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Comportement individuel face au risque : nouveaux apports dans le ...

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<strong>Comportement</strong> <strong>individuel</strong> <strong>face</strong> <strong>au</strong> <strong>risque</strong> : nouve<strong>au</strong>x <strong>apports</strong> <strong>dans</strong><br />

<strong>le</strong> cadre de la Prospect Theory<br />

Résumé<br />

Jacques Pel<strong>le</strong>tan 1<br />

Fondation du Risque<br />

Email : jacques.pel<strong>le</strong>tan@d<strong>au</strong>phine.fr<br />

Avril 2009<br />

Appréhender <strong>le</strong> comportement des agents <strong>face</strong> <strong>au</strong> <strong>risque</strong> est une gageure depuis <strong>le</strong>s multip<strong>le</strong>s<br />

contestations dont fit l’objet <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> d’Espérance d’Utilité. Cet artic<strong>le</strong> s’appuie sur <strong>le</strong> cadre<br />

de travail de la Prospect Theory initié par Kahneman et Tversky, en apportant un éclairage<br />

original à ce type de modè<strong>le</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cas d’une imperfection informationnel<strong>le</strong> sur la probabilité<br />

d’occurrence du <strong>risque</strong>. Le modè<strong>le</strong> que nous proposons repose sur l’étude des interactions<br />

socia<strong>le</strong>s. Les agents formu<strong>le</strong>nt des croyances successives sur <strong>le</strong>s probabilités d’occurrence <strong>au</strong><br />

sein d’un rése<strong>au</strong>. Pour cela, ils se fondent à la fois sur un signal partiel<strong>le</strong>ment informatif qui<br />

<strong>le</strong>ur est propre et sur l’observation du comportement et, par là même, des croyances d’<strong>au</strong>trui.<br />

Il peut s’ensuivre alors un phénomène de cascade informationnel<strong>le</strong>, rationnel <strong>au</strong> nive<strong>au</strong><br />

<strong>individuel</strong>, mais inefficient <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> col<strong>le</strong>ctif. Ce travail, qui complète à la fois <strong>le</strong>s trav<strong>au</strong>x<br />

liés à l’évaluation du <strong>risque</strong> par <strong>le</strong>s agents et ceux portant sur l’économie des interactions<br />

socia<strong>le</strong>s est poursuivi par deux extensions : d’une part, en envisageant la possibilité, pour un<br />

même agent, de participer à plusieurs rése<strong>au</strong>x soci<strong>au</strong>x, c'est-à-dire de recouper <strong>le</strong>s<br />

informations fournies par <strong>le</strong>ur environnement ; d’<strong>au</strong>tre part, en introduisant des agents ayant<br />

une confiance forte <strong>dans</strong> <strong>le</strong>ur propre signal permettant de « casser » <strong>le</strong>s cascades classiques et<br />

d’apporter de l’information supplémentaire <strong>au</strong> sein du rése<strong>au</strong>. Nous montrons alors que <strong>le</strong>s<br />

comportements de ces deux types d’agents peuvent être coûteux <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> <strong>individuel</strong> mais<br />

efficients <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> col<strong>le</strong>ctif.<br />

Mots clés : Risque, Prospect Theory, imperfection informationnel<strong>le</strong>, rése<strong>au</strong>x soci<strong>au</strong>x.<br />

Classification JEL : D81, D83, D85.<br />

1 Cet artic<strong>le</strong> s’appuie sur <strong>le</strong> cadre de travail développé <strong>dans</strong> ma Thèse. Je tiens à remercier tout particulièrement<br />

Jean-Hervé Lorenzi pour ses nombreux conseils. Mes remerciements vont éga<strong>le</strong>ment à Bertrand Vil<strong>le</strong>neuve,<br />

Pierre Picard, Pierre Joxe, François Etner et Cl<strong>au</strong>de-Denys Fluet pour <strong>le</strong>s commentaires qui ont permis une<br />

évolution de ces recherches. Que <strong>le</strong>s participants <strong>au</strong> séminaire « interactions » du GREQAM, où cet artic<strong>le</strong> a été<br />

présenté, soient éga<strong>le</strong>ment remerciés pour m’avoir permis d’améliorer une version précédente.<br />

1


Introduction<br />

La demande de sécurité a existé de tout temps, mais ses modes d’expression ainsi que <strong>le</strong>s<br />

réponses apportées se sont profondément modifiés <strong>au</strong> cours des sièc<strong>le</strong>s. Une laïcisation, une<br />

individualisation des attentes, se sont faites jour, ce qui a conduit <strong>le</strong>s populations à accorder<br />

de plus en plus d’importance <strong>au</strong>x dangers mettant en péril l’intégrité physique et matériel<strong>le</strong>.<br />

La notion de <strong>risque</strong> a remplacé cel<strong>le</strong> de péril divin, devenant ainsi un sujet prêtant <strong>au</strong>x débats<br />

théoriques comme <strong>au</strong>x clivages politiques. Ulrich Beck en théorise <strong>le</strong> caractère central. Dans<br />

La société du <strong>risque</strong>, la répartition des <strong>risque</strong>s a remplacé cel<strong>le</strong> des richesses comme logique<br />

de segmentation de la société. Si la technologie a permis de réduire <strong>le</strong>s <strong>risque</strong>s naturels, tel<br />

n’est pas <strong>le</strong> cas des dangers d’origine humaine, dont la régulation est politiquement plus<br />

sensib<strong>le</strong>. La difficulté à définir <strong>le</strong> <strong>risque</strong>, à la fois fait objectif et évaluation subjective renforce<br />

la sensibilité du sujet. Comme nous <strong>le</strong> disent Yates et Stone, « si nous lisons dix artic<strong>le</strong>s ou<br />

livres différents sur <strong>le</strong> <strong>risque</strong>, nous ne devons pas être surpris de voir <strong>le</strong> <strong>risque</strong> décrit de dix<br />

façons différentes » 2 . Certes, nous comprenons intuitivement qu’il y ait des <strong>risque</strong>s qui sont<br />

acceptab<strong>le</strong>s et d’<strong>au</strong>tres qui ne <strong>le</strong> sont pas mais, là encore, une définition rigoureuse des <strong>risque</strong>s<br />

