Fleur de tonnerre - Bibliothèque

Auray
- Wik, wik…
- Que vous arrive-t-il, Hélène, à encore réitérer ce grincement d’essieu avec
vos dents en vous tenant le front ? Mal à la tête ?
- C’est parce que, mère supérieure, je voudrais tant cuisiner pour toutes les
sœurs de la Charité de Saint-Louis au couvent du Père éternel.
- Ah non, vous n’allez pas recommencer, Hélène ! Ça fait plus d’un an que je
vous rappelle que nous avons déjà une cuisinière.
- Sœur Athanase, laissez-moi la remplacer juste le temps d’un repas, c’est
important pour moi…
La mère supérieure - grande femme impressionnante régnant au centre de la salle
commune du couvent - écarte les bras de sa sévère robe marron foncé et élève la
voix devant Fleur de tonnerre, vêtue d’un tablier de femme de ménage et assise toute
repliée sur un banc austère :
- Hélène, lorsque vous êtes venue proposer vos services au Père éternel à un
moment où nous cherchions une femme de chambre, vous avez accepté ce poste de
cloîtrée, voulant fuir l’extérieur quelque temps, je ne sais pourquoi.
- Hélas, on m’y faisait trop la réputation d’accabler de travail les apothicaires en
détruisant les carcasses humaines… mais là, il faudrait que je vous nourrisse à ma
façon. Sans mes recettes, je m’étiole, me fane comme une fleur sans eau.
- Je ne céderai pas à votre caprice, Hélène !
- Vous dites caprice quand je vous parle de mission.
- Oh, la grande mission que de mettre à bouillir trois cagettes de carottes et
d’enfiler à la broche une douzaine de lapins pour un couvent !… s’esclaffe la poitrine
de la mère supérieure où rebondit une croix en bois au bout d’un cordon.
- Je ferais des petits jésus en sucre que vous avaleriez comme des hosties…
- N’insistez pas, Hélène ! Prenez plutôt votre balai, votre seau, pour aller
nettoyer les chambres des sœurs. Vous taillerez aussi dans le tissu, apporté hier par
l’abbé Olliveau, une nouvelle nappe pour l’autel. Et pensez enfin à épousseter
l’instrument de musique de la salle commune. Vous l’oubliez trop souvent, lui. Ouste !