a en effet très souvent flirté
avec ceux de maintien de l‟ordre. Sa gestion a donc été souvent policière et une affaire d‟Etat, même si
certains de ces traitements n‟étaient pas si éloignés, au moins de façon implicite et parfois plus, des
principes actuels de la situation préventionnelle. Pour exemple encore :
« en 1318, les meurtres étaient si fréquents aux abords du Châtelet que Philippe V "Le Long "ordonne
qu'une chandelle soit entretenue toute la nuit à la porte du palais, tandis qu'à la fin du siècle un fanal
était installé à la Tour de Nesle, à l'entrée de Paris » 6
On sait que les premiers arrêts du parlement concernant l'éclairage public à Paris datent du XVIème
siècle (en 1524 et en 1558 notamment). Ils imposaient « aux bourgeois » une chandelle et son entretien
à leurs frais à leur fenêtre 7 . La Reynie nommé au poste de lieutenant général de police en 1667, va
renforcer la réglementation de la police sur ce sujet (entre autres). Madame de Sévigné s‟en satisfait
visiblement quand elle écrit : « Nous trouvâmes plaisant d'aller ramener Madame Scarron, à minuit, au
fin fond du faubourg Saint Germain fort au delà de Madame Lafayette, quasi-auprès de Vaugirard
dans la campagne…Nous revînmes gaiement à la faveur des lanternes dans la sûreté des voleurs » (Op.
Cit., 2008). Les Athéniens, aussi, « prirent des précautions contre les périls nocturnes et chargèrent un
certain nombre de citoyens de faire le guet » 8 . Aujourd‟hui le terme de sûreté a apparemment disparu
pour qualifier l'organisation et la mission des services de sécurité publique (notamment gérer la
malveillance), mais pour combien de temps ? Ce glissement sémantique n‟est pas unique et semble
s‟opérer en sens inverse sous d‟autres horizons. En effet si ce terme a disparu du vocable des
organisations de police, il est marqué par un fort renouveau pour qualifier les politiques et stratégies
de réduction des risques sur les territoires. Selon E Chalumeau, chez les opérateurs non étatiques il
connaît un grand succès pour désigner toutes les politiques de prévention et de réduction et de gestion
des risques à caractère intentionnel de l'incivilité au terrorisme ; soit la malveillance. En complément
de la définition proposée par PUCA celle d‟E. Chalumeau ouvre d‟autres perspectives d‟interrogation.
Selon lui (mais aussi d‟autres) un consensus chez les opérateurs s‟est installé sur la distinction
fondamentale entre sûreté et sécurité : la Sûreté « va désigner des risques qui sont à caractère
intentionnel, la malveillance sera le comportement d'un individu mais en dehors du strict cadre et du
respect des procédures » (d’E. Chalumeau, entretien 2008).
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Sans entrer dans les détails on notera que l‟on trouve, bien avant encore, le souci de la sûreté et les prémices
d‟une gestion policière de la question. Sous la République, les Romains avaient déjà confié le maintien de l'ordre
à des magistrats « des édiles veillaient à l'entretien des édifices et à la propreté des rues et des lieux publics. Ils
réprimaient le luxe, l'ivrognerie et avaient une juridiction particulière sur les femmes de mauvaise vie ; ils
avaient la police des funérailles, celle des vivres et celle des spectacles » (Hunter Virginia J., 1993, Policing
Athens, Social Control in the Attic Lawsuits, Princeton University Press, Princeton, NJ).
4
LARRIEU Louis (général), Histoire de la maréchaussée et de la gendarmerie des origines à la Quatrième
République, Maisons-Alfort/Ivry-sur-Seine, Service historique de la gendarmerie nationale/Phénix éditions,
2002, p. 3.
5
Leur premier rôle était d‟être à la suite des troupes, recevoir les plaintes et empêcher les désordres des gens de
guerre.
6
Defrance Eugène, 1912, Histoire de l’éclairage des rues de Paris, Archives de la Bibliothèque Nationale.
7
Maréchal Henri, 1894, L'éclairage à Paris.
8
Thucydide (env. 460-395), 2000, La guerre du Péloponnèse, Folio, Poche.
8

La sûreté urbaine désigne donc tous les moyens de réduire, prévenir et contrôler les risques qui sont
liés à la malveillance.
« La sécurité ne désigne pas la malveillance mais elle désigne des risques qui sont propres au même
d'un établissement ou d'une organisation. Ce sont des risques qui sont générés par le fonctionnement
(sécurité incendie, sécurité au travail, risque industriel sont dans le registre de la sécurité c'est-à-dire
des risques qui sont provoqués par l'organisation ou l'établissement lui-même). La sûreté renvoie à un
type de risque qui sont les risques de malveillance intentionnel » (d‟E Chalumeau, entretien 2008). On
ne s‟arrêtera pas ici sur les recoupements avec la proposition de PUCA (même si certaines nuances
mériteraient d‟être faites), ni sur les justifications très intéressantes de l‟auteur du glissement d‟un
terme vers l‟autres (E. Chalumeau, 2007, on y reviendra dans un chapitre suivant). L‟un des intérêts de
cette définition est qu‟elle ouvre de nouvelles perspectives aux questionnements en faisant référence
au terme risque. Elle marque en effet un « moment » important dans l‟approche de la délinquance qui
s‟est manifestée dans les années 90 (environ 1995 « moment » sur lequel on reviendra, là encore). La
prévention de la délinquance considérée jusqu‟alors comme un fait de société suppose désormais une
approche du « risque délinquance », de manière plus générale du risque sociétal. On notera en premier
lieu que si les termes de sécurité et sûreté sont distingués ils ne diffèrent peut-être pas tant qu‟il y
paraît puisqu‟ils sont tout deux associés à la notion de risque. Par ailleurs, l‟introduction du terme
permet de bénéficier de la réflexion engagée sur ce thème depuis plusieurs années. Elle confirme
l‟idée qu‟au-delà d‟un consensus de forme, les représentations varient beaucoup d‟un domaine de
compétence à un autre et qu‟en la matière l‟interdisciplinarité ne va pas de soi. Sans explorer
l‟ensemble du champ des questionnements sur ce thème on notera quelques pistes qui méritent
analyse. Si l‟on se réfère par exemple à la définition dominante des risques la malveillance serait donc
le produit d‟un aléa par la vulnérabilité (R = A x V), l‟aléa étant le malveillant et la vulnérabilité, ce
terme trouble et encore mal (ou tout au moins très diversement) défini, associé aux enjeux. Cette
définition n‟est pas sans poser de problème puisque si le risque est un « tout » elle renvoie pourtant à
deux domaines de compétence distincts (celui de l‟aléa et celui de la vulnérabilité) ce qui, entre autres,
ne facilite pas le partage entre des domaines aux cultures fort différentes. Dans tous les cas et quelle
qu‟en soit la définition le risque renvoie à l‟idée d‟incertitude. En effet si la catastrophe est avérée le
risque est une potentialité. C‟est bien là toute la difficulté qui s‟oppose aux gestionnaires et à tous ceux
qui souhaitent réduire cette incertitude. Le parallèle conduit encore à penser que gérer la sécurité c‟est
donc, comme pour le risque, faire un scénario, c‟est rendre visible l‟invisible. On comprend en cela
que la gestion de la sécurité et, entre autres, la prévention situationnelle, ne possèdent pas de recette
miracle. En la matière les scénarii sont multiples et les formes dominantes qu‟ils prennent dépendent
beaucoup des acteurs qui les proposent. On prendra alors le « risque » de considérer que comme le
risque, la sécurité et/ou la sûreté n‟existent pas en soi et qu‟elles sont avant tout le produit d‟une
représentation, celles des populations à l‟évidence mais aussi celles des « dits » acteurs. L‟analyse des
représentations en cours et de leur construction, voire de leur instrumentalisation, n‟est en ce sens pas
sans intérêt. La délinquance n‟étant plus considérée comme un fait de société mais comme un risque,
son approche pourrait être sujette à des dérives bien connues dans l‟approche des risques de types
fonctionnaliste et normative et plus ou moins sectorielles. En outre alors que la question de la sécurité
devrait être intégrée au projet urbain, elle risque de devenir (elle est déjà devenue ?) une question en
soit, un « objet » parmi tant d‟autres. Ainsi ces dérives et le cloisonnement disciplinaire des approches
peuvent redonner à la notion de sûreté une valeur d‟objet que le consensus sur sa dimension
protéiforme visait à effacer (voir définition PUCA). Ne peut-on pas distinguer la tentation de réduire à
un objet le concept de sûreté dans certains projets de concepteurs (architectes, urbanistes, paysagistes,
etc..), n‟est ce pas une crainte souvent évoquée face aux pratiques spécifique des gestionnaires de la
sécurité aujourd‟hui acteur aussi de la sûreté? Le manque de partage dans la définition de la prévention
situationnelle (voir thème suivant) à la française mais aussi chez les anglo-saxons (entre gestionnaires
de la sécurité et concepteurs) en est il pas une autre traduction ?
La question fait déjà débat.
Ces premiers constats sur une des formes de « la situation actuelle, voire réelle », montrent l‟intérêt
d‟un état des lieux en la question. A l‟évidence au delà du discours convenu des acteurs sur les
concepts l‟appropriation qui en est faite est très influencée (entre autres) par des logiques internes
(pratique, logique d‟action, etc..), des « cultures » très différentes. Ces logiques internes constituent
souvent, par ailleurs, un rempart entre le discours des « élites » sur le concept et le sentiment des
9

acteurs de terrain de manière générale. En l‟état, qui méritera des compléments d‟analyse dans la suite
du projet, il semble donc nécessaire de ne pas conférer à une définition particulière une place trop
hégémonique. Les définitions de la sûreté et/ou de la sécurité relèvent beaucoup, comme pour le
risque, d‟une économie des représentations 9 où se croisent discours explicites et définition implicites.
On peut se risquer à les évaluer mais la mesure de la rationalité manque (et ce n‟est pas un cas
d‟espèce) de critères universels, voire représentatifs. Ce trouble face à la
171 rend troubles d‟autres questions qui s‟y réfèrent. Ainsi la question centrale du programme PUCA
qui est de savoir ce qui change dans la gouvernance des villes, sous la pression de la demande de
sûreté s‟en trouve nécessairement chargée d‟ambiguïté. Quel constat concret peut-on faire de «
l‟emprise de la demande sécuritaire » ? Notamment, où trouve-t-elle son fondement et ses sources,
qu‟en est-il du sentiment de sécurité et/ou du besoin de sûreté ? Qu‟en est-il du besoin réel d‟accroître
la sûreté et le sentiment de sécurité. Qu‟en est-il des parts respectives du vécu et de son
instrumentalisation ?
Au-delà de la dimension polysémique des concepts qui renvoie au besoin incontestable de
pluridisciplinarité dans les projets (une des sources éternelles de constat de la multiplicité des
représentations) la recherche d‟une meilleure compréhension des situations concrètes (ici des
représentations effectives) conduit à prendre en compte leur complexité dans le temps comme dans
l‟espace (au sens le plus large) (Coanus T, Comby J, 2003) :
- En terme d‟histoire urbaine par exemple, d‟histoire de l‟aménagement de l‟espace, du besoin
d‟éléments de compréhension à propos de la réceptivité (forte ou plus faible) des populations
aux messages de prévention, par exemple.
- En terme de « système d‟acteurs » et parmi ces acteurs de ceux qui posent la question de la
sûreté voire gèrent la sécurité. Parallèlement les processus de décision, la circulation des
informations au sein des réseaux d‟experts et l‟existence d‟une certaine étanchéité soulignée
dans le rapport PUCA entre certains de ces réseaux, sont autant d‟objets potentiels d‟analyse,
ou tout au moins de réflexion, qui semblent essentiels. Ce sont les situations dans leur
ensemble (dont avec : les populations, les acteurs du projet urbains, les gestionnaires, les
chercheurs,…) qui doivent ici faire l‟objet d‟investigations approfondies.
C‟est un des objectifs de cette étude qui, devant l‟ampleur de la tâche, ne prétend pas atteindre à une
exploration exhaustive et ne traitera que quelques éléments du sujet en rapport à un cadre spécifique,
l‟agglomération lyonnaise.
Prévention situationnelle
Les entretiens montrent là encore, dans le prolongement logique des remarques précédentes, que les
termes restent équivoques pour les acteurs et que des nuances très sensibles se dessinent d‟un acteur à
l‟autre. Rien d‟étonnant si l‟on retient la remarque de E Chalumeau (entretien 2008) « la prévention
situationnelle n'est qu'une dimension de la sûreté ». On fera référence à quelques critères
d‟évaluations pour l‟illustrer.
Historicité
On ne reviendra pas sur les origines du concept et les principes qui y sont associés, largement décrits
par les auteurs. On notera cependant que la connaissance précise de ces origines reste relativement
confidentielle (élites) et que sa traduction est souvent disciplinaire. Chez les élites averties urbanistes
elle renvoie aux origines de l‟école de sociologie et chez les gestionnaires de la sécurité elle est plus
souvent située en comparaison, voire en pendant, des approches criminologiques anglo-saxonnes. Une
vision plus globale « interdisciplinaire » est dans la majorité des cas, pas totalement absente mais au
moins défaillante. En dehors d‟un cadre restreint d‟élites, elle se traduit par l‟idée plus ou moins
concernée et précise que l‟on se fait de la prévention situationnelle « dite » à la française, ceci tant
dans son domaine de compétence que dans celui des autres. Dans tous les cas et comme chacun le sait
le concept manque encore d‟assise en France, chez les concepteurs où on assiste à l‟émergence de
principes fondateurs pas nécessairement partagés, chez les gestionnaires de la sécurité qui sont encore
9 Coanus T, Comby, 2003, Doc interne CNRS UMR 5600 EVS, axe de recherche « Risque et Territoire », 11 p.
10

à la recherche d‟une « méthodologie » (même si depuis 2007, la politique de l‟Etat en la matière «
facilite » la réflexion méthodologique (on y reviendra en troisième partie). Dans les deux cas
cependant il semble bien que l‟on assiste à une tentative de construction de la PS à la française (en
tous les cas au moins revendiquée) qui se distingue dans la pratique, sous des formes sensibles, des
méthodes anglo-saxonnes.
Diversité
Cet état historique de la question explique pour partie que la notion varie beaucoup dans ses
définitions en fonction des acteurs et en fonction des domaines de compétences. Dans la pratique cela
se solde par une prise en compte dans les différents domaines de compétence très variable (plus ou
moins forte) et selon des entrées qui varient beaucoup (notamment et logiquement en fonction de
l‟interprétation d‟autres notions ou concepts associés tel que sûreté et sécurité). Il conviendrait encore
d‟ajouter la vision des experts en sûreté (on entendra ici le consultant spécialiste de la sûreté, défini
comme un acteur représentatif d‟un nouveau métier), là aussi variable, même si les écrits d‟E
Chalumeau constituent une référence en la question à laquelle nous renverrons de manière plus
générale 10 . De manière plus radicale, la PS oppose aussi des formes de vision plus politique du
problème, pour l‟exemple (non isolé) :
« l‟approche en terme de prévention situationnelle, est un mauvais angle d‟attaque. Les vrais
problèmes sont d‟ordre social, la prévention situationnelle traduit une action typiquement
française consistant à s‟attaquer aux conséquences visibles plutôt qu‟aux causes réelles des
problèmes (sociaux, économiques, chômage…) » (entretien 2008, propos d‟un gestionnaire
non sécurité, Ville de Lyon).
Le concept peut même apparaître totalement déplacé, voire sans « objet » au regard d‟une certaine idée
de la dynamique urbaine (chez certains urbanistes notamment, et ce n‟est pas dans les deux cas un
élément d‟information très nouveau et spécifique à Lyon, on y reviendra).
Partage
C‟est une notion relativement peu partagée, au delà des formes d‟interprétations variées qui en son
faites, si le terme est systématiquement évoqué chez les initiateurs et spécialistes de la sécurité, la
place qu‟il lui est accordée chez les concepteurs varie beaucoup et dans l‟ensemble à Lyon n‟apparaît
pas toujours prégnante dans les préoccupations (en lien avec la remarque précédente). Elle apparaît
beaucoup moins partagée que d‟autres dans le projet urbain et notamment les projets de rénovation
urbaine (urbanisme environnemental à Lyon par exemple, pour Gerland, Confluence voire les Berges).
Elle ne constitue pas en soit un levier pour un projet politique chez de nombreux urbanistes 11 . Cette
absence de partage contribue à en faire une notion très (trop ?) centrée sur elle-même dans le projet
urbain. Elle est parfois ressentie chez les concepteurs comme un territoire réservé aux compétences
techniques, notamment de gestion de sécurité. Elle peut paraître dans ce cas une préoccupation
disproportionnée (même si justifiée par des contraintes), parfois idéalisée (même si ce dernier cas n‟est
pas nécessairement réservé aux seuls gestionnaires).
Pluridisciplinarité
Au regard des remarques précédentes et si, comme on l‟a évoqué pour la sûreté, les dimensions
polymorphes du questionnement sont reconnues, la pluridisciplinarité qu‟elle impose dans les
pratiques opérationnelles, est rendue très difficile. Le problème est souvent renforcé par un manque de
connaissance réciproque. En somme, rien de bien nouveau sur cette question. Comme on l‟a déjà
10 Chalumeau E, Imbert F, Roux P, 2007., L’irruption de la sécurité dans les pratiques d’urbanisme et de la
construction, Edition Recherche du Puca, 95 pages.
11 Ce n‟est pas pour autant systématique. Au cours des entretiens plusieurs urbanistes et aménageurs ont souligné
leur intérêt pour la réflexion des auteurs connus sur ce sujet (Landauer. P., 2009, 2008) et les projets
architecturaux et/ou urbains qui ont fait de la PS une entrée forte, voire très forte.
11

évoqué les expériences difficiles dans la construction de l‟interdisciplinarité sur le thème du risque ont
montré que si elle était nécessaire elle ne va pas de soi. Les raisons en sont multiples : manque de
disponibilité, contradiction entre un discours politique qui l‟encourage et des réalités internes qui la
sanctionnent (évaluation des résultats internes, carrières, ..), méconnaissance réciproques, etc. En cela,
si les interprétations varient elles n‟opposent pas pour autant des versions qui pourraient être estimées
objectives à d‟autres envisagées peu rationnelles. Il semble, en référence à la question première
évoquée, que la recherche de la construction d‟un langage commun soit une entrée bien compliquée et
que sans occulter la question, il conviendrait mieux de développer l‟apprentissage mutuel des langages
de chacun. Ce premier constat est dans une large mesure illustré par les premières investigations
conduites sur le projet « berges du Rhône »
12

Bernard GAUTHIEZ, Université de Lyon, UMR 5600 Environnement, Ville, Société
Cette étude aborde la question complexe de la sécurité à un moment important de l‟espace lyonnais,
lorsqu‟il est décidé de recomposer la partie centrale de la ville. Les objectifs sont divers, et incluent
une forte dimension sécuritaire. Il s‟agit de l‟une des phases de transformation de la ville les plus
actives, voire violentes, mais l‟apparence des faits et des discours ne se laisse pas réduire à une réalité
simple. Certes, le peuple est une menace, mais il est aussi l‟une des composantes essentielles de la
puissance économique lyonnaise. Et les conditions d‟hygiène présentent une autre menace, pour tous,
que les actions menées vont fortement réduire.
La rénovation urbaine au centre de Lyon au XIXe siècle,
une histoire en trois phases :
1. Première partie : La rue de la République à Lyon : de l‟insurrection populaire au centre
d‟affaires, 1854-57. Poursuite de la rénovation 1858-64
2. Deuxième partie : urbaniser pour les populations déplacées, 1855-64. Une ville éphémère
3. Troisième partie : les déplacés rattrapés par la rénovation, nouveaux déplacements, 1885-
1900. Une rénovation urbaine tue
PREMIERE PARTIE :
La rue de la République à Lyon : de l‟insurrection populaire au centre
d‟affaires, 1854-57. Poursuite de la rénovation 1858-64
La formation et la transformation de l‟espace physique des villes ont beaucoup été étudiées sous
l‟angle de l‟histoire de l‟art, de l‟histoire des techniques et de celle de la façon de penser la ville
comme objet et sujet politique. Une part importante a été donnée à l‟examen des projets
architecturaux, qu‟ils soient réalisés ou non, et aux discours publics, justifications politiques ou
argumentations des concepteurs 12 . L‟historiographie lyonnaise est par ailleurs abondante sur la
question ouvrière et en particulier les insurrections des Canuts (Rude 1944, 1982 ; McDougall 1974),
mais les ouvrages généraux n‟évoquent que de façon rapide et allusive les questions sociales, et en
particulier le rapport de la société à son espace (par exemple Kleinclausz 1925 ; Dutacq 1978 ; Bayard,
Cayez 1990 ; Pelletier et al. 2007). A lire les nombreux travaux portant sur la rue de la République
(nommée rue Impériale à sa création), on a l‟impression qu‟on est face à une œuvre d‟aménagement
haussmannienne dont les attendus sont bien connus : accès de la troupe, circulation, air et lumière,
ordre esthétique exprimant l‟ordre politique et économique. Le lien avec les insurrections ouvrières de
1831 et 1834 n‟est guère développé. Le concret des réalisations, plus difficile à aborder, caractérisé
par une complexité rendant la question des sources difficile, est une dimension dont l‟exploration peut
apporter des éclairages nouveaux sur les processus à l‟œuvre et, un aspect qui sera particulièrement
abordé ici, le rapport entre discours public et motivations effectives.
La question de la sûreté urbaine s‟impose ici comme au cœur des préoccupations des politiques et des
techniciens chargés de l‟aménagement urbain.
En quoi donc les questions de sûreté/sécurité ont-elles eu une telle place dans les opérations que nous
allons aborder ? Si certains aspects apparaissent comme d‟une grande évidence, notamment, pour la
percée de la rue de la République, l‟enjeu de sécurité politique, c‟est certes parce que les sources
permettent de le dire, les circonstances historiques l‟imposant. Cependant, comme souvent, l‟examen
12 La bibliographie sur le sujet est vaste. Sur Lyon, citons Bertin, Arlaud 1991 ; Bertin, Mathian 2008, Bruston
1980 ; voir aussi sur l‟aspect sociologique et politique Gravejat et al. 1980.
13

attentif des préoccupations à l‟esprit des décideurs montre que de multiples facteurs ont agi et ont été
pris en compte, à des niveaux d‟importance différents, chacun contribuant pour une petite ou grande
part à la configuration finale de l‟aménagement. De plus, le projet a été nourri au cours de sa
conception, et même probablement de sa réalisation, de considérations nouvelles, ayant émergé lors
des réflexions amenées par la confrontation au concret.
L‟objectif ici n‟est pas d‟écrire une énième histoire du percement de la rue de la République (en plus
des histoires générales de Lyon citées ci-dessus, voir Dutacq 1929 ; Leonard 1961 ; Bruston 1980 ;
Bertin 1991-1994 ; Gauthiez 1999), mais de l‟envisager, au vu des sources déjà connues mais aussi
d‟enquêtes contemporaines méconnues, sous les angles croisés de la nature sociale de l‟espace
concerné et des questions de sécurité. En effet, si les enquêtes statistiques et empiriques sur la pauvreté
urbaine se multiplient dans la seconde moitié du XIXe siècle, souvent avec des objectifs
philanthropiques et sociaux (Pinol 1991, 56-7 ; Palski 1996), celles de Lyon en 1841 et 1853 ont pour
vocation principale de nourrir l‟action publique dans le domaine de l‟ordre.
Trois niveaux de sécurité (on emploiera ici ce mot comme synonyme de sûreté, dans un sens étendu)
sont présents dans l‟opération Rue de la République : l‟inquiétude relative au contexte géopolitique
lyonnais, l‟immédiate question ouvrière, la mise en œuvre du projet d‟aménagement.
L‟inquiétude relative au contexte géopolitique lyonnais : Lyon n‟est plus
dans Lyon ?
Le développement de l‟agglomération de Lyon est très rapide pendant les décennies 1820-50. On
construit comme jamais, la ville s‟étend, son économie s‟enrichit. Cependant, la municipalité
lyonnaise vit de plus en plus mal, jusqu‟en 1852, la situation qui se développe. Une part certes
importante de l‟investissement immobilier concerne le territoire communal de Lyon, en particulier,
passée la phase d‟utilisation des terrains libérés par les Biens Nationaux, sur les pentes de la colline de
la Croix-Rousse au nord et vers le sud dans le quartier d‟Ainay, entre le cours de Verdun et l‟ancienne
ville. Vers 1830, on avait décidé du lotissement de la presqu‟île au sud du cours de Verdun (l‟actuel
quartier dit Confluence), mais avec un succès très mitigé (Lapeyre-Uzu 2005). Ces secteurs, en dehors
du dernier, enclavé et excentré, sont saturés dès les années 1840. En fait, l‟essor de l‟urbanisation est
plus rapide, et progressivement plus intense, sur les territoires des communes entourant Lyon, et en
particulier celui de La Guillotière, qui couvre toute la rive gauche du Rhône face à Lyon. Sa
population approche les 50 000 habitants au milieu du XIXe siècle 13 , avec une croissance rapide. Elle
se présente aux contemporains comme le territoire d‟avenir de la ville, ce qui d‟ailleurs se confirmera
par la suite. L‟organisation de ce très vaste espace est l‟objet de nombreux projets ambitieux, comme
celui de l‟ancien voyer Crépet, publié en 1845, qui prévoit de fait 300 000 habitants à terme entre le
Rhône et la ceinture de fortifications établie de ce côté à partir de 1830 (Crépet 1845) 14 . La localisation
de la gare de desserte de Lyon est l‟occasion d‟âpres discussions à la fin des années 1840. Si le cours
de Verdun est finalement retenu, on prévoit tout de même une halte en rive gauche. Là aussi, l‟avenir
est à La Guillotière.
De ce point de vue, le rattachement des communes de La Guillotière, de la Croix-Rousse, de Vaise et
de St-Rambert à Lyon, le 24 mars 1852, est un progrès. Il avait été souhaité depuis les années 1830 par
les édiles de la commune centre, fusse selon des modalités de régime différentes 15 . Il a cependant
d‟autres objectifs, tout aussi importants dans l‟esprit de l‟empereur, qui touchent à la sécurité dans
l‟agglomération, sécurité qui nécessite la mise en cohérence de l‟action de la police sur l‟ensemble du
territoire de la ville (Saunier 1992). Cet objectif était déjà poursuivi dans la loi du 19 juin 1851, qui
donnait au préfet du Rhône des compétences de préfet de police sur 13 communes formant
l‟agglomération de Lyon, à laquelle sont agrégées celles concernées par le rattachement plus quelques
autres comme Villeurbanne, Vénissieux, Vaulx-en-Velin, auparavant dans le département de l‟Isère et
13 43 524 habitants en 1851.
14 On compte dans ce même espace près de 280 000 habitants en 1911 (Cayez 1990).
15 Voir la discussion en conseil municipal en 1849, Revue de Lyon, n° 1, 1849-50, p. 148.
14

attachées à cette occasion au département du Rhône. Dans le règlement de police du 17 septembre
1851, il est clairement spécifié qu‟une « partie de leur service (des agents)… consistera à dissiper les
attroupements, à arrêter les perturbateurs et à envelopper comme dans un réseau les groupes formés en
vue d‟une émeute ou d‟un désordre » (Saunier 1996).
Un autre problème reste pendant. Au contraire, il a tendance à s‟aggraver. Le conseiller de préfecture
Paret en fait une claire synthèse en 1846, lorsqu‟il évoque la « population qui tend chaque jour à
s‟éloigner » 16 . Non seulement l‟urbanisation est très dynamique autour de la ville ancienne, mais en
plus ses élites en fuient la partie la plus centrale pour des quartiers plus aérés, modernes, et moins
chers. La tendance longue est nettement défavorable au centre-ville habité par des populations
pauvres. Tant que l‟urbanisation périphérique concerne des industries et des populations
principalement ouvrières et de faible niveau social, pas de raisons de s‟inquiéter, ou, plutôt, un certain
ostracisme reste possible (Saunier 1996), mais de plus en plus une part de la bourgeoisie s‟établit sur
l‟autre rive du Rhône.
Lyon ville crasseuse
A ces considérations s‟ajoute la honte provoquée par le regard des visiteurs étrangers, sans pitié pour
la fierté lyonnaise. On en parle depuis longtemps, par exemple dans une lettre de 1823 : « c‟est
principalement dans la mauvaise saison, que se fait sentir le besoin d‟avoir la voie publique balayée et
nettoyée. La malpropreté de nos rues, quais et places frappe les étrangers qui visitent la ville » 17 , ou
encore dans un texte de 1845 : « à l‟aspect de ces rues ténébreuses, les étrangers fuient notre cité et
vont lui faire une fâcheuse renommée » (Pontmartin 1845) 18 . C‟est peut-être Dickens qui, en 1846
dans ses Voyages en Italie, exprime la réaction la plus forte 19 . L‟enjeu économique est ici très présent.
L‟immédiate question ouvrière : un centre devenu foyer d‟insurrection
A Lyon, on assiste à partir de la fin du XVIIe siècle, et de plus en plus nettement dans le courant du
XVIIIe, au développement de quartiers bourgeois et aristocratiques en périphérie du centre ancien,
alors que les populations aisées résidaient de façon prépondérante, auparavant, au cœur de la ville de
part et d‟autre du pont de Saône. C‟est dans d‟autres lieux que les nouveaux quartiers, autour de la
place Bellecour au sud et de l‟hôtel de ville au nord, que l‟urbanisation se développe au XVIIIe siècle.
Dans le même mouvement, l‟investissement immobilier et les populations aisées désertent
progressivement les quartiers anciens du centre, où, dès le XVIIIe siècle, l‟habitat populaire et ouvrier
domine largement, comme en témoignent les événements de 1743 (Zeller 1990) et la disparition des
parcours civiques au coeur de la ville au profit d‟itinéraires passant le long des berges de la Saône à
partir de 1719 et du Rhône à partir de 1737 (Zeller à paraître). Ces itinéraires sont non seulement
l‟expression d‟une volonté de faciliter la circulation au pourtour de la ville (faute de pouvoir intervenir
16
Rapport d‟enquête publique sur le percement de la rue Centrale, 2 juillet 1846, AML 321 WP 53.
17
AML 686 WP 0020.
18
En revanche, on n‟en parle pas, mais ce n‟est guère surprenant, dans les guides édités à Lyon, par exemple
Combey, Charavay 1847. Voir aussi Chambet, Des améliorations dont la ville de Lyon est susceptible ; projets
d’y retenir l’étranger, etc., Lyon : chez l‟auteur, 1852.
19
Dickens 1846: “What a city Lyons is! Talk about people feeling, at certain unlucky times, as if they had
tumbled from the clouds! Here is a whole town that is tumbled, anyhow, out of the sky; having been first caught
up, like other stones that tumble down from that region, out of fens and barren places, dismal to behold! The two
great streets through which the two great rivers dash, and all the little streets whose name is Legion, were
scorching, blistering, and sweltering. The houses, high and vast, dirty to excess, rotten as old cheeses, and as
thickly peopled. All up the hills that hem the city in, these houses swarm; and the mites inside were lolling out of
the windows, and drying their ragged clothes on poles, and crawling in and out at the doors, and coming out to
pant and gasp upon the pavement, and creeping in and out among huge piles and bales of fusty, musty, stifling
goods; and living, or rather not dying till their time should come, in an exhausted receiver. Every manufacturing
town, melted into one, would hardly convey an impression of Lyons as it presented itself to me: for all the
undrained, unscavengered qualities of a foreign town, seemed grafted, there, upon the native miseries of a
manufacturing one; and it bears such fruit as I would go some miles out of my way to avoid encountering again”.
15

en son milieu, du fait du coût) et de mise en scène urbaine, mais aussi de dissocier nettement les
espaces des élites de ceux des classes populaires.
L‟accessibilité du cœur de la ville est donc déjà une question de sécurité au XVIIIe siècle. De
multiples aménagements tendent dans un premier temps, on l‟a vu, à en faciliter les abords et à en
permettre le passage sans la traverser, avec des quais nouvellement établis et des ponts dont le nombre
est fortement augmenté aux XVII-XVIIIe s. Les conditions du siège de 1793, quand les armées de la
Convention doivent réduire la ville insurgée, conduisent les autorités parisiennes à ordonner la mise en
oeuvre d‟un large quai le long de la Saône, déjà envisagé auparavant et pouvant permettre, le cas
échéant, l‟accès des troupes jusqu‟au pont de la Saône, au cœur de la ville, mais pas encore sur la
presqu‟île qui en constitue la partie principale, le pont ancien restant très étroit. Plus de 120 immeubles
sont détruits à cette occasion pour former ce qui sera appelé le quai de la Convention (actuel quai de
Pierre-Scize), dans la continuité de la route de Paris. En parallèle, on détruit des maisons des élites
anti-révolutionnaires. D‟une certaine façon, on assiste déjà là à une rénovation urbaine, mais antibourgeoise
et anti-royaliste.
Un peu plus tard, dans les décennies 1820-40, la construction de la préfecture à l‟emplacement des
Jacobins sur la presqu‟île, puis du palais de justice sur la rive de la Saône à la même hauteur, tous
deux reliés par une passerelle, constituent déjà une tentative d‟établir les forces de l‟ordre au plus près
des quartiers centraux.
Les événements de 1831 et 1834 découlent assez logiquement de la situation telle qu‟elle avait évolué
depuis plusieurs décennies. La concentration ouvrière devient extrême dans le cœur de la ville (et non
pas seulement à la Croix-Rousse), quartiers d‟où les élites ont largement fui et où les propriétaires
tirent profit des immeubles en les morcelant de plus en plus. Les valeurs foncières y restent en effet
assez élevées et ne reflètent qu‟assez peu le niveau social des habitants. Les loyers y sont relativement
accessibles pour de très faibles salaires, mais pour de très faibles surfaces, un prix au mètre carré élevé
et donc une très bonne rentabilité 20 , d‟autant que, les données sur les autorisations de construire en
témoignent, le niveau d‟entretien est bas. Le développement de l‟industrie du textile, principalement la
soierie 21 , est intense dès le XVIIe siècle et la concentration ouvrière dans la ville est tôt très
importante, avec des densités d‟habitants à l‟hectare atteignant 2000 pour certains îlots (Gauthiez
1996 ; fig. 1-densités par îlot). A l‟occasion de circonstances économiques sur lesquelles il n‟est pas
lieu de revenir, les ouvriers finissent par s‟emparer du centre de la ville. L‟insurrection des Canuts en
1834 a été cartographiée par un agent du ministère de l‟Intérieur (fig.2-insurrection 1834) 22 . On lit en
légende les terrains tenus par les Rouges et les Bleus, les barricades et les points forts des ouvriers
(églises St-Nizier et St-Bonaventure) et des forces de l‟ordre (hôtel de ville au nord, préfecture au
sud). La ville est reprise par la troupe au prix de plusieurs centaines de morts, pas seulement des
ouvriers puisqu‟on en compte 139 parmi la troupe. On échappe de peu à de nouvelles émeutes en
1851.
Dès lors, la question de l‟aménagement du centre de Lyon occupe l‟esprit des décideurs, tant on craint
la répétition de la révolte des Canuts. Il s‟agit des ouvriers de la soierie qui ont donné leur surnom à
l‟insurrection, mais bien d‟autres ouvriers étaient impliqués, notamment de nombreux maçons
limousins, logeant souvent dans des garnis 23 . De nombreux ouvriers étaient aussi venus de La
Guillotière. Le gouvernement craint le développement d‟événements similaires à Paris.
20 Bruston parle d‟une rentabilité très élevée de 17% (Gravejat 1980, 251). Voir Daumard 1965 sur Paris.
21 Mais on cite aussi plusieurs rouenneries dans l‟enquête de 1853 (AML 925 WP 70).
22 Carte publiée dans Bertin, Arlaud 1991, fig. 22, cf. AML 2 S 732. Il s‟agit d‟un exemple très précoce de
cartographie sociale, qui ne devient en France un « instrument privilégié de la recherche et de l‟action
administrative et politique que dans les années 1940 » (Saunier 1997).
23 Plus de 700 dans ce quartier selon l‟enregistrement devenu obligatoire dans les garnis (Ochandiano 2008, 24-
39).
16

Figure 1 : densité par îlot au centre de Lyon en 1840 (Gauthiez, 1996, fig. 8).
17

Figure 2 : Carte de l‟insurrection ouvrière de 1834 (B. Gauthiez).
C‟est probablement cette crainte qui conduit en 1841 à la réalisation, non sans hostilité de la part de la
population 24 , d‟un recensement par la préfecture dans toute la ville 25 . Il détaille, appartement par
appartement, les possibilités d‟accueil d‟hommes de troupe. Sa vocation est donc probablement de
disposer d‟une connaissance très fine du terrain de façon à, en cas de besoin, répartir au milieu des
ouvriers mêmes les forces de l‟ordre. Il faut dire que le tissu bâti lyonnais, où les immeubles sont
parcourus d‟allées de desserte communicant souvent d‟une rue à l‟autre (les traboules), est
particulièrement propice à la guérilla urbaine. Ces traboules, en particulier celles dont avait usé
l‟insurrection, sont soigneusement portées sur la carte des événements de 1834. Le recensement de
1841 est par ailleurs un document d‟une exceptionnelle précision sur l‟occupation du bâti. On y
précise, niveau par niveau et local par local (appartements pour les logements) les activités et leur
valeur locative, le nombre de pièces des appartements et leur valeur locative, la composition des
ménages occupants 26 . Il est possible d‟en tirer une cartographie très fine, immeuble par immeuble,
notamment du nombre de pièces habitables par habitant ou de la densité de population par hectare (cf.
fig. 1) 27 . Ces cartes font très nettement ressortir les secteurs de plus grande pauvreté au centre de la
ville (fig. 3-Nombre d‟habitants par pièce habitable). La corrélation entre grande pauvreté et territoire
insurgé de 1834 est très grande.
24
ADR 4 M 231.
25
AML 921 WP 205/206/207/208/209 pour la partie centrale de Lyon. Analyse et exploitation partielles dans
Gauthiez 1999.
26
Ce faisant, il anticipe sur la circulaire du 5 mai 1856 qui instaure la feuille de ménage pour les recensements
nationaux (Fijalkow 1998, 97).
27
Cette cartographie n‟a pas été faite à l‟époque, cf. remarque note 10. Sur l‟histoire de la cartographie
statistique voir Palsky 1996.
18

Figure 3 : Nombre d‟habitants par pièce habitable en 1840, une cartographie de la pauvreté (B.
Gauthiez 1996, fig. 13)
La grande ville industrielle : autres questions de sécurité
A ce tableau sur le contexte de l‟agglomération et du monde ouvrier dangereux (on ne se posera pas la
question ici des causes de cette dangerosité), il faut ajouter d‟autres considérations qui n‟ont
probablement rien de très spécifique au cas lyonnais, et qu‟on ne fera donc que rapidement passer en
revue.
19

Il s‟agit tout d‟abord du développement des techniques relatives à l‟hygiène dans les villes. Lyon n‟est
pas en retard sur ce point. On voit le Département multiplier commissions et enquêtes pour connaître
et suivre la situation médicale, les épidémies, la prostitution (Dumont 1844 ; Monfalcon 1845 ;
Monfalcon, Polinière 1846 ; Conseil d‟hygiène… 1851 ; Rougier, Polinière 1851). Une nouvelle
organisation départementale est mise en place à cet effet en 1849 (Potton 1849). Il faut noter aussi que
la taille des fenêtres est à Lyon très tôt très grande par rapport à la superficie des façades. Si l‟on avait
au XVIIIe siècle eu tendance à en réduire la proportion, les immeubles nouveaux témoignent à partir
des années 1840 d‟un grand souci de dispenser beaucoup de lumière.
On connaît quelques maisons de tolérance dans le quartier de la future rue Impériale, renseignées par
le recensement et l‟enquête de 1853, mais il ne semble pas que ce soit un problème massif (Potton
1842 ; Rey-Robert 1997). Elles sont bien plus nombreuses à la Croix-Rousse et à La Guillotière. Tout
juste se préoccupe-t-on des lycéens et enseignants du lycée qui pourraient être concernés par les
maisons présentes rues Henri et Mulet 28 . Les maisons des environs de l‟impasse St-Charles posent
aussi quelque souci. Dardel, architecte de la ville, en parle comme du « plus affreux et… malsain
quartier de Lyon », et d‟en chasser « des métiers honteux » 29 . On n‟est il est vrai pas loin de l‟hôtel de
ville.
L‟épidémie de choléra de novembre 1853-octobre 1854 fait 249 morts à Lyon, mais les victimes sont
peu nombreuses dans la partie centrale de la ville 30 (Bottex et al. 1851 ; Rousset 1965). Ces victimes
sont nettement, pour le quartier, localisées dans les rues les plus pauvres (comme rues Noire, Grolée,
Confort, Raisin).
L‟endiguement des cours d‟eau progresse, d‟une part parce que l‟urbanisation s‟étend et que la limite
doit être clairement tracée entre domaine voué à la construction et espace de l‟eau, dans une tradition
active à Lyon, ne serait-ce que par les grands travaux amorcés à la fin du XVIIIe siècle (Gauthiez
1995), d‟autre part parce que les inondations sont perçues comme de plus en plus insupportables. Celle
du Rhône en 1844 est très importante. Elle sera suivie par un événement plus grave encore en 1856.
Les conséquences économiques, avec le développement industriel et la colonisation rapide d‟espace
aisément urbanisables mais inondables, sont de plus en plus lourdes pour un événement de même
ampleur (Combe 2008).
De plus, la ville ne reste pas inactive devant la situation du centre-ville. Morand avait dès la fin du
XVIIIe siècle suggéré la réalisation d‟une voie nord-sud à même de mieux relier la place des Jacobins
et l‟hôtel de ville, tant les communications au centre étaient mauvaises dans ce sens hormis les quais 31 .
En effet, la plupart des rues anciennes ont une orientation est-ouest. Cet axe, dit rue Centrale, devient
d‟autant plus utile qu‟on a placé la préfecture précisément place des Jacobins. Il fait l‟objet d‟un
„traité‟ entre la ville et deux architectes, Benoît Poncet et Amédée Savoye en 1846, puis d‟un
deuxième avec Benoît Poncet seul en 1847. La rue est ainsi établie en deux parties, la première entre la
rue de la Draperie et la place des Jacobins (rue de Brest), la seconde entre la place St-Nizier et la place
St-Pierre (rue Chenavard). Cette percée bénéficie d‟un prix de rachat au mètre carré de la rue nouvelle
élevé, constituant de fait une subvention, et du fait que Benoît Poncet sait manier l‟argent avec une
grande dextérité. De fait, il conserve même plusieurs parcelles où il finance et élève au total plus d‟une
dizaine d‟immeubles, augmentant sa fortune au passage. Les appartements des nouveaux immeubles
sont rapidement investis par une clientèle bourgeoise et des commerces souvent luxueux. La nouvelle
rue est donc une grande réussite financière pour l‟investisseur (Gauthiez 1999, 42-46). Une autre
opération de rénovation, celle du secteur de la boucherie des Terreaux, est menée à partir de 1844,
mobilisant des capitaux privés et des terrains principalement municipaux. Elle permet la suppression
de l‟une des rues les plus pauvres d‟après le recensement de 1841, la rue du Bessard 32 .
Ces réalisations restent en marge du quartier difficile, mais leur réussite permet d‟envisager d‟autres
percées plus ambitieuses.De fait, dès 1844, on envisage un axe reliant la place de la Comédie (l‟opéra
actuel) à la place des Cordeliers. La technique retenue est celle de l‟alignement, à savoir que chaque
28 Rapport de l‟inspecteur des mœurs Fangier au secrétaire général de la police, 19 février 1852, ADR 4 M 508.
29 Rapport à Vaïsse, maire de la ville, 18 février 1854, AML 321 WP 172.
30 Bulletin récapitulatif à produire après la cessation de l’épidémie, ADR 5 M 170. Voir aussi 5 M 172.
31 AML 3 SMO 208/2, 1764, publié dans Forma urbis 1997.
32 AML 321 WP 159-160-161.
20

sur le nouveau tracé est tenu de respecter l‟alignement imposé et de verser en voirie une partie du
terrain concerné, contre rachat. Un immeuble seulement est construit sur le nouveau tracé selon ces
conditions, en 1849 33 . Dans la pratique, la méthode ne comporte aucun risque financier pour la
municipalité, mais elle ne permet pas d‟envisager un achèvement rapide (ni même un achèvement tout
court) de la voie, ce qu‟avait bien compris Paret en 1846 34 . Elle sera abandonnée comme outil de
rénovation urbaine, mais subsiste dans les documents d‟urbanisme jusqu‟à nos jours pour élargir les
rues.
Cependant, l‟amélioration des quartiers ne conduit pas nécessairement à celle des conditions du
logement ouvrier, même dans les nouveaux immeubles. Le médecin Potton exprime ses doutes :
« […] pour faciliter les communications, et surtout pour assainir, dit-on, des quartiers étroits, mal
construits, malpropres, on perce, à Lyon, des rues nouvelles, on ouvre d‟autres passages ; la ville
détermine le diamètre de ces voies, leur direction, et livre, sans autre surveillance, la construction des
maisons à des entrepreneurs qui ne se préoccupent plus que du produit qu‟ils pourront tirer de leur
spéculation. La cherté des terrains fait supprimer les cours, ou ne permet d‟établir que des cours trop
étroites, dont la création devient, pour la salubrité, plus nuisible d‟avantageuse. Cinq, six étages
d‟élèvent au-dessus des boutiques, des entresols, où la circulation de l‟air pur, de la lumière, est
incomplète. Ce sont de véritables bâtiments négriers, nous disait un jour un observateur ; on ne
s‟applique qu‟à la solution d‟un problème : Entasser le plus possible d‟habitants dans le plus petit
espace donné ».
[…] L‟air ne circule plus ; altéré, il ne se recompose pas, il ne reçoit plus les principes vivifiants dont il
a besoin. Les habitants sont nécessairement les victimes d‟un pareil état des choses.
Autrefois, les rues, en général, étaient tortueuses, moins larges, à la vérité, mais les appartements étaient
plus spacieux, les maisons étaient moins hautes, il y avait compensation. Si, pour le coup d‟œil, pour
l‟élégance, pour les faits extérieurs, il y a progrès ; nous ne pouvons dire que le progrès existe
réellement dans les mesures hygiéniques qui président à l‟agencement des habitations.
[…] L‟air, la lumière, le soleil sont nécessaires aux hommes comme aux végétaux : sans ces principes
régénérateurs, les uns et les autres s‟étiolent, languissent, ne prennent jamais leur vigueur, tout leur
développement. Ces maisons monstrueusement hautes, dont on tolère impunément aujourd‟hui la
construction sur nos quais et sur nos places, seront, pour l‟assainissement des rues, des obstacles
insurmontables ; ces prétendus embellissements, ces prétendues améliorations des quartiers nouveaux
coûteront chers à la santé publique : ce sont des privilèges accordés à quelques-uns, au préjudice du plus
grand nombre » (Potton 1849, 120-2).
Morin, à propos cette fois des règlements de police de la ville, exprime une situation comparable, en
comparant une situation idéale à la réalité lyonnaise (Morin 1849):
« Il est des cités paisibles, tirées au cordeau, et qui sont vis-à-vis des autres ce que le rentier propre,
exact, compassé, est à la foule active et incessamment occupée. Là, point de bruits, d‟odeurs,
d‟embarras ; une famille occupe une maison, les rues ne sont jamais encombrées, toute industrie
suspecte est bannie. Telle n‟est pas la ville de Lyon ; chaque maison y est comme une cité à part où
toute une population est entassée ; un seul escalier, une cour petite et sombre desservent la communauté.
Quand cette population descend dans les rues pour ses affaires ou ses plaisirs, elle les remplit, elle les
encombre et de ses personnes et fardeaux, voitures ou attirails que nécessite la variété infinie des
professions et des industries. Ce n‟est pas tout ; notre ville n‟admet pas cette délicatesse qui ailleurs
chasse hors des murs une multitude de fabriques, non-seulement insalubres, mais tant soit peu
incommodes. Nous sommes obligés (c‟est notre constitution) de nous faire aux fumées noires, aux
buées humides et nauséabondes, aux flux d‟eaux tinctoriales, à toutes sortes d‟odeurs, de bruits,
d‟ébranlements. »
Les années 1840 voient aussi le développement à Lyon d‟actions relatives au patrimoine. Plusieurs
églises sont classées Monuments Historiques en 1843, et restaurées dans les années qui suivent, ainsi
St-Nizier et St-Bonaventure 35 (Mathian s.d.). Le cœur de la ville est aussi porteur, dans sa substance
33 Immeuble construit par l‟architecte Bissuel aux 29-31 rue Gentil, pour lui-même, AML 321 WP 107. Il en
naîtra un contentieux avec la ville, réglé par un traité du 24 septembre 1856, puisque la rue projetée n‟est en fait
pas réalisée à l‟endroit prévu à cette époque. Il subsiste aujourd‟hui une petite impasse devant l‟immeuble
Bissuel, rue Gentil, là où sa façade devait donner sur la rue.
34 Cf. note 5.
35 Les églises St-Nizier et St-Bonaventure, dans le quartier, avaient été endommagées lors de l‟insurrection de
1834 (Rude 1982).
21

âtie, d‟une part de l‟identité lyonnaise. Sa vitalité est donc un enjeu d‟identité, ce qu‟exprime très
fortement Vaïsse lui-même, en soulignant que « c‟est là qu‟est le vieux Lyon, le vrai Lyon […]. […]
la partie de la ville, à la fois, la plus centrale, la plus ancienne et la plus précieuse ». Il s‟agit d‟y
réorganiser les équipements publics, de « conserver les monuments », notamment en restaurant l‟hôtel
de ville qui, avec le palais St-Pierre, « portent, en quelque sorte, le caractère général de l‟architecture
lyonnaise » (Vaïsse 1853, 2 ; 9 ; 22). Le futur maire Gailleton donnera deux décennies plus tard un
autre sens politique à cette restauration de l‟hôtel-de-ville :
« La confiscation de l‟Hôtel-de-Ville par la Préfecture, en 1853, a été une mesure exclusivement
politique prise par le gouvernement impérial avec l‟intention patente et avouée de détruire à jamais
l‟autonomie communale et de supprimer pour toujours la mairie de la ville de Lyon. Remplacer le Maire
par un Préfet, le Conseil municipal par une Commission, était le premier acte de force ; on voulut se
mettre à l‟abri de toute idée de retour en installant en maître un étranger dans le palais municipal, et
pour que nul ne songeât à revenir sur le passé, on démolit la Préfecture et on traça des rues nouvelles sur
son emplacement.» 36 .
C‟est probablement la complexité de la situation et l‟ampleur des décisions à prendre qui conduisent
Napoléon III à décider enfin du rattachement des communes voisines à la ville centre (organisation de
le sécurité publique, cohérence de l‟aménagement), à nommer le 3 mars 1853 le sénateur Vaïsse,
conseiller d‟Etat et ancien ministre de l‟Intérieur (de janvier à avril 1951), comme maire de Lyon et
chargé conjointement de l‟administration du département du Rhône. Il sera peu après élevé au rang de
préfet en titre, avec des compétences comparables à celles de Haussmann à Paris. Les missions sont
aussi les mêmes, sans que le moyen de parvenir aux objectifs politiques soit défini initialement. De
plus, le terrain politique est à cette époque largement déminé, à la suite de mesures comme la
réorganisation de la police à partir de 1851, l‟instauration du contrôle des garnis, et les 840 arrestations
dans les milieux ouvriers dans le département du Rhône auxquelles on procède après le coup d‟Etat du
2 décembre 1851 37 .
La rue de la République : un grand bond en avant
Les données à notre disposition établissent clairement la situation devant laquelle les élus lyonnais et
le gouvernement ont à agir au milieu du XIXe siècle : un centre d‟insurrection, source potentielle
majeure d‟insécurité politique, et un secteur insalubre aux rues inadaptées à la circulation moderne, au
potentiel économique intéressant.
Cette situation présente cependant deux risques majeurs, de natures très différentes : quelle serait la
réaction des ouvriers en cas de lancement d‟une opération d‟aménagement ?, comment éviter l‟échec
économique ? A ces risques principaux, déterminants pour la réussite de l‟opération, s‟ajoutent les
préoccupations courantes de l‟urbanisme de cette époque et des registres d‟action bien connus, comme
l‟hygiène (adduction d‟eau, évacuation des eaux de pluie, l‟air et la lumière impliquant des rues
larges), la sécurité sur la voie publique (éclairage public, mobilier urbain, règlements sur les allées
d‟immeuble), la circulation (aménagements de voirie), le feu (règlements de construction). S‟y
ajouteront aussi, dans le cadre même du projet, de nouvelles considérations relatives aux égouts et à la
protection contre les inondations 38 .
Les sources permettent de clarifier nettement quels sont les discours portés par les différents acteurs, et
les enjeux de sécurités associés, pour chacun à son niveau.
36 AML 2 CM 35, Délibération du Conseil général du 30 avril 1879, p. 132. L‟ancienne préfecture fut démolie
lors de l‟ouverture de la rue de l‟Impératrice (actuelle rue du Président-Edouard-Herriot), vers 1859-60.
37 Les condamnations sont en fait bien moins nombreuses : 36 emprisonnements, 6 déportations en Algérie, 14
expulsions de France, 76 interdits de séjour à Lyon et surveillés, 66 en résidence surveillée à Lyon (McDougall
1974, 449-55).
38 L’Ingénieur en chef du Département, A. Jordan, dans un Rapport du 14 janvier 54 :
« Ce grand projet… permettrait encore de réaliser une importante amélioration pour la traverse de la route
impériale n°83 de Lyon à Strasbourg : cette traverse qui a son origine au pont de la Guillotière, suit les quais de
la rive droite du Rhône… Dans ses grandes crues le fleuve inonde cette traverse depuis le pont de l‟Hôtel-Dieu
jusqu‟à St-Clair et y interdit la circulation. De plus, l‟épaulement du pont Lafayette, sur cette rive, impose au
roulage l‟obligation de franchir une rampe et une contre-rampe… »
22

Régler un problème politique
L‟argumentaire politique nous est donné par deux documents. L‟un est une lettre du maire Vaïsse au
ministre de l‟Intérieur, en novembre 1853. Elle reprend des éléments d‟un rapport du maréchal de
Castellane, en charge de la garnison militaire :
Projet d’amélioration pour la ville de Lyon (extraits)
« Cet espace parfaitement central, réunissant les principaux établissements publics […] où se
concentrent avec une activité incessante le mouvement, la population, les affaires, est couvert de rues
étroites, tortueuses, de maisons hautes, sombres, malsaines, où ne pénètrent ni l‟air ni la lumière, entre
lesquelles la circulation est difficile, souvent impossible, presque partout impraticable aux voitures et au
roulage. Enfin, la place des Cordeliers et son voisinage, à cause des rues étroites et tortueuses de ce
voisinages et de ses longs passages a été, dans nos jours de crise, le champ de bataille habituellement
choisi par l‟insurrection. Le quartier général de la décision se trouvant à Bellecour, il est essentiel
d‟ouvrir une voie qui donne à l‟armée le moyen d‟arriver droit au cœur d‟un centre si dangereux.
De son point de départ à celui d‟arrivée sur la place Bellecour, la rue aura 1 076 mètres de longueur.
L‟ouverture de la rue doit amener d‟une manière plus ou moins immédiate la transformation de toute
cette partie de Lyon en y portant le mouvement, l‟air, la lumière et la santé. Elle chasse l‟émeute de ces
retranchements en substituant à des rues étroites et tortueuses des rues larges et droites, en tous temps,
accessibles à la force armée. Elle établit de plus une communication facile à garder entre l‟Etat major
général et l‟Hôtel de Ville destiné à devenir le siège de l‟administration départementale et communale.
Enfin, la rue Impériale donne au chemin de fer de Lyon un débouché indispensable en créant un moyen
direct de circulation entre le chemin et les quartiers des Terreaux et de Saint-Clair, les plus populeux et
les plus commerçants. »
Le deuxième est un rapport au même ministre rédigé par la Sûreté Générale de Lyon. Lui est
joint la carte évoquée plus haut (fig.2) 39 :
Exposé des raisons pour lesquelles l’Etat doit aider la municipalité pour construire la rue Impériale
(extrait)
« C‟est dans le quartier des Cordeliers qu‟on s‟est battu en 1831 et 1834. Une carte dressée à l‟Etat
major général de la division et que je joins à mon exposé montre qu‟à cette dernière époque, les
insurgés occupaient précisément tout l‟espace que doit traverser la rue Impériale. C‟est encore là, qu‟au
mois de décembre 1851 devait commencer l‟attaque si la promptitude des mesures prises par l‟autorité
militaire ne l‟avait prévenue. Ces circonstances font de la rue Impériale une rue véritablement
stratégique et de l‟ouverture de cette rue une opération qui doit contribuer puissamment à la sûreté de la
ville de Lyon L‟événement n‟a que trop prouvé, à diverses reprises, combien l‟état de Lyon pouvait
influer sur celui du reste de la France. Tout ce qui peut contribuer à y garantir l‟ordre, la tranquillité
présente donc un caractère d‟intérêt général qui appelle naturellement et expliquera toujours
suffisamment le concours de l‟Etat. »
Ces documents, parfaitement explicites et visant la mise en œuvre d‟une politique
d‟aménagement rétablissant l‟ordre public, sont confidentiels. L‟argumentation politique n‟est
clairement exposée que dans un cadre très étroit d‟échange entre le plus haut niveau
gouvernemental et la tête du pouvoir local, qui en est d‟ailleurs dans le cas présent
l‟émanation directe.
Dans la communication publique, les arguments sur lesquels on met l‟accent sont uniquement
ceux, qu‟on pourrait qualifier de techniques, de l‟hygiène, de l‟air, de la lumière, de la
circulation et de l‟esthétique. Il en est ainsi par exemple dans le rapport établi par l‟architecte
de la ville Dardel, déjà évoqué, du 3 janvier 1854, à destination de Vaïsse (extrait) :
« Ce projet porterait air et lumière dans les quartiers les plus affreux de Lyon, il permettrait de corriger
d‟une manière avantageuse toutes les rues débouchant sur la rue Impériale. Le massif Saint-Charles, le
plus affreux et le plus malsain quartier de Lyon, composé de remises, d‟écuries, d‟entrepôts, de
cabarets, de petites auberges, disparaîtraient en entier ainsi que les mauvaises rues qui l‟entourent. Ce
résultat serait aussi avantageux sous le rapport de la salubrité que sous celui de la bonne viabilité de la
police de la Ville en chassant du centre une population nomade et des métiers honteux »
39 Carte publiée dans Bertin, Arlaud 1991.
23

De même, dans la conclusion du rapport de la commission d‟enquête publique des 7-14
février :
« Considérant qu‟à côté de ces avantages qu‟elle promet comme résultat, l‟ouverture de la rue Impériale
présente, comme avantages immédiats, d‟assumer l‟existence d‟une nouvelle voie, belle, spacieuse,
distribuant de toutes parts l‟air et la lumière, dans une partie de la ville qui est restée comme elle était il
y a plus de deux siècles, dans un quartier disgracieux et par lequel l‟espace, l‟air et la lumière manquent
complètement, au grand préjudice de la salubrité publique » 40 .
On la retrouve inchangée dans les termes du Traité entre Monsieur Vaïsse, conseiller d’Etat et
Messieurs Benoît Poncet et Cie de la rue Impériale (CRI) pour l’ouverture de la rue
Impériale – Préfecture du Rhône –, le 15 février 1854 41 .
L‟argumentaire public n‟évoque pas la question pourtant centrale, de la sécurité publique
(Vaïsse 1853). La raison en est certainement la crainte de la réaction populaire possible. Que
feraient les ouvriers s‟ils avaient vent des attendus sécuritaires du projet ? Cette crainte
explique la très grande rapidité avec laquelle les opérations sont menées. Le dossier
d‟expropriation, subrogée par la ville à la CRI, est rondement mené, les évictions suivent, à
partir de l‟été 1854, en trois phases jusqu‟à l‟été 1855 (voir infra). Les locataires reçoivent des
indemnités qui facilitent probablement le processus 42 . Les démolitions commencent en
décembre de la même année. Au total près de 350 immeubles sont abattus, les derniers vers le
milieu de 1856 43 . Nous n‟avons pas d‟information sur la réaction des habitants concernés.
L‟enquête de 1853 sur l‟insalubrité des immeubles 44
Une indication du degré de préparation de l‟opération est donnée par l‟enquête menée avant la
fin 1853 à l‟initiative de Vaïsse 45 . Cette enquête est probablement à situer dans le contexte de
la loi du 13 avril 1850 qui permet de mettre en demeure les propriétaires de démolir et/ou
d‟assainir les immeubles insalubres, mais qui n‟a semble-t-il pas été utilisée ici, peut-être
parce que l‟insalubrité visée par la loi, principalement intérieure, celle des appartements, n‟en
fait pas un outil d‟urbanisme efficace (Fijalkow 1998, 86). Elle donne pour chaque corps de
bâtiment concerné par le projet d‟ouverture de la rue, au total environ 500, pour un périmètre
un peu plus large que celui qui sera finalement retenu, des informations très riches sur les
questions de sécurité :
- Etat du bâtiment : âge, état général, distribution
- Sécurité face à l‟incendie : présence de parties en bois, mention d‟une machine à
vapeur, matériau des toitures (en fait toujours la tuile, sans exception), points d‟eau
(rares)
- Eclairement : la „lumière‟ des textes contemporains : nombre de fenêtres, escaliers
bien ou mal éclairés
40 Signé Royé-Vial, Berger, Donnet, Morel, Burnety, Vaïsse, Murat, Michel.
41 Tous ces documents sont en AML 321 WP 173.
42 Je n‟ai pas trouvé d‟informations à leur sujet, mais pas trace non plus de protestations.
43 Le nombre d‟immeubles concerné est variable suivant les sources, du fait de la définition du mot (unité de
propriété, fonctionnelle, architecturale…). Ainsi, l‟expropriation porte sur environ 350 unités et le nombre de
283 est-il donné au CA de la CRI en 1857.
44 AML 925 WP 70.
45 La décision de percer la rue n‟est en effet pas prise avant l‟arrivée de Vaïsse à Lyon. L‟aire concernée est un
peu plus étendue que celle qui sera effectivement expropriée, ce qui montre qu‟on était dans une phase de
préparation du projet, au tracé non encore complètement arrêté. Il est cependant possible que l‟enquête soit un
peu plus ancienne et procède d‟une hypothèse de percement de la rue par injonction de démolir aux propriétaires
dans le cadre de la loi de 1850, mais c‟est peu probable, ou bien cette hypothèse de mode d‟action juridique a été
vite abandonnée
24

- L‟ordre public et social : présence d‟ouvriers, de maisons de tolérance, cafés, hôtels et
garnis, d‟ateliers, résidence du propriétaire et de bourgeois, rentiers et négociants
- L‟accessibilité : accès aux locaux, allées donnant sur une autre rue (les traboules
avaient eu un rôle important dans les événements de 1831 et 1834), état des escaliers,
raides ou faciles, galeries de desserte
- L‟hygiène : état de saleté, présence de puits avec pompe et précision sur la qualité de
l‟eau, importante relativement au choléra, notamment. L‟immeuble est presque
toujours qualifié de „salubre‟ ou „insalubre‟.
L‟enquête paraît avoir été menée avec beaucoup de soin, ce dont témoigne le fait que les
colonnes du tableau sont remplies d‟une façon assez constante, en conservant les mêmes
descripteurs. Cependant, les espaces les plus reculés sont moins décrits. On n‟évoque qu‟à
deux occasions les caves, pour les 3e et 5e immeubles du tableau, plus jamais ensuite. On eut
donc le projet de les visiter, vite abandonné. Les corps de bâtiments en fond de cour, et
surtout sur une deuxième voire une troisième cour, sont moins détaillés, parfois pas du tout.
Ce sont aussi en général les plus mal habités et les plus insalubres, et la sécurité du ou des
enquêteurs n‟y était peut-être plus aussi nette. On a vu supra dans ce secteur, d‟après le
recensement de 1841, des densités d‟occupation dépassant 1500 habitants à l‟hectare, et
même plus de 2000 pour l‟îlot entre les rues du Port-Charlet et du Plat-d‟Argent. Pas facile
pour un agent public de se sentir à l‟aise dans un tel contexte.
La cartographie de certains des descripteurs fait apparaître le très grand nombre d‟immeubles
considérés comme insalubres, où très souvent aussi habitent des ouvriers (fig. 4-répartition
des immeubles insalubres ; fig. 5- répartition des ouvriers). Le tableau d‟ensemble, très
documenté, laisse penser que la description de Dickens repose bien sur la réalité qu‟il a
rencontrée. Quelques immeubles conservés de cette époque dans le centre-ville de Lyon, non
détruits car en dehors des périmètres de rénovation successifs, illustrent encore la réalité que
ce document traduit.
Figures 4 et 5 : Enquête de 1853, répartition des immeubles insalubres et répartition des
ouvriers dans les immeubles du tracé de la rue Impériale/de la République (B. Gauthiez)
25

Le soulagement après l‟éviction des habitants
En revanche, l‟argumentaire développé par Vaïsse pour la passation d‟un deuxième traité avec
la CRI, devant la Commission Municipale en fin 1854, témoigne d‟un changement de ton
frappant. Nulle réserve dans ce texte qui parle de l‟avenir du centre de Lyon avec lyrisme,
comme si l‟épée de Damoclès de l‟insurrection ouvrière était levée, une fois la plus grande
partie des évictions effectuée. En voici quelques extraits (je souligne l‟une des phrases-clés) :
Commission municipale de Lyon – Traité avec la Compagnie de la rue Impériale pour l’exécution de
divers travaux d’utilité générale – Rapport de M. le Sénateur, chargé de l’administration du
département du Rhône :
« Quel étranger, visitant notre ville, n‟a été péniblement frappé, quel bon Lyonnais éprouvé une
patriotique confusion de voir que l‟on n‟arrive à la place des Terreaux, la place où se trouvent l‟Hôtel de
Ville et le Palais Saint-Pierre que par des rues, la plupart, étroites, obscures, sales et mal alignées ; qu‟il
n‟existe aucune concordance entre les alignements de la Place et ceux des rues qui l‟entourent ; que la
Place elle-même soit dépourvue d‟ensemble, de symétrie, de régularité ; que la grande et belle façade de
l‟Hôtel de Ville n‟eut pour pendant et pour vis-à-vis qu‟un massif de maisons, vieilles, mesquines, sans
élégance, sans caractère ?
Aujourd‟hui que nous nous occupons activement de restaurer l‟Hôtel de Ville, il faut que nous donnions
à ce Louvre lyonnais des abords, un entourage dignes de lui, dignes du passé dont il résume l‟histoire et
les souvenirs, du présent dont il figure la splendeur et la puissance. C‟est une nécessité plus grande
depuis que l‟Hôtel de Ville a été destiné à devenir le signe de l‟administration. Il faut qu‟il soit
facilement, en tous temps, accessible et par tous les côtés.
L‟ouverture de la rue Impériale et précédemment celle de la rue Centrale complétée par l‟élargissement
de la rue St-Pierre ont eu pour résultat de changer profondément les conditions matérielles et morales de
tout le réseau des rues avoisinant ces deux grandes artères et venant y aboutir.
L‟effet de ces dispositions [établissement d‟un marché couvert, reconstruction de massifs, reculement
de façades, etc.] est de […] mettre l‟Hôtel de Ville et les nouveaux quartiers de la rue Impériale en
communication, par une double et large voie, avec le riche quartier de la boucherie des Terreaux, des
rues d‟Algérie et de Constantine, avec les beaux quais d‟Orléans et Saint-Antoine, sur la Saône. [ ]
Les améliorations qui auront donné lieu à ces charges ne sont pas des dispositions de circonstance, mais
des améliorations durables dont l‟avenir profitera comme le présent. Ceux qui nous suivront trouveront
le même intérêt que nous à posséder des rues bien percées, larges et régulières, dans lesquelles la
circulation pourra s‟opérer facilement, où les habitations auront assez de jour et d‟espace pour être
claires, saines et commodes. Les établissements d‟utilité publique que nous créons, les eaux, les égouts,
les quais, les promenades sont autant d‟avantages dont ils jouiront ; il est de toute justice qu‟ils
contribuent aux sacrifices qui auront servi à les leur procurer.
Rappeler, conserver la vie et le mouvement dans le centre de la ville, empêcher que ce centre n‟arrive à
se déplacer c‟était servir en même temps les intérêts de toutes les parties de la ville que le déplacement
en eût éloignées.
Il fallait donc commencer par là ; mais, du centre, le besoin, l‟esprit d‟amélioration et d‟entreprise
rayonnent et se répandent de proche en proche ; déjà cet esprit d‟amélioration s‟attache aux Capucins,
au Jardin des Plantes, à la montée de la Croix-Rousse, aux quartiers de l‟ouest. Des projets se
combinent, se préparent, s‟étudient et c‟est ainsi que du centre à la circonférence, il n‟y aura bientôt
plus une seule partie de la ville qui ne participe au mouvement de transformation, d‟embellissement qui
tend d‟une manière chaque jour plus marquée, à faire de la ville de Lyon la seconde capitale de la
France par les belles et larges proportions de ses quais, de ses places, de ses voies de communication
[…]. »
Le moment de bascule, à partir duquel la question de la sécurité politique est réglée, n‟est en
fait pas le percement de la rue, à tort évoqué par Vaïsse dans ce rapport puisque les
démolitions n‟ont à ce moment qu‟à peine commencé, mais l‟éviction des habitants du
quartier à percer. On peut d‟ailleurs noter que la justification sécuritaire principale de la rue
Impériale (de la République) était d‟accéder aux lieux de l‟insurrection, mais qu‟en fait les
démolitions déplacent les insurgés potentiels et détruisent de fait une grande partie du quartier
concerné. Il n‟est peut-être pas neutre de ce point de vue que la partie la plus dense et pauvre
du secteur soit remplacée par une place, un espace vide. Les troupes peuvent maintenant
26

aisément gagner le quartier de l‟insurrection, mais il a été de fait supprimé, et une grande part
de ses habitants déplacée…
Les principales étapes de l‟opération 46 :
Novembre 1853. Atlas de plans présentant le projet de réaménagement de la ville de Lyon, par
Dardel, alors directeur de la voirie de Lyon. Projets modifiés par la suite (AML 1541 WP 30).
Fin 1853. Enquête de sécurité sur les immeubles concernés par le projet de rue.
Entre le 10 et le 31 décembre 1853. Rapport de Vaïsse devant la commission municipale sur ses
Projets (Vaïsse 1853).
10 janvier 1854. Rapport Bruneau, juge de paix dirigeant la commission d‟examen du projet
présenté par Vaïsse (Bruneau 1854), voté le 17 janvier.
7 au 14 janvier 1854. Enquête d‟utilité publique
15 février 1854. Signature du traité pour la rue Impériale entre la Cie de la Rue Impériale et Vaïsse.
1 er mars 1854. Descriptif des expropriations à mener. Récapitulatif signé Dardel le 11 mars.
3 mars 1854. Plan de la rue signé de Dardel, visé par Vaïsse.
31 mars 1854. Décret impérial pour l‟attribution de la subvention de 4 millions pour la rue au titre
de Grande Route n° 83.
31 mars 1854. Décret d‟expropriation, suivi du jugement le 6 juin.
24 juin 1854. Liste et début des expropriations détaillant trois tranches de libération des
immeubles :
1 ère tranche = partie centrale, à cette date ;
2 e tranche = partie sud au 25 décembre 1854 ;
3 e tranche = partie nord au 24 juin 1855 (AML 321 WP 173). Les évictions des locataires et les
démolitions s‟enchaînent immédiatement
29 décembre 1854. Détail des alignements définitifs signé par Vaïsse, suite à un rapport de
l‟ingénieur en chef du département Bonnet en date du 11 décembre
4 mars 1855. Deuxième traité passé entre Vaïsse et la Cie de la rue Impériale (secteur est rue
Buisson et marché couvert, masse des Terreaux, ouverture à l‟ouest de la rue Grenette sur le
quai de Saône)
25 avril 1855. Pose de la première pierre des immeubles (Annuaire du Rhône 1856, p. XIII) 47
29 mai 1855. Traité passé entre Vaïsse et la Cie de la rue Impériale décidant de la vidange des fosses
d‟aisance dans l‟égout central de la rue.
11 novembre 1856. Fin de l‟enquête publique pour le second traité
30 avril 1857. Premier conseil d‟administration de la Cie de la rue Impériale. Plus de 40% des
immeubles prévus sont déjà loués, les autres en voie d‟achèvement
Eté 1857. Livraison de la rue achevée
Fin 1857- début 1858. Démolition des 30 immeubles du massif des Terreaux dans le cadre du second
traité (AML 3 P 123 7/34/37)
12 mars 1858. Réception des travaux de la rue par les Ponts et Chaussées (AML 321 WP 175)
Un risque économique : subventions et plus-value foncière
La démolition du quartier n‟en assure pas la réussite économique. Comment en assurer le financement,
et si possible même la réussite financière ?
« Tracer théoriquement des plans pour percer nos vieux quartiers de larges issues, faire couler dans nos
rues des eaux limpides et fraîches, et, en même temps, absorber leur fange dans des canaux souterrains,
n‟est pas le plus difficile ; nous avons des hommes de science qui font supérieurement tout cela sur le
papier. Malheureusement, nous avons aussi un budget mince, déjà miné par une dette qu‟il faut se
46 Principalement AML 925 WP 70.
47 La pose inclut l‟insertion d‟une médaille commémorative comportant un texte en latin : « … per foedos et
insalubres urbis vicos splendida via imperialis nuncupata, ad negotiatorum frequentiam populi commoditatem
lugduni cultum et securitatem sub Christi ajusque matris immaculatae praesidio instaurata est » (Une splendide
rue Impériale a été établie au travers des terrains et des rues insalubres de la ville, pour l‟afflux commode du
peuple des commerçants, la décoration de Lyon et la sécurité, placée sous le patronage de la Vierge
Immaculée »). Lors de la même occasion, Poncet distribue 1800 francs aux pauvres de la ville, 200 aux maçons
et 400 aux ouvriers du chantier (Revue du Lyonnais, série 2 n° 10, 1856, 508).
27

garder avant tout d‟accroître » (Morin 1849, 182).
La question a bien sûr été soulevée, mais il semble qu‟on ait eu le sentiment qu‟une fois l‟hypothèque
socio-politique levée le champ était ouvert pour de grandes réalisations. Le ton de relative confiance
des documents immédiatement antérieurs à l‟éviction des habitants en témoigne. Le projet, sur le plan
économique, reposait sur trois piliers.
Le premier est public. On prévoit de construire dans le nouvel aménagement des édifices publics
majeurs : une vaste bourse (toujours en place, architecte Dardel), une poste principale place Impériale
(actuelle place de la République, détruite vers 1890 pour dégager l‟ouverture de l‟avenue Carnot sur la
place), l‟immeuble de la banque de France. De plus, l‟Etat décide de subventionner la voie nouvelle en
la classant en route impériale (nationale) en remplacement de la route n° 83 en rive gauche du Rhône,
fortement endommagée par les inondations. L‟argument ne tient qu‟en partie, puisque de grands
travaux seront réalisés tout au long du Rhône et de la Saône à la suite de la nouvelle et dévastatrice
inondation du Rhône en 1856. Une subvention de 4 millions est accordée à ce titre à la ville, assortie
d‟une exigence de 22 m de largeur (au lieu des 20 m initialement prévus). La largeur a pour but, certes
de faciliter la circulation, mais aussi d‟élargir la zone des destructions. Le classement permet aussi
d‟exproprier au nom de la loi de 1841 sur les infrastructures routières et ferroviaires.
Le second est privé. En effet, l‟opération n‟est pas menée en régie par la municipalité mais, comme
pour la rue Centrale, est confiée par le biais d‟un „traité‟ à une compagnie privée, la CRI. C‟est bien
sûr le moyen de ne pas trop exposer les finances de la ville et de faire prendre une partie importante du
risque au privé, en particulier les risques inhérents à la conduite de l‟opération. Sur ce plan, Vaïsse
peut s‟appuyer sur un personnage hors du commun, Benoît Poncet, architecte-entrepreneur au grand
savoir-faire en matière de montage et pilotage de projets d‟importance, qui avait déjà assuré la réussite
de la percée de la rue Centrale. Poncet est à l‟origine du montage de la Compagnie de la rue Impériale,
dont il reçoit la charge de la maîtrise d‟œuvre de toutes les opérations relatives à la rue, projet,
expropriation, voirie, construction des immeubles. La CRI est une société par actions, dont les 178
actionnaires se comptent dans tous les milieux lyonnais du bâtiment et de l‟investissement. 60
propriétaires et rentiers, 39 architectes et entrepreneurs du bâtiment, des négociants, mais seulement
deux banquiers pour une part médiocre 48 . Elle s‟engage aussi, à l‟occasion de l‟extension du traité au
début de 1855, à construire une halle de marché aux Cordeliers (détruite vers 1980 et remplacée par un
parc de stationnement en silo).
Le troisième est à l‟articulation du public et du privé. Il est constitué de la participation financière de la
ville dans l‟opération. Il s‟agit d‟exonérations fiscales et du rachat des mètres carrés de voirie équipée.
La Ville s‟engage à obtenir du gouvernement l‟exemption de la contribution foncière et de celle de
l‟impôt sur les portes et fenêtres pendant vingt-cinq ans pour les maisons qui seront construites sur la
rue Impériale et ses dépendances dans les quatre années qui suivront la livraison de chaque partie de la
voie publique. Le prix de rachat de la voirie est fixé à 500 frs. Que signifie-t-il ? La surface totale des
immeubles expropriés est de 58 919 m2, pour une valeur de 31 672 500 frs, soit 538 frs/m2. Sur cette
surface, 28 181 m2 sont conservés par la CRI pour ses propres constructions. Le reste est donc
revendu à la ville pour un prix approchant le prix d‟acquisition des terrains correspondants.
48 AML 321 WP 172.
28