dits « acceptab<strong>le</strong>s » 3 dépend du mode d’évaluation choisi. Slovic <strong>le</strong> souligne éga<strong>le</strong>ment : alors<br />

que <strong>le</strong>s individus, <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s sociétés industrialisées ont des existences de plus en plus sûres, ils<br />

sont de plus en plus sensib<strong>le</strong>s <strong>au</strong> <strong>risque</strong> et s’estiment de plus en plus vulnérab<strong>le</strong>s 4 . Les outils<br />

de modélisation offerts par la science économique permettent-ils de rendre compte de ce<br />

phénomène ?<br />

L’analyse du <strong>risque</strong> constitue <strong>au</strong>jourd’hui un préalab<strong>le</strong> conceptuel et méthodologique à toute<br />

réf<strong>le</strong>xion approfondie <strong>dans</strong> <strong>le</strong> domaine de l’assurance, de la stratégie d’entreprise, ou des<br />

politiques publiques. Pourtant, el<strong>le</strong> a longtemps été ignorée des penseurs et ne s’est imposée<br />

comme nécessaire que lorsque <strong>le</strong>s exigences de sécurité se laïcisaient <strong>dans</strong> un mouvement de<br />

retour <strong>au</strong> terrestre. Avant, il s’agissait de péril – souvent divin – et <strong>au</strong>cune rationalisation<br />

réel<strong>le</strong> n’était recherchée. C’est <strong>le</strong> jeu qui a été – tardivement - <strong>le</strong> premier fil conducteur<br />

conduisant à une approche scientifique de la notion de <strong>risque</strong> à travers <strong>le</strong>s trav<strong>au</strong>x de Pascal et<br />

Fermat sur <strong>le</strong>s probabilités. Ce n’est pas pour <strong>au</strong>tant que <strong>le</strong>s contingences furent ignorées<br />

jusque là, mais ce qui n’était pas prouvab<strong>le</strong> par un raisonnement logique ne pouvait prétendre<br />

à une recherche scientifique : il y avait ainsi une nette séparation entre <strong>le</strong>s exigences des<br />

différents domaines intel<strong>le</strong>ctuels. Le <strong>risque</strong>, caractéristique par excel<strong>le</strong>nce d’une vérité non<br />

actualisée, ne pouvait prétendre à cet intérêt. Il en fut de même à l’avènement du<br />

christianisme, pour <strong>le</strong>quel <strong>le</strong> hasard n’a pas de place : <strong>le</strong>s intentions supérieures nous sont<br />

occultées, sans pour <strong>au</strong>tant être des aléas. La religion musulmane n’a pas été plus prolixe en la<br />

matière. C’est seu<strong>le</strong>ment à la Renaissance qu’émergea véritab<strong>le</strong>ment la notion de <strong>risque</strong> et <strong>le</strong><br />

concept de probabilité qui en est <strong>le</strong> noy<strong>au</strong> dur. Ces notions se développèrent, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> contexte<br />

d’un véritab<strong>le</strong> engouement pour <strong>le</strong>s sciences et techniques.<br />

Une première remise en c<strong>au</strong>se des outils utilisés succéda à cet engouement. Cela conduira<br />

notamment Knight à faire une distinction entre <strong>le</strong> <strong>risque</strong> (probabilisab<strong>le</strong>) et l’incertain (non<br />

probabilisab<strong>le</strong>) 5 . Dans son ouvrage Risque, incertitude et profit, chaque cas est considéré<br />

comme si particulier que l’économiste ne veut en inférer une va<strong>le</strong>ur de probabilité réel<strong>le</strong> 6 .<br />

2 Cf. Yates et Stone (1992).<br />

3 Cf. Fischhoff et al (1981).<br />

4 Cf. Slovic (1994).<br />

5 Cf. Knight (1921).<br />

6 Cf. Knight (1921).<br />

2


Keynes, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> Traité des probabilités, critique éga<strong>le</strong>ment la possibilité d’évaluer une<br />

probabilité par la simp<strong>le</strong> observation des fréquences passées. En cela, il va à l’encontre des<br />

précurseurs que furent G<strong>au</strong>ss, Laplace, Pascal ou Quéte<strong>le</strong>t, en méprisant la « la loi des gros<br />

nombres ». Plus fondamenta<strong>le</strong>ment, il repère <strong>le</strong>s fail<strong>le</strong>s <strong>dans</strong> un mouvement qui vise à<br />

superposer l’évaluation du statisticien et cel<strong>le</strong> de l’agent, considérant la seconde comme<br />

essentiel<strong>le</strong> car fondée sur notre jugement 7 . En 1936, il va plus loin, en affirmant que la<br />

plupart de nos décisions résultent d’intuitions anima<strong>le</strong>s et non de la moyenne d’avantages<br />

pondérée par <strong>le</strong>urs probabilités 8 .<br />

La compréhension du comportement humain est précisément la gageure de John Von<br />

Neumann et Oskar Morgenstern à l’origine de la théorie de l’espérance d’utilité 9 , qui<br />

bou<strong>le</strong>versa <strong>le</strong>s théories du <strong>risque</strong> et constitue, encore <strong>au</strong>jourd’hui, un point de référence pour<br />

la compréhension et la gestion des aléas. Comme <strong>le</strong> souligne Etner, « Il fut alors convenu que<br />

chacun maximisait une espérance d’utilité à la façon de Bernouilli, ce qui permit d’analyser<br />

des domaines comme l’assurance, la finance, l’économie du travail et d’<strong>au</strong>tres encore » 10 .<br />

Nous verrons en détail par la suite que cette théorie repose sur une fonction de représentation<br />

des préférences convaincante, laissant à la fois une place à l’avancée scientifique –<br />

probabiliser <strong>le</strong>s événements de mieux en mieux – et à la subjectivité humaine – <strong>le</strong>s utilités<br />

correspondant <strong>au</strong>x différentes issues sont propres à chaque individu. Plus tard, Savage étendra<br />

cette théorie en gommant la distinction faire par Keynes et Knight entre <strong>le</strong> <strong>risque</strong> et<br />

l’incertitude, associant <strong>au</strong>x secondes situations des probabilités subjectives : on dispose ainsi<br />

d’un nouvel horizon conceptuel 11 . Mais, en considérant, <strong>dans</strong> la même mesure ce qui est censé<br />

demeurer de l’ordre du scientifique – la connaissance des probabilités – et ce qui reste propre<br />

