Édition 2010-03-01 (PDF document) - les nouvelles de roumanie
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Les NOUVELLES <strong>de</strong> ROUMANIE<br />
60<br />
SUCEAVA<br />
BAIA<br />
<br />
MARE<br />
IASI<br />
ORADEA<br />
<br />
TG. NEMAT <br />
<br />
CHISINAU<br />
<br />
TARGU<br />
BACAU<br />
ARAD MURES <br />
<br />
TIMISOARA<br />
<br />
SIBIU<br />
BRASOV<br />
<br />
GALATI <br />
PITESTI <br />
BRAILA <br />
<br />
TULCEA<br />
CRAIOVA<br />
<br />
<br />
BUCAREST<br />
CONSTANTA<br />
Libre propos<br />
La petite mendiante<br />
et la vieille dame<br />
“C'est à la sortie du match que je<br />
l'ai vue la première fois: un petit<br />
paquet <strong>de</strong> vêtements roulé dans un<br />
coin. Du moins je le supposais mais,<br />
en m'approchant, je vis que c'était<br />
une femme, plutôt une jeune fille,<br />
très jeune… 15 ans peut-être 16 !<br />
A côté d'elle, un petit landau vi<strong>de</strong>!<br />
Plus près d'elle, je constatais très<br />
vite que l'enfant du landau était le<br />
sien et qu'elle le gardait tout contre<br />
elle, le berçant doucement en lui<br />
chantant une petite rengaine.<br />
A ses pieds, un gobelet <strong>de</strong> carton<br />
vi<strong>de</strong> <strong>de</strong>stiné à attirer la générosité<br />
<strong>de</strong>s passants sortants du magasin, le<br />
caddie rempli <strong>de</strong> bonnes choses. La<br />
jeune fille levait alors <strong>les</strong> yeux sur<br />
eux et leur disait simplement :<br />
"Bonjour" !<br />
Certains répondaient mais continuaient<br />
leur chemin, d'autres lui souriaient<br />
aussi très gentiment mais<br />
sans plus et quelques-uns, pas beaucoup,<br />
s'arrêtaient pour glisser dans<br />
son gobelet quelques cents ou euros<br />
et elle <strong>les</strong> remerciait d'un sourire.<br />
Je m'approchais alors à mon tour,<br />
quelques piécettes à la main et je<br />
croisai son regard: Ciel ! Je crus être<br />
transpercé par l'intensité <strong>de</strong> ses yeux<br />
d'un bleu parfait qui me regardait,<br />
emplis <strong>de</strong> gentil<strong>les</strong>se et <strong>de</strong> reconnaissance.<br />
Mon Dieu, chère petite maman tzigane,<br />
tu m'as interpellé <strong>de</strong> manière<br />
incroyable lors <strong>de</strong> cette première rencontre<br />
rien que par ce regard qui m'a<br />
bouleversé”.<br />
(lire la suite page 62)<br />
<br />
Itinéraires<br />
Connaissance et découverte<br />
Daniel Tabard conte l'aventure<br />
qui l'a mené du Forez en Moldavie à pied<br />
Comme Brancusi, autrefois …<br />
“L-am facut” (je l'ai fait) s'est exclamé Daniel Tabard, à son arrivée à Târgu-<br />
Neamt, en Moldavie roumaine, après la longue traversée <strong>de</strong> l'Europe - 2300 km,<br />
à pied - Du Forez aux Carpates. Randonneur atypique, Daniel Tabard est "heureux<br />
d'aller à pied dans un mon<strong>de</strong> qui marche sur la tête". Son projet, "longuement<br />
mûri", était la réalisation "<strong>de</strong> quelque chose toujours d'exaltant, mais aussi source<br />
d'appréhension".<br />
Périple, voyage, quête, randonnée, errance, pèlerinage, ce sont <strong>les</strong> signes<br />
(emblèmes) qui couronnent un défi, pour une personne <strong>de</strong> soixante ans, historien<br />
d'art, portant son sac à dos <strong>de</strong> douze kilos, comme on pourrait le voir<br />
sur une photo, avec cette motivation: "Jésus porte sa croix et moi mon zaino". (sac à<br />
dos). L'aventure <strong>de</strong> Daniel Tabard a commencé <strong>de</strong>puis sa "plus tendre enfance",<br />
quand il savait par cœur tous <strong>les</strong> pays <strong>de</strong> l'Europe, sur une carte accrochée dans la cuisine.<br />