Figures 6 et 7 : Etendue des démolitions effectuées pour la rue Impériale et valeurs foncières
avant les démolitions en 1853 (B. Gauthiez)
Quelle réussite financière ?
La plus-value foncière peut être évaluée pour les terrains bâtis à partir de l‟expérience de la rue
Centrale, livrée en 1851 et achevée pour les derniers immeubles en 1854. Les terrains y sont
expropriés pour moins de 400 frs le m2, mais revendus, lorsqu‟ils ne sont pas conservés par Poncet ou
Savoye pour y construire eux-mêmes, d‟abord vers 850 frs/m2, puis 1200 pour la deuxième partie de
la rue, et jusqu‟à 1593 pour un immeuble à l‟angle de la place St-Nizier. La valeur foncière a plus que
triplé. La multiplication est plus forte encore pour la rue de la République, même si les discours
publics préfèrent rester prudent sur ce point (Bruneau parle d‟une augmentation d‟un tiers, Dardel d‟un
doublement), puisque le parc immobilier de la CRI est évalué peu après sa construction à 70 millions
de francs pour 27 742 m2 bâtis, soit 2523 frs/m2, une multiplication de presque cinq (Gauthiez 1999,
70-72). De ces valeurs, il faut bien sûr retirer les coûts d‟indemnisation des locataires, financiers, de
démolition des immeubles, de construction des bâtiments nouveaux, puisque la CRI a construit ellemême
la plus grande part des immeubles le long de la voie nouvelle, en en faisant du même coup l‟une
des plus grandes opérations immobilières en France au Second Empire, et de réalisation des voiries et
réseaux divers nouveaux.
Ces coûts sont donnés dans le rapport établi par Poncet pour le conseil d‟administration de la
compagnie le 30 avril 1857. Le bilan fait état d‟un coût de construction de 600 Frs/m2 pour le massif
des Terreaux, particulièrement décoré, et de 460frs/m2 pour les immeubles de la rue Impériale. Au
total, la compagnie aura dépensé 30 millions pour réaliser la voirie nouvelle et les immeubles, tous
frais compris. Le prix de la voirie s‟établit à environ 12 millions, payés par la ville, prix auquel
s‟ajoute la revente de quelques terrains par la compagnie. Elle se retrouve donc, une fois l‟opération
achevée, avec un capital de 70 millions pour environ 16 millions de coûts à sa charge (en tenant
compte aussi du rachat de quelques terrains par la ville). La valeur foncière est donc multipliée par
plus de quatre. A cette valorisation s‟ajoute celle des loyers, puisque la compagnie conserve le parc
immobilier qu‟elle a bâti. Dans ce même rapport d‟avril 1857, le loyer des immeubles déjà livrés, 40%
du total à construire, est d‟environ 800 000 francs. Le loyer total est alors estimé prudemment à 2
millions une fois l‟opération achevée. Si l‟on rapporte ce revenu à la somme d‟environ 16 millions
investie par la compagnie, le taux de rentabilité annuelle s‟établit à plus de 12%, ce qui est un taux
29

exceptionnel pour une opération immobilière. Il est évident que la plus-value foncière et le rendement
locatif ont été considérables pour les investisseurs. Cela explique certainement que la compagnie ait
conservé la plus grande part de son parc. Ce parc immobilier est encore de nos jours presque complet
et l‟un des actifs majeurs de la société Eurazéo-ANF. La valeur locative des immeubles atteignait un
rapport revenu annuel/capital investi extrêmement intéressant, avec un temps de retour sur
investissement inférieur des deux tiers aux 25 ans d‟exonération fiscale.
La sécurité dans l‟action et l‟adaptation du projet
La question des égouts illustre le pragmatisme ambiant. En effet, il n‟existe pas vraiment d‟égout à
Lyon au milieu du XIXe siècle. Ou plutôt, les rares qui existent sont destinés à l‟évacuation des eaux
pluviales uniquement. Les effluents domestiques sont recueillis dans des fosses septiques, dont la
vidange périodique fait l‟objet d‟un règlement municipal le 21 décembre 1853 49 . Quand on commence
à construire la rue de la République, donc, on n‟envisage pas la mise en place d‟un tout-à-l‟égout, mais
d‟un système composé d‟un égout pour les eaux pluviales, dans l‟axe de la rue, et de fosses d‟aisance
pour chaque immeuble. Dans une note du 11 décembre 1854, l‟ingénieur du département propose : « Il
me paraîtrait désirable que la compagnie de la rue Impériale, entrant franchement dans une voie
radicale, mit ses fosses en communication avec l‟égout principal, au moyen d‟aqueducs qui
présenteraient une hauteur sous clef de 1,60 m ». La décision est donc prise pendant le cours des
travaux et conduit à un traité liant la Compagnie générale des Eaux, la Compagnie de la rue Impériale
et Vaïsse. On déverse donc directement les fosses d‟aisance dans l‟égout, dont le profil est élargi pour
qu‟un petit chariot de service puisse y passer, sur des rails, et en s‟assurant que l‟écoulement des
effluents pourra être efficace. Ce faisant, on s‟inspire d‟une ordonnance du préfet de Police de Paris du
29 novembre 1854 50 (voir aussi Scherrer 1992, 147-8).
Il y a aussi des impondérables, ainsi l‟abandon du chantier par les ouvriers pendant deux mois à
l‟occasion de l‟inondation de 1856, la gêne importante provoquée par l‟inondation elle-même, ou les
blessés à l‟occasion d‟accidents pendant les travaux.
Un objectif atteint : la sécurité rétablie et une brillante réussite économique
On peut évaluer la réussite de l‟opération d‟aménagement de la rue Impériale/de la République au
regard des objectifs fixés dans le projet.
L‟objectif sécuritaire est pleinement atteint, il n‟y a plus d‟ouvriers dans le secteur reconstruit et la
population nouvelle est essentiellement d‟un haut niveau social. Qui plus est, la rue devient le centre
des affaires de Lyon, avec de nombreux sièges de banques, la bourse, et plusieurs grands magasins. La
lumière est amplement dispensée, du moins dans l‟espace public, en effet les intérieurs d‟îlot sont
encore très densément bâtis, même si le nombre d‟étage est limité à 4 ou 5, soit un ou deux de moins
que dans les constructions du début du siècle. L‟hygiène est présente, par l‟eau courante dans chaque
immeuble et le tout-à-l‟égout. L‟espace public est apte à la circulation et à la déambulation, c‟est
l‟équivalent d‟un grand boulevard parisien, avec un mobilier urbain moderne, un éclairage public bien
conçu. L‟objectif esthétique est aussi atteint. Il aura fait l‟objet d‟intenses débats qu‟il n‟y a pas lieu de
développer ici (Gauthiez 1999, 96-108).
L‟aménagement du centre de Lyon sera poursuivi dans le fil de cette réalisation tellement exemplaire
que de nombreux maires de villes de province s‟adressent à Vaïsse pour avoir son conseil sur la façon
de procéder (Marseille et Toulouse en 1856 ; le préfet de la Somme pour Amiens et le Gouverneur
Général d‟Algérie en 1857 ; Bayonne en 1862 ; le Havre en 1863). De plus, Poncet est à l‟origine des
percées de Rouen à partir de 1860, d‟un quartier nouveau à Nice (Gauthiez 1999, 116) et d‟un autre à
Issy-les-Moulineaux. La percée est immédiatement accompagnée, sur ses franges, d‟opérations de
reconstructions d‟immeubles par des propriétaires privés désireux de profiter de la plus-value. Une
cinquantaine rien que pour les années 1855-57, souvent sur injonction de la ville, en application de la
loi sur l‟insalubrité 51 . On projette dès 1858 le percement de la rue de l‟Impératrice (du Président-
49 AML 686 WP 0030.
50 AML 925 WP 70.
51 AML 925 WP 70, tableau signé le 24 novembre 1857 par le voyer Vermorel.
30

Edouard-Herriot), achevée non sans quelques vicissitudes vers 1865, puis plus tard on rénove le
quartier Grolée vers 1886-90 (Rivet 1955), et on perce au début du XXe siècle la rue de la Martinière.
Il s‟en faut cependant que tout le centre de Lyon ait été renouvelé. Même si près des 2/3 des
immeubles existants ont été détruits pendant cette période, il reste des immeubles anciens, dont
certains sont encore dans un état proche de celui décrit par l‟enquête détaillée de 1853, avec des cages
d‟escaliers noires de saleté et une insalubrité qui reflète le niveau de pauvreté des habitants qui y
résident. Parfois, on a reconstruit simplement la façade, tout en conservant identique le corps de
bâtiment, sans travaux, par derrière (exemple 28 rue de l‟Arbre-Sec).
En conclusion
L‟objectif visé par l‟administration a donc été atteint, à la suite d‟un plan d‟action soigneusement mis
au point et en ayant recours aux plus grandes compétences disponibles, celles de Benoît Poncet ayant
été probablement décisives pour mobiliser dans des circonstances délicates la plus-value foncière
potentielle du quartier concerné, que le percement de la rue Centrale avait révélée. Les données des
enquêtes de 1841 et 1853 ont beaucoup aidé à déterminer le périmètre de l‟opération. Cependant, ce
n‟est pas la connaissance de détail qui a ici guidé l‟action, mais sa cohérence pratique et économique.
La destruction de quelque 350 immeubles, principalement occupés par des populations pauvres et très
pauvres, n‟a pas été sans conséquences négatives. Il y a d‟abord la perte patrimoniale, déjà soulignée à
l‟époque (Mathian 1994, Saunier 1996). Avec un paradoxe : on revitalise le centre de Lyon, mais on
doit pour ce faire en détruire la substance bâtie 52 . La méthode nous apparaîtrait rude aujourd‟hui, bien
qu‟on l‟ait pratiquée en masse dans les années 1960-70. L‟héritage culturel de cet état de fait est
encore très présent dans la conduite de l‟urbanisme lyonnais. Le „Centre-Presqu‟île‟ est toujours
considéré comme le quartier des affaires et la conservation des édifices anciens y est encore parfois
placée au second plan derrière les intérêts des investisseurs immobiliers. Il a certes été inclus dans le
périmètre du patrimoine mondial de l‟UNESCO, mais cela n‟a pas été sans fortes réticences locales, et
une bonne part des immeubles anciens y sont encore frappés d‟alignement au Plan Local d‟Urbanisme
adopté en 2007, comme au XIXe siècle, quand c‟était la méthode utilisée lorsqu‟on ne lançait pas de
grosses opérations de rénovation urbaine comme la rue de la République. La mémoire des lieux est
une question de longue durée (Saunier 1996).
Le percement de la rue de la République s‟explique bien, pour une part importante, par des
préoccupations de sécurité. Certaines sont indicibles en publics, qui concernent l‟ordre sociopolitique,
d‟autres sont publiquement exprimées, en particulier pour l‟hygiène et la réussite
économique de la ville de Lyon. D‟autres encore sont en quelque sorte contingentes, comme
la lutte contre les inondations ou les mesures de police habituelles.
Il reste à comprendre pourquoi, dans l‟historiographie lyonnaise et la représentation des
différents quartiers de la ville aujourd‟hui, le lien n‟est que faiblement établi entre la percée de
la rue de la République, de façon plus large le secteur rénové sous le Second Empire, et le
centre de l‟insurrection ouvrière tel qu‟on le connaît pour 1834. Lorsque les quartiers ouvriers
lyonnais sont évoqués, que ce soit au XIXe siècle ou dans la recherche récente (Saunier
1996), le centre de la ville n‟est jamais évoqué. En revanche, l‟idée selon laquelle le centre
était occupé par des ouvriers descendus de la Croix-Rousse, émise par le préfet Gasparin dans
les années 1830, a eu un grand succès, renforçant à la fois l‟identité Canut de la Croix-Rousse
et celle de quartier envahi et donc non ouvrier du centre. Or, le recensement de 1841 et plus
encore l‟enquête de 1853 établissent très nettement le grand nombre d‟ouvriers habitant dans
ce secteur de la ville. Sur les quelque 50 000 personnes entre la place des Terreaux et la place
52 Pour reprendre les termes d‟une poésie lue en janvier 1854 (Servan de Sugny 1856) :
« La pioche, le marteau, l‟instrument du maçon
Leur redonnent (aux cités) l‟éclat de la jeune saison,
Et l‟œil du voyageur contemple, avec surprise,
Une jeune cité sur son aïeule assise ».
31

Bellecour au milieu du XIXe siècle, peut-être les deux tiers sont à rattacher à la „classe
ouvrière‟. Deux tiers du tracé de la rue de la République sont massivement habités par des
ouvriers. On est donc ici face à l‟une des concentrations majeures de populations pauvres dans
l‟agglomération, peut-être la plus importante en nombre, et certainement la plus concentrée.
Cependant, elle n‟est pas aussi visible que dans les faubourgs, pour plusieurs raisons : la
présence de nombreuses boutiques au rez-de-chaussée, la rareté des industries et des ateliers
visibles de la rue, le fait que les rues principales sont en général plutôt mieux habitées, la
présence d‟une population plus mêlée que dans les faubourgs, associant des habitants de tous
niveaux sociaux en proportions variables, la variété des domaines d‟emploi des ouvriers, qui
ne travaillent pas tous, et de loin, dans le textile. Les ouvriers occupent en très grand nombre
les étages élevés et les corps de bâtiments en arrière des rues, dans des immeubles que rien,
dans la typologie architecturale des faubourgs ouvriers, ne permettrait de qualifier d‟ouvriers.
L‟identité du quartier ne se réduit donc pas à sa nature ouvrière. Elle est beaucoup plus
complexe, et largement représentée par sa nature de Vieux Lyon, de Cœur de la ville au
patrimoine insigne.
DEUXIEME PARTIE : urbaniser pour les populations déplacées, 1855-64.
Une ville éphémère de „baraques‟
L‟insécurité populaire
La rénovation urbaine au centre de la ville déplace d‟importantes populations. Pour la seule rue de la
République, plus de 12 000 personnes ont été délogées (en comptant les habitants au recensement de
1841 ; 15 à 18 000 selon Bruneau 1854, 23 ; 13 000 selon Bruston 1980). Il faut y ajouter celles de la
rue de l‟Impératrice (Edouard-Herriot) et des opérations complémentaires de moindre ampleur, soit de
l‟ordre de 15 000 personnes supplémentaires, pour un total d‟environ 30 000. Que sont-elles
devenues ? Quelles souffrances individuelles ont été provoquées, rupture des cadres sociaux, stress
financier, nécessité de trouver un nouveau logement ? Quelle insécurité s‟ajoutant à l‟injustice
économique qui avait produit une situation urbaine et sociale si explosive ? Leur relogement n‟est que
très peu évoqué dans les sources. L‟opération est donc accompagnée d‟une certaine violence sociale.
Cet aspect de l‟insécurité est difficile à renseigner en l‟absence d‟une presse ouvrière pendant ces
années du 2 nd Empire : difficultés économiques et sanitaires non réglées pour les populations
déplacées, auxquels on impose des difficultés de relogement, un éloignement du lieu de travail, une
déstructuration des réseaux sociaux. On règle donc des problèmes au centre de la ville en les déplaçant
et au prix d‟une violence nouvelle silencieuse.
Le devenir des populations déplacées n‟est cependant pas un impensé. Vaïsse évoque rapidement la
possibilité pour elles de trouver des logements plus vastes et moins chers dans les immeubles à
construire sur le nouveau quai du Rhône entre les ponts de La Guillotière et Lafayette. C‟est bien sûr
bien insuffisant et ces immeubles seront en fait occupés par des populations bourgeoises. Des mesures
financières sont prises, comme la progressivité des impôts sur les portes et fenêtre et de l‟octroi,
calculés selon le niveau de loyer et non au mètre carré. On supprime aussi la patente pour les petits
ateliers dans la loi de finance du budget 1854. Vaïsse exprime la philosophie politique et économique
à l‟œuvre :
« Les populations nombreuses que déplacerait la construction de la rue Impériale et successivement les
changements qui doivent s‟opérer dans les rues adjacentes… vont se porter naturellement sur les autres
parties de la ville… à la Guillotière, aux Brotteaux, aux Capucins… calculez tout ce que ces
déplacements et cette émigration vont amener de transformation sur les propriétés, les locations, les
terrains à bâtir ; comptez tout ce qui, de proche en proche, va se ressentir de l‟effet de ces transactions…
tout ce qu‟il en résultera d‟augmentation dans les valeurs de toutes sortes, et vous reconnaîtrez que vous
allez apporter à la propriété bien plus que vous n‟exigez d‟elle » (Vaïsse 1853, 22).
32

Bruneau précise :
« L‟énorme déplacement occasionné par la rue Impériale va distribuer entre les anciens faubourgs 15 à
18 000 locataires et consommateurs nouveaux qui les vivifieront » (Bruneau 1854, 23).
Le relogement des déplacés de 1854-64 en rive gauche du Rhône
La cartographie de l‟espace urbanisé lyonnais fait l‟objet d‟avancées importantes, avec de nombreuses
couvertures nouvelles dans le courant du XIXe siècle, ce qui rend possible une restitution assez précise
de l‟état de l‟occupation des lieux avant leur transformation. Il est ainsi possible de cartographier les
constructions nouvelles consécutives aux grandes percées de la presqu‟île entre les dates de 1851 53 et
de 1861 54 . Une part très importante concerne les secteurs de front d‟urbanisation au nord du quartier
de la Guillotière et au sud-sud-est du quartier des Brotteaux, dans un espace resté peu occupé jusque
là. Plusieurs dizaines d‟îlots sont alors urbanisés, d‟une façon encore peu dense, sous la forme de
nombreuses constructions en cœur d‟îlot et de bâtiments comblant petit à petit les fronts de rue.
Les permis de construire (autorisations d‟alignement ou de voirie) correspondant aux bâtiments,
petites maisons et hangars, construits pour répondre à l‟afflux de personnes et activités à loger, sont
conservés aux Archives Municipales et permettent du suivre pas à pas l‟urbanisation progressive du
quartier. Un sondage a été fait pour quatre rues principales du quartier, rues de Bonnel, Servient,
Vendôme et cours Lafayette (AML 315 WP 52 ; 92 ; 93 ; 104 ; 105 ; 309) :
Autorisations pour constructions nouvelles :
1852 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73
Nombre
d‟autorisations 11 9 13 21 36 16 18 7 24 20 20 25 21 15 7 10 10 19 2 - 8 3
Ce tableau montre assez bien les étapes du processus d‟urbanisation de ce secteur. Jusqu‟en 1853, peu
de maisons nouvelles. En 1854-58 arrivent les déplacés de la rue de la République. La population de
La Guillotière croît fortement entre-temps, puisqu‟elle gagne 28 284 habitants entre 1851 et 1856. Le
secteur entre le cours Lafayette et la rue de la Guillotière compte à cette date 896 maisons
(probablement en fait des logements), avec un taux de ménages seuls important 55 .
Une partie des permis répond en 1856, probablement plus de la moitié, aux besoins consécutifs à
l‟inondation de 1856, on mentionne alors les bâtiments « écroulés par l‟inondation » 56 . A partir de
1860 et jusque vers 1864, la demande est largement portée par les déplacés de la rue Edouard-Herriot.
Le nombre de dépôts de demandes revient ensuite à son niveau d‟avant 1855.
Ce qui n‟a valeur que de sondage indique bien le rôle d‟accueil qu‟a ce quartier pour les populations
déplacées du centre ville. Au total, plusieurs centaines de constructions nouvelles sont réalisées sur les
quelques dizaines de rues concernées.
53 AML 1 S 54. Le plan de Dardel, en 1853 (AML 1541 WP 30), n‟est pas assez précis sur les constructions
existant dans ce secteur de la ville. Le plan de 1851 montre un bâti très peu différent de celui porté au plan publié
en 1847 par Dignoscyo et Rembielinski (AML 2 S 574).
54 AML 1541 WP 15, plan dressé en 1861, publié en 1863. Du fait que la construction est très peu active à Lyon
au début des années 1850, la comparaison des plans de 1851 et 1861 donne une idée assez précise de ce qui a été
bâti à la suite des grandes percées du centre sur la rive gauche du Rhône.
55 Revue du Lyonnais, série 2, n° 13, 1856, p. 340.
56 L‟inondation monte à partir du 12 mai, les bas quartiers sont envahis le 15 par l‟eau, un maximum est atteint le
20. La décrue commence le 22, mais la pluie reprend et dans la nuit du 30 au 31 mai la digue de la Tête d‟Or se
rompt et le Rhône inonde avec force les quartiers de la rive gauche, faisant de nombreuses victimes.
33

Figure 8 : Cartographie des constructions nouvelles en rive gauche du Rhône entre 1851 et 1861,
montrant la ville des baraques établies lors des démolitions du centre. En noir : constructions
nouvelles, en vert : terrains appartenant aux Hospices Civils et loués en baux emphytéotiques (B.
Gauthiez).
Certains déplacés ayant fait une demande de permis de construire en 1855 ont été l‟année suivante
touchés par la crue du Rhône et ont dû à nouveau demander à pouvoir construire. En effet,
l‟inondation touche des constructions existantes souvent en pisé, qui s‟effondrent une fois gorgées
d‟eau. En rive gauche du Rhône principalement, 1185 maisons (à comprendre probablement comme
logements) sont complètement détruites, 448 partiellement, 200 endommagées (Orchandiano 2008,
65). Ainsi, le menuisier Lassieux était-il en train de construire un hangar lorsque survient la
catastrophe 57 . Les circonstances ont pu dans ce cas être particulièrement éprouvantes pour certaines
familles, qui ne peuvent accéder aux ruines que passé le 2 juin, « les malheureux inondés se
rapprochaient de l‟endroit où s‟élevait naguère leurs habitations, cherchant à retirer du milieu des eaux
57 Autorisations de construire des 18 avril et 26 juillet 1856 et lettres les accompagnant, AML 315 WP 105.
34

quelque épave de leur mobilier… » 58 . Il est clair que les pertes ont été, pour des propriétaires modestes
et des occupants encore plus modestes, majeures. Le maçon Germain Rochon est, « ayant été inondé
en 1856 et après avoir tout perdu, sa maison démolie et tout ce qu'elle renfermait, réduit à habiter chez
les autres par charité, n'ayant pu sauver que quelques débris de sa maison » 59 . La plus grande part des
reconstructions à la suite de l‟inondation sont autorisées pendant les deux mois de juillet et août. Ce
sont certainement ceux pendant lesquels le chantier de la rue de la République est interrompu. De plus,
Poncet dit lui-même qu‟il aurait pu utiliser plus de matériaux de démolition dans les immeubles
nouveaux de la rue de la République 60 .
C‟est en rive gauche du Rhône que, pour l‟essentiel, les populations déplacées par la rénovation du
centre ont trouvé à se reloger. Un groupe témoin est constitué par les maçons, auparavant nombreux
dans le quartier de la partie sud de la future rue Impériale, maintenant nombreux au nord de la
Guillotière (Orchandiano 2008, 40-42). La forme architecturale des nouvelles constructions est
souvent la « baraque », à un ou deux étages, de construction assez légère, mais, après la grande
inondation de 1856, excluant dans l‟ensemble le pisé 61 . Il semble, à la lecture des détails donnés dans
les autorisations de construire, qu‟on avait en fait dès avant l‟inondation commencé à construire de
plus en plus souvent en matériaux pérennes.
Le plan de 1861 suggère une part de conservation des bâtiments en place, une autre de reconstruction
sous une forme consolidée, et une troisième de bâtiments détruits et non remplacés, parfois encore
présents à l‟état de ruines. L‟arrivée des populations expulsées du centre, en quête de logement, vient
donc grossir les besoins des quelque 10 000 habitants se retrouvant sans logement du fait de
l‟inondation, auxquels il sera répondu en reconstruisant, en densifiant les parcelles déjà bâties et en
ouvrant à l‟urbanisation de nouveaux îlots. Dans ce contexte, deux circonstances favorables ont
probablement fortement joué. Il s‟agit tout d‟abord du grand nombre de maçons, pour la plupart
limousins, à reloger. Nul doute qu‟ils contribuèrent directement à l‟édification de leurs logements,
récupérant des matériaux issus des démolitions du centre, louant des terrains pour édifier eux-mêmes,
finançant même peut-être les travaux grâce aux indemnités d‟expulsion et aux gains faits sur les
chantiers de rénovation du centre. De fait, de nombreux représentants des métiers du bâtiment,
maçons, charpentiers, menuisiers, serruriers, tailleurs de pierre, plâtriers, zingueurs, construisent pour
eux-mêmes dans le quartier dans les années qui suivent, pour une proportion des nouvelles
construction approchant la moitié dans les années 1860.
En outre, la gestion foncière des terrains, pour leur très grande partie possédés par les Hospices de
Lyon (actuels Hospices Civils), s‟est avérée très adaptée par sa souplesse induite par la situation très
précaire des sous-locataires. En effet, les Hospices procèdent alors par baux de 4 à 12 ans, allant
jusqu‟à 15 ans pour des baux passés après 1849, et ne vendent pratiquement pas leurs terrains
(Clemençon 1999, 340). La première conséquence est que, même si le locataire principal reste
propriétaire des bâtiments qu‟il édifie, il n‟est pas incité à investir beaucoup dans la construction, d‟où
les nombreuses baraques. La seconde, encouragée par les Hospices qui y voient un procédé à même
d‟accroître progressivement la valeur foncière, est la location en cascade. Ainsi, le locataire d‟un îlot
(ou masse) peut-il sous-louer pour un lot, lui-même encore sous-loué pour une partie ou pour un
logement. Les gains possibles pour les locataires sont probablement relativement importants et de
58
« Chronique locale », Revue du Lyonnais, série 2, n° 13, 1856, p. 87. L‟auteur de la chronique ne peut
s‟empêcher d‟attribuer aux populations touchées les méfaits qui sont dans l‟esprit de l‟époque habituellement les
leurs : « Au milieu d‟un tel désastre, réjouissons-nous de voir tant d‟héroïsme dans le cœur de notre population.
Mais à côté que de faits honteux… Vols, débauche, libertinage, rien n‟a manqué de tout ce qui peut souiller
l‟humanité », p. 86.
59
Lettre du 17 juin 1856 de demande d‟autorisation de construire octroyée le 8 août, AML 315 WP 93.
60
Rapport de Benoît Poncet devant le conseil d‟administration de la compagnie de la rue Impériale, 30 avril
1857, AML 925 WP 70.
61
Quelques photographies donnent une idée de l‟aspect de ces constructions en 1856-57, reproduites dans
Bertin, Mathian 2008, 128-31 ; Orchandiano 2008, 38-9 ; 64 ; 65. Le pisé est interdit avec quelques
aménagements le 16 juin 1856 dans un arrêté de Vaïsse.
35

nombreux déplacés ont donc trouvé à se reloger dans ces conditions. Les Hospices semblent avoir tiré
profit de cette situation en relevant le niveau des baux consentis.
Se dessine donc un scénario du déplacement des populations de la rue de la République dans lequel,
probablement pour donner le maximum de chances à la réussite de l‟opération, Poncet a favorisé la
construction des logements nécessaires au déplacement des habitants, d‟une part en laissant aux
maçons le temps nécessaire à la construction des maisons (les « baraques ») nécessaires à leur propre
relogement et rendant possible un revenu locatif, même modeste, en rive gauche du Rhône 62 , d‟autre
part en leur laissant à disposition une part des matériaux de démolitions pour ce faire. Les matériaux
de démolition ont probablement plus fait l‟objet d‟un marché pour les opérations postérieures à la rue
de la République que pour cette dernière. Plusieurs chantiers de matériaux de démolition sont
mentionnés en rive gauche. Celui du maçon Taton, domicilié 58 rue Impériale, est autorisé à construire
rue Vendôme le 27 sept. 1861 pour « recevoir les matériaux provenant de la démolition de la rue de
l‟Impératrice [Edouard-Herriot] », il s‟agit d‟un hangar de 52 m de longueur (AML 315 WP 104). On
trouve non loin celui de Rémy, maçon lui-aussi (AML 315 WP 105-104, 1864 et 1973). De nombreux
remplois témoignent en rive gauche du Rhône de la réutilisation d‟éléments décorés provenant des
immeubles démolis en centre-ville, des encadrements de baies en pierre, des balcons avec leur gardecorps
en fer forgé 63 . Dans le secteur à l‟angle des rues Baraban et Paul-Bert, à l‟est de la voie ferrée,
plusieurs immeubles contigus recomposent ainsi dans un secteur très populaire, encore aujourd‟hui,
avec un nombre d‟étages réduit, comme un petit morceau de la ville ancienne détruite, remployant qui
des d‟arcades à rez-de-chaussée avec une porte du XVIIe siècle, qui une statue d‟angle avec sa niche,
qui une baie de la Renaissance. Ces remplois témoignent d‟un attachement des investisseurs
concernés, probablement des maçons, pour un héritage qu‟ils respectent. Ils sont à distinguer de
remontages de façades savants tels que ceux de l‟angle sud-est de la place Lyautey et du cours
Gambetta 64 , où l‟on réédifie à la même époque des façades entières de beaux immeubles du XVIIe
siècle. Les remplois en rive gauche du Rhône sont malheureusement pratiquement impossibles à
retracer dans leur totalité, du fait de la presque totale disparition des baraques édifiées dans les années
1855-65 65 .
L‟urbanisation continue à beaucoup s‟étendre après le début des années 1860, à la fois en dedans des
fortifications de Lyon et en dehors. Les plans de la ville témoignent d‟une très rapide urbanisation en
marge des secteurs déjà urbanisés de la rive gauche du Rhône, selon un mode d‟occupation mêlant
ateliers, petits immeubles de logement populaire et maisons 66 . Les plans détaillés du quartier dans les
années 1880 montrent que par la suite la densité du bâti a continué à croître, mais plus lentement 67 .
Il reste qu‟on prend très rapidement conscience que la solution retenue et encouragée pour reloger les
habitants du centre, au bénéfice des Hospices Civils et des grandes opérations de rénovation de la
Presqu‟île, n‟est qu‟un pis-aller du point de vue social et de l‟hygiène. « …Constructions basses et
malsaines, véritables maisons provisoires, d‟aspect repoussant, ne pouvant convenir qu‟à des
locataires besogneux ou de mauvaise vie, et non aux ouvriers travailleurs et honnêtes… », lit-on dans
un texte de 1887 68 . Déjà, un commentateur n‟avait pu s‟empêcher, à l‟occasion de l‟inondation de
62 Poncet qui « s‟efforça constamment de faciliter à ses employés les occasions de spéculation qui pouvaient se
présenter dans les nombreuses entreprises qu‟il a faites », était connu pour de telles dispositions d‟esprit
(Tisseur, 1881-2, 186).
63 Leur inventaire ne peut plus être que très incomplet, tant la rénovation urbaine a gagné les quartiers concernés
déjà à la fin du XIXe siècle, et plus encore depuis les années 1980.
64 Notamment le Château de la Rize, dit d’Occasion, au 76 cours Gambetta, eau forte du XIXe siècle reproduite
dans Bertin, Mathian 2008, 168. Il s‟agit d‟une façade d‟immeuble très décorée, du milieu du XVIIe siècle,
remontée avec le belvédère surplombant la cage d‟escalier.
65 Par exemple, à l‟immeubles n° 21 de la rue Jean-Larrivé, édifié vers 1860 et encore en élévation, l‟une des
pierres du pied-droit de la porte d‟entrée est un remploi, la disparition partielle du mortier en montrait il y a
quelques années la moulure ancienne, tournée vers l‟intérieur de la maçonnerie.
66 1853 : AML 1541 Wp 30 ; 1861: AML 5 Ph 35279.
67 Plans dans les dossiers des AML sur les rues. Plan au 1/10 000 e , Service Géographique de l‟Armée, archives
du Centre de Recherche en Géographie et Aménagement, Université Lyon 3.
68 AML 321 WP 146, rue Moncey, 17 mai 1887. Pétition imprimée.
36

1856, d‟attribuer aux populations touchées les méfaits qui sont dans l‟esprit de l‟époque
habituellement les leurs : « Au milieu d‟un tel désastre, réjouissons-nous de voir tant d‟héroïsme dans
le cœur de notre population. Mais à côté que de faits honteux… Vols, débauche, libertinage, rien n‟a
manqué de tout ce qui peut souiller l‟humanité » 69 .
En fait, les arguments relatifs à l‟hygiène, clamés pour justifier auprès du public les grandes percées
du centre de la ville, ne sont plus d‟aucun effet lorsqu‟il s‟agit de laisser les plus pauvres construire
des taudis en rive gauche du Rhône et de libérer ce faisant le centre de la ville. L‟hygiène est d‟abord à
destination des hauts revenus. Comment expliquer autrement qu‟on urbanise en même temps d‟un côté
d‟une façon moderne, tenant compte de toutes les avancées techniques récentes, avec des financements
importants, et de l‟autre sans en tenir compte, sans eau courante, longtemps sans égouts, pour des
coûts extrêmement faibles 70 ? Une telle conception de l‟aménagement, faite de choses dont on parle et
dont on se prévaut 71 , et d‟autres qu‟on tait, repose sur la façon dont les « classes laborieuses » sont
conçues et perçues au XIXe siècle 72 . La conséquence historiographique est que l‟histoire de
l‟urbanisme est de façon écrasante constituée de travaux de recherche portant sur les réalisations dont
on parle, modernes, coûteuses et bourgeoises. A contrario, celle des aménagements effectués sans
gloire pour reloger les déplacés ou plutôt favoriser un relogement dans les conditions habituelles du
marché et du système des « logeurs », ne font l‟objet, quand elles existent, que de quelques lignes 73 .
69 « Chronique locale », Revue du Lyonnais, série 2, n° 13, 1856, 86. Rappelons qu‟à cette époque une femme
seule ne peut faire subsister une famille sur son salaire, d‟où un recours massif dans les milieux ouvriers à la
prostitution « alimentaire » (Retel 1977, 30-31). L‟inondation a provoqué d‟autant plus de misère que les
revenus étaient précaires, d‟où un surcroît de prostitution obligée pour ne serait-ce que survivre.
70 Rappelons ici le remploi de matériaux de démolition et le fait que beaucoup de construction en « plotets »
(charpenterie) sont presque du mobilier. Ainsi Jean Martin est-il autorisé à construire le 6 juin 1855 une baraque
rue Vendôme, « à condition qu‟il l‟enlèvera à la première injonction de l‟administration » (AML 315 WP 104).
Sur une situation comparable à Paris dans les effets des opérations de rénovation, voir Du Mesnil 1890, 23. Pour
Fijalkow : « l‟haussmannisation participe à la constitution d‟un parc insalubre en périphérie [urbaine] directe,
mais aussi sur les marges de ses percées » (Fijalkow 1998, 55).
71 Les mots sont utilisés à cette époque comme des slogans. Ainsi, on voit le 19 mai 1885, les propriétaires
Grivet et Girardon, concernés par une légère modification de l‟alignement de la rue Servient, protester que le
nouveau tracé est « si dommageable à la bonne harmonie des lieux, à l‟intérêt public, à la sécurité publique, et
aux règles de l‟hygiène ». La disproportion entre les motifs invoqués et l‟aspect très limité du projet est frappante
(AML 321 WP 031 rue de Bonnel).
72 Sur cette question, voir notamment l‟analyse dans Retel 1977, 23-81.
73 Rien auparavant sur les déplacés de la rue de la République et du centre de Lyon, peu de choses sur Paris où
plusieurs dizaines de milliers de personnes sont concernées (Retel 1977), même si la question est clairement
posée dès le second empire (Fijalkow 1998, 53-4).
A Marseille, où 935 maisons sont détruites, logeant 16 000 personnes, pour percer la rue de la République en
1861-62, peu sur le sujet. 600 maisons auraient été construites « sans autorisation, sans l‟observation des
règlements et des mesures de salubrité et de police » dans les quartiers en cours d‟urbanisation de Belle-de-Mai
et Notre-Dame de la Garde, mais aucune étude n‟a semble-t-il été faite de ce déplacement qui pourrait être assez
comparable à ce qui s‟est passé à Lyon (Jasmin et Jasmin 1994, 14-5 ; 21 n. 31 et n. 32 ; Fournier et Mazzella
2004, 29-39).
Gustave Abeels en dit un peu plus sur Bruxelles, où, selon une enquête de 1865, près de 8000 personnes seront
délogées par l‟établissement du grand boulevard Central, du boulevard du Nord et de celui de la Senne
accompagnés de la couverture de la rivière (de la Senne). Sur 2794 ménages concernés, on en compte 1860
d‟employés et ouvriers et 228 de ménagères sans profession, soit environ trois quarts de pauvres. Un peu moins
de 1500 personnes sont relogées par la ville de Bruxelles, dont la plus grande part dans deux cités ouvrières, ce
qui est remarquable au vu des réalisations françaises. « … Les [autres] nouvelles habitations ouvrières furent
construites hors des limites de la ville, souvent près du nouveau lieu de travail, et… ces nouvelles constructions
étaient plus souvent le fait de l‟initiative privée que publique » (Abeels 1983, 116-8 ; Van Loo 1994).
Enfin, pour clore ici la liste des exemples, Naples. L‟Eventrement y commence en 1887 et sa réalisation durera
jusqu‟au tournant du XXe siècle. 57 000 habitants sont déplacés, dont 36 000 pauvres dont le relogement n‟est
pas prévu. La plupart s‟entassent dans les quartiers voisins non rénovés, les „quartiers bas‟ et dans les faubourgs
(De Seta 1981, 274).
37

TROISIEME PARTIE : les déplacés rattrapés par la rénovation, nouveaux
déplacements, 1880-1900, une rénovation tue
La reprise des opérations de rénovation urbaine : du quartier Grolée à la rive gauche
Les opérations de rénovation urbaine avaient pratiquement cessé dans le centre de la ville
après la mort de Vaïsse en 1864, à l‟exception de réalisations de faible ampleur comme
l‟élargissement de la rue de la Barre commencé en 1868 et la destruction des maisons du côté
est de la rue Bourgchanin (actuelle rue Bellecordière). La question revient au premier plan des
préoccupations municipales vers 1880. Il reste en effet deux secteurs d‟une certaine
importance non touchés par la rénovation sur la presqu‟île, celui de la Monnaie/Célestins et
surtout celui de la rue Grolée, de loin le plus pauvre, d‟autant plus dégradé qu‟une partie de la
population expulsée par les percées y a trouvé refuge, accroissant encore l‟entassement et les
difficultés relatives à l‟hygiène et à la sécurité.
En parallèle, la séparation de la préfecture et de la mairie est à nouveau envisagée et conduit à
réfléchir à l‟emplacement à donner à la nouvelle préfecture. Après un processus qui finit par
exclure tous les sites sur la presqu‟île, d‟abord envisagés, le Département se résout à acquérir
un emplacement en rive gauche du Rhône, précisément là où les déplacés du centre avaient
trouvé à se loger. Dans un premier temps, le projet de la nouvelle Préfecture est entièrement
tourné vers l‟autre rive de la ville et l‟aménagement du secteur n‟est pensé que comme une
extension partielle du centre, à articuler fonctionnellement avec un pont nouveau, et
esthétiquement avec une place par devant l‟édifice à l‟ouest et, si possible, un dégagement de
la façade sur la rive du Rhône. C‟est dans cette optique qu‟un projet ambitieux, combinant la
rénovation des deux quartiers de la Monnaie/Célestins et Grolée, pont et Préfecture en rive
gauche, est présenté par Carrel et les architectes Bissuel et André (Carrel, Bissuel, André
1882) 74 . L‟argumentation est précisément construite en ce sens :
« …en créant un quartier neuf dans de bonnes conditions on provoquait un double mouvement dans la
population, mouvement qui, d‟une part, facilitait les opérations à entreprendre dans d‟autres quartiers
insalubres, qu‟une partie de leurs habitants délaissait pour chercher l‟air et la lumière dans les nouveaux
quartiers, et qui, d‟autre part et par contrecoup, produisait un élan de construction dans les quartiers
excentriques, où se déversait une partie de la population expropriée cherchant des habitations plus
espacées et plus saines que ses anciennes demeures du centre. Il est à remarquer que ce double
mouvement, rendu plus facile que jamais par les nombreux moyens de transport récemment établis,
arriverait à point nommé pour répondre à l‟élan d‟accroissement qu‟ont pris et que garderont les
quartiers sur la rive gauche du Rhône… » (Carrel, André, Bissuel 1882, 11-12).
Un plan très explicite accompagnait ce projet (Gauthiez 1996, 60-61 ; Richaud 2008, T. 4,
Vol. 4, 215), probablement porté en sous-main par le Crédit Lyonnais qui avait le projet de
reconstruire son siège dans le quartier Grolée. La Ville, cependant, décida de procéder
autrement, tout en conservant ces idées, d‟une part en confiant à une compagnie la rénovation
du quartier Grolée et en abandonnant celle du secteur Monnaie/Célestins (Rivet 1955 ;
Gauthiez 1999, 58-61), d‟autre part en menant une politique spécifique en rive gauche, où elle
ne souhaitait manifestement pas, pour des raisons politiques, trop mettre en valeur l‟édifice
départemental. Le projet de Carrel et Cie avait en effet montré combien le potentiel de mise
en valeur de la préfecture projetée pouvait être important, en traçant une artère de la largeur
de la rue de la République dans l‟axe de la préfecture jusqu‟à celui du palais de justice en rive
gauche du Rhône. Une telle mise en scène du pouvoir de l‟Etat dans l‟espace de la ville, selon
une avenue bordée de plus d‟une nouvelle église St-Pierre et du siège de la banque ayant
74 Sur les détails de ce projet, voir Richaud 2008, 568-76.
38

financé le projet, ne pouvait qu‟apparaître intolérable à un pouvoir municipal près de
retrouver son indépendance, et au républicanisme affirmé. Ce sont probablement ces mêmes
considérations, que le projet de Carrel et Cie aura contribué à éveiller, qui mènent Gailleton à
proposer l‟Hôtel-Dieu comme siège de la Préfecture, interdisant par la-même toute valeur
symbolique forte à cette implantation 75 . Il fallait la certitude d‟appuis puissants, de la part de
Carrel, André et Bissuel, pour présenter un projet aussi chargé de sens symbolique. Vaïsse
avait confisqué pour l‟Etat toute la symbolique municipale en concentrant à l‟Hôtel-de-ville
l‟appareil administratif impérial. On proposait ni plus ni moins que de constituer au cœur de
Lyon un axe monumental mettant en valeur les édifices les plus représentatifs de l‟Etat alors
même que la ville avait parmi ses priorités de réaffirmer sa présence en se réappropriant
l‟ancienne maison municipale… L‟urbanisme, dans ce cas, est très clairement porteur de
projets politiques, en ce cas l‟opposition très vive entre „orléanistes du parti du Mouvement‟ et
républicains, au moment où ces derniers vont affermir leurs positions au plan national 76 .
L‟intérêt pour amorcer une revalorisation du quartier est cependant reconnu :
« L‟installation de la Préfecture sur la rive gauche du Rhône donnera une impulsion rapide à
l‟amélioration de ces quartiers populeux ; elle sera un grand bienfait… », « … la construction de la
Préfecture sur le point indiqué donnera dans un jour prochain une vie nouvelle au quartier de la rive
gauche du Rhône » 77 , « au centre futur de la ville. Cette solution permettrait de régénérer ce quartier et
donnerait une grande plus-value aux terrains des Hospices » 78 .
Pendant l‟enquête publique pour la Préfecture, la demande d‟une place devant la préfecture qui
« créait un centre de population industriel et commerçant qui, dans un temps très rapproché, lui
fournirait les moyens d‟action nécessaires au développement de tout ce qui constitue la vie et la
richesse » est réitérée 79 . Le projet de place est d‟abord envisagé à l‟est de l‟édifice, le long de l‟avenue
de Saxe, puis à l‟ouest. La Ville s‟engage dans un premier temps à racheter pour 500 000 frs le terrain
nécessaire, mais se rétracte ensuite devant une demande du Département faite le 29 avril 1882 pour un
terrain plus vaste, coûtant 1,2 millions 80 . L‟ambition du Département se réduit de même, quatre îlots
sont expropriés sur les 6 prévus initialement.
Rénover en rive gauche du Rhône : la Ville et les Hospices
Les quartiers compris entre la grande rue de la Guillotière au sud et le cours Lafayette au nord, et
même au-delà jusqu‟au cours Vitton, axe principal de l‟actuel 6 e arrondissement, sont caractérisés,
dans ces années, par une très grande diversité des activités. En 1876, un texte cité par Clémençon
(1999, 400) donne une bonne idée de l‟état du secteur :
« A droite [vu du centre-ville, comprendre : au sud] du cours Lafayette, la presque totalité des masses
est, aujourd‟hui, couverte de chantiers, d‟usines, d‟entrepôts, et il ne saurait venir à la pensée de
personne de créer en ce point, un centre d‟habitations quelque peu élégantes et paisibles… A gauche du
75 AML 2 CM 39, délibération du conseil municipal, 31 août 1880, p. 445.
76 Sur les forces politiques en présence à Lyon à cette époque, Delpech 1971. On peut remarquer que la
préfecture est aujourd‟hui assez enclavée dans son quartier. La place prévue à l‟ouest n‟a pas été réalisée et est
devenue une partie du jardin, des deux îlots dont la démolition un temps prévue aurait dégagé la façade vers le
Rhône seul l‟îlot nord a été rasé, et ce fut fait après 1970, dans un contexte bien différent. Le cours de la Liberté,
seule avenue passant le long de l‟édifice, n‟est pas un axe majeur de la ville. Il est par ailleurs remarquable que
l‟emplacement retenu soit à peu de choses près celui que le voyer de la Guillotière Crépet proposait en 1845 pour
placer la mairie d‟un Lyon unifiant la ville centre à la Guillotière (Crépet 1845). Parmi les symboles
architecturaux concernés à cette époque, il faut aussi signaler le monument aux victimes du siège de Lyon en
1793, construit en mémoire de la résistance royaliste au gouvernement de la Convention, démoli dans ces
années, et dont le terrain est loti.
Quand ça lui convient, la Ville prend les moyens d‟une composition urbanistique d‟une certaine ampleur avec la
construction des universités à la même époque, plus au sud au bord du Rhône, en liaison avec un nouveau pont
monumental, le pont de l‟Université, et avec une avenue inachevée, le cours Félix-Faure.
77 AML 2 CM 35, Délibération du Conseil municipal du 30 avril 1879, rapport de Gailleton p. 132 ; p. 143.
78 AML 2 CM 39, Délibération du Conseil municipal du 31 août 1880, Combet, p. 446.
79 AML 321 WP 031, Conseil Général, séance du 26 avril 1882, délibérations imprimées, p. 182.
80 AML 321 WP 031, Conseil Général, séance du 19 avril 1882, délibérations imprimées, p. 179.
39

cours (au nord) Lafayette et jusqu‟au cours Vitton, la situation est à peu près la même et on ne trouverait
pas, dans ce périmètre, un espace suffisant pour attirer la classe aisée et lui offrir les conditions qui,
seules, peuvent l‟amener à se déplacer… la plupart des rues entre le cours Vitton et la rue Montgolfier
sont envahies par des établissement industriels dont le voisinage immédiat et la population ouvrière
agglomérée autour d‟eux éloigneraient sans doute plus qu‟ils n‟attireraient les futures immigrants »
Dès cette époque, donc, la possibilité de rénover ce quartier est envisagée, même si c‟est pour
l‟écarter. Il s‟en faudra de dix ans. La situation sociale y pose problème. Les nuisances dues aux
activités industrielles sont aussi présentes. Il ne semble pas cependant, à la différence de la rue de la
République, qu‟on dispose d‟enquêtes détaillées sur ces quartiers. On ne peut parler de dégradation
puisque les circonstances-même de l‟urbanisation ont conduit à la présence de très nombreux ouvriers
et d‟activités réprimées au centre. Le système de la sous-location rend difficile le contrôle, au dernier
échelon, des activités. C‟est là que se concentre l‟insolvabilité, la prostitution - on y trouve la majeure
partie des prostituées de la ville -, la grande mobilité des occupants, la misère 81 . Les conditions
d‟hygiène et d‟habitation sont mauvaises, encouragées, on l‟a dit plus haut, par la pratique des baux à
courte durée par les Hospices et la location en cascade. On commence alors à évoquer la
« régénération » du quartier 82 .
Comment aborder cette « régénération » ? Les Hospices envisagent un moment de recourir à une
société, comme pour la rue de la République, mais y renoncent. Les Hospices ne finiront pas agir que
sous la pression de la ville, de la demande et du marché. La demande se manifeste d‟abord par les
besoins du Département pour sa nouvelle préfecture. Quatre masses sont expropriées, et non acquises
à l‟amiable du fait du refus des Hospices qui comptaient sur un prix supérieur en procédant ainsi. Le
prix, en 1882, est de 65 frs/m2. La ville exproprie en 1887 les parties de voirie nécessaire à
l‟élargissement des rues voisines de Bonnel et Servient, pour le prix de 47 frs/m2 (Clémençon 1999,
391, n. 1008) 83 . Elle fait de plus pression sur les Hospices pour qu‟ils cèdent des terrains, avec
plusieurs objectifs. Premièrement, il est nécessaire d‟améliorer la situation financière des hôpitaux,
d‟autant plus que d‟importantes constructions nouvelles sont projetées. Deuxièmement, le conseil
municipal, représenté depuis le rétablissement de la municipalité en 1881 par cinq membres au conseil
d‟administration des Hospices, est déterminé à « lutter contre les baraques hideuses, les maisons
insalubres, les terrains vagues et les foyers d‟infection » de cette partie de la ville (Clémençon 1999,
397). Troisièmement, la demande des investisseurs immobiliers est forte. Les Hospices, pris entre leur
politique traditionnellement cauteleuse en matière de cession de terrains, leurs besoins propres en
financement et la pression de la mairie, vont céder et se dessaisir dans les années 1881-1896 de
superficies importantes, pour des prix nettement plus élevés (Clémençon 1999, ill. 56). Ainsi, la vente
à Eugène Dubois de terrains en 1885 et 1900 se fait elle à des prix de 426 frs/m2 et 502 frs/m2. La
valeur foncière a donc plus que triplé 84 , d‟où des plus-values importantes pour les Hospices.
81 De même que des activités comme l‟envoûtement, en vogue à cette époque « car à la Guillotière, on fait
maléficier, pour un louis, les gens ! », dit le personnage Des Hermies dans le roman Là-bas (Huysmans 1891, p.
319).
82 AML, 2 CM 39, 31 août 1880, p. 446, Combet.
83 En fait, le prix au m2 varie des îlots les plus proches du Rhône à ceux qui en sont le plus éloignés, selon une
gradation qui valorise mieux ceux les plus proches du centre. Le 10 juin 1884, on propose les prix suivants, selon
les îlots, en partant du cours de la Liberté vers l‟est : 200 frs, --, 150, 150, 120, 100, 85, 85. Les prix adoptés
définitivement le 8 novembre 1884 sont par ligne d‟îlot en partant du Rhône : 105 frs, --, 65, 65, 50, 40, 35, 35
juste avant la caserne de la Part-Dieu (AML 321 WP 031 rue de Bonnel, plan des rues à élargir par le voyer
Loiseau, portant en surcharge les prix proposés au m2 pour les terrains à racheter).
84 Elle se rapproche de celle des terrains du quartier Grolée avant sa rénovation, en presqu‟île.
40

Figure 9 : terrains vendus par les Hospices Civils lors de la rénovation urbaine en rive gauche,
1875-1901 (B. Gauthiez d‟après Clémençon).
Les îlots à cour commune : un début d’intervention sur les intérieurs
Ces cessions, permises par les baux de locations qui peuvent être interrompus en cas de vente du
terrain, ne sont cependant pas faites dans l‟urgence. Elles sont accompagnées de contraintes
remarquables sur l‟organisation des immeubles à construire.
Ces contraintes sont à situer dans une histoire de l‟intervention de l‟autorité publique née quelques
décennies auparavant. En effet, les autorisations de construire dans cette partie de la ville (c‟est vrai
aussi pour le reste du territoire municipal) concernent à la fois les constructions sur rue, ce qui est
traditionnel, et celles en intérieur d‟îlot, ce qui est très nouveau, à partir de 1855 et de façon
41

systématique à partir du milieu de 1856 85 . Il est probable que le décret sur l‟interdiction du pisé a
encouragé cette pratique, toutes les constructions nouvelles lui étant soumises. L‟autorité publique a
ainsi un regard sur les intérieurs d‟îlots, les plus problématiques du point de vue de l‟ordre public.
Il s‟agit, d‟une grande nouveauté du point de vue du droit de l‟urbanisme, jusqu‟ici limité aux parties
donnant sur l‟espace public de la voirie.
Une fois les îlots ou parties d‟îlots débarrassés des constructions existantes, le parcellaire déterminé
par les baux échus est en général effacé. La nouvelle configuration, appelée « îlots à cour commune »
par A.-S. Clémençon et « cour unique » dans les textes contemporains, prend la forme d‟immeubles à
une seule épaisseur formant un front continu le long des rues entourant l‟îlot et réservant tout l‟espace
résiduel au centre, souvent vaste voire très vaste, pour un usage commun de récréation. Une vingtaine
d‟îlots, parmi lesquels 13 entièrement, ont ainsi été recomposés selon cette contrainte (Clemençon
1999, ill. 180).
Les origines de cette disposition ne sont pas explicitées dans les abondantes sources dépouillées par
A.-S. Clémençon qui s‟attarde longuement sur cette question, avec quelque perplexité 86 . Il faut
signaler cependant un antécédent important, l‟immeuble du Parc, construit près de la place des
Terreaux sur un îlot appartenant aux Hospices (permis de construire du 8 février 1859, AML 315 WP
002, rue d‟Algérie, Massif de l‟Hôtel du Parc), où l‟on avait déjà établi un immeuble avec une cour
unique sur un îlot rasé. Comment se fait-il que cette forme urbaine étonnamment « moderne » par
l‟espace vert ainsi dégagé en cœur d‟îlot ne fasse jamais l‟objet d‟exposés de la part des Hospices,
qu‟on ne mette pas en avant ces qualités ? La raison à cette absence réside très probablement dans
l‟objectif recherché. En effet, il est évident que si l‟on avait pensé apporter un progrès significatif dans
la façon de dessiner l‟espace bâti et le rapport entre les espaces vides et les pleins, on l‟aurait clamé et
dit haut et fort. Ce qui nous apparaît donc comme un progrès n‟a donc pas été pensé comme tel et
personne ne semble en avoir eu conscience. En fait, il semble que l‟objectif recherché ait été multiple.
Il est évident qu‟on apporte ainsi air et lumière, dans une logique hygiéniste, aux immeubles, mais il
s‟agit aussi d‟empêcher que ne réapparaissent au coeur des îlots reconstruits les activités artisanales et
industrielles qui s‟y trouvaient nombreuses auparavant 87 , ni les tares sociales rassemblées en leur
centre : prostitution, activités répréhensibles, insalubrité. On peut penser, en outre, que l‟apparition des
autorisations de construire pour les bâtiments et murs en intérieur d‟îlot a donné à réfléchir sur ce qui
pourrait ou devrait s‟y passer, développant la conscience d‟un espace jusque là peu pensé, voire tout à
fait impensé, en terme d‟urbanisme. Ainsi, l‟espace central constitue-t-il une propriété distincte de
celui dédié aux immeubles, et est-il frappé de fortes contraintes quant à son usage. De fait, il est encore
de nos jours interdit d‟accès aux personnes n‟habitant pas autour, et d‟un usage extrêmement limité.
En bref, les cours communes sont vraisemblablement d‟abord des espaces interdits, vides, par peur
que ne s‟y développent des pratiques condamnées, un peu comme on avait réservé le cœur du quartier
ouvrier rasé par la rue de la République pour une place 88 . Nul besoin de parler de cet interdit, l‟accord
est tacite entre les parties concernées, du moins dans les textes 89 .
Il est aussi probable que cette configuration prenne place dans un débat qui naît, semble-t-il, au milieu
du siècle, sur la possibilité pour la puissance publique de légiférer sur les dispositions intérieures des
85 1 er acte à mentionner une maison non à l‟alignement : 2 avril 1855, AML 315 WP 104.
86 Des exemples tout à fait comparables existent à Genève, avec par exemple les 11 immeubles du square du
Mont-Blanc achevés en 1859 autour d‟un square, et de nombreux îlots de la ceinture fazyste, par exemple rue de
Candole et au Rond-Point de Plainpalais à la fin des années 1850 (Barbey et al. 1982, p. 360 ; p. 372-3). De
même à Marseille certains îlots du quartier de la Joliette comportent une cour centrale vers 1866 (Graff 1996, p.
189).
87 Les autorisations de construire portent pour près de la moitié sur des installations industrielles et artisanales
jusque dans les années 1870. Elles sont très rares ensuite dans le secteur pour ces mêmes fonctions.
88 Elles constituent aujourd‟hui en quelque sorte une réserve archéologique, en ce sens que ce sont pratiquement
les seuls endroits où il est possible de retrouver des traces matérielles de l‟occupation du quartier antérieure à sa
rénovation, et correspondant à la phase de sa colonisation entre 1855 et 1865.
89 On entraperçoit aussi une dimension esthétique dans la très courte argumentation portée par l‟architecte
Bissuel pour la cour unique à l‟angle sud-ouest de la rue Vendôme et dur cours Lafayette, lorsqu‟il écrit :
« Toutes ces maisons doivent être sur une vaste cour unique, il est naturel de les faire sur le même plan de
hauteur » (AML 315 WO 105, 9 juillet 1891).
42

âtiments, ce qu‟on ne fera qu‟au tout début du XXe siècle, notamment à l‟occasion du règlement
adopté pour Paris en 1902, élaboré par l‟architecte Bonnier (Archives… 1991). En 1849, le médecin
Potton identifie comme cause première des problèmes de santé dans les villes précisément les
appartements étriqués, mal équipés, le fait que le propriétaire cherche avant tout le profit et qu‟il lui
soit « permis de disposer de sa maison comme il l‟entend, quelles que doivent être les conséquences de
sa conduite pour la santé publique ». Il évoque le fait que les médecins connaissent bien, pour les
observer fréquemment, les « altérations organiques » dues aux appartements placé sous la toiture,
froids et humides (Potton 1849, 121-2) 90 . Cependant, aucun texte de loi ne permet d‟imposer des
contraintes aux propriétaires et aux investisseurs. Il est intéressant que dans le même texte Potton
considère que, grâce aux effets de telles contraintes :
« on ne rêvera plus aux phalanstères, il ne sera plus urgent de songer à la création de ces cités ouvrières
dont on s‟occupe, aujourd‟hui, dans quelques grandes villes, pour assurer aux artisans de meilleures
conditions hygiéniques. La transformation des quartiers insalubres, des habitations malsaines s‟opérera
inévitablement. »
L‟équipement sanitaire des immeubles existants et des normes imposées aux constructions nouvelles
seraient donc une alternative à la construction de cités ouvrières. En fait, cette alternative ne sera
pratiquée à grande échelle que dans la deuxième moitié du XXe siècle. Les constructions nouvelles
sont certes de mieux en mieux équipées, mais pour répondre aux aspirations de populations à haut
revenu, et aucunement aux ouvriers qu‟on chasse des quartiers rénovés. Il est assez curieux que dans
ce contexte, les « îlots à cour », entourés d‟immeubles de haut standing, reproduisent une forme
urbaine qui s‟apparente au Familistère de Godin à Guise, inspiré directement du Phalanstère de
Fourrier, et où les habitations ouvrières construites à partir de 1859 sont disposées autour de vastes
cours (Paquot 1982).
Le débat autour de 1850 sur l‟insalubrité et les moyens juridiques d‟y remédier était d‟abord nourri par
un désir d‟obliger les propriétaires à équiper leurs appartements selon des exigences minimales. Dans
le texte de la loi sur l‟insalubrité, adoptée le 13 avril 1850, la seule disposition retenue est la possibilité
d‟expropriation des immeubles déclarés insalubres. D‟outil pour améliorer « l‟état des logements
affectés à la population laborieuse et pauvre » (Vachez 1849, 439), contraignant les propriétaires et
visant à maintenir les habitants pauvres en place, la loi a été dévoyée pour devenir un instrument de
rénovation urbaine, favorisant la spéculation et éloignant les pauvres des centres (Bourillon 2000). La
pression des propriétaires pour que l‟autorité publique n‟intervienne ni ne réglemente à l‟intérieur des
immeubles ne sera efficacement combattue qu‟au XXe siècle 91 .
La ville ne se lance pas dans l‟aventure que représenterait une concession à une société privée,
L‟expérience de la rue Edouard-Herriot a été un échec financier. C‟est pourtant la solution qui est
retenue en 1886 pour la rénovation du quartier Grolée. L‟explication tient probablement dans le fait
que les terrains sont propriété des Hospices Civils et que, dans le contexte de relations tendues avec
cette institution 92 , l‟opération serait difficile voir impossible à monter. Inciter les Hospices à vendre
leurs terrains ne suffisait cependant pas, et on risquait de permettre la conservation d‟un système
d‟occupation du sol attirant peu les investisseurs immobiliers à même de requalifier le quartier. Pour
cela, il fallait que les Hospices soient conduits à vendre. La solution a été trouvée dans l‟adoption de
plans d‟alignements nouveaux pour les principales rues du quartier, portant leur largeur en général à
20 m, au lieu de 12 m auparavant (la rue de la république fait 22 m de largeur, la rue Carnot dans le
quartier Grolée 18, la rue Edouard-Herriot 16 m) 93 . Ces plans d‟alignements, soumis à enquête
90
De fait, de nombreux espaces placés directement sous la toiture (non isolés à cette époque), dans lesquels on
ne pouvait pas se tenir debout, étaient loués comme habitations. De nombreuses toitures comportent encore de
nos jours des lucarnes visant à les éclairer, à la forme très caractéristique, avec un toit incliné vers la partie
centrale du bâtiment. Les textes établissent clairement la concentration des ouvriers dans les parties les plus
hautes des immeubles.
91
La chambre syndicale des propriétaires parisiens s‟adresse ainsi à ses adhérents en 1895 : « Ne laissez pas les
agents sanitaires entrer dans nos maisons, car ils apportent avec eux le socialisme » (Fijalkow 1998, p. 124).
92
Tension aussi politique, les catholiques auxquels la municipalité est opposée ont en effet un poids dominant
dans la direction des Hospices.
93
Lors de l‟enquête publique pour l‟expropriation des terrains pour le Préfecture, les rues de Bonnel et Servient
ne sont prévues qu‟à 15 m de largeur, contre 20 et même 22 par la suite, Plan soumis à l‟enquête publique pour
43

publique, précisent que la ville n‟acquiert les terrains nécessaires à l‟élargissement des voies qu‟à
l‟échéance des baux de locations par les Hospices. En 1884, dans sa délibération du 30 décembre, le
conseil d‟administration des Hospices évoque l‟élargissement des rues de Bonnel et Servient, pour
lesquelles les baux sont caducs au plus tard en 1895, et la création de places « dans ces quartiers
populeux », comme « répondant à la fois aux besoins de la circulation et à ceux de l‟hygiène
publique » 94 . « L‟administration municipale d‟accord avec l‟administration des Hospices a montré une
grande habileté pour réaliser à peu de frais l‟élargissement de ces rues… », selon une pétition de 27
locataires versée à l‟enquête publique 95 Au résultat, plusieurs kilomètres de façades ont été
reconstruites sur des alignements nouveaux, par des propriétaires en général nouveaux, et souvent
selon la configuration de l‟immeuble à cour commune.
Parmi les acteurs de ces réalisations les architectes ont eu une part importante, notamment par leur rôle
d‟interface entre le capital privé des investisseurs et, dans le cas présent, le grand propriétaire foncier
constitué par les Hospices Civils. Ainsi, on voit Bissuel monter en 1891 la rénovation de l‟îlot entouré
des rues Vendôme et Rabelais, du cours Lafayette et de l‟avenue de Saxe. Il soumet à la ville un plan
de masse d‟ensemble et les hauteurs des immeubles à harmoniser vers 20,50 m. Chacun des
propriétaire dépose ensuite une demande d‟autorisation de construire, le même jour, portée par le
même Bissuel, architecte qui conçoit et réalise l‟ensemble. Bissuel est ici monteur de projet,
concepteur de l‟îlot et des immeubles, maître d‟œuvre du tout, pour 8 investisseurs privés, lui même
finançant un immeuble sur le cours Lafayette. Une telle façon de faire rappelle celle de Poncet dans les
années 1850 pour la rue de Brest et de Journoud, lui aussi architecte, rue Gasparin dans les années
1860 (Gauthiez 2002). Elle montre que Bissuel a certes raté la rénovation proposée dans son projet de
1881, mais a su se positionner avantageusement, peut-être en partie grâce à ses appuis politiques, dans
les opérations menées un peu plus tard en rive gauche du Rhône 96 .
Au bilan : une rénovation réussie
Nous ne disposons par pour cette rénovation urbaine non dite d‟une cartographie de bilan des
réalisations comme pour les percées dans la presqu‟île 97 . Il est cependant possible de la produire à
partir de la documentation planimétrique et architecturale disponible (fig. 10). Le bilan ainsi construit
repose sur les réalisations édifiées sur des terrains vendus par les Hospices Civils au cours de la
période 1880-1900, en cumulant sur un même plan îlots à cour commune, édifices publics au nombre
desquels la préfecture pour laquelle quatre îlots ont été mobilisés, des écoles, la mairie du 3 e
arrondissement, des édifices administratifs et religieux 98 , les nouveaux ponts liant les deux rives du
Rhône (ponts Morand, Lafayette, Wilson) et les principales réalisations architecturales autres.
L‟espace concerné est d‟une plus grande ampleur que celui qui avait été touché par les rénovations en
presqu‟île, ce qui montre les ambitions à l‟œuvre derrière ces projets. Les effets sociaux sont très
importants. Une population à bas revenus, ouvrière, pour partie marginale et formée de gens de
passage, est remplacée par des catégories bourgeoises. De même que, encore de nos jours, les rues de
la République et Edouard-Herriot sont parmi les plus bourgeoises de la presqu‟île, les quartiers
rénovés en rive gauche, particulièrement autour de la préfecture et de l‟avenue de Saxe, sont parmi les
plus bourgeois de cette partie de la ville. Les objectifs d‟embellissement ont aussi été atteints, par le
biais de rues élargies, de la monumentalité apportée par de grands édifices publics et par la qualité des
les expropriations de la Préfecture, avec pont projeté dans l‟axe rejoignant la rue Stella. Enquête de huit jours à
partir du 17 juin 1881. Expropriation prononcée le 13 juillet. AML 321 WP 031 rue de Bonnel.
94
AML 321 WP 031 rue de Bonnel.
95
AML 321 WP 031 rue de Bonnel , 9 mars 1887, clôture de l‟enquête publique pour l‟élargissement des rues de
Bonnel et Servient.
96
AML 315 WP 105, demande pour « construire un groupe de neuf maisons… sur une vaste cour unique », 9
juillet 1891. Les demandes d‟autorisation de construire individuelles sont présentées le 18 juillet, même source.
97
« Plan des travaux d‟amélioration générale exécutés à Lyon entre 1854 et 1861 », AML 2 S 581.
98
Parmi lesquels une caserne pour les gardiens de la paix à pied et à cheval, permis de construire du 29 déc.
1890, par Durand entrepreneur 175 rue de la Guillotière, à l‟angle N-E des rues de Bonnel et Molière face à la
préfecture, 46,25 m de façade rue de Bonnel, 76,65 m rue Molière (elle a été récemment détruite). AML 315 WP
009-1 autorisations de construire rue de Bonnel.
44

immeubles d‟habitation au décor parfois très chargé. On a cependant renoncé à de grandes
perspectives monumentales comme celle proposée par Carrel, André et Bissuel, peut-être pour éviter
leur charge symbolique. Du point de vue de l‟hygiène, la réussite est aussi totale, avec la disparition
des nuisances dues aux activités artisanales et industrielles, et le départ de populations aux mœurs
condamnées et ouvrières. Les maçons limousins, encore une fois, forment un groupe témoin. La carte
des cafés tenus par des limousins en 1911 indique un déplacement du quartier qu‟ils habitent à l‟est
des secteurs rénovés de la préfecture et de l‟avenue de Saxe (Orchandiano 2008, 123). Une telle
réalisation, au vu de la méthode utilisée, a nécessité une longueur de vue et une patience que seule
permettait le maintien au pouvoir du même maire, Gailleton, qui le reste jusqu‟en 1900. Ce même
maire qui disait : « Les difficultés sont comme les angles, elles s‟usent par le frottement » (Dutacq,
Latreille 1978, 277).
Un nouveau déplacement de population
Ce déplacement pose la question du devenir des populations expulsées des îlots détruits pendant ces
deux décennies, populations souvent déjà déplacées dans les années 1854-61, mais dont le nombre
n‟est pas connu, peut-être 20 à 30 000 personnes. Les maçons limousins trouvent à se reloger aux
franges du quartier rénové, à proximité de leurs lieux de sociabilité du quartier de la Guillotière. Ils
constituent probablement l‟une des parties les plus prospères (du fait des nombreux chantiers de
construction à cette époque au centre de Lyon et de leur enracinement géographique progressif) de la
population concernée, à même de retrouver habitation à proximité immédiate. En revanche, les plus
pauvres durent se déplacer beaucoup plus loin, pour l‟essentiel probablement au-delà de la voie ferrée
des Brotteaux, sur la commune de Villeurbanne, et peut-être tout particulièrement dans le quartier du
Tonkin. Ce dernier est créé en 1886 par les Hospices Civils sur un vaste terrain nouvellement acquis,
sous la forme d‟un réseau de rues à angle droit et de minuscules lots loués pour des durées limitées,
selon la formule en vigueur sur la rive gauche du Rhône partout en dehors de la zone rénovée. Les
populations ici déplacées devront à nouveau quitter ce quartier lorsque la rénovation en sera
commencée vers 1960, mais c‟est une autre histoire.
C‟est sur les anciens alignements que les constructions pour les déplacés avaient été élevées à partir de
1855. Ce n‟est donc pas sans quelque amertume que les occupants et propriétaires des immeubles ainsi
frappés d‟alignement réagissent. Lors des enquêtes publiques pour les rues de Bonnel et Servient, le
27 avril 1885 puis le 9 mars 1887 99 , de vives protestations sont exprimées par des pétitions. En 1885,
six locataires des Hospices écrivent :
« Il résulterait de là pour les locataires l‟impossibilité de se fixer avec la pensée de fonder des
établissements sérieux et durables dans les maisons construites par les soussignés et désormais frappées
d‟une sorte d‟indisponibilité relative et pour les propriétaires de ces constructions des entraves de toute
sorte apportées à une jouissance qui non seulement va être incessamment gênée et bouleversée pendant
ce qui lui reste de durée, mais ruinée dès à présent par le traité passé entre la ville et les Hospices et
l‟inexorable fixation d‟un terme à l‟expiration duquel il faudra subir forcément la dépossession ».
99 Les deux enquêtes portent sur à chaque fois les deux rues. La raison de la réitération de l‟enquête publique
n‟est pas connue.
45

Figure 10 : Carte des deux grandes rénovations urbaine lyonnaises, dans le Centre-Presqu‟île (1854-90) et
en rive gauche du Rhône (1880-1900). On mesure l‟ampleur de l‟opération en rive gauche (B. Gauthiez).
En Brun, rouge et orange, immeubles produits dans ce cadre (édifices publics et religieux, opérations
unitaires, immeubles isolés)
46

En 1887, ils sont 27 locataires à cosigner ces mots 100 :
« L‟administration municipale … ruine et dépouille un certain nombre de contribuables peu fortunés et
dignes d‟intérêt ».
Il faut prévoir de « justes indemnités », pour :
« Ces constructions dont quelques unes sont relativement récentes (et où ils ont placé) tout leur avoir,
toutes leurs économies… », « des industries ont été établies à grands frais et constituent un avoir sur
lequel ils devaient compter et qui va disparaître ». « Ceux qui ont édifié des constructions verront ainsi
leur avoir disparaître et seront réduits à emporter quelques matériaux sans valeur ». « Les locataires des
terrains en vertu de baux qui ne pouvaient excéder un temps relativement court, vu l‟état de minorité
des Hospices n‟ont été amenés à dépenser leur avoir dans lesdites constructions que sur la foi de
l‟engagement tacite pris par les Hospices de renouveler les baux à chaque échéance, sauf à augmenter le
prix au fur et à mesure de l‟amélioration des quartiers et au rendement plus grand des constructions
édifiées ». « Ces locataires seront ainsi dépouillés et devront emporter les matériaux sans valeur dont se
composent leurs constructions ».
Dans une pétition relative à l‟élargissement de la rue Moncey, signée par 42 locataires des Hospices et
propriétaires de leurs immeubles, on retrouve des considérations voisines, le 17 mai 1887 101 :
« tous propriétaires de constructions par eux élevées sur des terrains qu‟ils ont loués aux Hospices
Civils ». « Les constructions menacées par le nouvel alignement de la rue Moncey, sont, pour la plupart,
très récentes, et toutes assez importantes ; quelques-unes ont jusqu‟à quatre étages et greniers au-dessus
du rez-de-chaussée, elles sont bien et solidement construites en pierre de taille ou maçonnerie,
confortables et salubres ; elles ont, pour l‟avantage de tous, remplacé les misérables constructions
basses et insalubres, en planches et plotets, véritables échoppes, qui tout récemment encore bordaient la
rue Moncey ». Ils sont « auteurs de cette prospérité qui paraît aujourd‟hui à l‟administration devoir
nécessiter l‟élargissement de la rue Moncey, afin de satisfaire aux besoins nouveaux. Il serait donc
doublement injuste que les soussignés subissent seuls les conséquences d‟un nouvel alignement, qu‟il
leur était impossible de prévoir à si bref délai, et que l‟administration elle-même n‟avait pas prévu ».
Ils ont demandé à pouvoir acquérir les terrains, mais se sont heurtés à un refus par les Hospices :
« ayant pour principe absolu de ne pas aliéner les terrains dans les quartiers qui n‟ont pas leur plein
développement, et où ils peuvent encore espérer des plus-values. Dans tous les cas, tous n‟ont obtenu
des baux qu‟après que l‟administration des Hospices, soit par des plans exigés préalablement, soit par
tout autre moyen, eut acquis la certitude qu‟il serait élevé des constructions sérieuses, et n‟ayant pas le
caractère misérable de celles qu‟elles ont remplacées ».
La durée maximale des baux est de 15 ans.
« C‟est avec raison que les Hospices se refusent à laisser établir, comme autrefois, des constructions
basses et malsaines, véritables maisons provisoires, d‟aspect repoussant, ne pouvant convenir qu‟à des
locataires besogneux ou de mauvaise vie, et non aux ouvriers travailleurs et honnêtes, que de grands
établissements industriels attirent dans ces nouveaux quartiers ». « Vous sauverez d‟une ruine complète
ceux qui ont, pour une large part, contribué à l‟amélioration des nouveaux quartiers, et cela sans avoir
eu le temps de profiter de leurs travaux. Le fait que presque tous en sont à leur premier bail pour les
constructions menacées et bien dignes d‟attirer particulièrement votre attention ».
A la suite de cette pétition, qui fait état d‟un début de remplacement des constructions peu pérennes de
la première phase d‟urbanisation, il semble que la ville ait exonéré les dits immeubles de la servitude
de reculement, de même que pour une partie du cours Vitton peu auparavant 102 .
Ces textes permettent de comprendre ce qui s‟est passé, du moins dans les grandes lignes.
L‟affectation des terrains par baux à durée maximale de 15 ans entretien une forte insécurité chez les
preneurs. Cependant, avec l‟accord tacite des Hospices qui y voient un moyen de valoriser leur
foncier, ils construisent des immeubles d‟abord précaires, en particulier dans les années 1854-65, puis,
surtout à partir de la fin des années 1870, plus pérennes. Le risque de perte est alors très important en
cas d‟éviction, même si les baux prévoient expressément que les locataires sont propriétaires des
immeubles qu‟ils ont construits et doivent donc être indemnisés en conséquence en cas d‟éviction. On
100
AML 321 WP 031 rue de Bonnel.
101
AML 321 WP 146, rue Moncey Pétition imprimée adressée aux maire et adjoints et conseillers. Ils sont
localisés aux numéros 86 à 202 de la rue.
102
Cf. pétition de 1895 à propos d‟un immeuble faisant saillie à l‟angle des rues de Bonnel et Moncey.
47

etrouve dans ces textes les matériaux « nomades » que les locataires peuvent reprendre en cas de fin
de bail, et provenant pour partie des démolitions du centre. La politique des alignements menée par la
ville ne prévoit que le rachat aux Hospices Civils des terrains nécessaires à l‟élargissement des voies.
Une fois encore, un maçon limousin illustre bien cet épisode des rénovations lyonnaises.
L‟entrepreneur Chavepeyre est impliqué dans le financement et la construction d‟un petit immeuble,
dans le cadre d‟une opération pilotée par l‟architecte Journoud, au 25 puis au 27 rue Gasparin, en 1864
(Gauthiez 2002). L‟architecte lui permet de se sortir financièrement d‟une situation difficile. On
retrouve un Chavepeyre, certainement apparenté, qui obtient deux permis de construire en 1879, le 29
septembre pour surélever au 73 rue de Bonnel un immeuble –en fait une baraque- long de 6,5 m en
façade de 3,5 m, jusqu‟à la hauteur totale de 10,5 m 103 . Il est alors domicilié 4 passage de l‟Argue, en
presqu‟île. L‟intervention concerne l‟une de ces toutes petites constructions des années 1855-64. Le 18
novembre, c‟est au 96 rue de Bonnel, pour un immeuble nouveau de 10,5 m de long et 10,5 m de
hauteur (deux étages). Il est à ce moment domicilié au 2 rue Paradis, toujours en presqu‟île, dans un
immeuble construit dans le cadre de l‟opération rue de la République.
Le 9 mars 1887 il cosigne l‟une des pétitions précédemment citées, se plaignant de risquer de perdre
beaucoup à l‟occasion de l‟élargissement de la rue de Bonnel. De fait, il n‟a construit que depuis
environ 7 ans et doit envisager de détruire. Il est l‟un de ceux qui réussirent à reconstruire sur la
parcelle louée après l‟avoir rachetée aux Hospices Civils, puisqu‟on le voit le 9 septembre 1891
obtenir un permis pour un immeuble au même emplacement que celui qu‟il avait édifié en 1879, mais
en recul au nouvel alignement. La maison mesure cette fois 12,75 m de longueur, et fait l‟objet d‟un
nouveau permis pour surélévation le 22 décembre. Chavepeyre habite maintenant au 28 rue Louis-
Blanc, en rive gauche du Rhône, au nord du cours Lafayette. Il est représentatif de ces maçons exilés,
d‟abord itinérants. Ils logent souvent dans un garni, puis s‟établissent, économisant les gains faits sur
les grands chantiers, investissent à leur tour, dans un premier temps de façon modeste, puis de plus en
plus importante pour ceux qui réussissent, comme les Pitance ou Paufique. Bien sûr, ils ne
représentent qu‟une partie minoritaire des populations déplacées par les rénovations.
Pour conclure, la rénovation urbaine de la rive gauche du Rhône à Lyon entre 1880 et 1900 a suivi un
chemin particulier, puisque dans ce cas c‟est le propriétaire foncier qui l‟a largement conduite en
changeant le statut des terrains concernés, passant de la location à la vente, et en obligeant à la mise en
place d‟un rapport du bâti à la rue interdisant toute construction en intérieur d‟îlot. La contribution de
la ville, décisive, a pris la forme des obligations de recul à l‟alignement conduisant à la reconstruction
des immeubles riverains, des aménagements de voirie et des équipements publics nécessaires. Le privé
y a trouvé une occasion d‟enrichissement considérable 104 , la plus-value foncière étant partagée entre
les Hospices et les investisseurs immobiliers. En fait, la commune a probablement utilisé les Hospices
Civils, par le biais de ses représentants au conseil d‟administration, pour conduire une politique de
rénovation qui lui aurait été probablement beaucoup plus coûteuse autrement. Il était certainement
délicat pour une municipalité républicaine, très fortement opposée aux pratiques de Vaïsse à Lyon,
d‟afficher une politique de rénovation urbaine aux effets sociaux et économiques en tous points
identiques. On peut cependant en douter, puisque l‟opération de rénovation du quartier Grolée, certes
de bien moindre ampleur, est menée en parallèle et très médiatisée (River 1956) 105 . Le risque politique,
103 AML 315 WP 009-1 autorisations de construire rue de Bonnel.
104 Là aussi une étude fine sur les investisseurs serait utile. Par exemple, la Société Anonyme des Immeubles
Lyonnais, fondée et dirigée par Eugène Dubois, a acquis pas moins de 13 terrains, parcelles et îlots, aux
Hospices Civils entre 1881 et 1895 (Clémençon 1999, p. 402, n. 1040). Elle était fortement associée à
l‟architecte Rivière.
105 Dans Là-bas, le mercantilisme lyonnais est brocardé par Des Hermies (Huysmans 1891, pp. 319-20) :
« [Lyon] est également, malgré sa foison de radicaux et d‟anarchistes, un opulent magasin, d‟un
catholicisme protestant et dur, une manufacture janséniste, une bourgeoisie bigote et grasse. Lyon est
célèbre pour ses charcuteries, ses marrons et ses soies ; et aussi par ses églises ! […] On prie Notre-
Dame pour l‟extension des affaires ; on la supplie d‟ouvrir de nouveaux débouchés aux saucissons et
aux soies. On fait l‟article à la Vierge ; on la consulte sur les moyens de vendre les denrées défraîchies
et d‟écouler les pannes. Au centre de la ville même, dans l‟église de St-Boniface [St-Bonaventure], j‟ai
relevé une pancarte où l‟on invite les fidèles à ne pas distribuer, par respect pour le Saint Lieu,
48

en rive Gauche, a conduit à ne pas expliciter publiquement l‟action d‟aménagement. A tel point que
semble-t-il elle n‟avait pas été remarquée jusqu‟à ce jour par les historiens. Elle est pourtant d‟autant
plus remarquable qu‟elle touche à nouveau des populations qui avaient déjà été expulsées lors des
grandes percées sur la presqu‟île, et qu‟il s‟agit de la plus importante opération de rénovation urbaine
menée avant 1900 à Lyon.
____________________
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d‟aumônes aux pauvres. Il ne convenait pas, en effet, que les oraisons commerciales fussent troublées
par les ridicules plaintes des indigents !
- Oui, dit Durtal, et ce qui est bien étrange aussi, c‟est que la démocratie est l‟adversaire le plus acharné
du pauvre. La Révolution, qui semblait, n‟est-ce pas, devoir le protéger, s‟est montrée pour lui le plus
cruel des régimes ».
Ces lignes ont certainement été inspirées par le séjour de l‟auteur, proche de Zola, à Lyon en 1890.
49

