Fleur de tonnerre - Bibliothèque

- Dans le ventre des bateaux on ne craint rien tant que les lapins ou les rats
qui, rongeant le bois des cales, les feraient sombrer en haute mer et ça ce serait
quand même dommage… pour nous ! Mais allez, jette ce truc inutile et viens plutôt te
servir dans l’épave toi aussi.
Fleur de tonnerre enlace verticalement la bouteille entre ses beaux seins bombés :
- Je l’ai, mon trophée.
Puis à Viltansoù qui les yeux au ciel retourne au navire, près de son tas d’oranges,
elle passe commande comme s’il allait à l’épicerie :
- Si tu en trouves, rapporte-moi du sucre.
* * *
Fleur de tonnerre prépare de la confiture d’oranges. Hier soir, Yann a trouvé du sucre
(roux à l’étonnement de la Morbihannaise) et il a aussi rapporté un tonneau de rhum -
alcool dont Hélène Jégado ignorait l’existence. Elle en verse un peu sur ce mélange
de quartiers d’agrumes épépinés et de zestes qui bouent dans le sucre de canne et
l’eau.
C’est à l’intérieur de la curieuse demeure de Viltansoù qu’elle touille parmi les effluves
sucrés avec une cuillère de buis en fredonnant d’une manière lancinante. L’habitation
est en fait la demi-coque arrière, retournée, d’un bateau de pêche côtière qui fut une
nuit naufragé et tranché, tel au rasoir par le travers, contre l’archipel des Crocs de
sorcière. Tracté grâce à des cordages jusqu’en haut d’une dune, le fond de cale
renversé du rafiot est dorénavant le toit courbé d’un logis singulier. La lumière du jour
y pénètre par les hublots. Pour masquer la partie ouverte de l’épave, Yann a plaqué
verticalement les lattes du pont d’un autre vaisseau. Il a ensuite taillé une ouverture
afin d’installer la porte en acajou d’une cabine de capitaine. La voilà qui grince parce
que Viltansoù entre chez lui.
- Bonjour, c’est moi.
Chez Yann, pas de plancher. Quand il pleut, l’eau ruisselle le long du sol. C’est pour
cette raison qu’il n’a pas déposé une couche de matelot à même la terre. Il a préféré
tendre horizontalement, en l’air comme un hamac, une voile triangulaire de barque.
Aux trois angles du foc - par les œillets des points de drisse, d’amure et d’écoute - il a
glissé des cordes tendues jusqu’en trois endroits du logis. Les yeux de Viltansoù vont
du foc à la fille de Plouhinec qui verse sa confiture d’oranges dans des pots qu’elle
retourne dès leur fermeture :
- Tu la dégusteras tout à l’heure.
- Non, ce n’est que de toi dont j’ai faim.
Pendant que la confiture refroidit, l’amoureux de Fleur de tonnerre s’échauffe :
- La séduction que tu exerces est si soudaine et si impérieuse… Le sortilège de
ton sourire a quelque chose de plus troublant encore. Un pollen de sensualité flotte
autour de toi. Tu embaumes l’air.
Tiens, voilà que le naufrageur devient sentimental. Il ajoute : « Tes prunelles sont
comme des fleurs bleues dans du lait », enfin ce genre de conneries, puis il propose :
- Sais-tu qu’on serait bien encore, nous deux, dans le secret de cette voile ?
Ici, tout le mobilier fut pillé dans différentes épaves et un christ en os de baleine est
cloué près d’une pendule à la vitre cassée au-dessus d’une ancre marine et sa corde
qui décorent. Le portrait, crevé par une perche à crochet, d’un austère commandant
de bord irlandais semble faire la gueule. Est-ce parce que, face à lui, le foc se met à
remuer sans son ordre ?