Le défi dont il est question dans <strong>les</strong> pages <strong>de</strong> son Journal d'un randonneur solitaire,<br />
c'est <strong>de</strong> "m'approprier l'espace européen à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> mes jambes", car, "à pied<br />
on a tout le temps d'observer, <strong>de</strong> détailler, <strong>de</strong> méditer".<br />
Rédigé selon <strong>les</strong> notes prises lors du voyage, son journal n'a ni un caractère scientifique,<br />
ni <strong>document</strong>aire, mais, bel et bien, ce sont <strong>les</strong> impressions, soit visuel<strong>les</strong> (il a<br />
pris <strong>de</strong> bel<strong>les</strong> photos), soit culturel<strong>les</strong>, comme une trace <strong>de</strong> cette aventure initiatique.<br />
Chaque fois, Daniel Tabard se rend heureux dans la profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> sa mémoire afin<br />
d'exercer la fidélité et l'authenticité <strong>de</strong> ses lectures inoubliab<strong>les</strong>.<br />
"Avec mon sac, ma pèlerine, mes bâtons, je fais extraterrestre"<br />
Il s'agit d'une raison moins<br />
aventureuse que d'une raison<br />
intime: "pour découvrir réellement<br />
un territoire, il faut prendre<br />
le temps <strong>de</strong> préparer sa visite,<br />
<strong>de</strong> vivre l'aventure, <strong>de</strong> goûter le<br />
dépaysement, <strong>de</strong> se perdre dans<br />
<strong>les</strong> profon<strong>de</strong>urs du pays. J'ai<br />
toujours aimé randonner pour<br />
une connaissance intime".<br />
On l'imagine à la recherche<br />
d'un gîte, sous le regard étonné <strong>de</strong>s passants, "avec mon sac, ma pèlerine, mes bâtons,<br />
je fais un peu extraterrestre", à l'image du sculpteur Constantin Brâncusi, qui a fait<br />
le trajet en sens inverse, en 1904, à pied, <strong>de</strong> Roumanie, la besace sur l'épaule, le bâton<br />
à la main, traversant l'Europe, pour arriver à Paris au bout <strong>de</strong> plusieurs mois d'errance.<br />
Le vif regard du voyageur est attiré par <strong>les</strong> oratoires, <strong>les</strong> croix et <strong>les</strong> oies, <strong>les</strong> vaches<br />
"qui ruminent", <strong>les</strong> moutons, "mais pas <strong>de</strong> berger". "J'entre dans la Roumanie, que<br />
j'aime " confie-t-il, "celle qui me rappelle la campagne <strong>de</strong> mon enfance, qui a<br />
quelques points communs avec le Forez, même relief, petites fermes dispersées, troupeaux<br />
dans <strong>les</strong> champs". Ici, "<strong>les</strong> âmes sont mieux traitées que <strong>les</strong> corps".<br />
Randonneur passionné, voyageur convaincu, pèlerin respectueux, avec ses <strong>de</strong>ux<br />
bâtons, Daniel Tabard risque d'être confondu. Il a l'air d'un vacancier, d'un skieur, d'un<br />
montagnard, d'un alpiniste, toujours dévisagé comme un Allemand, jamais, comme un<br />
Français, dont l'usage <strong>de</strong> la langue lui manque. Après 1600 km parcourus en <strong>de</strong>ux<br />
mois, il a le sentiment d'avoir vécu dans une bulle.<br />
Georges Simon (Roumanie)<br />
Journal d'un randonneur solitaire, <strong>de</strong> Daniel Tabard (<strong>Édition</strong>s Jeanne-d'Arc, 2009, 25<br />
rue <strong>de</strong> la Gazelle - BP 6, 430<strong>01</strong> Le Puy-En-Velay Ce<strong>de</strong>x, tél. 04 71 02 11 34), 250 pages, ISBN<br />
9782911794759, 22 €.<br />
Les NOUVELLES <strong>de</strong> ROUMANIE<br />
Quand Chiriac était jeune, à Bucarest en<br />
Roumanie, il travaillait, chez Ford. En ce tempslà,<br />
juste après la guerre, la Roumanie n'était pas<br />
