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Fleur de tonnerre - Bibliothèque

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- Autant parler pour ne rien dire, déplore Yann en auscultant la mer dans sa<br />

lorgnette.<br />

Les vagues se teintent en violet sur les algues. C’est maintenant une confusion <strong>de</strong><br />

reflets et <strong>de</strong> lumières errantes. Au loin passent <strong>de</strong>s barques aux voiles furtivement<br />

saignantes dans le soleil couchant. Des femmes arrivent à dos d’âne. Sur le chemin<br />

<strong>de</strong>s douaniers bordé <strong>de</strong> chardons, <strong>de</strong> ronces, une vache mange le granit. Une<br />

sorcière interprète les valses <strong>de</strong> l’eau pour prédire l’avenir. Des hommes se mettent à<br />

genoux en découvrant l’étoile <strong>de</strong> Vénus. Ils sont vêtus <strong>de</strong> berlinge, étoffe <strong>de</strong> chanvre<br />

et <strong>de</strong> laine dont ils font leurs gilets, culottes, d’un brun jaunâtre. Viltansoù remarque le<br />

mouvement <strong>de</strong>s navires dans le lointain et constate les changements subits <strong>de</strong><br />

l’atmosphère. Un bruit <strong>de</strong> <strong>tonnerre</strong> ébranle les airs. Soudain, la nuit enveloppe la terre<br />

et le vent soulève la mer. Un éclair embrase. Il suit sa course errante et la foudre<br />

frappe la côte. D’épais nuages <strong>de</strong> vapeurs roulent en tourbillons. Le ciel et l’eau se<br />

confon<strong>de</strong>nt. Yann sourit, voyant <strong>de</strong>s vaisseaux soudain en perdition, et leur dit :<br />

- Venez à moi ! C’est un jeu…<br />

Délaissant le sable pour remonter sur le sentier littoral qui bor<strong>de</strong> le précipice d’une<br />

falaise, Viltansoù, suivi par <strong>Fleur</strong> <strong>de</strong> <strong>tonnerre</strong>, accroche entre les cornes <strong>de</strong> la vache<br />

qui attendait là un lourd fanal <strong>de</strong> phare côtier en cuivre et verre et, tout en l’allumant, il<br />

explique à la fille <strong>de</strong> Plouhinec :<br />

- Je mets à brûler du charbon car quand le temps est gros, chargé <strong>de</strong> grain et<br />

<strong>de</strong> brouillard, il flamboie davantage que les feux à huile qui ternissent et sont moins<br />

visibles à l’horizon.<br />

Devant les sourcils froncés <strong>de</strong> la splendi<strong>de</strong> Morbihannaise qui semble ne pas trop<br />

comprendre ce qui se trame, Yann, <strong>de</strong>s Côtes-du-Nord, justifie :<br />

- Une prérogative ducale nous a donné le droit <strong>de</strong> bris, donc l’autorisation <strong>de</strong> se<br />

servir dans les épaves rejetées sur le rivage. Mais comme finalement les naufrages<br />

naturels près <strong>de</strong>s côtes sont plutôt rares, il nous faut bien forcer un peu le <strong>de</strong>stin. Vive<br />

la fatalité organisée et hue ! lance-t-il ensuite à la vache au cou qui ploie sous le poids<br />

du fanal éblouissant mais se met en branle.<br />

Tandis que les sabots du bovidé froissent les pierres, <strong>Fleur</strong> <strong>de</strong> <strong>tonnerre</strong> se souvient :<br />

- Près <strong>de</strong>s dunes <strong>de</strong> chez moi, quand on veut retrouver le corps d’un noyé, on<br />

allume un cierge sur un pain qu’on abandonne au cours <strong>de</strong> l’eau. On retrouve le<br />

cadavre sous l’endroit où le pain s’arrête.<br />

Viltansoù se marre :<br />

- Si on faisait pareil ici, quelle boulangerie serait notre rivage !<br />

Le vent bat la flamme et tourmente le verre dans le fanal. La mer est furieuse,<br />

courroucée, et, du haut d’un rocher, Yann la contemple :<br />

- Là-bas ! Là-bas, un bateau arrive ! Faites marcher la vache ! Ah, que j’ai bien<br />

fait, hier, d’aller prier Notre-Dame-<strong>de</strong>-la-Haine !<br />

L’animal éclairant avance le long <strong>de</strong> la côte. L’incessant balancement latéral <strong>de</strong> ses<br />

cornes projette régulièrement, en bas sur l’eau, <strong>de</strong>s flux et <strong>de</strong>s reflux <strong>de</strong> moires<br />

lumineuses. À bord du vaisseau, l’équipage est trompé par ce feu qu’il croit pouvoir<br />

suivre. C’est un temps <strong>de</strong> ciel tragique où les naufrages semblent écrits d’avance.<br />

L’ancien valet d’écurie appelle le navire :<br />

- Viens ! La route est bonne et ta mort est au bout.<br />

Sous sa coiffe trempée, bordée <strong>de</strong> <strong>de</strong>ntelle, <strong>Fleur</strong> <strong>de</strong> <strong>tonnerre</strong> se pourlèche les lèvres.<br />

L’eau fait rage. L’océan est gros, terrible. Il s’abaisse et se hausse, tantôt bas comme<br />

une fosse. Que la mer se lève et se creuse sur ce mon<strong>de</strong> dont les pôles semblent<br />

privés <strong>de</strong> leurs aimants ! Viltansoù qui, lorgnette <strong>de</strong>vant un œil, repère les inutiles<br />

efforts <strong>de</strong>s matelots sur le pont, indique avec précision l’heure et l’endroit <strong>de</strong><br />

l’acci<strong>de</strong>nt :

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