à la subjectivité humaine – l’évaluation des conséquences en jeu, on fait disparaître la<br />

distinction essentiel<strong>le</strong> entre l’évaluation des événements réel<strong>le</strong>ment observés et cel<strong>le</strong> qui en<br />

est faite par <strong>le</strong>s agents, cette dernière gouvernant <strong>le</strong>ur comportement. Suite <strong>au</strong>x nombreuses<br />

remises en c<strong>au</strong>se dont firent l’objet ces <strong>apports</strong> théoriques, <strong>le</strong>s modè<strong>le</strong>s alternatifs visant à<br />

cerner <strong>le</strong> comportement des agents <strong>face</strong> <strong>au</strong> <strong>risque</strong> ont foisonné ces dernières décennies. Ces<br />

réf<strong>le</strong>xions ont donné, et donneront de plus en plus, lieu à des multip<strong>le</strong>s applications que ce<br />

soit <strong>dans</strong> la sphère publique ou privée. Dans cet artic<strong>le</strong>, nous examinerons brièvement, <strong>dans</strong><br />

une première section, <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> décisif joué par <strong>le</strong> critère EU <strong>dans</strong> l’appréhension du<br />

comportement des agents <strong>face</strong> <strong>au</strong> <strong>risque</strong>. Nous retracerons ainsi ses fondements et ses échecs,<br />

avant de brosser, <strong>dans</strong> une deuxième section, <strong>le</strong>s propositions de modélisations alternatives<br />

qui firent suite <strong>au</strong>x nombreuses remises en c<strong>au</strong>se de ce paradigme. En particulier, nous<br />

mettrons l’accent sur <strong>le</strong>s horizons ouverts par la Prospect Theory. Puis, nous étudierons plus<br />

précisément, <strong>dans</strong> la troisième section, la question des imperfections informationnel<strong>le</strong>s <strong>dans</strong> <strong>le</strong><br />

processus d’évaluation du <strong>risque</strong> par <strong>le</strong>s agents, en considérant que ces derniers tirent - pour<br />

partie - <strong>le</strong>ur information de <strong>le</strong>ur environnement social.<br />

7 Cf. Keynes (1921).<br />

8 Cf. Keynes (1936).<br />

9 Cf. Von Neumann et Morgenstern (1944).<br />

10 Cf. Etner (2000), p.175.<br />

11 Cf. Savage (1954).<br />

3


1 - L’inaptitude du modè<strong>le</strong> EU à rendre compte de l’évaluation du <strong>risque</strong><br />

par <strong>le</strong>s agents<br />

Après <strong>le</strong>s temps de relative ignorance vis-à-vis du <strong>risque</strong>, tout <strong>au</strong> moins comme objet<br />

mathématique et économique, <strong>le</strong> critère de l’espérance d’utilité, axiomatisé par Von Neumann<br />

et Morgenstern a donné une impulsion décisive à la théorie du <strong>risque</strong>. Le propos,<br />

formel<strong>le</strong>ment, est de trouver une fonction de valorisation V : Θ → ℝ , rendant compte du<br />

comportement de l’agent <strong>face</strong> <strong>au</strong> <strong>risque</strong>, tel<strong>le</strong> que si θ, θ '∈Θ<br />

, alors :<br />

( ) ( )<br />

θ ≥ Θθ<br />

' ⇔ V θ ≥ V θ ' .<br />

1.1 - Une théorie « mirac<strong>le</strong> », mais contestab<strong>le</strong><br />

Nous considérons l’aléa étudié comme une application de l’ensemb<strong>le</strong> des états de la nature,<br />

noté S, vers l’ensemb<strong>le</strong> des conséquences, noté ζ . Cela s’écrit formel<strong>le</strong>ment : θ : S → ζ .<br />

L’ensemb<strong>le</strong> des états de la nature est muni d’une loi de probabilité considérée, <strong>dans</strong> un<br />

premier temps, connue par l’agent. Ses préférences sont représentées de manière large par la<br />

relation suivante : ≥ Θ sur Θ , la relation de préférence stricte étant notée ≻ Θ . Par ail<strong>le</strong>urs, il<br />

est possib<strong>le</strong> d’associer à un <strong>risque</strong> θ une loi de probabilité notée P. La relation de préférence<br />

≥ Θ induit alors sur l’ensemb<strong>le</strong> des lois de probabilités à support fini <strong>dans</strong> ζ , noté Λ , une<br />

relation de préférence ≥ Λ (en notant ≻ Λ la préférence stricte et ∼ Λ la relation<br />

d’indifférence).<br />

Le théorème de Von Neumann et Morgenstern (VNM) met en évidence que si Λ , muni de<br />

≥ Λ satisfait <strong>au</strong>x axiomes de préordre total, de continuité et d’indépendance, alors il existe<br />

une fonction d’utilité U, représentant <strong>le</strong>s préférences ≥ Λ<br />

12 . En se donnant une loi de<br />

probabilité P, cette fonction peut s’écrire de la manière suivante :<br />

Dans <strong>le</strong> cas discret, en appelant x i chacune des conséquences possib<strong>le</strong>s, de probabilité p i :<br />

n<br />

( ) i. ( i)<br />

U P = ∑ p u x<br />

i=<br />

1<br />

, avec u application de ζ <strong>dans</strong> ℝ , continue, croissante et définie à une<br />

transformation affine près. Dans <strong>le</strong> cas continu, en supposant P à support borné <strong>dans</strong> ℝ , et en<br />

appelant f sa fonction de densité, la fonction d’utilité s’écrit : U ( P) = ∫ f ( x) . u ( x) dx . Ce<br />

ℝ<br />

théorème permet ainsi, de donner une représentation cardina<strong>le</strong> des préférences des agents sur<br />

<strong>le</strong>s lois de probabilité, correspondant à une représentation des préférences en situation de<br />

