1-Thévenot, Ethnographe des Iles du Levant, Michele Longino Jean ...

contrevient aux règles les plus élémentaires de la galanterie ! Mme de Villedieu ferait alors de Théras un
instrument simultané de promotion et de ruine des femmes. Après avoir examiné la façon dont la romancière
joue habilement de ce paradoxe pour transformer son île en utopie féminocentrique, on essaiera d’en dégager la
portée sociopolitique dans la perspective d’une posture libertine d’émancipation : en quoi Théras conteste-t-elle
l’ordre phallocentrique en place, que celui-ci s’exprime à travers le monopole de l’écriture de l’Histoire, la
toute-puissance du désir masculin, ou encore l’autorité patriarcale sous ses formes les plus diverses ?
La communication tentera aussi de dégager l’originalité de Théras par rapport à deux autres îles de Mme de
Villedieu, qui posent, en amont, des problématiques similaires : l’île Délicieuse d’Alcidamie (1661) et l’île de
Thalassie dans Les Exilés (1672-73).
6-Giorgio Sale, Université de Sassari et Milan
Introduction.
Les Exilez de Madame de Villedieu représente un des derniers romans français du XVII e siècle à
exploiter le mythe romain depuis la tradition des grands romans héroïques. Mais, contrairement à la
majorité de la production narrative précédente, qui situait l’action principale à Rome, celle des Exilez se
déroule à l’écart du centre politique et intellectuel de l’Antiquité. Comme le suggère le titre, les
protagonistes se trouvent dans une position marginale puisqu’ils ont été contraints à s’exiler à Thalassie.
Cette île imaginaire, sur les bords de la Mer noire, symbolise le lieu mythique du royaume galant : il
s’agirait en effet de la dernière retraite du spécialiste de l’amour que fut Ovide, même si le poète latin fut
en fait exilé à Tomes. Thalassie se présente donc manifestement comme une île de fiction.
Le paradoxe de l’île d’exil : privation des droits et liberté de parole.
L’expulsion dans une île ne manque pas de rappeler le topos du bannissement du poète, de
l’intellectuel suite à une condamnation politique. Dans ce lieu à l’écart où ils expient la faute de s’être
opposés au pouvoir, les exilés peuvent alors contester librement l’ordre social qui les a rejetés. Dans
l’imaginaire de l’époque classique, marqué par l’absolutisme royal, la destinée d’Ovide constitue en effet
une métaphore du rapport complexe et extrêmement fragile entre la politique, l’espace et la culture. La
société mondaine contemporaine ne considère pas l’exil seulement comme un phénomène politique,
mais aussi esthétique. L’île imaginaire constitue un espace circonscrit où la production littéraire peut
donner libre cours à l’expression d’une opposition politique, d’autant qu’elle se cache sous le sceau
rassurant de la fiction.
L’opposition – sur laquelle s’ouvre le roman – entre la cour de Rome et le lieu d’exil, transforme
ce dernier en un espace propre au développement de l’idylle pastorale, en dehors de toute ingérence
extérieure, fut-ce le pouvoir du roi. Dans l’île, comme dans la fiction pastorale, s’établit une
communauté alternative, constituée presque exclusivement de personnages qui appartiennent à la
noblesse. Madame de Villedieu développe de la sorte le mythe de l’exil solitaire : dans son récit, c’est
une communauté entière qui se trouve mise au ban de la société.
Si la condition d’exilés comporte une restriction de la liberté de mouvement, elle permet, d’autre
part, une liberté de pensée et de parole jusqu’alors inouïe. Dans la disgrâce sociale, l’exil donne la
possibilité aux protagonistes de vivre ailleurs leur bonheur individuel, ainsi que de s’exprimer sans
devoir se soumettre aux contraintes, aux règles, aux limitations en vigueur à la cour. Aussi l’éloignement
constitue-t-il ainsi une protection qui permet l’invention, le divertissement, la contestation, bref, la
liberté dans tous les domaines.
Insularité et narration : l’île des récits qui se croisent.
Les membres de cette petite société galante réunie autour d’Ovide réclament des histoires
divertissantes pour tromper leur ennui, et profitent de leur liberté pour se raconter mutuellement, en s’en
amusant, les aventures amoureuses qui ont causé leur bannissement.
L’espace réduit et clos de l’île entraîne une multitude de découvertes, de rencontres et de méprises qui
servent de prétextes à toute une collection de récits où les couples des exilés se combinent, se séparent et
enfin se réunissent, poussés par diverses passions : amours, amitiés, jalousies, haines… Devant leur
auditoire, les protagonistes-narrateurs s’interrompent fréquemment pour compléter, pour corriger leurs
histoires respectives, pour contester, pour proposer un autre point de vue. Seul le lecteur, parfois,
parvient à reconstituer un récit entier et cohérent. Mais, comme les possibilités d’action sont tout de
même réduites dans l’île où ne pourrait se nouer une intrigue suffisamment complexe ou vraisemblable,
le texte se compose presque exclusivement de récits rétrospectifs que les différents personnages