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51

Emmanuelle ROMANET-DA FONSECA, historienne
En marge du centre de la ville bouleversé par les grandes percées des années 1850-60, le secteur de la
place Bellecour reste d‟abord un espace aux usages mêlés, populaires et bourgeois, l‟un des cœurs de
la vie nocturne. La gentrification amenée par les percées conduit à l‟éviction des activités les plus
répréhensibles au regard de la morale bourgeoise.
La place Bellecour, espace symbolique et aménagements à
Lyon au XIXè siècle
Cette place chère au coeur des lyonnais est le symbole de la ville.
La place Bellecour, c‟est plus de six hectares 106 encadrés de façades monumentales. Proportionné et
grandiose, cet espace vide tranche avec l‟environnement très construit de la Presqu‟île.
Son histoire est liée à l‟identité lyonnaise. Achetée par la ville en 1604 107 , la place est ensuite
aménagée: trois cents tilleuls, appelés alors “tillots” sont plantés sur la partie méridionale de la place
en 1609, un passage en croix y est établi afin de la rendre praticable en 1643, une statue équestre du
Roi-Soleil y est installée en 1713, des bassins (pièces d‟eau) y font leur apparition dés la deuxième
moitié du XVIIIè siècle grâce à une machine hydraulique, ...
C‟est un “lieu-symbole”: symbole de la royauté, puis symbole de la répression (“Lyon n‟est plus” avec
la démolition des façades 108
).
La place Bellecour traverse les siècles et change de nom en fonction des époques. 109
Comme toutes les places, elle est un lieu d‟échanges et de rencontres, lieu de rassemblements, lieu de
convergences spontanées, lieu ludique et culturel mais aussi lieu emblématique. 110 Cependant, la place
Bellecour a une particularité: elle n‟abrite aucun élément du pouvoir, tel l‟hôtel de ville, la préfecture
ou le palais de justice.
Une place à deux visages
Au milieu du 19è siècle, la place Bellecour a deux visages: c‟est un lieu à la mode le jour et un lieu
“mal famé” la nuit.Le jour, c‟est un espace très prisé de la bonne société, qui vient s‟y promener, se
montrer, voir et être vu, y déambuler dans ses plus beaux habits. D‟ailleurs les chaises sont payantes:
la ville en a confié la gestion à un concessionnaire qui utilise les services des dames “chaisières” 111 .
On peut y écouter de la musique. Les nurses des familles aisées viennent y promener les enfants.
En 1886, le conseil municipal autorise l‟établissement d‟une voiture pour enfants.
Et en 1887, une grande course cycliste, organisée par le Bicycle Club y est organisée.
106 1310 m x 200 m.
107 Henri IV en 1600 fait faucher les mauvaises herbes par ses gardes suisses et manifeste au Consulat son désir
de le voir acquérir le site afin de l’aménager en place publique, Béghain P., Benoît B., Corneloup G., Thévenon
B., Dictionnaire historique de Lyon, éditions Stéphane Bachès, 2009, p. 123.
108 La révolution s’acharne sur ce symbole de la royauté. Les façades sont détruites dés la fin du siége de Lyon en
1793 en application du décret du 25 octobre stipulant: “Lyon n’est plus”.
109 Place Bellecour en 1604, place Louis-le Grand en 1714, place de la Fédération en 1790, place de l’Egalité en
1792, place Bonaparte en 1801, à nouveau place Louis -le-Grand en 1814, place Bellecour en 1848, puis place
Louis-le-Grand en 1852 pour terminer par s’appeler place Bellecour en 1871.
110 Cette typologie de la place est donnée dans Pelletier Jean et Delfante Charles, Places de Lyon, p. 12-13.
111 Arch. Mun. Lyon, 321 WP 022: ferme des chaises et de la lecture des journaux Place Bellecour, 1829.
53

Un contemporain décrit le spectacle qu‟offre Bellecour l‟après-midi :
“L’aspect de Bellecour à cette heure est une harmonie de notes claires où domine le blanc des
petits manteaux, le blanc des robes longues des nouveaux-nés, celui des tabliers et des
manches des bonnes; puis, c’est le bleu et le rouge vif des robes des fillettes (...) c’est le rouge
cerise des rubans-étendards qui ornent si étrangement les manteaux des nourrices (...) enfin,
toute la gamme tendrement nuancée des ombrelles, qui, de loin, transforment Bellecour en un
parterre mouvant de fleurs phénoménales. (...) Autour du “Cheval de bronze” les bébés font
des jardinets, remuent des tas de gravier. (...) Sous le regard du grand Roi passe l’antique
équipage aux chèvres avec sa fournée de petits voyageurs. (...) le marchand de gaufres
propose sa marchandise .... “ 112
Plusieurs groupes s‟y cotoient, sans oublier le cercle des vieilles dévotes :
“La conversation roule tous les jours sur la charité chrétienne qu’elles ne mettent point en
pratique. Elles déchirent à belles dents les promeneuses en robes à queue ...” 113 .
Chaque année, les concerts de Bellecour sont attendus et annoncés par la presse locale :
“La société des concerts-Bellecour ouvrira le 13 mai, dimanche de Pentecôte, sous les frais
ombrages de Bellecour, ses nouveaux spectacles-concerts inaugurant une transformation
depuis longtemps attendue par le public. (...) Barrières à claire-voie limitant l’enceinte
réservée (...) des fauteuils confortables, où chaque spectateur bien à l’aise, pourra se délecter
d’excellente musique (...) tout en fumant un fin cigare...” 114
Les élites affectionnent tout particulièrement les immeubles donnant sur la place comme lieu de
résidence. C‟est une adresse recherchée pour son prestige, sa vue et l‟aspect central, comme le raconte
dans son journal une jeune épouse de médecin en 1886 :
“J’aurai beaucoup de ciel devant moi et Fourvière au loin, les arbres de la promenade, la
musique les soirs d’été, tout un enchantement des oreilles et des yeux!”. 115
La nuit, la place offre un tout autre visage. Avec ses cafés, ses restaurants et leur lot de tapages
nocturnes, de rixes. La place Bellecour la nuit, c‟est aussi la prostitution. Dejà en 1785, des réverbères
y sont installés dans les tilleuls pour lutter contre cette activité. Le quartier situé entre les Cordeliers et
la place des Terreaux est celui qui abrite le plus de maisons closes. Le travail de Valérie Rey-Robert
sur la prostitution à Lyon à cette époque nous apprend qu‟il y en avait soixante-sept 116
.
Plus près de la place Bellecour, dans le quartier entre les Cordeliers et la place, on dénombre trente
huit établissements de prostitution. Ainsi, la rue Mercière compte six maisons closes et la rue
Bourgchanin (actuellement rue Bellecodière) , quatre 117
. Les maisons closes où travaillent les “filles
en numéro” sont donc dans des quartiers “en plein coeur de la ville et à la fois lieux de promenade, de
travail et d‟habitation” 118
.
Les filles publiques qui se prostituent place Bellecour sont des “filles en carte” ou des “insoumises” :
“En ce qui concerne les filles isolées, il semble au vu des lieux où ont été arrêtées les
racoleuses, qu’elles travaillaient surtout au parc de la Tête d’or, place des Terreaux, place
Louis le Grand (actuelle place Bellecour), place des Célestins, place des Jacobins et place
des Victoires (actuelle place Carnot). La rue Tupin semble aussi avoir été un repaire de filles
isolées, pour le racolage.” 119
112
Vingtrinier E., La vie lyonnaise, autrefois, aujourd’hui, éditions de Lyon, 1898, p. 27-28.
113
La Gazette du Gourguillon littéraire et satirique, 2 mai 1874.
114
Journal Lyon-exposition, 13 mai 1894, p. 11
115
Péllissier Catherine, La vie privée des notables lyonnais (XIXe siècle), ELAH, Lyon, 1996, p.19.
116 V. Rey-Robert, La prostitution à Lyon et dans ses faubourgs (1800-1851), p.56.
117 Ibid., p. 58.
118 Ibid., p. 56
119 Ibid., p. 58.
54

La place Bellecour est aussi le lieu favori des rencontres entre homosexuels. Déjà en 1731, Jean-
Jacques Rousseau était l‟objet de propositions “déshonnêtes”. 120
Ses deux “aventures”, place Bellecour, lui donnèrent une très mauvaise image de la ville :
“... il m’en est resté une impression peu avantageuse au peuple de Lyon, et j’ai toujours
regardé cette ville comme celle de l’Europe où règne la plus affreuse corruption.” 121
Les premières vespasiennes installées dans la ville dont la place Bellecour, sont des nouveaux lieux de
rencontre :
“C’est là que se recrutent, autour des urinoirs, les plus franches crapules qui puissent exister.
Ces jeunes gens dévoyés, enclins au vices, commencent par ce métier et finissent par se mêler
aux bandes d’agresseurs sous les ordres desquels ils sont souvent placés.” 122
Quand la place se vide de ses derniers promeneurs ou mélomanes, elle laisse la place à d‟autres
activités :
“Le dernier morceau finit sur les accords d’une marche triomphale. (...) la foule se glisse et se
disperse avec un froufrou de jupes. C’est une vraie débandade. Dans l’ombre des allées, où
traînent de violents parfums, flânent seuls maintenant, entre les rangées de chaises vides, les
infatigables péripatéticiens ou les incorrigibles rêveurs accrochés par la ritournelle d’un
accordéon asthmatique sollicitant l’aumône des consommateurs attardés. 123
Les deux visages de cette même place s‟expliquent par sa situation géographique. Du côté nord-est, les
quartiers populaires, bientôt rénovés par la percée de la rue de la République puis la rénovation du
quartier Grolée. De l‟autre, un quartier aisé (Bellecour-Ainay) où vit la bonne société. Bellecour est
depuis l‟Ancien Régime le lieu de résidence préféré des élites. Si la présence de la bonne société
installée à proximité et autour de la place Bellecour est connue, celle d‟ouvriers dans ce secteur l‟est
beaucoup moins 124 , pour ne pas dire méconnue. Il s‟agit d‟ouvriers de la soierie. Mais les Canuts ne
sont pas les seuls ouvriers à vivre dans ce quartier. On y rencontre aussi, par exemple, des maçons
limousins qui logeaient dans des garnis 125 126
. Le recensement de 1841 permet de dresser une carte très
précise de la pauvreté dans la Presqu‟île 127 . Ainsi le triangle entre la rue Mercière, les rues Ferrandière
et Port-Charlet (actuellement la partie est de la rue Ferrandière) et l‟Hôtel-Dieu concentre les rues les
plus pauvres 128
. L‟enquête de 1853 sur l‟insalubrité des immeubles 129
illustre, elle aussi, la pauvreté
de ce secteur: un nombre important d‟immeubles insalubres sont habités par des ouvriers. La
population ouvrière vit donc à quelques enjambées de la bonne société.
Une place, lieu de vie
Les lieux de divertissements des alentours, cafés-concerts ou théâtres font de la place Bellecour, le soir
venu, un lieu propice aux rencontres en tous genres.
Ces lieux drainent une population nombreuse. Tel le Casino des arts, rue Impériale (actuellement rue
de la République) ouvert en 1862. Des chanteuses, fantaisistes et chansonniers s‟y produisent. Et à
partir de 1873, chaque dimanche des concerts populaires y sont proposés.
120 J-J. Rousseau, Les Confessions , Hachette éducation, Paris, pp. 233-234.
121 Ibid., p. 236.
122 Le Courrier de Lyon, 17 mars 1899.
123 Vingtrinier E., op. cit. p. 43.
124 Gauthiez B., Lyon entre Bellecour et Terreaux Arcitecture et urbanisme au XIXe siècle, ELAH, 1999, p. 37.
125 Ochandiano J.-L., Lyon, un chantier limousin. Les maçons migrants (1848-1940), Lieux-dits, 2008, p. 24.
126
AML 921 WP
127
Gauthiez B., op cit., pp. 38-39.
128
Ibid., p. 37.
129
AML 925 WP 70
55

Il y aussi l‟Eldorado lyrique, rue Bellecordière, ouvert en 1865 et transformé en théâtre en novembre
1874. Suite à un incendie en 1875, il est rasé puis reconstruit pour donner naissance au théâtre
Bellecour, qui se compose d‟une salle de 2 000 places, d‟une buvette et d‟un restaurant. 130
Le soir, la place Bellecour est elle-même un lieu de divertisement une fois les beaux jours venus, en
accueillant des concerts. Les promenades nocturnes y sont aussi très appréciées :
“Tout Lyon est à Bellecour. (...) Tout autour des palissades du concert, un public drôlement
mêlé forme la haie, se promène, se croise en un double courant. (...) on cause, on flirte ...” 131
.
Ce qui fait dire à un contemporain :
“Tous les mondes, toutes les classes se coudoient (...) où l‟usage est un accord tacite mettant
chacun à sa place” 132
.
Ces loisirs nocturnes sont rendus possibles grâce à l‟éclairage de la place 133
, qui bénéficie d‟un
traitement particulier dans ce domaine : les réverbères et lanternes sont répartis tous les 15 à 25 mètres
alors que pour les rues ordinaires, c‟est plutôt 35 à 60 mètres 134
. Ces activités ne sont pas du goût de
tout le monde: “Plus on s‟évertue à multiplier les lanternes à gaz (...) plus se développe dans toutes les
classes, l‟amour des plaisirs, l‟habitude des spectacles et des distractions de toutes sortes. Le gaz a
donc véritablement transformé les moeurs, et je crains fort que ce ne soit pas en bien” 135
.
La place Bellecour offre donc deux visages, à l‟image des deux bâtiments que la municipalité décide
de construire en 1829: un poste de police à l‟est et un café à l‟ouest. Ce qui fait écrire à un journal
local “un corps de garde pour maintenir l‟ordre et un café pour le troubler” 136
. La situation de la place
et son environnement en font un espace partagé où cohabitent deux mondes, qui se mélangent parfois.
Ainsi, la bonne société s‟encanaille le soir venu. Tel le bal masqué des étudiants au théâtre-
Bellecour 137
. Le tout Lyon est là, à l‟abri des masques. “Et la fête dure jusqu‟au petit matin” 138
:
“Si on pouvait en effet lever le masque et le domino voilant les personnalités qui se rendent à
cette merveilleuse fête, on s’apercevrait que tout ce que Lyon compte d’hommes connus et de
“belles et honnestes dames” s’y coudoient, s’y interpelle, s’y trémousse et s’y amuse. (...) Un
peu plus loin, toujours dans le couloir, des jeunes gens très lancés entourent deux jolies
femmes aussi peu vêtues que possible, et leur font un succès mérité par leur “académie”.
Enfin le jour commence à poindre...” 139
.
Il est intéressant de remarquer le but social de ces bals masqués. Ils furent créés en 1877 par les
étudiants pour venir en aide aux ouvriers touchés par une vague de chômage. La bonne société qui s‟y
rend chaque année en masse et qui s‟y amuse follement, fait donc acte de bienfaisance. Les bals de
charité fréquents à Lyon au XIXè siècle, sont bien différents des ventes de charité organisées par des
dames patronnesses!
Le périmètre de la place Bellecour regorge de lieux où la bourgeoisie vient se divertir :
130
Roux Jean-Luc, Le café-concert à Lyon, ELAH, Lyon, 1996.
131
Vingtrinier E., op. cit.. 42-43.
132
Ibid., 42.
133
Le centre-ville est équipé d’un éclairage au gaz depuis 1836. Et l’électrification de l’éclairage public (1903)
est adoptée pour la santé des marronniers de la place Bellecour. Ces grands arbres supportaient mal l’émanation
des becs de gaz. Voir Deleuil J-M., « Du bec de gaz à l’halogène. Les enjeux de l’éclairage public à Lyon »,
Bulletin du centre Pierre Léon d’histoire économique et sociale, n°1, 1995.
134
Ibid., p. 19.
135
Vingtrinier E., op. cit. p. 38.
136
L’écho du jour, 1er juin 1829.
137
Ce bal a lieu au Théâtre Bellecour de 1880 à 1883 et de 1886 à 1892.
138 Le Petit Lyonnais, 2 mars 1880.
139 Le Progrès illustré, 20 mars 1892.
56

“Mlle Yvette Guilbert vient de nous quitter après avoir obtenu au Casino un succès
étourdissant. Tout Lyon s’est empressé d’applaudir la divette Yvette et ce sont Ô ironie! les
familles les plus bégueules et les mieux pensantes de l’aristocratie lyonnaise qui l’ont
“ovationnée” avec le plus d’enthousiasme...
(...) Le meilleur talent de Mlle Guilbert consiste à dire tranquillement, et sans avoir l’air d’y
toucher, les gaillardises les plus énormes. Disons le mot, son répertoire est carrément
pornographique. (...) Seulement, me plait de voir les salons de Bellecour, si collet montés et si
puritains d’apparence, se ruer à ces plaisirs plus que rabelaisiens” 140
.
Dans “Un bouge” l‟anarchiste Antoine Cyvoct décrit le théâtre Bellecour :
“On y voit surtout après minuit la fine fleur de la bourgeoisie et du commerce ... le premier
acte de la révolution sociale devra être de détruire ces repaires” 141
.
Cette dernière phrase lui vaudra d‟être arrêté et accusé de l‟attentat qui eut lieu dans la nuit du 22 au
23 octobre 1882 au restaurant du Théâtre-Bellecour, surnommé “L‟Assomoir”. La bombe qui y
explosa fit un mort et deux blessés ainsi que des dégâts considérables. Il faut signaler, qu‟une partie de
la bonne société, les ultra catholiques, ne fréquente pas les théâtres considérés comme des lieux de
perdition, qualifiés de “tombeaux de la piété” 142
. Certains notables boudent ces lieux par hantise du
brassage socia l:
“Calixte avait eu la précaution de me prévenir que la société y était bien mêlée, mon cher,
bien mêlée! Une société de ce genre ne pouvait nous convenir.” 143
Les conflits d‟usage sont peu importants. Il y a bien des plaintes pour tapage nocturne dont certaines
sont en réalité déposées par des limonadiers concurrents 144
.Telle cette réclamation adressée par les
cafetiers de la ville à la préfecture de police du Rhône en 1866, expliquant que la demande de sieur
Dupoizat, limonadier, de construire un kiosque à musique sur la place ne doit pas être satisfaite car
cette construction leur ferait une concurrence déloyale 145
.
Une moralisation du lieu
A partir de la seconde moitié du 19è siècle, on assiste à une moralisation du lieu à relier aux
changements opérés dans son environnement: A la percée de la rue Impériale, il faut ajouter
l‟élargissement de la rue de la Barre en 1868 et la destruction des maisons, du côté est de la rue
Bourgchanin. La refonte ou “régénération” du centre de Lyon, symbolisée par la percée de la rue
Impériale (1854), est voulue par les classes dirigeantes et par le pouvoir politique pour des raisons
sécuritaires, politiques et économiques. Il s‟agit de réprimer les émeutes (les insurrections ouvrières
de 1831 et 1834 sont encore dans les esprits du pouvoir politique), de garder à l‟immobilier sa valeur
et éviter ainsi le déplacement d‟une partie de la bourgeoisie vers la rive gauche du Rhône ou encore de
chasser du centre ville une population ouvrière considérée comme dépravée et potentiellement
dangereuse. On nous parle d‟une “population dégradée par la misère, l‟insalubrité et le vice qui fait
fuir les étrangers et les locataires fortunés” 146
. Ou des “problèmes de police du quartier et de scènes
infâmes” qui s‟y produisent la nuit 147
.
140 Le Progrès illustré, 22 mai 1892.
141 Le droit social, 12 mars 1882.
142 La Congrégation des Messieurs de Lyon, voir Catherine Pélissier, op. cit. p. 204.
143 Ibid., p. 205.
144 AML 321 WP 022.
145 AML 321 WP 022.
146
Monmartin, Revue du Lyonnais, 1845. Cité par Saunier P.-Y., Lyon au XIXe siècle: les espaces d’une cite,
thèse de doctorat, 1992, p. 822.
147
Arch. Nat. F2 II Rhône 5, rapport du maire du 21 janv. 1847. Cité par Saunier P-Y, Ibid., p. 818.
57

Quelles que soient les raisons, avouées ou non, la réalité est là. La place Bellecour n‟est plus ce lieu
particulier, ce trait d‟union entre des populations différentes, puisque les populations ouvrières ont été
déplacées 148
. Un changement important s‟est opéré, à la hauteur du nombre de personnes déplacées:
environ 30 000 personnes 149
. Un changement que Vaïsse revendique en s‟adressant à la Commission
municipale de Lyon à la fin de l‟année 1854 :
“L’ouverture de la rue Impériale et précédemment celle de la rue Centrale, complétée par
l’élargissement de la rue Saint Pierre, ont eu pour résultat de changer profondément les
conditions matérielles et morales de tout le réseau des rues avoisinant ces deux grandes
artères et venant y aboutir” 150 .
Ce que Michel Foucault décrivait comme : “discipliner les “espaces non disciplinaires” 151
.
Les conséquences ne se font pas attendre. En 1856, le café du pavillon, situé sur la place même et
réputé pour prostitution et tapages nocturnes, est remplacé par un café chic, “la Maison dorée” :
“Du côté de la Maison Dorée, autour du kiosque de la musique, c’est un public plus mondain.
Pendant que se déroulent la valse de Martha et la fantaisie de Faust, les femmes, en toilette,
sont assises sur plusieurs rangs au bord des allées ou réunies en famille, entre amies (...), le
cigare aux lèvres, les hommes vont et viennent, en files serrées (...). On retrouve là presque
chaque jour les mêmes visages d’étudiants flâneurs, d’avocats sortant du palais (...) d’artistes,
d’employés sans emploi, de chercheurs d’affaires ou d’aventures, d’ennuyés et d’ennuyeux du
Tout-Lyon, se montrant dans leur lustre et arborant de nouvelles cravates” 152
.
En 1881, le Casino où s‟exhibent des chanteuses et fantaisistes, ferme et devient une salle élégante.
En 1892, le théâtre Bellecour ferme ses portes.
Cette moralisation n‟empêchera pas, au grand dam de certains, les “miasmes moraux” 153
, tel le cas
d‟un rentier et d‟un écclésiastique se livrant à un duo de masturbation exhibitionniste à l‟ombre des
arbres de la place, en 1888 154
. Ou des rencontres d‟un soir qui tournent mal :
“Avant-hier, un jeune homme d’une vingtaine d’année (...) se présente au commissariat de
police de Bellecour et dépose plainte contre deux individus qui, la veille, l’avaient dévalisé. A
la sortie du Casino, le plaignant avait fait la connaissance de deux personnages. Après avoir
roulé de café en café, il s’était retrouvé à 5 heures du matin, seul et allégé d’un millier de
francs en billets de banque que contenait son portefeuille” 155
.
La place ou son très proche environnement sont le théâtre de drames. Tel celui de Bellecour:
“demoiselle Louise Piolat, meurtrière de son amant qu’elle soupçonnait de vouloir rompre” 156
. Ou le
drame dit de la place de la Charité (actuellement place Antonin Poncet) où “dans la nuit du 9 au 10
mars 1891 vers une heure trente du matin, une fille, Louise Claret, âgée de 38 ans a déchargé deux
coups de révolver sur un jeune homme qui avait été son amant il y a quelques années. Puis elle
retourna l‟arme contre elle ...” 157
Une place à l‟abri des aménagements, mais une place transformée
148
Cf. B. Gauthiez ci-dessus.
149
Ibid .
150
AML délibérations du conseil municipal 1854. Cité B. Gauthiez Ibid .
151
Foucault Michel, Surveiller et punir, Gallimard, Paris, 1975, p. 250.
152
Vingtrinier E., op. cit. p. 29.
153
AML O1 124
154
Béghain P., Benoît B., Corneloup G., Thévenon B., op. cit,. p. 632.
155 L’écho de Lyon, 13nov. 1892, p.2
156 Le progrès illustré, 1er déc. 1895.
157 Le Progrès illustré, 22 mars 1891.
58

La place Bellecour a bénéficié de peu d‟aménagements, exception faite des deux bâtiments construits
en 1829, du fait de l‟ordonnance royale de 1658 interdisant toute construction 158
. Ils se limitent donc
aux arbres, aux bassins ou fontaines sans oublier la construction de chalets ayant des fonctions
diverses. En 1849, les tilleuls endommagés lors de la révolte républicaine de 1834 par les
bombardements et qui ont servi à édifier des barricades sont remplacés par des marronniers 159
. Dès
1858, de nouvelles toilettes publiques, en forme de chalet en bois sont installées et les banquettes
bordant la promenade Bellecour sont déplacées suite à la plantation d‟une nouvelle ligne d‟arbres 160 .
En avril 1872 un chalet laiterie y est construit. En 1877, le conseil municipal décide “l‟établissement
de bandes en asphalte comprimé entre les rues de Bourbon, de Lyon, Saint Dominique et
Bellecour” 161 .
En 1883, après avoir institué une commission dite “des marronniers de Bellecour”, le conseil
municipal décide “d‟amender le sol pour la conservation des marronniers de Bellecour 162 ”. Les
vespasiennes seront remplacées par des chalets métalliques en 1885 163 . Un kiosque à musique y est
construit en 1876. Une fontaine est inaugurée sur la place en août 1857. Sans oublier les baraquements
temporaires, tel celui qui fut installé en février 1888 pour accueillir la première exposition de la société
lyonnaise des Beaux arts 164 .
Il faut ici s‟arrêter sur une particularité de la place Bellecour: les conditions de son acquisition par la
ville de Lyon. Celles-ci ont en effet créé une servitude au profit d‟une famille. L‟ingénieur en chef de
la ville de Lyon, dans la réponse qu‟il fait à un limonadier désireux de construire un kiosque à
musique sur la place évoque le fait qu‟“il est absolument impossible de laisser élever des constructions
de cette espèce sur la place Bellecour, avec d‟autant plus de raison que cette partie de la place est
grévée de la servitude non oedificanti au profit des riverains 165 ”.
Un mémoire de 1839 adressé “à son excellence Monsieur le Ministre de l‟intérieur par des habitants de
la ville de Lyon” au sujet des désordes occasionnés par le café situé sur la place évoque cette situation
particulière :
“La place Louis-le-Grand a été concédée à la ville de Lyon sous le règne de Louis XIV, par
des ascendants de la famille de Vauxonne. La condition que l’espace ne servirait qu’à une
promenade publique et pour une place d’armes est express dans le traité 166 ”.
On y apprend que lorsque la ville y a fait construire en 1829 “un corps de garde dans les vues de sûreté
publique”, la famille de Vauxonne est intervenue. Les co-héritiers Rousset ont en effet assigné la ville
devant les tribunaux 167 . Une deuxième construction fut décidée par esprit de régularité (le café en
cause). Lors de cette construction en 1829, un acte stipule dans son article 1 que la ville s‟engage à ce
qu‟il n‟y ait pas d‟autres constructions. Et précise que le deuxième bâtiment (le café) “est à une
distance de nonante mètres 81 cm mesurés de l’angle nord de la grande maison appartenant aux
cohéritiers Rousset.” 168
C‟est ainsi que lors de la modification des deux bâtiments de la place en 1855, la famille de Vauxonne
donne son accord et fixe des conditions notifiées dans un acte notarié du 24 avril 1855 passé chez
maître Louis Coste entre Monsieur de Vauxonne et le préfet Vaïsse :
“Article 1: Monsieur de Vauxonne consent à la modification du corps de garde et du pavillon
établis sur la place Bellecour tels qu’ils avaient été fixés par le traité entre la ville et lui le 12
août 1829.
158
Cette ordonnance fait défense à la ville de Lyon d’ ”en aliéner, échanger ou vendre aucune partie et d’y
laisser bâtir aucune maison ou édifice.”
159
Béghain P., Benoît B., Corneloup G., Thévenon B., op. cit., p. 125
160
AML 321 WP 022.
161
AML 321 WP 022.
162
AML 321 WP 022.
163
Béghain P., Benoît B., Corneloup G., Thévenon B., op. cit., p. 851
164
AML, Lyon à travers l‟actualité XIXè siècle, Fichier Hours.
165
AML, Lyon à travers l‟actualité XIXè siècle, Fichier Hours.
166
AML 321 WP 022, mémoire de 1839.
167
L‟épouse du Baron de Vauxonne est née Rousset.
59

Article 2: aucune adjonction sera faite au batiment, pas de plantation d’arbres, ni en pleine
terre ni en caissons, ni kiosque, ni cabinet, ni cloture faites par le locataire du café. (...) La
plateforme du café ne pourra jamais servir aux consommateurs, ni employée à l’usage du
café.” Vaïsse, au nom de la ville de Lyon renouvelle formellement l’interdiction d’établir
d’une manière fixe aucun pavillon, kiosque et construction sur la place Bellecour. Il est aussi
stipulé qu’entre les deux pavillons, il n’y aura que des plantations ». 169
La famille de Vauxonne fait à nouveau valoir ses droits en 1860. Dans une lettre du 5 juillet 1860,
Monsieur de Vauxonne “renonce à se prévaloir de la clause du traité passé le 24 avril 1855 entre la
ville de Lyon et lui par laquelle la ville de Lyon s’est interdit de planter des arbres de haute futaie
entre les deux pavillons construits sur la place Bellecour” 170
. La ville peut donc planter comme elle
l‟entend. Mais elle ne pourra pas planter d‟arbres sur la partie formant trottoire au devant des maisons
appartenant à M. de Vauxonne et ayant leur façade sur la place Bellecour.
Les “avantages” détenus par cette famille lui garantissent un cadre de vie agréable. Ces avantages
peuvent même être financiers. Ainsi une lettre du 25 juillet 1860 de l‟ingénieur en chef de la ville à M.
le Sénateur nous apprend qu‟en contre partie des droits cédés par M. de Vauxonne à la ville, cette
dernière lui “ a abandonné en échange la participation qu‟il devait dans les travaux de trottoirs et
canivaux établis devant l‟immeuble qu‟il possède place Bellecour” 171
. La famille de Vauxonne garante
de la tranquillité de la place revient à la charge en septembre 1867, lorque la ville l‟informe par lettre
de la suppression des jardins établis devant son immeuble en octobre 1867. Monsieur de Vauxonne
veut “une convention entre les parties et certaines conditions qu’une des premières serait que cet
emplacement ne deviendrait pas la proie des cafés, tables des établissements avoisinants” 172
. La ville
de Lyon ne veut pas de convention considérant que le trottoir situé devant la maison de M. de
Vauxonne fait partie de la voie publique et est donc régie par des règlements.
Cette particularité sera présente tout au long du siècle, puisque en juillet 1889 l‟adjoint au maire
adresse une lettre à M. l‟archiviste de la ville lui demandant de faire toutes les recherches d‟urgence
concernant “les droits que peut faire valoir sur le sol de la place Bellecour soit les propriétaires
riverains soit l’autorité militaire” 173
. Cette recherche est liée à la construction chargée d‟abriter
l‟exposition d‟artistes lyonnais. Une note du cabinet du maire fixe le but de cette recherche: “mettre la
prétention de l’autorité militaire à néant” 174
. Dans cette note, rien n‟est dit sur les droits des
propriétaires riverains.
Mais si la place Bellecour a bénéficié de peu d‟aménagements, elle a subi les répercutions de la
transformation du centre (notamment par la percée de la rue Impériale) qui a eu pour conséquence de
modifier la cohabitation de populations diverses sur le même espace. Cela a renforcé sa centralité et
son prestige: la rue impériale (actuellement rue de la République) et la rue de l‟impératrice
(actuellement rue du Président Edouard Herriot) convergent vers la place Bellecour. On peut parler
d‟effets induits. La modification entamée dans la seconde moitié du XIXè siècle s‟est poursuivie au
XXè siècle. Les classes populaires chassées du centre dans la seconde moitié du 19è pour des raisons
politiques, sécuritaires et économiques, y reviendront au siècle suivant, grâce aux aménagements
réalisés, cette fois-ci, sur la place Bellecour.
Ainsi le creusement sous la place du parc de stationnement (1966) puis l‟arrivée du métro (1978) vont
permettre à une population moins aisée que celle qui y réside, de venir facilement au centre ville. On
assiste alors à un flux retour.
169
AML 321 WP 022, acte du 24 avril 1855.
170
AML 321 WP 022, lettre entre M. le Sénateur chargé de l’administration du département au nom de la ville de
Lyon et M. René de Vauxonne, 5 juillet 1860.
171
AML 321 WP 022, lettre du 25 juillet 1860.
172
AML 321 WP 022, lettre de M. de Vauxonne au cabinet de l’ingénieur en chef de la ville de Lyon, sept.
1867.
162 AML 321 WP 022, lettre du 24 juillet 1889.
174 AML 321 WP 022, note du cabinet du maire.
60

Du “lieu-symbole” au “lieu-enjeu”
Aujourd‟hui la place est en plein réaménagement 175 . Ce qui suscite des discussions et de vifs débats,
notamment de la part des riverains qui luttent contre l‟occupation de “leur” place et son utilisation en
“champ de foire” 176 . Cette problématique n‟est pas récente. Depuis plus d‟un siècle, la place Bellecour
est l‟objet d‟une lutte entre deux conceptions: une conception de ville (la place fleuron de la ville
appartient à tous) et une conception de quartier (“un lieu de sociabilité réservé à la bonne société
domiciliée alentour”). Ici, on peut souligner le débordement de l‟espace privé sur l‟espace publicdénaturation,
appropriation de l‟espace public ...-sans oublier les enjeux de territoire.
Deux conceptions politiques s‟opposent. Les plaintes des riverains contre l‟utilisation publique de
“leur” place font référence au politique. Qu‟il s‟agisse d‟une habitante écrivant en 1907 “Herriot
entend ainsi mâter le bourgeois: de fait, il n’y a plus moyen de respirer, ni d’ouvrir ses fenêtres 177 ”, ou
des riverains actuels qui reprochent à la municipalité centrale (PS) de punir le 2è arrondissement
d‟avoir voté à droite 178 .
L‟étude de la place Bellecour, trait d‟union entre deux quartiers est une approche particulière en ce
sens qu‟elle s‟intéresse à une “région morale” pour reprendre le terme de Pierre-Yves Saunier 179 . La
place Bellecour échappe à la notion de quartier et son étude montre qu‟elle ne peut être rangée dans
aucun tiroir, ni étiquetée, à la différence d‟un quartier.Cet espace, place emblématique, s‟impose
comme le reflet de l‟évolution que connait la cité en cette seconde moitié du XIXè siècle. La place
Bellecour est le portrait de cette évolution 180 . Ce travail montre, s‟il est besoin, combien le projet
urbain est une question à la fois politique et sociale.
175
Après les interventions sur l‟allée Sud et les cadres Nord et Est, les travaux de la grande partie Sud sont
réalisés de février 2010 à fin 2012.
176
Manifestations diverses et variées: tournois de boules, manifestations, ministère délocalisé, fêtes consulaires,
distribution du petit paumé, grande roue et patinoire pour les fêtes de fin d‟année, etc.
177
Pélissier C., La vie privée des notables lyonnais (XIXe siècle), p. 25.
178
La mairie du 2e arrondt est tenue par la droite.
179
Saunier P-Y., “Représentations sociales de l’espace et histoire urbaine. Les quartiers d’une grande ville, Lyon
au XIXe siècle.”, in Histoire sociale n° 57, juillet 1996, pp. 23-52 ; “On a affaire à des “régions morales” bien
différentes.” p. 23 ; “Pour l’historien, s’intéresser à l’imaginaire d’un quartier, à sa place dans le paysage
symbolique de la ville consiste trop souvent à amasser quelques citations, généralement choisies selon une
certaine idée, parfois anachronique, de la couleur de ce quartier (quartier chic, quartier chaud, quartier populaire,
etc ...)” p. 24.
180
Une place est comme le disent J. Pelletier et Ch. Delfante dans Places de Lyon: portraits d’une ville, “le
miroir non seulement du développement morphologique de la ville mais encore et surtout le reflet de l’évolution
politique et sociale, économique et culturelle de la cité”, p. 6.
61

Anne-Sophie CLEMENÇON, Université de Lyon, UMR 5600 Environnement, Ville, Société
Le plus grand propriétaire foncier en rive gauche du Rhône, les Hospices Civils, mènent au XIXe
siècle une politique foncière à plusieurs facettes, parfois en contradiction du point de vue de la
sécurité. Ils lotissent à tout va leurs terrains, tout en en gardant le contrôle foncier, en favorisant ainsi
l‟installation de milieux très populaires, et freinent de ce fait l‟équipement moderne de ces quartiers.
Mais, lorsqu‟il s‟agit de tirer le meilleur profit des terrains, dans une deuxième phase de
l‟urbanisation, tout est fait pour en chasser les anciens occupants et protéger les nouveaux, bourgeois,
avec notamment une architecture adaptée.
« Ignobles tavernes et lieux crapuleux de débauche »
La sécurité dans la politique urbaine des Hospices civils de
Lyon
Introduction
Après les percées haussmanniennes de la presqu‟île de Lyon, le choix s‟est porté sur la rive gauche du
Rhône entre 1850 et 1914. En effet, ce site est complémentaire du précédent car il présente une
histoire urbaine différente. D‟un côté, il s‟agit d‟une opération ponctuelle, volontaire et réduite dans le
temps, comme les autres opérations présentées dans ce rapport, de l‟autre, au contraire, de la
constitution d‟un morceau de ville sur le long terme, à partir d‟une politique urbaine complexe et
évolutive mise en place par le propriétaire foncier lotisseur. De fait, une grande partie de la rive
gauche (depuis le Rhône jusqu‟à la ligne du chemin de fer, exceptée la partie sud) a appartenu ou
appartient encore à un propriétaire unique, les Hospices civils de Lyon. Ceux-ci sont constitués de la
réunion de plusieurs structures hospitalières et représentent, dans la ville, un organisme riche et
influent. La mise en parallèle est donc fructueuse. Il ne s‟agit pas d‟explorer le point de vue du
politique, position développée par ailleurs dans ce rapport, mais celui du propriétaire foncier. Il existe
aussi d‟autres travaux sur la sécurité, mais dans une perspective différente de celle choisie ici. Ils
traitent du maintien de l‟ordre et du contrôle de l‟espace à Lyon au 19 e siècle, en particulier ceux de
Pierre-Yves Saunier 181 qui analysent l‟organisation des forces de l‟ordre, leur implantation sur le
territoire de la ville et leur relation aux différents pouvoirs.
L‟objectif consiste à croiser les questions de sécurité avec les mécanismes de formation d‟un territoire
urbain. Il est très vite apparu qu‟il fallait élargir le thème de la sûreté à de nombreux thèmes connexes
pour le mettre en relation avec un système de société à un moment donné. Une autre notion a semblé
importante à prendre en compte, c‟est l‟importance du non-dit et donc, la nécessité de décrypter
l‟implicite. Finalement, la question principale posée dans cet article est la suivante : en quoi les
questions de sécurité contribuent-elles à la création des espaces urbains, et cela à toutes les échelles
spatiales, depuis la plus grande, le territoire, à la plus petite, l‟immeuble ?, question posée à partir de
l‟exemple du domaine des « Hospices », comme on les appellera plus succinctement. L‟étude met
aussi l‟accent sur les moments clefs de la production de ces espaces liés à la sécurité, sans insister sur
leurs transformations ultérieures, sans privilégier une vision depuis le haut, Préfecture, Mairie…, mais
depuis le point de vue du propriétaire foncier lotisseur. Bien entendu, les Hospices ne sont pas isolés,
ils côtoient de nombreux autres acteurs et sont resitués dans ce système complexe.
Une autre raison a guidé le choix de la rive gauche du Rhône, la richesse des sources disponibles. En
effet, les Hospices ont décrit jour après jour, depuis le 18e siècle, non seulement la manière dont ils
ont géré leur domaine, mais aussi toutes les transformations successives qui se sont opérées sur celui-
181 P.Y. Saunier., 1993.
63

ci, qu‟elles soient ou non de leur fait. Ces sources ne sont pas seulement composées de textes
(délibérations, rapports, correspondance, comptabilité...), mais aussi d‟une collection cartographique
d‟une grande richesse qui retrace, à des échelles minutieuses, chaque étape de l‟évolution formelle de
ces terrains en constante mutation. Cet ensemble exceptionnel réunit de manière complète et cohérente
tous les renseignements concernant la constitution d‟un territoire urbain. En outre, ayant fait l‟objet
d‟une urbanisation rapide sur un terrain quasiment vierge, ce site offre une grande transparence des
mécanismes qui ont alors été mis en œuvre. Il a été très peu perturbé par les guerres ou les rénovations
radicales des trente glorieuses, et le résultat de son histoire est donc presque intact sous nos yeux. Il
faut tout d‟abord connaître le principe de base sur lequel est fondée la politique urbaine des Hospices.
Ils pratiquent à la fois la vente et la location de leurs terrains. Dans le premier cas, les investisseurs
font le plus souvent construire des immeubles de rapport de qualité afin de rentabiliser l‟opération.
Dans le second cas, au contraire, les locataires des terrains érigent des bâtiments plus modestes et de
types plus divers. Les processus de fond à l‟œuvre dans la production de ce territoire, autrement dit la
« fabrication de la ville ordinaire », ont été étudiés dans une thèse de doctorat 182 qui a inspiré cet
article.
Fig. 1. Les terrains des Hospices sur la rive gauche du Rhône en 1850. La Guillotière. Fond de
plan 1909 (Clémençon 1999).
L‟étude s‟organise autour de quatre grands thèmes, caractéristiques des luttes que les Hospices mènent
contre différents types d‟insécurité : la lutte contre les catastrophes naturelles, la lutte directe contre les
activités illicites, la lutte indirecte contre les activités illicites, et la dissuasion spatiale. Le premier
thème prend pour exemple les inondations, catastrophe naturelle endémique sur la rive gauche du
Rhône, vaste plaine inondable. La réflexion porte sur les aménagements et les règles que s‟imposent
les hommes pour se protéger du fleuve, entre autres la surélévation du sol et l‟interdiction de
construire en pisé de terre, et l‟influence de ces mesures sur les modifications sociales du quartier. La
lutte directe et indirecte contre les activités considérées comme illicites met en parallèle le principe de
l‟opposition frontale, contre la prostitution par exemple, et celui de l‟opposition indirecte qui passe par
les implantations militaires, celles des lieux de cultes et des bâtiments publics, et le rejet des classes
sociales les plus défavorisées. Enfin, la question de la sécurité est interrogée selon une dernière
182 A.S. Clémençon, 1999.
64

thématique, la dissuasion spatiale. Celle-ci consiste à créer un barrage physique pour dissuader les
personnes indésirables de circuler ou d‟entrer dans un lieu précis. L‟échelle d‟observation se précise
encore : après celle du domaine hospitalier, puis celle de l‟implantation d‟un bâtiment, c‟est celle de
l‟îlot et de l‟immeuble qui est privilégiée.
I / LA LUTTE CONTRE LES CATASTROPHES NATURELLES
Le thème de l‟inondation illustre parfaitement la lutte contre les catastrophes naturelles. Il permet
d‟exposer le point de vue des Hospices, mais aussi de saisir à quel point leur action est imbriquée à
celle d‟autres acteurs décisifs dans cette lutte pour la sécurité des biens et des personnes. D‟une façon
générale, la lutte contre les inondations sur la rive gauche du Rhône peut se résumer à quatre grands
types d‟actions qui se succèdent ou se chevauchent dans le temps, et dans lesquels les Hospices sont
totalement ou partiellement impliqués 183 : les premières dispositions pour gagner du terrain sur les
eaux, le remblaiement du sol et des voies, l‟interdiction de construire en pisé de terre et, enfin,
l‟endiguement et les quais du Rhône. Le premier et le dernier type d‟actions seront rapidement
évoqués pour mettre l‟accent sur le remblaiement et l‟interdiction du pisé. Le début de la lutte contre
les inondations est mise en œuvre par les Hospices qui, quasiment seuls, organisent une lutte
quotidienne contre l‟incursion des eaux sur leurs terres en inventant des actions à la portée de leurs
moyens financiers et technologiques 184 . Cependant, ces premières actions étant mises en œuvre dans le
premier quart du XIX e siècle, elles dépassent le cadre des limites chronologiques choisies pour cette
recherche. De son côté, l‟histoire de l‟endiguement du Rhône qui, à l‟inverse, rassemble de nombreux
acteurs institutionnels et privés, a fait l‟objet de nombreuses publications. C‟est la raison pour laquelle
il suffira de rappeler que les travaux d‟endiguement s‟intensifient au XVIII ème siècle, mais demeurent
insuffisants pour enrayer les grandes inondations, comme celle de 1840 et surtout celle de 1856. A la
suite de cette dernière, qui provoque la mort de nombreuses personnes et la destruction de centaines de
maisons, la rive gauche est mise hors d‟eau sous l‟action du Préfet du Rhône, Vaïsse, l‟équivalent
d‟Haussmann à Paris.
Le remblaiement des espaces inondables
Une des techniques employées pour mettre cette zone hors de portée des inondations résulte d‟une
œuvre menée durant tout le XIX ème siècle : remblayer les masses 185 de terrain ainsi que les voies, de
manière à élever uniformément le niveau du sol au-dessus de celui atteint par les plus hautes crues.
Les Hospices imposent à leurs locataires de surélever les terrains, de les entourer de fossés et de
prélever les matériaux de remblai dans des lieux d‟extraction précis. Le remblai des voies, lorsque
celles-ci sont publiques, ne dépend pas des Hospices mais de la commune de la Guillotière. Cette
activité traverse des périodes plus ou moins intenses selon le dynamisme impulsé par les maires ou
l‟inquiétude provoquée par les inondations. Elle connaît un essor important à partir de 1824, se ralentit
dans les années 1830 pour augmenter à nouveau après 1840, parallèlement à l‟ouverture des rues,
grâce à un emprunt effectué par le maire à la suite de l‟inondation de 1840. Après le rattachement de la
commune de la Guillotière à Lyon, en 1852, le remblai des voies se poursuit. Les sommes investies
pour réaliser cette immense opération sont à la mesure de l‟ampleur des travaux. Les financeurs sont
nombreux, les plus importants étant la commune, les Hospices et les propriétaires. Des aides
complémentaires proviennent des sources publiques ou privées comme la Préfecture, les Ponts et
Chaussées, la compagnie des Ponts, le Génie, etc. La répartition du coût de ces remblais est
extrêmement variable et dépend en grande partie du statut de la voie. Beaucoup de rues sont
remblayées aux frais des seuls propriétaires des terrains, en particulier lorsqu‟il s‟agit de lotissements
privés. La participation de la Ville peut donc osciller entre la charge la plus légère, comme dans ce
183 A.S. Clémençon, 2008.
184 D. Bertin, A.S. Clémençon, 1982.
185 Dans les textes, les Hospices nomment « masse » la zone de terrain délimitée par quatre rues, et « îlot » cette
même zone une fois construite.
65

dernier cas, à la plus lourde. Comme toujours, un partenariat privilégié est mis en place entre la Ville
et les Hospices selon lequel les frais sont partagés à parts égales, 50% pour chacune des deux
administrations. A partir de 1846, l‟étendu du domaine hospitalier se réduisant, les frais des Hospices
sont établis en fonction du type des voies, selon que celles-ci longent leurs terrains ou simplement les
desservent. Cet accord largement appliqué est d‟une telle efficacité qu‟il est repris, quoique modifié,
par le Préfet Vaïsse en 1854, lorsqu‟il envisage de viabiliser la rive gauche à grande échelle après son
rattachement à Lyon.
L‟interdiction de la construction en pisé, 1856
Fig. 2. Inondation de 1856. Vue prise du 56 rue Monsieur en direction de la caserne de la Part-
Dieu. Beaucoup des bâtiments sont construits sur des terrains loués par les Hospices. BML,
collection J. Sylvestre S114, cliché Vidéralp n° 9458, droits de reproduction réservés.
L‟inondation dévastatrice de 1856, si elle a tendance à épargner les édifices solides érigés sur les
terrains déjà vendus par les Hospices, fait des ravages sur ceux des terrains loués. En effet, ils sont
plus modestes donc moins solides, et souvent construits en terre, un matériau de construction
particulièrement friable à l‟eau. De fait, jusqu‟à cette époque, un grande partie du bâti modeste de
l‟agglomération lyonnaise, y compris des bâtiments typiquement urbains pouvant atteindre sept étages,
est édifié en « pisé de terre ». Ce matériau traditionnel, issu de régions proches comme l‟Ain et l‟Isère,
connaît une large diffusion dans la région où il est considéré comme l‟ancêtre du béton 186 , et où il est
employé en totalité ou en partie dans les édifices. Avant 1856, mis à part les problèmes d‟inondation,
le pisé est considéré comme un bon matériau car il permet une lutte efficace contre les nombreux
186 D. Bertin et A.S. Clémençon, 1981-1983.
66

incendies. Très rapidement après le désastre de 1856, le préfet Vaïsse prend un arrêté draconien visant
à protéger les constructions des inondations, en particulier par l‟interdiction presque totale de
construire en pisé de terre. Le pisé de mâchefer qui emploie les scories de la métallurgie est assimilé,
dans le texte, au pisé de terre, car ils sont alors souvent associés dans les constructions. Les pans de
bois sont eux aussi interdits à cause des incendies, et la maçonnerie est préconisée. Le degré
d‟application de l‟arrêté est difficile à évaluer. Il semble que l'administration ait été plus rigoureuse
pour les nouvelles constructions que pour le pisé existant. Le règlement municipal de voirie de Lyon
de 1872, repris par le règlement général de voirie de 1874, renouvelle l‟interdiction du pisé de terre
dans l‟agglomération urbaine, même s‟il en adoucit beaucoup les conditions d‟application comme s‟il
était nécessaire de se plier à une résistance de fait de la part des bâtisseurs. Ce qui est certain, c‟est
qu‟en restreignant l‟édification des constructions précaires, l‟interdiction de 1856 a entraîné, ou du
moins accéléré, une mutation sociale qui se dessinait déjà dans le bâti de cette zone.
Ce rapide aperçu de l‟histoire des luttes contre la catastrophe naturelle qu‟est l‟inondation révèle
l‟ampleur des dispositifs mis en œuvre par les hommes. Toutefois, il est important de noter que le but
n‟est pas seulement de protéger les personnes et les biens, mais de transformer une zone marécageuse
peu exploitable en un secteur qui va devenir la plus importante zone d‟expansion de l‟agglomération
lyonnaise. Dans cette histoire, il faut distinguer deux types d‟actions qui se succèdent dans le temps.
Le premier, comme le remblaiement, vise à favoriser toute implantation humaine. Il s‟agit avant tout
d‟urbaniser, d‟attirer du monde, toutes classes sociales confondues. Dans un deuxième temps, lorsque
le mouvement est bien amorcé, apparaissent des outils à double objectif, comme le règlement du 1856
sur le pisé. Outre le fait de constituer une prévention contre les dégâts des inondations, il est en même
temps un filtre social. Il est clair alors que la lutte contre l‟inondation rassemble, selon les périodes,
plusieurs projets en un, dont certains sont moins proclamés que d‟autres : protéger les personnes et les
biens, rendre utilisable une zone à forte plus-value potentielle, et déplacer des classes sociales
défavorisées. La démonstration est valable pour d‟autres catastrophes naturelles comme l‟incendie,
dont la lutte est beaucoup moins complexe, ici, que pour l‟inondation, mais qui aboutie aussi à
l‟interdiction d‟un matériau bon marché, le bois.
II / LA LUTTE CONTRE LES ACTIVITES ILLICITES
A côté des catastrophes naturelles comme les inondations, les Hospices luttent aussi contre les
activités considérées comme illicites commises par certaines personnes. Le vol de matériaux tels que
gravier, sable … est une de ces activités contre lesquelles les Hospices mènent un combat acharné.
Cependant, cette action ayant lieu principalement au début du XIX ème siècle, aux débuts de
l‟urbanisation du domaine, elle ne sera pas détaillée ici car elle dépasse le cadre chronologique de cette
contribution 187 . A part le vol, le discours écrit des Hospices qui nous est parvenu fait état d‟une seule
opposition frontale contre des activités illicites, la prostitution. Dans le combat que mènent les
Hospices, la prostitution est parfois associée, selon les périodes, à d‟autres cibles : les « masures » et la
pollution industrielle. Celles-ci n‟étant pas des activités illicites elles ne seront qu‟évoquées. Selon les
périodes considérées, la question de la prostitution n‟apparaît pas du tout de la même manière. Avant
1850 et après 1901, il en est très peu question dans les textes des Hospices, comme si cette question
n‟était pas, ou plus, à l‟ordre du jour. L‟analyse va donc porter sur cette deuxième moitié du XIX ème
siècle et explicitera, du même coup, les raisons de cette différence. Comme cela a été précisé dans
l‟introduction générale, l‟approche sur la question de la prostitution développée ici n‟a pas un
caractère exhaustif, c‟est le point de vue des Hospices. Par exemple, il ne sera pas question des actions
menées par la commune de Lyon, la police ... Il s‟agit de comprendre comment les Hospices se
positionnent par rapport à la prostitution, mais aussi et surtout, pourquoi et comment ils parviennent à
identifier cette question à partir de préoccupations qui ne sont pas prioritairement d‟ordre moral.
187 A.S. Clémençon, 2008.
67

La question de la prostitution : 1850 à 1875
Le contexte de la rive gauche
La période qui va de 1850 à 1875 environ est importante dans la lutte des Hospices contre la
prostitution car c‟est le moment où cette question va être identifiée, nommée, et où les Hospices vont
prendre position par rapport à elle. Pour mieux appréhender leur attitude, il est important d‟évoquer le
contexte concernant la rive gauche du Rhône et ses liens avec l‟agglomération dont elle fait partie. A
cette époque, trois éléments sont particulièrement marquants : la progression prodigieuse de la
population dans cette zone, le rattachement à la ville de Lyon et la stratégie urbaine du préfet-maire
Vaïsse.
La progression de la population sur la rive gauche, son origine et sa composition ont fait l'objet de
plusieurs travaux d'historiens 188 . A cette époque, la natalité en France est au ralenti et cette ascension
de la rive gauche est due, pour les deux tiers, à l‟immigration. Celle-ci provient, pour un peu moins de
la moitié, de l‟arrivée des ruraux, souvent issus de la région lyonnaise. Les autres viennent de divers
quartiers de Lyon, mais en particulier, du 2 ème arrondissement 189 . Ce chiffre, ajouté à d‟autres
observations, en particulier celles des Hospices, semble confirmer le transfert sur la rive gauche d‟une
partie de la population délogée par la « régénération du centre » 190 qui démarre en 1846 et est
amplifiée par le préfet Vaïsse à partir de 1853. La rive gauche constitue donc, alors, une
« extraordinaire zone attractive » 191 pour des populations très diverses, attirées par les mutations de la
grande industrie et les activités d‟une métropole 192 . Cependant, cette population une fois installée à la
Guillotière reste mouvante puisqu‟il existe une forte émigration et que 46 % seulement des habitants
sont stables 193 . Cette observation a été faite pour le quartier de la Guillotière, mais on peut penser qu‟il
en est de même pour la zone située plus au nord, sur le domaine des Hospices, et que le système des
locations à court terme est assez bien adapté à cette caractéristique. La population qui s‟installe à partir
de la moitié du XIX ème siècle est ainsi décrite par les historiens : « des tisseurs et des teinturiers en
soie, toujours, mais aussi des travailleurs de la métallurgie, de la verrerie, de la chimie, et déjà ceux du
bâtiment, de l‟alimentation et du vêtement, parmi le petit peuple de la boutique et de l‟atelier,
parallèlement à la bourgeoisie de nouveaux riches du plan Morand » 194 .
Le rattachement de la commune de la Guillotière à la ville de Lyon, en 1852 195 , intègre d'emblée la
rive gauche dans la logique de la gestion urbaine d'une grande cité, sous l'action du préfet Vaïsse,
même si ce dernier choisit, pour ses grands travaux, de privilégier la presqu'île et non la rive gauche du
Rhône. Celle-ci bénéficie alors d‟un projet global où sont pensés, en particulier, les relations entre
centre et périphérie et le rôle de chaque quartier 196 . La dynamique de Lyon, une perspective plus large,
à plus long terme, et des moyens accrus, accélèrent son développement. Dans ce contexte, l'ensemble
de la rive gauche, et donc les terrains hospitaliers, sont enfin définitivement protégés des crues du
188 Outre les travaux plus synthétiques de P. Léon, 1974, puis de M. Garden, P. Cayez, ..., plusieurs mémoires de
maîtrise consacrées à la population de la rive gauche, E. Lusset, 1971 ; J. Geneston, 1971 ; Ch. Massonat et
J. Paillard, S.D.
189 J. Geneston, 1971, parle de 59 % d‟habitants venus du 2 e arrdt dans la 2e moitié du siècle, pour 41 % venus
des autres quartiers.
190 Les HCL les comptent parmi leurs nouveaux locataires (délib. H.C.L. du 23 avril 1856, p. 249 ; du 1er juillet
1857, p. 319 ; et du 26 février 1862, p. 534). Selon P. Cayez (1990) beaucoup d‟habitants expulsés sont relogés
dans les rues proches des travaux de la presqu‟île. Le transfert de population qui s‟est effectué à l‟occasion de la
régénération du centre n‟avait pas fait, jusqu‟à récemment, l‟objet d‟études spécifiques, cf. B. Gauthiez cidessus.
En revanche, plusieurs auteurs l‟abordent plus ou moins rapidement lorsqu‟ils traitent de cette
régénération, cf. D. Bertin, A. Gravejat et P.Y. Saunier.
191 J. Geneston, 1971, p. 105.
192 P. Cayez, M. Chevalier-Delassise, Y. Lequin, 1982.
193 J. Geneston, 1971.
194 P. Cayez, M. Chevalier-Delassise, Y. Lequin, 1982, p. 2.
195 Par la loi du 19 juillet 1851, le préfet du Rhône obtient tous pouvoirs de police sur l'agglomération, le décret
de décentralisation du 25 mars 1852 réduit les pouvoirs du ministre au profit de ceux du département.
196 Sur ces notions de centralité et périphérie, ainsi que le rôle des quartiers au XIX e siècle, cf., en particulier,
P.Y. Saunier, 1992.
68

Rhône. Les travaux, entrepris depuis longtemps dans cette perspective, s‟intensifient à la suite de
l‟inondation dévastatrice de 1856. Ils se développent dans trois directions : les digues, l‟exhaussement
et la consolidation des quais, enfin le rehaussement général du sol par les remblais comme il en a été
question plus haut. Cet ensemble d‟actions, auxquelles participent financièrement les Hospices,
rassurent et attirent la population sur leurs terrains. Les travaux d‟assainissement entrepris par Vaïsse,
viabilisation, distribution d‟eau et de gaz, égouts, offrent un confort nouveau qui va favoriser la
mutation sociale.
La prostitution
Entre 1850 et 1875, les Hospices effectuent de fortes ventes de terrain et bénéficient d‟une prospérité
financière. Dans ce contexte, et comme ils le font d‟ailleurs tout au long de leur histoire, ils mènent
une réflexion approfondie sur les paramètres qui influencent la valeur de leurs terrains, de manière à
élaborer leur politique de vente, parallèlement à leur politique de location. A l‟échelle de la rive
gauche, ils notent alors trois paramètres créateurs de plus-value : la gratuité des ponts, la construction
des quais, et la création du parc de la Tête d‟Or. A une échelle à la fois plus fine et moins
conjoncturelle, ils observent que trois éléments essentiels ont un impact direct sur la valeur des terrains
: les formes des parcelles, les constructions qui s‟élèvent dessus, et leur occupation sociale. Ils
remarquent plus précisément que les « belles constructions », comme ils les appellent, qu‟elles soient
construites par les acquéreurs des terrains ou par les locataires, valorisent non seulement
l‟emplacement sur lequel elles sont édifiées, mais toute la zone proche. Ce phénomène de proximité,
courant dans les mécanismes d‟urbanisation, fonctionne aussi de manière négative. En effet, un terrain
à l‟abandon, un habitat insalubre, une occupation sociale ou professionnelle à problème, fonctionnent
comme des repoussoirs. Cette notion de « valeur par proximité » va devenir décisive dans la réflexion
des Hospices. Ils réalisent que l‟occupation sociale des terrains loués peut constituer une moins-value,
non seulement pour ce type de terrain, mais aussi pour leurs terrains proches à vendre. C‟est alors
qu‟ils identifient la prostitution et ce qu‟ils nomment, d‟une manière générale, « la mauvaise
moralité », comme étant l‟une des causes essentielles de cette moins-value.
La prostitution sur les terrains loués : l‟attitude des Hospices
Il est important de d‟évoquer la composition sociale des locataires de cette période, en gros après
l‟inondation de 1856, pour mieux saisir la question de la prostitution. Il n‟a pas été fait, à ce jour, de
recherche systématique sur ce thème car elle nécessiterait un travail considérable, de type quantitatif,
sur les très nombreuses locations allant de 3 à 99 ans effectuées sur ces terrains pendant plus d‟un
siècle. Toutefois, des hypothèses sont possibles. Il semble qu'il y ait alors, sur les terrains hospitaliers,
trois types de locataires : les locataires généraux, les sous-locataires, et les occupants des immeubles.
Les locataires généraux, sans doute les plus aisés mais appelés à disparaître, redistribuent des masses
entières ou des parties de masses. Les sous-locataires sont dépendants du locataire général et lui louent
une parcelle de terrain plus ou moins grande. Il semblerait que ces sous-locataires aient fait l'objet
d'une importante mutation sociale depuis le début du XIX ème siècle. Ils faisaient alors,
vraisemblablement, partie des classes les plus défavorisées de la rive gauche. Ils ont progressé dans
l'échelle sociale, leur pouvoir d'achat a augmenté, ils construisent et sont en voie de stabilisation. Pour
les Hospices, ils deviennent donc des interlocuteurs fiables, ce qui va permettre la suppression des
locataires généraux. Ces sous-locataires, propriétaires des constructions, louent à leur tour celles-ci par
immeuble entier ou, peut-être par appartements, indépendamment donc, du terrain. La population à qui
ils s'adressent, qui constitue donc la quatrième strate dans la location (Hospices, locataires généraux,
sous-locataires, occupants des immeubles), est à son tour, la classe la plus défavorisée : grande
mobilité, insolvabilité, et prostitution. Cette dernière, présentée comme un frein « regrettable » à la
prise de valeur des terrains hospitaliers, revient très souvent dans les textes des délibérations des
Hospices de cette période concernant leur politique locative.
Si les Hospices ont bien identifié la prostitution comme étant source de moins-value pour leurs
terrains, rien ne permet d‟affirmer, du moins dans la connaissance actuelle des sources, qu‟ils luttent
concrètement contre cette prostitution avant 1875. Ils ont pourtant les outils pour le faire. A partir de la
69

connaissance que l‟on a de leurs pratiques, il est permis de penser qu‟ils connaissent très bien leurs
locataires directs, ce qui ne veut pas dire qu‟ils connaissent les personnes à qui leurs locataires louent.
Cependant, ils sont sans doute bien informés et les plaintes remontent certainement jusqu‟à eux. Leurs
outils habituels, d‟une rare souplesse de gestion, sont les baux qu‟ils modulent à volonté, entre le
court, moyen ou long terme, avec des contraintes diverses et qu‟ils peuvent simplement refuser de
renouveler. Cependant, leur politique en la matière n‟est pas radicale car ils sont encore, à cette
époque, dans l‟idée d‟attirer et de « fidéliser » les locataires. Leur action contre la prostitution est
donc, sans doute, relativement mesurée et se réalise de manière sporadique. Ce n‟est pas encore une
lutte affirmée, déclarée, comme elle le sera dans la période suivante.
Une politique intransigeante : après 1875
Le contexte
La période qui suit, de 1875 au début du XXème siècle, marque un changement très net dans l‟attitude
des Hospices sur la question de la prostitution. Avant de détailler celle-ci, il est indispensable de
rappeler quelques éléments de contexte car celui-ci constitue déjà un premier facteur d‟explication.
Les deux dernières décennies du XIX ème siècle sont marquées par un fort développement de la rive
gauche du Rhône alors que tout le reste de Lyon, l'ancien centre ainsi que la Croix-Rousse et Vaise,
accusent une nette stagnation. Comme dans la période précédente, une forte augmentation de la
population est à noter puisque certains historiens estiment même qu'elle double entre 1876 et
1896 197 .Ce rythme serait, alors, deux fois plus rapide que dans le reste de la ville, qui accuse un net
déclin démographique. Cette augmentation est sans doute accrue, vers 1890, par des migrations dues à
l'aménagement du quartier Grolée, dans la presqu'île, qui entraîne d'importantes destructions dans
l'habitat ancien, comme ce fut le cas pour les premières percées du centre. Les populations alors
chassées sont sans doute d‟un niveau social relativement modeste. Cependant, dans le même temps, la
rive gauche voit l'érection d'un habitat lié à la moyenne bourgeoisie, par exemple dans le quartier de la
Préfecture avec la mise en place des « îlots à cour commune », dont il sera question plus loin, et à la
haute bourgeoisie, plutôt dans le quartier des Brotteaux au nord. En parallèle à la construction de
l‟habitat, de nombreux organes vitaux sont déplacés de la presqu‟île vers la rive gauche, ou réalisés de
toutes pièces. Sur les terrains des Hospices, le transfert de la préfecture (projet à partir de 1879, vente
des masses des Hospices 85, 86, 95, 96 en 1882, fin de la construction en 1890) est certainement le fait
le plus marquant 198 . Un pôle universitaire et médical s‟implante au sud de la Guillotière et
l‟implantation de bâtiments publics plus courants continue sur les terrains appartenant ou ayant
appartenu aux Hospices : des édifices religieux, des musées, et des bâtiments scolaires qui se
développent à la suite de la loi de mars 1882 sur l‟enseignement primaire obligatoire. Sur l‟ensemble
de la rive gauche a lieu, entre 1880 et 1914, l'une des plus fortes poussées de la construction
lyonnaise 199 .
La nouvelle politique des Hospices
Malgré ce contexte très favorable pour leurs terrains qui ne cessent de prendre de la valeur et qu‟ils
vendent en quantités importantes, les Hospices rencontrent alors de sérieuses difficultés financières.
Ce serait trop long d‟en expliquer les causes complexes ici, mais on peut au moins évoquer le conflit
qui oppose les Hospices à la Mairie de Lyon et à la Préfecture, au cœur du débat sur la laïcisation.
Les pressions extérieures, en particulier de la Ville, la forte demande locative, le courant hygiéniste
ambiant, mais surtout la très forte plus-value de leurs propriétés foncières vont modifier notablement
l‟attitude des Hospices envers les locataires de leurs terrains et la question de la prostitution. Les très
fortes ventes effectuées parallèlement aux locations, en particulier autour de la Préfecture, et le succès
197 D‟après P. Cayez, M. Chevalier et Y. Lequin qui proposent la progression maximale.
198 Il s‟accompagne de l‟implantation du Mont de Piété (1891), de la Trésorerie Générale et de l‟Administration
des Domaines.
199 P. Cayez et M. Chevalier, 1983.
70

de l‟implantation des îlots à cours communes ne sont sans doute pas étrangers à cette nouvelle
orientation. Le respect que portaient les Hospices avant 1875, à la fois aux constructions créatrices de
plus-value pour leurs terrains, et aux locataires, cheville ouvrière de cette évolution, s‟estompe. Il est
remplacé par une politique plus intransigeante dont trois objectifs sont clairement définis : la lutte
contre la prostitution, contre « les masures », et contre la pollution industrielle. Il est important de
noter qu‟aux côtés de la prostitution, déjà présente dans la période précédente, deux nouveaux termes
apparaissent, les masures et la pollution. La durée des baux les plus courants, de moyenne durée, est
aux alentours de 15 à 18 ans. Ils sont prolongés si les constructions sont saines, ou si le locataire
prévoit d‟en élever de nouvelles. De manière exceptionnelle, des baux longs sont consentis aux
administrations, en particulier à l‟Etat 200 . Beaucoup des constructions édifiées sur les terrains loués
sont devenues vétustes 201 et tendent à être remplacées. Les bâtiments qui sont alors édifiés sont de
bonne qualité, celle-ci contrôlée parfois par les Hospices. Mais ces transformations sont lentes et de
nombreux édifices modestes, voire insalubres, subsistent. La souplesse des baux de moyenne durée
constitue toujours un outil efficace pour les Hospices. S‟ils estiment que les constructions sont en
mauvais état, ils ne renouvellent pas le bail, changent de locataire, et l‟ancien est obligé de détruire
sans dédommagement, conformément à la coutume 202 . Les relations de fidélité qu‟ils avaient
instaurées avec leurs locataires tendent donc à se modifier. Les plus défavorisés, en particulier autour
du quartier de la préfecture en pleine expansion, sont congédiés. D‟ailleurs, de nombreuses plaintes
émanant des locataires sont adressées au conseil municipal.
Cette attitude intransigeante des Hospices par rapport à une classe sociale défavorisée, fortement
dépendante d'eux, peut surprendre dans la mesure où leur vocation première est la charité et le soutien
des pauvres. Cependant, pour eux, cette vocation se concrétise en priorité par leurs investissements
dans les structures hospitalières. C‟est d'ailleurs cet argument que les Hospices emploient pour justifier
leur attitude : ils doivent faire « fructifier » au mieux leur domaine, qu‟ils appellent aussi « le domaine
des pauvres », de manière à pouvoir financer les hôpitaux. En somme, leur comportement est bien
conforme à celui d'un grand propriétaire terrien dont l'objectif premier est la rentabilité, et ceci
indépendamment du projet social de l'organisme. Ce dernier quart du XIX ème siècle est la période où
les Hospices vendent leurs terrains le plus cher et en plus grande quantité. Pourtant, c‟est aussi le
moment où ils se préoccupent particulièrement des causes de moins-value de leurs terrains, en
particulier la prostitution. Cette apparente contradiction s‟explique sans doute par les difficultés
économiques et politiques qu‟ils traversent alors et qui les contraignent à vendre une partie importante
de leurs terrains, c‟est à dire à se défaire de leur capital. Dans ces conditions, il est logique qu‟ils
essayent d‟en tirer un profit maximal et donc qu‟ils luttent par tous les moyens contre ce qui les
dévalue.
C‟est donc par une approche liée à la recherche de rentabilité, caractéristique d‟un grand propriétaire
terrien, que la question de la prostitution émerge. Elle est identifiée comme une cause essentielle de
moins-value pour les terrains à vendre. Il est important de noter que, curieusement, ce ne sont ni
l‟aspect sanitaire, ni l‟aspect moral qui l‟emportent, alors que la première vocation des Hospices,
médecins et traditionalistes, est médicale et religieuse. Comme on l‟a vue, la question de la
prostitution ne se pose pas de façon aigüe avant 1850 ni après 1901. Les raisons sont sans doute à
rechercher, là aussi, dans l‟histoire des terrains. Avant 1850, ce n‟est pas encore temps : les Hospices
cherchent à tout prix à fidéliser les locataires et les acheteurs de leurs terrains, à les attirer, et ils
n‟envisagent pas de les contrer frontalement. Après 1901, les terrains ont pris beaucoup de valeur, la
constitution sociologique a changée, les classes sociales défavorisées sont parties plus à l‟est, en
périphérie, et cette question de la prostitution ne se pose sans doute plus dans les mêmes termes.
200
Le cas de la masse 76 est rarissime à cette époque. L‟Etat la loue avec un bail de 45 ans reconduit, ce qui fait
90 ans ! Cf. la délib. HCL du 1er nov. 1890.
201
Selon M. Chevalier (1988), cf. B. Drure (1983), sur la rue Dunoir 60 % des maisons sont en pisé et mâchefer
en 1889.
202
Lorsque le bail n‟est pas renouvelé, le locataire doit détruire et emporte les matériaux de démolition.
71

III / LA LUTTE INDIRECTE CONTRE LES ACTIVITES ILLICITES
Comme la lutte directe contre les activités illicites est limitée, dans le discours des Hospices de cette
époque, à la seule lutte contre la prostitution, il faut aller chercher ailleurs ce thème de la sécurité.
C‟est pourquoi s‟ouvre maintenant un chapitre sur la lutte « indirecte » contre les activités illicites,
organisé autour de trois thèmes : les implantations militaires, les édifices religieux et les bâtiments
publics. Dans le cas des implantations militaires, c‟est le gouvernement français qui engage la lutte
directe contre différents types d‟insécurités et impose ses choix aux Hospices, dont il est intéressant
d‟étudier la réaction. Dans le cas des édifices religieux et, à leur suite, des bâtiments publics, les
Hospices, au contraire, ont les mains libres. Ils vont alors mettent en place une politique pour
favoriser l‟implantation de ces bâtiments, l‟un des buts étant clairement de lutter contre les activités
illicites de façon détournée. Lutte indirecte mais lutte certaine donc, puisque l‟exploration de ces trois
exemples montre parfaitement que la lutte contre l‟insécurité est au cœur du projet de politique urbaine
des Hospices. En effet, cette politique se traduit, à terme, par une hausse de la valeur foncière et une
mutation sociologique des zones qui jouxtent ces bâtiments. Elle est rendue possible par la position de
monopole foncier des Hospices.
Combattre l‟ennemis extérieur et intérieur : les implantations militaires
Il est évident que l‟implantation de structures militaires, en particulier une imposante enceinte fortifiée
comme c‟est le cas sur la rive gauche du Rhône 203 , font partie des actions les plus fortes concernant la
sécurité. Il s‟agit d‟assurer cette dernière contre un ennemi « extérieur » à la ville, éventuellement
étranger, venant de l‟est. Mais il s‟agit aussi de lutter contre un ennemi « intérieur », venant de la ville
elle-même, de l‟ouest. Pour les implantations de ce type, les Hospices civils de Lyon n‟ont pas
l‟initiative comme ils l‟avaient dans le cas de la prostitution, puisque les décisions leurs sont imposées
par les pouvoirs publics, au premier rang desquels se trouve l‟Etat français. Pour eux, ces décisions
sont lourdes de conséquences puisqu‟une grande partie des fortifications vont être construites sur leurs
terrains, qui vont donc être expropriés pour utilité publique à un prix imposé, très bas. Pourtant
l‟attitude des Hospices n‟est pas totalement négative vis à vis de ces implantations et l‟analyse des
arguments qu‟ils développent à ce sujet est instructive.
Historique rapide des implantations militaires
En 1830 est promulgué un décret par lequel le Gouvernement décide de fortifier la ville, à la fois pour
en faire une place forte, de manière à résister à une invasion, mais aussi pour lui permettre de
s'opposer aux insurrections venues de l'intérieur. C'est la « première ceinture » fortifiée, dont la
réalisation commence dès 1831, et se poursuit jusque vers 1851. Ce premier ensemble fortifié est
constitué de forts, de murs, et de fossés, assortis de servitudes comme les zones non aedificandi 204 .
Elle forme ainsi une barrière à la fois physique et administrative à l‟extension de la ville, qui sera
renforcée plus tard par la ligne de chemin de fer. Elle est suivie à partir de 1873 de l'érection, plus à
l'est, d'une « seconde ceinture ». Le déclassement de la première ceinture est officialisé par la loi du 21
août 1884 et les démolitions commencent, offrant des réserves foncières à la construction de nouveaux
quartiers : celui du boulevard du Nord (actuel boulevard des Belges) sur une partie du terrain du fort
de la Tête d‟Or et sur le fossé d‟enceinte, suite à l‟accord passé en 1895 entre l‟Etat et la Ville et,
après 1900, le quartier de la gare des Brotteaux sur le fort des Brotteaux, et celui du Lycée du Parc sur
la Lunette des Charpennes.
203 Sur les fortifications de Lyon, Dambrin, Reynaud et Zol, 1977, F. Bunevod-Mettey, 1987, André, 1986, G.
Gardes, 1988, J.L. Pinol, 1989, et P.Y. Saunier, 1992.
204 Il est interdit de pénétrer sur les terrains militaires. Les constructions sont interdites dans la zone proche, plus
loin elles doivent être précaires pour pouvoir être détruites en cas de guerre. Cf. délib. HCL du 28 juin 1841,
« Extraits du registre des délibérations relatives aux Brotteaux », 1833 à 1848, pp. 363-364.
72