<strong>risque</strong>. En notant P la loi de probabilité associée à un <strong>risque</strong> θ ; P’ la loi associée à un <strong>risque</strong><br />

θ ' , nous avons :<br />

( ) ( ) ( ) ( )<br />

θ ≥ Θθ ' ⇔ P ≥ ΛP<br />

' ⇔ U P ≥ U P ' ⇔ U θ ≥ U θ '<br />

Les <strong>au</strong>teurs formulaient ici une théorie séduisante, avec un formalisme épuré, permettant de<br />

déduire des résultats intéressants à partir de quelques axiomes portant sur <strong>le</strong>s préférences et<br />

répondant, plus de deux sièc<strong>le</strong>s après sa formulation, <strong>au</strong> paradoxe de Saint-Pétersbourg de<br />

Bernoulli. Ce modè<strong>le</strong> présente la caractéristique de séparer <strong>le</strong> traitement des conséquences de<br />

12 Voir Cohen et Tallon (2000), pour une présentation complète.<br />

4


celui des probabilités, afin de se concentrer sur l’attitude des individus à l’égard du <strong>risque</strong>. La<br />

fonction U a donc un doub<strong>le</strong> rô<strong>le</strong> :<br />

- el<strong>le</strong> exprime l’attitude du décideur vis-à-vis du <strong>risque</strong><br />

- el<strong>le</strong> exprime la valorisation des conséquences <strong>dans</strong> <strong>le</strong> certain<br />

Il y a donc à la fois une place pour la subjectivité, à travers l’attitude <strong>face</strong> <strong>au</strong>x montants en jeu<br />

et l’appréciation des probabilités - si cel<strong>le</strong>s-ci ne sont pas parfaitement connues, et une place<br />

pour un développement scientifique de l’évaluation des <strong>risque</strong>s, à travers notre connaissance<br />

des probabilités. Par ail<strong>le</strong>urs, cette théorie peut permettre de gommer la distinction entre des<br />

situations de « <strong>risque</strong> » et des situations « d’incertitudes ». Dans un contexte d’incertitude, la<br />

théorie de l’espérance subjective d’utilité repose sur des croyances représentab<strong>le</strong>s par des<br />

probabilités sur l’espace des états du monde et, sous l’hypothèse d’axiomes assez simp<strong>le</strong>s et<br />

intuitifs, Savage montre qu’il est possib<strong>le</strong> de définir une mesure de probabilité cohérente – et<br />

propre à l’évaluation personnel<strong>le</strong> de l’agent - servant de fondement à une espérance d’utilité 13 .<br />

Une fois <strong>le</strong>s croyances et <strong>le</strong>s utilités identifiées, la théorie permet d’évaluer une décision en en<br />

calculant l’espérance « subjective » d’utilité, effaçant ainsi la frontière conceptuel<strong>le</strong> entre<br />

<strong>risque</strong> et incertain, tracée par Knight et Keynes. L’ensemb<strong>le</strong> de ces opérations, séduisantes et<br />

pratiques, fut-il pour <strong>au</strong>tant satisfaisant ?<br />

Peu après l’émergence de ce modè<strong>le</strong>, des critiques apparurent assez vite, notamment à partir<br />

d’expériences <strong>dans</strong> <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s sujets révè<strong>le</strong>nt des comportements en contradiction avec <strong>le</strong>s<br />

modè<strong>le</strong>s prédictifs, que ce soit en univers risqué 14 ou incertain 15 . D’abord, en montrant que<br />

l’axiome d’indépendance peut être violé, Allais fragilise <strong>le</strong>s fondements théoriques du modè<strong>le</strong><br />

de VNM. Ensuite, on peut comprendre avec l’expérience d’Ellsberg que <strong>le</strong> <strong>risque</strong> et<br />

l’incertain n’ont en fait pas <strong>le</strong> même statut pour <strong>le</strong>s agents, l’environnement incertain<br />

présentant une structure très particulière. En plus de ces violations expérimenta<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> modè<strong>le</strong><br />

EU a sou<strong>le</strong>vé éga<strong>le</strong>ment plusieurs difficultés théoriques. D’abord, <strong>dans</strong> l’interprétation de la<br />

fonction d’utilité qui a, nous l’avons vu, un doub<strong>le</strong> rô<strong>le</strong>, représentant à la fois l’attitude de<br />

l’agent <strong>face</strong> <strong>au</strong> <strong>risque</strong> et <strong>face</strong> <strong>au</strong>x événements certains. Or, un même individu peut à la fois<br />

avoir une utilité margina<strong>le</strong> fortement décroissante et être faib<strong>le</strong>ment averse <strong>au</strong> <strong>risque</strong>. Le<br />

modè<strong>le</strong> de VNM ne permet donc pas de rendre compte de cette distinction. Plus<br />

généra<strong>le</strong>ment, de nombreuses notions d’aversion pour <strong>le</strong> <strong>risque</strong> peuvent être définies, alors<br />

que ce type de modè<strong>le</strong> ne permet pas d’en rendre compte 16 . Le modè<strong>le</strong> d’espérance d’utilité,<br />

comme son extension en environnement incertain – l’espérance subjective d’utilité - furent<br />

donc confrontés à des mises en c<strong>au</strong>se descriptives comme théoriques 17 .<br />

1.2 - Les princip<strong>au</strong>x obstac<strong>le</strong>s à la compréhension de l’évaluation du <strong>risque</strong> par <strong>le</strong>s<br />

agents : cognition et émotion<br />

Le comportement de chaque agent <strong>face</strong> <strong>au</strong> <strong>risque</strong> est <strong>le</strong> produit d’une opération comp<strong>le</strong>xe,<br />

mettant en jeu des facteurs liés à l'environnement social comme à l’histoire personnel<strong>le</strong>.<br />

L’évaluation du <strong>risque</strong> est donc fondée sur une alchimie entre son fonctionnement personnel<br />