encore communiste, il y avait une usine Ford à Bucarest et<br />
notre ami Chiriac travaillait comme mécano. Les premières<br />
années du communisme ont été épouvantablement dures. Et ça<br />
ne s'est pas vraiment arrangé avec l'arrivée <strong>de</strong> Ceausescu. Évi<strong>de</strong>mment,<br />
l'usine Ford a déménagé, Chiriac a laissé la mécanique<br />
pour quelle chose d'absolument sans intérêt. En fait, la<br />
principale occupation <strong>de</strong> Chiriac, et d'ailleurs <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> autres<br />
Roumains a cette époque-là, c'était <strong>de</strong> rêver.<br />
Les Roumains, comme <strong>les</strong> Russes, <strong>les</strong> Polonais, <strong>les</strong><br />
Hongrois, <strong>les</strong> Bulgares n'auraient jamais survécu sans le rêve.<br />
On attendait la nuit pour prolonger le rêve <strong>de</strong> la veille, le préciser,<br />
ajouter un détail, une merveille au mon<strong>de</strong> qu'on inventait<br />
et qu'on quittait à regret au matin.<br />
Le rêve <strong>de</strong> Chiriac, vous n'en serez pas surpris, c'était<br />
l'Amérique. Mais pas l'Amérique pour l'Amérique.<br />
L'Amérique pour acheter une voiture Ford.<br />
Travailler comme un mala<strong>de</strong><br />
pour se payer enfin sa Ford<br />
Pour Chiriac, Ford incarnait la liberté bien sûr, mais aussi<br />
la perfection mécanique absolue. Pour ce petit moteur dans<br />
l'âme, le vrai bonheur faisait vroum-vroum en Amérique. Il<br />
avait 60 ans quand il est arrivé au Québec avec sa femme<br />
Petrika. Ils se sont installés dans un trois et <strong>de</strong>mie du boulevard<br />
Lévesque à Laval et... et non, Chiriac ne s'est acheté un<br />
Ford. Pas tout <strong>de</strong> suite. Il n'avait pas un sou. II a travaillé<br />
comme un mala<strong>de</strong> - comme un animal, dit sa femme - pendant<br />
plusieurs années. Camionneur, routier.<br />
Il a conduit <strong>de</strong>s vans à New York, à Vancouver. II ne parlait<br />
pas un mot d'anglais, pas beaucoup français, ne comprenait<br />
rien aux panneaux <strong>de</strong> signalisation. Pas grave. Monte <strong>de</strong>s planches<br />
au Tennessee. Rapporte <strong>de</strong>s fruits. Repart pour Las Vegas.<br />
II avait 60 ans, puis un jour, il en a eu 65. Et un autre jour, 68.<br />
Et enfin quelques économies.<br />
Un bon matin, il a pris l'autobus jusque chez Fortier Auto,<br />
important concessionnaire Ford a Anjou. Et il a acheté un<br />
Ford. Un gros. Un long. Un Crown Victoria bleu, quatre portes,<br />
huit cyclindres qui consomment comme 16. Un vrai char<br />
<strong>de</strong> mononcle. Un bateau assez grand pour embarquer le rêve<br />
américain d'un vieux défroqué du communisme.<br />
Un "char" attendu <strong>de</strong>puis cinquante ans<br />
Chiriac a donné 2000 $ cash et il a fait financer le reste;<br />
36 mois à 437,90 $. Ça a été long dans le bureau <strong>de</strong> crédit.<br />
Plein <strong>de</strong> chiffres. La madame expliquait, reprenait, insistait,<br />
soulignait <strong>de</strong>s trucs sur le contrat. Oui, oui, oui disait, Chiriac.<br />
Connaissance et découverte<br />
Bonnes feuil<strong>les</strong> Le rêve à louer <strong>de</strong> Chiriac<br />
le Roumain, en Amérique<br />
Grand reporter au quotidien "La Presse" <strong>de</strong> Montréal Montréal, Pierre Foglia raconte <strong>les</strong> déboires, au milieu <strong>de</strong>s<br />
années 90, d'un Roumain débarquant en Amérique du Nord, dans son style inimitable, qui fait son succès Outre-Atlantique.<br />
Et s'impatientait silencieusement: "Envoye, bonne femme,<br />