Fig. 3. Plan de la ville de Lyon avec les forts (AML 1 S 14), détail.
L‟attitude des Hospices
Du point de vue de leur domaine foncier, les Hospices se voient donc expropriés par l‟Etat à partir de
1831. C‟est le début des grandes ventes de leurs terrains aux collectivités publiques pour lesquelles les
surfaces concernées sont immenses. Les plus importantes concernent les implantations militaires et
sont vendues entre 1831 et 1855. Entre 1831 et 1838, il s‟agit de 12,92 hectares pour la première ligne
de fortifications, et entre 1842 et 1855, de 60,60 hectares pour celles du Grand Camp situées à
l‟extérieur de l‟enceinte, au nord-est, et pour la caserne de la Part-Dieu dans l‟enceinte 205 . Ce sont
alors des terrains non lotis, c‟est à dire pas encore subdivisés en rues.
Parallèlement, les prix des terrains lotis vendus à des particuliers par les Hospices accusent une
ascension prodigieuse. La moyenne des prix passe de 0,25 francs le m 2 pour la période 1816-1820, à
78,96 francs pour la période 1846-1850. Au cours de cette dernière période, le prix le plus haut est
atteint en 1847 avec 162 F pour un lot de la masse 25, près de l‟actuel cours F. Roosevelt. En
comparaison, les prix consentis à l'Etat pour les importantes surfaces des terrains militaires sont
infiniment plus bas. Entre 1831 et 1850, ils oscillent entre 1,10 et 7,30 francs le m 2 , alors que le prix le
plus bas des terrains lotis vendus à des particuliers, aux mêmes dates, ne descend pas au-dessous de 9
francs. La modicité de ces prix peut s'expliquer. Elle provient, en premier lieu, du type de
transactions : l'expropriation et le gré à gré négociés entre administrations, mais ce n‟est pas la seule
cause. Les terrains concernés sont encore ruraux, ils n‟ont donc pas atteint la valeur des terrains lotis.
En définitive, il faut constater que dans le cas observé ici, c‟est à dire une implantation visant à
provoquer la sécurité maximale, les fortifications ne vont pas produire, de manière flagrante, ni une
plus-value immédiate alentour, ni une adhésion inconditionnelle du propriétaire foncier obligé de
vendre ses terrains. Les conséquences de ces implantations sur leurs terrains sont perçues par les
205 Ces chiffres, repris par M. Ollagnon, 1938, proviennent de l‟ « Historique sommaire des domaines Brotteaux
et Guillotière », publié dans les Comptes Moraux des HCL de 1913, p. 115-121.
73

Hospices à la fois de manières négatives et positives. En même temps qu‟ils reconnaissent qu‟elles
structurent ce territoire, entrainant à long terme une importante plus-value des terrains qui leur
resteront 206 , ils constatent de nets inconvénients. Ils se plaignent que les fortifications morcellent leur
domaine en restreignant les communications, conformément aux servitudes qui sont appliquées aux
ouvrages militaires 207 . Ils observent aussi qu‟à l‟inverse des bâtiments publics ou des parcs, comme
celui de la Tête d‟Or, les constructions militaires fonctionnent comme un repoussoir créant, à court
terme, de la moins-value. Pour expliquer cette apparente contradiction : plus de sécurité entraînant
moins de valeur foncière, il faut chercher la réponse dans les mécanismes classiques de l‟urbanisation.
Tout ce qui freine celle-ci dévalue les terrains, ici, les zones non aedificandi et le blocage de
l‟extension de la ville vers l‟est. En outre, il n‟est pas impossible que les habitants, en particulier les
femmes, mais aussi les opposants politiques, ressentent la présence des militaires non pas comme une
source de sécurité, mais comme un danger.
« Elever la valeur morale des populations » : Les implantations religieuses
Si les implantations militaires ont été imposées par l‟Etat, celles des édifices religieux, qui constituent
les premiers bâtiments publics de la rive gauche du Rhône, font l‟objet d‟un véritable choix de
politique urbaine de la part des Hospices. Dans ce choix, les notions de sécurité au sens large du
terme, entrent particulièrement en ligne de compte.
L‟histoire des implantations religieuses sur les terrains hospitaliers
Retracer l‟histoire de l‟implantation successive des édifices religieux sur le domaine des Hospices
permet de saisir l‟ampleur de ce phénomène. Non seulement ces édifices sont construits rapidement et
dans des proportions importantes, mais ils amorcent un mécanisme nouveau puisqu‟ils sont les
premiers édifices publics construits sur cette zone, mis à part les établissements de loisir, plus
éphémères car édifiés sur terrains loués. En 1816, les Hospices vendent un vaste terrain de 16 168 m2
situé au sud du plan Morand (les masses 60 bis, 60 ter et les deux parties ouest des masses 53 et 62) à
la société du monument des Brotteaux pour l‟érection du monument des victimes du Siège de Lyon.
C‟est le premier bâtiment public aux Brotteaux et c‟est un édifice religieux puisqu‟il comprend une
chapelle commémorative. Le dispositif est enclenché et va se développer très rapidement. Le
renouveau catholique, vif à Lyon, est dynamisé par le Cardinal de Bonald à partir de 1839 et génère
des constructions massives d'édifices religieux, le plus souvent d'implantation nouvelle. Sur la rive
gauche du Rhône, ces bâtiments sont construits sur des terrains achetés aux Hospices par les
communautés, mise à part la cité de l‟Enfant Jésus édifiée sur terrain loué. L‟importance du processus
et son aspect systématique sont tout à fait frappants. Aux Brotteaux est édifiée la chapelle Malesherbes
vers 1827, sur un terrain qui avait déjà été vendu par les Hospices auparavant. Entre 1840 et 1847, est
construite la première église de ce quartier, Saint-Pothin, qui en sera longtemps le bâtiment public le
plus important. Lui fait suite, en 1848, la chapelle de l'Immaculée Conception. A partir de 1852, la
vague du renouveau catholique se poursuit, d'autant plus vivace que, l'Eglise a alors les faveurs du
pouvoir central et, la même année, la commune de la Guillotière est rattachée à Lyon. Tout ceci
provoque la construction rapide d‟autres édifices religieux, qu‟il s‟agisse d‟églises de quartier
(l‟Immaculée Conception en 1856-1859, puis la Rédemption en 1857 qui sera reconstruite en 1867-
1877) ou d‟organismes englobant des églises ou des chapelles (le couvent des Dominicains en 1857,
dont l‟église deviendra le Saint-Nom-de-Jésus en 1863-1872, et la cité de l‟Enfant Jésus, ou cité
Rambaud, en 1856). Il est un fait que les églises de quartier ont un pouvoir d‟attraction bien plus
considérable que les autres, encloses, donc moins accessibles, et situées plus à l‟est. Des édifices
d‟autres confessions, comme le temple Protestant (1885, sur la masse 74) et l‟église Luthérienne
(1893, sur la masse 8 ter) sont aussi construits sur les terrains des Hospices mais, à cette époque déjà,
en parallèle, d‟autres bâtiments publics s‟y implantent.
206 Ils l‟admettent explicitement, par exemple en 1844, lors d‟expropriations dans le but de réaliser une partie des
fortifications, la caserne et une école qui, selon eux, donneront de la valeur à leurs terrains, (délib. HCL du 14
août 1844, p. 397).
207 Délib. HCL du 28 juin 1841.
74

Fig. 4. 1872, “Plan de la ville de Lyon …”, par Dignoscyo et Rembielinsky (AML 2 S 178), détail.
L‟importance des implantations religieuses, avant la vague des bâtiments publics, est ici
perceptible.
La position des Hospices vis à vis des bâtiments de culte
Le caractère rapide et systématique de l‟implantation des bâtiments religieux n‟est pas l‟effet du
hasard. Il est fortement provoqué et encouragé par les Hospices. En effet, en gérant leur domaine,
ceux-ci comprennent deux mécanismes essentiels. Tout bâtiment public crée une plus-value dans le
secteur de son implantation. Les édifices religieux, en tant que bâtiments publics, présentent donc cet
avantage mais, ils en cumulent un second. Ils contribuent, par leur caractère religieux, à “élever la
valeur morale” des populations, comme l‟écrivent les Hospices dans leurs délibérations. En bon
gestionnaires, les Hospices vont donc tout faire pour favoriser l‟implantation de tels édifices en
accordant soit des « prix de faveur », c‟est à dire inférieurs à ceux du marché, soit la gratuité totale des
terrains appelés à recevoir ce type de constructions. Les textes rendent parfaitement compte de la
lucidité que les Hospices développent face à ces phénomènes urbains et de leur calcul pour créer de la
plus value sur leurs terrains.
Quelques exemples de transactions sont éclairants. La vente du terrain du monument des victimes du
Siège, en 1816, est exceptionnelle car c‟est la première que les Hospices réalisent pour l‟implantation
d‟un bâtiment public, et c‟est aussi la première dont l‟acheteur n‟est pas un particulier mais une
société. A cette occasion, peut être observée une pratique qui se généralisera ensuite pour les terrains
destinés aux bâtiments publics. L‟administration hospitalière accorde, à cette occasion, un prix
particulièrement modique : 0,25 francs le mètre quarré. C‟est ce qu‟elle nommera plus tard un « prix
de faveur ». Le prix négocié est le plus bas pratiqué entre 1781 et 1825 sur des terrains lotis vendus à
des privés par les Hospices sur la rive gauche du Rhône. Le prix le plus élevé au cours de cette période
est de 12,14 F le m2, et la moyenne des prix, au début de cette même période, se situe autour de 6 F le
m2. La comparaison entre ces prix montre bien le « sacrifice » financier considérable consenti alors
par les Hospices. Leur analyse va s‟avérer juste puisque les constructions vont ensuite se développer
75

apidement autour de cet édifice religieux et de ceux qui vont suivre 208 . L‟exemple du couvent des
Dominicains (église Saint-Nom-de-Jésus) pour lequel les Hospices vendent quelques 40 ans plus tard,
en 1857, les 7 028 m2 de la masse 161 est lui aussi parlant. Ils acceptent un prix de faveur de 22 F le
m2 alors que le prix le plus élevé au cours de cette période, entre 1850 et 1875, est de 240 F le m2, que
la moyenne des prix passe de 78,96 F à 105,97 F, et que le prix le plus bas est de 9,02 F. Dans les
deux ventes, le prix consenti par le Hospices est très largement inférieur à la moyenne des prix
pratiqués.
Il est clair que c‟est la recherche de la sécurité qui motive les Hospices car c‟est elle, dans ce cas, qui
produit en premier lieu de la plus-value foncière. On voit nettement, ici, la différence avec les
fortifications, qui produisent de la sécurité sans produire de la plus-value. Le terme « élever la valeur
morale des populations » employé par les Hospices montre bien qu‟ils utilisent les édifices religieux,
et la mission morale qui leur est attachée, pour lutter contre l‟insécurité. Le mot n‟est pas prononcé ici
mais la périphrase désigne vraisemblablement la prostitution en première position parmi d‟autres
maux. Dans le non-dit, les Hospices associent sans doute la pauvreté à ce bas niveau de « valeur
morale ». Il n‟est donc pas étonnant de constater que la conséquence de ces implantations religieuses
va être un changement du niveau social des habitants et une plus-value foncière.
Des bâtiments publics pour augmenter la valeur foncière alentour
Les mécanismes observés pour les établissements religieux, premiers bâtiments publics implantés sur
le domaine des Hospices, se perpétuent avec les autres bâtiments publics : édifices administratifs,
écoles, musées … L‟histoire de leurs implantations successives serait fastidieuse, ne seront donc
abordés ici que l‟évolution de l‟attitude des Hospices sur ce sujet et quelques exemples
caractéristiques.
Lors des ventes de terrains lotis pour les autres bâtiments publics, les Hospices continuent à donner
leur terrain gratuitement ou à pratiquer des prix de faveur pour favoriser leur implantation. Par
exemple, lors d‟un projet d‟Hôtel de Ville pour la commune de la Guillotière en 1850, ils donnent leur
accord pour faire le don de la masse 98 et d‟une partie de la 108 (vers de la future église de
l‟Immaculée conception). Dans leurs délibérations, ils expliquent que cet endroit se loue difficilement
car il accueille « d‟ignobles tavernes et des lieux crapuleux de débauche ». L‟implantation de l‟Hôtel
de Ville entraînerait donc, selon eux, un changement de population et une amélioration de la voirie 209 .
Ce projet ne se réalisera pas, sans doute à cause du rattachement de la commune de la Guillotière à
celle de Lyon seulement deux ans plus tard, en 1852. Cependant, le principe du don gratuit et ses
raisons sont clairement énoncés et les surfaces concernées sont importantes.
A partir de 1875 environ, du fait de l‟importante plus-value foncière acquise par le domaine
hospitalier, la politique urbaine des Hospices se modifie quelque peu. Dans le cas des expropriations,
par l‟Etat ou la Ville, les prix restent très bas. Par exemple, le Département exproprie les masses 85,
86, 95, et 96 (19 086 m 2 ) en 1882 pour construire la préfecture, au prix de 65 F le m2, ce qui
correspond aux prix les plus bas à cette période. En 1887, la ville exproprie encore 6 471 m2 sur
diverses masses, pour élargir des voies autour de la préfecture, au prix de 46,70 F le m2. De fait,
l‟implantation de la préfecture va provoquer une forte plus-value dès les années suivantes dans ce
quartier. Lorsqu‟il ne s‟agit pas d‟expropriations pour utilité publique mais de négociations courantes,
la tendance est toujours aux prix de faveur, mais dans une mesure moindre. Lorsque la Ville achète
pour implanter un bâtiment scolaire ou une caserne de pompiers, ou que d‟autres organismes se
présentent pour implanter un musée ou un édifice religieux, les Hospices calculent un prix moyen par
rapport à la zone concernée, et non plus bas, comme autrefois. Cependant, ils consentent des facilités
208 Sur la progression de l‟implantation du bâti en fonction des différents pôles d‟attraction, à partir d‟une
observation minutieuse des plans, Dambrin, Reynaud et Zol, 1977.
209 Délib. du 24 janvier 1850, « Extrait du registre des délibérations relatives aux Brotteaux, 1848-1863 », p. 24.
76

de paiement comme l‟étalement du règlement sur des dizaines d‟années et ils pratiquent aussi
l‟échange 210 .
L‟emploi de l‟expression imagée « ignobles tavernes et lieux crapuleux de débauche » par les
Hospices montre parfaitement que la lutte contre l‟insécurité est bien, dans le cas des bâtiments
publics comme des édifices religieux, un point d‟ancrage essentiel dans leur réflexion. Ils observent et
favorisent l‟enchaînement suivant : lutte contre l‟insécurité, implantation d‟un bâtiment public grâce
aux dons ou aux facilités d‟achat du terrain, augmentation de la valeur foncière et changement de la
sociologie autour de ces bâtiments. Il est surprenant de constater que ce dispositif ne fonctionne pas
seulement avec les édifices religieux, ce que pourrait justifier leur mission de moralisation, mais avec
n‟importe quel édifice public, indépendamment de sa mission. Il semblerait donc que leur charge
symbolique et de représentation, et plus encore l‟activité dans et autour de ces bâtiments, suffisent à
générer ce processus.
IV / LA DISSUASION SPATIALE
Après la lutte contre les catastrophes naturelles et celle, directe et indirecte, menée contre les activités
illicites, la question de la sécurité va maintenant être interrogée selon une dernière thématique, la
dissuasion spatiale. Pour développer ce sujet, il est nécessaire de changer d‟échelle d‟observation.
Après celle du domaine hospitalier ou de l‟implantation d‟un bâtiment dans un quartier, l‟échelle de
l‟îlot et de l‟immeuble va être privilégiée. Si la liberté individuelle de se mouvoir est relativement
grande dans l‟espace public, il n‟en est pas de même dans l‟habitat privé qui constitue le tissu principal
des villes. La dissuasion spatiale consiste à créer un barrage physique pour interdire au passant, mais
le plus souvent simplement pour le dissuader discrètement, d‟entrer ou de circuler dans ces lieux.
L‟étude porte sur la protection, du point de vue de la sécurité, des chœurs d‟îlots (leur formation et
leur morphologie qui crée une barrière, l‟exemple des cours communes) et des immeubles (les entrées
qui protègent l‟accès à la cour intérieure et aux étages, l‟exemple des « allées » des immeubles posthaussmanniens
du quartier de la préfecture, et les autres remparts à la circulation). L‟évolution dans le
temps de ces outils de la dissuasion (concierges, marteaux, interphones, digicodes…) sera peu
abordée, mais leur état actuel sera rapidement évoqué. Il ne sera pas question de la sécurité des
habitants du point de vue de leur espace intérieur : éviter les chutes, les accidents …, mais seulement
par rapport à des intrusions extérieures. Les Hospices civils de Lyon seront toujours au cœur de
l‟étude, directement lorsqu‟il s‟agira de l‟organisation des îlots, mais moins directement lorsqu‟il
s‟agira de l‟habitat qui se construit sur leurs terrains, qu‟ils contrôlent moins ou pas du tout.
La protection du cœur d‟îlot
L‟évolution logique d‟un îlot des Hospices civils de Lyon, surtout sur les terrains loués, mais aussi sur
terrains vendus quand il n‟y a pas de projet d‟urbanisme spécifique, est l‟augmentation progressive de
la barrière des bâtiments hauts sur le pourtour de l‟îlot. Ceci génère, à terme, une protection physique
complète du chœur de l‟îlot qui dissuade de pénétrer dans cet espace. Les bords sont à la fois une zone
de plus-value grâce à la proximité avec la rue, et une zone de protection physique. Le chœur devient
alors un lieu réservé où les étrangers à l‟îlot n‟ont pas leur place, dispositif qui sera encore renforcé
avec la mise en place des îlots à cour commune à partir de 1885. Quand l‟ensemble du pourtour est
construit, il forme une sorte de rempart et le seul moyen de pénétrer dans la cour est alors l‟entrée de
l‟immeuble. Il est intéressant de comprendre comment et pourquoi se met progressivement en place
cette disposition pourtour-rempart haut/ chœur bas protégé. Cette typologie n‟est d‟ailleurs pas propre
au domaine des Hospices, mais caractéristique d‟un type d‟urbanisation spontanée très largement
répandu.
210 Par exemple, en 1899, ils vendent 4152 m2 (masse 44) à la Ville de Lyon pour un lycée de jeunes filles, à 185
F le m2 payables en 30 annuités ; en 1901, ils cèdent 1786 m2 (masse 66), toujours à la Ville, pour une caserne
de pompiers, à 160 F le m2 sous forme d‟échange.
77

Fig. 5 . Masse 4 des Hospices Civils, parcellaire et bâti (habitations et ateliers) en 1854, 1881 et
1901. (J.L. Pinol, 1989, pp. 188-192, croquis n° 21, 22, 24). En 1854, les deux types de bâtiments
sont placés indistinctement en bordure de rue ou en cœur d‟îlot, ménageant une transparence de
l‟îlot. Ce ne sera plus le cas ensuite, où les ateliers occupent le centre et les habitations le
pourtour, rendant ce dernier plus étanche.
Trois stades de densification spontanée
Les masses de terrains des Hospices, en particulier celles qui sont louées, se couvrent progressivement
de bâtiments, mais elles ne le font pas toutes de façon simultanée. Chaque masse traverse la même
évolution, qui peut cependant se produire plus ou moins rapidement et à des périodes différentes selon
sa position et sa valeur. Cette évolution peut être schématisée en trois stades. Lors du « premier stade
de densification », les voies sont créées, entraînant le dessin général de la masse de terrain encore nue
ou avec les traces du parcellaire rural. Les constructions commencent à s‟élever d‟abord le long des
grands axes et aux angles, mais pas exclusivement. En général, le cœur de la masse commence aussi à
être investi. A ce stade, la distinction entre le pourtour et le cœur de l‟îlot ne se fait pas vraiment. La
78

circulation entre les rues et le cœur est sans doute relativement fluide du fait, surtout, que de grandes
zones vides existent, laissant le regard traverser l‟îlot. Lors du « deuxième stade de densification », les
constructions occupent environ 50 % de la surface de la masse. Le pourtour de l‟îlot, au moins sur
trois faces, est alors bâti et le cœur continu à se densifier. Enfin, lors du « troisième stade de
densification », qui a lieu vers 1875 pour les premières masses bâties, et plus tard pour les autres, l‟îlot
est construit jusqu‟à saturation y compris dans le cœur. Sur certains plans sont visibles des « passages
communs » qui permettent l‟accès aux bâtiments édifiés à l‟arrière des bâtiments sur rue. Les
premières masses urbanisées sont situées entre les Brotteaux et la Guillotière, autour de l‟église Saint-
Pothin, et au croisement du cours Lafayette et de l‟avenue de Saxe. Les autres présentent des stades
d‟évolution très divers, plutôt tardifs lorsqu‟on se dirige vers l‟est.
Les autres caractéristiques de la densification
Au cours de ces trois phases, la répartition des types de constructions, habitations et locaux
professionnels (ateliers, hangars,...) change. Au début, ces deux types sont distribués indifféremment
sur le pourtour ou dans le cœur de l‟îlot. En fin de densification, les habitations sont sur la rue et les
locaux professionnels en cœur d‟îlot 211 . La hauteur des édifices varie elle-aussi selon le stade de
densification et l‟emplacement : haut sur le pourtour et bas en cœur d‟îlot en fin de densification. Cette
dernière caractéristique s‟explique par plusieurs raisons : la nécessité d'avoir de la lumière et de ne pas
trop rapprocher les vis-à-vis ; la répartition de la valeur foncière, plus importante sur le pourtour ; et la
fonction des bâtiments qui occupent le cœur, constructions à caractère artisanal ou industriel, plus
basses. La vente peut interrompre cette évolution spontanée des masses louées. Si la masse n‟est pas
vendue, son bâti se régénère par substitution. Si elle est vendue, le bâti existant va, le plus souvent,
être détruit, mais il peut être conservé si l‟acquéreur du terrain est aussi le propriétaire de ce bâti.
Les îlots à cour commune
A partir de 1885, les Hospices mettent en place les « îlots à cour commune » sur leurs terrains à
vendre, puis sur certains de leurs terrains loués. Le principe est simple : seul le pourtour de la masse
est construit sur une profondeur d‟environ 16 m, d‟immeubles de rapport soignés s‟adressant à la
bourgeoisie. Le reste de la surface, en cœur d‟îlot, n‟est pas bâti de façon à former une « cour
commune », si possible transformée en jardin. Les raisons pour lesquelles les Hospices mettent au
point puis répandent ce modèle urbain sur une trentaine de masses, ainsi que les détails de sa mise en
œuvre complexe n‟ont pas lieu d‟être développées ici. Il suffira de savoir que l‟intention première est
d‟augmenter la plus-value sur le pourtour de la masse. Cette valeur est donnée spontanément par la
proximité de la rue, mais elle est considérablement augmentée par l‟aménagement des cœurs d‟îlot.
Dans le cadre de ce travail sur la sécurité, il est important de noter que c‟est le modèle le plus abouti
du point de vue de la protection physique du cœur d‟îlot. En effet, ce dernier étant entouré
d‟immeubles jointifs, seules les entrées de ces immeubles, conçues pour constituer un filtre social
efficace, permettent d‟accéder à la cour. En outre, la cour étant devenue invisible depuis la rue, la
dissuasion fonctionne parfaitement. Les nombreux textes qui font état de ces cours, conservés dans les
archives des Hospices, sont étonnement muets concernant les interdictions ou les limitations d‟accès
aux cours. Qui était, ou est toujours, car les règles ont peu changées depuis un siècle, autorisé à
pénétrer dans ces cœurs d‟îlot ? Seuls quelques actes de vente particulièrement détaillés, comme celui
de la masse n°33 bis en 1896, abordent le sujet de manière partielle : « il est interdit (…) de laisser les
mendiants entrer et chanter dans la dite cour, tout sport y est interdit ». Si l‟on en croit les textes, il
semblerait que seuls les mendiants chanteurs tentaient de pénétrer dans ces espaces, ce qui semble peu
probable. D‟autres personnes devaient tenter de s‟y introduire, à moins que la dissuasion physique
n‟ait été suffisamment efficace pour assurer la sécurité des lieux. Aujourd‟hui, ces cours communes
sont mieux connues et plus visibles, suite à l‟ouverture récente de baies vitrées par les commerçants,
en particulier dans les restaurants et les bars. Pourtant, il est toujours aussi difficile d‟y pénétrer. Les
211 Au sujet des types de bâtiments et de leurs occupations successives, cf. l‟exemple de la masse 4 entre 1854 et
1948 étudiée par Dambrin, Raynaud et Zol en 1977 (pp. 226s) puis reprise par J.L. Pinol en 1989 (pp. 187-193).
79

terrasses de restaurants y sont interdites à cause du bruit et le control social s‟effectue efficacement dès
les entrées d‟immeuble, puis dans les cours.
Fig. 6. Masse 68 des Hospices Civils, plans du 20 juin 1853, du 30 septembre 1875 (Dignoscyo),
du 26 avril 1890, et en 1891 après reconstruction (arch. Bissuel, HCL. D., plans minutes,
meubles à plans). Sur le 1er plan, 7 accès à ciel ouvert mènent au cœur de l‟îlot. Sur les 3
premiers plans est visible la mise en place progressive d‟un « passage commun » pour accéder à
certaines parcelles du centre. Dans l‟îlot à cour commune, le pourtour est totalement étanche,
sauf les entrées d‟immeuble.
En somme, la dissuasion spatiale qui aboutit à la protection du cœur des îlots est sans doute le résultat
de deux logiques convergentes. La première est une logique urbaine courante de mise en valeur de
l‟espace qui consiste à tirer partie de la zone en contact avec la rue, qui a la plus grande valeur. Le
pourtour de l‟îlot appelle donc spontanément le plus grand nombre de bâtiments et la plus grande
densité, formant naturellement un rempart. La seconde logique, celle de la sécurité, vise à protéger le
cœur des îlots d‟un passage intempestif, en particulier de personnes étrangères à cet espace, en
interdisant ou en limitant son accès. Toutefois, cet aspect est plus difficile à cerner car les traces écrites
sont peu nombreuses. Il est donc difficile d‟estimer dans quelle mesure cette seconde logique est
pensée, organisée, ou simplement issue d‟un control social qui se met progressivement et
spontanément en place. Elle n‟en est pas moins réelle et efficace.
La protection de l‟immeuble
Les immeubles et la sûreté
Dans la seconde moitié du XIXème siècle, les bâtiments construits sur le domaine des Hospices sont
très divers. On ne considérera ici que les immeubles de rapport, qui sont alors largement répandus et
qui composent une grande partie du tissu urbain de cette zone. Ils présentent différents types dont
l‟origine est complexe : l‟évolution sociale, économique, technique, esthétique, du goût... y
contribuent. La sûreté n‟y prend qu‟une petite part, hormis l‟entrée de l‟immeuble qui en est le point
80

fort et quelques autres remparts de protection pour empêcher la circulation des étrangers dans
l‟immeuble. Bien entendu, plus le standing de l‟immeuble s‟élève et plus le système de protection est
important, sophistiqué et efficace.
Fig. 7. Masse 325 des Hospices Civils, projet d'un immeuble 4 rue Waldeck Rousseau, par
l'architecte A. Vermorel, sur un terrain loué pour 40 ans. Juillet 1913, projet n° 11 (HCL. D.,
dossier des projets autorisés par les HCL).
Quatre exemples d‟immeubles de rapport, bâtis sur terrain des Hospices vendu ou loué, montrent bien
l‟éventail de la typologie (cf. illustrations). Le stade le plus simple, pour ne pas dire précaire, est
visible sur une photo prise en 1981 rue Tête d‟or ( masse 124 bis) proche, pourtant, du prestigieux parc
du même nom. Les immeubles visibles sur cette photo sont bâtis sur terrain loué, ont de un à trois
étages et sont construits en mâchefer et matériaux divers. L‟accès aux entrées d‟immeubles et aux
bâtiments situés en chœur d‟îlot, sans protection particulière, est sans doute assez aisé. Un projet
d‟immeuble de cinq étage, dessiné par un architecte en 1913 sur un terrain loué à long terme pour 40
ans vers la gare des Brotteaux, révèle une façade plus élaborée, avec un décor simple mais soigné pour
la porte d‟entré et les ouvertures, ainsi qu‟un balcon au dernier étage. Le modèle de l‟immeuble
bourgeois, tel qu‟il sera très largement diffusé partout à Lyon et tout particulièrement sur la rive
gauche du Rhône, peut être représenté par le 88 avenue de Saxe (masse 97). Construit en 1898-99 sur
terrain vendu dans le quartier de la préfecture, il possède quatre étages courants et deux étages de
comble, des balcons aux 2 e , 3 e et 4 e étages ainsi que des bow-windows, un décor sculpté sur toute la
façade. L‟entrée, parfait exemple de filtre social, est particulièrement soignée comme on le verra plus
loin. Enfin, le 14 rue Waldeck Rousseau est un immeuble très cossu du quartier de la gare des
Brotteaux sur terrain vendu (1912, masse 327). Il fait l‟objet de nombreuses dérogations pour des
éléments décoratifs qui dépassent le gabarit autorisé, pourtant, il reprend tel quel le modèle d‟entrée de
l‟immeuble du quartier de la Préfecture.
81

Les « allées » des immeubles post-haussmanniens du quartier Préfecture
L‟entrée des immeubles étant le lieu principal de la protection à la fois de l‟immeuble et du cœur
d‟îlot, il est important d‟en connaître davantage sur cet espace très spécifique. Cette partie de
l‟immeuble, qui va de la porte donnant sur rue au début de l‟escalier desservant les paliers, possède à
Lyon une désignation spécifique, « l‟allée ». Une étude réalisée (en 1980) sur le quartier de la
préfecture 212 propose une typologie précise des entrées des immeubles post-haussmanniens de ce
secteur. Elle est reprise ci-dessous.
L‟étude détermine cinq grands types d‟allées. Le type I constitue le modèle de base. Seules les
composantes indispensables de l‟allée apparaissent : porte sur rue double (porte d‟allée et porte
d‟entrée), couloir, escalier (ascenseur le cas échéant) et porte sur cour. Elles sont rassemblées de
manière simple, fonctionnelle, économique et occupent une place minimale. La loge de concierge,
élément essentiel du contrôle sociale, se situe sur le palier, en haut de la première volée d‟escalier. La
personne qui entre n‟est donc pas visible dans l‟allée, mais seulement quand elle monte l‟escalier. Le
type II découle du précédent. Le noyau de communication, escalier/ascenseur, est toujours dans l‟axe
du couloir, mais les proportions changent. L‟espace entre les deux portes s‟agrandit et le couloir ainsi
que la partie terminale prennent aussi de l‟ampleur. Comme le prouve l‟apparition de l‟escalier de
service, c‟est une version plus luxueuse du modèle initial, souvent employée dans les immeubles
d‟angle, plus riches. Ici, la loge de concierge se trouve au niveau de l‟allée, mais pas directement dans
l‟axe du couloir, si bien que le visiteur n‟est toujours pas visible dès son entrée. Dans le type III, le
couloir devient indépendant du noyau de communication qui ne se trouve plus dans son prolongement.
Le cheminement du visiteur est alors animé par le nouveau plan de l‟allée qui peut être compliqué à
loisir. C‟est un procédé habile pour lutter contre l‟impression de tunnel qui se dégage des allées
décrites plus haut. La conciergerie, mise en valeur par la décoration, est maintenant placée en face de
l‟entrée, position idéale pour sa fonction. Le type IV, comme précédemment, présente un noyau de
communication soustrait à la vue du visiteur comme s‟il était rejeté car trop utilitaire. L‟allée, élargie,
est carrossable et la porte sur cour, qui occupe toute la largeur, devient l‟objet central de la décoration.
La loge de concierge, relégué au second plan sous l‟escalier ou à l‟entresol, est discrète dans ces allées
raffinées où le visiteur doit être mis à l‟aise. On approche de la notion de salle d‟accueil, qu‟illustre
parfaitement le type suivant. Le type V offre un cas unique. L‟allée, dessinée en largeur, sans
ouverture sur cour et surhaussée par rapport au niveau du sol, est libérée de la conciergerie qui est
située dans l‟avant-cour. Elle dessert deux montées d‟escalier jumelles et son organisation est plus
proche de celle d‟un hôtel particulier que d‟un immeuble de rapport.
En fin de compte, l‟allée est conçue pour donner au visiteur, dès son entrée, un certain nombre
d‟indications sur les occupants de l‟immeuble et principalement sur leur appartenance sociale. Elle
compose un échantillon de leur cadre de vie, révélateur de ce qu‟ils sont ou aimeraient paraître. Ces
notions se traduisent dans l‟architecture : plus le niveau social des habitants s‟élève, plus l‟allée
s‟éloigne de la forme fonctionnelle du couloir pour tendre vers celle, plus confortable, d‟un lieu
d‟accueil. Le plan, tout en conservant les éléments de base, adopte alors des formes variées. Les
éléments propres à la circulation, escalier et ascenseur, jugés trop « fonctionnels » sont camouflés. Les
principes de décoration sont, eux aussi, influencés par cette tendance. L‟allée permet donc d‟opérer
une sélection sociale pour laquelle le rôle de la conciergerie est déterminant. Les étrangers à
l‟immeuble sont filtrés et les personnes indésirables sont repoussées, restrictions qui sont imposées
aussi, on l‟a vu, dans certaines cours. Parmi ces personnes indésirables, les seules qui sont précisément
nommées dans les textes de l‟époque sont les mendiants et les colporteurs. La porte d‟allée, fermée en
début de soirée, remplit le même office. L‟escalier de service, placé dans certaines allées, opère lui
aussi une sélection rigoureuse en ménageant deux circuits parallèles, mais indépendants, pour les deux
classes sociales en présence.
212 A.S. Clémençon, 1980.
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Fig. 8. Typologie des entrées d‟immeubles (ou « allées »)
du quartier de la Préfecture, Lyon, 3 e arrondissement,
(Clémençon, 1980, p. 26).
Les autres obstacles arts à la circulation et les protections récentes
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Fig. 9. Conciergerie, 24 rue Rabelais, 1900-
1903, positionnée conformément au type III
de la typologie des entrées d‟immeubles.
D‟autres obstacles à la circulation, moins essentiels et moins directement accessibles que les allées,
sont aussi mis en place à l‟extérieur des immeubles. Les façades extérieures sont conçues pour
empêcher quiconque d‟y grimper, en particulier grâce à une hauteur minimale des premiers balcons
au-dessus du niveau de la rue. Les balcons continus sur tout l‟immeuble, et parfois sur tout l‟îlot
lorsque les immeubles ont la même typologie, sont souvent placés aux derniers étages et offrent le
risque du passage d‟un appartement à l‟autre. Pour empêcher toute circulation, le balcon est alors
séparé perpendiculairement à la façade, au niveau de chaque appartement, par une grille métallique
terminée par des pointes. A l‟inverse, les toits ménagent des facilités de circulation. En effet,
conformément aux règlements d‟urbanisme visant à lutter contre les incendies, y sont aménagés des
structures métalliques et des escaliers. Ceux-ci permettent aux pompiers d‟accéder aux toits et de
circuler de l‟un à l‟autre en cas d‟incendie. Cependant, la circulation en haut des immeubles fait l‟objet
de beaucoup moins d‟attention que celle du bas, les risques étant bien moindres.

Fig. 10. Masse 324 des Hospices Civils, 112 boulevard des Belges (arch. Martinon et Guérin,
1913-1914). Passerelles métalliques pour faciliter l‟accès aux toits en cas d‟incendie d'un
immeuble bourgeois du quartier de la gare des Brotteaux (photo Clémençon, 1992).
L‟évolution de l‟ensemble de ces outils de protection dans le temps ne sera pas traitée ici. Il suffira
d‟évoquer rapidement la suppression progressive des concierges dans les années 1970, le
développement du control par les habitants et l‟installation des interphones et des digicodes pour filtrer
les entrées dès la rue. Il est révélateur, toutefois, d‟évoquer une expérience singulière qui donne un
éclairage sur cette question de la sécurité. A la fin des années 1970, justement au moment où les
concierges disparaissaient, se sont multipliés les vols dans les allées richement décorées du quartier de
la Préfecture. Les petits objets décoratifs, marteaux des portes extérieures, luminaires, éléments des
rampes d‟escaliers…étaient subtilisés pour être revendus comme antiquités. Une opération de
protection de ces allées (inventaire, publication, expositions) a alors été mise en place par le CNRS et
l‟Institut d‟histoire de l‟art de Lyon 213 . A cette occasion, en particulier lors des campagnes
photographiques, a pu être vérifiée l‟importante surveillance informelle que les habitants mettent
spontanément en place en l‟absence de concierge. Cette opération a entraîné le début d‟une
réhabilitation par les propriétaires et, finalement, une reconnaissance patrimoniale avec le classement
de certaines allées et un affichage sur les façades extérieures. Les visites se sont alors développées
entraînant, de manière contradictoire, à la fois une plus grande visibilité et une plus grande protection
de ces lieux par certains des habitants. Il est donc toujours difficile de pénétrer dans ces allées dont le
statut est privé, souvent une copropriété, même si elles constituent un lieu de passage. Les vols, sans
toutefois disparaître complètement, on beaucoup diminué, confirmant le rôle des historiens de l‟art et
l‟efficacité de l‟inventaire contre ce type de déprédation.
Cette partie sur « La dissuasion spatiale » permet d‟identifier les éléments liés aux questions de
sécurité et de voir dans quelle mesure ils contribuent à la création de l‟îlot et de l‟immeuble. Dans les
archives des Hospices, à cette échelle d‟observation, les préoccupations liées à la sécurité sont
présentes mais pas, ou peu, exprimées explicitement. Des éléments spécifiques à la sécurité peuvent
cependant être repérés et décrits. Il s‟agit, principalement, des loges de concierges puis, plus
récemment, du control social mis en place par les habitants, des interphones, digicodes…Un autre type
de protection apparaît de façon plus inattendue, la patrimonialisation. En effet, dans le cas d‟allées
213 A.S. Clémençon, 1980.
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ayant une valeur architecturale et décorative, elle constitue une forme de lutte contre le vol d‟œuvres
d‟art. En tous cas, qu‟il s‟agisse de l‟îlot ou de l‟immeuble, le constat est net : les éléments liés à la
sécurité se combinent intimement avec d‟autres composantes qui, elles, n‟ont rien à voir avec ce
thème. Pour l‟élaboration et la protection du cœur d‟îlot il s‟agit, en particulier, de logiques urbaines
de mise en valeur spatiale fondées sur la recherche de plus-value. Pour l‟immeuble, l‟allée constitue le
point fort de la stratégie de sécurité et son élaboration se combine avec les composantes liées à la
typologie des immeubles : l‟évolution sociale, économique, technique, esthétique, du goût...
Conclusion
La lutte contre les catastrophes naturelles, illustrée par l‟exemple de l‟inondation, fait nettement
apparaître deux types d‟actions menées par les Hospices, qui se succèdent dans le temps en fonction
du degré d‟urbanisation. Au début, il s‟agit de protéger les personnes et les biens pour favoriser toute
implantation humaine, toutes classes sociales confondues. En revanche, lorsque l‟urbanisation est bien
amorcée, sont mis en place des d‟outils à double objectif, toujours la protection, mais aussi le filtre
social visant à déplacer les classes sociales défavorisées. Le but, simple, va se retrouver à tout au long
de cette étude : urbaniser cette zone et en augmenter la valeur.
Ces deux types d‟actions se retrouvent dans la lutte contre les activités illicites avec l‟exemple de la
prostitution. Cette problématique émerge dans la réflexion des Hospices avant 1850. Cependant, à
cette époque, ils ne lui opposent pas une lutte acharnée car ils sont encore dans la logique d‟attirer tous
types d‟occupants pour leurs terrains. Après 1850, le changement est net et leur position devient
intransigeante. Les mêmes raisons que pour l‟inondation sont avancées : dans une zone en forte
urbanisation, la prostitution est une cause de moins-value pour les terrains à vendre.
La lutte indirecte contre les activités illicites met en évidence le rôle détourné des implantations
militaires comme celles des bâtiments religieux et publics. Les Hospices favorisent ces structures pour
amorcer l‟urbanisation dans le cas des fortifications, et pour lutter contre les activités illicites et créer
une plus-value foncière dans le cas des bâtiments religieux et publics. Les fortifications créent de la
plus-value à long terme, comme la plus part des implantations humaines qui structurent une zone
rurale même si, dans un premier temps, c‟est la moins-value qui l‟emporte. Les églises ainsi que
d‟autres bâtiments religieux sont les premiers bâtiments publics de la rive gauche du Rhône et sont
implantés massivement. C‟est un phénomène de grande ampleur, conséquence d‟un véritable choix de
politique urbaine de la part des Hospices, dans lequel les notions de sécurité entrent particulièrement
en ligne de compte. La conséquence de ces implantations, pour les bâtiments religieux comme pour les
bâtiments publics qui vont suivre, est un changement du niveau social des quartiers alentour et une
plus-value foncière. Le processus est toujours le même. Les Hospices identifient le problème
d‟insécurité, favorisent l‟implantation des bâtiments par la gratuité des terrains, des prix attrayants ou
des facilités de payement, puis le niveau social alentour change et la valeur foncière augmente. Il est
intéressant de noter que ce n‟est pas la mission de moralisation attachée aux bâtiments religieux qui
semble provoquer le mécanisme, mais plutôt leur statut d‟édifice public.
Enfin, la dissuasion spatiale, avec les cas de l‟îlot et de l‟immeuble, montre que les éléments liés à la
sécurité se combinent, lors de leur création, à d‟autres composantes qui n‟ont rien à voir avec cette
thématique. Ainsi, la protection du chœur d‟îlot avec son pourtour rempart, l‟allée avec sa loge de
concierge … sont bien évidemment issus de préoccupations sécuritaires, mais aussi, très directement,
d‟autres facteurs comme les logiques urbaines de mise en valeur de l‟espace, l‟évolution sociale,
économique, technique, esthétique, du goût …
Que nous apprend cette analyse de l‟attitude d‟un grand propriétaire foncier lotisseur vis à vis des
questions de sécurité, qui soit d‟ordre assez général pour alimenter notre réflexion sur la ville actuelle
ou future ? Au-delà de la connaissance qu‟il apporte, ce travail oriente sur des voies de recherche qui
n‟allaient pas forcément de soi, mais qui s‟avèrent pertinentes par rapport à cette thématique de la
sécurité. En premier lieu, le positionnement même des Hospices donne des pistes. La lutte contre
l‟insécurité se développe, chez eux, non pas sous la pression de préoccupations morales ou sanitaires,
cette dernière n‟étant d‟ailleurs jamais évoquée, mais sous celle de la recherche de rentabilité foncière.
Le langage utilisé dans les textes, fondé sur un raisonnement moral, ne doit pas faire illusion.
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L‟analyse de la lutte contre la prostitution et de l‟implantation des bâtiments religieux, révèle bien ce
moteur majeur. En cela, leur attitude est caractéristique d‟un grand propriétaire terrien, au-delà du fait
qu‟ils sont, par ailleurs, traditionalistes et médecins. Le thème de la sécurité est décliné par les
Hospices dans une vision à très long terme, rendue possible par le fait qu‟il ne s‟agit pas d‟un individu,
ou d‟un groupe familial, mais d‟une structure pérenne dans le temps. Celle-ci peut donc développer
une stratégie non pas à l‟échelle temporelle de l‟être humain, mais à celle de la fabrication de la ville.
On peut affirmer que la lutte contre l‟insécurité est au cœur du projet de politique urbaine des
Hospices car c‟est elle, dans ce contexte historique, qui produit avant tout de la plus-value foncière.
Une autre conclusion s‟impose lorsque l‟on aborde les questions de sécurité dans la production de la
ville, c‟est l‟importance de l‟implicite, du non-dit, de l‟action détournée. En effet, cette approche
s‟avère essentielle pour comprendre pleinement ces mécanismes souvent dissimulés. On ne peut se
limiter à l‟analyse de la lutte directe, explicite, clairement affirmé dans les textes, contre l‟insécurité.
L‟importance de la lutte indirecte, de la dissuasion, du non dit, se révèle capitale. Bien entendu, c‟est
moins confortable qu‟une preuve claire et cela nécessite, de la part de l‟historien ou de l‟analyste,
perspicacité et interprétation. Cette lacune dans les sources se double d‟une autre caractéristique, le
double discours. Il s‟applique ici au couple rentabilité/sécurité, mais le même mécanisme peut être
observé pour d‟autres thèmes, par exemple hygiénisme/sécurité. Le principe est simple : sous couvert
du premier argument, ici la rentabilité foncière, sont mises en place des actions qui permettent de la
lutter contre l‟insécurité sans la nommer. Par exemple, l‟implantation des églises et des bâtiments
publics, ou la mise en place des cours communes sont justifiés par la valorisation du sol qu‟elles vont
entraîner, passant sous silence les implications parallèles comme l‟éviction des classes défavorisées.
Enfin, la question de la sécurité ne se pose pas de la même manière selon les phases d‟urbanisation.
D‟une manière générale, plus un secteur prend de la valeur du point de vue foncier, mais sans doute
aussi immobilier, et plus l‟insécurité apparaît comme un problème aigu. En effet, le moteur le plus
puissant qui incite à lutter contre l‟insécurité, dont les outils les plus courants sont la déconcentration
ou le déplacement des classes sociales défavorisées, est sans doute la recherche de plus-value foncière
et immobilière. On peut donc dire que, du point de vue de l‟aménagement urbain, la sécurité produit
de la plus-value. De même, l‟histoire de la sûreté apparaît comme étant indissociable de celle des
classes défavorisées (exclusion, rejet en périphérie …). Un des résultats importants de ce travail est de
montrer que les questions de sécurité ne sont pas autonomes, indépendantes, mais totalement
imbriquées dans la fabrication de la ville en général. Elles se combinent intimement avec d‟autres
composantes différentes de cette thématique. Par exemple, elles se conjuguent en priorité avec des
questions de plus-value, de rentabilité foncière et immobilière, d‟extension urbaine, de logiques de
mise en valeur de l‟espace …, mais aussi avec la lutte contre les masures et la pollution, l‟histoire de
l‟hygiène, les évolutions sociales, économiques, techniques, esthétiques, du goût en matière d‟habitat
…Il est donc absolument nécessaire d‟élargir le thème de la sûreté car il se trouve à la croisée de
beaucoup d‟autres champs et il n‟est pas dissociable du contexte historique. La notion de système,
pour une société donnée, doit être prise en compte, la sûreté n‟étant qu‟une de ses composantes.
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Jacques BONNET, Université de Lyon
Le quartier de la Part-Dieu et celui de la Confluence du Rhône et de la Saône auront pour chacun
d‟entre eux marqué l‟urbanisme lyonnais, dans les années 1970-80 pour le premier, les années 2000
pour le second. Avec des préoccupations sécuritaires fort variables.
Eléments de diagnostic : la Part-Dieu et Confluence
La question de la sûreté des territoires
Introduction
Deux opérations d‟urbanisme majeures, inscrites dans les faubourgs de la ville, rythment l‟histoire
récente de Lyon : la création du centre moderne des affaires de la Part-Dieu, décidée en 1968 par
Louis Pradel, Maire de Lyon, sur les recommandations de la DATAR, pour promouvoir la politique
des métropoles d‟équilibre, et le projet Confluence, inscrit d‟abord dans le plan de mandat de
Raymond Barre, en 1996. Ces deux opérations qui représentent une extension des fonctions centrales
sur près de deux cents hectares au total s‟avèrent très différentes. L‟une et l‟autre symbolisent deux
époques contrastées et des principes d‟urbanisme opposés. Pour simplifier, en empruntant des
expressions de Maurice Le Lannou, les premiers privilégiaient l‟homme-producteur, les seconds
l‟homme-habitant, deux conceptions en effet de la Ville et de la société. La coupure historique est à
placer en fait vers 1988, sous le mandat de Michel Noir et de son adjoint à l‟urbanisme, Henri Chabert,
initiateurs du « Plan Lumière » et du Schéma directeur d‟aménagement de l‟agglomération lyonnaise «
Lyon 2010 », qui met en place :
« une grande politique d‟embellissement du centre-ville portant sur les espaces majeurs de
l‟environnement des édifices et des lieux publics porteurs d‟images, sur les traversées urbaines des
fleuves, sur le traitement de l‟espace public, sur la création de parcs urbains, sur la mise en valeur du
patrimoine architectural, sur la réalisation d‟itinéraires de promenade et de découverte de la ville, sur le
traitement des entrées de ville… » (p.154).
Autre document d‟urbanisme révélant une prise en compte croissante du patrimoine géographique, le
Plan Bleu de 1991 affirme les objectifs de mise en valeur des berges du Rhône et de la Saône dans la
ville, de requalification des fronts d‟eau, une thématique que l‟on retrouve bien ailleurs, de contact
entre la population et son territoire fluvial. Le Plan Vert prévoit de grands parcs à l‟échelle de
l‟agglomération, à Gerland et à Perrache, et la constitution de berges plantées.
Cette rupture dépasse évidemment les noms des acteurs de la ville et la simple logique des lieux. Elle
reflète l‟évolution générale de l‟histoire de l‟urbanisme pour laquelle Lyon a fait école. C‟est dans ce
cadre diachronique global que nous voulons analyser la question annexe de la sûreté des territoires.
La Part-Dieu, centre directionnel fonctionnel
La Part-Dieu symbolise l‟urbanisme fonctionnaliste des années 1960-70, à la fin des trente années
glorieuses qui avaient vu triompher un économisme confiant dans l‟avenir du mode de production
fordiste, soutenu en France par une alliance des acteurs locaux de l‟aménagement métropolitain avec
le capitalisme d‟Etat. Conçu dans une période de prospérité économique, lorsque les bienfaits et la
pérennité de la croissance ne semblaient pouvoir être discutés, l‟espace des aménageurs était marqué
par l‟idéologie productiviste et technocratique qui dominait alors dans les bureaux d‟études et les
ministères.
Urbanisme et procès de production
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Le SDAU de la métropole Lyon-Saint-Etienne qui avait été approuvé par le gouvernement en 1970
était fondé sur l‟attente d‟une croissance démographique continue (+ 2,05 % entre 1968 et 1985 ; +
2,10 % de 1985 à 2000) qui amplifiait les tendances observées entre 1954/62 (+ 1,90 %) et 1962/68 (+
2 %). Selon ces vues, la population de l‟agglomération devait passer, de 1968 à la fin du siècle, de 1,4
M. à plus de 2,7 M d‟habitants. On concevait alors les métropoles par leur masse, autant que par leur
rôle. En France, en particulier dans les villes de province où les forces motrices du capital privé
s‟avèrent insuffisantes pour promouvoir seules de grandes opérations d‟urbanisme ou de grandes
actions économiques, domine l‟effet inducteur des pouvoirs publics. Dans l‟édification du centre
directionnel de la Part- Dieu, ces derniers ont été à la fois initiateurs du projet (OREAM, DATAR),
maître d‟ouvrage (S.E.R.L, Société d‟Equipement du Rhône et de Lyon), source du financement
(Caisse des dépôts), maître d‟oeuvre et principal occupant des lieux.
L‟intervention des grands groupes financiers dans les opérations immobilières n‟a guère commencé en
France avant 1960 et elle est restée limitée à la région parisienne jusqu‟en 1970. On peut dire qu‟il
n‟existait pas de marché de bureaux en province avant 1970. Les rares permis de construire recensés
concernaient essentiellement des opérations en compte propre, engagés par les entreprises utilisatrices,
donc hors marché. C‟est à partir de cette date précisément que se sont implantées à Lyon, à la Part-
Dieu, les principales sociétés immobilières d‟investissement. C‟est à ce moment là, en 1967, en 1972,
en 1976, que la politique de décentralisation des établissements tertiaires a évolué avec des procédures
incitatives successives pour faciliter l‟implantation des services dans les métropoles d‟équilibre et les
chefs lieux de région situés en dehors du Bassin Parisien. L‟Association pour le Développement
Economique de la Région Lyonnaise (ADERLY) a été créée en 1974 par la Communauté urbaine, la
Chambre de Commerce et d‟Industrie et par le Groupement Interprofessionnel Lyonnais (G.I.L.), pour
aider les entreprises nationales et étrangères à s‟implanter.
On peut observer une certaine division économique, technique et sociale entre le centre traditionnel de
la Presqu‟île et le quartier directionnel de la Part-Dieu. Le premier, cadre historique et symbolique,
conserve le coeur des affaires lyonnaises, attachées au prestige d‟un emplacement connu de longue
date auprès d‟une clientèle ancienne, les services de nature commerciale ou services relationnels, les
cabinets indépendants des professions libérales –notaires, avoués, avocats, huissiers, conseillers
juridiques, experts comptables-, qui intéressent aussi les particuliers, entreprises personnelles de petite
taille et de caractère local. On pourrait parler ici des traces d‟un stade précapitaliste du développement
des services. La Part-Dieu a attiré les activités de gestion, inspections et délégations régionales des
grandes administrations ou entreprises nationales, activités de traitement de l‟information, dans des
bureaux modernes informatisés dont les fonctions et configurations dépendent d‟une organisation
externe des flux. Pour simplifier, on peut établir un rapport synchronique entre urbanisme et « procès
de production ».
Cette logique n‟a pas empêché le caractère composite du quartier de la Part-Dieu. Le manque d‟unité
peut s‟expliquer par la succession d‟au moins trois plans-masses, depuis le premier conçu en 1961, par
les architectes Perrin-Fayolle, Sillan et Zumbrunnen, pour le compte de la S.E.R.L. qui prévoyait 8
immeubles d‟habitation de 135 m de long et 53 m de hauteur, une Maison de la Radio, un hôtel de
police, des équipements scolaires, des espaces verts, une gare routière, des bureaux, des commerces,
bref un nouveau quartier, un centre de vie complet, autonome, pourvu de tous les équipements
indispensables pour son développement, jusqu‟à celui de 1980 qui intègre le projet d‟une gare centrale
pour le TGV. La cohérence du projet d‟ensemble a pu souffrir aussi d‟une vente des terrains aménagés
par la S.E.R.L. en lots fractionnés, pour limiter les risques financiers et assurer le remboursement
progressif de ses emprunts. Le programme d‟équipements culturels a été réduit, isolant la bibliothèque
de l‟auditorium, au bénéfice d‟un doublement de surface du centre commercial.
La difficile requalification de l‟urbanisme fonctionnel
A partir de 1990, un décalage croissant est apparu, à la Part-Dieu comme pour d‟autres grandes
opérations d‟urbanisme des années soixante- soixante dix, entre les aménagements réalisés et les
modes de vie, les pratiques urbaines ou les attentes des usagers. L‟obsolescence a touché
particulièrement la dalle piétonne construite à 6 m au dessus du sol et dont les dysfonctionnements se
sont avérés multiples : pauvreté des matériaux et du mobilier urbain, rigidité géométrique de l‟espace,
accessibilité peu lisible, une signalétique très insuffisante, insécurité, éclairage uniforme et médiocre,
90

manque d‟animation et de centralité, complexité de la gestion avec des acteurs multiples, privés et
publics, et des conflits d‟intérêt pour l‟entretien et les réparations, déconnexion progressive de la dalle
par rapport aux principaux flux du quartier (centre commercial, parking du centre, métro, bibliothèque,
gare). Prévue à l‟origine à 1,50 m au dessus du sol naturel, pour faciliter les liaisons internes, elle est
aujourd‟hui un gigantesque lieu de passage neutre dont la hauteur pénalise les relations inter-quartiers.
De nombreux dallages restent endommagés, d‟autres bancals. Posées sur des plots, elles sont fragiles
et ne conviennent pas à des usages autres que piétons, ce qui devrait interdire skateboard, rollers ou
bicyclettes. Le revêtement en dalles gravillons lavés est difficile à nettoyer. Des problèmes
d‟étanchéité se posent, ce qui n‟autorise un nettoyage au jet qu‟une fois par an. L‟accès des pompiers
sur la dalle est difficile. La dalle est inaccessible aux machines de chantier ; les techniciens doivent
donc intervenir manuellement. Fontaines hors d‟usage, espaces verts dispersés, essentiellement
arbustifs, soulignent un manque d‟intérêt paysager.
Des statuts multiples sur la dalle :
Passerelles : Communauté urbaine de Lyon, domaine public.
Métro : Sytral.
Espaces verts : propriétaires de chaque lot.
Eclairage public, fontaines, oeuvres d‟art : Ville de Lyon.
Poubelles : Communauté urbaine de Lyon.
Bancs, escaliers et escalators : propriétaires de chaque lot.
Cabine téléphonique : France-Télécom.
La S.E.R.L. était en 2000 encore propriétaire de petites parcelles éparses invendues, parcelles remises
en 2001 à la communauté urbaine. Les conventions d‟origine prévoient que l‟aménagement, l‟entretien
et le nettoyage des parcelles est à la charge du propriétaire de chaque lot, y compris les cheminements
piétons, les dallages, les sorties véhicules sur les rues en provenance des parkings.
La fréquentation de la dalle baisse depuis 1999, de plus de 14 000 en moyenne quotidienne –en
semaine- à près de 10 400 usagers, 8 900 le dimanche. Très peu de personnes font un usage prolongé
de la dalle (250 personnes par jour y font un arrêt). Plus de la moitié (54 %) des personnes interrogées
ne viennent que rarement sur la dalle ; 83 % des gens ne passent jamais la nuit, après la fermeture des
magasins, les autres vont à l‟auditorium, au cinéma, ou au restaurant. Les moins de 25 ans (34 % des
usagers de la dalle) viennent surtout pour faire du shopping et se divertir (plus de 70 % des motifs
évoqués). C‟est dans cette catégorie d‟usagers que l‟on trouve les partisans de la dalle. Les plus de 60
ans apprécient l‟absence de circulation automobile, mais déplorent le manque d‟entretien et les
problèmes techniques (les rares escalators sont trop souvent en panne). Les usagers ont
majoritairement soulignés l‟aspect inesthétique du lieu, un entretien à améliorer et la manque de
convivialité. Les usagers souhaiteraient des commerces, des terrasses de cafés ou de restaurants, des
kiosques sur la dalle ; 27 % des usagers de la dalle estiment que la mise en place de nombreux espaces
verts (verdure, fleurs, arbustes, jardinières) est une priorité. Ce qui n‟est pas sans poser de problème,
car chaque propriétaire d‟immeuble est responsable de l‟entretien des espaces verts se trouvant sur sa
parcelle. Ceci provoque une hétérogénéité de l‟entretien et un manque d‟enthousiasme pour cette
politique onéreuse.
Le vrai faux problème de la sécurité
Le centre commercial (260 magasins, entre 20 000 et 60 000 personnes par jour, jusqu‟à 120 000 en
période de Noël ou de soldes), première cible des malfaiteurs, a été l‟objet des premières attentions des
services de sécurité. Il existe ainsi quatre niveaux de sécurité :
- La sécurité à l‟intérieur des magasins qui est prise en charge par chaque commerçant.
- La sécurisation passive, commune sur les allées par un système de video-surveillance 24h/24 (50
caméras à 360° permettant de faire un gros plan à 30 m) relié au poste de police. Les parkings ne sont
en revanche pas sous video-surveillance, excepté les entrées et sorties.
- La sécurisation active est assurée par une société de surveillance avec 15 vigiles le jour et 5 la nuit
(0h45 - 4h 45) dont certains ont une formation de pompier.
- Un poste de la Police Nationale (18 personnes) complété par 15 CRS.
91

Les délits les plus fréquents sont des vols à l‟étalage. On constate une augmentation des vols avec
violence, notamment à l‟arraché.
Aujourd‟hui, le centre commercial parait sécurisé et la délinquance se déplace sur la dalle où de trop
nombreux recoins et passages constituent autant de zones d‟insécurité : la zone de l‟ancienne fontaine
qui n‟est pas dans le champ de la caméra (consommation de drogue, jets de bouteille sur les voitures
stationnées au parking ou circulant rue Servient en contrebas), la sortie du cinéma UGC sur le toit
(drogue, bagarres), la Porte de la Bibliothèque (vols à l‟arraché avec rollers, vols de vélo).
A la fermeture du centre se produit un phénomène d‟appropriation de la dalle par des groupes de 50 à
60 personnes. On relève aussi des bagarres entre SDF. Des policiers en civil patrouillent, des systèmes
de video-surveillance ont été installés auprès de l‟immeuble Britannia et devant le distributeur de la
Caisse d‟Epargne. Dans les faits, personne ne veut s‟occuper de la sécurité sur la dalle.
Le secteur Part-Dieu n‟est pas moins sécuritaire qu‟un autre. La rue de la République ou les
Terreaux s‟avèrent plus dangereux. Mais 56 % des gens s‟y sentent en insécurité, les femmes plus que
les hommes (63 % contre 49 %). Une étude de sécurité publique datant de 2004 souligne cependant
l‟importance croissante des problèmes de sécurité au sein du quartier de la Part-Dieu :
21,4 % des faits de délinquance constatés à Lyon sont enregistrés dans le 3ème arrondissement et le
secteur central de la Part-Dieu concentre 66 % des faits observés dans l‟arrondissement, 85 % des vols
sur les personnes. Dans ce périmètre, on recense une dizaine d‟espaces publics qui concentrent plus de
70 % des faits et 78 % des vols. Il s‟agit des abords du centre commercial, de la tour Crédit Lyonnais,
de l‟Auditorium, de la Bibliothèque municipale, de la dalle piétonne. La saleté et la dégradation du
mobilier urbain renforcent la perception négative du site et profitent finalement à la délinquance. La
dalle aujourd‟hui semble ne servir qu‟à cacher les nuisances. La complexité juridique incite peu les
propriétaires à entretenir les espaces. Avec le régime des lotissements, certaines parties sont du ressort
du service de la voirie, d‟autres du service des ouvrages d‟art, d‟autres du Centre Commercial ou de la
tour Crédit Lyonnais.
A l‟époque de la création du quartier de la Part-Dieu, les aspects sécuritaires n‟étaient pas pris en
compte dans l‟aménagement ou dans les discours politiques. Les technologies actuelles de surveillance
et de protection s‟efforcent de surmonter les contraintes inhérentes aux aménagements des années
1960. La solution reste partielle et très localisée. Un véritable projet urbain global devrait s‟imposer. Il
s‟agirait de mieux lier la Part-Dieu aux quartiers environnants et de créer une vie de quartier. L‟un des
enjeux du projet actuel est en effet de mieux lier la Part-Dieu aux quartiers environnants.
Mais on ne peut pas supprimer la dalle. On a détruit les passerelles piétonnes qui surplombaient les
axes routiers. Des escaliers larges et des ascenseurs extérieurs ont été installés pour accéder à la dalle.
On a voulu revenir chaque fois que cela s‟avérait possible à un urbanisme de rue, pour faire circuler
tout le monde ensemble dans le même espace. La mixité urbaine, des populations et des activités, est
l‟idée motrice de l‟urbanisme d‟aujourd‟hui. Il est cependant impossible d‟introduire davantage
d‟habitants sur le site ; l‟équilibre entre logements, bureaux, commerces, infrastructures aurait dû être
établi en amont.
A la Part-Dieu l‟absence de vie de quartier est un vrai problème qui renforce un a priori d‟insécurité.
Il faudrait pouvoir ramener la centralité principale du quartier sur la dalle, après une réhabilitation
sévère pour en faire réellement un lieu d‟échanges et de rencontres. La difficulté tient au caractère
irréversible de l‟urbanisme fonctionnel des années soixante, centre directionnel de la Part-Dieu ou
complexe dit d‟échanges de Perrache : les réadaptations successives s‟avèrent impossibles sans tout
démolir. C‟est précisément ce que l‟on a voulu éviter avec l‟opération Confluence, projet urbain global
inscrit dans le temps long des évolutions possibles.
Confluence, un projet urbain global et adaptable
Le projet Lyon Confluence concerne un faubourg industriel et ferroviaire de 150 ha coupé du centreville
par l‟épais remblai de la gare de Perrache et des voûtes noircies par les fumées qu‟elle surmonte,
renforcé par une énorme coulée de béton aménagée à la sortie du tunnel de Fourvière pour relier
l‟autoroute de Paris à celle de Marseille –l‟échangeur de Perrache-. Prisons, entrepôts charbonniers,
usine à gaz, arsenal, et, installations portuaires déclassées le long de la Saône, marché-gare le long du
Rhône occupaient le site en 1998, quand était lancé le projet d‟un nouveau quartier central doublant en
92

surface le centre traditionnel de la Presqu‟île plus au Nord : une centralité à conquérir sur le revers de
la ville.
Le revers de la ville
Le faubourg a été sacrifié au service une longue série de grandes infrastructures de circulation d‟intérêt
le plus souvent externe : la gare d‟eau en 1826, qui a formé au milieu du quartier une première ligne de
démarcation, bloquant le développement du sud de Perrache et faisant obstacle aux projets de
raccordement viaire entre le nord et le sud du quartier ; L‟emprise ferroviaire concurrente organisée à
la même époque par les Frères Seguin pour relier le bassin houiller de Saint-Etienne et le Rhône ; la
gare centrale de Lyon, établie en 1857 pour le P.L.M. (Paris-Lyon-Marseille) et barrant la presqu‟île
totalement d‟est en ouest, entre Rhône et Saône; la pénétration autoroutière enfin, décidée en 1935 et
aménagée après-guerre. La partie de l‟axe nord-sud longeant le quartier Perrache est réalisée en 1957
sous forme d‟une autoroute sur le quai du Rhône. Selon le pouvoir central, ce traitement particulier se
justifie par le caractère suburbain du quartier. Est établi « un vaste giratoire au croisement des axes
Berthelot, Verdun et Perrache, sous lequel l‟axe nord-sud passe en trémie. Etablie sur une plate-forme
indépendante de 25 m de large côté Rhône, avec empiètement de 15 m sur le lit du fleuve, cette autoroute
franchit ensuite le carrefour du pont Pasteur par un saut-de-mouton, puis la Saône aussitôt après pour rejoindre
Vienne » 214 .
Ces ouvrages qui enferment et isolent le quartier constituent les arguments majeurs pour justifier
l‟accueil d‟équipements publics nauséabonds, dangereux ou encombrants que la ville saturée ne peut
accueillir mais dont elle a besoin : « en 1830 la prison Saint-Joseph, la vitriolerie de Perret dont les
émanations corrosives brûlent les peuplier du quai de la Charité, des moulins à vapeur, une fabrique de plâtre,
une usine à gaz en 1833, des abattoirs en 1837, un entrepôt de liquides en 1839, un arsenal en 1840 » 215 .
La municipalité vote en 1938 l‟aménagement à Perrache d‟un marché de gros qui sera finalement
ouvert en 1961 sur plus de 16 hectares soustraits au quartier. En 1971, la collectivité approuve l‟avantprojet
élaboré par l‟architecte René Gagès, à la demande de la Direction Départementale de
l‟Equipement, d‟un centre d‟échanges multimodal, suite logique du tunnel sous Fourvière, pour
habiller la jonction de deux autoroutes A6 et A7 dont le trafic est le plus important de France, un
ouvrage de béton que le préfet de Région qualifiera en 1973 de « blockhaus de ligne Maginot » 216 ,
habritant également une gare routière, une quinzaine de lignes de bus et une dizaine de lignes
interurbaines de car, une station de métro, un parc de stationnement, des liaisons piétonnes, quelques
commerces.
Dans les années 1950, le quartier Perrache était un endroit très animé qui réunissait 15 000 habitants.
Le cours de Verdun était un lieu de promenade et de fête où faisaient halte les cirques. En 1990, moins
de 7000 personnes étaient recensées 217 . Aujourd‟hui, la plupart des Lyonnais associent trois images
fortes au quartier Perrache : une zone industrielle, un quartier populaire, un quartier dangereux. La
réalité est certainement différente, mais le déficit d‟image reste tenace et le décor celui d‟une banlieue
intérieure. Les activités industrielles ne sont plus très présentes, mais l‟habitat, populaire en effet, ne
représente que 40 ha sur les 150 que compte le site. Le centre d‟échanges, la gare de Perrache et la
proximité des prisons Saint-Joseph et Saint-Paul, situées juste derrière la gare, ont contribué au
développement de l‟insécurité urbaine. L‟image négative d‟insécurité que renvoie Perrache ne résulte
pas seulement de la présence d‟une prison très vétuste.
En 1993, un rapport sur la gestion de l‟urgence autour du site du centre d‟échanges, établi à partir des
statistiques de la police municipale qui tient un poste sur le mail aérien reliant le centre à la gare,
indiquait 3219 interventions par an, dont 51 % ont concerné des troubles divers liés à l‟état d‟ivresse,
8 % des vols (12 vols avec violence et 72 vols à la tire). Ces chiffres sont en augmentation constante
depuis vingt ans. Le rapport révèle aussi qu‟un très grand nombre des personnes travaillant sur le site,
214 Secrétaire d‟Etat des Travaux Publics, des Transports et du Tourisme, lettre à M. l‟Ingénieur en chef des
Ponts et Chaussées le 11 février 1956 –AML, 423 WP 47 (cité par Carine Lelièvre « Le quartier Perrache au fil
du temps », mémoire de maîtrise d‟aménagement du territoire, 1999, Université Lyon 3.
215 Ibid.
216 Le Monde, décembre 1973.
217 Cf. Lelièvre, 1999, note 128.
93

notamment la nuit, ont été victime d‟agressions verbales ou physiques. Plusieurs affaires graves ont
fait la une des médias. En 1985, le responsable des vigiles était poignardé. En 1989, un clochard était
torturé et assassiné par deux vigiles. En juin 1990, une tonne de cannabis était récupérée dans un
camping-car. On parle de 25 à 100 individus marginaux selon l‟heure de la journée et la saison qui
provoquent de gros soucis d‟hygiène et dérangent les usagers 218 .
L‟arrêt des activités portuaires en 1994, la désaffection de voies ferrées, le départ de certaines
activités, telles les Messageries lyonnaises de presse ou le centre de tri postal (transféré à Bron-
Parilly), puis le transfert du marché de gros en 2008, celui des prisons en 2009, ont permis de
mobiliser un potentiel foncier considérable, très aisément mutable et inespéré si près de l‟hypercentre
de Lyon. Une reconquête stratégique de l‟ensemble du site de Perrache a été engagée.
Une centralité à conquérir
Il s‟agit de donner au quartier une densité résidentielle suffisante pour lui conférer une animation
propre. La construction de logements permettra d‟accueillir 3 000 nouveaux habitants. « La réalisation
de logements haut de gamme est souhaitable dans ce lieu destiné à mettre sa ville en vitrine et
permettrait l‟introduction d‟une population issue des couches sociales aisées qui soutiendraient la
fonction commerciale du quartier…L‟affirmation de la centralité du quartier passe par un
renforcement du tertiaire qui se justifie d‟autant plus que le quartier bénéficie de la proximité d‟un
multimodal complet, critère important dans le choix des décideurs pour l‟implantation de bureaux». La
Confluence doit être un quartier mixte à la fois socialement et fonctionnellement, un lieu de vie et de
travail, mais aussi une destination pour les loisirs, les achats, la culture, le tourisme. Au total, 1 000
000 m2 de SHON sont programmés en deux phases.
Pour garantir la cohérence du projet dans le temps, une phase de réalisation après l‟autre,
l‟aménagement concilie pérennité des principes structurants que l‟on appelle les constantes et
flexibilité des programmes. Etablies en 2000, les constantes sur lesquelles repose la stabilité du projet
sont des principes fondamentaux d‟aménagement global prévu pour le long terme:
- Extension du parc sur la totalité des berges de Saône ;
- Entrecroisement du parc, des espaces aquatiques et de l‟urbanisation ;
- Rétablissement des continuités urbaines après suppression de l‟échangeur de Perrache ;
- Aménagement des quais du Rhône, après déclassement de l‟autoroute, en mail planté doublé d‟un
quai bas ;
- Construction d‟un nouveau pont et de liaisons (métro) vers Gerland en rive gauche du Rhône ;
- Extension des modes lourds de transports en commun (tramway) sur le grand axe central nord-sud du
cours Charlemagne ;
- Mixité des fonctions, caractéristique des centres-villes, et renforcement du peuplement (3000
nouveaux habitants). La mixité sociale constitue un objectif fort du projet avec une proportion de
23% de logements sociaux.
L‟aménagement privilégie les espaces publics. Le développement du projet s‟articule autour de la
Place des Archives, près de la gare de Perrache, autour de la Place Nautique (4 hectares) qui fixe un
pôle d‟animation et de loisirs, autour de la promenade de la Saône, autour du musée des confluences
côté Rhône.
La prévention situationnelle : l‟aménagement des espaces, facteur de sécurité 219
Comment aménager l‟espace pour qu‟il déclenche chez ses usagers un comportement de
responsabilisation, pour que l‟entretien soit facile, pour que la police puisse y exercer sa mission de
surveillance ?
218 D‟après Christophe Dufossé, 2000 « Le projet Lyon – Confluence » mémoire de
maîtrise de géographie, Université Lyon 3.
219 Conclusions d‟un atelier dirigé par J. Bonnet, conduit en 2008 par des étudiants de l‟Université Lyon 3, en
master « aménagement et développement territorial », M. Couturier, C. de Crécy, R. Potiron, I. Arnou.
94

L‟urbanisme fonctionnel de la Part-Dieu n‟a pas répond à cette question. Celle-ci n‟a même pas été
posée par les concepteurs du centre directionnel. Mais celui-ci serait-il construit aujourd‟hui s‟il
n‟existait pas ? Et l‟urbanisme des années 1960-1970, se prête fort mal aux réadaptations nécessaires.
Ces formes urbaines totalement planifiées ne sont pas conçues pour évoluer aisément. En matière de
sécurité, dans ce type de construction, seules des caméras peuvent être ajoutées pour répondre aux
dysfonctionnements observés.
Le projet urbain de la Confluence a été pensé au contraire de façon globale, mais composite, pour
permettre toutes les évolutions possibles au cours d‟une réalisation lente, sur trente années au moins,
et peut-être jamais achevée. Ici la sûreté des lieux tient à leur complexité adaptable, au morcellement
des entreprises, des promoteurs, des paysages bâtis et des perspectives. Ici rien d‟autoritaire. Mais la
sûreté urbaine a été pensée dès la conception des opérations. C‟est à chaque responsable de projet de
construire les différents questionnements propres à son contexte : le projet facilite-t-il les missions de
surveillance et d‟intervention des acteurs chargés de l‟ordre public ? Par exemple, les espaces sont-ils
accessibles et visibles aux patrouilles ou la configuration du site se prête-t-elle à l‟îlotage ? Chaque
projet accompagne les actions de prévention, selon une grille commune d‟évaluation librement
imposée qui décline les thèmes suivants :
- La visibilité : L‟objectif à atteindre est de voir et d‟être vu grâce à des dégagements visuels qui
éliminent ainsi les endroits cachés et les « lieux pièges ».
- Le paysagement : L‟éclairage, le mobilier urbain, la végétation, la signalétique, l‟ambiance,
participent à la sécurisation de l‟espace public.
- La lisibilité des espaces : L‟affectation et la hiérarchisation des espaces semblent des conditions
déterminantes en termes de sécurité aux yeux des aménageurs, concepteurs et gestionnaires. Il s‟agit
d‟une cohérence entre le statut de l‟espace (public, privé), sa fonction (espace public, résidentiel), ses
usages et son mode de gestion. Le maillage des voiries compose l‟élément structurant la délimitation
entre les types d‟espace et leur hiérarchisation.
- La gestion des espaces : Les espaces peuvent être aménagés pour faciliter leur gestion. L‟objectif
sera de favoriser la présence humaine, la surveillance et l‟entretien. Ces actions améliorent le
fonctionnement des espaces et montrent qu‟ils sont pris en charge. Elles minimisent alors les risques
de développement de l‟insécurité, dissuadent en partie les délinquants et réduisent le sentiment
d‟insécurité des usagers.
- Les usages des espaces : Le contrôle social, forme d‟implication dans le « vivre ensemble »,
l‟animation et la fréquentation, la vie collective, participent à la sécurité en engageant un sentiment
d‟appartenance, une appropriation positive, une responsabilisation. La mixité des usagers contribue à
l‟animation urbaine et apparaît comme un facteur dissuasif et sécurisant.
En visant les modes de gestion et d‟intervention des acteurs responsables (dont ceux en charge de la
sécurité), les usages et les pratiques spatiales, une conception urbaine axée sur la lisibilité des espaces,
on entre dans une logique de production de qualité urbaine qui permet de relier des objectifs d‟urbanité
et de sécurité. L‟analyse de projets et d‟opérations urbaines montre ainsi qu‟une conception des
espaces dans lesquels l‟usager se sent bien, qui sont faciles à gérer, concourt à la sécurité.
En termes de processus, la prise en compte de la sécurité passe par l‟ensemble des phases du projet.
Elle gagne à être intégrée en amont, pour devenir une composante même du projet et non une
contrainte supplémentaire. Son pilotage et sa mise en place reviennent alors au maître d‟ouvrage.
95

Figure 1 : Localisation des grands ensembles sur les communes de Rillieux-La-Pape et de
Vénissieux – Source : CHIGNIER-RIBOULON F, COMMERCON N, TRIGUEIRO M, ZEPF M,
2003, “Large housing estates in France : overview of developments and problems in Lyon”,
Utrecht : Urban and Regional research centre Utrecht, Utrecht University, p. 35.
96