13<br />

Cf. Savage (1954). En se plaçant déjà <strong>dans</strong> une même logique, de Finetti (1937) avait montré qu’en proposant<br />

un nombre suffisant de paris à un décideur, il était possib<strong>le</strong> d’extraire de ses choix une distribution de<br />

probabilités reflétant ses croyances.<br />

14<br />

Cf. Allais (1953).<br />

15<br />

Cf. Ellsberg (1961).<br />

16<br />

Cf. Chate<strong>au</strong>neuf, Cohen et Meilijson (1997).<br />

17<br />

Pour une analyse détaillée des questions sou<strong>le</strong>vées par <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> EU, voir notamment Machina (1987).<br />

5


et l’environnement <strong>dans</strong> <strong>le</strong>quel il est plongé. Cette vision des choses n’est pas nouvel<strong>le</strong> à<br />

proprement par<strong>le</strong>r. Déjà, à la fin du 19 ème sièc<strong>le</strong>, Jevons puis Edgeworth voulaient fonder <strong>le</strong><br />

calcul économique sur des lois psychologiques, s’inspirant en cela des trav<strong>au</strong>x des al<strong>le</strong>mands<br />

Fechner et Wundt. Deux sphères menta<strong>le</strong>s traditionnel<strong>le</strong>ment distinguées scandent <strong>le</strong>s modes<br />

d’évaluation et de décision <strong>individuel</strong>s : la cognition et l’émotion, ces deux éléments étant<br />

générateurs de biais <strong>dans</strong> la théorie dominante.<br />

Le premier aspect qui fonde <strong>le</strong> comportement <strong>face</strong> <strong>au</strong> <strong>risque</strong> est la connaissance sur <strong>le</strong>s<br />

probabilités et <strong>le</strong>s conséquences des états du monde possib<strong>le</strong>s. Or, <strong>dans</strong> un cadre incertain, <strong>le</strong>s<br />

agents forment des croyances sans avoir toujours pour <strong>au</strong>tant d’information précise. Pour cela,<br />

<strong>le</strong>s individus comptent sur un nombre réduit de principes heuristiques qui réduisent l’amp<strong>le</strong>ur<br />

de la tâche cognitive à des opérations de jugement plus simp<strong>le</strong>s. Kahneman et Tversky (1974)<br />

en relèvent trois grands types : l’heuristique de représentativité (lorsqu’un agent doit analyser<br />

une situation de <strong>risque</strong>, il <strong>le</strong> fait souvent en la rattachant à un ensemb<strong>le</strong> de situations connues<br />

antérieurement et lui paraissant similaires) ; l’heuristique de disponibilité (l’évaluation du<br />

<strong>risque</strong> se fait à partir des informations qui nous viennent <strong>le</strong> plus faci<strong>le</strong>ment à l’esprit, c’est-àdire<br />

<strong>le</strong>s plus médiatisées, <strong>le</strong>s plus saillantes ou <strong>le</strong>s plus récentes) ; l’heuristique d’ancrage<br />

(l’estimation du <strong>risque</strong> se fait alors en partant d’un événement antérieur – portant <strong>le</strong> nom<br />

« d’ancre », pris comme point de référence et ajusté pour représenter la situation actuel<strong>le</strong>) 18 .<br />

L’heuristique de disponibilité, à présent bien documentée, montre en particulier que l’agent<br />

forme ses croyances sur <strong>le</strong>s différents <strong>risque</strong>s <strong>au</strong>xquels il fait <strong>face</strong> en se fondant sur peu<br />

d’information. Pour cela, il a souvent recours à l’environnement <strong>dans</strong> <strong>le</strong>quel il est plongé :<br />

ainsi, de f<strong>au</strong>sses croyances peuvent se propager et créer une irrationalité col<strong>le</strong>ctive, alors que<br />

chacun agent est <strong>individuel</strong><strong>le</strong>ment rationnel 19 . Ces phénomènes peuvent expliquer, comme <strong>le</strong><br />

montre Hirsh<strong>le</strong>ifer, à la fois la conformité et la fragilité des comportements humains 20 . Ce<br />

phénomène a été assez largement étudié sous <strong>le</strong> nom de « cascade informationnel<strong>le</strong> » 21 . Nous<br />

<strong>le</strong> verrons plus en détail par la suite.<br />

Le rô<strong>le</strong> de l’émotion <strong>dans</strong> <strong>le</strong> comportement des individus et des groupes <strong>face</strong> à l’aléa est<br />

éga<strong>le</strong>ment prégnant. Il est certes diffici<strong>le</strong> d’établir une frontière entre cognition et émotion. Si<br />

après Descartes, il était logique de penser l’âme et la raison en conflit permanent, <strong>le</strong>s trav<strong>au</strong>x<br />

des neurobiologistes ont permis de montrer que l’émotion jouait un rô<strong>le</strong> majeur <strong>dans</strong> la prise<br />

de décision rationnel<strong>le</strong> 22 . Plus, il a été montré que des personnes souffrant de lésions affectant<br />

<strong>le</strong>s zones cérébra<strong>le</strong>s liées à l’émotion avaient des problèmes <strong>dans</strong> la prise de décision<br />

rationnel<strong>le</strong> 23 . Par ail<strong>le</strong>urs, l’émotion – <strong>face</strong> <strong>au</strong> feu, par exemp<strong>le</strong>, ou <strong>au</strong> bruit – peut constituer<br />

un signal permettant de se mettre à l’abri du danger. Fina<strong>le</strong>ment, si nous ne savons pas<br />

parfaitement comment se combinent <strong>le</strong>s fonctions cognitives et affectives <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cerve<strong>au</strong>, il<br />

est à présent bien connu que l’émotion est déterminante <strong>dans</strong> l’évaluation d’un <strong>risque</strong>.<br />

Ce trait est encore amplifié en fonction de l’environnement social : ainsi, on assiste bien<br />

souvent alors à une peur col<strong>le</strong>ctive focalisée sur certains <strong>risque</strong>s. Prenons l’exemp<strong>le</strong> du <strong>risque</strong><br />

de mortalité : <strong>le</strong> décès brutal est toujours considéré avec plus de peur par rapport <strong>au</strong>x morts<br />

naturel<strong>le</strong>s, pour la raison évidente que <strong>le</strong> premier frappe l’imagination et suscite une vague<br />

d’émotion. Le terme « d’affect » est <strong>au</strong>ssi fréquemment utilisé pour décrire ce phénomène. Il<br />

