1-Thévenot, Ethnographe des Iles du Levant, Michele Longino Jean ...

Issues des parcours d’Ulysse et de Télémaque lui-même dans l’épopée homérique, les errances prêtées
au héros des Aventures de Télémaque constituent de multiples épreuves que Fénelon a adaptées à son projet :
chargé de la formation du duc de Bourgogne, il fait en sorte que ces épreuves rencontrées en divers endroits
amènent Télémaque au futur exercice de la royauté. D’un bout à l’autre du bassin méditerranéen, le lecteur des
textes antique retrouve des lieux connus, mais aussi ajoutés ou transformés pour les besoins de la cause. Si les
îles étaient déjà nombreuses dans le parcours d’Ulysse, leur configuration topographique marquée par la clôture
semble se prêter particulièrement à la succession des épreuves abordées selon une rigoureuse progression les
unes après les autres.
L’isolement naturel de l’île amène à une réflexion politique sur la clôture et l’ouverture, le repli sur soi
ou l’expansion vers les autres. D’un bon nombre de développements se dégage une représentation assez
manichéenne du risque d’enfermement que comporte l’île (rétention plus ou moins volontaire d’Ulysse puis de
Télémaque dans l’île de Calypso, redoublé à propos de l’île de Chypre ; affaiblissement et mollesse de celui qui
veut trop rester), tandis que la navigation vers les autres peuples et les terres inconnues fait l’objet d’une
présentation extrêmement positive, notamment avec l’exemple du commerce des Phéniciens proposés, semble-til,
comme modèle pour le futur roi d’Ithaque.
Une telle représentation reçoit cependant ses nuances : la fondation installée dans l’île de Gadès par les
Phéniciens lors de l’épisode de la Bétique paraît moins idéalisée, comme le projet de conquête de l’île de
Carpathie. De même si la retraite dans une île doit être dépassée, elle constitue néanmoins un instrument de
valorisation morale incontestable. Plus complexe que ses contours schématiques ne pourraient le laisser croire,
l’île s’offre régulièrement à nos interrogations, qu’il s’agisse des redoublements dont certaines font l’objet, de
l’utilisation de l’île de Calypso dans plusieurs livres du début de l’œuvre pour revenir sur le passé ou de la
présentation de cette même île comme lieu d’un conflit divin et point de mire de tout l’Olympe.
Cette mise en question à partir de l’île paraît illustrée par les nombreux leurres dont elle devient le
prétexte ou le théâtre, illustrant ainsi la nécessaire vigilance du prince. Cela se mesure dans les erreurs commises
à propos d’un certain nombre de ces îles (la fausse Ithaque d’Acamas, le rapprochement entre la Crète et Salente
à propos d’Idoménée, la confusion dans le rêve Télémaque entre une île fortunée évoquant les Champs Elysées
et l’île des Phéaciens). On le perçoit également dans la convocation des îles à propos de nombreux mensonges
mettant qui mettent en jeu l’identité des individus (le crétois Malachon assimilé au pseudo-phrygien Télémaque,
Cléomène-Ulysse sur une île sauvage, les parallèles entre les histoires de Philoctète et Néoptolème avec
l’utilisation des îles de Lemnos et Skyros).
16- L’île comme métaphore politique dans le spectacle de cour
Marie-Claude Canova Green est professeur à Goldsmiths, Université de Londres. Elle a fait de nombreux
travaux sur le ballet de cour au XVIIe siècle et sur la comédie- ballet de Molière.
Dans la mesure où le lieu théâtral, ici le domaine royal en fête, apparaît comme un lieu non seulement clos, mais
clôturé, dans la mesure où l’espace théâtral se caractérise lui aussi par sa clôture, tout en entretenant des rapports
d’inclusion-exclusion avec ce qui l’entoure, dans la mesure enfin où l’espace scénique lui-même reproduit ces
mêmes caractéristiques, quand il n’inclut pas en son sein, par des effets de mise en abyme, des décors d’îles,
jardins et autres bocages, le spectacle de cour au XVIIe siècle relève éminemment de l’insularité.
D’autre part, dans la mesure où l’espace scénique vise à projeter à la fois un modèle réduit et une image idéale
du roi, de la cour et du royaume, qui se substitue à la réalité, le spectacle de cour construit une représentation
imaginaire du monde qu’il imite, et qui a pour premier effet de transformer ce hors-scène lui-même en île, avec
tout ce que cela suppose de lieu protégé et objet d’admiration et d’envie.
D’où alors les multiples lieux insulaires fictifs évoqués sur scène ou dans les textes, qu’il s’agisse d’îles à
proprement parler comme les Iles Fortunées ou celle des Hespérides, ou encore de ces îlots spatio-temporels
métaphoriques figurés par l’Arcadie et autres lieux mythiques de la Grèce antique, où sont vus fusionner usages
du pastoral et adunata de l’Age d’or.
Marie-Claude Canova-Green
Goldsmiths, Université de Londres