Christine CHEMIN, doctorante, Université de Lyon, UMR 5600 Environnement, Ville, Société
Les grands ensembles sont une composante majeure des villes héritées de la période moderne.
Comprendre leur genèse et la façon dont on les a gérés sur le plan de la sécurité des habitants est donc
une nécessité dans la ville d‟aujourd‟hui, alors même qu‟ils n‟avaient pas été pensé sous cet angle.
Pratiques sécuritaires et grand ensemble d‟habitat social :
un urbanisme à l‟épreuve des faits ?
L‟exemple de la Ville Nouvelle à Rillieux-La-Pape
Introduction
Le grand ensemble, tel qu‟il apparaît au travers des médias ou du discours commun, renvoie à un lieu
à part considérant des populations ou des espaces éloignés de la norme urbaine et sociale ; il est
également l‟objet de fortes représentations collectives. Cette distance à la norme est, elle-même,
difficile à traduire au regard des termes utilisés : ZUS 220 , quartiers prioritaires, banlieues à problèmes,
etc.. Pourtant le choix du terme est important au regard des acceptations différentes qu‟il revêt. Les
professionnels, notamment les collectivités territoriales, les EPCI, les services de l‟Etat, les agences
d‟urbanisme, les bureaux d‟études, les cabinets d‟architectes, parlent souvent du « quartier ». En effet,
un grand nombre de dispositifs administratifs font mention de cette notion pour nommer les ensembles
urbains. Mais cette référence est souvent associée à un adjectif qui le dévalorise : quartier défavorisé,
quartier difficile, quartier prioritaire, quartier sensible… Est mis en avant le caractère dangereux et
problématique pour les gestionnaires. De plus, le quartier suit une évolution historique : le quartier de
production industrielle (exemple du quartier de la Soie à La Croix-Rousse, à Lyon), le quartier
artisanal ; puis, avec la séparation du lieu de travail et du lieu d‟habitation, le quartier bourgeois et le
quartier populaire. On ne peut parler de quartier sans évoquer l‟espace vécu, sans faire référence aux
transformations urbaines. Le concept de quartier est donc différent selon les périodes considérées.
Pour Crossick, « le concept de quartier commence comme concept spatial ; il se termine comme
concept qui exige de l‟historien la reconstruction des liens de pouvoir, des rapports sociaux et
économiques » 221 . Ainsi, l‟utilisation du concept de quartier, trop marqué historiquement et n‟ayant
pas une définition unique, nous semble inappropriée.
L‟autre terme employé est celui de « banlieue ». Chronologiquement, la banlieue est née de la
nécessité d‟accueillir des populations nouvelles. La banlieue s‟est construite dans le temps et dans la
diversité. Sans reprendre l‟historique des constructions des banlieues françaises, on peut d‟abord citer
la banlieue résidentielle, maraîchère et pavillonnaire, ensuite la banlieue ouvrière hébergeant des
ateliers et de grandes manufactures. Après la Seconde Guerre mondiale, c‟est l‟histoire des grands
ensembles auxquels vont répondre les villes nouvelles et les nouveaux lotissements en périphérie plus
lointaine. Avec une diversité dans les paysages, les structures démographiques, les situations
économiques, la banlieue apparaît trop confuse dans le territoire géographique qu‟elle est censée
recouvrir. De plus, il peut naître une controverse si l‟on fait de la banlieue l‟habitat alternatif des
riches. En effet, on parle aussi de banlieues pour évoquer les extensions de la ville réservées aux
familles aisées. Là encore, l‟évolution historique et l‟absence de définition unique ne nous permettent
pas d‟utiliser le concept de banlieue.
Enfin, ces deux termes, sur-utilisés par les médias, ne semblent qu‟être synonymes des erreurs de
l‟urbanisme.
A l‟inverse, « le grand ensemble » ne prête pas au doute. Il obéit à des caractères physiques précis : le
béton, l‟envergure. Il est repérable à ses formes, ses matériaux, ses habitants et ses habitudes. Il
correspond à une réalité sociale aux traits communs : la pauvreté et le métissage. Les grands
ensembles sont dispersés sur l‟ensemble du territoire français avec quelques concentrations plus
220 ZUS : Zones Urbaines Sensibles.
221 CROSSICK, G., 1993, Le quartier : caractéristiques économiques et sociales. In: Mélanges de l'Ecole Française de Rome.
Italie et Méditerranée T. 105, N°2. pp. 405-412.
97

denses sur les communes de première voire de deuxième couronne des grandes agglomérations.
Pourtant, s‟il n‟y a pas d‟équivoque possible sur le sujet, le grand ensemble n‟a pas de définition
juridique. Il ne désigne même pas un mode d‟édification, mais plutôt un paysage caractérisé par un
regroupement de barres et de tours sur un espace limité. Il n‟est pas marqué historiquement, compte
tenu de son inexistence, si ce n‟est à partir de sa construction dans les années 1950. Ce terme n‟est pas
connoté et nous apparaît plus neutre pour une analyse territoriale. Débarrassé de l‟ensemble des
préjugés, nous le voyons, en premier lieu, comme une forme d‟habitat social dans laquelle évolue une
population aux caractéristiques précises (statut socioprofessionnel, ethnie, etc.). Le grand ensemble ne
renvoie pas une notion de zonage, contrairement aux supports utilisés tels que la ZUP 222 ou la ZAC 223 .
Mais il permet toutefois une délimitation physique urbaine bien définie sur laquelle se greffe une
identité sociale des habitants. Ce concept de grand ensemble nous semble donc être plus adapté, c‟est
pourquoi nous l‟utiliserons tout au long de notre propos.
Les travaux de recherche relient la question des grands ensembles à la question urbaine. Très tôt, des
interrogations ont été émises sur les conséquences des structures architecturales et urbaines du grand
ensemble, sur les comportements des habitants et sur la vie sociale qui s‟y déroule. La forme urbaine
provoque des troubles ou des déséquilibres mentaux (George, 1963 224 ). Aujourd‟hui, on n‟attribue plus
à l‟architecture et au gigantisme les névroses et les suicides mais les tensions urbaines et la
délinquance. Roncayolo 225 établit un lien direct entre forme matérielle et lien social. Giddens 226 montre
que le logement, tel qu‟il est réalisé, implique une certaine utilisation. Cette organisation spatiale n‟est
pas neutre en matière de comportements, de pratiques et d‟opinions.
D‟autres recherches affirment, au contraire, que l‟urbanisation, même la plus austère, ne détermine
pas, à elle seule, un mode de vie, et encore moins une organisation sociale unique. Pour Rey 227 , les
problèmes que connaissent les grands ensembles ne proviennent pas de leur construction mais de la
conjonction de trois processus : la crise du logement social, le chômage d‟exclusion et l‟intégration
des populations d‟origine étrangère. Cette thèse se vérifie par le développement historique des grands
ensembles. En effet, en période de crise économique, c‟est la population des grands ensembles qui est
touchée majoritairement car elle comporte une proportion plus élevée, que la moyenne nationale, de
ménages dont la personne de référence est ouvrier ou employé, et de personnes faiblement qualifiées.
Et, pour être entièrement posée, la question sociale doit aborder les processus identitaires. Les
premiers grands ensembles ont été bâtis pour abriter les plus pauvres dans l‟urgence. Pauvres et moins
pauvres se côtoient ainsi que les travailleurs industriels venus massivement en France. Un fort flux
migratoire inonde et remplit les grands ensembles : Algériens, Marocains, Portugais, Maliens,
Sénégalais, Camerounais, Turcs (notamment Kurdes) et Polonais… On constate donc une diversité
culturelle et des croyances qui s‟accompagnent souvent de situations de précarité et de trajectoires
d‟échec. Ainsi, le grand ensemble se distingue des quartiers populaires traditionnels des années 1950-
1960, régis par les modes de vie et les valeurs du monde ouvrier. Mais il se distingue tout autant des
ghettos qui, au sens de l‟Ecole de Chicago, se caractérisent à la fois par l‟unité de l‟origine ethnique et
par la diversité des métiers et des statuts sociaux. Cette définition, communément admise du
« ghetto », ne semble donc pas adaptée à notre propos. Ainsi, la question sociale privilégie l‟étude des
grands ensembles par l‟entrée des habitants et le contexte économique, et non pas par celle du bâti.
C‟est par ces approches urbaine et sociale qu‟on peut analyser la problématique de la sécurité dans le
grand ensemble. Nous verrons, dans notre développement, une évolution et une différenciation dans
l‟emploi des termes pour qualifier les préoccupations sécuritaires : sécurité, sentiment d‟insécurité,
émeutes, violences urbaines. Et, face à ces comportements insécuritaires, nous constatons que
différentes pratiques vont se mettre en place. Nous qualifierons donc de pratiques sécuritaires,
l‟ensemble des stratégies menées par les acteurs politiques (élus), sociaux (associations, groupes
222
ZUP : Zone à Urbaniser par Priorité.
223
ZAC : Zone d‟Aménagement Concerté.
224
GEORGE, P., 1963, Présent et avenir des grands ensembles, Cahiers internationaux de sociologie, XXXV, p.25-42.
225
RONCAYOLO, M., 2001, La dimension historique, Mixité sociale et ségrégation : les réalités d‟hier et d‟aujourd‟hui et
les actions publiques, Habitat, N°29, p. 3-6.
226
GIDDENS, A., 1987, La constitution de la société, Paris, Presses Universitaires de France.
227
REY, H., 1996, La peur des banlieues, Presses de sciences Po.
98

sociaux plus ou moins formels) et économiques (entreprises) : ces acteurs de la Ville, par la qualité et
la complémentarité de leurs liens, rendent le territoire sûr ou non.
Volontairement, nous n‟analysons pas le phénomène, en lui-même, des émeutes En effet, les sciences
sociales envisagent mal cet événement, limité dans le temps et dans l‟espace, et le perçoivent comme
un accident ou un simple symptôme. Nous nous rapprochons de la définition de Roché 228 qui considère
que l‟émeute est le rassemblement d‟actions de violences urbaines à un même moment. L‟émeute
répond à une gestion à part, qui mériterait d‟ailleurs d‟être revue : la mise en place de prévention
situationnelle. Cependant, ne négligeons pas les conséquences en matière de pratiques sécuritaires,
notamment celles de la police.
Notre étude de cas s‟inscrira sur le territoire lyonnais de la Ville Nouvelle de Rillieux-La-Pape. Le
choix de ce grand ensemble s‟est fait selon quatre critères qui le distinguent des autres grands
ensembles de l‟agglomération lyonnaise.
Le premier critère est géographique : il s‟agit d‟un ensemble urbain édifié sur un territoire
communal vaste de 1 448 ha sur les hauteurs dominant l‟est de la ville de Lyon (altitude
maximale de 329 mètres) avec, en fond de panorama, la chaîne des Alpes. La commune de
Rillieux-la-Pape se trouve à une distance de 7 km du centre de la ville de Lyon, à 50 minutes
en bus de la Place Bellecour. L‟accessibilité en transports en commun (bus ou train) est donc
restreinte, avec des temps de transports très longs.
Le deuxième critère est démographique et sociologique. En effet, le grand ensemble de La
Ville Nouvelle représente une population de 17 650 habitants 229 , soit le troisième plus grand
ensemble de l‟agglomération lyonnaise 230 . Il s‟agit d‟un grand ensemble où plusieurs
indicateurs clés sont plus faibles que ceux des grands ensembles de Vénissieux ou de Vaulxen-Velin
: c‟est le cas de la part des ménages de 6 personnes et plus 231 , de la part des
demandeurs d‟emplois de 25-64 ans 232 , de la part des bénéficiaires de la CMUC 233 .
Le troisième critère est factuel. En effet, l‟une des spécificités remarquables du grand
ensemble de La Ville Nouvelle est l‟absence de violences urbaines importantes depuis sa mise
en place. En effet, lors des événements de 1981 à Vénissieux, ceux de 1990 à Vaulx-en-Velin,
où ceux de 2005 dans bon nombre de grands ensembles en France, le grand ensemble de La
Ville Nouvelle n‟a pas été touché.
Enfin, le quatrième critère, corollaire du précédent, est médiatique. Effectivement, le grand ensemble
de La Ville Nouvelle de Rillieux-La-Pape est un territoire qui, au contraire des grands ensembles des
communes comme Vaulx-en-Velin ou Vénissieux, n‟a pas fait la une des quotidiens 234 – et des médias
en général – et reste finalement peu connu du grand public.
C‟est au travers de l‟approche sociale et de l‟approche urbaine qu‟est proposé ici de s‟interroger sur
l‟évolution des pratiques sécuritaires au sein du grand ensemble en prenant l‟exemple de La Ville
Nouvelle à Rillieux-La-Pape et suivant deux grandes questions. Comment se font les justifications de
la sécurité dans l‟édification et la gestion du grand ensemble de La Ville Nouvelle ? Quelles
indications ces justifications éventuelles donnent-elles de la vision du grand ensemble et de sa
normalisation souhaitée ? C‟est au travers d‟une approche temporelle, rythmée par trois grandes
périodes, que nous articulerons notre démonstration : l‟ignorance des préoccupations sécuritaires des
décennies 1960 et 1970, la prise en compte du sentiment d‟insécurité des décennies 1980 et 1990, le
« tout sécuritaire » caractérisant la décennie 2000.
228
ROCHE, S., 2005, Le frisson de l’émeute, violences urbaines et banlieues, Paris, Editions du Seuil
229
INSEE, recensement 01/01/2006
230
Le grand ensemble composé de la Cité Tase, de La Balme, de La Grappinière et du Petit Pont regroupe 26 503 habitants
sur la commune de Vaulx-en-Velin ; le grand ensemble constitué des Minguettes et de Max Barrel regroupe 22 349 habitants
sur la commune de Vénissieux.
231
5.7% pour La Ville Nouvelle, 11.2% pour Les Minguettes, 9.6% pour La Grappinière, Petit Pont et 9.1% pour Cité Tase,
La Balme, INSEE, recensement 01/01/2006
232
13.5% pour La Ville Nouvelle, 20.5% pour Les Minguettes, 22.1% pour La Grappinière, Petit Pont et 16.6% pour Cité
Tase, La Balme, INSEE, recensement 01/01/2006
233
16.9% pour La Ville Nouvelle, 30.2% pour Les Minguettes, 26.8% pour La Grappinière, Petit Pont et 20.3% pour Cité
Tase, La Balme, INSEE, recensement 01/01/2006
234
Eté chaud des Minguettes en 1981, émeutes à Vaulx-en-Velin en 1990
99

L‟ignorance des préoccupations sécuritaires (1959-1977)
Notre terrain d‟étude est constitué par le grand ensemble de La Ville Nouvelle à Rillieux-La-Pape
(figure 1), ville du nord-est de l‟agglomération lyonnaise, à l‟extrémité sud du plateau de la Dombes.
Rillieux et Crépieux-La-Pape (regroupement des hameaux de La Pape et de Crépieux, érigés en une
commune indépendante le 12 avril 1927) étaient situées dans le département de l‟Ain. Les deux
communes en seront détachées le 1 er janvier 1968 pour être intégrées au département du Rhône pour la
constitution de la Communauté Urbaine de Lyon. Elles fusionneront le 15 décembre 1972 sous le nom
actuel de Rillieux-La-Pape. C‟est dans ce contexte qu‟est créée, à l‟initiative du Conseil Général de
l‟Ain, par arrêté du Ministre de la Construction (29 octobre 1959), la ZUP de Rillieux-Crépieux. La
création de la ZUP résulte d‟un choix politique, technique et urbanistique.
En effet, le contexte administratif est particulier compte tenu, premièrement, du rattachement des deux
communes au département du Rhône en 1968, alors que l‟opération de construction de la ZUP a été
confiée, en 1961, par le Département de l‟Ain, à la SEDA 235 (dispositions du Plan d‟Urbanisme de la
région lyonnaise – 29 octobre 1961). Un transfert de compétences entre les deux Départements a dû
être réalisé. Ce qui a engendré quelques difficultés de collaboration, notamment lors de l‟extension de
la ZUP qui n‟était possible que sur des terrains appartenant au Département de l‟Ain. Or, ce dernier
observait une attitude plus que réservée sur le rôle à jouer pour faciliter cette réalisation : « Aux gens
du Rhône qui ont voulu intégrer Rillieux et Crépieux-La-Pape d‟en assumer les conséquences » 236 .
Deuxièmement, nous l‟avons vu, la fusion de deux communes aux caractéristiques différentes
n‟intervient pas avant 1972. Rillieux constituait une commune essentiellement rurale (terres agricoles
du plateau des Dombes) et Crépieux-La-Pape une commune essentiellement résidentielle le long de
l‟axe Lyon-Genève. La conséquence en est une ville qui est, par nature, éclatée en trois pôles : le
village de l‟ancien Rillieux, celui de l‟ancien Crépieux-La-Pape et, au milieu, la ZUP. D‟où la
difficulté de créer une entité communale et sociale unique. Troisièmement, aux différents partenaires
administratifs déjà mentionnés, il convient d‟ajouter la Communauté Urbaine de Lyon dont Rillieux-
La-Pape fait partie. En effet, cette appartenance crée une dépendance supplémentaire et se traduit,
jusque dans les années 1980, par une absence de maîtrise d‟un grand nombre de nuisances : entretien
partagé des voiries, entretien des abords d‟immeubles, difficile communication avec les décideurs des
projets TGV et des voies rapides, difficulté à mettre en place une politique de transports, tant à
l‟intérieur de Rillieux-La-Pape qu‟au niveau des liaisons avec le reste de l‟agglomération, etc..
Concernant l‟aspect physique, les reliefs gênent l‟extension de la ville de Lyon au Nord, et
l‟implantation industrielle freine le développement de la ville vers le Sud et l‟Est. En 1958, dans le
plan d‟urbanisme du Groupement Urbain de Lyon, les Services Départementaux de la Construction du
Rhône notaient que les deux communes de Rillieux et de Crépieux-La-Pape, avaient une vocation
résidentielle certaine et possédaient des terrains de médiocre valeur agricole pouvant être acquis dans
d‟excellentes conditions. Il a semblé que, selon la Direction Départementale de la Construction de
l‟Ain, l‟extension continue de l‟agglomération lyonnaise était un fait irréversible ne pouvant que
s‟accentuer. De ce fait, elle propose une opération d‟urbanisme groupée qui lui paraît plus avantageuse
qu‟une prolifération désordonnée de la construction, notamment le long des axes routiers.
Enfin, les caractéristiques urbanistiques de la ZUP de Rillieux-La-Pape sont issues de sa réalisation
par quatre promoteurs différents : l‟Office Départemental des HLM de l‟Ain, la Société d‟Economie
Mixte de Construction de l‟Ain, la Société Civile Immobilière de Construction (SCIC, filiale de la
Caisse des Dépôts et Consignations) et la Société Coopérative Rhône-Logis. Cette conception a donné
un ensemble urbain pas toujours homogène, par suite de réalisation espacées dans le temps selon les
promoteurs, de différences de standing et de statut des appartements ; donc, souvent, des îlots
intrinsèquement homogènes, plaqués les uns à côté des autres d‟où, parfois, la constitution non prévue
de labyrinthes de rues et de parkings rendant toute orientation problématique. De plus, les dates
235 SEDA : Société d‟Equipement du Département de l‟Ain.
236 « Vers une amélioration de la qualité de la vie des habitants de Rillieux-La-Pape », Programme d‟actions proposées par la
municipalité, Délégation à la qualité de la vie – Ministère de l‟Environnement et du Cadre de Vie, mars 1980, 41p.
100

différentes de construction n‟ont pas permis de prendre en compte l‟ensemble des réglementations
s‟imposant aux réalisations d‟opérations de logements (accès des immeubles aux handicapés, isolation
phonique).
Il est intéressant de s‟interroger sur les critères de construction pris en compte par les concepteurs du
grand ensemble de Rillieux-La-Pape : quels étaient les éléments incontournables des constructions ?
Au regard du dépouillement de nombreux documents d‟époque 237 , il s‟avère que des logiques
industrielles, financières et économiques ont primé sur des logiques conceptuelles. De plus, l‟absence
d‟évolution des instruments et des méthodes de travail urbanistiques, depuis les années 1950, révèle
l‟insuffisance des moyens d‟étude et de présentation des ZUP.
Premièrement, les plus grands programmes de construction passent, entre les années 1950 et
1965, de cents logements à vingt cinq mille. Les ZUP de dix mille logements sont devenues banales à
partir de 1964. Or, les outils urbanistiques restent sensiblement les mêmes malgré ce changement
d‟échelle. Au début des grands programmes de construction et de reconstruction, les architectes sont
invités à composer des « plans de masses ». Ceux-ci, étudiés aux échelles du 1/2 000 e et du 1/1 000 e ,
préfigurent l‟ordre architectural d‟une opération. Ils indiquent l‟importance et la situation respective
des bâtiments, le tracé des voiries de desserte et l‟organisation des espaces libres. Dans ce contexte
limité, l‟étude d‟un plan de masses correspond à la première phase de l‟acte de construire. Mais, à
mesure que croît l‟importance des programmes, les plans de masses se révèlent insuffisants, tant au
niveau de l‟étude du programme que de sa présentation. C‟est entre deux mille et trois mille logements
qu‟apparaît, généralement, dans la composition, un élément de monotonie. Au-delà de cinq mille
logements, on s‟aperçoit presque toujours que ne sont pas assez étudiées les déterminations
fondamentales et que certains points font défaut comme l‟intégration à l‟urbanisme environnant, le
fonctionnement interne ou bien la détermination des équipements publics (nature, importance,
localisation optimale). Tout cela se traduisant par des pertes d‟argent et des malaises sociaux.
Finalement, dès les années 1965, on prend conscience que l‟objet de l‟étude, et son intérêt, ne cessent
de se déplacer 238 . En effet, de la composition de groupes d‟habitation, on s‟intéresse au
fonctionnement et à l‟équipement d‟ensembles construits ; de l‟étude des masses, on passe à l‟étude
des structures. Par ailleurs, techniquement, il s‟agit de travailler sur des plans au 1/5 000 e et non plus
au 1/2 000 e . Or, avant 1965, l‟élaboration de plans de structures sérieux au 1/5 000 e dépasse les
moyens habituels des agences d‟architectes. Elle suppose l‟intervention d‟équipes intégrées
(sociologues, ingénieurs de trafic, architectes-urbanistes, ingénieurs VRD 239 ), ou bien la collaboration
des architectes avec des bureaux d‟études de sociologues et d‟ingénieurs. Or, le Ministre de la
Construction, par une circulaire en date du 27 août 1964, demande expressément que « chaque
groupement d‟opérations devra être conçu par une équipe unique d‟architectes et de techniciens.
L‟importance de cette équipe devra correspondre à celle du programme. Elle doit être réduite au strict
nécessaire. Par contre, rien ne s‟oppose à ce que la surveillance de chacun des chantiers groupés soit
confiée à des architectes différents » 240 . De plus, l‟architecte-urbaniste, chargé d‟élaborer la
proposition de synthèse, doit conserver les prérogatives correspondant à ce rôle. Il ne saurait être,
intellectuellement, subordonné. De plus, les moyens financiers alloués apparaissent insuffisants et
détachés de la collectivité ou de l‟aménageur. De ce fait, ces derniers négligent souvent ces études.
Une prise de conscience s‟effectue, dès 1965, sur la nécessité de ne pas laisser proliférer la
construction opération par opération, terrain par terrain, constructeur par constructeur, architecte par
237 Nous avons procédé au dépouillement de nombreux versements aux Archives Nationales (site de Fontainebleau), aux
archives départementales de l‟Ain et du Rhône, aux archives du Grand Lyon, aux archives municipales de Rillieux-La-Pape
ainsi qu‟aux archives de la Délégation Départementale du Rhône du Ministère de l‟Equipement. Notons, aux Archives
Nationales, l‟inaccessibilité de certains documents situés dans un local contenant de l‟amiante et, de ce fait, interdit au
personnel des archives (versement 19830376 du Conseil d‟Architecture et d‟Urbanisme : fichier des architectes de la ZUP ;
versement 19830575 de la réalisation des ZUP : pièces administratives, techniques et financières et versement 19830638 de
l‟urbanisme opérationnel : cartes et plans de situation de la ZUP).
238 Note d‟orientation sur la procédure d‟étude technique des ZUP, Ministère de la Construction,
29 mai 1964.
239 VRD : Voirie et Réseaux Divers.
240 Courrier du 27 août 1964 de Monsieur le Ministre de la Construction à l‟attention de Monsieur le Délégué Général au
District, Messieurs les Préfets, Messieurs les Préfets Régionaux, Messieurs les Inspecteurs Généraux Régionaux et Messieurs
les Directeurs Départementaux.
101

architecte, chacun de ces derniers ignorant les autres. Ne négligeons pas le fait que l‟apport particulier
peut être quelquefois valable, mais sans cohérence d‟ensemble. Cette action dispersée et désordonnée
engendre, un peu partout, des ensembles coûteux (par les économies privées et les gaspillages), dont
les voiries fonctionnent mal et dont les équipements font souvent défaut à la livraison des logements.
Jusqu‟au jour où ces derniers sont improvisés afin de compléter les programmes… Au lieu de clairs
quartiers qu‟une étude préalable peut inspirer, les grands ensembles apparaissent, dès 1964, comme
des « lieux d‟anarchie », urbanistiquement parlant.
L‟étude des grands ensembles, par plans de masses, met l‟accent sur les problèmes de formes au
détriment des problèmes de fonctionnement. A cette époque, les plans de masse et les maquettes, par
leur séduction, ont détourné l‟attention de ce qui fonde un grand ensemble : les structures, les
infrastructures et les équipements.
De plus, sous certaines conditions, lors de l‟élaboration des programmes, les constructeurs ne sont pas
tenus de déposer une demande de permis de construire. La loi 69-9 du 3 janvier 1969 et le décret 69-
451 du 19 mai 1969 dispensent de ce formalisme, mais leur imposent de déposer, auprès du Ministère
de l‟Equipement et du Logement, une déclaration préalable à l‟exécution des travaux, complétée d‟un
dossier de plans (plan de situation du terrain au 1/5 000 e ou au 1/10 000 e , plan de masse des
constructions au 1/100 e ou au 1/500 e , plan des façades à la même échelle que le plan de masse). Après
réalisation des travaux, l‟obtention du certificat de conformité (décret 70-447 du 28 mai 1970) est
subordonnée au récolement des travaux par la Direction Départementale de l‟Equipement et par
l‟Inspection Départementale des Services de Défense et de Secours contre l‟Incendie. Une attention
particulière est portée à la sécurité incendie, pouvant aller jusqu‟au refus de délivrance du certificat de
conformité.
Deuxièmement, la programmation de constructions HLM de 1965, incluses dans la
planification française (V ème Plan), applique, de façon concrète, les principes énoncés par le Ministère
de la Construction. En effet, ce dernier préconise, « d‟une part l‟élaboration de programmes
pluriannuels de construction intéressant différents maîtres d‟ouvrage et se traduisant par des marchés
pluriannuels avec des entreprises ; d‟autre part la mise en place de groupements d‟opérations afin de
limiter le nombre de projets étudiés et d‟assurer une continuité suffisante aux travaux des
entreprises » 241 . Le Ministre de la Construction, dans cette même circulaire, demande aux préfets le
groupement des opérations : « Les maîtres d‟ouvrages ayant été ainsi informés par vos soins des
crédits dont ils disposeront pour trois années au moins, vous les inviterez très instamment à ne pas
établir de projets différents pour toutes opérations prévues à leur programme mais à grouper celles-ci
de telle sorte qu‟ils puissent offrir aux entreprises, soit sur un même terrain, soit sur plusieurs terrains
dispersés dans une même région, des chantiers continus sur plusieurs années ». Par ces directives, la
construction d‟ensembles de grande envergure et monotone est encouragée. A cela vient s‟ajouter le
développement des techniques industrielles.
Troisièmement, le Ministère de la Construction impose, progressivement, à partir de 1964, la
maîtrise des coûts par des mesures visant la productivité (coordination modulaire permettant la
commande de séries, groupements d‟entreprises tous corps d‟état par le passage de marchés de longue
durée : programmes triennaux). M. Aubert, Directeur de la Construction en 1964, réalise une
cartographie des entreprises susceptibles d‟industrialisation, exprimée en logements par an, au regard
du nombre de logements ayant reçu l‟aide de l‟Etat en 1963. Un rapport de ces deux chiffres a été
réalisé afin de représenter le pourcentage d‟industrialisation possible (Rhône-Alpes : 36 %). Ainsi, la
localisation des programmes d‟habitation est en adéquation avec la localisation des entreprises. Le
Ministre de la Construction, par un courrier en date du 15 février 1964, à l‟attention de Messieurs les
Préfets, de Messieurs les Inspecteurs Généraux chargés de régions et de Messieurs les Directeurs
Départementaux, demande, instamment, l‟augmentation du rythme de la construction de logements.
Augmentation qui passera par l‟utilisation de procédés de construction très industrialisés et,
241 Courrier du 27 août 1964 de Monsieur le Ministre de la Construction à l‟attention de Monsieur le Délégué Général au
District, Messieurs les Préfets, Messieurs les Préfets Régionaux, Messieurs les Inspecteurs Généraux Régionaux et Messieurs
les Directeurs Départementaux.
102

notamment, qui impliquera « de respecter des normes dimensionnelles fixes permettant l‟utilisation
d‟éléments de construction fabriqués en série et vendus sur catalogue » (figure 2).
Figure 2 : La construction d'un grand ensemble à La Ville
Nouvelle - Source : Ministère de
l'Equipement/DGUHC/Bibliothèque du CDU
Ainsi, lors de l‟édification des grands ensembles d‟habitat social, et plus particulièrement ceux de La
Ville Nouvelle à Rillieux-La-Pape, seuls des critères de construction, d‟urbanisme et d‟économie sont
pris en compte. La réalisation de ces grands ensembles répond à un processus d‟industrialisation
massive du logement. A aucun moment la question du « vivre ensemble » des populations n‟est
abordée, ni même la question de la sécurité à l‟extérieur des bâtiments. Le cahier des charges, élaboré
par les promoteurs et soumis aux entreprises, impose des normes techniques (isolation, épaisseur des
cloisons, ventilation…) ; il ne fait nullement mention d‟éléments de sécurité des personnes lors des
regroupements ou des déplacements de ces dernières sur le grand ensemble. Les critiques
éventuellement émises portent sur le bâti lui-même, mais rarement par rapport aux populations vivant
dans les grands ensembles : « Il serait désolant que, pour de tardives raisons d‟urgence, une nouvelle
vague de constructions vienne ajouter au mal ; car, par leur essence même et leur rigidité, celles-ci
s‟adapteraient mal au terrain, ankyloseraient la composition par leur manque de souplesse, risqueraient
d‟offenser le site et marqueraient d‟une grande monotonie les réalisations de l‟époque présente » 242 .
Seule une instruction technique du 2 janvier 1964, émanant du Ministre de la Construction à l‟encontre
de Messieurs les Préfets, évoque brièvement les populations. Une première allusion est faite à propos
du rôle du maître d‟ouvrage : « Le maître d‟ouvrage, qui loue ou vend les logements aux familles, doit
obtenir la satisfaction des exigences de celles-ci. […] C‟est dire qu‟il ne saurait trop s‟entourer des
conseils d‟économistes, de sociologues ou de techniciens ». Une seconde allusion est faite à propos du
rôle de l‟architecte : « Les investissements immobiliers se distinguent des autres productions parce
qu‟ils ne sont pas des outils ou des biens d‟usage ou de consommation éphémère mais qu‟ils
constituent des locaux d‟habitation, d‟étude, de travail ou de loisir où l‟homme et sa famille doivent
s‟épanouir ». Cependant, quelques sociologues et quelques urbanistes commencent à émettre, à partir
de 1963, des réserves sur ces constructions gigantesques, notamment par leur caractère pathogène 243 ;
mais le Ministère de la Construction ne semble pas les entendre. Ainsi, la construction des grands
ensembles est la résultante de ce contexte économique, des intérêts financiers, de l'ambition agressive
des entreprises, d'une administration parfois démunie... ou consentante, conjugués avec un besoin
social immense. L'échelle de ces besoins donne priorité à la quantité sur la recherche de la qualité,
qualité de l'architecture, qualité des espaces urbains. Toutes les professions sont entraînées dans un
flux dont même les participants les plus conscients n'apprécient pas suffisamment les aspects
négatifs... ou acceptent de les ignorer. L'argument social, l'ampleur des besoins, justifient tout, y
compris auprès de ceux qui auraient pu être les plus vigilants.
242
Message du Conseil Supérieur aux Architectes à propos d‟une initiative du Ministère de l‟Education Nationale, Ordre des
Architectes-Conseil Supérieur, 24 mars 1964.
243
KAËS, R., 1963, Vivre dans les grands ensembles, Paris, Editions ouvrières.
103

Dans les années qui suivent, plus particulièrement à partir des années 1970, la réflexion sur l'habitat,
sur la vie des quartiers et sur la ville, prend une dimension nouvelle. Sans doute la crise économique et
sociale, qui commence à se manifester, n'est-elle pas étrangère à ce sursaut. Les circulaires Guichard
de 1971 244 et de 1973 245 prônent, aux plans politique et administratif, cette orientation nouvelle d'une
urbanisation plus sensible. De plus, le rapport Peyrefitte sur la violence, publié en 1977, va aider les
pouvoirs publics à prendre conscience des difficultés des grands ensembles. En effet, c‟est une des
premières fois que vont être abordés les comportements à risques des individus regroupés sous
l‟expression « sentiment d‟insécurité » : « Pour suivre les tours et détours de la violence, nous avions
besoin d‟un fil conducteur. Nous l‟avons trouvé dans le sentiment d‟insécurité qui s‟est réveillé en
France dans les dernières années. Le Comité d‟Etudes a estimé de sa mission de chercher à apporter
des réponses à cette insécurité, au même titre qu‟à la violence, à la criminalité et à la délinquance. Il
l‟a considérée comme un objet distinct d‟investigation » 246 . Le rapport Peyrefitte dénonce, clairement,
l‟augmentation de la violence en ville du fait, notamment, de son urbanisation et d‟une population
« entassée, ségrégée et anonyme ». Il énonce des corrélations significatives entre violence et type
d‟habitat : « Au-delà de six étages, le taux de criminalité enregistre une nette progression. Une étude
lancée par le Comité 247 portant sur onze villes ou secteurs urbains français, montre qu‟il existe une
étroite liaison entre certaines formes d‟habitat ou d‟urbanisation (grands ensembles, tours) et la
présence d‟actes de violence contre les personnes. L‟entassement multiplie le sentiment d‟insécurité
des individus ou des familles. Une population inquiète connaît toutes les irritations de la vie
quotidienne. L‟agressivité est accrue par divers facteurs : exiguïté des logements, absence de territoire
propre, jardin, champ ou seuil où exercer la liberté individuelle, impression que l‟autre est nuisance.
Rapidement, la ville prend peur » 248 . Au même moment va suivre le Rapport Barre. En effet, sous la
présidence de V. Giscard d‟Estaing, la mise en œuvre d‟une politique plus libérale, économiquement
et socialement, permet de nouvelles réflexions. Soucieux de se démarquer de la planification
antérieure en matière d‟urbanisme et de logement, le Président de la République commandite, en 1975,
une réforme de la politique du logement. En 1976, R. Barre, président de la commission d‟étude d‟une
réforme du financement du logement, remet un rapport sur le financement du logement, dans lequel les
principaux éléments de la loi du 3 janvier 1977 sont inscrits.
La prise en compte du sentiment d‟insécurité (1977-1999)
À l‟occasion de la préparation du VII ème Plan (1976-1980), un changement s‟opère dans les
préoccupations habituelles des pouvoirs politiques. En effet, simultanément aux premiers indices
sensibles de baisse de la demande de logements sociaux, les rapporteurs s‟intéressent différemment au
parc social, mettant en évidence le processus de dégradation physique des immeubles (cages
d‟escalier, cours, caves, espaces communs, isolation, etc.) et le risque de marginalisation sociale. La
concentration de catégories jugées très particulières comme les familles immigrées, les ménages à
faibles ressources, les femmes seules élevant leurs enfants, inquiètent les rapporteurs sur la
constitution de « quartiers-ghettos ». La nécessité d‟enrayer ce « processus de dégradation physique et
de détérioration de la vie sociale » permet de travailler sur des opérations d‟ensemble portant sur les
logements, les espaces publics, les équipements, les services publics, les dessertes, etc..
244 Circulaire du 30 novembre 1971 relative aux formes d'urbanisation adaptées aux villes moyennes. Parue au Journal
Officiel, le 15 décembre 1971. Les constructions d'immeubles « barres » ne doivent plus comprendre plus de trois cages
d'escaliers, et les agglomérations de moins de 20 000 et de moins de 50 000 habitants ont pour obligation de maintenir
respectivement à 50 % et 30 % la part des maisons individuelles dans leur parc immobilier.
245 Circulaire du 21 mars 1973 relative aux formes d'urbanisation dites « grands ensembles » et à la lutte contre la ségrégation
sociale par l'habitat. Parue au Journal Officiel, le 5 avril 1976. Le nombre d'appartements dans les immeubles collectifs
sociaux ne doit plus dépasser 2 000 et la directive interdit également de réaliser 500 logements d'un seul tenant. Concernant
les ZAC, les logements sont limités à 1 000 ou 2 000, selon l'importance de la population de l'espace ; les agglomérations de
moins de 50 000 habitants ne doivent pas compter plus d'un millier d'habitations. Enfin, pour les ZUP déjà existantes, les
ensembles HLM ne doivent plus excéder les 4 000 appartements.
246 PEYREFITTE, A., 1977, Réponses à la violence : rapport à Monsieur le Président de la République, Comité d'études sur
la violence, la criminalité et la délinquance, Paris, 193 p, p.23.
247 Urbanisme, habitat, violence et insécurité, Institut de criminologie de Paris, juin 1977.
248 PEYREFITTE, A., 1977, Réponses à la violence : rapport à Monsieur le Président de la République, Comité d'études sur
la violence, la criminalité et la délinquance, Paris, pp.118-119.
104

La loi du 3 janvier 1977 tend à répondre aux inquiétudes des rapporteurs du VII ème Plan qui laissent
percevoir un risque de crise urbaine d‟ordre qualitatif mais non quantitatif. Ce projet de loi entend
répondre à quatre objectifs principaux : favoriser la satisfaction des besoins (et, en particulier, de
faciliter l‟accession à la propriété), promouvoir la qualité de l‟habitat, améliorer l‟habitat existant et
adapter les dépenses de logement à la situation de famille et aux ressources des occupants tout en
laissant subsister un effort de leur part. Dans ce dessein, les moyens mis en œuvre furent, par exemple,
l‟instauration de la nouvelle aide à la personne : l‟APL. Ainsi, on passe de « l‟aide à la pierre » à
« l‟aide à la personne ».
A la suite de la promulgation de la loi du 3 janvier 1977, la procédure Habitat et Vie Sociale (HVS) est
instaurée. En effet, dans le cadre du VII ème Plan, la circulaire du 4 mars 1977 prévoit la création d‟un
groupe interministériel en vue de conduire la « réhabilitation des grands ensembles urbains et
périphériques particulièrement dégradés ainsi que les zones d‟habitation des années 1960 », c‟est-àdire
les grands ensembles. En donnant un sens juridique aux opérations de « réhabilitation urbaine »
de certains grands ensembles, en leur fixant des objectifs, des modalités d‟applications et des modes
de financements, la loi institutionnalise les démarches précédentes. Ainsi, le groupe Habitat et Vie
Sociale est chargé de coordonner, d‟une part les actions et les financements des ministères concernés
et, d‟autre part, la conduite, sur le terrain, des opérations menées par les organismes HLM et les
représentants locaux de l‟Etat. La responsabilité de ces opérations appartient aux collectivités locales
dont le partenaire administratif est le Groupe Administratif Départemental et son coordinateur
administratif. Progressivement, la procédure HVS s‟apparente à un financement public, destiné à
réhabiliter des grands ensembles périphériques et récents, tout en répondant à deux objectifs. Il s‟agit,
d‟abord, de faire des économies d‟énergie en remettant aux normes l‟isolation des immeubles. Cette
intervention s‟accompagne, parfois, de quelques réaménagements des espaces extérieurs et des parties
communes. Ensuite, il faut apporter une réponse au double malaise des habitants des quartiers
concernés en dotant le site d‟équipements publics et en promouvant l‟APL pour aider les ménages
défavorisés.
Dans les faits, la pratique de la réhabilitation, qu‟elle fut labellisée HVS ou PALULOS 249 , a
principalement porté sur les logements, mais peu sur l‟habitat, et encore moins sur le tissu urbain. Ces
programmes n‟ont guère utilisé les acquis méthodologiques connus dans la rénovation du parc ancien,
comme les diagnostics préalables aux OPAH (Opérations Programmées d‟Amélioration de l‟Habitat),
les analyses sur la morphologie urbaine et, enfin, les typologies des bâtiments et de leurs usages
sociaux.
Cependant, ces lois et procédures ont, pour conséquence, une prise de conscience de la situation par
les décideurs locaux et nationaux. Les premiers rapports sur la vie des habitants dans les quartiers
apparaissent. Concernant La Ville Nouvelle de Rillieux-La-Pape, à partir de l‟année 1979, plusieurs
écrits intitulés rapports, notes, ou encore diagnostics, commandités par le Ministère de
l‟Environnement et du Cadre de Vie – Délégation à la qualité de la vie – vont être réalisés. L‟ensemble
de ces rapports portent sur la qualité de la vie dans le grand ensemble. C‟est donc à partir de ces
années que va réellement commencer la gestion du grand ensemble. D‟un modèle d‟édification et de
création, on passe à un modèle de gestion. Cette gestion va, au préalable, s‟orienter vers un diagnostic
du grand ensemble. De ce diagnostic, des questions urbaine et sociale vont émerger. On peut relier à la
question urbaine tous les problèmes liées à la conception du grand ensemble : « l‟envahissement des
rues par et pour les autos ; les logements conçus comme des lieux d‟isolement ; [la] demande de
repères d‟orientation de la part de la population, [la] demande d‟arrêter l‟évolution de cette ZUP en en
faisant enfin une vraie ville, nouvelle certes, [mais] nettement circonscrite ». La question sociale se
relie aux populations et à leurs possibilités de rencontres ou d‟évitement : « Il existe des cellules
humaines extrêmement vivantes, chaleureuses, accueillantes ; chez les adultes, on observe une crainte
quasi phobique des enfants et des adolescents un peu autonomes de leurs parents ; le marché du
mercredi, et surtout du dimanche, est le seul lieu de rencontre vraiment gratuit et accueillant ; une
demande très forte de sécurité physique et morale ; une demande de faire en sorte que les personnes se
249 Les interventions sur le bâti étaient réglementées par un dispositif financier instauré en 1977, la PALULOS (Prime à
l‟Amélioration des Logements à Usage Locatif et à Occupation Sociale), en complément de l‟ouverture de prêts de la Caisse
d‟Epargne pour les travaux d‟amélioration. La mise en place d‟un Fonds d‟Aménagement Urbain (FAU) devait permettre de
parachever le développement d‟une politique en direction de territoires dévalorisés.
105

parlent et soient aimables les unes avec les autres dans une sorte d‟idéologie « moralisatrice » et vécue
comme un besoin » 250 . L‟obsession d‟insécurité dans l‟espace public se confirme par la valorisation de
certaines catégories de personnes qui protègent des sous-ensembles de population – les gardiens
d‟immeubles, les agents de police et les responsables associatifs – et par la dévalorisation d‟autres –
les adolescents –. En effet, les études montrent un refus de l‟adolescent qui se traduit par l‟absence ou
l‟inadaptation de structures pour la tranche d‟âge des 13-14 ans à 18-20 ans. Souvent, les associations
constituées craignent les groupes et cherchent à les disloquer n‟acceptant, de fait, que l‟un ou l‟autre
des jeunes. Cette population est perçue comme un véritable danger latent pour les adultes qui font le
maximum pour les dissuader de se manifester à leurs manières. Par exemple, les salles de quartier
doivent être closes à 22 heures parce qu‟elles ne sont pas insonorisées ; peu de bars ou de brasseries
permettent aux jeunes de se rencontrer ; enfin, citons l‟exemple des terrains de sports accessibles à
ceux qui ont pris une adhésion individuelle à l‟association (prix trop élevé pour la majorité) et qui
respectent les horaires stricts.
Ainsi, dans ce paysage urbain (figure 3 et 4) et social, nous pouvons identifier différentes causes à
l‟origine de cette obsession d‟insécurité : les causes structurelles du site, le modèle cellulaire et
séparatiste imposé par l‟habitat et l‟organisation générale, l‟encombrement et les risques des voiries,
un aménagement peu probant de l‟espace public, les problèmes d‟accessibilité, de repérage et
d‟entretien. Des raisons fondamentales existent donc, même si elles n‟expliquent pas tout en fonction
des situations individuelles, sociales et familiales. De plus, ce sentiment d‟insécurité revêt des
caractéristiques différentes. Pour les années 1980, nous pouvons citer la peur du gigantisme ; la peur
des décisions à venir en matière d‟urbanisme et de réalisations ; la peur des autres, de leur
comportement, de leur contact et, enfin, la peur de soi-même, des insuffisances au niveau intellectuel
et au niveau de l‟éducation.
Figure 3 : Grand Ensemble de La Ville
Nouvelle - 19 mars 2003
Des pratiques sécuritaires vont donc progressivement se mettre en place. Pratiques intimement liées à
cet espace qui, rappelons-le, est un lieu qualifié de « cité dortoir » qui n‟est pas « une vraie ville ». La
Ville Nouvelle est donc une ville perçue comme un lieu pour dormir, ce qui accentue le phénomène de
retrait « chez soi ». Dans la majorité des cas, les lieux pour vivre sont ailleurs (activités
professionnelles en ville ou sur les zones industrielles, temps de transport habitat-travail, évasion vers
d‟autres centres d‟amitiés, familiaux, d‟activités culturelles et sportives, d‟approvisionnement pour les
gros achats, etc.). L‟espace public est, pour une partie de la population (population active), un lieu de
passage et, pour d‟autres (adolescents), un lieu investi. Les pratiques sécuritaires vont se tourner vers
ce public et s‟englober dans ce qu‟on appelle la « politique de la ville ». Précisons ici que nous
utilisons très peu cette expression, qui, à notre sens, est ambigüe. En effet, il apparaît difficile d‟en
donner une définition simple. Et, là encore, selon l‟époque considérée, cette expression revêt des
acceptions différentes. Cependant, les incidents survenus au cours de l‟été 1981, dans le quartier des
250 ALGOE, 1979, La qualité de la vie dans les banlieues – Note intermédiaire – 5 p. Etude réalisée pour le compte du
Ministère de l‟Environnement et du Cadre de Vie.
106
Figure 4 : Grand Ensemble de La Ville
Nouvelle - 19 mars 2003

Minguettes à Vénissieux, les différentes études 251 lancées par le Gouvernement, la circulaire de
l‟Education Nationale créant les ZEP 252 et, l‟inscription de cent quarante huit quartiers – dont La Ville
Nouvelle – dans les Contrats de Plan Etat-Régions, sont les éléments fondateurs de la politique de la
ville. A sa mise en place, la politique de la ville est assimilée à une politique de prévention de la
violence. La première contractualisation d'une politique publique, entre l'Etat et une collectivité
territoriale (la Région), est réalisée sur la durée du IX ème Plan (1984-1988). Cette politique va induire
des flux financiers importants associant Etat, régions, villes, bailleurs sociaux ; le cofinancement par
l'Etat jouant un rôle d'incitation. C'est une politique fondée sur l'interministérialité (onze ministères
concernés) et le partenariat public-privé : élus, fonctionnaires, associations, syndicats, organismes
HLM, chambres consulaires. A partir de 1981, et jusqu‟à aujourd‟hui, ne vont cesser de s‟enchaîner
politiques (de quartier, de ville, contractuelle (GPU 253 , PACT 254 ), de zonage (pacte de relance pour la
ville)), contrats (de plan, de ville, d‟agglomération, locaux de sécurité pour la police et la justice, etc.),
ministères (création du ministère en charge de la ville en 1990), sous-préfets (chargés de mission pour
la politique de la ville) et fonds (Fonds Interministériel pour la Ville). Sur le plan social, la politique de
la ville prend alors la forme et la consistance d'une politique de la jeunesse, dont elle renouvelle le
contenu en ce que, s'appuyant sur le milieu associatif, elle encastre le traitement des problèmes des
jeunes (l'échec scolaire, l'insertion professionnelle, etc.) et celui des problèmes posés par les jeunes
(les incivilités, les violences à l'école, etc.). D'un point de vue urbain, on parie sur la mise en œuvre de
projets lourds de restructuration urbaine pour raccrocher ces quartiers qui vont mal à des villes qui
vont plus ou moins bien (dans les milieux urbanistiques, on parle également « d‟agrafes urbaines »).
La politique de la ville devient alors une politique inscrite dans l'action publique locale, entre le
développement économique et l'action sociale avec, pour particularité essentielle, une approche ciblée
sur les grands ensembles Concernant Rillieux-La-Pape, les intervenants s‟attachent à créer de « la
communication sociale ». Cette dernière doit passer par « le système d‟information conçu comme un
outil essentiellement qualitatif, générant un process de développement et de reproduction du contact
des personnes et des groupes par l‟information » 255 . Dès l‟année 1982, l‟équipe municipale propose et
initialise le montage d‟une structure durable d‟animation et de concertation. Ce projet est réalisé en
partenariat avec les instances gestionnaires, l‟Agence d‟urbanisme pour le développement de
l‟agglomération lyonnaise, les animateurs en fonction sur le site et les organismes employeurs des
personnes en postes d‟animation socio-culturelle. Cette démarche démontre la nécessité d‟une prise en
charge des projets par l‟animation pour en permettre l‟insertion et l‟appropriation par les habitants, et
notamment par les jeunes. En effet, il est établi, en 1982, que ce sont les 11-14 ans qui posent le plus
de problèmes « en raison, probablement, d‟une réalité et d‟une vitalité exceptionnelle des jeunes qui,
par ses effets négatifs, est significative du refus d‟exclusion sociale qui s‟accentue dans tous les
domaines : échecs scolaires, sous-emploi, ségrégation au niveau de l‟habitat, etc. » 256 . Dans une vision
à plus long terme de restructuration des modes de vie et de prise en charge des problèmes de société
dans le site urbain, l‟angle d‟attaque des problèmes liés à la petite enfance est soulevé. En matière de
présence policière, on recense, sur Rillieux-La-Pape, en 1989, la brigade de gendarmerie nationale, la
police municipale et le Peloton de Surveillance et d‟Intervention de la Gendarmerie (PSIG). Ces
structures ont des missions de prévention et de sécurité. Mais « l‟action de ces équipes pourrait être
encore plus positive si une harmonisation s‟effectuait avec les différents intervenants et, surtout, si une
information plus claire circulait sur les enjeux des différents objectifs sur le quartier (prévention,
251
Trois études vont inciter à la mise en place de la politique de la ville :
- "Ensemble refaire la ville", rapport de la Commission Nationale pour le Développement Social des Quartiers (CNDSQ),
créée le 23 décembre 1981, placée directement auprès du Premier ministre et présidée par Hubert Dubedout ;
- la publication du rapport Schwartz sur l'insertion sociale et professionnelle des jeunes en juin 1981, suivie de la création des
premières missions locales ;
- "Face à la délinquance : prévention, répression, solidarité", rapport de la Commission des maires sur la sécurité, en mai
1982, présidée par Gilbert Bonnemaison.
252
ZEP : Zone d‟Education Prioritaire.
253
GPU : Grands Projets Urbains.
254
PACT : Programmes d'Aménagement Concerté du Territoire.
255
ALGOE, 1981, Mission d‟assistance technique pour le développement de la communication sociale à Rillieux-La-Pape –
Rapport d‟étude, 29 p. Etude réalisée pour le compte du Ministère de l‟Environnement et du Cadre de Vie.
256
ALGOE, 1982, Rillieux-La-Pape – Synthèse et méthode pour des actions novatrices d‟amélioration de la qualité de la vie,
49 p. Dossier réalisé pour le compte du Ministère de l‟Environnement et du Cadre de Vie.
107

insertion, animations, travail social, réseaux communautaires). Une concertation minimale entre tous
les acteurs permettrait d‟éviter des conflits mal contrôlés qui laissent des traces durables dans les
représentations et les attitudes de chacun. La mise en place d‟un conseil communal de prévention de la
délinquance serait souhaitable pour conforter un partenariat et mettre en place, avec les aides de l‟Etat,
les réponses adéquates » 257 .
De plus, les pratiques sécuritaires passent par la gestion physique et sociale du parc locatif. La gestion
sociale fine de ce dernier consiste en une mise en place d‟une concertation poussée entre la Ville et le
bailleur social en matière d‟attribution des logements. Cette attribution des logements est un élément
essentiel de la composition et de la densité des populations résidant sur le parc. La question de la
décohabitation et de la mobilité à l‟intérieur du parc devient prioritaire. La gestion physique du
patrimoine locatif, quant à elle, passe par une action d‟incitation auprès des constructeurs dans tous les
aspects dégradés et dégradants du cadre de vie, en concertation avec les locataires et leurs
représentants. Afin de parvenir à cette gestion sociale et physique du patrimoine locatif, les bailleurs
s‟engagent, d‟une part, à mieux connaître leur clientèle (locataires résidants sur le site et ceux faisant
une demande d‟installation) et, d‟autre part, à améliorer les modes d‟échanges entre l‟organisme et les
locataires concernant les préoccupations immédiates (entretien, dégradations, etc.). Pour ce faire, les
bailleurs, en lien avec la municipalité, vont recruter des animateurs et/ou des travailleurs sociaux
intervenant directement sur le site. Concernant le grand ensemble de La Ville Nouvelle, nous pouvons
citer le dispositif « Présence Tranquillité » 258 . Par rapport à cette présence des animateurs sociaux,
qu‟il s‟agisse d‟action ou d‟aide sociale, de prévention, de formation, de développement du monde
associatif ou de gestion des ensembles immobiliers, on assiste à un déploiement de ces moyens
humains dans différentes structures d‟intervention.
Jusqu‟au tout-sécuritaire (2000-2010)
Après la publication du rapport Sueur et la mise en place du XII ème Plan (2000-2006), le contrat de
ville constitue l'outil unique pour la politique de la ville par laquelle l'Etat, les collectivités locales et
leurs partenaires s'engagent à mettre en œuvre, de façon concertée, des politiques territorialisées de
développement solidaire et de renouvellement urbain. Quatre thèmes prioritaires sont avancés : l'accès
à l'emploi et le développement économique, l'éducation, la sécurité et la prévention, le renouvellement
urbain. Le programme gouvernemental de renouvellement urbain s'inscrit dans les cinquante Grands
257
Agence d‟urbanisme pour le développement de l‟agglomération lyonnaise, 1989, Le quartier des Allagniers – Diagnostic
démographique et social, propositions d‟actions.
258
« The main activity of this policy is based on a continued presence of the local staff in the thoroughfares of the buildings,
even at night. This staff is comprised of young people who live in the estate. The people that have ensured this work have a
specific objective : they must go over their functions of mediation and promote the social cohesion between the residents.
Their role can also be considered a sort of prolongation of the social landlords‟ services, because they also have to hear all the
complaints from the residents. Moreover, they may help the social landlords to integrate the new practices and new actions,
according to the local contract of safety. The Presence Tranquility Operation is a set of teams. Each team is composed,
approximately, of three young residents of the estate – one team-leader, and two team-members – who are coordinated by
two principal chiefs of operation, who are also connected to the commune. In Rillieux, for example, the Presence Tranquility
currently has 8 active members. Another important point that has to be underlined is that all the teams have to be connected
to the social organisations, in order to report on the problems and the dysfunctions, which have been detected. These
problems can be related to the loitering of young people in the common parts of the buildings and to the noise, which it can
produce; they can also be related to the troubles between neighbours; to the technical problems in the dwellings, etc.. After
the identification of the problem, the members of the Presence Tranquility have to react to it : by asking the young squatters
to leave the area ; by a personal intervention at the neighbours who are making trouble ; by following the interventions of the
technical services ; by asking for the municipal or the national forces of police, in the case of an important conflict ; etc..
Furthermore, a special structure of free calls has been conceded to the residents in order to make the dialogue easier between
them – the members of Presence Tranquility, as well as the local actors.», BELMESSOUS F, CHEMIN C, CHIGNIER-
RIBOULON F, COMMERCON N, TRIGUEIRO M, ZEPF M, “Large housing estates in France : policies and practices”,
Utrecht : Urban and Regional research centre Utrecht, Utrecht University, p.32-33.
108

Projets de Ville (GPV) et les trente Opérations de Renouvellement Urbain (ORU) intégrés aux contrats
de ville. Ainsi, si jusqu‟à la fin des années 1990, l‟Etat semblait freiner les envies de démolitions des
offices gestionnaires, la démolition a trouvé une autre manière légitime d‟exister depuis la mise en
place de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) (2000) : en effet, démolir devient alors un
des moyens de réintégrer le grand ensemble dans la ville. La loi SRU, loin de traiter la ville dans son
ensemble, distingue clairement les quartiers d‟habitat sociaux des autres quartiers (figure 5).
Figure 5 : Sites en renouvellement urbain et sites stratégiques dans
l’agglomération lyonnaise
A partir de 2007, ce sont les Contrats Urbains de Cohésion Sociale (CUCS) qui prennent le relais ; il
s‟agit « d‟une articulation effective entre le volet urbain de la politique de la ville appliquée aux
territoires prioritaires (dont son volet renouvellement urbain conventionné avec l‟ANRU 259 ) et
l‟accompagnement et le développement social des populations fragiles » 260 . Les pratiques sécuritaires,
à partir des années 2000, sont clairement affichées (cf. Chapitre 8 intitulé Prévention-Sécurité du
CUCS de l‟Agglomération lyonnaise).
De plus, l‟arsenal législatif confirme cette préoccupation sécuritaire avec, notamment, la Loi
d‟Orientation et de Programmation relative à la Sécurité (LOPS) du 21 janvier 1995, la Loi relative à
la Sécurité Quotidienne (LSQ) du
15 novembre 2001. A la suite de l‟élection présidentielle de 2002 et des émeutes de 2005, deux lois
sont promulguées : la Loi d‟Orientation et de Programmation pour la Sécurité Intérieure (LOPSI) du
259 ANRU : Agence Nationale pour le Renouvellement Urbain.
260 Contrat Urbain de Cohésion Sociale de l‟agglomération lyonnaise 2007-2009, p.8.
109

29 août 2002 et la Loi pour la Sécurité Intérieure (LSI) du 18 mars 2003. Toutes ces lois apportent des
mesures en matière de vidéosurveillance, d‟accès aux parties communes des immeubles d‟habitation,
de surveillance et de gardiennage des immeubles, de répression de l‟occupation des parties communes
par des groupes de jeunes, de renforcement des capacités d‟investigation des services de police. A cet
effet, et sous la pression de mise en cohérence de l'organisation en faveur de la police d'agglomération
par rapport au bassin de délinquance, la commune de Rillieux-La-Pape passe sous l‟autorité de la
police en lieu et place de la gendarmerie. La Police Nationale assure, à compter de 2010, la sécurité, la
prévention et la tranquillité. Enfin, on assiste à la mise en place d‟une nouvelle architecture
institutionnelle. A côté des instances étatiques de décision à l‟échelon national ou départemental, sont
instituées des instances locales de concertation associant des élus locaux (les CLS 261 , les CLSPD 262 et
les CDP 263 ). La délinquance est donc affiliée, à partir des années 2000, à la sphère sociale qu‟est le
grand ensemble et exige donc un traitement à l‟échelle la plus fine, celle du local. Et, de nouveau, les
actions sont liées au territoire. Le territoire est un élément fédérateur et le grand ensemble sert de
référence. Les jeunes forgent leur identité et se définissent par rapport au lieu où ils résident. Le grand
ensemble devient alors un bien à défendre et, si cet espace est « susceptible d‟incursions et d‟attaques
ennemies, de vols ou même de saccages, il devient un véritable territoire et doit être activement
défendu et protégé par les membres du groupes de pairs » 264 . Alors, le renouvellement urbain, relié à la
question urbaine, justifierait-il de la prévention situationnelle ? En ce sens que par le biais de mesures
architecturales, le délinquant est empêché de passer à l‟acte. La réhabilitation des grands ensembles
des Semailles, Velette et Verchères-Bottet de La Ville Nouvelle rentre-t-elle dans ce cadre ? En
France, les architectes et les urbanistes sont réticents à cette prise en compte de la sécurité dans la
conception. Pour ces derniers, l‟architecture doit répondre, par exemple, à une norme incendie plutôt
qu‟à une norme « prévention de la délinquance ». Cependant, comme le souligne Lefrançois, « si les
maires font l'objet d'une forte demande de sécurité, les bailleurs sociaux également, et, à leurs côtés,
leurs prestataires : les architectes, urbanistes, paysagistes sont amenés, quoique certains d'entre eux en
disent, à étoffer leurs plans d'annotations sécuritaires. Derrière leurs interventions, fruit obéissant d'une
commande, se dessinent quelques tendances que l'on pourrait, dès à présent, considérer comme des
normes : les halls, aujourd'hui réduits de manière à éviter les attroupements de cette nouvelle classe
dangereuse adolescente, se sont substitués aux entrées et aux porches d'hier qu'on voulait amples et
conviviaux en des temps plus sereins. Vitrages, matériaux réfléchissant la lumière, y sont aujourd'hui
de règle. Ils permettent de rassurer le résident qui craindrait l'espace flou, de casser le caractère d'abri
que les jeunes semblent trouver dans le porche. Parfois, les mesures d'hier déployées à des fins
sociales sont resservies à la « sauce » sécuritaire. Les murets, les jardinets, les locaux poubelles,
déplacés à l'extérieur, matérialisaient un seuil pour faciliter l'appropriation des habitants : car, aux
grands ensembles, est reprochée la forte opposition existant entre l'espace privé et l'espace public. Le
seuil d'aujourd'hui hérite de la même attribution : un espace qu‟on aimerait ne pas voir trop encombré
de population et où il est interdit de stationner longtemps » 265 .
De la question de la conceptualisation à l‟important travail de prévention mené par les différents
représentants (ville, gendarmerie, bailleurs sociaux, etc.) s‟ajoute la mise en place de dispositifs ciblés
de vidéo-protection. L'Etat apporte d‟ailleurs son soutien par un financement à l'investissement : le
FIPD 266 . Concernant Rillieux-La-Pape, l‟équipe municipale n‟a pas encore franchit le pas, opposant
souvent l'argument du fonctionnement de ce dispositif. Cependant, il semblerait qu‟un système de
vidéosurveillance soit prochainement installé aux collèges Paul Emile Victor et Maria Casarès.
Ainsi, désormais, la question de la sécurité est omniprésente dans le grand ensemble et concerne
l‟ensemble des acteurs jusque dans la création de nouveaux métiers tels « les grands frères », « les
femmes relais », « les médiateurs de quartiers » ou bien, comme dans le grand ensemble de La Ville
261 CLS : Contrat Local de Sécurité.
262 CLSPD : Conseil Local de Sécurité et de Prévention de la Délinquance.
263 CDP : Conseil Départemental de Prévention.
264 LEPOUTRE, D., 1997, Cœur de banlieue : codes, rites et langages, Paris, Ed. Jacob, 362p.
265 LEFRANCOIS, D., 2000, Ville et violence – dossier documentaire, CDU.
266 FIPD : Fonds Interministériel de Prévention de la Délinquance.
110

Nouvelle, les « observateurs de quartiers » 267 . Ces intervenants ont surtout la charge de désamorcer les
conflits inter-ethniques qui existent entre les communautés et les institutions. Mais la précarité de ces
emplois et la courte durée des contrats ne permettent pas une action sur le long terme. Depuis 2002, le
rôle de la police s‟est renforcé dans la répression ; la prévention restant secondaire. D‟ailleurs, une
partie des crédits alloués aux associations de quartier a été supprimée. La sécurité se proposerait-elle
donc comme un nouveau mode d‟intégration et de gestion du grand ensemble ?
Enjeux et mise en perspective
Les pratiques sécuritaires dans les grands ensembles renvoient, inéluctablement, à un premier enjeu
d‟interdisciplinarité, tant il recouvre des champs d‟actions précis en matière d‟urbanisme et, surtout, à
des acteurs aux métiers complémentaires. On pense ici, entre autres, au démographe, anticipateur des
évolutions quantitatives et qualitatives de la population vivant dans les grands ensembles ; au
sociologue, fin analyste du comportement et des pratiques de cette population ; à l‟architecte,
concepteur réaliste du type de forme immobilière à produire, etc.. Ces acteurs doivent répondre,
collectivement et d‟une seule voix, à un deuxième enjeu politique en aidant la prise de décisions des
élus. L‟enjeu politique semble différent selon qu‟on se situe au niveau local ou au niveau national. En
effet, les élus locaux inscrivent, la plupart du temps, leurs actions dans la durée et cherchent à coller à
la réalité du grand ensemble. Les gouvernements agissent plutôt en ayant en tête l‟échéance électorale.
Les statistiques, sur le sentiment d‟insécurité, sont récupérées et exploitées en vue de gagner un
électorat sensible à la question de l‟insécurité. Prenons l‟exemple de la réforme de la police de
proximité, conduite par le gouvernement de gauche, entre 1998 et 2002. Cette dernière a été décriée
par le gouvernement suivant de droite : il ne s‟agit plus de « faire de la police de proximité […] mais
d‟interpeller » 268 . Ainsi, la question de l‟insécurité, dans les grands ensembles, ravive les antagonismes
politiques, la majorité gouvernementale actuelle du « tout-sécuritaire » accusant l‟opposition de
n‟avoir pas pris les bonnes mesures quand elle était précédemment aux affaires. Un grand classique
français rythmé par l‟alternance. Cette récupération politique, par les grands leaders nationaux des
partis, se traduit par des élans ponctuels de prise de conscience ; alors que la sécurité est une
préoccupation quotidienne des élus locaux et, surtout, des habitants des grands ensembles. Un vaste
débat, alimenté par un grand nombre de rapports ou d‟études, qui aboutit, aujourd‟hui, à la proposition
d‟un « Grenelle de la Sécurité ». Comment interpréter cette volonté à reproduire ou à calquer une
mesure qui a, peu ou prou, fait ses preuves dans un domaine tout aussi stratégique que celui de
l‟environnement ?
Quoi qu‟il en soit, aucune solution ne sera applicable tant que les étiquettes partisanes prendront le
dessus sur des actions ciblées localement. Seule une feuille de route, débarrassée des clivages
politiques, et élaborée sur le moyen ou le long terme (10-20 ans), grand ensemble par grand ensemble,
semble être une méthode pertinente qui recevra, sans doute, l‟adhésion des habitants. En effet, ceux-ci
sont demandeurs de leur intégration au centre d‟un dispositif d‟actions réfléchi. Ce dernier doit être
mené par une gouvernance bien pensée d‟acteurs aux métiers complémentaires (les acteurs évoqués
plus haut) : après tout, ne sont-ils pas les mieux placés pour identifier les (blocages) sources de
conflits ?
267 « Rattaché au service Développement durable et démocratie participative au sein de la direction Vie citoyenne et
développement durable, ce service municipal initialement centré sur les usages des espaces et des équipements publics, s‟est
élargi au fil du temps aux pratiques sociales. Il sert de courroie de transmission de l‟information et permet les échanges entre
les habitants, les élus et les services publics. Les observateurs ne sont pas des médiateurs intervenant dans la gestion des
conflits. Leur mission est celle d‟un service d‟enquêtes et d‟études propres à la collectivité qui intervient sur la base de
commandes. Les observateurs sont aussi les référents des comités de quartier : organisation des réunions, réalisation des
comptes-rendus… Ils ont également un rôle de « veilleurs » sur les quartiers en signalant les dysfonctionnements aux services
concernés. Après plusieurs années d‟expérience, la fonction montre son utilité : les observateurs de quartiers deviennent un
maillon indispensable entre l‟habitant et les services publics locaux », http://www.ville-rillieux-la-pape.fr/front/124-68-1-
Observateurs-de-quartiers - Janvier 2010.
268 Propos de Monsieur Sarkozy, alors Ministre de l‟Intérieur, invité au journal télévisé de 20 heures de TF1, le 30 octobre
2005.
111

L‟exemple de Rillieux-La-Pape est intéressant en ce qu‟il met en évidence les erreurs, certes
involontaires, commises par le passé. Dans le cadre de l‟actuelle réforme de la géographie prioritaire,
la création, en 2010, d‟un référentiel recensant les missions et les champs d‟interventions des acteurs
de la Gestion Sociale et Urbaine de Proximité (CUCS 2007-2009), témoigne d‟une volonté politique.
Il s‟agit de prendre du recul sur les actions menées au cours de ces trois dernières années et d‟engager
des démarches prospectives adaptées pour limiter le sentiment d‟abandon ou d‟isolement des jeunes,
souvent sources d‟insécurité. La Ville Nouvelle mise ainsi, aujourd‟hui, sur l‟éducation via la
définition d‟un Projet Educatif Local qui intègre les priorités d‟actions sur le champ de la réussite
éducative et de la parentalité. Elle mise également sur le champ de l‟emploi et de l‟insertion afin de
créer un guichet unique autour de la thématique du développement économique de proximité.
« Prévenir plutôt que guérir » semble être la ligne de conduite que se sont fixés les responsables
politiques locaux. En ce sens que ces derniers ont décidé de se préoccuper des causes de l‟insécurité,
par des dispositifs concrets régulièrement évalués, plutôt que de constater passivement, une incapacité
à résoudre les problèmes – donc les conséquences – de cette insécurité.
En définitive, est-il utile de répéter qu‟il n‟existe pas, à ce jour, de « solution miracle » pour résoudre
le problème de l‟insécurité dans les grands ensembles ? La dimension géographique dite de « zonage »
a prouvé ses limites par le jeu des découpages territoriaux qui créent, inéluctablement, des séparations
donc des isolements, des « oubliés », qui trouvent, par la violence, un moyen d‟expression. Il faut donc
espérer que l‟actuelle réforme de la géographie prioritaire ne constituera pas une sorte de bis repetita
des erreurs des décennies passées.
En revanche, la dimension temporelle semble importante à privilégier dans le cadre de politiques aux
thématiques bien ciblées selon les besoins locaux. En effet, seule une action précise, pragmatique et
bien planifiée, c‟est-à-dire décidée collectivement, mais aux résultats progressifs, est à préconiser.
____________________
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Site Web :
http://www.ville-rillieux-la-pape.fr/front/124-68-1-Observateurs-de-quartiers Janvier 2010
113

Les berges du Rhône à Lyon en rive gauche.
Etat en 2005 avant l‟aménagement et en 2007 après achèvement des travaux
http://www.grandlyon.com/Photographie.1171+M5113c651587.0.html?backid=2223
© Grand Lyon
114

Jacques COMBY, Université de Lyon, UMR 5600 Environnement, Vile, Société
avec la participation de Clément Robert et la collaboration de François Cogny, Eléonore
Geneau, Basile Bonfils, (Master 2 GRCT, Université Jean Moulin)
La ville de Lyon a développé dans les années 1990-2000 une politique très active dans le domaine de
l‟action publique relative à la sécurité des espaces publics. Cette politique a conduit à mettre en place
des outils administrative de suivi des dossiers d‟aménagement. Avec un léger décalage, l‟Etat s‟est
saisi de ces questions et a mis en place un arsenal juridique important, fait de lois et de textes
réglementaires, qui lui donnent aujourd‟hui une compétence régalienne importante dans la conception
des grands aménagements urbains. L‟orientation prise dans l‟élaboration de ces outils semble reposer
essentiellement sur les forces de l‟ordre, mettant en avant ses besoins opérationnels.
Le projet « berges du Rhône », une valeur test pour la
prévention situationnelle à Lyon et la concertation entre
les acteurs 269
Introduction
Il convient de rappeler sous forme d‟introduction que le projet « berges du Rhône » concerne, la rive
gauche du Rhône qui a été entièrement réaménagée (photos 1 à 4 pour exemple) sur 6 km en espaces
verts et voies de circulations réservées aux modes de transports doux (vélo, roller, piéton). Les
objectifs conduisant le projet de « ce parc urbain de 10 ha en centre ville » recoupent plusieurs
justifications avancées par le Grand Lyon, maître d‟ouvrage (consultable notamment sur le site Web
du Grand Lyon) : rétablir la relation perdu entre les lyonnais et leur Fleuve et procéder à « une
reconquête du Rhône » 270 et conjointement « à celle de l‟identité de l‟agglomération ».
L‟objectif « n‟est pas une simple réhabilitation mais une complète mutation des espaces riverains
reflet de l‟évolution des modes de vie et de déplacement en ville ». Ce dernier point constitue l‟un des
arguments majeurs du projet, la création de ce parc public en plein centre ville étant considérée comme
« un symbole d‟une nouvelle culture de la ville qui pose la question de la place de la voiture ». Ce
projet comme d‟autres en cours, doit être encore « emblématique d‟une volonté d‟embellissement de la
ville, d‟innovation architecturale et paysagère, de création de nouvelles relation entre la ville et la
nature, de regain de convivialité et de sérénité… ». Cet espace doit enfin être un espace de détente et
de loisir intégré aux quartiers qu‟il côtoie, le support d‟une continuité piétonnière et cyclable
Nord/Sud. En ce sens les berges du Rhône doivent constituer un maillon essentiel d‟un large réseau de
circulation en cours de développement, privilégiant les déplacements « doux ». Les enjeux du projet
sont aussi associés aux contraintes qu‟impose le fleuve « les enjeux sont accentués par la nécessaire
maîtrise du fleuve…aussi les crues du Rhône, facteurs limitant et contraignant mais aussi sources
d‟innovations conceptuelles, ont-elles présidées aux choix des aménagements, des végétaux et des
matériaux constituant le projet ». En 2003 la communauté urbaine de Lyon s‟étant dotée d‟une Charte
de la participation (elle est la première agglomération française à l‟avoir fait) pour « donner un
nouveau souffle au débat public », le projet des berges a été l‟occasion de tester cette proposition dite
269 Cette étude a bénéficié du travail de deux étudiants du master 2 « Gestion des risques dans les collectivités
territoriales » (François Cogny, Eléonore Geneau) mis en situation de réponse à une commande de la DGS Lyon
(par son Directeur G Pasini). Ce travail a fait l‟objet d‟un rapport d‟étude de 77 p. sous le titre « Proposition pour
une meilleure prise en compte de la sûreté urbaine dans les projets d‟aménagement et de construction à Lyon ».
Le rapport contenait une série de préconisations en réponse à la commande qui ne seront pas évoquées.
270 Dont les quais en rives gauches étaient essentiellement occupés par des parcs de stationnement et très
difficilement praticables pour les piétons et les cyclistes.
115

de « démocratie participative ». De mars 2003 à septembre 2003 elle s‟est exprimée par l‟organisation
d‟expositions, d‟ateliers, sur le projet avec la mise à disposition du public de cahiers d‟expression, de
questionnaires, de consultations des habitants sur les conséquences éventuelles des futures
aménagements et sur leurs avis et attentes sur la question (habitants des péniches, associations de
quartier, pêcheurs etc..). La consultation prend fin en septembre 2003 avec l‟exposition « Evolution du
projet de berges 2006 », qui présente les améliorations apportées au projet, issues de la concertation.
Les ateliers se sont poursuivis au cours des travaux sur la base de cette concertation entre les acteurs
institutionnels et les lyonnais. Les questions de sécurité/sûreté n‟ont pas été oubliées dans ce projet,
même si elles apparaissent en « filigrane » sans être clairement évoquée (regain de convivialité,
sérénité, détente, loisir, Intégré au quartier qu’il côtoie), dans les justifications. De façon peu
revendiquée dans le projet mais en lien avec une forte volonté politique affichée sur la sécurité/sûreté,
la ville de Lyon a souhaité, en cette occasion, faire « avancer la Prévention Situationnelle ».
La prévention situationnelle à l‟épreuve du projet des berges du Rhône à
Lyon
Les développements qui suivent sont issus d‟une étude de terrain sur le projet des « Berges du
Rhône » et des entretiens effectues auprès d‟une quarantaine d‟acteurs locaux qui étaient investis dans
le projet public (15) et privé (3) et de témoins scientifiques ou acteurs de l‟aménagement non
concernés par le projet mais portant un regard sur son déroulement et la prise en compte du principe de
prévention situationnelle. La ville de Lyon s‟est dotée en 2002 d‟une commission, la 3CPS
(Commission Prévention Sécurité), chargée de l‟examen des projets en terme de prévention
situationnelle (à valeur consultative). Elle examine ces projets en veillant à ce que les questions de
sécurité et de gestion futures soient bien prises en compte dans chacun d‟entre eux. Aujourd‟hui, à la
lumière du travail de cette commission, il semble bien en effet qu‟un consensus se soit établi pour
prendre en compte les éléments de la prévention situationnelle dans l‟élaboration des projets. Pour
autant, la réalité semble prouver que la commission qui visait entre autres à rapprocher les acteurs et
faciliter la concertation opérationnelle, n‟a pas suffit à effacer le cloisonnement qui les sépare et n‟a
pas permis d‟atteindre les objectifs souhaités.
Dans tous les cas, le projet « Berges du Rhône » constituait une opportunité pour cette étude que l‟on
peut traduire par plusieurs facteurs d‟intérêt :
- un projet qui arrivait après une forte expérimentation locale de la prévention situationnelle et
avec de réelles expériences et/ou tentatives de concertation,
- un projet d‟agglomération avec de multiples acteurs,
- un projet où la ville de Lyon a souhaité faire avancer la PS,
- un projet de grande taille (plus de 5 km, qui traverse presque tout Lyon et plusieurs
arrondissements, 100 000 m² dont 22 000 m² d‟espaces verts (on notera comme le souligne
M. Boulens, Directeur Direction Espaces Verts, Ville de Lyon (entretien 2007) que cette
mixité provoque souvent une confusion entre l‟usager et « le politique » sur les notions
d‟espace vert et d‟espace public),
- un projet qui s‟inscrivait dans le courant fort à Lyon de l‟urbanisme environnemental (et
dans un contexte spécifique),
- un projet totalement consacré à un espace public.
A l‟inverse l‟étude a souffert de diverses contraintes qui limitent pour partie sa représentativité. On
retiendra pour l‟essentiel :
- un projet très spécifique car justement consacré à un espace public (pas d‟immobilier
directement concerné dans la restructuration),
- un projet qui a beaucoup modifié le site et son usage (ancien parking), ce qui rend difficile
les études comparatives (sécurité-sûreté, usages, etc..),
- un projet très spécifique,
- un projet qui est récent (peu de recul, manque de données pour évaluer, etc..) Au total les
116

constats qui sont surtout représentatifs d‟un temps précis de la vie du site, le début. Il était
donc difficile de distinguer les problèmes de fond des problèmes conjoncturels,
- un projet qui n‟a pas encore totalement vécu (appropriation, conflits d‟usage, etc..),
- à l‟inverse une analyse qui est aussi faite a posteriori (ce qui pose un problème pour les
entretiens), on est à un moment du projet, il n‟y a donc pas eu de suivi en direct),
- les acteurs rencontrés ne sont qu‟un échantillon des acteurs mobilisables et leurs réponses
ne peuvent pas constituer la référence à l‟ensemble d‟un corps de métier, quand bien même de
nombreux recoupement ont été faits et/ou tentés.
Les « berges du Rhône » un projet en attente d‟appropriation collective ?
Sous bien des aspects le projet « Berges du Rhône » peut être considéré comme un succès, notamment
en terme de fréquentation du site (même si un débat existe sur cette fréquentation entre les populations
du quartier et les « utilisateurs de passage »). On notera encore que la ville de Lyon a été primée en
deux occasions pour ce projet :
- dans le cadre de la compétition internationale LivCom Awards (villes durables), la ville de
Lyon avait remporté en novembre 2007, l'Award de l'amélioration du paysage, avec le projet
d'aménagement urbain des « Berges du Rhône », toutes catégories de villes confondues
- dans le cadre des Trophées de l'aménagement urbain 2008 (qui récompensent « les projets qui
fontaimer la ville ») où Lyon obtient une mention spéciale pour les Berges du Rhône.
Sous d‟autres aspects, notamment celui de la prise en compte de la prévention situationnelle et de
manière plus générale sur la concertation des acteurs sur le thème sécurité/sûreté, le bilan est plus
mitigé, certains acteurs n‟hésitant pas à parler « d‟échec ».
La rencontre entre les aménageurs et les gestionnaires de la sécurité a pourtant bien eu lieu. Elle s‟est
faite, notamment et pour l‟essentiel, dans le cadre de la 3CPS lors de trois passages du projet devant la
commission176. L‟efficacité relative de ces rencontres en terme de concertation et d‟efficacité
pratique se traduit par deux types de constats. Le premier tient de dysfonctionnements qui ont
nécessité des réponses plus ou moins adaptées et qui auraient pu être anticipées, selon les gestionnaires
de la sécurité.
Un bilan chronologique permet de cerner les problèmes rencontrés par les 5 cellules de veilles sur les
mois passés et de mesurer leur évolution à partir de l‟analyse des rapports de ces cellules : «
Mésusages et gestion ». Ils mettent aussi en évidence les modes de réponses apportées à ces problèmes
et leur efficacité : réponses immédiates, réflexion de fond. Il a été choisi de ne pas présenter dans le
détail cette évaluation qui, au regard des questions de fond, possède un caractère relativement
anecdotique. On retiendra que la 3C.P.S. n‟a pas permis de résoudre l‟ensemble des problèmes (elle
n‟y prétendait pas) et on notera simplement pour information que trois types de problèmes différents
peuvent être distingués en fonction de leur nature, fréquence et durée :
Des problèmes temporaires liés à des équipements réalisés sur le site et momentanément non
opérationnels,
- en raison de : une anticipation de la gestion insuffisante au moment de la conception, à
l‟ouverture du site au public avant la fin des travaux, un manque de concertation entre les
acteurs, accessibilité aux personnes handicapées, etc.. (Pour l‟anecdote, et en référence aux
questions de sûreté : un éclairage trop tamisé qui rend l‟utilisation de certaines caméras de
vidéo-protection, impossible. Le premier en septembre 2003 alors que le projet a été engagé
depuis un an et la 3CPR constituée depuis 18 mois (des rencontres avaient cependant déjà eu
lieu). La décision de réaliser un projet de gestion parallèlement au projet de conception est
actée lors de cette réunion. Le second passage a lieu en juillet 2004 au cours duquel est
évoquée la question de la vidéosurveillance. Une étude détaillée et précise est requise auprès
d‟un bureau d‟étude qui sera missionné pour un rendu fin septembre 2004.Le dernier passage
a lieu en mars 2007 sur les questions de réglementations du site. L‟inauguration officielle des
Berges a lieu deux mois après.
Les acteurs du projet concernés étaient :
117