18 Cf. Kahneman et Tversky (1974).<br />

19 Cf. Hakes et Viscusi (1997).<br />

20 Cf. Hirsh<strong>le</strong>ifer (1995).<br />

21 Voir, à ce propos, <strong>le</strong>s artic<strong>le</strong>s fondateurs de Banerjee (1992) ou Bickchandani, Hirsh<strong>le</strong>ifer et Welch (1992).<br />

22 Voir notamment Changeux (1983, 2002).<br />

23 Voir notamment Damasio (2001, 2003).<br />

6


traduit l'interaction entre <strong>le</strong> système émotionnel et la représentation que nous nous faisons des<br />

<strong>risque</strong>s. Une série de trav<strong>au</strong>x menés par l'équipe de P<strong>au</strong>l Slovic montre que l'affect est un<br />

facteur essentiel <strong>dans</strong> l'évaluation des <strong>risque</strong>s et des bénéfices, donc un déterminant majeur<br />

des fonctions de valorisation et de pondération 24 . Nous <strong>le</strong> verrons, là encore, plus en détail par<br />

la suite. Les pistes théoriques permettant de surmonter <strong>le</strong>s difficultés à la fois théoriques et<br />

descriptives du critère de VNM sont nombreuses. Sur quel<strong>le</strong>s hypothèses reposent-el<strong>le</strong>s ?<br />

Quels en sont <strong>le</strong>s <strong>apports</strong> théoriques et pratiques ?<br />

2 - Comment appréhender l’évaluation du <strong>risque</strong> par <strong>le</strong>s agents ?<br />

L’approche expérimenta<strong>le</strong> est souvent fondatrice pour véritab<strong>le</strong>ment cerner <strong>le</strong> comportement<br />

des agents <strong>face</strong> <strong>au</strong> <strong>risque</strong>. En effet, si la recherche sur <strong>le</strong> <strong>risque</strong> a longtemps consisté à partir<br />

d’axiomes et d’hypothèses pour fonder une théorie empiriquement plus ou moins vérifiab<strong>le</strong>,<br />

tel n’est généra<strong>le</strong>ment plus <strong>le</strong> cas. En particulier, <strong>le</strong>s trav<strong>au</strong>x de Kahneman et Tversky, sur<br />

<strong>le</strong>squels nous nous appuyons, partent d’observations expérimenta<strong>le</strong>s pour al<strong>le</strong>r vers la théorie.<br />

L’expérience est donc bien souvent première en ce domaine. El<strong>le</strong> peut répondre à trois types<br />

de motivations :<br />

- Trouver des expériences remettant en c<strong>au</strong>se des modè<strong>le</strong>s admis jusque là. Cette motivation<br />

a notamment été essentiel<strong>le</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s années qui suivirent l’élaboration du modè<strong>le</strong> EU.<br />

- Construire des modè<strong>le</strong>s alternatifs à partir d’observations empiriques<br />

- Mener une observation systématique sans prétendre à formu<strong>le</strong>r des modè<strong>le</strong>s théoriques,<br />

mais en trouvant une structure commune <strong>au</strong>x différents types de comportements.<br />

Cette troisième voie fut, par exemp<strong>le</strong>, cel<strong>le</strong> suivie par Machina pour déterminer la structure de<br />

<strong>risque</strong> à laquel<strong>le</strong> font <strong>face</strong> <strong>le</strong>s agents <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s différentes situations rencontrées. 25 . De tels<br />

trav<strong>au</strong>x s’inscrivent <strong>dans</strong> la lignée de l’éco<strong>le</strong> comportementa<strong>le</strong>, qui ne se place plus <strong>dans</strong> <strong>le</strong><br />

cadre d’une étude formel<strong>le</strong>, mais cherche une détermination de fonctions cognitives in situ 26 .<br />

Si nous poussons plus loin notre interrogation théorique, afin de voir quels sont <strong>au</strong>jourd’hui<br />

<strong>le</strong>s modè<strong>le</strong>s à même de constituer des alternatives <strong>au</strong> critère de l’espérance d’utilité, nous<br />

pouvons distinguer ceux qui reposent ou non sur la connaissance des probabilités<br />

d’occurrence.<br />

Le modè<strong>le</strong> dit « multi-prior » fait à la fois l’économie de l’axiome d’indépendance et des<br />

probabilités subjectives pour modéliser <strong>le</strong> comportement de l’individu <strong>face</strong> à l’aléa 27 . Les<br />

<strong>au</strong>teurs se placent <strong>dans</strong> <strong>le</strong> contexte d’un ensemb<strong>le</strong> de conséquences à support fini et cherchent<br />

à formu<strong>le</strong>r une évaluation en univers incertain. Sous l’Axiome d’indépendance certaine et<br />

l’Axiome d’aversion pour l’incertitude que nous n’expliciterons pas ici 28 (plus la condition de<br />

préordre total, de continuité et de monotonie), nous savons qu’il existe un ensemb<strong>le</strong> de<br />

mesure de probabilité Ρ fermé et convexe, ainsi qu’une fonction d’utilité u tels que :<br />

24 Cf. Slovic, Flynn et Layman (1991).<br />

25 Cf. Machina (1982).<br />

26 Voir notamment Edwards (1954, 1961), puis Newman 1982.<br />

27 Cf. Gilboa et Schmeid<strong>le</strong>r (1989).<br />

28 Pour une présentation détaillée, voir notamment Cohen et Tallon (2000).<br />

7


∫ ∫ , la fonction u étant unique à une transformation<br />

P ≥ ΛQ<br />

⇔ min u( P) dp ≥ min u( Q) dp<br />

affine près.<br />

p∈Ρ p∈Ρ<br />

Cela signifie que l’agent compare deux situations d’incertitude en se fondant sur l’alternative<br />

la plus pessimiste. Si l’agent a un ensemb<strong>le</strong> de croyances à priori (d’où <strong>le</strong> terme « multiprior<br />

»), il calcu<strong>le</strong> l’espérance d’utilité pour toutes <strong>le</strong>s probabilités possib<strong>le</strong>s et choisit <strong>le</strong><br />

résultat minimum. Nous avons bien là l’illustration d’une grande aversion à l’incertitude : s’il<br />

doit agir <strong>face</strong> à un <strong>risque</strong>, <strong>le</strong> décideur choisira l’action qui minimise <strong>le</strong>s catastrophes.<br />