arrête <strong>de</strong> bretter, ça fait 50 ans que j'attends ce char-là "...<br />
- Ça va, c'est clair, vous avez bien tout compris ? a encore<br />
insisté la dame du crédit.<br />
- Oui, oui, oui, disait Chiriac qui ne comprenait rien.<br />
- Signez ici.<br />
Chiriac s'est mis au volant. Vous dire comment il se sentait:<br />
le roi était son cousin. Ce qu'il ne savait pas, ce qu'il n'avait<br />
pas compris dans le bureau <strong>de</strong> la dame du crédit, c'est qu'il<br />
venait <strong>de</strong> signer un contrat <strong>de</strong> LOCATION. Il venait <strong>de</strong><br />
LOUER sa voiture. Pas <strong>de</strong> l'acheter.<br />
II paraît (je n'ai jamais acheté d'auto neuve, c'est pour ça<br />
que je vous dis "il paraît") que c'est <strong>de</strong>venu la pratique quand<br />
on va acheter une auto: le ven<strong>de</strong>ur insiste pour vous la louer à<br />
long terme plutôt que vous la vendre. Il parait que ça revient à<br />
peu près au même pour l'acheteur, mais que c'est plus avantageux<br />
pour le locateur et surtout pour la compagnie <strong>de</strong> prêt…<br />
C'est aussi l'histoire<br />
<strong>de</strong> milliers d'immigrés <strong>de</strong> l'Est<br />
Anyway, si je me résignais à acheter un char neuf et que<br />
le responsable du crédit me proposât <strong>de</strong> le louer, je tomberais<br />
<strong>de</strong>s nues ! Dans ma culture, on loue une voiture une semaine,<br />
pas trois ans. C'est la même culture que Chiriac, S'il avait compris<br />
le français, il aurait dit à la bonne femme du crédit; non,<br />
mais ça va pas la tête ! Cette auto-là, il la voulait toute à lui. Il<br />
allait se dépêcher <strong>de</strong> la payer. Il n'y aurait jamais une tache <strong>de</strong><br />
rouille <strong>de</strong>ssus. Un char <strong>de</strong> curé, son premier et son <strong>de</strong>rnier.<br />
Passe un an et <strong>de</strong>mi. Un jour, sur un relevé <strong>de</strong> banque, sa<br />
femme qui commence à mieux comprendre le français, lit:<br />
"contrat <strong>de</strong> location"...<br />
- Location ? Quelle location ?<br />
Chiriac ne comprend pas. Et quand il comprend, il capote.<br />
Ben d'abord, si cette auto n'est pas à lui, il n'en veut plus.<br />
Qu'on vienne la chercher immédiatement... II pense qu'on va<br />
le rembourser. Mais c'est lui qui doit <strong>de</strong>s sous. Selon la mise<br />
en <strong>de</strong>meure <strong>de</strong> la Compagnie <strong>de</strong> finances, il doit 4431 $.<br />
Ça s'est finalement arrangé. Fortier Auto, comprenant<br />
dans quel malentendu s'était fourré le vieux Roumain, a eu l'élégance<br />
d'arranger le coup et d'effacer la <strong>de</strong>tte.<br />
Aujourd'hui, Chiriac est trop b<strong>les</strong>sé pour réaliser quelle<br />
chance il a eu <strong>de</strong> s'en tirer à si bon compte. Il a racheté une<br />
vieille minoune et zigone <strong>de</strong>ssus à temps perdu. Il n'est pas à<br />
pied, mais son rêve d'Amérique est foutu.<br />
Voilà, c'était l'histoire <strong>de</strong> Chiriac… mais c'est un peu l'histoire<br />
aussi <strong>de</strong> milliers <strong>de</strong> Russes, <strong>de</strong> Polonais, <strong>de</strong> Bulgares, <strong>de</strong><br />
Hongrois, <strong>de</strong> Tchécoslovaques qui n'avaient pas imaginé qu'à<br />
défaut <strong>de</strong> réaliser leur "rêve américain", ils pourraient le louer,<br />
437,90 $ par mois. Et qu'au bout <strong>de</strong> trois ans, ils <strong>de</strong>vraient le<br />
rendre. Ou l'acheter. Ou le vendre. Pierre Foglia<br />
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