Maîtrise d'ouvrage : Grand Lyon (Espace publiques, D.G.D.U. GL, associé en amont Agence
d‟urbanisme)
Maîtrise d‟oeuvre : Paysagiste : agence In Situ, Architecte : Jourda, Eclairagiste : Coup
d'éclat,
6 sous-Traitants en réalisation (Sol Paysage, Biotec, Agibat, Gec, Arcora, Sogreah)
Livraison et Gestion du projet : Gestionnaire du site Grand-Lyon, Propreté Grand Lyon
(entreprises privées Véolia et sous-traitants), Sécurité secours : Ville de Lyon, D.S.P. Police
Municipale), Police Nationale, S.D.I.S ; Rhône,
Intervention qualité de vie : Ville de Lyon (Service Espace vert et Cadre de vie),
Présence en commission :
Concertation (passage en 3CPS : Commission Prévention Sécurité)
Représentés en CPS 1 : seconde tranche de travaux de projet: Ville de Lyon : 2 Adjoints au
maire de Lyon dont le 1 er adjoint, D.S.P. (2), DEV, Grand Lyon : D.G.D.U. EP, Agence
d‟Urbanisme, Cabinet du Préfet : Délégué à la Sécuritéet à la Défense, Maîtres d‟oeuvre
privés : In-Situ Paysages.
En CPS 2 : Phase projet et dossier de gestion : idem plus : Lyon CSUL, Grand-Lyon
D.G.D.U. M.G.E.C., S.D.I.S. 69.
En CPS 3 : Gestion du site : idem plus : Lyon (Chef de Cabinet du 1er adjoint), Grand Lyon
(D.P.) et moins les maîtres d‟oeuvre.
Suivi du projet (Cellule de veille), Représentés : Lyon (Cabinet du 1er adjoint au maire de
Lyon, D.S.P. Lyon (3), D.Q.S.P.-G.U.P., C.S.U., D.E.P., Police Municipale (G.P.), Grand
Lyon : D.E.P., Gestionnaire du site.
Des problèmes considérés comme relativement mineurs et ponctuels :
- Problèmes quotidiens et récurrents qui recoupent des atteintes aux biens et à l‟ordre public soit
essentiellement ; des incivilités et des nuisances. Les réponses sont souvent, aussi,
individualisées mais aussi accompagnées d‟une sensibilisation de dimension plus collective
(chiens, alcool…) et sur le site (rappel de réglementation).
.
Des problèmes d‟usage :
(conflits et/ou manque d‟anticipation). Ils entravent une « cohabitation harmonieuse » des
usagers du site. Les causes de ces dysfonctionnements relèvent de conflits d‟usages, de non
respect de la réglementation dans les usages, et d‟un défaut de prise en compte de la gestion
future lors de la conception. La réponse à ces problèmes s‟inscrit dans un temps plus long, car
elle dépend, entre autres, d‟une appropriation collective du site de la part des usagers.
Ces problèmes engendrent, notamment des coûts économiques et humains (en terme de mobilisation)
qui auraient pu être évités selon les acteurs si les principes de la prévention situationnelle avaient été
mieux respectés et selon les gestionnaires de la sécurité (surtout) si leurs services avaient été mieux
intégrés au projet en amont de sa réalisation.
Le second constat, qui explique pour partie les dysfonctionnements évoqués, traduit les difficultés de
la concertation qui ont abouti à une forte remise en question de l'utilité de la 3CPS sous sa forme
actuelle. Ces difficultés mises en évidence par le « ressenti » des acteurs peuvent s‟expliquer pour
partie sous forme d‟une réflexion méthodologique sur le fonctionnement de la 3 CPS. Cependant elles
révèlent surtout un problème de fond beaucoup plus difficile à résoudre d‟ordre culturel et qui semble
déboucher sur une impasse.
La prévention situationnelle à Lyon : une expérience à la recherche d‟un
second souffle ? 271
271 Les réflexions avancées sont le produit d‟une étude sur la prévention situationnelle appliquée aux berges du
Rhône recoupant l‟attente des acteurs locaux dans le cadre de ce projet et le constat effectif des collaborations
(l‟analyse est également alimenter par la base des travaux de la commission de prévention situationnelle de
Lyon, 70 projets pour rappel).
118

Les premières analyses concentrées sur l‟état du partage de la notion de PS dans les discours (tant en
terme explicite que d‟un point de vue pratique) entre concepteurs et gestionnaires de la sécurité à
l‟expérience du projet des berges, font apparaître un certains nombre de convergences. Cependant elles
montrent surtout des divergences qui rendaient une conception commune de la question, impossible.
Convergence et divergence des discours : l‟espace entre la prise en compte de la PS et une relecture du
projet urbain. Les visions sur le sens à donner à la PS à Lyon, autant que sur ses limites, sont souvent
partagées et elles font références à des thèmes relativement disparates, recoupant à l‟occasion des
voeux pieux. On peut retenir pour les principaux axes de convergences qui relèvent surtout de constats
pratiques :
- l‟intérêt d‟aborder les questions de la gestion future, de la prévention des malveillances et
des usages dès la conception de projet,
- le retour d‟expérience (REX) formalisé et accessible à tous est prégnant dans lesattentes,
- ce REX est souvent jugé indissociable d‟un travail de communication sur ce qu‟est la PS à la
Française voire à la Lyonnaise,
- la nécessité d‟entretenir une réflexion permanente (en dehors de la conception de projet),
- le besoin de réviser la Commission Communale Consultative de prévention (composition,
fonctionnement, positionnement),
- l‟attention apportée à la prise en compte des coûts publics, la gestion future devant être la
plus économe possible (pour information actuellement la prestation de nettoiement et entretien
des espaces verts, s'élève à environ 1,2 millions d'euros/an. Les coûts de maintenance pour
cause de dégradation, de surveillance et prévention sont encore difficiles à évaluer, mais
dépassent les prévisions initiales),
- éviter les questions de conflit entre les actions (esthétisme et vie du projet),
- une inquiétude sur les risques de dérives de la prévention situationnelle (chez les
gestionnaires de la sécurité aussi),
- le constat d‟un besoin de concertation et de collaboration effective (notion partagée avec plus
ou moins d‟intensité).
Les divergences apparaissent dès lors que l‟on s‟éloigne du constat pratique des faits et que l‟on se
situe sur des questions de fond. Parmi elles et pour l‟essentiel, on retiendra celles :
- sur l‟idée de la nouveauté de la démarche (les acteurs en charge de la sécurité évoquent la
nouveauté, du côté de l‟aménagement on estime souvent que les pratiques l‟intègrent déjà).
A ce propos, le rapprochement entre sécurité civile et sécurité publique est contesté par les
acteurs autres que ceux de la sécurité,
- la part que doit tenir la prévention situationnelle dans les projets d‟aménagement : une
relecture nécessaire sous l‟angle de la PS – ou une problématique comme les autres,
- la forme et le fond que l‟on doit accorder à la PS qui divergent selon les acteurs : question de
sécurité, gestion future, fonctions et usages, la signification de l‟espace public dans la ville.
- La portée de la PS : les acteurs autres que ceux de la sécurité insistent sur le traitement des
sources de problèmes plutôt que sur le seul traitement des problèmes constatés.
- Intégration de la prévention situationnelle dans les projets : à la fois souhaitée par les uns et
redoutée par les autres, voir jugée inutile au regard du projet politique qui peut être assigné au
projet urbain.
Des points de blocage révélés par le vécu des situations par les acteurs. A l‟évidence l‟intention de la
ville de Lyon en créant la 3CPS était louable « le but de la 3CPS, quand elle a été créée en 2002, était
d‟« offrir » un lieu de discussion et d‟élaboration en commun » (G. Pasini Directeur D.G.S. Lyon,
entretien 2008). Elle a permis en effet, en plusieurs occasions, de faciliter les rapprochements entre
acteurs et d‟obtenir des résultats jugés efficaces par les gestionnaires de la sécurité. Il est aisé de
mettre en évidence les manques d‟un projet plutôt que ses réussites, lesquelles pourtant ne doivent pas
passer inaperçues. La concertation a incontestablement « fonctionné » à plusieurs niveaux, en
particulier entre les différents acteurs de la future gestion du site. Elle a permis notamment de
fonctionner avec un gestionnaire unique du site (souhaité par la plupart des partenaires), M Dauzères
(Grand Lyon). Ce choix permet un niveau de prestation plus homogène, mais aussi plus coûteux. Un
travail d‟anticipation a également été réalisé en concertation même s‟il ne s‟est pas manifesté
réellement en amont du projet. Il reste qu‟à posteriori, l‟analyse des causes des dysfonctionnements
permet aujourd‟hui de mieux cerner les manques dans la concertation. Cependant, en dépit de ces
119

points positifs, la démarche n‟a pas permis d‟atteindre les résultats attendus et la participation
souhaitée à cette commission a été relativement faible. On peut encore reconnaître à cette intention
une certaine dimension prospective au regard d‟une actualité plus et moins récente. Les principes (ou
tout au moins une partie des principes) de la 3CPS était inscrit dès 1995 dans la « Loi d‟Orientation et
de Programmation Relative à la Sécurité », dite loi PASQUA, qui prévoyait la création d‟une
Commission Consultative Départementale de Sécurité et d‟Accessibilité, soit une forme de 3CPS
conçue par le pouvoir en place. Il a fallu, cependant 12 ans pour que ces commissions
départementales, redéfinies depuis la Loi du 7 août 2007 qui a intégré une sous-commission de
sécurité en relation avec les Etudes de Sûreté et de Sécurité Publique (E.S.S.P.), deviennent effectives
(nous y reviendrons en partie trois de l‟exposé). Dans cet intervalle de temps, l‟initiative lyonnaise de
la 3CPS, constituait une phase expérimentale « visionnaire » qui pouvait permettre de tester l‟outil et
de s‟y adapter voire de l‟orienter avant qu‟il ne deviennent une contrainte légale. On peut aussi lui
reprocher d‟avoir contribué à « ouvrir la boîte de Pandore » comme a pu l‟exprimer un concepteur lors
des entretiens menés au cours de l‟étude.
Plusieurs formes d‟explication peuvent être avancées pour expliquer cet échec relatif d‟une
construction concertée de la prévention situationnelle à Lyon. On retiendra en premier celles qui sont
de l‟ordre du « vécu » traduit dans les entretiens sur la conception et le fonctionnement de la 3CPS elle
même.
In fine la 3CPS ne semble pas la structure la plus appropriée pour une approche concertée de la
prévention situationnelle. Elle suscite plusieurs observations de la part des aménageurs du territoire et
chez les acteurs autres que les gestionnaires de la sécurité et le monde politique. Son fonctionnement
est parfois perçu comme celui d‟une « véritable commission de discipline », les gestionnaires de la
sécurité endossant le costume des examinateurs et les aménageurs celui « d‟examinés » soumis à « un
jugement » à « la sanction ». Une situation d‟autant plus délicate que la 3CPS est avant tout à seule
valeur de consultation. Ce déséquilibre dans le rôle des acteurs engendre une certaine méfiance à
l‟égard de la 3CPS, et le fait que les acteurs ne soient pas sur « un pied d‟égalité » nuit au caractère
partenarial que la prévention situationnelle doit adopter aux yeux des aménageurs. Cette méfiance est
renforcée par le fait qu‟historiquement la 3CPS est née de la volonté des seuls gestionnaires de la
sécurité. Les aménageurs n‟ont pas pu s‟exprimer sur la forme de cette commission, son
fonctionnement sa composition. Cette situation est souvent regrettée « le choix d’un organe
d’évaluation et d’accompagnement des projets et de concertation autour de la prévention
situationnelle doit émaner de tous les acteurs concernés, plutôt que d’une seule catégorie, ou d’agents
extérieurs…. ». Pour certains acteurs du Grand Lyon, « la composition de la 3CPS » est aussi un
problème « réunissant des élus, des anciens commissaires. Elle est un peu trop à part du processus
d’élaboration du projet. D’autre part, les questions de sécurité sont vécues uniquement comme un
problème de police » (R. Nouveau, Adjoint au chef de service Politique de la Ville, Grand Lyon,
entretien 2008). On reproche encore à la 3CPS d‟être mal positionnée entre Lyon et le Grand Lyon. En
effet, c‟est une structure constituant une expérience qui répond aux pouvoirs du Maire. Mais la ville de
Lyon est rarement maître d‟ouvrage, « d‟où le conflit entre le Grand Lyon et la Ville » (entretien
2008). La 3CPS « elle vient rajouter une couche de normes en plus, rendant le projet ingérable ».
Conjointement on souligne un conflit et des positions différentes entre « la ville de Lyon favorable à
une approche en terme de prévention situationnelle et le Grand Lyon pas vraiment préoccupé par cet
aspect » (C. Wantz, chargée de mission à la DGDU du Grand Lyon, entretien 2008).
Si la 3CPS est aussi souvent considérée comme une volonté politique (à l‟évidence elle l‟était) elle est
parfois qualifiée de structure visant uniquement à la « bonne conscience » du politique (la réflexion
vient de gestionnaires de la ville de Lyon, autre que ceux de la sécurité), mais peu efficace. Dans cet
ordre d‟idée pour la SACVEL « on ne retire pas grand-chose de la 3CPS, on n’en attend pas grandchose.
A la SACVEL on intègre la malveillance dans les projets sans passer par la 3CPS. En effet, on
est un bailleur, et cette réflexion préventive nous permet d’éviter les coûts de gestion importants et les
réparations ultérieures. Concrètement, on évite les recoins, on installe des vidéosurveillances…. ».
On reproche encore à la 3CPS sa faible capacité à formaliser les informations et les enseignements
tirés de son travail passé. Sous sa forme actuelle, en effet, elle ne permet pas de centraliser
l‟information et de créer une base de données en tant que telle, ni même de façon précise les comptes
rendus de chaque séance, nuisant ainsi à l‟accumulation d‟expérience.
120

En l‟état actuel, on peut avancer que la 3CPS a vécu. Les gestionnaires de la sécurité admettent euxmêmes
« nous avons créé une commission dans un esprit que l’on souhaitait partenarial, mais nous
n’avons pas réussi car les urbanistes ne sont pas venus.., il faut inventer autre chose. Aujourd’hui
nous sommes trop à l’aval des projets, nous les touchons à la marge, il faut trouver une solution pour
intégrer les gestionnaires de la sécurité à l’amont ». En effet, si les partenariats locaux de prévention
et de sécurité ont laissé espérer une ouverture du champ de la normativité sécuritaire, les véritables
concertations n‟ont pas toujours eu lieu entre les différents acteurs et leurs modalités restent à définir.
La question paraît d‟autant plus d‟actualité que, comme on vient de l‟évoquer, le décret d‟application
permettant la mise en oeuvre des études de sécurité publique est paru. En résumé, la concertation est
difficile et les incompréhensions restent fortes. Si la prise en compte de la sûreté est effective dans les
projets d‟urbanisme et de rénovation urbaine elle répond à des définitions qui ne croisent pas toujours
les préoccupations et les inquiétudes des gestionnaires. Sa mise en cohérence avec la politique de la
ville et son intégration au projet urbain est aujourd‟hui très partielle. Elle est souvent en référence à un
problème (la sécurité au sens le plus technique dont le traitement est très liée aux gestionnaires). Dans
ce contexte, le décideur politique est souvent le dernier recours pour chacun des acteurs afin d‟imposer
son message.
Cet « autre chose », souhaité par les gestionnaires de la sécurité, réunit cependant l‟ensemble des
acteurs sur une idée commune « il faut intégrer la prévention situationnelle en amont des projets et au
sein du projet urbain dans le cadre d’une concertation réunissant l’ensemble des acteurs et tenant
compte des usagers ». La dimension qu‟il faut lui accorder reste cependant très discutée. Cet autre
chose, doit il être une commission révisée ? L‟architecture de la 3 CPS et son fonctionnement ont été
inspirés par ceux de commissions de sécurités déjà en place à Lyon sur d‟autres thèmes et dont
certaines avaient montré leur efficacité. Au-delà des discours et des ressentis qui traduisent une
frustration réciproque, les raisons qui ont fait que ce « transfert » n‟était visiblement pas adaptable
sont avant tout associés à une différence de fond essentiel entre les objets considérés dans ces
différentes commissions et les cultures difficilement conciliables des acteurs concernés par les
questions de sûreté dans le cadre de 3CPS.
La 3 CPS une commission inspirée d‟autres pour une problématique très singulière 272 .
La ville de Lyon bénéficie aujourd‟hui de quatre commissions de sécurité : la commission des
Balmes, celle des E.R.P., celle des manifestations publiques et la 3CPS, la plus récente à avoir été
mise en place (2002) en s‟inspirant du fonctionnement et de la construction des commissions qui lui
sont antérieures.
L‟étude du fonctionnement respectif des commissions montre que, si le transfert de méthode (même
partiel le fonctionnement effectif de la 3CPS restant contraint par la spécificité des objectifs initiaux et
272 La Direction de la Sécurité et de la Prévention de la ville de Lyon, consciente de l‟échec de la 3CPS (il est
vrai relatif, la commission n‟a pas été inutile et sans résultat) s‟est associée à l‟analyse afin de mieux saisir ce qui
a « manqué » pour que cette commission soit plus efficace. L‟étude a été conduite sous forme de commande
professionnelle à deux étudiants du Master GRCT, sous la Direction conjointe du L.C.R.E. C.N.R.S. U.M.R.
5600 EVS et de la Direction de Sécurité et de Prévention de la ville de Lyon. La commande initiale prévoyait, de
décrire et d‟analyser le fonctionnement des quatre commissions et de présenter les acteurs (origine, rôle,
compétence) composant une commission et d‟évaluer leur niveau de participation et leur influence sur le
fonctionnement de la commission. L‟étude devait se concentrer sur l‟analyse des aspects fonctionnels, les
dynamiques partenariales et le rôle de chaque membre des commissions. Pour répondre à cet objectif la première
étape de l‟analyse à été la constitution d‟un corpus scientifique fondée sur une recherche bibliographique et la
consultations des archives référent au contexte et à la mise en place des commissions, une série d‟entretiens avec
les responsables de la ville de Lyon intéressés pas les commissions et la participation aux séances plénières des
commissions.
A partir des informations recueillies une grille de lecture fondée sur les critères précédemment évoqués a été
appliquée à chaque commission. La grille de lecture de la 3CPS a été élaborée de manière sensiblement
différente de celle des autres commissions puisqu‟elle intégrait les résultats et les variables observées dans les
autres commissions.
Une série de préconisation ont été proposées à DSP qui n‟apparaîtront pas ici. Ce travail à aboutit à la production
d‟un rapport d‟étude de deux étudiants du Master GRCT (Basile Bonfils et Clément Robert) de 124 pages, qui
est fortement mobilisé dans le texte proposé.
121

la dimension plus expérimentale qu‟obligataire de cette commission), n‟est pas la seule raison de
l‟échec de la 3CPS, ils révèlent une forme de représentation du traitement de la sécurité qui renvoie à
des problèmes de fond essentiel. Cette évaluation somme toute technique met en évidence la difficile
application d‟une approche de type ingénierial à l‟objet considéré, plus qu‟un problème
méthodologique. Elle souligne également un « certain quiproquo » qui ne nie pas les bonnes volontés
respectives, mais qui trouve sa source dans les cultures très différentes des acteurs originellement
concernées par la 3CPS (au sens de l‟intérêt qu‟ils auraient pu y trouver). On ne retiendra ici que les
éléments essentiels qui révèlent ses problèmes de fond.
Des objets différents : de l‟expertise sécuritaire à la sûreté urbaine
Les principaux objectifs des trois premières commissions étaient d‟optimiser la sécurité. Si l‟on se
réfère à la distinction entre sécurité et sûreté proposé par E Chalumeau (voir chapitre précédent), les
méthodologies applicables ont été conçues dans des approches fondées sur des expertises de type
ingénierie appliquée, souvent (même s‟ils peuvent être discutés sur le fond comme on l‟a évoqué), au
traitement du risque. Ainsi, ces commissions ont été créées dans des contextes spécifiques, avec des
objectifs et des cadres réglementaires associés qui diffèrent singulièrement de ceux de la 3 CPS.
La Commission des Balmes a été créée à la suite de la catastrophe de Fourvière en 1930. Elle a pour
objectif d‟imposer aux constructions des normes de sécurité considérées comme nécessaires lors de
leur réalisation (même si son rôle est actuellement plus étendu).
La Commission des E.R.P. a été remodelée après la catastrophe de Furiani en 1992. Le but qui lui est
associé est de renforcer la sécurité dans les constructions à travers des contrôles réguliers et des
autorisations lors de constructions ou de travaux.
La Commission des Manifestations Publiques a été créée en réponse à des problèmes récurrents sur
l‟espace public lors d‟événements et de manifestations de grande ampleur. Si le thème abordé est plus
proche de celui de la 3CPS que dans les cas précédents, le souci premier est ici la gestion d‟un
événement dans un espace donné. Même si les incivilités observées lors de telles manifestations ne
peuvent se réduire à la nature de l‟événement (en terme de causes), le but est donc ici de les contrôler
de manière « essentiellement pratique » en référence à des questions de sécurité.
La 3CPS a vu le jour dans un cadre et un contexte fort différents. Elle est le fruit d‟une volonté
politique. Elle est affichée comme un besoin de réflexion sur les questions d‟impact d‟aménagements
sur la sécurité publique. C‟est une initiative locale de type expérimentale voulant anticiper et prévenir
d‟éventuels problèmes « d‟incivilités publiques » et avec une volonté affirmée « de faire prendre
conscience à différents acteurs concernés qu‟une mise en commun des compétences peut faire
progresser la sécurité ».
Les divergences d‟objets et d‟objectifs entre les trois premières commissions expliquent que le
fonctionnement de la 3CPS fondées sur les pratiques antérieures, même avec des formes
d‟adaptations, ne pouvait que très difficilement être efficaces et mobilisateurs. La législation et/ou la
réglementation en place pour chaque commission a joué un rôle déterminant dans les questions de
fonctionnement, de mobilisation des acteurs et de responsabilité dans chaque commission. L‟objet des
trois premières commissions a permis d‟établir un principe d‟expertise conduisant à une autorisation,
peu, voire pas, applicable à la 3CPS car non obligataire et pas souhaités dans ce cas, dans un cadre
avant tout consultatif.
Pour chaque commission, une réglementation a été mise en place, permettant de les créer et de définir
leurs compositions et leurs fonctionnements. Ces réglementations constituent les bases sur lesquelles
reposent leurs pouvoirs et elles définissent leurs moyens d‟actions, lesquels, au regard des objectifs
fixés et du cadre réglementaires qui s‟y associent, diffèrent beaucoup.
La commission E.R.P. (sous sa forme actuelle) a vu le jour par la volonté de l‟Etat. Les règles établies
sont imposées et inflexibles. Le fonctionnement et la composition de la commission sont entièrement
définis par la loi. La contrainte imposée par la réglementation à donc un effet levier incontournable sur
la mobilisation des acteurs que le principe soit apprécié et/ou souhaitable, ou pas.
La Commission des Balmes, celle des manifestations publiques et celle de prévention situationnelle
sont nées d‟arrêtés municipaux qui définissent également leurs fonctionnements et leurs compositions.
Sans entrer dans le détail du travail des commissions, il apparaît que les objectifs initiaux et leurs
122

finalités font que les réglementations associées (adaptées) n‟imposent pas les mêmes contraintes à la
participation.
Le fonctionnement des trois premières commissions est fondé sur la formulation d‟un (de) avis
d‟experts au regard de questions de sécurités très techniques qui aboutit à des décisions imposées en
amont des projets (voir en annexe fonctionnement des commissions, rôle des acteurs responsabilités).
Contrairement aux autres commissions la 3CPS intervient à n‟importe quelle étape d‟un projet.
Aucune instance ne l‟informe sur les projets à venir. Le responsable de la commission doit faire un
travail de prospection des projets et d‟information sur la commission. Le projet est mis à la
connaissance de chaque membre par le responsable de la commission. Ce dernier ayant pour rôle de
collecter les informations nécessaires sur les paramètres du projet afin qu‟ils puissent être débattus lors
de la séance plénière. Le résultat du travail de la séance a pour but annoncé de faire prendre
conscience aux porteurs de projets de leur implication dans la sécurité et d‟élaborer un document de
synthèse des actions envisageables (et souvent correctrices car non situé en amont des projets). L‟idée
est donc ici de se concerter plus que d‟imposer, tout au moins dans un premier temps et tel qu‟afficher
dans les discours. Dans la réalité l‟expérience des pratiques gestionnaires par l‟entrée des risques, dans
les autres commissions a pu conduire à un fonctionnement (ou tout au moins elle a été perçue comme
tel), là aussi, relevant plus de la contrainte sécuritaire, sans en avoir totalement ici les moyens, la
crédibilité nécessaire, et sans responsabilité clairement établie, que du conseil, de l‟accompagnement
et de l‟échange qu‟elles supposait, sur les questions de sûreté.
En effet, les commissions des E.R.P., des Balmes et des Manifestations Publiques bénéficient d‟un
soutien administratif, technique et de moyens conséquents en réponse aux travaux à effectuer. En
revanche, en raison de l‟expérimentation de la 3CPS, une seule personne, très dynamique et impliqué
certes, gère quotidiennement les différentes étapes de travail au sein de la ville de Lyon.
La mobilisation des acteurs dans les trois premières commissions est clairement en situation
d‟expertise à vocation décisionnaire d‟une commission. En ce sens elle fait recours à des experts dont
l‟avis est essentiel à la décision finale (en particulier des experts extérieurs dont la crédibilité dans le
domaine de compétence, là encore très technique, est reconnue par tous). Les questions relatives à la
prévention situationnelle et à la sûreté ne permettaient pas cette partition mettant en situation des
gestionnaires de la sécurité et des concepteurs, qui n‟étaient pas spécialistes d‟un concept encore
récent, mais qui pouvaient tous prétendre dans leur pratique à la prise en compte des dimensions
sécuritaires. Le risque était donc important que l‟avis des gestionnaires des risques sur les projets
urbains (gestionnaire municipaux du risque, police, sécurité civile) sous l‟angle d‟une commission,
soit considéré comme une contrainte sécuritaire plutôt qu‟un accompagnement à l‟innovation sur le
thème très social et politique (dans tous les sens du terme) de la sûreté urbaine.
Un risque qui explique en partie la faible mobilisation des concepteurs dans cette commission.
Les enjeux sécuritaires (là encore dans tous les sens du terme, réglementation, gestion, etc..), font que
les responsabilités engagées au sein des trois premières commissions sont l‟un des moteur du
fonctionnement des commissions. Dans les trois premières commissions les acteurs engagent leur
responsabilité dans le contrôle la vérification et les avis rendus à la décision de l‟élu. Dans la 3CPS qui
doit amener avant tout à la sensibilisation et la réflexion) les membres ne répondent à aucune
responsabilité autre que celle de la réflexion et celle d‟apporter des conseils sur les éventuels
problèmes actuels ou futurs. Cette non définition de la responsabilité des membres de la 3CPS répond
à des objectifs d‟anticipation et non de gestion et de contrôle d‟un projet. L‟élu possède dans ces
quatre commissions le pouvoir de décision final. Il est le président de chacune des commissions. Dans
les trois premières commissions l‟élu engage donc sa responsabilité dans les avis et les décisions
prises aux cours du travail. Si l‟engagement de sa responsabilité est plus ou moins fort selon les cas,
elle est toujours clairement définie et d‟un fort impact. Dans la 3CPS la responsabilité de l‟élu n‟est
pas aussi forte que dans les autres commissions car les décisions prises ne sont pas nécessairement
suivies d‟effet à plus ou moins long terme. Cette situation donne souvent à l‟élu le rôle d‟un juge plus
que celui d‟un décideur en recherche d‟aide et de conseil. Il est à l‟occasion un médiateur entre le
porteur de projet et les autres membres de la commission et/ou le recours final pour tranché entre des
logiques souvent peu conciliables et sur une question qui devient très politique.
Dès lors qu‟une décision est prise (procès verbal ou équivalent) les commissions des E.R.P., des
Balmes et des Manifestations Publiques engagent leur responsabilité dans cette décision. Elle est donc
effective et les commissions peuvent être amenées à s‟expliquer sur les raisons de la prise de décision.
123

Elles sont responsables pénalement. Dans le cadre de la 3CPS, la responsabilité est plus relative car il
n‟y a aucun engagement au regard des actions et des obligations de la commission, dans les dossiers et
les projets consultés.
En résumé, le fonctionnement de la 3CPS inspiré de ceux des Commissions qui lui sont antérieures ne
pouvait qu‟être limité dans son efficacité en raison des objets et en conséquences des objectifs très
différents des commissions respectives. Cet échec n‟est pas le produit d‟une mauvaise volonté. La
volonté sincère des gestionnaires du risque de s‟ouvrir à des pratiques moins normalisantes fondées
sur l‟échange et la concertation était sincère. Le souhait d‟intégrer leur analyse dans un projet urbain
concerté n‟est pas plus sujet aux doutes. Il reste que les tentatives d‟adaptation ne pouvaient avoir que
peu d‟effet car ils étaient construits sur une logique d‟expertise difficile à faire partager à des
partenaires d‟une culture très différentes de celles des gestionnaires des risques.
L‟échec de la 3 CPS : impasse méthodologique sur fond de différences culturelles
L‟analyse du projet des « Berges du Rhône » sous l‟angle de la prévention situationnelle montre que
les difficultés rencontrées par la 3CPS, tiennent moins d‟un fonctionnement méthodologique (qui est
plus de l‟ordre d‟une conséquence que d‟une cause) que d‟une forme d‟incompréhension. Le projet
des « Berges du Rhône » a en effet mis en exergue un fossé entre deux univers d'expertise. Celui des
gestionnaires du risque, d‟une part et celui des urbanistes d‟autre part. Ce fossé n„est pas que culturel
il est aussi le produit du rôle social attribué aux deux parties. Comme on l‟a déjà évoqué, la Direction
de la Sécurité et de la Prévention fait preuve d‟un sens autocritique rare. Si la formation de
gestionnaire du risque de ses membres contribue sous certains angles à creuser ce fossé, le rôle qu‟on
lui attribue et surtout ce que l‟on attend de sa fonction rend difficile leur marge de manoeuvre, quand
bien même souhaiterait-on remplacer le terme sécurité par celui de sûreté. Ce double handicap a
conduit les membres de la commission à faire des préconisations peu conciliables avec le mode de
pensée, les formes de raisonnement et donc la formalisation concrète de la sûreté en milieu urbain des
urbanistes. Il n‟est pas question ici de réduire les concepteurs à un mode de pensée unique (ni à une
fonction spécifique et univoque et un mode de fonctionnement indépendant de contingences diverses,
politiques, économiques et sociales) pas plus que les gestionnaires du risque dont ont soulignera
encore chez certains, notamment responsables, une capacité d‟autoévaluation relativement rare. Les
remarques qui suivent n‟ont donc qu‟une dimension réduite et concerne avant tout le contexte
lyonnais, même si la singularité lyonnaise est relative et traduit pour partie des problèmes de fond qui
ne relèvent pas d‟une spécificité, comme on pourra le rappeler ponctuellement. Elle souligne, par
ailleurs, une forme d‟incompréhension entre les gestionnaires du risque de la ville de Lyon et les «
concepteurs » du Grand Lyon plus qu‟avec ceux de la ville de Lyon peu mobiliser dans cette étude (en
raison de l‟étude de cas spécifique du projet des « Berges du Rhône »), qui ne résume pas à elle seule
l‟ensemble des difficultés référent au sujet, entre ces deux institutions publiques.
Le problème renvoie à une question précédemment évoquée. La délinquance n‟étant plus considérée
comme un fait de société mais comme un risque son approche est nécessairement sujette « à des
dérives bien connu dans l‟approche des risques de types fonctionnaliste et normative et plus ou moins
sectorielles » (voir chapitre précédent). Le premier « risque » est de recentrer la question urbaine sur
une évaluation très contingente à une spécialité, celle d‟un gestionnaire du risque qui placerait la
sécurité au centre des débats, ce qui peut favoriser le développement de solutions de résistance de type
nécessairement très sécuritaire et très influente sur projet urbain. En analysant l‟incivilité sociale par le
biais d‟une identification à un risque sommairement défini par un rapport aléa/vulnérabilité, le « risque
» est grand de désociabiliser la délinquance (ou tout au moins de l‟envisagée sous une forme très
réductrice qui renvoie aux seuls faits). Cette approche du risque que l‟on qualifiera de très « naturaliste
» pose un triple problème. La vulnérabilité n‟est conçue que par référence à sa plus ou moins grande
résistance à un aléa (soit ici la délinquance). Envisager sous cet angle la réponse attendue devient alors
nécessairement d‟ordre technique, notamment en matière d‟aménagement, et d‟urbanisme. En retour la
prise en compte du « risque » devient un déterminant très puissant du projet urbain et des formes
d‟urbanisme et d‟architecture. Les entretiens conduits avec les concepteurs lyonnais actuellement en
place montrent, même s‟il peut être exprimée sous d‟autres et sous diverses formes, que le risque
d‟une telle approche les inquiète et que dans tous les cas cette approche n‟est pas conciliable avec
leurs raisonnements « l’approche de la prévention situationnelle et de la sûreté devient l’objet d’une
question alors qu’elle est d’abord un objet de questionnement ». Il serait très injuste de réduire à cette
124

dimension déterministe, et de manière univoque l‟approche, des gestionnaires du risque lyonnais.
Dans les différents entretiens conduits avec eux leur volonté de ne pas contraindre le projet urbain a
été constamment réaffirmée « le but de la 3CPS est que les maîtres d’ouvrages fassent des choix en
connaissance de cause (sachant que les choix de conception ont des conséquences sur les modes de
fonctionnement) tout en conservant leur liberté, et que les gestionnaires soient au courant de ces choix
afin d’envisager les moyens de gestion ». Une position cependant difficile à vivre et à mettre en
pratique car « contrie » entre leurs souhaits et leur fonction et leur formation qui conduit aussi l‟un
d‟eux à déclarer qu‟en référence aux questions de sûreté « Il faut noter que, lors de l’élaboration d’un
projet on a trois types de risques dits « encourus » : le risque lié à la nature du projet, le risque lié à
l’environnement du projet, le risque lié à la conception et à la gestion ». Dans tous les cas, chez les
concepteurs les divergences d‟analyse exprimées avec celles des gestionnaires du risque, varient en
fonction de la conception plus ou moins changeante d‟un concepteur à un autre, de l‟aménagement
urbain. En cela, le cas lyonnais est assez représentatif des débats sur la question en France. S‟il est un
point sur lequel les concepteurs se rejoignent c‟est que « la prévention situationnelle est surtout (voire
pour certain au mieux) un mode de questionnement qu'on doit (pour certains là encore ce n‟est pas
systématique) poser sur les projets et pas un sujet à traiter en soit » (entretien).
Pour résumer, là encore de manière simpliste la diversité des discours, la sûreté n‟est donc pas du seul
domaine des gestionnaires. Au-delà de ce point commun les positions divergent entre urbanistes, entre
architectes, entre les deux corps de métier parfois. On peut distinguer trois postures assez classiques.
Les concepteurs qui adhèrent à un certains fonctionnalisme urbain et qui se situent parmi les
urbanistes et architectes qui considèrent que la prévention situationnelle est tout d‟abord une question
liée à l‟aménagement urbain. Cette posture renvoie globalement à la notion « d‟espace défendable »
empruntée à la terminologie nord-américaine (« defensible space ») et qui repose sur le principe (le
postulat ?) selon lequel il est des types d‟espace construits propices aux actes délictueux “une
meilleure conception de notre environnement architectural ” doit permettre de “ prévenir la
criminalité ” (Newman O., 1973).
Cette approche qui relativise le rôle et l‟analyse des gestionnaires du risque en est cependant la moins
éloignée. En ce sens elle est par ses fondements relativement assimilables aux approches techniciennes
de la gestion du risque. Tout comme on peut lutter contre l‟inondation par l‟ouvrage et une certaine
conception de l‟espace on peut « résister » se protéger d‟un autre fléau, ici social, la délinquance. Tout
comme il faut aménager l‟espace pour se prémunir des « risques naturels » il faut « aménager
l’espace, les lieux pour prévenir la délinquance ». La question de la sûreté/sécurité devient donc une
question centrale dans le projet urbain. Si cette approche recoupe une partie du discours politique et
des gestionnaires de la sécurité en adhérant fortement à la prévention situationnelle, elle n‟en reste pas
moins indépendante au sens où les intéressés souhaitent être une force de propositions bénéficiant d‟un
accompagnement plutôt que d‟un contrôle contraignant à la réalisation de leur projet. Pour d‟autres,
les projets doivent envisager les questions de sécurité mais comme une question parmi tant d‟autres.
La sûreté est ici envisagée au centre d‟un débat beaucoup plus général qu‟ils distinguent d‟une
approche gestionnaire dont le soucis, selon eux, est de tranquilliser l‟espace en en faisant un critère
essentiel « d‟une qualité de vie », en milieu urbain. Cette opposition de fond traduit un rapport à
l‟espace et plus généralement au territoire différencié « il convient d’arrêter de raisonner la ville en
terme de spatialisme linéaire déterministe où c'est l'espace qui construit des phénomènes sociaux ».
Cette analyse avancée par un concepteur lyonnais, dans les années 1980, ne vise pas à l‟origine les
gestionnaires du risque mais les pratiques antérieurs des urbanistes (notamment celles des années
1970), voire celle en cours précédemment citées (parfois résumé à un urbanisme d‟ingénieur). Elle
s‟opposent donc à un certain urbanisme et logiquement aux approches gestionnaires de la sûreté
urbaine qui sont résumés à l‟analyse « d’un espace sur lequel on identifie des problèmes et on tente
d’y apporter des solutions », soit ou l‟on « détermine » spatialement une réponse à des risques
identifiés. Ainsi dans sa forme la plus ambitieuse le projet des concepteurs tel qu‟il apparaît ici dans
les entretiens accordés par les concepteurs (notamment parmi ceux de fortes responsabilités) se situe
lui dans un projet politique en référence aux constructions sociales, un projet de société voire un «
projet social». Cette ambition qui situe le projet dans « l‟expérience sociale » est donc peu conciliable
avec l‟idée de contrôle et qui plus est de celle d‟une gestion du risque. Ainsi, comme le
125

souligne B Benbouzid (sociologue) « L’espace de l’urbaniste est l’espace de l'action politique et de la
pratique sociale où s'exerce la culture comme ensemble de manière d'être, de faire, de dire et de
penser comme ensemble d'attentes à l'endroit des autres » (entretien 2009). On comprend mieux
pourquoi les premiers entretiens laissaient apparaître que la notion de prévention situationnelle était
relativement peu partagée entre spécialistes de la sécurité et les concepteurs (voir chapitres
précédents). La sécurité (voire la sûreté) en soit sont donc des objets peu mobilisateurs pour ces
concepteurs, et ceci d‟autant moins sous un angle managérial qui s‟oppose à une conception qui pari,
chez certains et pour partie, sur les capacités d‟autorégulation des sociétés urbaines dont la richesse
première est la pluralité et en cela font que les espaces urbains sont naturellement conflictuels 273 .
Si la sécurité et la sûreté ne sont pas assimilables à un projet de société, notamment sous l‟angle de la
« tranquillisation » des villes, on a vu qu‟elles ne sont pas une préoccupation absente du projet des
concepteurs lyonnais, sous une forme d‟analyse plus sociopolitiques recoupant des approches se
référant à des thèmes tel que celui de la mixité sociale 274 180.
Sur les marges de ce constat issu des entretiens accordés, ou en forme de complément, il est cependant
difficile de ne pas faire références aux contingences multiples qui contraignent le discours théorique
sur le projet politique et de manière plus générale aux formes diverses que prennent les enjeux qui
conditionnent les productions effectives des projets urbains. De manière concrète, si certains projets de
restructuration urbaine répondent au moins pour partie au cadre théorique annoncé, nombre d‟autres
paraissent moins en conformité avec l‟ambition qui le caractérise et par ailleurs ne semblent pas
échapper à un certain formalisme voire à des formes d‟approches de type fonctionnaliste peu
compatibles avec la complexité des contextes sociaux, notamment urbains. La mixité sociale telle
qu‟elle est envisagée dans le projet de restructuration urbaine en cours à Lyon « Confluence »
mériterait que l‟on s‟interroge sur l‟efficacité réelle qu‟elle peut avoir dans la résolution complexe «
du vivre ensemble » et en cela à quel fondement du projet politique elle peut être associée. Les enjeux
qui sont à l‟origine de cette restructuration urbaine sont-ils motivés en premier lieux par un projet de
société et si oui lequel ? L‟analyse très fouillée de B. Gauthiez sur la restructuration des quartiers au
XIXe siècle à Lyon appliqué aux contexte actuels traduirait, pour partie, des réponses similaires,
notamment sur la question des « cohérences pratique et économique », comme il le laisse entendre
(voir analyse historique). La restructuration urbaine du centre de Lyon voire des « marges lyonnaise»,
comporte son lot d‟exclusions sociales. En cela les enjeux qui conditionnent la restructuration urbaine
et qui intègre la sûreté ne relèvent t‟ils pas d‟un caractère indirectement, au moins, discriminatoire ?
Dépouillée de son ambition politique la restructuration pratique des quartiers risque de renvoyer aux
questionnements déterministes sur la sûreté, à la question de la sécurité sous l‟angle plus ou moins «
stigmatisé » et souvent réducteur des peurs sociales d‟une population privilégiée ou tout au moins
relativement aisée, soumise au « risque de la délinquance » issu des « populations de passage », voire
locale. Assurer sa « tranquillité » conduira alors à trouver une réponse de type sécuritaire relevant
d‟une gestion technique et managériale « du risque de délinquance ».
En résumé, si le fonctionnement de la 3PCS conduisait à une impasse méthodologique, c‟est avant tout
pour une question de fond qui relève d‟une différence de cultures, qu‟elles trouvent leur traduction
273
Un débat qui s‟est également affirmé su la scène politique lyonnaise entre deux élus aux conceptions
divergentes :
- « Il faut laisser les gens s’approprier l’espace : on n’imagine pas de déviance, on laisse faire « (G. Buna
viceprésident du Grand Lyon en charge de l'urbanisme appliqué et opérationnels, des projets urbains et des
grands projets d'équipement),
- « quoiqu’il en soit, cette concentration va générer des conflits d’usage, imposant une technologie
d’accompagnementdu projet » (J-L. Touraine ; Premier adjoint au Maire de Lyon, en charge, entre autres de la
sécurité/sûreté).
274
Il est a noter qu‟en certains cas cette posture traduit un certains pragmatismes face aux contraintes
rencontrées par les urbanistes dans la pratique. Sur le fond des positions parfois plus marquées se sont
manifestées dans les entretiens qui les situent dans un débat idéologique et politique qui dépasse largement le
cadre lyonnais et les seuls urbaniste ou architecte (on renverra pour exemple à l‟article « Un espace défendable:
L‟aménagement urbain à l‟heure sécuritaire » du sociologue Jean-Pierre Garnier, à l‟ouvrage de l‟historien
Jacques Heers, La Ville médiévale, Hachette, coll. Pluriel, Paris,1990, etc.).
126

dans des pratiques effectives ou un discours théorique. Devant cet échec relatif les gestionnaires du
risque lyonnais souhaitent donc « un autre chose ». Un nouvel élément peut laisser à penser que cette
autre chose n‟a peut-être plus beaucoup de sens depuis 2007 où la politique de l‟Etat en matière de
sécurité urbaine s‟est clairement affirmée. Une politique qui semble laisser peu de place à de nouvelles
initiatives locales.
Sécurité/sûreté et politique de l‟Etat : l‟Etat ingénieur en chef de la gestion du risque sociétal ?
La politique et l‟intervention de l‟Etat 275 en matière de sûreté et sécurité, au cours des deux dernières
décennies, confirment qu‟il est nécessaire de ne pas conférer à une définition particulière une place
trop hégémonique quand on évoque ces deux termes, mais aussi la prévention situationnelle (voir
introduction). Les dispositions récentes prises par l‟Etat, montrent que sa conception de la sûreté
urbaine emprunte en effet tant à la définition proposée par PUCA qu‟à celle d‟Eric Chalumeau sans
pour autant s‟y conformer vraiment. Dans tous les cas, cependant, cette position est claire. En
référence à la définition de PUCA 276 pour l‟Etat le mot « sûreté » permet bien « de distinguer, dans le
champ de la sécurité des biens et des personnes, tout ce qui touche à la jouissance paisible et au
partage des espaces collectifs ». La jouissance paisible en effet, le partage peut-être, mais déjà sous
une acception très spécifique. A l‟évidence, la sûreté serait bien aujourd‟hui « un élément » du champ
de la sécurité, les deux termes semblent même quasi confondus. A l‟inverse l‟idée selon laquelle :
« On peut ainsi l’opposer aux matières qui font depuis longtemps l’objet de réglementation et de
normes incontestées (sécurité incendie, défense contre certains risques naturels, par exemple… » et
que « ce qui caractérise la sûreté est qu’elle ne peut être efficacement traitée comme un objet en soi »
n‟est visiblement par partagée par l‟Etat, tout au moins, si l‟on s‟en tient aux faits concrets mais aussi
de manière presque systématique dans le discours politique. Si pour l‟Etat, elle fait le lien « entre des
cultures et des compétences professionnelles diverses », ce lien est considéré sous un angle très
particulier qui s‟éloigne du sens que lui donne la définition de PUCA. Quand au principe selon lequel
« la prise en compte de la dimension urbaine de la sûreté doit pouvoir faire la synthèse de
connaissances aujourd’hui réparties entre des logiques encore cloisonnées », de manière implicite et
même explicite, il est à craindre que la position de l‟Etat renvoie cette idée à un voeux pieux, pour
l‟essentiel. Selon la définition de E Chalumeaux 277 , la Sûreté « va désigner des risques qui sont à
caractère intentionnel, la malveillance sera le comportement d'un individu mais en dehors du strict
cadre et du respect des procédures » (E Chalumeau, entretien 2008). La sûreté urbaine désigne donc
tous les moyens de réduire, prévenir et contrôler les risques qui sont liés à la malveillance.
Si l‟on considère que la politique de l‟Etat est une politique qui se réfère à la sûreté, la définition est
incontestablement confirmée. Il reste que l‟Etat qualifie plus souvent son action en référence à la
sécurité qu‟à la sûreté 278 184 et que, sous cet angle la distinction proposée avec la sécurité est moins
conforme à l‟approche politique de la question « La sécurité ne désigne pas la malveillance mais elle
désigne des risques qui sont propres au fonctionnement même d'un établissement ou d'une
organisation. Ce sont des risques qui sont générés par le fonctionnement (sécurité incendie, sécurité
au travail, risque industriel sont dans le registre de la sécurité c'est-à-dire des risques qui sont
275
Le terme on l‟admettra est un peu générique et mériterait d‟être précisé. On l‟emploiera cependant par facilité
en référence et à la politique et aux actions des gouvernements successifs de ces dernières années, en matière de
sûreté et sécurité.
276
Que l‟on attribuera logiquement, dans sons sens le plus général et au risque d‟être un peu déterministe, au
monde des concepteurs et des sciences sociales.
277
Que l‟on attribuera de manière plus générale et au risque d‟être là encore un peu réducteur, au monde des
opérateurs « pour les opérateurs privés la sûreté sera définie en tant que stratégie, techniques, moyens et
organisation dont l‟objectif est de prévenir, réduire, gérer les risques de malveillance », texte issu du document
commun de l‟atelier A24 - La sûreté : de la menace aux risques, intervenants : E. Chalumeau (Président ICADE
Suretis) et Pierre Monzani (Directeur I.N.H.E.S.), modérateur Paul-vincent Valtat (Délégué pour la Défense et la
Sécurité – Port Autonome de Paris), Rencontre 2008, de l‟Association pour le Management des Risques et des
Assurances de l‟Entreprise (A.M.R.A.E.), Deauville, 23, 24, 25 janvier 2008.
278
Un constat, pour partie au moins, partagé par les opérateurs « un terme encore peu usité dans l‟administration
qui parle de « sécurité publique » pour qualifier les organisations et les moyens de l‟Etat en charge de la
prévention et de la répression de la délinquance » (2008, Op. Cit.)
127

provoqués par l'organisation ou l'établissement lui-même) », « Il est aujourd’hui communément admis
que le domaine de la sûreté est celui en rapport avec la malveillance, le domaine de la sécurité étant
en rapport avec celui de l’accident » (Bauer A, 2009). Par ailleurs, là encore, la distinction entre les
deux termes au regard des faits concrets mais aussi du discours, se caractérise par de faibles nuances.
Envisager sous cet angle, cette très relative distinction, confirmerait bien « le glissement d’un terme
vers l’autre » évoqué par E Chalumeau (2007, Op. Cit.). Enfin si « La sûreté renvoie à un type de
risque qui sont les risques de malveillance intentionnel », incontestablement l‟action de l‟Etat se réfère
à la sûreté et surtout elle traduit bien que la délinquance, la malveillance, ne sont plus a considérer
comme un fait social mais comme un risque. Un risque défini et abordé de manière très ingénieriale
comme le confirme la traduction rapide de cette nouvelle approche chez les spécialistes de l‟ingénierie
des risques, avec la présence d‟un atelier « La sûreté : de la menace aux risques : un point sur les
nouvelles responsabilités qui pèsent sur vous », mobilisant un intervenant des opérateurs privés de la
sécurité/sûreté (E. Chalumeau), sur le thème « Analyse du risque sûreté et nouvelle ingénierie de la
sûreté », aux rencontres 2008 de l‟Association pour le Management des Risques et des Assurances de
l‟Entreprise (A.M.R.A.E.) (2008, Op. Cit.). Si l‟on accepte enfin de faire de la position de l‟Etat une
référence en matière sémantique, il semble que la question du « partage dans la définition de la
prévention situationnelle » (voir introduction) est réglée, avec une proposition qui ne souffre pas
d‟ambiguïtés de la « prévention situationnelle à la française ». Dans tous les cas, l‟analyse qui suit
montre que si les intentions de l‟Etat s‟ouvrent à de multiples hypothèses pour certaines clairement
explicites, d‟autres plus implicites, son message est clair sur le choix de sa politique en matière de
sécurité/sûreté. Si les conséquences de ses choix, diverses ne sont pas toujours simples à évaluer, nous
nous permettrons quelques hypothèses référant aux thèmes abordés dans les chapitres précédents, en
conclusion de ce chapitre.
Politique et action de l‟Etat en matière de sûreté/sécurité : la prévention
situationnelle à la française 279
Une « histoire » déjà ancienne: 1994 à 2007
Si la Loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance constitue la référence en la matière, son
esprit est déjà inscrit dans la loi d‟orientation et de programmation relative à la sécurité, dite « Loi
Pasqua », du 21 janvier 1995, tant dans les justifications apportées à la politique de l‟Etat pour « la
lutte contre la délinquance » que dans les dispositions qui ont été prises. Pour rappel, c‟est à la fin de
l‟année 1994, à la suite d‟une période marquées par « les violences urbaines » (pour exemple: les
Minguettes à Lyon en 1981, Vaulx-en-Velin en 1990 ou encore Mantes-la-Jolie en 1991, etc..), que le
gouvernement Balladur soumet un projet de loi aux assemblées afin d‟apporter « des remèdes et des
solutions » aux « problèmes de délinquance et d‟insécurité grandissants ». Portée par le ministre d‟Etat
Charles Pasqua, alors ministre de l‟intérieur et de l‟aménagement du territoire, La Loi d‟Orientation et
de Programmation relative à là Sécurité (LOPS) traduit cette volonté politique. Si l‟action des
gouvernements qui lui succèdent ne traduit pas une réalisation très concrète de l‟ensemble des
279 La plupart des informations fournies dans cette étude proviennent du travail de recherche de Clément Robert,
Etudiants du Master GRCT dans le cadre d‟une collaboration entre le Laboratoire de recherche RIVES
(E.N.T.P.E.) et le L.C.R.E. de l‟Université Lyon 3, tous deux rattachés à l‟UMR 5600 du C.N.R.S. EVS, sous la
direction et le suivi de Bilel Ben bouzid (E.N.T.P.E.) et Jacques Comby (Univ-lyon3). Ce travail consistait pour
l‟essentiel en la constitution d‟un corpus scientifique sur trois thèmes référents à l‟action de l‟état en matière de
prévention situationnelle, soit pour l‟essentiel : la réglementation (texte de lois et débats parlementaires),
dispositif et acteurs (dont notamment commissions de sécurité et référents sûreté). Il a donné lieu à la production
d‟un document annexe au rendu du travail de 600 pages de sources et document d‟information). Le corpus
scientifique à été construit à partir des sources bibliographiques et archive référent au sujet et à une série
d‟entretien notamment auprès du Service Information- Sécurité considéré comme l‟un des services pionniers en
matière de prévention situationnelle en France, de la préfecture de police de Paris (S.I.S.), des référents sûreté de
la gendarmerie et de la police nationale, dans un premier temps de l‟Ile-de-France (considérant là encore la
dimension pionnière de l‟Ile-de-France au-delà du cas spécifique lyonnais), puis en fonction des besoin de
l‟étude et de son avancée du Rhône, de l‟Isère et de Bouches-du-Rhône.
128

dispositions prévues par la loi (le texte n‟ayant pas toujours eu d‟application réelle), l‟esprit de ces
dispositions aboutira, entre autres, à la volonté concrète d‟une maîtrise de l‟urbanisme dans le cadre
d‟un dispositif de prévention situationnelle. Ainsi, pour ne retenir que l‟essentiel, la L.O.P.S. de 1995
met en place le fondement des actions de l‟Etat traitant des questions de sécurité en relation avec
l‟urbanisme (même si la prévention situationnelle n‟est pas encore explicitement citée), la loi
d‟Orientation et de Programmation pour la Sécurité Intérieure de 2002 (N. Sarkozy est alors Ministre
de l‟Intérieur), qui s‟appuie cette fois explicitement sur les expériences étrangères en matière de
prévention situationnelle 280 , confirme le besoin « d‟investir » l‟urbanisme dans la sûreté et enfin la loi
relative à la Prévention de la Délinquance de 2007 (Michèle Alliot-Marie est Ministre de l‟Intérieur),
douze ans plus tard, renforce la politique de prévention situationnelle contre la délinquance et rend
effective les dispositions visant à une maîtrise de l‟urbanisme 281 .
La justification avancée de cette politique dite de « lutte, combat,.. » contre la délinquance, dont on
rappellera que l‟origine fait suite aux « violences urbaines» et qui s‟appuie sur une prévention
situationnelle « à la française », est sans grande surprise et nous ne nous y attarderons pas.
L‟analyse des fondements de cette justification sera laissée à la liberté du lecteur (voir quelques
références de bas de texte, pour exemples). Elle part d‟un constat proposé par l‟Etat en 1994, que l‟on
qualifiera tout de même de stigmatisant sans pour autant nier les problèmes, dans lequel la délinquance
et ses auteurs sont « montrés du doigt ». Dans ce constat les causes éventuelles de la délinquance sont
peu évoquées et on insiste surtout sur ses effets, dans une logique de maintien de l‟ordre. Un deuxième
argument majeur, lié au premier, est que la délinquance constitue une menace, « un risque majeur »,
pour les valeurs républicaines (Liberté, égalité, fraternité), la démocratie, les Droits de l‟Homme, etc..
En conséquence l‟Etat, garant de ces valeurs, se doit d‟agir 282 .
280 Le terme apparaît pour la 1ère fois à Lyon dans la fiche d‟action n°24 du Contrat Local de Sécurité, signé en
1998 mais élaboré dès 1997.
281 Le texte du code de l‟urbanisme est modifié par les deux lois successives du 21 janvier 1995 et du 5 mars
2007. La démarche de réalisation des Etudes Préalables de sécurité publique vient en application de l‟article L
111-3-1 du code de l‟urbanisme.
282 Charles Pasqua, introduit son discours de présentation de la L.O.P.S. sur la nécessité de résoudre les
problèmes qui mettent à mal un « droit fondamental de tout citoyen français…, l’Etat est porteur de la réponse à
« l’exigence légitime…,. un retour à la paix civile…., Paix civile qui est voulue par tous…., La liberté d’aller et
de venir sans crainte, le droit d’exprimer et de communiquer ses opinions, le droit de propriété, voilà les valeurs
républicaines qui fondent notre conception de la vie en société et l’organisation de nos institutions. Il est clair
qu’elles n’ont de réalité concrète qui si nous sommes en mesure de protéger les personnes et les biens contre les
agressions et les menaces ».
« L’article II de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen place la sûreté parmi les « droits naturels et
imprescriptibles » de l’Homme, au même titre que la liberté elle-même. Cet article rappelle que, précisément, le
but de toute « association politique » est la conservation de ces droits. Exprimés dans une terminologie plus
contemporaine, ces principes amènent à reconsidérer la notion de sécurité. La sécurité des personnes n’est pas
seulement un élément de notre environnement social parmi d’autre, mais un véritable droit fondamental dont
l’Etat doit garantir l’effectivité et le renforcement…, Cette négation hypocrite des droits de l’Homme, par
ailleurs si fortement et si fréquemment affirmés dans notre loi fondamentale, porte, insidieusement atteinte aux
fondements de la démocratie : liberté et égalité ne se conçoivent qu’à travers un état de droit qui distribue à
tous, et partout, sur le territoire national, les mêmes chances et les mêmes protections» (Paul Masson, rapporteur
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et
d‟administration générale, extrait du rapport réalisé par le rapporteur, le 30 juin 1994. « Ce sont, en effet, les
libertés qui sont menacées quand et là où l’Etat n’assure plus les prérogatives qui sont les siennes. Ce sont les
libertés qui sont menacées quand dans certains quartiers, l’exclusion sociale, liée à une urbanisation inadaptée,
à la progression du chômage, à la ségrégation sociale et à l’augmentation de la délinquance ; engendre une
spirale du déclin et la création de nouveaux ghettos urbains. Ce sont ces libertés qui sont menacées partout où
des zones de non-droit, et c’est inacceptable à tout esprit républicain » (Extrait du discours de Charles Pasqua,
Ministre d‟Etat, Ministre de l‟intérieur, lors de la discussion générale autour de la loi d‟Orientation et de
Programmation relative à la Sécurité déposée au Sénat le 22 juin 1994)
« Il n’y a plus, pour moi, d’égalité devant la loi, il n’y a plus d’Etat de droit, lorsque certaines catégories de
citoyens, les plus défavorisés, les plus modestes, les plus âgés, sont privés du droit à la sûreté, qui est un
fondement du pacte social. Les politiques publiques que met en oeuvre le gouvernement ont bien cette ambition :
sauvegarder notre communauté nationale des périls qui la menacent en luttant d’abord contre toutes les formes
129

Si les arguments avancés en 2007, recoupent globalement ceux avancés en 1994, la justification du
pouvoir s‟aventure dans un exercice difficile qui consiste à confirmer l‟efficacité des premières
mesures en insistant sur la nécessité de les renforcer. Il est toujours question des effets plus que des
causes. En résumé, il faut poursuivre et intensifier la politique de luttes contre la délinquance parce
qu‟elle a été efficace (chiffres à l‟appui, qui ont suscité et suscitent toujours un fort débat) mais aussi
parce qu‟elle a évoluée 283 (sur ce sujet, il est fait référence à des actes de « violence visibles » 284 )190.
Dans ce contexte « L’Etat se voit dans l’obligation de renforcer et d’adapter les moyens de lutte
contre l’insécurité et la délinquance…, moyens de lutte qui doivent être mieux adaptés à la réalité de
la société française ».
Esprit de la loi de 2007 sur la sûreté et l‟urbanisme : responsabilisation et obligation
Si la volonté de renforcer le « combat contre l‟insécurité et contre la délinquance » insiste sur le
maintien de l‟ordre (en quelque sorte la gestion de crise), il accorde une attention désormais très
particulière à la prévention. Elle est envisagée avec une intention précise, éviter le passage à l‟acte,
mais sous deux angles jugés efficaces et complémentaires. La répression (sanction) qui est estimée
dissuader le passage à l‟acte, reste « le premier outil de la prévention » 285 mais elle doit être compléter
« soulager » par d‟autres formes de prévention, définies sous une acceptation assez large 286 (qui
englobe entres autres l‟Education 287 ) et qui doivent mobiliser tous les acteurs institutionnels du
territoire. Chaque acteur se trouve alors chargé dans ses compétences de lutter contre la délinquance,
d’exclusion. La politique de sécurité participe au premier chef de cette ambition » (Charles Pasqua, 1994,op
cité). « Tout déficit de sécurité devient une insuffisance de solidarité, perçue comme une injustice profondément
ressentie dans la population…., L’Etat ne peut accepter une sécurité à deux vitesses… » (Paul Masson, 1994, op
cité).
283 Pour Nicolas Sarkozy, alors ministre d‟Etat, ministre de l‟intérieur et de l‟aménagement du territoire, il faut
poursuivre les efforts engagés : « Depuis 2002 la délinquance a globalement reculé dans notre pays de près de 9
%, du fait d'une activité considérable des policiers et des gendarmes, ainsi que de l'adaptation de leurs méthodes
de travail ». Le rapport du 8 novembre 2006 présidé par Philippe Houillon pour le compte de la commission des
lois constitutionnelles, de la législation et de l‟administration générale, note « un nombre de victimes épargnées
s’élevant à prés d’un million ». En revanche, il est souligné que certaines formes de violences et de délinquances
se sont développées et « apparaissent inacceptables aux yeux de la société », soit : « la délinquance des mineurs
qui a augmenté de prés de 80% en l’espace de dix ans » et que « L’Etat veut renforcer ses moyens de lutte
répressifs…, contre cette catégorie de délinquance ».
284 « Mama Galledou n’avait rien demandé à personne. Ses parents, vivant à Dakar, ont sacrifié une grande
part de leurs maigres moyens pour lui payer des études, qu’elle a conduites jusqu’à l’obtention de son diplôme.
Elle monte dans un bus, ce qui n’est pas en soi prendre un risque, et voit sa vie brisée par une agression
aveugle. Cela n’est pas humainement acceptable, quel que soit le profil de l’agresseur». Extrait du compte rendu
n°7 de la séance du mercredi 8 novembre 2006 à l‟Assemblé Nationale synthétisant le discours de Nicolas
Sarkozy, ministre d‟Etat, ministre de l‟intérieur et de l‟aménagement du territoire. Rapport présidé par Philippe
Houillon
285 Une sanction ferme est nécessaire pour punir les auteurs de ces actes indignes. La sanction est donc le
premier outil de prévention. Cette considération est incontournable. Elle n’est ni de gauche ni de droite, mais
relève du bon sens (Extrait du compte rendu n°7 de la séance du mercredi 8 novembre 2006 à l‟Assemblé
Nationale synthétisant le discours de Nicolas Sarkozy, op cité.
286 « Dans le respect des libertés individuelles dont l'autorité judiciaire est garante, elle s'exerce en direction des
victimes et des auteurs d'infractions, par des mesures actives et dissuasives visant à réduire les facteurs de
passage à l'acte et de récidive, soit par la certitude d'une réponse judiciaire adaptée, soit en intervenant sur les
processus de commission de l'infraction, ou encore en favorisant une moindre vulnérabilité de la victime
potentielle » (Extrait de « l‟exposé des motifs » du projet de loi relatif à la Prévention de la délinquance de
2007).
287 Il convient d'apprendre aux enfants, dès le plus jeune âge, pourquoi il existe des règles indispensables à la
vie en société et pourquoi il est impératif de les respecter. Le message à diffuser est que le respect que l'on
attend des autres passe d'abord par celui dont on doit faire preuve à leur égard. Le repérage et l'appropriation
des limites constituent une pédagogie nécessaire à la construction de soi et à l'apprentissage de la vie sociale
(2007, op cité).
130

notamment sous la forme d‟un travail en partenariat où chacun apporte « son savoir-faire et son
expérience ». Dans ce cadre, les moyens des collectivités seront renforcés, elles pourront être assistées
dans leurs actions par la police, la gendarmerie, la justice… Si l‟Etat procède donc à une certaine
délégation des compétences et des responsabilités, surtout à une mobilisation, il en conserve le
contrôle. Le représentant de l‟Etat à l‟échelon territorial, le préfet, demeure le garant du bon respect du
fonctionnement de ce travail en partenariat et des actions menées.
Au centre de ces actions de prévention et dans leur dimension partenariale, la prévention
situationnelle, tient une place essentielle et les actions qu‟elle conduira à développer sont clairement
destinées à l‟urbanisme et aux constructions. L‟Etat se propose d‟intervenir sur l‟espace et les
constructions, en impliquant les maîtres d‟ouvrage. On rappellera que sans être citée en tant que tel, la
prévention situationnelle apparaît dès la loi de 1995 d‟Orientation et de Programmation relative à la
Sécurité, ainsi que la prise en compte de l‟urbanisme. Le maître mot sur ce sujet, exprimé est déjà à
l‟époque la « responsabilisation » en passant par « l‟obligation », notamment en ce qui concerne les
maîtres d‟ouvrage telles que les communes 288 .
Une conception ingénieriale et technique de la prévention en matière de sureté/sécurité, issue de la
gestion des risques industriels le législateur en 1994 s‟est clairement inspiré d‟un modèle issu de la
gestion des risques technologiques pour encadrer les aménagements et les constructions 289 . Le modèle
choisi pour servir de support à cet encadrement est l‟étude d‟impact issue de l‟article 2 de loi du 10
juillet 1976 relative à la protection de la nature. Il est prévu que le modèle soit « adapté » aux
questions de sécurité et les termes « étude de sécurité publique » seront préférés à ceux d‟étude
d‟impact (termes proposés par la commission de loi sous la justification qu‟ils répondent mieux aux
impératifs de sécurité publique). Le champ d‟application de l‟étude de sécurité doit être également
élargi et doit définir l‟implication des collectivités 290 . Il est à noter que si le projet de la loi
d‟Orientation et de Programmation Relative à la Sécurité a donner lieu à de nombreux débats à
l‟Assemblée Nationale
et au Sénat sur les causes et les solutions à apporter pour « combattre » la délinquance et les
violences urbaines, l‟article 11 de la loi référent à la prise en compte par les maîtres d‟ouvrages les
questions de sécurité 291 , a soulevé moins de passion (les réserves les plus fréquentes proviennent de
quelques élus communistes). Cependant cette disposition, qui pose de lourdes questions de fond
notamment sur le rôle des concepteurs et sur leur « conception » du projet urbains (et qui a suscité
cette fois de forts débats internes ou informels), est l‟une des seuls qui ne sera pas mis en application.
En effet si le texte de loi initial prévoit qu‟un décret d‟application définira les degrés d‟implication et
de contrainte auxquels seront soumis les maîtres d‟ouvrages pour la réalisation d‟études de sécurité
publique, en définitive le décret d‟application ne fera pas mention des études de sécurité. Il faudra
attendre la loi relative à la Prévention de la Délinquance de 2007 et la mise en application des études
de sécurité pour les projets de plus de 100 000 m2 de surface (en zone urbaine de plus de 100 000
habitants) et des projets d‟Etablissement de Première catégorie (plus de 1 500 personnes), qui auraient
288 « Il a ensuite estimé que les tâches de la police pourraient êtres allégées par la prise en compte des
impératifs de sécurité dans diverses réglementations, ainsi en matière de constructions et d’aménagement d’une
certaine importance qui seraient désormais soumis à une analyse de leur impact sur la sécurité, des mesures
similaires étant envisagées pour les centres commerciaux et les autoroutes, cela afin d’obliger les promoteurs ou
les maîtres d’ouvrage à réfléchir préalablement aux problèmes de sécurité » (Extrait du rapport du 30 juin 1994
réalisé par Paul Masson, op cité).
289 « les aménagements et les constructions font l’objet d’une analyse d’impact permettant d’en apprécier les
conséquences dès lors qu’ils sont susceptibles d’avoir des incidences sur la protection des personnes et des
biens» (rapport de la commission de loi).
290 «Les projets d’aménagement foncier mentionnés au livre troisième du code de l’urbanisme relèvent, en vertu
de l’article L.300-1 de celui-ci, des collectivités locales ou des établissements publics de coopération
intercommunale et ne sont pas toujours soumis, au sens strict du terme, à une autorisation administrative. (…)
En conséquence votre commission juge opportun de préciser expressément que les opérations entreprises par
une collectivité publique pourront également être soumises à une analyse de sécurité publique » (Extrait de
l‟avis de la commission des lois présidée par Paul Masson annexé au projet de Loi d‟Orientation et de
Programmation relatif à la Sécurité présenté au Sénat le 22 juin 1994).
291 Article 9 de la loi sur les études d‟impact modifier par l‟amendement n°22 déposé au Sénat par Paul Masson,
qui devient l‟article 11.
131

dû voir le jour à la suite de la loi d‟Orientation et de Programmation relative à la Sécurité de 1995,
pour que l‟implication des maîtres d‟ouvrages en matière de prévention situationnelle deviennent
effective en référence à l‟article 10(14) de la nouvelle loi 292 .
Cet article, une nouvelle fois, ne générera que peu de débats que l‟on peut résumer à une opposition
entre une argumentation de type sécuritaire et une autre s‟inquiétant « justement » d‟une dérive
sécuritaire et sur l‟efficacité des dispositifs envisagés 293 .
En résumé, après un cheminement relativement long, la politique de l‟Etat en matière de sûreté urbaine
aboutit à un dispositif par lequel les acteurs compétents dans la réalisation de projets d‟aménagement
et de construction (institutionnels et opérateurs privés) se trouvent contraints de réaliser des Etudes de
Sûreté et de Sécurité Publique (E.S.S.P.) en prenant en compte les impératifs de sécurité issus de la
prévention situationnelle définit par l‟Etat. L‟Etat insère à ce dispositif des outils de contrôles : la
sous-commission départementale de sécurité et les Référents Sûretés.
Un dispositif contraignant et sous contrôle fondé sur une expertise sécuritaire et ingénieriale
Les sous-commissions de contrôle départementales
La prise en compte des questions de prévention situationnelle pour l‟Etat passe donc essentiellement
par des apports de solutions techniques en vue de résoudre les problèmes de délinquance. Le « Guide
des études de sûreté et de sécurité publique » proposé pour « aider » les maîtres d‟ouvrage ou bureaux
d‟étude délégués, chargés de la réalisation d‟une E.S.S.P., à respecter au mieux les impératifs de
sécurité à prendre en compte dans les projets d‟aménagement, en est une illustration 294 . Le décret
292 C‟est l‟article 10 de la loi de 2007 qui « réaménage » les dispositions légales pour la réalisation d‟études de
sécurité publique en amont de projets de construction ou d‟aménagement en fonction d‟un seuil de taille. Le
décalage dans le temps entre la proposition de 1995 et l‟application de 2007 est justifié comme suit « Une des
raisons était l’impossibilité de définir des normes précises en matière de sécurité publique qui soient
reproductibles sur tout type de projet urbain ou architectural » (Extrait du rapport réalisé par Jean-René Lecerf
annexé au procès verbal de la séance au sénat du 30 juin 2006). D‟autres justifications diverses ont été apportées,
pour exemple « immédiatement elle (la loi de 1995) fait l’objet d’un tire de barrage digne du mur de l’Atlantique
par les troupes coalisées du ministère de l’Equipement qui a tout tenté pour empêché sa mise application ; il y a
réussi pendant douze ns. Au nom du monopole de son action sur la gestion des permis de construire et
d’aménagement » Bauer A, 2009, (Professeur titulaire de la chaire de criminologie du Conservatoire nationale
des Arts et Métiers. Président du Conseil de l‟Observatoire de la délinquance). On notera que trois articles (10,
11 et 12) traitent de la prévention situationnelle dans la nouvelle loi qui ajoute à ses premiers objectifs associés à
la lutte contre la délinquance, soit garantir sécurité et tranquillité, celui d‟améliorer le cadre de vie.
293 On notera pour l‟anecdote la réaction de Lilian Zanchi, député socialiste du Rhône qui apporte son soutien au
projet « Je tiens à vous féliciter de cet article, à propos duquel je remercie le rapporteur d’avoir rappelé dans
son rapport écrit l‟expérience de la ville de Lyon qui, du fait de la non-publication des décrets d‟application des
articles 10 et 11 de la loi d‟orientation et de programmation relative à la sécurité de 1995, a souhaité dès 2001
mettre en place une commission consultative communale de prévention situationnelle, encore appelée la « 3CPS
» » (Extrait des discussions autour de l‟article 10 (14) à l‟Assemblé Nationale du 29 novembre 2006).
On notera encore que les architectes font leur entrée dans ce débat politique par l‟entremise de Jean René Lecerf,
Rapporteur de la Commission des lois pour le Sénat « Je rappellerai que M. Bernard Figiel, président du
Conseil national de l'ordre des architectes, a déclaré, au cours de son audition par la commission, que
l'architecture et l'urbanisme avaient des réponses fortes à apporter en matière de sécurité, à condition que cette
préoccupation soit prise en compte dans la phase d'élaboration des projets. Il a ajouté que de nombreux
principes pouvaient guider la réflexion : la visibilité, la lisibilité, le contrôle naturel de l'accès, la territorialité
afin de permettre l'appropriation des lieux par les usagers, la socialisation de l'espace, afin de favoriser la
fréquentation de celui-ci. Nous ne voyons pas pourquoi nous devrions nous priver de cette approche
situationnelle de la prévention de la délinquance, qui nous paraît tout à fait utile » (Extrait des discussions
autour de l‟article 10 (14) au Sénat du septembre 2006).
294 Les acteurs compétents doivent fournir un cahier des charges remplissant tous les critères d’un bon E.S.S.P.
cahier des charges appelé « PC 16 » doit comprendre : Un diagnostic de sécurité qui doit comporter une étude
des risques et des menaces à la périphérie et à l‟intérieur du projet. Après avoir réalisé le diagnostic le cahier
des charges doit mettre en avant les potentielles solutions envisagées. Les préconisations : qu‟elles soient
132

d‟application du 3 août 2007 impose également que les E.S.S.P. soient étudiées par un groupe
d‟acteurs réunis sous la forme d‟une sous-commission, regroupant différents de métier mais travaillant
et oeuvrant dans des domaines en relations avec la sécurité et l‟urbanisme 295 (le nombre des
intervenants de mobilisables dans le domaine de l‟urbanisme n‟est pas précisé). Sans entrer dans le
détail du fonctionnement de ses commissions, on peut souligner une disposition dont les conséquences
pourraient ne pas être sans effets et qui traduit, notamment, l‟ampleur du contrôle possible de l‟Etat
sur les opérations d‟urbanisme. Le pouvoir de contrôle et d‟orientation conféré au Préfet au sein des
commissions est très fort. Il peut en effet adapter la loi à sa convenance afin de répondre aux
impératifs de sécurité qu‟il estime important à atteindre. Ce pouvoir d‟adaptation permet notamment
de contraindre les collectivités et les promoteurs, dont les projets de constructions et d‟aménagements
ne sont pas définis dans le décret d‟application du 3 août 2007, à la réalisation d‟Etudes de Sûreté et de
Sécurité Publiques. Ainsi le seuil de 100000 m2 et/ou celui de 100 000 habitants (57 unités urbaines
en France, dont évidemment Lyon) peuvent être redéfinis 296 , pour exemple, en fonction de la taille des
communes d‟un département (population inférieure à 100 000 habitants). Des circonscriptions n‟étant
pas visées par la loi pour des raisons similaires pourront être associées à d‟autres circonscriptions plus
importantes afin d‟être soumises aux E.S.S.S.P. 297 . En résumé les ESSP pourraient donc, dans
l‟absolu, s‟étendre à tous les projets, ou presque par une adaptation de la loi à la convenance de la
Préfecture. L‟Etat s‟est donné une deuxième « armes de contrôle » les référents sûretés. Là encore le
rôle de ses référents montre que leur fonction d‟expertise est envisagée sous un angle essentiellement
technique, qu‟elle peut s‟exercer bien au-delà des E.S.S.P. sous des formes larges et parfois
inattendues et qu‟elle caractérise, là encore, la prévention situationnelle à la française définie par
l‟Etat.
humaines, techniques ou encore organisationnelles, elles doivent proposer des solutions aux effets du projet en
matière de sécurité en fonction de la délinquance. Ce cahier des charges rempli et un phasage des actions à
mener l‟E.S.S.P. sont joints à la demande de permis de construire. Ils ont deux mois pour être étudiés et pour être
passés en commission qui se penche sur le projet et donne un avis soit favorable ou défavorable.
295 La commission doit regrouper sous l‟autorité du préfet ; des acteurs institutionnels : Le maire de la commune
concernée par le projet, le directeur départemental de la sécurité publique (D.D.S.P.), le commandant de
groupement de gendarmerie départementale (C.G.G.D.), le directeur départemental de l‟équipement (D.D.E.) et
le chef du service départemental d‟incendie et de secours (S.D.I.S.), des acteurs choisis, compétents en matière
de construction, d‟architecture et d‟aménagement (pour exemple dans le Rhône, il a été décidé d‟intégrer à la
sous-commission de sécurité un représentant de la Société d‟Equipement du Rhône et de Lyon (S.E.R.L.,qui est
une S.E.M.) un partenaire historique des projets de renouvellement urbain dans le Rhône.
296 « Il faut savoir qu'en Seine Saint-Denis et dans les grandes agglomérations, il n'y a pas beaucoup de
communes en Seine-Saint-Denis qui ont plus de 100 000 habitants. Mais le décret laisse la possibilité à chaque
préfet d'étendre... Quand on parle de zones de plus de 100 000 habitants en Seine-Saint-Denis est considéré le
département dans son ensemble. C'est un département spécifique encore une fois. Là, on est en Seine-Saint-
Denis donc sur l'ensemble du département on a actuellement des projets de rénovation urbaine. Il y a en plus de
soixante-dix. Tous les projets ne sont pas concernés par le décret puisque des permis de construire ont été
déposés avant. Néanmoins, monsieur le préfet a souhaité une prise en compte des problèmes de la prévention
dans l'aménagement urbain. Donc, à la demande du préfet, nous sommes associés à un certain nombre de ces
projets de rénovation urbaine (Extrait d‟un entretien avec un référent sûreté de la police nationale le 14 mai
2009). La circulaire d‟application prévoit en effet que le Préfet « peut définir sur le fondement d’une analyse
objective de la situation, le ou les périmètres géographiques au sein desquels s’imposera l’obligation de réaliser
une ESSP » et « le Préfet peut également au sein du périmètre retenu déterminer la catégorie d’ERP (voir supra
les catégories d’ERP 1 à 5 existantes) et la superficie des aménagement concernés dont la construction et la
réalisation sont soumises à l’obligation de l’ESSP (Bauer, 2009, op cité). Pour rappel de la catégorie 5 : «
établissement faisant l’objet de l’article R 123-14 dans lesquels l’effectif du public n’atteint pas le chiffre
minimum fixé par le règlement de sécurité pour chaque type d’exploitation » (article R 123-19 du code de la
construction et de l‟habitation, qui classe en catégorie les ERP d‟après l‟effectif du public et personnel).
297 Dans le Rhône et l‟Isère « Les zones de gendarmeries ont très peu d'agglomérations de 100 000 habitants, de
ZAC de 100 000 m² et d'établissements recevant du public... Mais je sais qu'il y a eu une démarche et que les
préfets peuvent descendre en dessous de ce seuil…, dans le Grand Lyon on a des communes comme Rillieux-la-
Pape, comme Chassieux, Saint Laurent de Mur où l’ on risque d'avoir un jour ou l'autre à faire des enquêtes
comme ça » (Extrait d‟un entretien avec un référent sûreté de la Gendarmerie Nationale le 5 juin 2009).
133