D’<strong>au</strong>tres approches ont été présentées pour <strong>le</strong>s cas où l’agent connaît l’interval<strong>le</strong> formé par<br />

deux va<strong>le</strong>urs p ' et p '',<br />

à l’intérieur duquel se trouve la probabilité véritab<strong>le</strong> p (on par<strong>le</strong> de<br />

probabilités imprécises). Sous l’hypothèse de quelques axiomes portant sur la distribution des<br />

probabilités, <strong>le</strong>s deux probabilités extrêmes sont agrégées en se fondant sur l’indice de<br />

pessimisme – optimisme de Arrow et Hurwicz reflétant l’attitude <strong>individuel</strong><strong>le</strong> vis-à-vis de<br />

l’ambiguïté, ce qui permet de formu<strong>le</strong>r un critère d’évaluation 29 . Il est alors possib<strong>le</strong> de<br />

rendre compte des préférences des agents par un modè<strong>le</strong> qui s’apparente à celui de VNM. Il<br />

est donc très important de pourvoir cerner <strong>le</strong> comportement des agents <strong>face</strong> <strong>au</strong> <strong>risque</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s<br />

cas pour <strong>le</strong>squels <strong>le</strong>s probabilités ne sont pas connues parfaitement, comme nous <strong>le</strong> verrons<br />

plus précisément plus bas. Attachons-nous, <strong>dans</strong> un premier temps, <strong>au</strong> cas où ces probabilités<br />

sont connues. Nous privilégierons alors <strong>le</strong> cadre de travail de la Prospect Theory, initiée par<br />

Kahneman et Tversky, qui constitue un pas important <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s tentatives de compréhension du<br />

comportement des agents <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>risque</strong>.<br />

2.1 - Le tournant de la Prospect Theory et ses évolutions<br />

La Prospect Theory constitue un tournant, et ce pour plusieurs raisons 30 . Par son apport<br />

théorique, d’abord. Aussi, parce qu’el<strong>le</strong> résulte d’un changement de paradigme déterminant<br />

<strong>dans</strong> l’approche du <strong>risque</strong>. Au lieu de partir d’une logique axiomatique fondant des théorèmes<br />

qu’il s’agirait de vérifier empiriquement par la suite, <strong>le</strong> cheminement se fait de l’observation<br />

vers <strong>le</strong>s lois de comportements. El<strong>le</strong> consiste en une doub<strong>le</strong> transformation : des probabilités<br />

d’occurrence des différents événements, d’abord ; des conséquences vécues, qu’il s’agisse des<br />

pertes ou des gains, d’<strong>au</strong>tre part. Ces conséquences sont déterminées à partir d’un point de<br />

référence correspondant à la situation initia<strong>le</strong>. Les trois éléments clés sont alors <strong>le</strong>s suivants :<br />

- Des conséquences définies par déviation par rapport à la situation initia<strong>le</strong><br />

- Une fonction de va<strong>le</strong>ur concave pour <strong>le</strong>s gains et convexe pour <strong>le</strong>s pertes, dont la pente est<br />

plus grande pour <strong>le</strong>s pertes que pour <strong>le</strong>s gains<br />

- Une transformation non linéaire de l’échel<strong>le</strong> de probabilité, qui surévalue <strong>le</strong>s événements<br />

faib<strong>le</strong>ment probab<strong>le</strong>s et sous évalue <strong>le</strong>s événements plus probab<strong>le</strong>s<br />

Kahneman et Tversky modifient l’approche de VNM vue plus h<strong>au</strong>t, en substituant à la<br />

fonction d'utilité classique une fonction de valorisation des pertes ou des gains notée v, et une<br />

fonction de transformation des probabilités <strong>au</strong>x probabilités objectives notée π 31 . Dans <strong>le</strong><br />

cadre de cette approche, nous obtenons la représentation suivante :<br />

29 Cf. Jaffray (1989).<br />

30 Cf. Kahneman et Tversky (1979).<br />

31 L’introduction d’une fonction de transformation des probabilités doit éga<strong>le</strong>ment <strong>au</strong>x trav<strong>au</strong>x d’Edwards<br />

(1962).<br />

8


n<br />

( ) π ( i) . ( i)<br />

V P = ∑ p v x<br />

i=<br />

1<br />

π(.) n’est pas une mesure de probabilité, mais une fonction continue, croissante et<br />

0 0 π 1 = 1.<br />

Expérimenta<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s <strong>au</strong>teurs<br />

généra<strong>le</strong>ment non linéaire vérifiant : π ( ) = et ( )<br />

montrent que cette fonction est sous additive – c'est-à-dire vérifiant π ( p) + π ( 1− p)<br />

< 1 - et<br />

qu’el<strong>le</strong> conduit à surévaluer <strong>le</strong>s petites probabilités - π ( p) > p . La fonction v correspond à<br />

une valorisation des conséquences de la part de l’agent. El<strong>le</strong> est concave <strong>dans</strong> la région des<br />

gains et convexe <strong>dans</strong> la région des pertes 32 , ce qui suppose <strong>au</strong>paravant la définition d’un<br />

point de référence à partir duquel on peut quantifier <strong>le</strong>s déviations. Ce point de référence<br />

correspond à la situation initia<strong>le</strong>, avant que l’agent ne soit soumis <strong>au</strong> <strong>risque</strong> et vérifie :<br />

v 0 = 0.<br />

Par ail<strong>le</strong>urs, la fonction v n'est pas symétrique, avec une pente plus prononcée <strong>dans</strong><br />

( )<br />

<strong>le</strong>s pertes que <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s gains.<br />

