1-Thévenot, Ethnographe des Iles du Levant, Michele Longino Jean ...

titre de l’œuvre. Comment ne pas reconnaître dans le périple du protagoniste un écho du voyage de son modèle
dans Le Quart Livre ? Mais l’île Imaginaire doit plus encore aux « isles fortunées » qui surgissent dans Le
Disciple de Pantagruel 19 . Entre ces fabuleux archipels et le domaine visité par le nouveau Panurge, les
similitudes sont frappantes : point de femmes ni d’enfants 20 . Aussi les habitants n’en éprouvent-ils nul regret
puisque les hommes se maintiennent en vie grâce au secret du rajeunissement qui remplace ici la fontaine de
jouvence du Disciple de Pantagruel 21 .
8-Christine Noille-Clauzade, Université Stendhal Grenoble 3, La possibilité d’une île : les expériences de
la fiction au XVIIe siècle et la théorie des mondes possibles.
L’expérience de l’île dans la littérature classique a été souvent associée à une expérience de pensée :
l’île, associée aux utopies, représente la projection fictionnelle d’une hypothèse audacieuse, d’un cas-limite –
rejoignant en cela d’autres mondes alternatifs possibles, comme la Lune chez Cyrano, l’imagination des premiers
hommes chez Descartes ou Port-Royal, etc. Dans les discours argumentatifs du XVIIe s. (discours
philosophiques, politiques, moraux), l’île vaut ainsi comme fabrique d’un scénario contrefactuel dans lequel ont
été changées une ou plusieurs règles du monde actuel, et dans lequel l’auteur poursuit logiquement les
conséquences de ce changement.
A ce titre, la mobilisation de l’île dans la pensée classique peut être décrite par la théorie contemporaine
des mondes possibles, en ce que les univers de fiction insulaires sont précisément conçus dans un rapport de
modification et de variation par rapport au monde « actuel ».
Mais en logique, le « monde actuel » est aussi le monde (le cadre) qui sert de référence pour établir la
vérité et la fausseté des propositions ; et dans des précédents articles, j’ai plaidé pour l’importation de cette
problématique dans l’étude de la fiction classique : j’ai essayé de montrer comment le XVIIe siècle voyait se
cotoyer plusieurs façons de se positionner par rapport à la vérité ou à la fausseté des énoncés de la fiction, ce que
j’ai appelé plusieurs « styles » de positionnement logique, plusieurs styles de fictionalité. Il y a les fictions qui se
présentent comme totalement fausses, fausses mais vraisemblables, vraies mais invérifiables, etc.
En tant qu’elle ouvre un scénario contrefactuel, la thématique de l’île dans la fiction du XVIIe siècle
présente alors un intérêt narratologique évident – complétant sa capacité à autoriser des expériences de pensée :
elle autorise des expériences de positionnement logique qui vont de la suspension du régime « ambiant » de la
vraisemblance à la mise en place d’un renversement logique qui dé-référentialise et décridibilise le monde actuel
et promeut l’univers insulaire du récit comme cadre de véridicité.
Pour explorer cette problématique, nous nous appuierons sur des textes argumentatifs mobilisant
l’argument de l’île (Nicole, Fénelon) et sur des textes narratifs expérimentant dans les îles du récit diverses
possibilités de régler leur rapport à la vérité : les îles « allégoriques » [île de la portraiture (Segrais), royaume de
coquetterie (d’Aubignac)], les îles de la merveille (merveille galante comme dans l’île de Chypre avec Zaïde ou
« L’isle inaccessible » de Mme d’Aulnoy). Enfin, au confluent des deux problématiques (l’île comme scénario
contrefactuel, expérience de pensée, et l’île comme expérience de récit, positionnement logique alternatif), nous
envisagerons le Télémaque de Fénelon comme parcours d’île en île, chacune meublée d’un monde de pensée et
d’un positionnement logique autonomes.
9-J. Gœury, université de Nantes, Un poète insulain, André Mage de Fiefmelin
19 Le Disciple de Pantagruel : les navigations de Panurge, éd. Guy Demerson et Christiane Lauvergnat-
Gagnière, Paris, Nizet, coll. Société des textes français modernes, 1982, 98 p.
20 Cf. « Es dictes isles n’y a point de femmes pour ce que l’on n’y en a que faire ny pour porter enfans ny pour
tirer les vaches » (ibid., p. 64-65).
21 Ibid., p. 65.