Les référents sûretés : du conseil au contrôle et à la diffusion : les nouveaux ingénieurs de la sûreté
Les référents sûreté peuvent être apparentés à des experts du contrôle, mais aussi des solutions
techniques envisageables, en matière de sécurité urbaine contre la délinquance. Les termes qu‟ils
attribuent à leur fonction en témoignent et contribue à qualifier clairement la Prévention
situationnelle à la française : Prévention Technique de la Malveillance (P.T.M.) 298 , de même que leur
origine professionnelle et donc leur formation initiale. Les référents sûretés sont issus de deux corps de
métier : la Police nationale et la Gendarmerie nationale, et ils agissent dans leur domaine de
compétence dans chaque département 299 . La justification principale avancée au recrutement dans ces
deux corps de métiers est l‟expérience du terrain (confrontation aux phénomènes de violences et aux
actes de délinquance) et la bonne connaissance de la délinquance dans leur circonscription. Cette
justification est partagée par les intéressés eux même 300 . Leur formation est assurée par le Centre
Nationale d‟Enseignement et de Formation (C.N.E.F.) à Gif-sur-Yvette et s‟étale sur une période
courte de trois à quatre semaines. Le principe annoncé est de parvenir à « une mise à niveau des
connaissances sur le métier de référent sûreté » d‟un personnel dont l‟origine professionnel confère «
une bonne connaissance des pratiques de la délinquance sur le terrain ». Selon les intéressés, l‟accent
est donc mis sur la prévention situationnelle et sur l‟urbanisme qui sont des domaines qu‟ils
connaissent peu, à partir d‟une formation technique et selon des méthodes ingénieriales assimilables, à
l‟occasion à la gestion classique des risques (notamment dans les analyses spatiales de la question).
Parmi les modules essentiels enseignés on trouve la réglementation et les principes de prévention
situationnelle, et celui sur l‟urbanisme et l‟architecture dont l‟enseignement est résumé sous cette
forme par un référent sûreté « La base technique qu’ils nous ont donné, c’est ce qu’on appelle nous
des éléments de langage qui permettent de pouvoir converser avec des partenaires. On a fait
notamment une visite avec des architectes sur la défense à Paris où là ils nous ont expliqués ce que
c’était un avant projet, un projet, une esquisse etc.… toutes les phases de l’architecture, du projet
d’architecture, les termes techniques qu’on ne connaissait pas forcément. Et ça nous permet d’être sur
un pied d’égalité quand on discute avec eux » (Extrait d‟un entretien collectif effectué avec des
référents sûretés de la gendarmerie nationale le 12 mai 2009).
Une forte partie de la formation est également consacrée à la connaissance technique en matière de
construction et de matériaux (résistance des portes, etc..), à la vidéo-protection (nouveau terme préféré
298 Extrait d‟un entretien collectif effectué avec des référents sûretés de la gendarmerie nationale le 12 mai 2009.
La prévention situationnelle étant considérée comme une notion théorique, en particulier anglo-saxonnes, par
l‟interlocuteur il précise « Il y a une différence de culture entre les Anglo-saxons et la France. Il a fallu qu’on
adapte les théories et c’est là qu’est née, dans la discussion entre la police et la gendarmerie, la PTM. Parce
qu’il y avait des attitudes et une culture latine qui étaient différentes des anglo-saxons. Il y a aussi la culture de
la surveillance entre voisin qui n’est pas du tout quelque chose d’habituel dans les pays latins. Les gens sont
beaucoup plus indépendants et ne regardent pas ce qu’il y a en face. Il a fallu développer cette notion. Il a fallu
mettre la délinquance devant la fenêtre des gens pour qu’ils aient tendance à aller appeler. Aussi, on a
beaucoup insisté sur le sentiment de bien être, un peu plus que dans les pays anglo-saxons. Enfin, on a insisté
sur la facilitation de l’intervention des forces de l’ordre et de secours, ce qui n’existait pas à ma connaissance
dans les théories de la prévention situationnelle… d’un point de vue technique on va dire. C’est-à-dire : éviter
de se faire « caillasser » sur les voies, permettre l’arrivée des forces de maintien de l’ordre etc., et pouvoir aussi
s’échapper aussi vite qu’on est arrivé ».
299 Les villes de plus de vingt mille habitants sont du domaine de compétence de la Police nationale soit 5 % du
territoire français mais 50 % de la population. Les autres villes et le reste de la France est en zone de compétence
Gendarmerie nationale.
300 « Le référent sûreté, quand il va travailler, va travailler par rapport à un environnement professionnel qui est
à lui, qu’il connaît malheureusement tous les jours, qui est celui de la délinquance locale. Ça, c’est une
appréhension qui est propre au gendarme en la matière et qui n’est pas connu du public et tant que tel. Hormis
la possibilité d’avoir connaissance de certains fait parce qu’on y était associé, parce qu’on les a vus dans la
presse, parce qu’on l'a entendu parler à la radio. Mais la délinquance est relativement large. Et le gendarme qui
travail dans une unité ou un département à la possibilité de pouvoir accumuler toute cette connaissance en
terme de délinquance. Donc, de mieux la connaître, de mieux en connaître ses techniques… s’il en connaît mieux
les techniques il peut à partir de là faire des préconisations en conséquence » (Extrait d„un entretien collectif
effectué avec des référents sûretés de la Gendarmerie Nationale le 12 mai 2009).
134

à celui de vidéosurveillance, par les gestionnaires de la sécurité en générale et les acteurs qui
l‟utilisent). L‟un des aspects les plus marquants de la fonction d‟expertise technique du référent sûreté
est la diversité des services qu‟il doit pouvoir rendre, puisqu‟il fait office de conseilleur mais aussi de
contrôleur, en matière de prévention contre la délinquance. L‟intervention des référents sûretés se
décline, sous ses différentes formes et à plusieurs niveaux.
- Le conseil et le contrôle par les avis sur E.S.S.P. :
Les référents sûretés interviennent en premier lieu en amont du projet. Ils sont une ressource pour les
maîtres d‟ouvrages qu‟ils conseillent en matière de sécurité afin d‟élaborer au mieux
l‟E.S.S.P. 301 . En second lieu, ils interviennent dans le travail de la sous-commission de sécurité pour sa
mission de contrôle. Accompagnant le dossier de demande de permis de construire 302 , le PC 16, partie
E.S.S.P., est envoyé aux référents sûretés afin qu‟ils puissent étudier le dossier. Lors du passage en
sous-commission le référent sûreté en charge de l‟étude du dossier exprime alors son opinion sur
l‟E.S.S.P. Son avis est enregistré par les membres de la sous-commission qui en tiennent compte lors
de la délivrance de l‟avis (favorable ou non). Ainsi le référent sûreté, en quelques sortes juge et partie,
est un acteur quasi incontournable pour le maître d‟ouvrage.
- Le conseil par le diagnostic de sécurité et la consultation
Considéré comme un « acteurs du service rendu au public » le référent sûreté travaille sur deux autres
formes de conseils destinées à d‟autres « cibles », notamment dans le cadre des diagnostics de sécurité.
Les diagnostics de sécurité sont des documents rédigés en vue d‟améliorer la sécurité aux abords et à
l‟intérieur de constructions déjà existantes. Ils sont destinés aux conseils et aux préconisations pour
sécuriser essentiellement les administrations d‟Etat ou territoriales. Parmi elles on trouve des
préfectures ou des mairies mais aussi des écoles, collèges, lycées ou hôpitaux. Une entreprise peut
également bénéficier des services des référents sûretés pour la réalisation d‟un diagnostic. Le choix de
l‟entreprise est à la discrétion du préfet. En cela si le préfet estime qu‟une entreprise peut bénéficier de
conseil il donnera alors l‟autorisation pour que cette entreprise bénéficie de l‟expertise de ses référents
sûretés 303 . Il peut aussi souhaiter que ce diagnostic soit réalisé. Ainsi, là encore selon l‟estimation du
Préfet, toutes les constructions et forme d‟activités peuvent être concernée, dans l‟absolu.
301 Outre ses conseils, le référent sûreté fournit deux types de documents aux maîtres d‟ouvrage :
Le rapport de physionomie qui constitue un diagnostic considéré exhaustif de la délinquance sur et autour du site
du Projet Le cahier de recommandation qui précise notamment les besoins des forces de l‟ordre en matière
d‟intervention, de contrôle et de maintien de la paix. Les recommandations permettant de faciliter le travail des
forces de l‟ordre et de sécuriser au mieux les espaces et construction par des mesures techniques. Pour exemple
de recommandation et en illustration des effets éventuels de la sécurité sur l‟urbanisme « Un cahier de
recommandation où on va dire au maître d'ouvrage voila : Bien entendu, nous, on n’est pas architecte. On est
professionnel de la sécurité. On s'appuie sur la prévention de la malveillance. Dans le cadre de votre projet de
rénovation urbaine, voila ce que les services de police sont amenés à solliciter en terme de réaménagement. »
Alors ça peut toucher la trame viaire. Bien évidement il faut qu'il y ait la possibilité pour les effectifs d'intervenir
au coeur de ces cités, de ces futurs quartiers. Bien souvent vous avez des voix piétonnes. Très bien les voix
piétonnes mais les voix piétonnes sont des moyens de fuites aisées pour les gens qui ont commis des infractions,
les deux roues etc.. Les collègues quand ils interviennent en car ou en véhicule de police et bien ils ne peuvent
plus... » Voilà, ce sont des recommandations que l'on fait en terme d'aménagement » (Extrait d‟un entretien
effectué avec un référent sûreté de la Police Nationale le 14 mai 2009).
302 Il est a noter que « dans le cas d’un permis de construire, il doit comprendre une étude de sûreté et de
sécurité qui ne sera rejeté qu’au cas où elle ne remplit pas les objectifs fixés au décret » (Bauer A, 2009). Dans
le cas d‟un projet d‟aménagement deux documents sont nécessaires : le cahier des charges de la sûreté et de
sécurité formalisé par la personne publique qui a pris l‟initiative du projet (exposer devant la SCDSP et l‟Etude
de sûreté publique de l‟aménageur appréciée par la SCDSP sur la base du cahier des charges). Le non respect de
cette procédure ne serait pas sanctionné, l‟esprit de la loi étant de prendre le projet le plus amont possible ?
d‟après Bauer.A (op, cité).
303 Pour exemple : « Lors de notre formation, notre exemple de diagnostic c’était une société qui fabriquait des
cartes à puce. (…) Le préfet pour lui c’était un enjeu économique stratégique sur son département. Donc, c’est
135

- La consultation de sûreté
La consultation de sûreté est le troisième niveau d‟intervention du référent sûreté. Comme pour les
diagnostics de sûreté, ce type d‟intervention est destiné aux conseils et aux préconisations, sur
fondement de réponses techniques. En revanche, les «cibles » sont tout autres. Les consultations ont
été mises en place afin de satisfaire les besoins en sécurité qu‟exigent certains particuliers
(commerçants notamment). La consultation se fait ici de manière orale (même si des adaptations sont
possibles comme en Seine-Saint-Denis ou la consultation s‟étend souvent à un quartier et concerne
plusieurs commerçants en se rapprochant dans ce cas d‟un diagnostic de sécurité). Ce troisième niveau
de consultation est lui aussi adaptable pour « mieux répondre aux besoins » comme en témoigne un
référent sûreté des Bouches-du-Rhône :
« Pour cette consultation, qui fait partie de la première mission du référent sûreté, Paris nous
a demandé de former des correspondants sûreté. C’est-à-dire de former des policiers, qui
n’auront pas suivi la formation qu’on a reçu à Gif-sur-Yvette qui se fait sur quatre semaines,
pour tisser un maillage de correspondants et de référents. La direction centrale veut
s’appuyer sur nous. Nous sommes deux pour l’instant sur Marseille. Ils veulent s’appuyer sur
nous pour qu’on monte une formation qui va s’adresser à des collègues dans des
circonscriptions du département des Bouches-du-Rhône, dans les commissariats des villes de
Martigues, Aix en Provence, Port-Saint-Louis-du-Rhône. A partir de là, notre directeur
départemental nous a demandé de monter une formation à l’attention de ces collègues qui
seront correspondants sûreté et qui devront renseigner les gens ou les commerçants… ces
collègues là, une fois qu’ils seront formés, seront chargés de nous faire remonter de
l’information une fois qu’ils auront donné des conseils à un débitant de tabac ou une
pharmacie. Ils pourront nous faire remonter : qui se sont adressé à eux ? Qui a eu besoin de
leurs conseils ? Et nous, on récolte tout ça et on donne les chiffres tous les mois à Paris pour
qu’ils aient une idée des conseils qui sont donnés » (Extrait d‟un entretien effectué avec un
référent sûreté de la Police Nationale le 27 mai 2009).
Il convient donc d‟ajouter un autre acteur de la sécurité au dispositif, le correspondant sûreté, qui
permet ainsi d‟affiner sensiblement les mailles de ce réseau des pratiques sécuritaires comme à
Marseille où encore bien encore à Grenoble où le référent sûreté de la Police Nationale forme luimême
des réservistes afin qu‟ils se rendent sur le terrain pour faire des visites auprès des
commerçants. Depuis le début de l‟année 2009, le « savoir-faire » des référents sûreté est encore mis à
contribution pour des diagnostics de vidéo protection. Ils peuvent être à ce titre mobilisés par les
communes. Là encore, dans l‟absolu, le dispositif final permet donc par adaptation de s‟adresser à
l‟ensemble de la population française. Le référent sûreté est enfin un acteur de la diffusion de la
prévention situationnelle et de la politique sécuritaire de l‟Etat. Au-delà des exigences de
communication auprès de certaines institutions
éditées par les textes de lois, le référent sûreté et les services associés « usent des moyens qui sont mis
à disposition pour mettre en avant leur métier », et sont encouragés à le faire, pour exemple, par la
mise en place de partenariat dont l‟objectif est de sécuriser les constructions. Dans ce cadre, des
conventions sont signées avec des fédérations et des institutions comme la Poste, la Fédération
Française du Bâtiment ou encore la Fédération Française de la Métallurgie. L‟objectif est ici de
sécuriser mais aussi de sensibiliser. Ces convention peuvent aussi êtres signées avec des acteurs
économiques, pour exemple : la Chambre de Commerce et d‟Industrie de Paris (C.C.I.P.) :
« C'est-à-dire qu'on a fait deux formations en 2008 et pour 2009 il est prévu une séance tout
les deux mois à peu prés. Alors ce sont les responsables de la chambre de commerce et
d'industrie qui nous sollicitent. Là on a une demande sur telle commune. On a fait Bobigny,
Tremblay en France. Lundi, on sera à Montreuil où ils ont mis à notre service une salle de
projections. On intervient et on a les commerçants de la commune qui sont présents et on fait
pour ça qu’il voulait que la Gendarmerie et la Police Nationale puissent intervenir pour les sécuriser. En gros,
si on atteint cette société on atteint l’image de l’Etat ».
136

une formation avec les gens de la chambre de commerce » (extrait d‟un entretien effectué avec
un référent sûreté de la police nationale le 14 mai 2009).
La sensibilisation s‟adresse aussi à la population par le biais de la consultation, de manière encore
modeste selon les propos des acteurs. Les référents sûretés présentent leurs compétences par recours à
des brochures et la communication sur internet, essentiellement. Ainsi, le service rendu aux
particuliers se généralise à tout type de construction tels que les logements individuels pour lesquels
réapparaît le correspondant sûreté :
« Dans notre formation il est prévu qu’on conseil aussi les particuliers. Un particulier qui a
besoin de sécuriser sa maison peut faire appel à nous. Une maison individuelle, un particulier
qui souhaite se protéger, qui ne connaît rien, il peut très bien s’adresser à un service de
police, à un référent sûreté. (...)Et donc pour cette consultation, qui fait parti de la première
mission du référent sûreté, Paris nous a demandé de former des correspondants sûretés.
C’est-à-dire de former des policiers, qui n’auront pas suivi la formation qu’on a reçu à Gifsur-Yvette
qui se fait sur quatre semaines, pour tisser un maillage de correspondants et de
référents » (extrait d‟un entretien effectué avec un référent sûreté de la Police Nationale le 27
mai 2009).
En résumé, le dispositif mis en place par l‟Etat en matière de sécurité contre la délinquance traduit
clairement sa conception de la sûreté urbaine et le sens qu‟il donne à la prévention situationnelle à la
française. Ce dispositif très normatif et technique lui donne la possibilité d‟exercer une contrainte très
forte sur l‟urbanisation et renforce considérablement son pouvoir de contrôle dans ce domaine 304 . Un
pouvoir qui s‟applique à une échelle à la fois beaucoup plus fine et plus large que celle des grands
aménagements avait été annoncés comme les seuls projets soumis à une étude E.S.S.P. dans le projet
initial et comme nombre d‟acteurs concernés l‟envisage encore. Il lui permet encore d‟exercer une très
forte sensibilisation « nationale » à la fois « au risque délinquance » et aux pratiques sécuritaires
estimées efficaces pour « combattre » cette délinquance, laquelle est définie comme la source de
danger d‟un risque sociétal dont la cause est totalement confondue avec la manifestation d‟un fait
délictuel dont l‟origine n‟est pas considérée.
Conclusion
Il est à craindre que la politique de l‟Etat en matière de sécurité et en cela la manière dont il prend en
compte la dimension urbaine de la sûreté ne permette pas de faire « la synthèse de connaissances
aujourd‟hui réparties entre des logiques encore cloisonnées », comme le souhaitait PUCA dans sa
définition de la sûreté. Assimilant la délinquance à un danger, l‟Etat envisage de la traiter par une
gestion de risque fondée sur une approche très normative et ingénieriale et technique de la prévention
en matière de sûreté/sécurité. Une approche qui est peu compatible avec une démarche
pluridisciplinaire fondée sur l‟échange et la synthèse des connaissances. Les formes de partenariat
proposées sont pour le moins directives et le cloisonnement des logiques est conditionnées par celle
très spécifique et personnelle, qu‟impose l‟Etat. Outre la réserve qui peut être faite sur l‟assimilation
réductrice de la délinquance à un risque ou plutôt un aléa (voir introduction) et le glissement
sémantique peu convainquant du terme « menace » à celui improprement qualifié « risque »,
l‟expertise technique proposée relève d‟un paradoxe à une époque où de manière quasi-générale (l‟Etat
lui-même) il est admis que la réponse au risque ne peut se limiter à des solutions techniques et qu‟il
convient de substituer à ces approches longtemps dominantes des approches interdisciplinaire laissant
304 210Cet avis n‟est pas nécessairement partagé « Ainsi, la démarche de prévention technique de la malveillance
voulue par le législateur vise à instaurer un dialogue, le plus en amont possible, entre les maîtres d‟ouvrage et
l‟autorité administrative… loin de vouloir normaliser l‟architecture ou l‟espace urbain, l‟esprit des textes résides
davantage dans la mise en place d‟un processus de prise en compte de la sûreté dans les projets d‟aménagement
et de construction et qui le justifient et l‟instauration d‟un dialogue entre les maîtres d‟ouvrage et la SCDSP qui
en garantisse l‟effectivité et la qualité ». Les ESSP « un bel outil dont il va falloir apprendre à se servir dans les
dix prochaines années » (Bauer. A, op cité).
137

une large place aux sciences sociales 305 . Un paradoxe d‟autant plus fort que le « risque » considéré est
ici d‟origine sociale par excellence. Ces premiers constats posent évidemment, en sous entendant une
réponse, la question de l‟efficacité des mesures envisagées : en terme de sécurité tel que définie par
l‟état (effet sur les faits de délinquance), en terme de sûreté sous une autres acception que celle de
l‟Etat (effet sur l‟origine des problèmes, notamment) où dans ce cas on peut considérer sans grands
risques et par simple retour d‟expérience que le résultat sera mesuré. Au-delà des évaluations sur
d‟efficacités du dispositif, qui risque de nourrir des polémiques plus que des débats de fond, la
politique de l‟Etat aura vraisemblablement des conséquences multiples encore difficilement
mesurables mais permettant la formulation d‟hypothèses, ou plus modestement d‟ouvrir à des
questionnements. Parmi eux, on retiendra l‟impact envisageable sur le rôle et la marge d‟action des
acteurs concernés par le dispositif, qui se trouvent « revisités » chez les gestionnaires de la sécurité en
premier lieu. Paradoxalement, l‟Etat par la loi initiatrice de sa politique de sécurité, soit la Loi
d‟Orientation et de Programmation relative à la Sécurité (LOPS) du 21 janvier 1995, a mis en oeuvre
la coproduction de sécurité entre la puissance publique, les collectivités territoriales et les opérateurs
privés. Une initiative qui s‟est traduite par un partage de la sûreté entre les trois partenaires.
L‟application effective du dispositif de mobilisation des maîtres d‟ouvrage, pourrait considérablement
modifier le rôle de ces trois acteurs et le sens du partage initial. Les opérateurs privés l‟ont rapidement
anticipé puisqu‟ils soulignent :
« Un nouveau partage du « risque sûreté » et une nouvelle ingénierie » et notent que
désormais « Le transfert (qui ne peut être que partiel) du risque vers le prestataire de sécurité
privée doit se faire sur la base d’un cahier des charges découlant du plan de sûreté
préalablement défini » (E. Chalumeau, 2008, op cité).
A n‟en pas douter les prestataires privés sauront s‟adapter 306 , mais il reste que le nouveau partage
apparaît plus étroit. La place accordée au conseil dans le nouveau dispositif pourrait, entre autres,
constituer une forme de concurrence qui reste il est vrai très conditionnée par les moyens mobilisables
(notamment humains) de l‟Etat (mais on a vu que déjà des solutions étaient envisagées) 307 . Une
concurrence renforcée par le fait que la source de ce conseil est à la fois juge et partie puisqu‟elle fait
oeuvre sous une autre mission de contrôle, ce qui ne devrait pas laisser les acteurs concernés
totalement indifférents. La situation et les formes d‟action des gestionnaires de la sécurité à l‟échelle
des collectivités pourraient être, elles aussi, singulièrement révisées. C‟est le cas à Lyon où,
notamment, l‟utilité d‟une mission du type de la 3CPS devient très discutable dans le cadre des grands
projets à l‟évidence, mais potentiellement aussi pour de plus modestes considérant le pouvoir du Préfet
sur la redéfinition du seuil des E.S.S.P.. Il est peu probable, en effet, que les maîtres d‟oeuvre à qui
l‟obligation légale impose de se soumettre à une Commission, fassent preuve de zèle pour se
soumettre, en premier lieu, à une commission locale qu‟ils ont par le passé souvent cherché à éviter
voire ignorée. Conjointement, en dépit du caractère obligataire et des lourdes conséquences qui sont
associées à l‟expertise (permis de construire notamment), le monde de l‟urbanisme risque de
développer des formes de résistance passive, voire active devant la contrainte et en raison d‟un fossé
culturel déjà évoqué avec les gestionnaires du risque en passe de devenir un gouffre avec l‟Etat. Elle
305 Même s‟il est vrai que dans les faits, en dépit de quelques évolutions, l‟analyse du risque et surtout sa gestion
sont encore très largement réservées au des sciences dites dures et à celui des approches technique, ingénieriale
et managériale. La mobilisation des sciences sociales reste très marginale ou sous la forme de problématiques
plus adaptées aux questionnements des sciences dures qu‟à ceux des sciences sociales.
306 « La loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance, en créant aux chefs d’opérations
d’aménagement, d’équipement et d’urbanisme de nouvelles responsabilités tant au plan civil qu’au plan pénal,
introduit de fait la sûreté dans le portefeuille de risques qu’il nous faut manager. De menace diffuse, sournoise,
indéfinie, présente et absente à la fois, la sûreté évolue en risque qui se doit d’être identifié, délimité, calibré,
évalué. Avec nos intervenants, nous examinerons ce nouveau cadre réglementaire sécurité / sûreté et donnerons
un éclairage sur la nouvelle ingénierie de la sûreté qui propose aux gestionnaires de risques des outils de
prévention, de qualification, de pondération, de hiérarchisation adaptés à cette matière qui de menace sociétale
diffuse devient risque à traiter » (E. Chalumeau, Rencontres de l‟A.M.R.A.E. 2008, op cité).
307 D‟autres limites au bon fonctionnement du dispositif de l‟Etat pourraient être évoquées (juridiques,
techniques, etc..). Voir pour exemple, entre autres, Bauer, A, 2009, op cité).
138

pourrait nuire à l‟efficacité du projet de l‟Etat. Ce durcissement éventuel de la situation pourrait être
aussi une forme d‟opportunité pour une relance des échanges et de la collaboration entre les acteurs
locaux de la sûreté et de l‟urbanisme. L‟ouverture d‟esprit, maintes fois signalée, de la Direction de la
Sécurité et sa volonté forte d‟intégrer la sûreté dans l‟urbanisme « sous une forme partagée » 308 ,
l‟expérience partielle mais réelle de concertation née de la 3CPS, enfin les effets envisageables de la
réduction du partage de la sûreté, constituent sans doute une incitation à formuler « un autre chose »
que la 3 CPS, comme le souhaitent les gestionnaires de la
Sécurité. La Direction de la sécurité qu‟on a cherché à éviter pourrait devenir un recours, face aux
propositions très normatives de l‟Etat, utile à la médiation et à la prise en considération des choix des
concepteurs dans leur projet. Cet autre chose nécessitera que l‟action des gestionnaires s‟oriente plus
vers l‟accompagnement des projets que vers des expertises et qu‟elle se manifeste à l‟amont de ces
projets. Elle supposera aussi que cet accompagnement repose sur un référentiel de compétences
clairement établi, lesquelles jusqu‟alors ne semblaient pas assez lisibles par les maîtres d‟ouvrage, et
sur une compilation des retours d‟expériences, jusqu‟alors un peu négligés. Il paraît enfin judicieux de
ne pas attribuer le titre de commission à ce futur espace de collaboration. Cette collaboration, pourrait
aboutir à une forme d‟exception opposable à la normalisation des pratiques sur un modèle techniques
et au renforcement du contrôle de l‟Etat en matière de sûreté urbaine. Une expérience qui serait fondée
sur une « responsabilisation » voire plus modestement une réflexion partenariale, qui ne seraient pas
imposées. L‟expérience montre que l‟exception, qui peut avoir valeur d‟exemple, n‟est pas impossible.
Elle s‟est déjà matérialisée à Lyon, notamment. Ainsi, en dépit du danger rémanent des glissements de
terrain pour les constructions et en conséquence des contraintes sécuritaires qui auraient pu être
imposées à Lyon au regard de cette « menace », l‟Etat à reconnu l‟efficacité de la Commission des
Balmes et l‟adaptation très appropriée de son fonctionnement aux réalités et enjeux du territoire
lyonnais (au sens le plus large de ses composantes). Il n‟a finalement pas imposé de P.P.R. à Lyon,
pour ce type de danger.
____________________
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urbanistes et pas contre » (Entretien avec D Delorme Directeur de Cabinet de J.L Touraine, sur la politique de
J.L Touraine (1er adjoint au Maire de Lyon en charge notamment des questions de sûreté urbaine).
« On entre dans une réflexion générale pour mettre à plat ces questions, pour essayer de prévoir les utilisations
et occupations de l’espace. La 3CPS se situe au centre de cette réflexion là, et permet d’aller au bout de la
réflexion politique…. les espaces publics sont faits pour être vécus… » (Entretien : D Delorme Directeur de
Cabinet de J.L Touraine, op cité).
139

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relative à là Sécurité et de 2007 dite Loi Relative à la Prévention de la Délinquance, Les
Rapports faits au nom de la commission des lois, de la commission des affaires étrangères, Les
décisions du Conseil Constitutionnel, Les Comptes rendus de la Commission mixte paritaire,
des rapports rédigés par l‟IAURIF, le CERTU ou encore l‟Institut d‟Urbanisme de Paris, les
textes législatifs et la documentation concernant les Sous Commissions départementales et les
référents sûretés, etc..), 600 p.
140

Inès MELIANI, Doctorante, ENS de Lyon
Sous la direction de Paul Arnould
La sécurité est une question très concrète lorsqu‟il s‟agit des usagers de l‟espace et de ses
gestionnaires. L‟enquête permet de mettre en lumière des pratiques et des représentations variables
suivant le point de vue, usages variés, services d‟entretien et de gardiennage, à comparer avec ceux des
forces de l‟ordre évoqués dans la contribution précédente.
Le parc urbain, la sécurité et l‟usage :
La pluralité des représentations au cœur des parcs
lyonnais
D‟une manière générale, de nombreuses études mettent en évidence la montée en puissance de la
surveillance et du contrôle de l‟espace public, lieu privilégié des phénomènes d‟incivilités et de
délinquance (Bétin & al., 2003 ; Billard & al., 2005).
Pour qu‟un espace public soit agréable, il faut non seulement qu‟il soit sécuritaire, mais qu‟il permette
également aux usagers de s‟y sentir en sécurité. La question de l‟insécurité urbaine n‟est pas nouvelle,
elle est contemporaine à l‟émergence et au développement des villes. Ainsi, si « les hommes se sont
installés dans les villes pour vaincre la misère, l’insécurité, la famine, la maladie [...], l’histoire
enseigne malheureusement que le remède peut être pire que mal » 309 . La ville est devenue, depuis ces
vingt dernières années et malgré la course au développement des systèmes de surveillance, source et
lieu d‟insécurité. Les espaces publics constituent en effet des territoires où se mêlent les risques les
plus divers, et que les sociétés tentent de diagnostiquer pour infléchir la tendance et idéalement
l‟enrayer (Beck, 2002).
Les parcs, squares et jardins, dont la vocation sociale a largement été démontrée, ne sont pourtant pas
exempts de ces phénomènes et trois mesures de sécurité se dégagent : la sécurisation des espaces
(clôture, fermeture nocturne), les modalités de surveillance (caméras de surveillance, patrouille de la
police des parcs) et la prise en compte de la sécurité dans l‟aménagement des espaces. Ces protections
matérielles ou réglementaires ne sont pas neutres en termes de fonctionnement social car elles
engendrent des modalités d‟appropriation territoriale variables selon les groupes d‟individus.
I. Sécurité, insécurité et sentiment d‟insécurité dans les espaces publics :
mise au point conceptuelle
Le concept de sécurité est large et recoupe différentes formes : sécurité civile, sécurité routière,
publique, sentiment d‟insécurité. « Buzan 310 a affirmé que la sécurité ne se réduisait pas à la seule
sécurité nationale (ou la sécurité de l'Etat), mais qu'elle s'élargissait à de nouveaux objets et secteurs.
Ces secteurs sont le militaire, le politique, l'économique, l'environnemental et le sociétal » (Ayse,
1998). L'insécurité peut être considérée comme un risque, au même titre que les risques naturels ou
technologiques, les conflits armés. Les recherches sur ce thème en géographie sont donc nombreuses,
notamment dans un objectif de cartographie des territoires soumis à l‟insécurité. En milieu urbain,
l‟approche se limite au recensement des lieux où le sentiment d'insécurité et/ou les pratiques déviantes
ont soit le plus de chance d'arriver, soit arrivent le plus souvent. Dans cette optique, la typologie de
Dubois-Maury et Chaline 311 propose un zonage où l'insécurité est potentiellement susceptible
d'apparaître :
309
Discours de Michel Noir, Président de la Communauté Urbaine de Lyon, à l‟occasion des rencontres du
Grand Lyon, 12/1990
310
L‟ouvrage de Barry Buzan datant de 1983 et intitulé « People, States and Fear » théorise la notion de sécurité
311
Chaline C., Dubois-Maury J., (2002), Les risques urbains, Armand Colin, Paris, 208 p.
141

- Les zones en état de dysfonctionnement socioéconomique ;
- Les lieux de concentration temporaire de population ;
- Les lieux de convergence des modes de transport ;
- Les transports en commun.
Pour lutter contre le sentiment d'insécurité, il est fait appel aux concepts anglo-saxons d'« espace
défendable » ou de prévention situationnelle qui visent à donner l'impression d'un espace moins
criminogène en le rendant désagréable pour le contrevenant (visibilité par autrui, suppression des
moyens de fuite, éclairage des zones sombres…). Il s'agit d‟opérer sur l‟espace en procédant à divers
aménagements architecturaux tout en renforçant la présence d'agents de sécurité ou de la
vidéosurveillance. Le parc urbain comme tout espace public fait l‟objet de cette réflexion préalable sur
la conception de ses aménagements incluant les préoccupations sécuritaires.
Le sentiment d‟insécurité, une dimension psychologique
Aborder l‟insécurité en milieu urbain, c‟est d‟abord explorer le rapport de l‟individu au territoire et
son appréhension des problèmes sociaux. La conceptualisation de la notion d‟insécurité arrive
tardivement en France, s‟inspirant largement des travaux américains sur la « peur du crime ». En 1993,
Roché définit le sentiment d‟insécurité comme un « processus de lecture du monde environnant. On le
saisit chez les individus comme un syndrome d’émotions (peur, haine, inquiétude, jalousie),
cristallisées sur le crime et ses auteurs ». De la même manière, Paquin (2006) décrit le sentiment
d‟insécurité en milieu urbain comme une « crainte multiforme basée sur la criminalité, les incivilités
et les actes d’intimidation et de violence dans les espaces publics ». Le sentiment d‟insécurité désigne
donc dans la vie quotidienne d‟un individu ou d‟une collectivité le sentiment de crainte devant ce qui
peut advenir. Il peut donc être individuel ou collectif. Il combine le danger existant ou imaginé et la
perception de sa gravité.
Ces éléments perçus comme angoissants peuvent varier d'un espace à l'autre, d'une période à l'autre,
d'une population à l'autre. Ce sentiment personnel sous influence psychologique alors varie également
selon notre sensibilité face à un lieu. Ainsi, un parc bien entretenu, aux chemins rectilignes et bien
délimités, aux pelouses bien tondues, donnera potentiellement à l‟usager la sensation d‟être en sécurité
lorsque pour d‟autres usagers, le manque de visibilité et une nature « sauvage », non maîtrisée par la
main de l‟homme produiront un sentiment d‟insécurité.
Toutefois, le sentiment d‟insécurité ne correspond pas nécessairement à la réalité des violences ou des
menaces. Il est déterminé par une évaluation personnelle du risque s‟appuyant sur un sentiment de
peur pour soi ou pour ses proches. Le sentiment d‟insécurité repose alors sur la vulnérabilité et
l‟exposition au danger de chaque individu. Toute personne ayant déjà fait l‟objet d‟une atteinte
physique sous quelque forme que ce soit abordera un espace public d‟une manière sensiblement
différente d‟une autre personne n‟ayant jamais été soumise à des actes violents. Comme le fait
remarquer Paquin (2006), l‟évaluation personnelle serait soumise à diverses informations sur l‟état de
l‟environnement mobilisées par l‟individu en question : générateurs microsociaux de l‟insécurité,
disponibilité de l‟aide, présence de témoins et caractéristiques du milieu bâti.
142

Document 1 : De la représentation de l‟individu à l‟évaluation de l‟insécurité. Auteure :
I.Méliani
Roché (1998) insiste également sur la prise en compte de ce qu‟Hindelang & al. 312 (1978) nomment la
théorie des styles de vie, mettant en évidence le lien entre la « routine quotidienne » et l‟exposition au
danger. Précisément, il explique que les caractéristiques sociodémographiques d‟un individu seraient
étroitement corrélées avec les taux de victimisation. Ainsi, de l‟âge de l‟individu, de son sexe, de son
statut matrimonial, de ses activités scolaires ou professionnelles, de son revenu, dépendra son
appréhension face à certains lieux et à certaines personnes. « Le style de vie est un bon indice de
l’accessibilité de la cible que constitue l’individu […] les enquêtes ayant pris en considération ces
facteurs ont nettement amélioré les liens entre le risque et l’inquiétude » (Roché, 1998).
Les acteurs politiques qui se penchent aujourd‟hui sur la question réfléchissent à la manière de
prévenir et de lutter contre l‟insécurité urbaine. Au-delà de la prise en compte du sentiment
d‟insécurité, une large place est laissée aux outils et à la réglementation.
Sécuriser les espaces pour réduire le sentiment d‟insécurité : réglementer, observer, agir
Quel est le rôle de l‟urbanisme dans la prévention de la malveillance ? En quoi la conception des
aménagements peut-elle avoir une influence sur les usages ? De quels outils disposent les collectivités
locales pour assurer la sécurité de ces espaces?
Afin de répondre à ces questions, la ville de Lyon s‟est dotée le 27 novembre 1998, dans le cadre de sa
politique globale de sécurité, d‟un Contrat Local de Sécurité (CLS) et de Prévention de la
Délinquance. Le CLS constitue « le cadre de concertation sur les priorités de la lutte contre
l’insécurité et de la prévention de la délinquance dans la commune. Il assure l’animation et le suivi du
contrat local de sécurité lorsque le Maire et le Préfet, après consultation du Procureur de la
République et avis du conseil, ont estimé que l’intensité des problèmes de délinquance sur le territoire
312 Hindelang M., Gottfredson M., Garofalo J. (1978), Victims of Personal Crime : An empirical Foundation for a
theory of Personal Victimization, Cambridge, Mass., Ballinger Publishing Co., 324p.
143

de la commune justifiait sa conclusion » (Décret n°2007-1126 du 23/07/2007). Le nouveau CLS 2008-
2011 de la ville de Lyon, revu suite à des évolutions législatives, redéfinit les axes prioritaires en
poursuivant notamment la coordination entre la police nationale et municipale sur le terrain,
l‟utilisation de la vidéosurveillance urbaine dans les espaces publics (211 caméras à Lyon), la
régulation de la vie nocturne et le partenariat avec les bailleurs sociaux.
Le CLS repose sur la notion de prévention situationnelle qui est l‟une méthode de prise en compte de
la sécurité dans les aménagements. La prévention situationnelle est définie par « les circonstances
matérielles dans lesquelles les délits peuvent être commis » (Ministère de l‟Intérieur cité par Billard &
al. 2005) et consiste à « prendre en compte dans les projets d’aménagement ou de construction, la
réalité des phénomènes d’insécurité existants ou prévisibles dans l’environnement du projet » (Le
Calloch, 2002). Chalumeau (2003) va plus loin dans cette définition, la décrivant comme « un
ensemble de mesures qui visent à empêcher le passage à l’acte délinquant en modifiant les
circonstances dans lesquelles les délits pourraient être commis par le durcissement des cibles ». La
prévention situationnelle entre donc directement dans la phase de diagnostic préalable à l‟élaboration
de tout projet urbain. Laziou & al. (2003) en établissent les objectifs : « Le but de la prévention
situationnelle est de supprimer les opportunités malveillantes et criminelles dans certains lieux par
l’instauration de mesures dissuasives ». Elle correspond donc à une mesure de suppression de
l‟occasion d‟une pratique déviante prise en amont des projets d‟aménagement et repose sur une
méthode déclinée en trois étapes d‟actions : le diagnostic comportant une typologie des risques
encourus, la définition de stratégies d‟intervention et le suivi des mesures. Pour ce faire, Le Calloch
(2002) dégage huit principes d‟aménagement et de conception architecturale et urbaine, plus largement
testés aux Etats-Unis et au Canada depuis une trentaine d‟années : la visibilité, pour voir et être vu, en
éliminant les lieux cachés ; la surveillance naturelle par les usagers fréquentant le même espace ; la
socialisation, correspondant à une mixité des usages de l‟espace ; la territorialité, où l‟appropriation
des espaces favorise la surveillance naturelle ; la lisibilité, correspondant à une configuration spatiale
claire permettant à l‟usager de ne pas se sentir perdu ; le contrôle naturel des accès, édifice
architectural indiquant le passage d‟un espace à un autre ; le paysagement, regroupant l‟éclairage, la
végétation, le mobilier urbain et la signalisation ; le garant de l’espace enfin, devant intervenir dans
des délais brefs sur les éléments dépréciateurs de l‟espace, telles que les dégradations matérielles. On
associe la plupart du temps le garant de l‟espace à la commune ou aux sociétés sous-traitantes des
communes ayant en charge l‟entretien et la propreté des espaces publics.
Par ailleurs, l‟Observatoire de la Sécurité et de la Prévention de la Délinquance constitue, avec les
cellules de veille, l‟un des outils du CLS, qui vise à synthétiser l‟ensemble des données relatives à la
délinquance et aux dysfonctionnements sur les espaces publics. Il réalise la cartographie des espaces
publics soumis aux crimes et délits. Pour ce faire, il s‟appuie sur les données issues de la police
municipale et nationale, lesquels auront préalablement collecté les dépôts de plainte et les flagrants
délits. Il propose ainsi un diagnostic sur les faits écoulés au cours de l‟année sur l‟ensemble des
départements français. Toutefois, ces données sont à prendre avec certaines précautions car elles ne
reflètent qu‟approximativement la réalité des faits produits, d‟une part parce que tous les individus ne
déposent pas systématiquement un plainte à l‟issue d‟un acte délictueux commis à leur encontre et
d‟autre part, parce que les données statistiques de ce diagnostic s‟appuient exclusivement sur les
flagrants délits ayant fait l‟objet d‟un rapport. Lors de grands rassemblements festifs sur les Berges du
Rhône par exemple, une intervention de la police municipale pour prévenir la consommation d‟alcool
ou de drogues n‟étant pas envisageable, ces infractions ne sont pas comptabilisées dans les données de
l‟Observatoire de la Délinquance. Il est donc nécessaire de les compléter par des renseignements issus
de la main courante, des plaintes envoyées en mairie et des agents de médiation. A Lyon,
l‟Observatoire de la Sécurité et de la Prévention de la Délinquance s‟est doté d‟un travailleur social en
commissariat. Agent de la ville de Lyon, il est mis à disposition de l‟hôtel de police pour accompagner
les opérations de police sur leur volet social, tant sur les victimes (réorientation vers des structures
d‟aide aux victimes, relogement…) que sur les auteurs. Ce travailleur social réalise des permanences
dans les commissariats ou peut intervenir à la demande sur des opérations de terrain, dans les cas les
plus extrêmes. « Dans les cas que nous avons pu rencontrer, il y avait des problèmes de tranquillité
144

(bien-être) suite à une personne qui accumulait ses déchets chez elle, créant des problèmes
d’odeurs 313 ».
Toutefois, le traitement de l‟insécurité ne se limite pas à ces seuls outils. La prévention situationnelle
est couplée avec une gamme d‟outils beaucoup plus large : vidéosurveillance, gardiennage, restriction
de l‟accès de nuit, éclairage, entrées monumentales symbolisant un franchissement… Mais en aucun
cas, ces dispositifs de prévention et lutte contre l‟insécurité ne doivent être traités comme une seule
variable indépendante, qui dépend étroitement du caractère socialement construit du sentiment
d‟insécurité ressenti par les usagers des espaces publics.
Pour les usagers des espaces verts, la relation harmonieuse entre l‟usager du parc et son
environnement apparaît primordiale dans les attentes : avoir la possibilité de se promener pour
échapper à la pollution et à tout ce qui rappelle la ville (béton, bruit…), retrouver un lien avec la nature
tout en disposant d‟un parc propre. De nombreux paramètres interviennent également dans le choix de
la fréquentation d‟un parc : une dimension esthétique (nature ordonnée VS nature non gérée), des
parcours biens tracés et d‟autres en sous-bois où l‟on peut s‟y perdre ; la dimension de l’action (les
activités proposées) : pouvoir s‟y asseoir, lire, se détendre ; la dimension relationnelle (faire des
rencontres, ressentir la présence des autres notamment pour les seniors qui se sentent plus en sécurité
lorsque les usagers sont suffisamment nombreux) et ceux qui recherchent la solitude, l‟isolement, la
tranquillité. D‟autres encore recherchent la cohabitation, les jeunes se retrouvent pour l‟ambiance,
certains recherchent la communauté, l‟effet de groupe (usagers qui se rassemblent pour réaliser des
rencontres sportives, pour pique-niquer…).
Historiquement, la création du parc urbain est le résultat d‟une urbanisation prenant le pas sur les
espaces agricoles, en vue d‟offrir aux citadins des espaces verts de proximité pour le repos et la
détente, où les enfants peuvent s‟adonner aux plaisirs des jeux, où les familles et les couples se
retrouvent dans un cadre agréable. Dans les représentations, les parcs, squares et jardins sont la plupart
du temps associés à des espaces qui ne connaissent pas la violence (Picon, 2001).
Par ailleurs, dans un contexte de forte demande sociale et de développement durable, le parc urbain
tient une place importante dans la vie collective. Il est donc particulièrement important d‟en évoquer
les usages, le parc étant le « réceptacle » de l‟homme urbain. La fréquentation du parc s‟organise
autour d‟usagers et d‟usages, ayant un positionnement dans l‟espace et des stratégies d‟occupation
originales, introduisant généralement une séparation des usages. Plusieurs facteurs dictent ces modes
d‟appropriation : climats, saisons, temporalités journalières, ambiances… À l‟échelle de l‟année, les
lieux ne sont pas toujours investis par le même type de population.
Ces groupements de personnes ont généralement un intérêt commun : à Berlin par exemple, les
hommes d‟affaires se rendent au Tiergarten 314 après leur journée de travail pour se détendre. Central
Park à New-York est caractérisé par une nette différenciation spatiale selon les catégories
socioculturelles. Le jardin des Plantes à Paris est pour sa part connu comme étant un lieu de
regroupement pour la communauté Gays. Cependant, si le parc peut avoir un côté ségrégatif, il permet
justement la cohabitation de groupes d‟intérêts divers. Ces groupes adoptent en outre des modes de
déplacements qui leurs sont propres (à pied, vélos, rollers…) et fréquentent plus spécifiquement
certains espaces (pelouses, chemins de promenade, pistes de cyclisme…) ou installations aménagées
(équipements sportifs, jardin botanique, jardin zoologique, restaurant, roseraies, lac…).
Toutefois, si ces parcs urbains, jardins de promenade et de détente sont la plupart du temps assimilés à
des lieux conviviaux, festifs et voués aux loisirs, force est de constater qu‟ils peuvent aussi être
porteurs de désordre et source de dangers. Fréquentation, surfréquentation diurne ou nocturne de ces
espaces conduisent aussi parfois à certaines formes d‟incivilités (agressions verbales/ physiques …) ou
de pratiques déviantes (vols, dégradations, trafic de drogues…).
Quand, comment et pourquoi un parc urbain peut-il être source de danger? Comment un espace
aménagé peut-il être générateur de risque et occasionner des groupements de personnes, des
313
Interview de F.Sornom Aï, responsable de l’Observatoire de la Sécurité et de la Prévention de la
Délinquance de Lyon (Interview présentée en annexe A2.3)
314
F. Debié (2002) : « Jardins de capitales, une géographie des parcs et jardins de Paris, Londres, Vienne et
Berlin », CNRS Editions, Paris, 295p.
145

déplacements particuliers, provoquant eux-mêmes un risque ? De quelle façon les aménagements
sécuritaires influent-ils sur les représentations des usagers des parcs ? Autrement dit, existe-t-il une
forme d‟organisation susceptible, en elle-même, de provoquer ruptures et perturbations ? C‟est en ces
termes que se pose la question de l‟insécurité dans les parcs. Mais avant de faire état de la méthode
utilisée dans ce travail de recherche, nous nous attacherons à présenter les différents territoires de
notre étude dans ses aspects géographiques et dans ses dispositifs de sécurité en place.
II. Présentation des territoires de l‟étude
Document 2 : localisation des territoires de l‟étude
Quatre parcs urbains ont servi de site d‟expérimentation : Gerland, Tête d‟Or, Berges du Rhône et
Miribel-Jonage. Ces quatre parcs ont été choisis parce qu‟ils présentent des profils territoriaux variés,
à la fois en terme d‟aire d‟attractivité et en terme d‟organisation territoriale. Nous avons par ailleurs
fait le choix de quatre espaces verts de nature et de taille différente : le parc de Gerland, destinés à des
activités familiales et sportives, ne jouit pas de la même notoriété que les parcs de la Tête d‟Or ou de
Miribel-Jonage, beaucoup plus anciens. Par ailleurs, ces derniers demeurent des curiosités touristiques
de premier rang. Les Berges du Rhône, eux, connaissent, depuis leur réaménagement en « parc urbain
au fil de l‟eau » en 2007, une reconnaissance de la part des usagers sans commune mesure avec les
autres, mais qui n‟est pas, comme nous le montrerons dans notre développement, sans causer de
nombreuses nuisances. En matière d‟organisation territoriale, les parcs de Gerland et de la Tête d‟Or
sont fermés la nuit au public tandis que les Berges du Rhône et Miribel-Jonage constituent des espaces
ouverts en permanence, de jour comme de nuit. Tous sont polyvalents et accueillent une diversité
d‟usages et d‟équipements, le plus construit étant celui de la Tête d‟Or. Sur le plan historique enfin, la
146

création de chaque parc trouve son origine dans un contexte, liée à une demande sociale ou politique
spécifique. Dès 1857, le parc de la Tête d‟Or est ouvert au public. Près d‟un siècle sépare la création
du parc de la Tête d‟Or de celle du parc de Miribel-Jonage (1968). Après quoi la création de nouveaux
parcs s‟accélère malgré la raréfaction du foncier.
Comment gère-t-on la sécurité dans les parcs ouverts ? Que se passe-t-il sur les berges du Rhône la
nuit, par exemple ? De quelles mesures de sécurité se dote la ville de Lyon pour gérer l‟insécurité dans
les espaces verts?
Cette partie de présentation du terrain d‟étude a pour but de familiariser le lecteur avec ces parcs, de
fixer quelques chiffres et quelques noms. Cette étape est aussi l‟occasion de d‟identifier les mesures de
sécurité consacrées à chacun de ces espaces.
Le parc de la Tête d‟Or (créée en 1856)
Document 3. Le parc de la Tête d‟Or dans son environnement immédiat
Crée en 1856 et inauguré en 1857, le parc de la Tête d‟Or est le plus ancien des parcs urbains lyonnais.
Il fut conçu par les Frères Bühler, à la demande du préfet Vaïsse, pour offrir aux lyonnais un espace de
bien-être et « donner de la nature à ceux qui n‟en ont pas ». S. Autran (2006) rappelait que le parc de
la Tête d‟Or avait en premier lieu été crée pour des raisons hygiénistes, puis dans un objectif de paix
sociale : « Il faut créer un lieu de promenade publique, agréable, au calme ». Les loisirs et la
contemplation constituent par ailleurs les principes ayant dictés la création du parc. D‟une superficie
de 117 hectares, c‟est le plus grand parc urbain français et l‟un des plus grands parcs urbains d‟Europe.
147

Il fut ouvert au public avant d‟être totalement achevé. Chaque année 2,5 millions de visiteurs 315
sillonnent le parc. Les jours de grande affluence, le nombre de visiteurs avoisine les 60 000. Les
cyclistes et les joggeurs en sont les plus grands adeptes. D‟un style similaire au Bois de Boulogne, la
majeure partie du parc est constituée de grandes allées, de vastes pelouses, de bois et de sous-bois. Un
jardin zoologique, une roseraie, un jardin botanique et une ferme répondent à la vocation sociale du
lieu. Par ailleurs, le parc de la Tête d‟Or propose diverses animations payantes pour les loisirs en
famille : promenade en barque, en pédalo, petit train touristique, location de vélos, poneys, mini-kart,
mini-golf, manèges…
En matière de sécurité, le parc de la Tête d‟Or est clos par une grille, possède 5 caméras de
surveillance placées à quatre des sept entrées. Un poste de police est installé au centre du parc et deux
agents de police résident sur place dans un logement de fonction. Ces deux agents assurent en
alternances les permanences du week-end. Seule l‟entrée du parc par le boulevard Stalingrad fait
l‟objet d‟une présence policière systématique pour contrôler l‟accès des véhicules des commerçants et
des agents du service des espaces verts. En effet, les bureaux de la Direction des Espaces Verts (DEV)
ainsi que l‟ensemble des engins destinés à l‟entretien des espaces verts de la ville de Lyon y sont
entreposés.
La presse locale 316 , recueil de « connaissances communes et d‟acquis scientifiques, et diffusant les
décisions politiques et les événements marquants de la vie sociale » (Le Lay, Honegger, 2009) évoque
régulièrement les actualités du parc de la Tête d‟Or et les formes de délinquance et de délits s‟y
produisant. Le 26 septembre 1995 par exemple, le journal « Lyon Capitale » interviewait Jean-
Georges Meritza 317 , brigadier chef de la police municipale de l‟époque et supervisant 70 gardes-verts.
Il déclarait que « certains après-midis, ils ne sont pas trop de 6 patrouilles pour veiller au maintien de
la sécurité publique, car 60 000 personnes se pressent par un dimanche ensoleillé des mois de mai ou
juin […] La surpopulation nuit à la qualité du site […] Les gens prenaient ça pour le stade de foot de
Gerland et laissaient trois tonnes de déchets […] autre fléau du parc, le vélo tout terrain : rien ne les
arrête, et quelques incidents, parfois mortels, se sont déjà produits […] le parc accueille également une
faune d‟indésirables : les exhibitionnistes…les agressions à caractère sexuel sont extrêmement rares,
contrairement aux vols à la tire dans la zone du jardin zoologique […] près des toilettes, la drague est
essentiellement homosexuelle ».
En 2005, La commune de Lyon revoit sa politique de sécurisation du parc de la Tête d‟Or en
remplaçant les « gardes verts » par des agents de la police municipale (au nombre de 33) afin
d‟apporter une force de dissuasion plus complète et d‟accroître les pouvoirs de répression envers les
contrevenants. N.Chevassus, maire du 6 ème arrondissement de Lyon 318 , en évoquait les raisons, lors
d‟une interview dans le « Lyon Figaro » : « Consommations de cannabis, d‟alcool ou exhibitionnisme,
les délits ne manquent pas […] il y a un taux de délinquance important, une insécurité évidente,
beaucoup de squatteurs et des drogues douces qui circulent ».
Aujourd‟hui, les agents de police du parc de la Tête d‟Or patrouillent en voiture, à scooter, à vélo ou à
pied de jour comme de nuit, parfois aussi avec le concours de la police nationale 319 (pour des faits plus
graves). De même, la réglementation du parc invite les visiteurs à respecter les consignes d‟usage et
interdictions. Par ailleurs, concernant la sécurité des visiteurs du jardin zoologique (Plaine africaine)
du parc de la Tête d‟Or, un arrêté du 25 mars 2004 relatif à la sécurité et à la protection des personnes,
a imposé la mise en clôture de la fauverie, de la primaterie, de l‟ourserie et de l‟enclos des éléphants.
Le jardin zoologique, qui était jusque là le seul en France à ne pas être dissocié du reste de
315 Chiffres de la Direction des Espaces Verts de la ville de Lyon
316 A partir de la revue de presse réalisée par le centre documentaire de l‟Agence d‟Urbanisme de Lyon et
s‟appuyant sur différents journaux de presse locale, nous avons recensé la totalité des articles couvrant la période
1999-2006 traitant de la sécurité ou des formes d‟insécurité relevées au parc de la Tête d‟Or.
317 Annexe A3.1, Lyon Capitale du 26 septembre 1995 : Le garde aux pouces verts, A.C.J (Initiales de l‟auteur
de l‟article)
318 Annexe A3.7, Lyon Figaro du mercredi 2 février 2005 : Tête-d’Or, pour prévenir l’insécurité, les policiers
municipaux ont remplacé les gardes verts, T.Danancher
319 Annexe A3.8, Le Progrès du mercredi 26 mars 2005, Le parc de la Tête-d’Or sous surveillance, après
l’enlèvement d’une fillette, F.Viart
148

l‟environnement du parc par une enceinte, dispose aujourd‟hui de cinq portails coulissants servant à
l‟ouverture et à la fermeture du jardin zoologique.
Le parc de Miribel-Jonage (créée en 1968)
Document 4. Grand parc de Miribel-Jonage, prises de vues réalisées le 17 août 2009
Du Moyen-âge jusqu‟au début du 20 ème siècle, le site du parc de Miribel-Jonage est utilisé pour des
usages agricoles. Cette vaste zone humide rend difficile le développement d‟autres usages.
L‟urbanisation de l‟est lyonnais, la création du réservoir du Grand Large et la canalisation du fleuve
permettent le développement des usages de loisirs. A l‟origine perçu comme une « zone sauvage »
permettant « l‟accès à une forme de liberté à quelques minutes de la ville » (Amzert & Cottet-
Dumoulin, 2000), le parc de Miribel-Jonage, à la fois périurbain, intercommunal et interdépartemental,
s‟étend sur une surface de 2200 hectares (dont 350 hectares de plans d‟eau et 700 hectares de milieux
protégés) et ouvre ses portes aux visiteurs en 1968. Considéré comme le plus grand parc périurbain
français, il accueille près de 3,5 millions de visiteurs par an.
Le parc de Miribel-Jonage est la propriété du SYMALIM 320 (Syndicat mixte pour l‟Aménagement et
la gestion du Grand Parc de Miribel-Jonage) dont la gestion s‟exerce selon une logique partenariale
associant décisionnaires et usagers. De 1959 à 1985, de nombreux aménagements du site voient le
jour : activités nautiques sur un lac de 1500 hectares, équipements sportifs (un rocher d‟escalade
(1977), courts de tennis (1978), centre d‟accueil enfance (1980), piste cyclable (1982), golf (1985)).
Un centre sportif payant « Planète tonique» propose plus de 20 activités sur une quinzaine d‟hectares.
Classé en « zone naturelle inaltérable » en 1992 au Schéma Directeur d‟Aménagement de
l‟agglomération lyonnaise (SDAL), il devient un parc nature en 1993. Une charte d‟objectifs est signée
entre le SYMALIM et les partenaires institutionnels du parc. Ce document répond aux quatre objectifs
suivants : la préservation de la ressource en eau potable, le respect du champ d‟expansion des crues, la
valorisation du patrimoine naturel et le développement des loisirs de plein air.
Aujourd‟hui considéré comme un espace récréatif de grande envergure pour les habitants de
l‟agglomération lyonnaise, le Parc de Miribel-Jonage est aussi composé de zones à vocation multiples
(aménagées, semi-naturelles, naturelles) dont leur gestion s‟articule autour d‟un enjeu essentiel, celui
de la cohabitation entre la base de loisirs et les autres usages. Le parc comporte huit Zones Naturelles
d‟Intérêt Ecologique, Faunistique et Floristique (ZNIEFF). La vocation pédagogique du lieu est
320 Créé en 1968, le SYMALIM réunit 16 collectivités membres : Communauté Urbaine de Lyon, Conseil
Général du Rhône, Conseil Général de l‟Ain, Lyon, Villeurbanne, Vaulx-en-Velin, Meyzieu, Décines, Jonage,
Jons, Neyron, Miribel, Saint-Maurice-de-Beynost, Beynost, Thil, Niévroz.
149

enforcée auprès du grand public par la création des sentiers de découverte. Le parc s‟ouvre aussi à la
culture, en combinant l‟art et la nature sur deux disciplines : les arts de la danse et du spectacle et les
arts plastiques.
En matière de sécurité, la circulation automobile est interdite dans le centre du parc. En 2004, un
contrat local de sécurité (CLS) est signé avec les partenaires institutionnels du site, le SYMALIM et la
SEGAPAL, société d‟économie mixte ayant en charge la gestion et l‟animation du site. Ce site fait
l‟objet d‟une triple surveillance par la gendarmerie, la police nationale et les équipes de sécurité du
parc. Le règlement du parc comporte huit pages et s‟articule autour d‟un volet sur le respect de
l‟environnement d‟une part, (flore, faune, espaces naturels et agricoles, usages des plans d‟eau) et sur
le respect d‟autrui d‟autre part.
Le parc de Miribel-Jonage a longtemps été considéré par les usagers comme un lieu dangereux et de
pratiques déviantes : rumeurs en tous genres et médiatisation de faits à fort impact psychologique
(viols, meurtres…) ont participé à générer un réel sentiment d‟insécurité autour de cet espace. Mais ce
sont aussi les vastes étendues partiellement aménagées de cet espace qui ont longtemps contribué à
donner une image peu glorieuse du parc.
Le parc de Gerland (2000)
Document 5. Photographie aérienne du Parc de Gerland, source : Bing, Virtual Earth, site
consulté le 16/10/2009
Inauguré en 2000 par Gérard Collomb, Maire de Lyon, le parc de Gerland couvre une surface de 80
hectares. Situé au sud de Lyon, au niveau de la confluence Rhône-Saône, ce parc fait partie intégrante
d‟une action territoriale de réhabilitation urbaine : aménagé à l‟emplacement d‟un ancien site
industriel, il répond à une forte demande sociale pour plus de nature en ville. Il constituait également
l‟un des projets d‟aménagement phare du premier mandat de G.Collomb. Espace de loisir urbain et
d‟une écriture très contemporaine, ce parc s‟articule autour d‟une vaste pelouse centrale longée par la
"mégaphorbiaie", plantée de 300 espèces végétales, graminées, vivaces, plantes potagères et
médicinales... Il offre une large palette d‟usages (buvettes, bar-restaurant, manèges pour enfant) et
accueille des activités spontanées (cerf-volant, entrainements de football…). Le parc comprend
également des équipements sportifs et une trentaine de jardins ouvriers, séparés par une entrée et non
accessibles au public. Un des deux pavillons de l‟ancien site industriel, conservé et réhabilité, abrite un
150

centre pédagogique. Il a notamment pour vocation l‟accueil et l‟information du public sur le
fonctionnement du parc et la pratique du jardinage. Faiblement planté de bosquets et d‟arbres, le parc
ménage des coins plus calmes. Profitant du « Plan Lumière » 321 (1989), le Parc de Gerland « vit »
aussi la nuit (ouvert au public jusqu‟à 22 heures) grâce à un éclairage de la végétation par la couleur et
une installation sonore.
Le parc de Gerland dispose, dans sa partie centrale, d‟un poste de police. La faible étendue du parc
permet de se rapprocher du poste de secours en moins de cinq minutes à pied. Les agents de police
patrouillent régulièrement dans le parc en voiture ou à vélo. Le nombre d‟agents en service est corrélé
à la fréquence de fréquentation des usagers, leur présence étant pas conséquence accrue au printemps
et en automne. La réglementation du parc de Gerland est sensiblement le même que celui du parc de la
Tête d‟Or, est clôturé et dispose d‟une caméra de surveillance pour chacune des cinq entrées.
Les berges du Rhône (2006)
Document 6. Les Berges du Rhône et ses différentes « ambiances »
Au fil des siècles et de la transformation de la ville, les Berges du Rhône ont beaucoup évolué en
matière d‟usages. Si les Berges du Rhône sont aujourd‟hui animées et aménagées, elles furent,
jusqu‟au 18ème siècle, conservées à l‟état naturel, tenant les habitants à l‟écart des rives. La largeur et
la dangerosité du Rhône, débordant et inondant fréquemment les quais, expliquaient ce détournement
du fleuve de la part des habitants. La construction du pont Morand (1773), l‟élévation des digues du
quai Achille Lignon (1857-1859) et l‟assèchement du quartier des Brotteaux réussissent à calmer les
ardeurs du fleuve. Les Berges deviennent alors des lieux fréquentés et appréciés des usagers. Au
milieu du 19 ème siècle, les quais de Serbie, Claude Bernard, Victor Augagneur sont à leur tour
aménagé pour protéger la ville des crues meurtrières. Mais au cours du 19ème siècle, les quais sont
désertés : concurrence du chemin de fer et développement de l‟automobile annoncent la fin des
321 Démarche politique et artistique visant éclairer les espaces publics les plus prestigieux de la ville pour les
valoriser
151

activités liées à la navigation. Les Berges sont transformées en parkings (contrebas) et en voies rapides
(quais hauts) et les habitants perdent à cette période tout contact avec le Rhône.
Aujourd‟hui, le parc des Berges du Rhône est devenu un parc ouvert sur la ville. D‟une surface de 10
hectares environ et d‟une configuration linéaire s‟étendant sur 5 kilomètres de long, le parc des Berges
du Rhône 322 est caractérisé par une alternance d‟espaces sauvages, de loisirs, de promenade, de
pelouses pour le repos et le pique-nique, d‟installations sportives (aires de jeux et de sport). Le
Brétillod et la Lône, la ripisylve amont, l‟archipel des îles jardin, la longue prairie, les terrasses de la
Guillotière, l‟estacade du centre nautique, le port de l‟Université, la ripisylve aval et les jardins du
Rhône constituent les éléments de repérage du parc. Il répond en premier lieu à un objectif politique
(Plan Bleu, Plan de Déplacement Urbain), celui de la requalification d‟un espace public anciennement
voué au stationnement des véhicules. Le second objectif correspond à une volonté d‟offrir aux
habitants un espace de détente et de loisir en ville tout en créant une trame verte entre le parc de la
Tête d‟Or et le parc de Gerland. Jusqu‟en 2002, les Berges du Rhône font partie du domaine public
fluvial et sont gérées par les VNF (Voies Navigables de France). Lorsque les Berges furent aménagées
en parc urbain, elles firent l‟objet d‟une convention de gestion entre le VNF et la communauté urbaine
de Lyon. Le risque de crues du Rhône fut l‟une des contraintes à intégrer dans le projet
d‟aménagement. Sur la passerelle du collège par exemple, des aires de jeux ont été rehaussées pour
échapper aux crues annuelles et décennales. Aux extrémités de ce parc, le végétal prime tandis que le
minéral prédomine dans sa partie médiane.
Le commerce, la résidence sur les péniches à quais et les discothèques sont les principales activités de
ce site. L‟inscription et la prédominance de ces trois activités sur ce même territoire posent à la fois
des difficultés de gestion à la Communauté Urbaine de Lyon (des raccords des péniches aux réseaux
électriques à l‟entretien du site) et génère des conflits entre groupes festifs et habitants des péniches, à
la recherche de calme et de tranquillité. Ce phénomène, loin d‟être nouveau, s‟est néanmoins
largement amplifié depuis l‟aménagement des Berges du Rhône en parc. Le centre du parc, aux abords
du «Théâtre du Rhône », couramment nommées « terrasses de la Guillotière », composé de marches et
attirant sans conteste la majeure partie des visiteurs, est principalement touché par ces nuisances.
Aménagé telles les tribunes d‟un stade, cet espace est propice aux animations de plein air.
Le parc des Berges du Rhône, de par sa configuration linéaire, est par ailleurs largement plébiscité par
les cyclistes qui empruntent cet espace comme axe de circulation, évitant ainsi d‟emprunter les quais
hauts et leurs lots de ralentissements aux heures de pointe, les dangers liés à la vitesse des automobiles
et l‟attente aux feux tricolores. Par ailleurs, cette voie cyclable fait partie intégrante du projet
interrégional d‟envergure européenne de la « véloroute du Léman à la mer », itinéraire de découverte
du Rhône et de ses rives sur 650 kilomètres (de la Haute-Savoie à l‟Hérault).
En matière de sécurité, la réglementation du parc des Berges du Rhône rejoint sensiblement celle du
parc de la Tête d‟Or et du parc de Gerland. Equipé de cinq caméras de surveillance, il est surveillé et
contrôlé par les agents de la police « des Grands Parcs », effectifs dédiés spécifiquement à la
surveillance des espaces verts de Lyon.
Ce présent travail propose donc d‟interroger et d‟émettre quelques hypothèses sur les facteurs
susceptible de produire de l‟insécurité : les temps et les lieux, les aménagements, les phénomènes
d‟incivilités et de délinquance vécus et/ou perçus par les usagers, le commerce illicite visible, les
conflits d‟usage des espaces entre groupes, les dégradations, etc.
III. Hypothèses, méthodologie, résultats
Hypothèses et démarche méthodologique
Il s‟agit tout d‟abord, à partir d‟enquêtes réalisées sur notre territoire d‟étude, de dresser un panorama
des représentations relatif à l‟insécurité par les usagers des parcs lyonnais.
322 Communauté urbaine de Lyon, Berges du Rhône 2006, 14p. Téléchargeable en ligne sur
http://www.grandlyon.com/fileadmin/user_upload/Pdf/territoire/Grands_Projets/Berges_Rhone/plaquette_berges
_0401.pdf
152

Les entretiens, réalisées avec l‟Observatoire de la délinquance et de la Sécurité de la ville de Lyon
d‟une part et le chef de service de la police des parcs d‟autre part sur les dysfonctionnements dans les
parcs et aux abords de ces espaces, permettent de mettre en perspective les représentations de la
population enquêtée avec les éléments qualitatifs issus de nos entretiens. L‟objectif de cette
confrontation est de mieux interpréter si le danger, avéré ou ressenti, possède des territoires de
prédilection, puisque nous formulons l‟hypothèse que le sentiment d‟insécurité varie dans le temps
(jour/nuit/saison) et dans l‟espace suivant la configuration des lieux (boisé/ aéré, peu fréquenté/sur
fréquenté, bien/mal éclairé, entretenu…).
La première étape a consisté en un travail d‟observation du terrain d‟étude. Nous nous sommes
attachés à réaliser un état des lieux du fonctionnement des parcs urbains. Nos observations se situent à
différents moments de la journée et intègrent la dimension climatique. Ces phases d‟observation du
terrain d‟étude, des déplacements et des activités des usagers ont permis d‟établir la trame du
questionnaire, d‟élaborer des guides d‟entretiens et de déterminer l‟échantillon de la population
enquêtée.
La seconde étape repose sur un travail d‟enquêtes qualitatives et quantitatives composées d'entretiens
et de questionnaires. Précisément, le questionnaire, à destination des visiteurs de ces parcs avait pour
objectif de faire s‟exprimer les peurs liées aux espaces fréquentés afin d‟identifier les phénomènes liés
au sentiment d‟insécurité et d‟en vérifier la pertinence. Nos investigations ont fait l‟objet d‟une
demande préalable d‟autorisation auprès du directeur des Espaces Verts de Lyon (D. Boulens) et du
chef de service de la Police des Grands Parcs (P. Truchet). Les enquêtes par questionnaire ont été
réalisées de mai à août 2009 sur l‟ensemble des parcs de l‟étude et sur des secteurs bien différenciés :
pelouses, abords des aires de jeux, chemins de promenade, installations sportives, près des jardins
(Roseraie et jardin botanique pour le parc de la Tête d‟Or, mégaforbiaie pour le parc de Gerland), aux
entrées, etc. Deux modes de passation ont été utilisés : soit les personnes interrogées remplissaient
directement le questionnaire qui leur était remis, soit sous forme d‟entretien semi-directif.
Constitution de l‟échantillon
100 questionnaires 323 comportant 57 questions ont été réalisés dans chacun des quatre parcs, soit un
total de 400 enquêtes. Promeneurs, joggeurs, cyclistes, skateurs, usagers réguliers ou occasionnels,
commerçants implantés dans les parcs, responsables de la sécurité, habitants riverains (notamment
pour le parc des Berges du Rhône et de la Tête d‟Or) ont été interrogés.
Toutefois, 30 questionnaires (provenant exclusivement du parc de Miribel-Jonage) ont été écartés de
l‟analyse car très partiellement complétés (moins de 15% des questions étaient traitées et/ou lorsque
les réponses étaient sans rapport avec la question).
Le questionnaire comportait un premier module de questions ouvertes et fermées liées à la
fréquentation, puis un second module de questions portant sur la sécurité des parcs sous l‟angle de
l‟offre de sécurité d‟une part (signalisation, présence policière, caméras de surveillance, clôture) puis
sous l‟angle de l‟expérience personnelle face à des phénomènes susceptibles d‟avoir un impact
psychologique plus ou moins important. L‟approche sensible du lieu est donc privilégiée mais d‟autres
paramètres sont également pris en compte : de quelle manière évolue le sentiment de sécurité de jour
et de nuit, selon la saison, suivant les lieux (espaces plus/moins fréquentés ; sombres/éclairés ;
aménagés/sauvages).
Enfin, plus conventionnellement, nous avons, dans un troisième module, choisi d‟interroger les
caractéristiques individuelles qui nous semblaient pertinentes pour cette étude (âge, sexe, profil socioéconomique,
lieu de résidence), éléments à même de faire varier le sentiment d‟insécurité ou de
vulnérabilité, donc de différencier les comportements.
Nous avons également choisi d‟élargir notre étude à tous les risques et tous les phénomènes
susceptibles de produire de l‟insécurité (vols, agressions, dégradations, vandalisme, comportements
incivils, perte de repères…) en laissant une large place à la perception des usagers.
Ces perceptions, déterminées par l‟expérience personnelle (inquiétude, exposition, vulnérabilité) des
usagers interrogés incluront forcément des biais dans notre étude. Dans certains cas en effet, la crainte
323 Annexe A1
153

conduit à exprimer l‟insécurité alors qu‟un espace n‟y est pas forcément soumis. Dans le cas inverse,
la crainte peut conduire à rechercher la protection (poste de police, caméras de surveillance,
fréquentation par d‟autres usagers qui rassure) sans pour autant exprimer l‟inquiétude. Les difficultés à
mesurer un phénomène apparemment aussi évident que l‟insécurité sont donc nombreuses. Le choix
des indicateurs entrent également en ligne de compte. De même, il faut garder à l‟esprit que la
technique de l‟enquête par questionnaire consiste à questionner sur des événements déjà écoulés et
observés, faisant plus souvent appel à la mémoire à long terme qu‟à la mémoire immédiate, et donc au
ressenti à un instant « T », c‟est-à-dire lorsque l‟individu remplit le questionnaire.
L‟analyse porte au final sur 370 questionnaires. Les données récoltées ont fait l‟objet d‟un traitement
statistique sous « Modalisa », logiciel d‟analyse de données et de traitement d‟enquêtes par
questionnaires ou entretiens.
Les résultats d‟analyse ont ensuite permis d‟identifier précisément les lieux considérés comme à priori
les plus dangereux et les raisons de ces dysfonctionnements (surfréquentation, délinquance,
négligences des adultes à l‟égard des plus jeunes…). Ces éléments d‟analyse doivent permettre
d‟affiner la connaissance des parcs dans ses aspects sécuritaires.
Résultats
Le tableau ci-dessous présente les caractéristiques des enquêtés de chacun des parcs selon la tranche
d‟âge, le sexe, le niveau de diplôme et la catégorie socioprofessionnelle, tandis que la carte met en
évidence la répartition géographique des enquêtés.
Document 7 : profil des enquêtés selon le sexe, l‟âge, le niveau d‟études et la catégorie
socioprofessionnelle
D‟une manière générale, la fréquentation d‟un parc varie selon différents critères : la saison tout
d‟abord, les pics de fréquentation étant atteint au printemps et en été, avec des taux de fréquentation de
l‟ordre de plusieurs fois par semaine (document 8).
154

