Fleur de tonnerre - Bibliothèque

Trédarzec
Le soleil replie son éventail et quelques oiseaux planent haut dans les airs. Le soir
étire l’ombre de Fleur de tonnerre qui, à Tréguier au bord d’un fleuve côtier, observe le
village de Trédarzec situé sur la rive d’en face. Bissac de son père sur l’épaule
gauche - une sacoche pendant devant la poitrine et l’autre dans le dos -, elle repère,
au sommet de la colline, l’oratoire de Notre-Dame-de-la-Haine. Plusieurs chemins
tortueux y mènent à travers des ajoncs et de la bruyère. Près d’un pont de pierres
enjambant des algues abandonnées à marée basse, Hélène Jégado est bientôt
dépassée par d’autres ombres humaines. Honteuses, elles se glissent, courbées, sur
les sentiers qui conduisent à la chapelle mystérieuse. À l’approche de la nuit, on vient
de loin pour rejoindre l’édifice. Des Bigoudènes aux yeux obliques, pommettes
saillantes de femmes mongoles, avancent comme des oiseaux noirs, suivies par des
ouvriers et boutiquiers de Tréguier qui se chuchotent :
- Regarde, là-bas, la femme qui paraît atteinte d’une maladie de langueur.
Rondel l’a vouée. Elle n’attend plus que son terme.
Ils vont, pieds nus qui brûlent aux feuilles d’ortie. Fleur de tonnerre les suit où un
instinct la guide. En haut de la colline sans verdure, elle incline la tête pour se couler
sous un porche et se redresse à l’intérieur d’une chapelle aux poutres d’où des
araignées étendent leurs fils.
Sur la nappe de l’autel trône la statue de Notre-Dame-de-la-Haine. En fait une Sainte
Vierge classique, aux cheveux ondulés le long de bras aux paumes jointes, mais dont
on a beaucoup ridé le visage, et au corps peint en noir couvert d’un squelette blanc.
Lors de son moulage, cette Marie en plâtre était sans doute loin d’imaginer qu’un jour
elle serait à ce point travestie et vénérée avec accompagnement de prières aussi peu
catholiques que celles qu’on lui adresse ici :
- Notre-Dame-de-la-Haine, fais que mon frère s’étende bientôt dans sa bière.
- Je te demande la mort de mes débiteurs infidèles.
Autour de Fleur de tonnerre, des âmes pleines de rancœurs invoquent à voix très
basse la prétendue grand-mère du Christ pour obtenir dans l’année le décès d’un
ennemi, d’un mari jaloux :