Fleur de tonnerre - Bibliothèque

La belle de Plouhinec passe pour un être extraordinaire. La renommée embouche ses
trompettes et crève ses tambours pour elle. Des agriculteurs émus, inquiets,
s’agenouillent. Pauvres gens ! Plein d’autres accourent. Pareils à une nuée d’oiseaux
pillards, ils s’abattent sur cette domestique, la mieux conditionnée pour le vacarme et
la plus capable d’exciter la curiosité publique. Puisqu’il n’y a plus de saint Yves dans
l’église, c’est elle que les gens touchent et dont ils exigent :
- Sainte Yvette, fais quelque chose pour moi !
- Vire le charançon de mon blé !
- Je suis en affaires amoureuses avec mon voisin mais ne voudrais pas me
retrouver pleine. Je compte sur toi, hein, la miraculée ?
- Tu es une miraculée alors tu accomplis des miracles, hein ?!
Des handicapés s’acheminent, pleins d’espoir, sur leurs béquilles. Fleur de tonnerre
reconnaît deux accents normands la supplier : « Tu ne pourrais pas me redrècher le
bras et m’arranger auchi la mâchoire ? », « Fais repousser mon œil ! » Ces
perruquiers sont entre les brancards de leur charrette bâchée qu’ils tractent euxmêmes.
Du toit de la maison d’en face, un ange funambule en fonte descend sur un
câble avec une baguette enflammée. Il doit aller allumer le tas de paille au cœur d’un
bûcher précipitamment mis en place en l’honneur de sainte Yvette. Hélas, l’ange
titube en cours de trajet et verse sur la bâche des perruquiers qui s’enflamme. Les
lettres de À la bouclette normande s’incendient tandis que Fleur de tonnerre traverse
la foule, distribuant de droite et de gauche quantité de salutations mais regrettant :
- Ce qui est embêtant maintenant, c’est que je dois trouver une autre place…
Les Normands, courant avec des seaux d’eau, gueulent :
- Enfoirés de Bretons !