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Sagement assise dans l’église <strong>de</strong> Bubry, <strong>Fleur</strong> <strong>de</strong> <strong>tonnerre</strong> égrène un chapelet<br />
pendant la messe <strong>de</strong> début d’après-midi :<br />
- Ma maman… Monsieur Michelet qui m’a conduite à ma première place…<br />
marraine…<br />
C’est le chapelet qu’elle a rapporté <strong>de</strong> Guern. Ce ne sont pas les doigts d’Hélène<br />
Jégado qui en ont usé les billes <strong>de</strong> buis qui défilent :<br />
- Tante Marie-Jeanne, Yann Viltansoù…<br />
Elle observe la lumière <strong>de</strong>s cierges et écoute la voix confuse du prédicateur à lunettes<br />
dorées <strong>de</strong>rrière l’autel. C’est la première fois qu’elle le voit dans l’exercice <strong>de</strong> son<br />
ministère. Les gens à qui il s’adresse s’anéantissent en Jésus. Le brouhaha <strong>de</strong> leurs<br />
prières fait suer les murs <strong>de</strong> l’église alors que <strong>Fleur</strong> <strong>de</strong> <strong>tonnerre</strong> poursuit pour ellemême<br />
:<br />
- Le père puis la mère <strong>de</strong> l’abbé Le Drogo…<br />
À droite du porche, un moissonneur se permet (pendant l’office !) d’aiguiser sa faux<br />
sur le bord du bénitier taillé dans un menhir parce que ça porte bonheur pour la<br />
prochaine récolte. Les sons qu’il émet se mêlent aux mots <strong>de</strong> l’abbé qui ne s’en<br />
offusque plus.<br />
- Tsiiing ! Tsiiing !…<br />
La musique <strong>de</strong> la lame frottée rappelle à la fille <strong>de</strong> Plouhinec la faux <strong>de</strong> l’Ankou :<br />
- Marie-Louise Lin<strong>de</strong>vat…<br />
<strong>Fleur</strong> <strong>de</strong> <strong>tonnerre</strong> contemple, plusieurs rangs <strong>de</strong>vant elle, le dos <strong>de</strong> la sœur <strong>de</strong> l’abbé<br />
Lorho agenouillée sur un prie-Dieu et reconnaissable aux marques <strong>de</strong> petite vérole<br />
qu’elle a dans la nuque. Elle porte une longue jupe brune qui fut cuite au four pour en<br />
gar<strong>de</strong>r les plis. Elle est coiffée d’un bonnet aux petites ailettes remontées. Mais<br />
soudain les ailettes lui tombent dans le cou et le dos <strong>de</strong> la dévote se met à remuer<br />
tout seul, pris <strong>de</strong> secousses :<br />
- Aaah !…<br />
Pendant que la belle cuisinière blon<strong>de</strong>, chapelet entre les doigts, poursuit son<br />
énumération : « Marguerite André, Françoise Jauffret… », la sœur <strong>de</strong> son employeur<br />
se lève brutalement. Elle paraît ressentir une violente brûlure intérieure que douze<br />
pots <strong>de</strong> lait ne sauraient apaiser. Elle se jette d’un côté et <strong>de</strong> l’autre, se dresse, se<br />
replie, c’est déchirant à voir. Elle se retourne. Sa bouche est béante et ses yeux très<br />
fiévreux. On dirait que toutes les ruses d’une grossière fourberie produisent en son<br />
ventre <strong>de</strong>s effets incroyables. Elle chie sous elle. Ses chevilles sont inondées <strong>de</strong><br />
diarrhée qui coule dans les souliers. Heureusement que sa jupe plissée est déjà brune<br />
parce que sinon… Tachycardie, mydriase, hyperthermie, hallucinations, délire,<br />
agitation, sa mort survient par paralysie <strong>de</strong>s voies respiratoires. Près d’elle, sa nièce<br />
<strong>de</strong> dix-huit ans se redresse à son tour :<br />
- Des serpents me rongent le cœur, me déchirent les nerfs ! Je suis dans l’huile<br />
bouillante !<br />
Les narines <strong>de</strong> Jeanne-Marie sont <strong>de</strong>s soufflets <strong>de</strong> forge. Elle est prise d’une danse<br />
<strong>de</strong> Saint-Guy, gencive bavante. Alors que <strong>Fleur</strong> <strong>de</strong> <strong>tonnerre</strong> essaie <strong>de</strong> n’oublier<br />
personne : « L’abbé Le Drogo, mon aînée Anna… », le curé <strong>de</strong> Bubry en perd ses<br />
lunettes sur l’autel et prescrit dans un cri :<br />
- Des cataplasmes d’euphorbe !<br />
La figure <strong>de</strong> sa nièce se couvre déjà <strong>de</strong> taches d’un bleu violacé. Elle est prise <strong>de</strong><br />
vomissements atroces qui éclatent dans sa gorge en coups <strong>de</strong> foudre. Main <strong>de</strong>vant la<br />
bouche, elle court par l’allée centrale en direction du porche. Mais n’en pouvant plus,<br />
c’est dans le bénitier qu’elle vomit <strong>de</strong>s rognons aux fines herbes. Elle a un visage <strong>de</strong><br />
noyée et s’effondre sur le manche <strong>de</strong> la faux du moissonneur qui se défend :