Document 8. Taux de fréquentation selon la population enquêtée (N=370), tous parcs confondus.
Les tableaux du document 9 déclinent de manière plus précise les taux de fréquentation de chaque parc
à chaque saison et selon les temps de la journée. Au printemps et en été (pics de fréquentation), la
fréquentation augmente en début d‟après-midi pour tous les parcs, sauf celui des Berges du Rhône,
dont la courbe de fréquentation (graphique 1, doc.9) atteint son apogée au moment du déjeuner (entre
12h et 14h). De même, alors que les taux de fréquentation diminuent en soirée dans l‟ensemble des
parcs et sur l‟ensemble des saisons, ceux des Berges du Rhône restent globalement élevés : 19,1% en
automne par exemple, contre 8,7% à Gerland, 2,3% à la Tête-D‟Or et 2% à Miribel-Jonage.
Document 9. Taux de fréquentation journalière des 4 parcs de l‟étude, selon la population totale
enquêtée (N=370)
Près de la moitié des répondants fréquentent un parc indifféremment de la semaine ou du week-end et
se déplacent en famille (35,7%) ou entre amis (29,2%). Précisément, la fréquentation des parcs est liée
à la proximité du domicile : du lundi au vendredi, ils captent une population dans un rayon de dix
minutes à pied, et le week-end, des usagers qui effectuent leur sortie dominicale en voiture.
155
1
2
3
4

Document 10. Exposition des parcs à différentes sources de danger (en %), selon la population
totale enquêtée (N= 370)
D‟une manière générale, les enquêtés déclarent trouver la tranquillité qu‟ils recherchent au sein des
parcs. Proximité, végétation et accessibilité sont les trois éléments qui entrent en ligne de compte dans
le choix de fréquenter un parc. Mais pas seulement. La sécurité est, pour près de la moitié des
répondants, un critère de sélection à part entière pour la fréquentation d‟un parc. Si, sur l‟ensemble de
la population enquêtée, 50,3% déclarent en effet se sentir plutôt bien en sécurité quelque soit la saison,
48,1% affirment néanmoins que ces espaces peuvent potentiellement être soumis à une ou plusieurs
sources de danger. Ce chiffre dissimule quelques disparités selon les parcs :
Le document 10 démontre que nos enquêtés placent les Berges du Rhône et Miribel-Jonage parmi les
parcs considérés comme étant les plus soumis à un ou plusieurs risques.
L‟enquête d‟Emmanuel Boutefeu (2005) auprès des habitants de l‟agglomération lyonnaise sur la
demande sociale de nature en ville 324 , avait formulé des résultats quelque peu similaires en matière de
« préoccupation sécuritaire » : « Lorsque l’on demande aux personnes de notre échantillon de dire
quels sont les services de proximité et de décrire les éléments de leur cadre de vie qu’il convient
d’améliorer en ville, elles déclarent qu’il importe d’agir en premier lieu sur la sécurité (29%). Le
volet sécuritaire arrive donc en tête de leurs préoccupations. Dans une note de travail datée de juin
2002, l’Agence d’urbanisme pour le développement de l’agglomération lyonnaise souligne combien la
sécurité est identifiée comme une condition sine qua non de la qualité de vie des Lyonnais: «
l’insécurité, dit-elle, détériore largement la qualité de vie dans la mesure où 74% des répondants du
quartier de la Croix-Rousse l’évoquent comme une nuisance ».
Evaluation du risque sur une échelle numérique de 0 à 10
POLLUTIONS DIVERSES
CHUTES 2
CHUTES 1
PROJECTILES
ACCIDENTS DE VELOS
TOMBER A L'EAU
AGRESSIONS
1,68
1,72
2,4
2,76
2,68
3,45
Chutes 1 : Chutes dues à la composition des sols ou au mauvais entretien des chemins
Chutes 2 : Chutes de branches ou d‟arbres
Document 11 : évaluation moyenne de la perception du risque sur une échelle de 0 à 10, tous
parcs confondus
324 Boutefeu E. (2005), La demande sociale de nature en ville, enquête auprès des habitants de l'agglomération
lyonnaise, éditions PUCA-CERTU, 85 p.
4,1
0 2 4 6 8 10
156
MOYENNE GENERALE

Le niveau 0 de l‟échelle exprime une absence de perception de danger tandis que le niveau 10
correspond à un niveau de perception maximal du risque. L‟analyse des résultats fait apparaître que la
moyenne des notes attribuées à chacun des risques n‟atteint jamais la moyenne de l‟échelle numérique,
à savoir 5/10. Le risque perçu comme étant le plus important correspond aux accidents de vélos ou de
rollers et ce sont les usagers des Berges du Rhône qui le ressentent de manière plus intense.
Les moyennes ci-dessus dissimulent néanmoins quelques hétérogénéités spatiales qu‟il convient
d‟aborder à l‟aide du graphique ci-dessous :
Représentation du risque sur une échelle de
0 à 10
POLLUTIONS DIVERSES
CHUTES 2*
CHUTES 1*
AGRESSIONS
10
Chutes 1 et 2 : voir légende du document 10
1
TOMBER A L'EAU
COLLISIONS DE
VELOS/ROLLERS
PROJECTILES
BERGES DU RHONE GERLAND MIRIBEL-JONAGE
Document 12 : évaluation du risque sur une échelle de 0 à 10 selon les moyennes pour chaque
espace vert
Le document 12 rend compte de l‟évaluation par les personnes interrogées des risques encourus pour
chacun des parcs sur une échelle de 0 à 10. En matière de risques de chutes (d‟arbres ou dues au
mauvais entretien des chemins), le parc de Miribel-Jonage tient la première place. En matière
d‟agressions, ce sont les répondants enquêtés sur les Berges du Rhône qui placent ce risque au-dessus
de la moyenne (5,2/10), et dont 15% lui attribuent une note de d‟au moins 8/10.
De même, le risque de tomber à l‟eau est évoqué par 55% des répondants des Berges du Rhône en
attribuant une note supérieure ou égale à 5/10 (44% à Gerland, 29,7% pour Miribel-Jonage et 19%
pour la Tête d‟Or comparativement) dont 1/3 admettent une note supérieure à 8/10 pour ce même
risque. Mais de manière plus générale, le parc de Miribel-Jonage est considéré comme le parc
comportant des risques plus élevés en comparaison des autres.
157

Document 13. Représentations des enquêtés vis-à-vis des rencontres potentielles
158

Document 14. Zones d‟évitements sur les Berges du Rhône et au parc de la Tête-d‟Or et raisons
liées à la non-fréquentation
Afin d‟affiner l‟analyse de ces représentations et de permettre une possible comparaison des espaces
étudiés, nous examinerons successivement l‟organisation spatiale de ces espaces pour caractériser les
phénomènes d‟insécurité s‟y produisant.
Parc de Gerland
Décrit comme un lieu spacieux (31%), vert (26%) et agréable (26%), le parc de Gerland est parfois
perçu comme ennuyeux (8%) voire dangereux (6%). Plus d‟un tiers des visiteurs déclarent s‟y rendre
en famille pour se détendre, apprécier la tranquillité du lieu et permettre aux enfants de profiter des
espaces des jeux et des pelouses. Cette population, essentiellement jeune et familiale, fréquente le parc
pour sa végétation et ses facilités d‟accès, notamment en voiture. 58% des usagers utilisent en effet
leur véhicule pour se rendre au parc, très loin devant le vélo (17%), la marche à pied (13%) et les
transports en commun (12%). Les temps de trajets sont dans les 3/4 des cas inférieurs à 20 minutes. Si
les taux de fréquentation sont plus importants le week-end, 59% des usagers déclarent se rendre au
parc aussi bien en semaine que le samedi ou le dimanche. Cependant, la fréquence de fréquentation
connaît des variations saisonnières : si le parc est fréquenté plusieurs fois par semaine durant le
printemps et l‟été, les visites se limitent pour 1/3 des usagers à une fois par mois durant l‟automne ou
l‟hiver ; 40% des usagers déclarent même ne jamais fréquenter le parc durant l‟hiver.
Quelque soit la saison, les taux de fréquentation sont de loin les plus importants en début d‟après-midi
(entre 14h et 16h), moments de la journée les plus favorables aux mamans et aux assistantes
maternelles pour promener les enfants. En été, les fins de journée sont plutôt fréquentées par les moins
de 29 ans, venus pour profiter du skate-parc à des heures moins chaudes. Ce dernier constitue par
ailleurs, avec les pelouses et les aires de jeux pour enfants, l‟un des espaces les plus appréciés par les
usagers du parc.
159

Toutefois, la surfréquentation du parc de Gerland au printemps et en été génère de nombreux
comportements incivils : 32,4% des personnes ayant déclaré avoir été victimes ou témoins d‟un fait
délictueux au parc de Gerland ont précisé que l‟incident s‟était produit sur le skate-parc ou à ses
abords. Il s‟agit la plupart du temps d‟insultes (10,3%), de vols (8,5%), de collisions de vélos (6,8%)
ou de bagarres (6,8%). Un tiers des usagers déclare justement ne pas fréquenter volontairement le
skate-parc en justifiant ce choix par les incidents liés à une importante surfréquentation. Différents
entretiens menés avec le gérant de la brasserie 325 et son personnel corroborent les résultats de nos
enquêtes sur la récurrence des agressions (verbales et physiques) et des vols (de portables et sur les
distributeurs automatiques de boissons) sur cet espace de jeux.
D‟autres sources mettent en évidence les problèmes liés aux intrusions dans les jardins familiaux
distributeurs automatiques) : d‟après le compte-rendu de la séance du comité d‟initiative et de
consultation du 7 ème arrondissement de Lyon (6/10/2008) 326 , des effractions et des vols (intrusions
extérieures) dans les cabanes où sont entreposés les matériaux de jardinage ont été constaté. A cet
égard et étant donné la recrudescence de ces vols, le président de l‟association des jardins ouvriers de
Gerland proposait de faire installer des caméras de surveillance. A la suite d‟un dépôt de plainte après
ouverture et départ de feu dans l‟une des cabanes, les agents de police ont toutefois indiqué que le 7 ème
arrondissement de Lyon ne disposait que d‟une seule voiture de patrouille pour espérer accroître la
surveillance.
48,1% des personnes interrogées estiment que le parc est soumis à une ou plusieurs sources de danger,
et parmi celles-ci, le risque de chute dans le Rhône constitue avec 41,8% des réponses le premier
danger spontanément cité par les usagers, loin devant les faits de délinquance et de provocation de
certains individus (23,6%) et du racket sur les enfants (10,6%). Les abords du Rhône constituent les
espaces les plus évités, notamment par 44% des femmes accompagnées d‟enfants. L‟absence de
barrière de sécurité crée un sentiment de stress chez ces usagers contraints à faire preuve d‟une plus
grande vigilance pour protéger les plus petits du danger. Malgré ces inquiétudes, l‟installation des
barrières de sécurité le long du Rhône ne figure qu‟en queue de peloton dans les souhaits
d‟aménagements du parc.
Par ailleurs, la présence du poste de police et les patrouilles à vélo ou en voiture rassurent les usagers :
51% des interrogés déclarent la sécurité comme critère de choix dans la fréquentation du parc de
Gerland, de même que la vidéosurveillance (73%) et que la grille (69%). De même, parmi les dix-huit
propositions d‟aménagements du parc faites par les usagers, huit d‟entre elles totalisant 38,9% des
propositions sont liées à des questions de sécurité. Elles sont ici énumérées : « caméras de
surveillance ; panneau d’interdiction de consommation d’alcool, présence accrue de la police à vélo
ou à pied, bornes de secours, panneau de signalisation, éclairage du skate parc, plus de répression
pour les enfants du parc ».
La nuit, le parc étant fermé, les usagers ne peuvent se prononcer sur la sûreté des lieux : Cependant,
l‟entretien 327 conduit avec le personnel de la brasserie (précédemment évoqué) met en lumière un
certain nombre de faits et troubles nocturnes, notamment en matière de dégradations de mobilier. Le
gérant de la brasserie du parc a en effet déclaré avoir été vandalisé près d‟une trentaine de fois sur la
seule année 2008. Le parc est également décrit comme un lieu de rencontre des supporters des équipes
de football, faisant intrusion en soirée à l‟issue des matchs en passant par-dessus les grilles. Par
ailleurs, de nombreuses bagarres nocturnes ont été identifiées par ce même personnel de brasserie.
Parc de la Tête d’Or
Plus de la moitié (57%) des visiteurs du parc viennent en famille (phénomène lié en grande partie à la
pratique de la marche, de la promenade). Les autres viennent seuls (23%) ou entre amis (14%). Les
usagers du parc de la Tête d‟Or sont assez représentatifs de la population de l‟agglomération
325 Brasserie de Gerland, située dans l‟enceinte du parc
326 Téléchargeable en ligne :
http://www.lyon.fr/static/vdl/contenu/arrondissements/7ardt/pdf/CRCICA%2006%2010%202008%20PC.pdf?&
view_zoom=1
327 Retranscrit en annexe A2.1
160

lyonnaise : les employés sont bien représentés (36%), tandis que les ouvriers et les retraités y sont
sous-représentés. Le parc de la Tête d‟Or, malgré sa renommée et l‟étendue de son aire d‟influence,
reste très marqué par une fréquentation de proximité. 57% des visiteurs habitent Lyon ou
Villeurbanne. Un tiers des usagers se rend au parc à pied et un peu moins de la moitié en voiture. Les
transports collectifs atteignent les 23% des modes de transports utilisés.
L‟usager moyen est un habitué (45% des visites au moins hebdomadaires) et reste dans le parc en
moyenne deux à trois heures. Il y vient avec une intention précise : se promener (35%), se détendre, se
relaxer (31%), s‟aérer (26%), voir les animaux de la Plaine Africaine (9%), faire su sport (9%) et
contempler la nature (8%). C‟est en effet autour de ces activités que polarise fortement la
fréquentation. Les activités payantes apparaissent peu attractives et sont même source de
mécontentements de la part des parents sans cesse sollicités par leurs enfants. La fréquentation des
promeneurs tend à se concentrer sur la plaine africaine (30,4%), les pelouses (26,8%), les abords du
lac (9,4%) et la roseraie (8,7%).
Le week-end, la proportion de personnes isolées n‟est que de 20% (alors qu‟elle est globalement de
36% en semaine), les familles et couples sans enfants représentant ce jour-là 34% des usagers. C‟est
également le jour où l‟on vient de plus loin et où, corrélativement, l‟on constate un taux d‟utilisateurs
de leur véhicule plus important (69,4%). En affinant l‟analyse, on s‟aperçoit que la promenade
représente 21% des motifs de visite le dimanche après-midi et le jogging, seulement 2%.
23% des répondants apprécient le parc pour sa proximité avec le lieu d‟habitation et 22% pour sa
végétation. Sa taille et son accessibilité sont également deux éléments très appréciés par plus de la
moitié des usagers du parc. 18,9% qualifient en outre le parc d‟agréable et de relaxant.
Toutefois, 58% des interrogées considèrent la sécurité du parc comme un critère de première
importance. Particulièrement, 87% estiment que la clôture du parc est essentielle pour garantir la
sécurité des usagers, dissuadant au passage les personnes mal intentionnées de trouver facilement un
moyen de s‟échapper. Environ la moitié des personnes interrogées ont déclaré avoir été victime ou
témoin d‟accidents de vélos ou de rollers (25%), d‟agressions verbales (13,4%), d‟agressions
physiques (8%). D‟autres ont exprimé leurs craintes vis-à-vis des phénomènes d‟exhibitionnisme. La
majorité des faits déclarés ont été commis ou aperçu près des entrées du parc et notamment à
proximité de la porte des enfants du Rhône (32,7%), de la porte du boulevard Stalingrad (18,2%), sur
les allées du parc aux daims (12,7%) et sur les pelouses (9,1%).
Concernant « l‟avenir » du parc, plutôt que des mesures de lutte contre l‟insécurité, les usagers
souhaitent dans leur grande majorité que des mesures liées au confort (plus de toilettes…) soient
prises.
Berges du Rhône
Le parc des berges du Rhône est décrit comme un lieu agréable (23%), convivial, relaxant et spacieux.
Il capte une population relativement jeune, près de la moitié ont entre 20 et 29 ans, salariée (43%) ou
étudiante (29%).
Document 15. Taux de fréquentation des Berges du Rhône selon la saison
Ces usagers déclarent fréquenter le parc seul ou entre amis pour se reposer, déjeuner, se retrouver pour
boire, s‟amuser ou faire la fête. Ils fréquentent le parc surtout au moment du déjeuner et/ou le soir. Les
espaces les plus fréquentés par les étudiants sont essentiellement les marches de la Guillotière, tandis
que les salariés et les couples fréquentent plutôt les méridiennes et les pelouses.
161

Nos résultats mettent en évidence trois grandes catégories de nuisances : les comportements incivils et
dangereux, les nuisances sonores en lien avec la fête et la consommation d‟alcool et la malpropreté des
lieux.63% des personnes interrogées estiment en effet que le parc des Berges du Rhône est soumis à
une ou plusieurs sources de dangers : parmi elles, 73% expriment leur inquiétude vis-à-vis des
comportements incivils et dangereux. En outre, 24,1% des enquêtés ont déclaré avoir été victimes ou
témoins d‟agressions verbales, d‟accidents de vélos ou de rollers (24,1%), d‟agressions physiques
(15,6%) ou de vols (8,5%) au cours des 12 derniers mois. De même, le trafic de drogue et de cigarettes
réalisé sous les ponts (devenus par conséquent zone d‟évitement pour ces usagers du parc) constitue
un autre phénomène déclaré par 20,8% des usagers.
La position du parc en contrebas des quais-hauts rassure toutefois les promeneurs, qui y trouvent un
refuge face au risque d‟accident dû à la circulation automobile importante, à la pollution et au bruit.
Alors que le parc procure aux usagers calme et tranquillité, tel n‟est pas le cas aujourd‟hui pour les
habitants des péniches et des quais-hauts. Les rassemblements festifs provoquent en effet, notamment
en début de soirée, de nombreuses nuisances sonores. Ainsi, de nombreuses plaintes furent déposées
auprès des autorités compétentes (mairie, bailleurs…) pour signaler ces nuisances à répétition. Dans
nos enquêtes, les usagers dénoncent notamment les rassemblements en soirée et tard dans la nuit, ainsi
que la présence importante d‟alcool, souvent accompagnée de drogues.
Les entretiens menés ainsi que les observations de terrain mettent en évidence une troisième catégorie
de nuisances, relevant de la propreté des lieux. Si 62% des personnes interrogées déclarent que le parc
des Berges du Rhône est assez propre, 1/4 d‟entre eux le juge assez sale voire très sale. Ce phénomène
est largement mis en avant par les usagers fréquentant le parc notamment aux heures de déjeuner et en
soirée (après 18h), ces utilisateurs précisant le type de déchets visibles dans le parc : abandon des sacs
plastiques, boîtes de pizzas, débris de verre...). Le dessous des ponts constituent le secteur d‟évitement
le plus important pour 49,2% des interrogés du fait, en plus du trafic de drogue, de mauvaises odeurs
(urine) bien qu‟en 2008, trois nouvelles toilettes aient été installées sur les quais hauts et qu‟un
nettoyage des dalles soit régulièrement réalisé par la société Véolia, chargée de la propreté du site.
Si l‟objectif de ce réaménagement urbain était de permettre à l‟homme de retrouver une relation avec
son fleuve, un tel succès n‟avait pas été prévu, ni en matière de surveillance, ni en matière
d'installation, ni même dans les coûts de gestion que cet espace engendrerait. Ainsi, les Berges du
Rhône nécessitent aujourd‟hui des coûts d‟entretien exorbitants, allant bien au-delà des prévisions
budgétaires. De même, les caméras de surveillance, qui n‟étaient pas prévu au départ dans le document
d‟ouvrage des Berges, furent jugées nécessaires et placées à la hâte pour assurer le contrôle de cet
espace. Afin de parer à ces difficultés de gestion, la mairie du 3 ème arrondissement avait également
soumis l‟idée de modifier la conception initiale des marches de la Guillotière en proposant
l‟implantation de jets d‟eau permettant d‟inonder les marches le soir venu, et de fait, empêcher les
rassemblements en ce lieu.
2,2
Sport
Dans quel but venez-vous sur les Berges du Rhône ?
3 3
3,7
5,9
Lire Rencontres Vue Promenade Boire S’aérer Discuter Déjeuner/
8,1
8,9
Pique-nique
Document 16. Raisons de la fréquentation des Berges du Rhône en la pourcentage (%), base 100
répondants
162
10,4
13,3
14,1
Faire
fête
27,4
Détente

Enfin, dans une dernière catégorie, le Rhône lui-même constitue, pour 1/4 des personnes percevant des
phénomènes d‟insécurité dans le parc, une source de danger potentielle du fait du risque de chute ou
de noyade. Si les faits sont rares, quelques-uns ont tout de même été recensés en 2009, à l‟image de cet
article paru le 1 er juillet 2009 dans le Progrès sous le titre « Noyade dans le Rhône : un jeune homme
dans un état critique »:
« La chaleur avait conduit un groupe de trois copains à se tremper dans le Rhône, là où le
fleuve ne paraît pas très hostile depuis les berges. Ce plaisir urbain, mais interdit, s'est hélas soldé
hier par un drame. Les faits ont eu lieu quai Charles-de-Gaulle, sous le pont Churchill, vers 17 h 45.
L'un des jeunes, qui ne savait pas nager et qui se contentait de barboter au bord, a subitement été
englouti. L'un de ces tourbillons piégeant qui se forme en fonction du débit ? Toujours est-il que tout
serait allé si vite que personne n'a rien vu, ni pu esquisser le moindre geste. Alertés, les pompiers ont
très vite dépêché des plongeurs sur place et ont pu retrouver et ramener le corps du baigneur à la
surface vers 18 h 20. Malgré l'intervention rapide, c'est dans un état critique que le jeune homme, âgé
de 18 ans et demeurant à Lyon, a été évacué vers l'hôpital Neurologique.
Ce drame rappelle qu'en toutes circonstances, il peut être très dangereux de s'aventurer dans le lit du
fleuve. Même si des petites îles ou des bancs de gravier paraissent très accessibles, le Rhône peut très
vite les recouvrir et mettre des baigneurs, notamment les plus jeunes, en grand danger ».
Miribel-Jonage
Concernant la fréquentation, les résultats de notre enquête indiquent que toutes les catégories d‟âge
jusqu‟à 40 ans sont bien représentées au parc de Miribel-Jonage :
Age En %
Jusqu'à 19 ans 14,3
20-29 ans 28,6
30-39 ans 14,3
40-49 ans 28,6
50-59 ans 5,7
60 ans et + 8,6
Total 100
Document 17. Recensement des interrogés selon leur catégorie d‟âge
27,1% des visiteurs résident à Villeurbanne et 21,5% des visiteurs résident dans les communes de l‟Est
lyonnais (Bron, Vaulx-en-Velin, Vénissieux, Décines, Mions, Meyzieu…). Ils s‟y rendent
principalement en famille (54,3%) ou entre amis. Pour 80% des interrogés, la visite dure entre 2 et 4
heures avec des pics de fréquentation atteints entre 12h et 18h, notamment au printemps et en été. Les
différents moments de la journée n‟appellent pas les mêmes fréquentations : en matinée, les usagers se
rendent au parc pour pratiquer une activité sportive, profiter du calme et découvrir la faune et la flore,
tandis que l‟après-midi, les usagers affichent des objectifs de détente (32,4%), de bronzage (24,3%) et
de baignade (23%), les barbecues étant relégués en fin de journée et en soirée.
Les adjectifs décrivant le parc de Miribel-Jonage font partie du champ lexical rapportant à la taille
(grand, spacieux, immense…), au bien-être (calme, tranquille, agréable, bucolique) mais également à
son aspect potentiellement insécurisant (dangereux, meurtrier, sale, dégradé). Ces adjectifs, d‟une
extrême diversité et parfois même d‟une extrême intensité nécessitent que la question soit approfondie.
Zones évitées En %
Hors plage du Morlet 39,3
Hors plages surveillées /endroits trop désert/non
surveillés
34,4
Les endroits sombres/boisés/cachés 14,8
Plage naturiste 6,6
163

Planète tonique 3,3
Coins sauvages 1,6
Total 100
Interrogés : 70 / Répondants : 54 / Réponses : 61, Sous population : Miribel-Jonage
Pourcentages calculés sur la base des réponses à la question ouverte « Quels secteurs ne fréquentezvous
pas volontairement ? »
Document 18. Zones d‟évitement du parc de Miribel-Jonage
L‟espace du parc le plus fréquenté reste de loin la plage du Morlet (59,2%). Cette fréquentation
s‟explique par les services proposés sur place, l‟intérêt pour la baignade, mais aussi du fait de la
présence visible du poste de police et du personnel de sécurité (police, sauveteurs). Précisément, les
entretiens semi-directifs ont été l‟occasion de mettre en avant la relation entre une forte fréquentation
de la plage et la présence policière. Nombreuses étaient les personnes qui déclaraient ne fréquenter cet
espace que parce que la présence policière était visible. D‟autres allaient jusqu‟à déclarer ne fréquenter
la portion de plage placée précisément située dans le champ de vision des agents de police.
A l‟opposé, les secteurs d‟évitement du parc sont constitués par « tout le reste » (expression qui
revient largement dans les réponses) ainsi que les espaces sombres, boisés, cachés et les plages
naturistes.
Pourquoi ne fréquentez-vous pas ces
secteurs ?
En %
insécurité 45,3
non surveillé 22,6
dangereux 15,1
mal fréquenté 5,7
Accès payant 3,8
surfréquenté 1,9
pas assez fréquenté 1,9
racolage 1,9
violence 1,9
Total / réponses 100
Interrogés : 70 / Répondants : 48 / Réponses : 53, Sous population : Miribel-Jonage
Pourcentages calculés sur la base des réponses à la question ouverte «Pourquoi ne fréquentez-vous
pas ces secteurs ? »
Document 19. Réponse à la question : pourquoi ne fréquentez-vous pas ces secteurs ?
Le document 19 précise les raisons invoquées par les usagers de ne pas fréquenter les espaces décrits
ci-dessus. D‟une part, pour près de la moitié des répondants, la raison avancée tient d‟une impression
d‟insécurité. 22,6% d‟entre eux relèvent une absence de surveillance et 15,1% des répondants
considèrent qu‟hormis la plage du Morlet, le parc est dangereux. D‟autre part, la présence d‟algues en
bord de plage, la surfréquentation du parc l‟été, le manque de toilettes ou leur éloignement par rapport
aux espaces fréquentés génère aussi un sentiment d‟insécurité.
De même, 58,6% des usagers précisent les sources d‟exposition au danger sur le site : « noyade »
(42,5%) due à la présence d‟algues et de tourbillons, « mauvaises fréquentations du parc » liées au
trafic de drogue (30%), les « agressions physiques » (10%).
Pour enrayer cette insécurité ressentie, les solutions proposées tournent en premier lieu autour de la
question des sanitaires (installation de toilettes/douches), puis autour de l‟aménagement d‟aires de
jeux et de création de places de parking.
164

Discussion
Lorsque les données officielles viennent consolider les représentations des usagers des parcs
Document 20 : Les faits de délinquance dans l‟agglomération lyonnaise entre 1997 et 2005
Les données conjointes de la gendarmerie et de la police nationale démontrent que les faits de
délinquance touchent en premier lieu les espaces publics centraux à la ville, et paradoxalement, là où
le contrôle et la vidéoprotection y sont les plus abondants. L‟Etat 4001 est un fichier réalisé sur la base
des délits et faits portés à la connaissance des services de police et de la gendarmerie. Il ne recense
donc pas l‟ensemble des faits de délinquance. Toutefois, il permet de donner quelques chiffres afin de
mieux appréhender notre territoire d‟étude : les Berges du Rhône et le parc de la Tête d‟Or sont par
exemple situés sur les communes les plus touchées par les faits de délinquance (document 20).
Toutefois, si ces espaces ne sont pas exposés de la même manière que les autres espaces publics aux
faits de délinquance, l‟absence de manne financière sur ces territoires pourrait sans doute constituer
l‟une des premières explications.
Le parc des Berges du Rhône fait l‟objet d‟une surveillance particulière de la part de la police
municipale. Cet espace central à la ville, de par son succès, est aujourd‟hui considéré comme l‟axe le
plus fréquenté juste après la rue de la République. Contrairement aux trois autres parcs de l‟étude, il
demeure très fréquenté quelque soit le moment de la journée ou la saison, cette fréquentation
atteignant son apogée en début de soirée, notamment durant l‟été. Les usagers ont gardé de ce lieu un
165

esprit festif lié aux discothèques et aux restaurants situés sur les péniches. La fréquentation des
marches de la Guillotière en soirée par des groupes de jeunes fêtards s‟accompagne de son lot de
nuisances (bruit, ivresse, drogue…).
Les enquêtés déclarent le plus souvent être gênés par la présence de rassemblement de personnes
venus pour faire la fête et boire entre amis. Sauf que les boissons alcoolisées, que ce soit dans un
« contenant en verre» ou en bouteille, sont interdites par arrêté municipal du 27 avril 2007. Seules les
boissons alcoolisées vendues par les restaurants et cafés des Berges sont autorisées. Le 2 juillet 2009,
le maire du 3 ème arrondissement, accompagné de quelques-uns de ses adjoints et d‟une quarantaine
d‟agents de la police municipale et nationale, étaient intervenu auprès de ces groupements pour leur
rappeler les textes de lois et la réglementation des espaces publics.
Toutefois, Jean Louis Touraine, Premier adjoint en charge de la sécurité, soulignait la difficulté à gérer
ces rassemblements sur les Berges du Rhône lors d‟une interview donnée à Lyon Capitale le
12/06/2007 : « interdire l’alcool relève d’une mesure de précaution qui vise à maintenir la tranquillité
publique…On est pris entre deux désirs, d’un côté, des gens veulent plus de liberté pour faire la fête.
De l’autre des gens se plaignent des nuisances, notamment sonores, provoquées par de tels
rassemblements. » Selon Patrick Truchet 328 , chef de service de la police des parcs, la consommation
d‟alcool sur les Berges s‟accompagne très souvent de la consommation de drogues sur les Berges du
Rhône. Or, si ces nuisances sont effectivement largement relatées dans les enquêtes parce qu‟elles sont
visibles, elles ne provoquent pas pour autant un sentiment d‟insécurité chez tous les usagers : ce sont
les femmes et les personnes âgées qui déclarent le plus souvent être incommodées par la présence
d‟odeurs de cigarettes ou ressentir un sentiment d‟inconfort (peur d‟être abordées). Cependant, il
semblerait que ce soit les riverains et notamment les résidents des péniches qui soient les principales
victimes de ces nuisances, notamment de nuit, subissant le tapage nocturne de ces rassemblements.
Les Berges du Rhône, comme lieu de centralité et de mixité sociale, constitue un espace où s‟opposent
en permanence certains usagers, qui par leurs pratiques ou leurs comportements créent un déséquilibre
dans l‟ordre préétabli, aux habitants et commerçants, le tout avec un arbitrage des institutions étatiques
en charge du contrôle de l‟espace et de ses usages. L‟appropriation de cet espace constitue un enjeu
fort puisque pour certains, l‟intérêt économique est tout à fait évident (crainte de perdre une certaine
clientèle pour les commerçants, spéculation foncière et immobilière sur les quais-hauts...). Dans les
faits, deux phénomènes se sont produits : s‟il s‟est avéré que l‟aménagement des Berges avait non
seulement maintenu la clientèle existante mais également attiré une nouvelle clientèle pour les
commerçants et restaurateurs, les riverains subissent de plein fouet ce réaménagement. Ainsi, le
Progrès du 17 juillet 2010 donnait pour titre à l‟un de ses articles : Berges du Rhône en nocturne : les
riverains craquent !...si tous concèdent que la promenade est magnifique en journée, les habitants qui
vivent au-dessus des gradins de la Guillotière et de la prairie, voudraient bien pouvoir dormir la nuit.
Beaucoup envisagent de déménager ».
Le résultat des enquêtes sur les Berges du Rhône nous amène à nous poser deux questions : Existe-t-il
un lien de cause à effet entre les Berges du Rhône et le quartier de la Guillotière, reconnu par
l‟observatoire de la sécurité comme l‟un des espaces les plus difficiles à gérer à Lyon, que ce soit en
matière de sécurité ou de gestion de la propreté ? Existe-t-il véritablement un déplacement de la
délinquance urbaine vers les Berges du Rhône, comme semble l‟affirmer le chef de service de la police
des « Grands Parcs » ? Pourquoi cet espace, décrit par F.Sornom Aï 329 comme un « véritable cas
d‟école » et à l‟inverse des autres parcs, pose-t-il tant de difficultés de gestion ?
Réduire le sentiment d‟insécurité par la sécurisation des espaces ?
On pourrait voir, dans la multiplication des outils de contrôle du territoire (clôture, caméras de
surveillance, patrouille de police) une solution pour prévenir l‟insécurité. Toutefois, la sécurisation des
espaces par ces modes de contrôle laisse entrevoir quelques questions : si la vidéoprotection a son
328 Entretien retranscrit en annexe A2.2
329 Entretien retranscrit en annexe A2.3
166

utilité, les perpétuelles questions portent sur son implantation et l‟usage que l‟on en fait après
enregistrement. Fonctionne-t-elle la nuit ? Dispose-t-on d‟effectifs suffisants pour les visionner ? Leur
placement permet-il de contrôler tous les espaces? Respecte-elle la vie privée du citoyen ?
Les autorités locales s‟accordent à dire qu‟un fait récent voit le jour, celui la dégradation des
équipements collectifs.
Au printemps et en été, les incivilités augmentent (allongement de la journée ? vacances ?
surfréquentation ?...)
La télésurveillance et la fermeture du parc (par les grilles durant la nuit) ne sont en rien des éléments
sécurisants pour l‟ensemble des usagers des parcs, d‟une part parce que les caméras ne fonctionnent
pas la nuit (thermiques ?), d‟autre part parce que les caméras ne contrôlent strictement que les entrées
(en cas d‟atteintes au règlement par l‟entrée des deux-roues motorisés ou véhicules non autorisés…) et
non pas l‟ensemble des espaces du parc.
Existe-t-il un lien de causalité entre sécurité et sentiment d‟insécurité ? Par exemple, l‟installation de
barrières de sécurité le long du Rhône contribuerait-elle à réduire le sentiment d‟insécurité ? Rien n‟est
jamais moins sûr : les résultats ont montré que les personnes décrivant un risque de tomber dans le
Rhône étaient surtout constituées de femmes (maman, nourrices) accompagnées d‟enfants en bas âge.
L‟absence de protection génère un sentiment de stress pour ces femmes contraintes à plus de vigilance
qui adoptent au final une stratégie d‟évitement des berges. D‟autre part, les statistiques ne révèlent que
les chutes dans le Rhône constituent une part infime des accidents. L‟installation de barrière pourrait
par ailleurs produire un effet inverse : se sentir en sécurité du fait de la présence de barrières pourrait
accroître le manque de vigilance et par-là même, conduire à favoriser le risque de chute. Enfin, la
présence d‟une barrière de sécurité pourrait être comprise par les usagers comme une entité à ne pas
franchir et donc être perçu comme un véritable danger, amplifiant lui-même le sentiment d‟insécurité.
« Par exemple, une fois installés, les dispositifs de sécurité comme les barrières jersey et les blocs de
béton, la population de Washington se sentait encore plus effrayée » (I.Boucher, 2006).
Pour enrayer cette insécurité ressentie, nous avons également pu constater, dans les résultats de nos
enquêtes, que les solutions proposées par les usagers ne concernaient quasiment jamais l‟installation
d‟outils sécuritaires. Les répondants furent forces de proposition, mais seulement sur des projets
réalisables à court terme, ayant le sentiment que faire reculer l‟insécurité (en augmentant les effectifs
par exemple) nécessitait des actions sur le moyen ou le long terme. D‟autre part, si certains attendent
des solutions immédiates, beaucoup ne voient pas dans la répression ou la présence policière une
réponse satisfaisante au traitement de l‟insécurité. L‟opération de « reconquête » du parc de Miribel-
Jonage par le SYMALIM, le réaménagement des espaces délaissés, la signalisation et la visibilité
donnée au territoire par une communication de grande envergure ont permis de redorer l‟image du
parc.
De jour, des conflits d‟usages et un sentiment d‟inconfort plutôt que de vrais actes délinquants
ou un sentiment d‟insécurité
En journée, les visiteurs se sentent relativement bien en sécurité dans les parcs, décrits comme
agréables, ouverts, spacieux, paisibles : considérés comme des espaces publics sûrs, les problèmes
avancés tiennent des incidents liés à la surfréquentation et aux regroupements organisés d‟usagers, que
ce soit dans un but festif ou simplement pour se retrouver ; ce sont aussi certains défauts
d‟aménagements de certains espaces des parcs : sur les Berges du Rhône, les espaces situés aux abords
des ponts sont évités par bon nombre d‟usagers qui déplorent le manque d‟éclairage, les odeurs d‟urine
ainsi que la présence d‟usagers en présence de produits illicites (drogues, alcool…).
Au printemps et en été, la surfréquentation et la multiplicité des usages sur un même espace
provoquent parfois un certain nombre de conflits. Les pelouses du parc de la Tête d‟Or sont à ce titre
largement prisées par les familles aspirant à la détente et au repos, tandis que les jeunes s‟improvisent
des parties de ballon. De même, le non-respect de la réglementation du parc, l‟introduction de boissons
alcoolisées, l‟exposition des enfants sur les rebords des barrières de protection des enclos d‟animaux
de la Plaine Africaine au parc de la Tête d‟Or, les cyclistes roulant trop près des abords du Rhône ou
encore la vitesse de circulation des automobiles au-delà des limites autorisées au parc de la Tête d‟Or
ressortent de nos enquêtes, de la même manière que certains conflits d‟usages (surfréquentation du
167

skate-parc à Gerland, de la plaine africaine, plage du Morlet à Miribel-Jonage). C‟est également un
manque de toilettes, leur inaccessibilité certains jours de la semaine, leur fermeture les jours
fériés (parc de Gerland) et le manque d‟accès à l‟eau potable (fontaines d‟eau fermées ou ne
fonctionnent pas) qui créent le mécontentement.
Un marquage territorial fort : l‟entretien du site
La sécurité apparaît pour les habitants comme un droit. Particulièrement, l‟enquête réalisée montre que
c‟est la sécurité envers autrui et les plus jeunes qui est recherchée, en particulier par les chefs de
famille. Mais le renforcement de la sécurité ne découle pas seulement de l‟addition de mesures
répressives ou d‟une présence policière plus visible. De nombreux paramètres influent sur le sentiment
de sécurité, comme la dégradation des espaces publics, le manque d‟éclairage ou de propreté. Ce
dernier élément, constituant une pollution visuelle et olfactive, exacerbe le sentiment d‟insécurité des
usagers. Alors que le Grand Lyon affiche sa volonté de maintenir les espaces verts, et d‟une manière
plus générale, tous les espaces publics en état de propreté pour ne rien laisser transparaître, le parc des
Berges du Rhône porte encore aux yeux des personnes interrogées les conséquences d‟une mauvaise
gestion en la matière. Conscient de ce problème, la communauté urbaine de Lyon avait porté au plus
haut point ces questions en confiant en 2007 le contrôle de la qualité du travail de la société soustraitante
Véolia à la Direction de la propreté de la communauté urbaine. Malgré cela, les déchets
(bouteilles, emballages en carton, bris de verre, mégots…) abandonnés continuent d‟abonder. Les
joggeurs matinaux ne manquent pas de faire remarquer la malpropreté du site. Améliorer le sentiment
de sécurité des usagers des parcs lyonnais passe donc par la mise en œuvre d‟une action au niveau des
espaces publics, de la diminution du nombre de dégâts portés sur les installations mais également sur
la réduction des petites nuisances quotidiennes fortement perturbatrices.
La seconde catégorie s‟oriente vers le thème de la vie sociale dans les espaces publics en abordant la
question de la sécurité et de la prévention avec d‟autres entrées : la nécessaire responsabilisation des
adultes et le développement des lieux de convivialité, au cœur d‟un espace pourtant déjà jugé comme
étant largement convivial.
Conclusion
Ces résultats ont permis d‟une part, de tester les temps de la journée et les lieux, d‟autre part, d‟avoir
une meilleure compréhension des attentes de la population en matière de sécurité dans les parcs.
L'analyse des résultats illustre une grande variabilité multifactorielle et une articulation étroite entre
sentiment individuel d‟insécurité et les caractéristiques des lieux.
Il existe une forte dichotomie entre les faits ressentis qui tiennent des problèmes liés à l‟aménagement
et à la gestion des espaces, de jour et faits avérés, correspondant à des événements à « fort impact
psychologique » et entraînant un fort sentiment d‟insécurité, de nuit pour la plupart.
Au terme de cette étude, la complexité de la relation entre la perception de l‟insécurité et la réalité des
faits apparaît nettement. Toutefois, si ces résultats démontrent qu‟il existe de nombreux phénomènes
d‟insécurité dans les parcs urbains, ils doivent avant tout être utilisés avec discernement. En effet, les
parcs urbains sont d‟abord, et en comparaison des autres espaces publics de la ville, ceux où
l‟insécurité est la plus faible en terme statistique, et pour diverses raisons : ces lieux sont la plupart du
temps investis par une population dont les attentes sont aussi diverses que celles précédemment
explicitées (détente, repos, solitude, tranquillité…) ; en outre, ces lieux sont beaucoup moins attractifs
pour les vols et cambriolages que les rues commerçantes de la Presqu‟île lyonnaise, d‟autant que les
risques encourus par le contrevenant seraient bien supérieurs aux bénéfices qu‟il pourrait réaliser.
Au-delà des questions sécuritaires, la question des parcs urbains aujourd'hui prend sens dans une
même problématique, celle des nouvelles centralités. Le parc des Berges en est l‟exemple même.
Cette étude aura également mis en exergue les rapports complexes entre planification, opération et
gestion post opératoire des nouveaux espaces naturels urbains dédiés aux loisirs. Si un espace vert
168

fonctionne bien, c‟est parce qu‟il est justement caractérisé par une forte mixité sociale (jeunes, moins
jeunes, mamans, sportifs…), dont les stratégies individuelles de déplacements sont elles-mêmes
largement codifiées par les aménagements du parc. Les structures semblent jouer un rôle prépondérant
dans la sécurisation des espaces permettant à la fois une délimitation spatiale et une ségrégation
sociale bénéfique, appelant une fréquentation spécifique. Ailleurs, si certains parcs comme celui de
Central Park à New York fonctionnent aujourd‟hui relativement bien, tel ne fut pas le cas il y a une
trentaine d‟années : dans les années 1980, Central Park était considéré comme un lieu d‟extrême
dangerosité, notamment après la tombée de la nuit et où les taux de criminalité atteignaient les 1000
meurtres par an. Viols er agressions en tous genres constituaient le lot de risques au sein d‟un espace
vert peu entretenu, laissé à l‟abandon, où les arbres en dépérissement n‟étaient pas remplacés, où
l‟absence d‟éclairage public et de surveillance renforçait la présence de gangs. Aujourd‟hui, l‟entretien
régulier du parc et de ses structures, en même tant qu‟une surveillance renforcée a permis à Central
Park d‟être reconnu comme le parc le plus sûr du monde en 2005. Il semble évident que la mosaïque
d‟espaces publics juxtaposés sur cet espace est fortement liée à son aménagement. Ainsi, on retrouve
la communauté hispanique cohabitant sur un même espace avec les afro-américains.
Cette enquête montre enfin que donner de la visibilité à un espace donné (marketing territorial)
engendre une nette diminution des peurs. Ce fut notamment le cas pour le parc de Miribel-Jonage dont
« le paysage n’est pas forcément perçu comme beau, accueillant, agréable... » et dont « la mauvaise
image du lieu, le déroulement et l’amplification par les médias des faits délictueux s’y produisant
contribuent à cette réputation » (Autran, 2004). Grâce à l‟effort de communication réalisé par le
Symalim vers le grand public (création d‟un site Internet et d‟une lettre d‟information institutionnelle
(« L‟écho du Grand Parc »), organisation d‟activités sportives (circuits pédestres, VTT), accueil de
grandes manifestions toute l‟année (salons, expositions, animations familiales…)), les rumeurs sur les
phénomènes de trafics illicites en tous genres décrits ont aujourd‟hui nettement diminuées. De plus, la
multiplication des sites aménagés, la mise en place d‟installations et le renforcement de la surveillance
ont largement contribué à sa nouvelle image.
Mais, le vrai défi se limite-t-il à aménager des espaces sécuritaires ? Ne s‟agit-il pas de réfléchir à
certaines formes de prévention ? A cette question, l‟observatoire local de la sécurité et de la prévention
de la délinquance de la ville de Lyon s‟est emparé de la question, en proposant aujourd‟hui, dans la
refonte de l‟organigramme de la structure, un volet social comportant toute l‟évaluation et l‟aide
nécessaire pouvant être apportée aux comportements délinquants sur l‟espace public. Précisément, le
renforcement des effectifs de l‟observatoire par des assistants sociaux devrait permettre aux individus
appréhendés de bénéficier d‟une aide à …. C‟est peut-être en amont de la montée des comportements
incivils que se jouera la tranquillité des espaces publics.
____________________
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____________________
ANNEXES
Entretiens :
A1 Patrick Truchet, Chef de service de la police des Grands Parcs lyonnais
A2 François Sornom Aï, responsable de l‟Observatoire de la Sécurité et de la Prévention de la
Délinquance de Lyon
Entretien A1
Entretien avec Patrick Truchet
Au parc de la Tête d‟Or
Réalisé le 28 octobre 2009
L‟objectif de cet entretien est de comparer les représentations des usagers des parcs urbains à l‟égard de
l‟insécurité avec des données objectives. Il ressort notamment des enquêtes de perception que certains troubles et
faits conduisent les usagers à ne fréquenter que certains espaces et à certains moments de la journée (exemple :
Les berges du Rhône, plus particulièrement les marches de la Guillotière semblent être un lieu de regroupement
et l‟on s‟y établit pour se rencontrer, boire et fumer, et plutôt le soir qu‟en journée).
Quels sont les différents aspects de la sécurité ?
« Il y a plusieurs aspects dans la sécurité, l‟intégrité physique est la priorité, notamment au printemps, quand les
gens sont restés bien au chaud tout l‟hiver, et qu‟au premier rayon de soleil, on arrive à avoir ici au mois d‟avril
à Pâques 40 000 personnes le dimanche… le samedi pareil, donc ça veut dire qu‟il y a du monde, et dans cette
population, il y a les familles avec les enfants, et puis il ya des groupes de jeunes qui viennent pour déstabiliser
tout ça, voler des portables, chercher la bagarre, et puis provoquer et faire des incivilités. On est bien dans la
protection de l‟intégrité physique. C‟est un exemple, c‟est ce qui résume le plus l‟action dans le parc, c‟est ces
groupes, qui ont pu venir, mais qui viennent beaucoup moins car il y a un gros travail qui a été fait, on leur a pas
laissé la possibilité, enfin on a fait le ménage comme on dit. On maintient aujourd‟hui une surveillance très
stricte ce qui fait qu‟on leur laisse pas la possibilité de faire des bêtises. Alors je ne dis pas qu‟ils n‟en font pas
mais c‟est beaucoup moins qu‟avant et quand ils en font, paf tout de suite on intervient, on sanctionne, et ça ils le
savent. Car avant, je vous fais un peu la genèse, depuis 8 ans, il y a de la police municipale, avant il y avait des
gardes verts, qui n‟avaient pas de pouvoir de police, donc ils ne pouvaient rien faire si ce n‟est Madame,
Messieurs, ne marchez pas dans les rosiers, etc. bon, tout ça, après les changements de la société, tous ces jeunes
qui ont commencé à faire de l‟insécurité, que ce soit en ville, que ce soit dans les cités ou que ce soit dans les
parcs, et on a effectivement hérité de pas mal de groupes ici ».
Selon vous, les parcs connaissent-ils des phénomènes d’insécurité à cause de ces groupements des jeunes, de
la même manière que les autres espaces publics?
« Oui, ah oui. Alors, par exemple pour vous parler de ces groupes de jeunes, ils viennent ici donc au début du
printemps et puis ensuite, dès que l‟eau est bonne pour se baigner, ils vont au parc de Miribel-Jonage. Alors, on a
quelques jeunes qu‟on prend qui se baignent dans le lac, mais c‟est 15 dans la saison. Des fois ils prennent des
barques, ils vont embêter les gens, plonger, mais on ne laisse pas faire, on n‟a pas de tolérance là-dessus, dans la
mesure où ça génère de l‟insécurité vis-à-vis du public, on n‟est pas indulgent du tout ».
Quels sont les autres aspects de la sécurité ?
171

« On peut parler de la circulation des véhicules, qui est quand même très restreinte, on laisse rentrer uniquement
la clientèle du restaurant, de la limonade, mais pour contrôler tout ça, il a fallu qu‟on mette un système en place
car on s‟est fait quand même « abuser ». C‟est-à-dire que les gens disaient qu‟ils allaient boire un café, ils
arrivaient le matin à 9h, et puis ils allaient travailler à la Cité Internationale, et ils reprenaient leur voiture le soir.
Ou tout simplement la personne arrivait le samedi ou le dimanche, disaient qu‟ils allaient dîner au restaurant, et
puis en fin de compte ils avaient amené la glacière et ils n‟allaient pas du tout au restaurant. Donc on a mis en
place un système de « laissez-passer », qu‟on remet quand il arrive, il doit aller faire tamponner au restaurant
après avoir consommé, et le remet sur son véhicule et nous on fait les contrôles. Celui qui n‟a pas de tampon est
verbalisé. C‟est un PV de 1ère classe, ça fait à peu près 60euros. Car nous ça nous faisait beaucoup de circulation
dans le parc, et la politique de Monsieur Boulens aujourd‟hui qui est responsable du Parc de la Tête d‟Or, c‟est
de limiter au maximum la circulation dans le parc. C‟est aussi pour la sécurité et l‟intégrité physique. La vitesse
est limitée à 10 kilomètres/heure dans le parc, on demande de mettre les warnings, parce qu‟il y a des gosses, et
ce qu‟il faut dire par rapport à ça, c‟est que les gens qui viennent, que ce soit les parents avec leurs enfants, les
cyclistes, les joggeurs, les rollers, les promeneurs, etc., c‟est leur parc, quand ils voient une voiture, ils sont
comme fous, ils n‟aiment pas du tout ».
Vous pensez que les usagers se sont à ce autant appropriés le parc de la Tête d’Or ?
« Mais complètement, il est là le mot, ils se le sont « appropriés ». Et quand ils voient un véhicule, ils en sont
bêtes. Donc on a encore un gros travail à faire pour limiter la circulation dans le parc.
Réalisez-vous un travail de prévention ? Oui, et pour cela, on a un « Monsieur sécurité des espaces verts »,
Claude Laurence, c‟est un vrai préventionniste. Par exemple, on a beaucoup de tournages de film dans le parc,
pas mal de prises de vue, et il a fait chaque fois un protocole et y met toute la sécurité. On couvre au maximum
la ville et les usagers. On a des moyens, des scooters, des vélos, pour protéger les promeneurs ».
Quels sont les actes malveillants ou faits incivils recensés ?
« Il y a aussi des actes, notamment autour des WC publics, il y a des homosexuels, des exhibitionnistes, on a eu
des actes d‟attouchements sur des personnes, on a de la drogue, on a la consommation d‟alcool. La
consommation d‟alcool est réglementée dans le parc, en fait, on a le droit de « s‟alcooliser aux buvettes ou au
restaurant », par contre l‟introduction est interdite. C‟est-à-dire la personne qui vient par exemple avec son
sandwich et sa bière, pour déjeuner, bon, on lui dit rien ; par contre ceux qui viennent avec des packs, on leur
demande de cesser l‟infraction et quitter le parc, ou ils refusent et on intervient, et on verbalise, mais parfois ils
sont alcoolisés et ça part en cacahuètes comme on dit, et ça peut se terminer au poste de police. Donc l‟alcool,
c‟est quelque chose que l‟on surveille aussi. Mais on fait preuve de discernement, dans la limite de ce qui est
acceptable ».
Comment intervenez-vous sur les Berges du Rhône face à ce problème d’alcool?
« Je vais vous donner quelques chiffres sur la période estivale notamment. On a fait 15 opérations nocturnes
entre 22h et minuit, en coordination avec la police nationale, 25 fonctionnaires en tout, à raison d‟une par
semaine. C‟était soit le jeudi, soit le vendredi, parce qu‟on ne peut pas tout fait et on ne peut pas mettre 25
fonctionnaires tous les soirs de 22h à minuit. Là, il faut faire preuve de discernement. Il est bien évident que,
avec le peuple qu‟il y a sur les Berges, on ne peut pas verbaliser, il faudrait 3 compagnies de C.R.S… Soit on fait
de l‟injonction et on leur demande de quitter les lieux, soit ils sont en IPM (Ivresse Publique Manifeste), après,
on se fait traiter de tous les noms, ça part en bagarre, donc là on les interpelle et ils vont au poste de police. Mais
avant tout quand même, ça passe toujours par la prévention, la pédagogie même d‟abord. Il y a toute une
explication qui est faite, avez-vous vu les panneaux de la réglementation ? Voilà ce que vous encourez, etc…Si
on en arrive un mettre un PV, c‟est que la personne ne veut pas faire cesser l‟infraction. On tombe parfois sur des
provocateurs, qui n‟aiment pas nous voir passer, en s‟en méfie car on pourrait vite être jeté à l‟eau. Parfois, on
dérange, car les Berges du Rhône sont conçus comme un lieu festif et les gens ne comprennent pas qu‟on vienne.
Il y a aussi la musique, les joueurs de Djembé, les joueurs de guitare. Les principales infractions sont l‟alcool, la
musique et quand il y a de l‟alcool, il y a très souvent de la drogue avec ».
Pensez-vous que l’insécurité soit liée à certains moments de la journée, selon qu’il fasse jour ou nuit, à
certaines saisons ?
« Absolument. Il est bien évident que par exemple, les Berges du Rhône sont un vrai lieu familial la journée,
mais après minuit, on change de registre, il y a une autre population qui arrive. Les gars qui arrivent sont
172

ourrés, et d‟autres qui viennent pour chercher et faire la bagarre aux autres, donc on change vraiment de public,
et plus on va dans la nuit, plus le public change. Jusqu‟à minuit, ça ne craint pas trop, mais après minuit, il faut
faire attention.
La configuration et la conception du lieu favorisent elles l’ambiance festive ?
C‟est vrai qu‟on a presque envie d‟être à leur place, s‟asseoir tranquille. Il y a le fleuve, les péniches, les boîtes
de nuit… Mais on a des problèmes de riverains, car cela fait du bruit, et encore, on a supprimé le stationnement
en haut, car avant, il y avait du stationnement sur la promenade. Les gars venaient, ouvraient les portes des
voitures, la musique à fond, et la bière dans le coffre… Cette nuisance supprimée, il reste le problème de la
musique (guitare, djembé) et l‟alcool. Le règlement du parc de la Tête d‟Or est globalement le même que celui
des Berges du Rhône. Beaucoup ne comprennent pas pourquoi on n‟a pas le droit de faire du vélo ailleurs que
sur les axes qui leurs sont réservés.
Il y a donc les aspects groupes, des aspects circulation, et certaines personnes du type homosexuel,
exhibitionnistes, on a fait 2-3 interpellations ici au parc de la Tête d‟Or cet été. Ce n‟est pas le quotidien mais ça
arrive. Le quotidien, c‟est l‟alcool, les groupes et le respect du règlement. Par exemple, nous avons des
problèmes lors des fermetures l‟été, des personnes qui n‟ont pas envie de partir au moment de la fermeture, des
joggeurs qui ont envie de faire un tour de plus par exemple. On ouvre à 6h30 et à 6h20, ils attendent devant la
porte. Si jamais on ouvre avec cinq minutes de retard, ils écrivent des courriers pour se plaindre. On a aussi eu
des joggeurs qui ne respectaient pas le périmètre de sécurité établit lors de cérémonies importantes (8 mai, 11
novembre), devant la porte des enfants du Rhône. Ils passaient littéralement dans ce périmètre, on en a toujours
une vingtaine dans la matinée qui coupent pour ne pas perdre 200 mètres, ils seraient prêts à se battre !
Maintenant, on ferme avec des barrières car l‟année passée, ils se sont retrouvés à courir devant le gouverneur
militaire, le préfet, le Maire de Lyon, ils n‟ont même pas vu qu‟il y avait le préfet ! Tout cela pour dire que l‟on a
des problèmes avec des joggeurs. Ce ne sont pas des bandits tout de même. On réalise parfois des opérations
nocturnes dans le parc, et de temps en temps, on trouve des personnes restés là entrain de dormir (SDF). Comme
on n‟est que 4 pour faire la fermeture, on ne peut pas tout voir. Nous avons deux agents logés dans le parc,
d‟astreinte une semaine sur deux.
Vidéosurveillance dans les parcs ? On a des caméras à la « voûte », la porte « tête d‟Or », la « déchetterie », et
deux à la porte du « Centre technique ». De même, il y a cinq caméras de surveillance sur les Berges du Rhône,
dont une sous chaque pont (Guillotière, Lafayette, Wilson). Ce sont des 360°, mais ce n‟est pas toujours net, on
peut parfois voir des faits mais pas toujours identifier les auteurs, à cause de l‟éclairage.
Certains espaces des parcs sont-ils plus propices aux accidents, incivilités, délinquance ?
Les Berges du Rhône, c‟est notre épine dans le pied, sur la partie située entre les ponts de la Guillotière et le pont
Lafayette. C‟est en même temps l‟espace qui est le plus fréquenté. La consommation d‟alcool et la musique pose
le plus d problèmes. Quand on y va le week-end ou la semaine en journée, on ne se fait pas embêter, c‟est très
calme et très tranquille, il y a des vélos, des joggeurs… Par contre, au niveau des méridiennes, ces espèces de
transat où s‟allonger, il y avait de la consommation de drogues. Les méridiennes étant en bois, il y avait dessous
des plaques en fer, et les consommateurs ou vendeurs de drogue s‟en servaient pour cacher leur marchandise.
Ces plaques ont donc du être enlevées.
La conception d’un parc peut-elle avoir une influence sur le sentiment d’insécurité des usagers?
Oui, s‟il y a beaucoup d‟arbres par exemple, on ne voit pas. Il y a quelques endroits comme ça où la sécurité peut
être favorisée par rapport à de l‟aménagement. Mais les agents des espaces verts travaillent dessus. Sur les
Berges du Rhône, selon moi, il n‟y a pas un lieu qui soit plus propice à l‟insécurité qu‟un autre, du début à la fin.
Par contre, on peut ressentir de l‟insécurité vers la partie en contrebas de la piscine, l‟estacade ou sous les ponts.
A cause du manque d‟éclairage et des mictions : comme il n‟y a pas assez de toilettes, les hommes consomment
de la bière sur les péniches, puis vont uriner sous les ponts. De plus, l‟urine entre dans la pierre, et malgré le
décapant mis par Véolia, qui entretient le site, les odeurs restent.
La configuration de l‟esplanade n‟est pas insécurisante en elle-même, elle est bien à découvert, il y a bien de la
lumière, mais c‟est l‟alcool qui la rend insécurisante.
Sinon, on n‟a pas prévu de barrière sur les Berges du Rhône. Donc, si on fait une intervention de police, on prend
cette précaution de ne pas se retrouver au fleuve. Mais pour les promeneurs, on n‟a pas de retour de la part des
usagers, ça ne semble pas les déranger, leur faire peur. Cela dit, il y aurait peut-être des barrières, les enfants
seraient tentés de grimper dessus. Comme ici au parc de la Tête-d‟Or, au zoo, les parents mettent leurs enfants
sur les barrières, normalement ça ne risque rien, mais bon ils peuvent tomber de l‟autre côté, ça peut arriver.
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Il est arrivé qu‟il y ait des groupes qui rentrent au parc de la Tête-d‟Or, après un concert au Transbordeur ou à
Gerland, après un match de foot, ils viennent avec des packs de bière pour finir la soirée, on en retrouve même le
matin, parfois endormi sur un banc. Mais généralement, ils ne font rien de méchant.
Pouvez-vous noter l’insécurité des parcs sur une échelle de 0 à 10 ?
A Gerland, en matière d‟insécurité, il n‟y a pas beaucoup d‟infraction. Sûrement parce qu‟on n‟a pas beaucoup
envie d‟aller au parc de Gerland, alors qu‟on a envie d‟aller à la Tête-d‟Or, parce que c‟est plus joli, parce qu‟il y
a le lac, les animaux, etc… Je mettrai le curseur à 3/10 maxi, et pas au-delà. Il y a quand même une policière
toute la journée dans le parc, on est 30 au total pour surveiller nos trois parcs, et à 10h, il y a déjà 4 policiers,
avec un renfort vers 11h30. Au parc de la Tête d‟Or, je ne mettrai pas plus de 3/10 non plus. Je ne peux pas
mettre 0 car il se passe des choses. Mais je suis plus tranquille que sur la rue de la République.
Sur les Berges du Rhône, c‟est un plus délicat, car c‟est différent selon les horaires : du matin jusqu‟à 18h, je
mettrai 3/10, pas plus. De 18h à minuit, je passerai à 5/10, et puis au-delà, mais bien sur la partie comprise entre
le pont Lafayette et le pont de l‟Université, je monterai le curseur à 7-8/10 quand même. Après minuit, car on
change vraiment de population. Cette année, on a un nouveau phénomène qui s‟amplifie vraiment beaucoup,
c‟est la circulation des scooters sur les Berges, jusqu‟à 4h du matin. Tous les soirs, il y en a 2 ou 3, ils viennent
faire les cascadeurs. Dans les parcs clôturés non, car ils sont vite neutralisés, et puis ils sont bien obligés de
passer par les portes pour se sauver.
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Entretien A2
Entretien avec François Sornom Aï
A l‟Observatoire de la Délinquance et de la sécurité
Réalisé le 3 décembre 2009
1- Pouvez-vous présenter l’observatoire, ses objectifs, sa légitimité ? Quelles réponses apporte-t-il à la
délinquance à Lyon ?
Au sein de cette direction, plusieurs services dont un qui gère l‟aspect sécurité civile, manifestation publique,
gestion des risques, et un qui gère l‟aspect prévention de la délinquance.
Dans ces services, une partie thématique qui correspond aux actions thématiques et une partie territoriale qui
correspond aux actions territoriales (CLS). L‟observatoire de la Délinquance suit le CLS de la ville de Lyon.
Nous avons deux chargés de mission, une sur la rive gauche et une sur la rive droite. Elles animent dans chaque
arrondissement une cellule de veille. Ce sont des réunions mensuelles qui se réunissent autour de l‟adjoint à la
sécurité du maire d‟arrondissement, avec le commissaire de police et la police municipale, tous les acteurs de
l‟arrondissement pour suivre, se coordonner, s‟échanger des informations sur les questions de sécurité et de
tranquillité. C‟est une instance très opérationnelle. Les bailleurs sociaux des quartiers d‟habitat social y sont
également présents. Il peut y avoir les chefs de projet en charge de la politique de la ville du Contrat Urbain de
Cohésion Sociale (CUCS). Il n‟y a pas une composition type pour chaque cellule de veille, elles sont organisées
selon les problématiques du territoire.
Un « travailleur social en commissariat», qui est un agent de la ville de Lyon, est mis à disposition de l‟hôtel de
police pour accompagner les opérations de police sur leur volet social, tant sur les victimes (réorientation vers
des structures d‟aide aux victimes, relogement…) que sur les auteurs. Volet social sur lequel la police n‟est pas
très au point. Il fait des permanences dans les commissariats ou peut intervenir à la demande sur des opérations
de terrain, dans les cas les plus extrêmes. Dans les cas qu‟il y a pu avoir, par exemple, des problèmes de
tranquillité suite à une personne qui accumulait ses déchets chez elle, créant des problèmes d‟odeurs.
On travaille à la fois sur la sécurité dans un but répressif, ou au moins coordonner les services et comment on
répond à des problèmes de sécurité, et sur un volet qui suit les problèmes sur les aspects sociaux. Nous avons
aussi un volet prévention, plutôt sur l‟aspect thématique : prévention de la récidive, notamment la ville a mis en
place des jobs d‟été, pour des jeunes choisis et répondant à certains critères, habitant des quartiers difficiles, ce
ne sont pas les enfants des personnel. On a même pris des personnes qui avaient des casiers, alors que pour
travailler dans la fonction publique, il ne faut ne pas en avoir. On est vraiment sur un aspect insertion-prévention.
Pour ceux qui travaillent dans les services de la police municipale, ça leur a fait un choc culturel parfois mais
c‟est intéressant. Il y aussi des chantiers jeunes, en lien avec les centres sociaux, la MJC, liée à la programmation
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financière, car on a un volant financier qui dépend de la partie sécurité du CUCS. On a des financements sur la
prévention de la délinquance. Donc tout ce qui est « chantier-jeune », ça peut être repeindre un local en lien avec
un centre social, financé en lien avec la politique de la ville. On a aussi le Travail d‟Intérêt Général (TIG) que
l‟on reçoit dans les services de la ville, toujours dans une politique d‟insertion-prévention de la récidive. Le TIG
est une peine, en lien avec le service pénitentiaire d‟insertion et de probation, qui va nous contacter, on a une
personne qui a été condamné à tant d‟heures de TIG, avez-vous une place dans vos services ? C‟est vrai que c‟est
difficile, car certains services ont reçu beaucoup de TIG et n‟en peuvent plus, car c‟est un public difficile et il
faut les suivre, donc c‟est toujours un effort continu pour sensibiliser les services sur l‟intérêt d‟avoir un TIG
dans les services, c‟est important aussi pour la ville de donner des possibilités sur la prévention.
On a « Michel le Calloch » sur la partie prévention situationnelle. On a un point thématique qui prend beaucoup
d‟ampleur en ce moment, c‟est la vie nocturne. La difficulté c‟est d‟arriver à concilier vie nocturne et les
problèmes de tranquillité. Il y a beaucoup de facteurs, l‟interdiction de fumer dans les établissements, de plus en
plus d‟événements sur la ville, et donc il y a une cellule de veille « vie nocturne » et la tentative d‟une
labellisation pour les établissements qui respectent la tranquillité. Cela concerne un peu les espaces verts,
notamment les Berges du Rhône. Si vous avez regardé récemment le Progrès, il y a énormément d‟article sur la
vie nocturne sur les Berges du Rhône. Il y a même le journal le Monde qui parle des mêmes problématiques sur
Paris, avec les établissements qui perdent leur autorisation de fermeture tardive, liée à des plaintes d‟habitants.
Ça touche toutes les grandes villes. C‟est vraiment un cas qui prend beaucoup d‟ampleur en ce moment.
2- Comment fait-on sur les Berges du Rhône pour gérer les nuisances sonores lorsque l’on vient pour y faire la
fête alors que les habitants du quartier désirent le calme?
La police va intervenir pour les problèmes de tapage, ou si les établissements ne respectent pas leurs horaires de
fermeture, et quand les clients sortent de boîte de nuit, sont ivres et causent du tapage, sans compter les
problèmes de propreté, notamment sur les Berges : les gens remontent sur le haut des quais et vont uriner
derrière les rues. Des problèmes de tapage en état d‟ivresse mais il y a aussi pas mal de bagarres, de rixes. Sur la
rue Sainte Catherine, le préfet a pris des mesures très coercitives puisqu‟il a retiré les autorisations de fermeture
tardive aux établissements.
La vie nocturne est de plus en plus contrainte, aussi parce que les habitants sont de plus en plus intolérants, on a
de plus en plus de plainte, et il faut arriver à concilier les deux. Il y a aussi ceux qui viennent s‟installer dans le
1 er arrondissement et qui se plaignent ensuite du bruit. C‟est toujours un peu compliqué mais ils ont le droit aussi
à un certain niveau de tranquillité. Et puis, il faut aussi que les gens puissent sortir. Avec l‟interdiction de fumer
dans les établissements, les gens vont fumer sur la voie publique, ce qui génère encore plus de bruit. C‟est
vraiment compliqué.
3- Sur le site de la ville de Lyon, on peut lire que grâce à « la lumière, la ville vit la nuit, se contemple et se
visite ». Ces initiatives d’éclairer l’espace public (et les espaces verts), n’engendrent-ils pas de nouvelles
attractivités, et par conséquent, l’apparition de nouveaux lieux potentiels d’insécurité ?
C‟est évident. Par contre, sur la question de l‟éclairage, je ne sais pas, car on peut dire que s‟il n‟y a pas
d‟éclairage, l‟obscurité peut générer une insécurité, et d‟un autre côté, l‟éclairage, ça attire les gens. Beaucoup de
facteurs entrent en ligne de compte, certains quartiers très éclairés ne posent pas de problèmes, alors que pour
d‟autres, il y a des regroupements. C‟est compliqué d‟évaluer cela. Il y a tellement de dispositifs appliqués sur un
même territoire (coordination police municipale-police nationale…), qu‟on ne raisonne jamais toutes choses
égales par ailleurs, nous tout ce qu‟on peut faire c‟est regarder sur un espace vidéosurveillé l‟évolution des
phénomènes statistiquement, le comparer à des secteurs où il y a pas de vidéosurveillance et voir si ça augmente
ou si ça baisse, et si ça baisse, on ne peut même pas dire que c‟est le fait de la vidéosurveillance.
4- Mes enquêtes de terrain réalisées sur les Berges du Rhône de mai à septembre 2009 révèlent que les usagers
du parc des Berges du Rhône se sentent beaucoup plus dérangés par la présence policière que par la
vidéosurveillance ? La caméra de surveillance serait-elle donc un outil inefficace, non dissuasif, inutile ?
La vidéosurveillance n‟est qu‟un outil parmi toute une gamme d‟action, ce n‟est qu‟un maillon de la chaine, car
la vidéosurveillance va constater un fait, et elle va solliciter le service le plus adéquat. Si c‟est un problème
d‟agression physique, elle va renvoyer automatiquement sur la police nationale, si c‟est un problème qui relève
de la police municipale, elle renverra vers ses services-là.
C‟est pour cela que l‟on parle maintenant de vidéoprotection car au départ, on était vraiment que sur du répressif
mais maintenant, la vidéosurveillance a trouvé d‟autres usages : par exemple, si une personne fait un malaise sur
la voie publique, ou si un SDF est en difficulté, ne bouge plus depuis 10 minutes sur une image, on va solliciter
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le 115 pour voir si la personne va bien. C‟est pour ça que le terme de vidéosurveillance a été modifié, ce n‟est
pas uniquement un tour de « passe-passe » qui rend le terme un peu moins agressif.
Il y a aussi une gamme d‟action qui n‟avait pas été envisagé au départ, et sur lesquels la vidéosurveillance fait le
relais. Sur les problèmes de propreté, s‟il ya des dépôts d‟immondices, la vidéosurveillance renvoie sur le service
propreté.
On parle beaucoup de vidéosurveillance, c‟est bien, mais après il y a le système en lui-même, la qualité des
images, la formation des personnes qui regardent les images… Il y a beaucoup de paramètres qu‟il faut prendre
en compte :
- Il y a les images que les opérateurs peuvent voir en direct, ils constatent un fait et ils peuvent renvoyer
sur le service concerné ;
- Il y a les images qui sont enregistrées, pendant 8 jours, sachant que le délai légal pour les conserver est
d‟un mois environ. Après, elles prennent un poids trop importants sur le serveur. Si une personne s‟est
fait voler son véhicule, elle va aller déposer plainte au commissariat de police, celle-ci va faire une
demande de recherche d‟image à la vidéosurveillance. Les opérateurs vont faire cette recherche sur les
images, sur le secteur et voir si le fait a bien eu lieu et si les auteurs du fait peuvent être reconnus. Donc,
là il y a une utilisation après.
A Lyon, 180 caméras de vidéoprotection, sans compter les caméras fixes du Grand Lyon, et celles de Keolis,
pour surveiller l‟exploitation du métro, des tramways mais on n‟a pas la main là-dessus.
A notre mission de sécurité et prévention est associée la maison de Justice et de Droit. Son rôle étant de donner
un conseil sur les droits de chacun. Des points d‟écoute pour l‟information et l‟orientation, l‟accueil
psychologique, ou l‟aide aux victimes sont proposés.
5- Sur quels types de données statistiques s’appuient vos études ?
D‟une part, nous avons une approche quantitative autour de trois grandes catégories de faits :
- Les atteintes aux personnes (bagarres, vols avec violences, agressions) ;
- Les atteintes aux biens (cambriolages, vols à la roulette, dégradations) ;
- La tranquillité, l‟ordre public (tapage, ivresse sur la voie publique, occupation abusive de l‟espace
publique (attroupement des personnes qui entravent la circulation).
L‟observatoire s‟appuie sur les plaintes et courriers reçus par les mairies et le cabinet du Maire, sur les comptesrendus
des cellules de veille de sécurité.
D‟autre part, l‟observatoire a une approche qualitative, en relevant par l‟enquête « les ambiances » du quartier.
Nous réalisons des interviews auprès des personnes du quartier (commerçants, agents de « 1 ère ligne » (propreté),
relais locaux, habitants…). Grâce à ces indicateurs, il nous est possible de « photographier » chaque quartier et
d‟avoir une idée sur chacun d‟eux.
Par exemple, vers la Cathédrale Saint-Jean, nous sommes régulièrement confrontés à des attroupements de SDF
avec chiens non tenus en laisse, créant une entrave au passage.
A la Duchère, à Vénissieux et à Vaulx-en-Velin, nous sommes plutôt confrontés à de jets de projectiles. Les
services municipaux nous déclarent aussi les nombreuses dégradations commises sur leurs établissements.
Concernant les espaces verts, nous sommes dotés d‟un nouvel outil informatique pour automatiser les données.
Certains lieux sont signalés, mais d‟autres ne le sont pas du tout.
6- Quels sont les problèmes les plus récurrents rencontrés dans les parcs de la Tête-d’Or, des Berges du Rhône
et de Gerland ?
- Atteintes aux personnes dans les espaces verts :
Sur les berges du Rhône, des bagarres plutôt liées à la vie nocturne, et plutôt entre le pont de la Guillotière
(péniches, terrasses). Beaucoup de difficultés pour qualifier les faits et différencier les agressions des bagarres.
Pour les deux autres parcs, peu de faits recensés.
- Atteintes aux biens :
Plusieurs types de phénomènes :
o Problèmes liés à la propreté : les agents des espaces verts interviennent très tôt le matin et
constatent que les déchets de la veille sont abandonnés sur ces sites.
o Des dégradations :
sur les végétaux par les chiens ;
sur le matériel (systèmes d‟arrosage détériorés la nuit) ;
vols de végétaux dans les serres, pots de fleurs volés ou cassés ;
A Gerland, nous sommes confrontés à des phénomènes de prostituions. Le maire avait pris un arrêté de police
sur le 2 ème arrondissement de Lyon pour réglementer le stationnement des véhicules « aménagés ». Lorsqu‟en
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2007, le racolage devient une infraction, la vague de camionnette se déplace vers Gerland La prostitution n‟est
pas considérée comme un délit mais génère des problèmes de propreté.
D‟autres atteintes aux biens, plus disséminées dans les parcs, squares lyonnais :
- liées à une occupation abusive (SDF, marginaux, population Rom) : problème de propreté, déchets,
matelas laissés à l‟abandon.
Exemple 1: square Raspail (Rom) ou place Carnot (SDF, marginaux), occupation liée à la proximité des
associations.
Exemple 2: Place G.Péri : revente de stupéfiants, cigarettes, vente à la sauvette. Des conflits de territoires avec
les Rom, puis partage de l‟espace à hauteur du Casino.
Exemple 3 : Foyer de Notre Dame, où beaucoup de gens font la manche, vols à la tire, gros problème de
propreté, de la gestion de la population.
- Problèmes de tranquillité :
Liés à la consommation d‟alcool. Dans les espaces verts, la consommation d‟alcool est surtout le fait des SDF ou
de marginaux. Nous intervenons de façon intelligente, mais la verbalisation est pour la police un véritable levier
d‟action. Le problème n‟est pas tant la consommation d‟alcool mais encore une fois le groupement de SDF qui
fait peur aux mamans, qui ne fréquentent plus les squares à cause de cela. Et dans d‟autres parcs, comme le parc
Parc A.Briand (limite 3 ème /7 ème ), l‟espace s‟est organisé de manière équilibré entre les nounous et les SDF, qui se
partagent l‟espace !
Conclusion : la consommation d‟alcool, l‟usage de stupéfiants, l‟état d‟ivresse, occupation abusive des espaces
verts, le tapage nocturne sont les infractions ou nuisances les plus constatées dans les espaces verts lyonnais.
7- Selon l’Observatoire, quels espaces verts sont les plus problématiques à Lyon ?
Place Carnot et square Raspail ;
Le parc Valenciot ;
Parc de l‟Hippodrome (Cours Charlemagne) : occupation abusive ;
Square des Estrets (Place Saint Jean) : noctambules, SDF ;
3 ème : Berges du Rhône, parc Bazin (Montchat), parc Chambovet : squat des jeunes la nuit, plutôt la nuit et en
scooter ;
Jardin de la Grande Côte ;
Parc Bellevue (Gros caillou) ;
5 ème : Parc du Belvédère ;
Esplanade du Dauphiné, mais amélioration liée à la présence de la police qui s‟y est installée ;
Parc Saint michel ;
Parc de Gerland : présence d‟une zone de stockage régulièrement vandalisée.
8- Les Berges du Rhône et ses aménagements ont généré de nouvelles pratiques, comment gère-t-on un tel
espace ?
Les Berges du Rhône sont un véritable cas d‟école pour la prévention situationnelle. Les coûts de
fonctionnement et de surentretien sont énormes. Les caméras de surveillances, installées en catastrophe, sont
bien utiles. Elles sécurisent l‟intervention des agents de police et peuvent signaler tout problème. Michel Le
Calloch anime aujourd‟hui une cellule de veille « Berges du Rhône ».
D‟une manière générale, le nombre de problème augmente dans les parcs à mesure qu‟il fait beau. L‟exception
est encore celle des Berges du Rhône, où les phénomènes arrivent plus tôt (avril-mai) et déclinent beaucoup plus
tard (Octobre-novembre).
Ces phénomènes ont lieu plutôt la nuit, car les premières causes de plaintes sont celles liées au bruit.
Pour prévenir le risque de noyade sur les Berges du Rhône, des bouées ont été installées.
9- Quelles mesures l’observatoire peut-il prendre pour limiter, minimiser ou éradiquer un risque ?
L‟observatoire va être là pour confirmer et objectiver un phénomène. On regarde les statistiques pour voir s‟il y a
une corrélation entre un phénomène perçu et un phénomène cartographié.
Par exemple, le parc des Estrets était presque devenu un lieu commun pour les SDF, noctambules, avec une
consommation d‟alcool, revente et trafics de stupéfiants. Aujourd‟hui, il n‟y a presque plus rien, grâce à la mise
en place d‟une caméra de surveillance et des actions de sécurisation fortes.
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