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Le harcèlement moral au travail: analyse sociologique

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tel-00343544, version 1 - 1 Dec 2008<br />

MACHO, MYSOGYNE, MALADE, SANGUIN OU PERVERS ?<br />

Il est particulièrement difficile de s’y retrouver parmi tous les adjectifs dont Annie<br />

affuble son chef. Elle l’a d’abord qualifié de « misogyne » et de « malade ». La directrice du<br />

centre dit de lui qu’il est « sanguin ». Annie est dubitative quant à la pertinence du terme<br />

« narcissique », et penche plutôt pour la classification de « pervers ».<br />

Et si tu devais le décrire avec des qualificatifs, comment tu le décrirais ?<br />

- Malade ! (rires). Complètement malade.<br />

- Est-ce qu’il est du genre narcissique, tu vois ?<br />

- Ah ça, je peux pas te dire.<br />

- Est-ce que tu dirais que c’est un pervers ?<br />

- Oui. Par contre…<br />

- Qu’il trouve du plaisir à faire souffrir les <strong>au</strong>tres ? Est-ce que tu penses qu’il est comme ça ?<br />

- Je pense… je ne sais même pas s’il s’en rend compte. Disons à critiquer, oui. Mais… ben, la<br />

directrice, elle a dit un jour : « Il est sanguin ». Dès qu’il s’énerve, tu vois, il devient tout<br />

rouge, machin. A mon avis, il doit avoir… il doit avoir des trucs à l’intérieur qui… ce que je<br />

me demande, c’est comment il arrive justement, lui, à faire comme si rien ne s’était passé.<br />

Parce que moi, j’y arrive, parce que j’ai pas le choix, parce que f<strong>au</strong>t que je <strong>travail</strong>le, mais lui,<br />

je me demande comment il arrive, en fait, à garder toute la haine qu’il avait en lui, à la garder.<br />

Ca, je me pose vraiment la question. Parce que moi, j’étais sûre qu’il reprendrait un jour. Je<br />

pensais pas qu’il se calmerait. Donc, il s’en est pris à d’<strong>au</strong>tres, donc c’est un moyen pour lui<br />

de recommencer, et là, je me demande quand est-ce qu’il va recommencer, parce que je suis<br />

pas… mais même à un moment, on avait peur, quoi, on avait peur. Surtout ma collègue, là,<br />

parce que des fois, il passait à côté d’elle, il était tout bizarre (elle fait une grimace), comme<br />

ça…<br />

<strong>Le</strong> qualificatif « narcissique » ne l’interpelle pas. Par contre, elle s’approprie le terme<br />

de « pervers », en émettant certaines réserves : « je ne sais même pas s’il s’en rend compte »,<br />

et en privilégiant plutôt le qualificatif de « sanguin », lancé par sa directrice, car « Dès qu’il<br />

s’énerve, tu vois, il devient tout rouge ». Quant à ses grimaces, on ne sait pas trop s’il f<strong>au</strong>t les<br />

rattacher <strong>au</strong> caractère sanguin du harceleur ou à sa perversité. Un observateur extérieur<br />

pourrait facilement ajouter que l’attitude du harceleur s’assimile à du machisme. Ce<br />

télescopage d’adjectifs appelle plusieurs remarques. La première d’entre elles est leur<br />

imprécision : qu’est-ce qu’un « malade » ? Un « pervers » ? La deuxième, corollaire à la<br />

précédente, concerne la possibilité de tracer des frontières nettes entre les concepts. Quelle<br />

différence y a-t-il entre un « misogyne » et un « macho » ? Entre un « malade » et un<br />

« pervers » ? En outre, on voit, comme dans le cas de Marie-Hélène, que la tombée de<br />

catégories psychologiques dans le domaine public s’accompagne d’un dévoiement du sens<br />

original des mots. Un « pervers » qui ne se rend pas compte de sa perversité est-il encore un<br />

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