La formalisation mise en place par Kahneman et Tversky constitue un cadre de travail<br />

permettant d’appréhender <strong>le</strong>s comportements humains <strong>face</strong> <strong>au</strong> <strong>risque</strong> en <strong>le</strong>s considérant non<br />

pas comme des biais, ni comme des « curiosités », mais comme des éléments constitutifs du<br />

processus <strong>individuel</strong> d’appréciation de l’aléa. Cette théorie présente d’abord l’avantage de<br />

conserver l’esprit du paradigme de l’espérance d’utilité, tout en relâchant une contrainte<br />

forte : l’attitude des individus n’est plus capturée par une seu<strong>le</strong> fonction, mais par <strong>le</strong>s deux<br />

fonctions v et π ce qui <strong>au</strong>torise une richesse des analyses impossib<strong>le</strong> jusque là. La<br />

contrepartie de cette richesse est évidente : plus d’éléments doivent être connus si l’on veut<br />

mettre en pratique ce type de théorie. Du point de vue empirique, plusieurs comportements<br />

trouvent désormais une explication sans être taxés d’irrationalité : par exemp<strong>le</strong>, nous savons<br />

que <strong>le</strong>s agents ont souvent une propension à surestimer <strong>le</strong>s faib<strong>le</strong>s probabilités, ce qui conduit<br />

à la fois à une attraction pour l’assurance (<strong>le</strong> pire n’est jamais impossib<strong>le</strong>) et à un goût pour <strong>le</strong><br />

jeu (il est possib<strong>le</strong> de gagner) 33 . Ces trav<strong>au</strong>x bénéficièrent <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s dernières décennies de<br />

nouve<strong>au</strong>x <strong>apports</strong> importants. D’abord, avec <strong>le</strong>s modè<strong>le</strong>s dits « non additifs » 34 , qui mirent en<br />

évidence certaines difficultés propres à cette théorie 35 , puis, par la prise en compte de cette<br />

nouvel<strong>le</strong> compréhension par <strong>le</strong>s <strong>au</strong>teurs de la Prospect Theory eux-mêmes 36 .<br />

Alors que l’une des faib<strong>le</strong>sses principa<strong>le</strong>s du modè<strong>le</strong> EU résidait <strong>dans</strong> l’axiome<br />

d’indépendance dont la vérification était très hypothétique, <strong>le</strong>s modè<strong>le</strong>s d’utilité dépendants<br />

du rang (RDU) sont généra<strong>le</strong>ment fondés sur l’axiome de la chose sûre comonotone <strong>dans</strong> <strong>le</strong><br />

<strong>risque</strong>. Sous cet axiome et quelques <strong>au</strong>tres que nous ne développerons pas ici, mais largement<br />

communs avec ceux appuyant <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> de VNM, il est possib<strong>le</strong> d’appréhender <strong>le</strong><br />

comportement de l’agent <strong>face</strong> <strong>au</strong> <strong>risque</strong> à travers deux fonctions continues et croissantes. La<br />

première, u est une fonction d’utilité de type classique. La seconde, w s’apparente <strong>au</strong>x<br />

32 Les <strong>au</strong>teurs nomment cette particularité, « effet de réf<strong>le</strong>xion ».<br />

33 Voir éga<strong>le</strong>ment Slovic et al. (1977).<br />

34 La première version de ces modè<strong>le</strong>s a été développées par Quiggin (1982). Yaari (1987), Segal (1987) ainsi<br />

que Chate<strong>au</strong>neuf et Wakker (1999) en ont proposé des variantes ou des généralisations. Dans <strong>le</strong> contexte des<br />

inégalités de revenus, pour l’étude desquel<strong>le</strong>s <strong>le</strong> corpus théorique est connexe à celui du <strong>risque</strong>, on peut noter<br />

l’axiomatique présentée par Weymark (1981).<br />

35 En particulier la possibilité du viol du principe de dominance stochastique du premier ordre, pourtant<br />

considéré comme un fondement essentiel de la rationalité. Pour cet aspect, voir notamment Cohen et Tallon<br />

(2000).<br />

36 Cf. Kahneman et Tversky (1992).<br />

9


fonctions π déjà vues, mais s’appliquant <strong>au</strong>x probabilités cumulées et non <strong>au</strong>x probabilités<br />

prises ponctuel<strong>le</strong>ment.<br />

El<strong>le</strong> est définie et prend ses va<strong>le</strong>urs sur [ 0,1 ] . Par ail<strong>le</strong>urs, w ( 0) = 0 et ( )<br />

10<br />

w 1 = 1.<br />

La<br />

modélisation repose, <strong>dans</strong> une première étape, sur un classement des alternatives selon <strong>le</strong>s<br />

conséquences et de manière croissante, de l’indice 1 à l’indice n. Il est alors possib<strong>le</strong> de<br />

définir une fonctionnel<strong>le</strong> V rendant compte de l’évaluation du <strong>risque</strong> par <strong>le</strong>s agents, sous la<br />

forme :<br />

n−1 ⎡ n n ⎤<br />

V P ∑ ⎢w ∑ p w ∑ p ⎥ u x w p u x<br />

i= 1 ⎣ j= i j= i+<br />

1 ⎦<br />

( ) = ( j) − ( j) . ( i) + ( n) . ( n)<br />

Capitalisant sur ces trav<strong>au</strong>x, des modè<strong>le</strong>s « non additifs » ont été formulés en univers<br />

incertain, se fondant sur des axiomes analogues, en définissant notamment la notion de<br />

capacité sur des ensemb<strong>le</strong>s non probabilisés (univers incertain). On par<strong>le</strong> souvent de ces<br />

modè<strong>le</strong>s sous <strong>le</strong> nom d’utilité « à la Choquet ». Nous ne rentrerons pas <strong>dans</strong> <strong>le</strong> détail de ces<br />

représentations dont l’esprit est très proche du modè<strong>le</strong> de Quiggin (1982), <strong>le</strong>s capacités jouant<br />

un rô<strong>le</strong> analogue à celui de la fonction de transformation des probabilités cumulées. Dans une<br />

version ultérieure de la Prospect Theory, Kahneman et Tversky ont incorporé cette vision<br />

cumulative des probabilités tout en gardant <strong>le</strong>s éléments clés de <strong>le</strong>ur artic<strong>le</strong> précédent<br />

(comportement différencié <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s pertes et <strong>le</strong>s gains, avec notamment une aversion <strong>au</strong>x<br />

pertes, fonctions de transformation des conséquences et des probabilités) 37 . Par ail<strong>le</strong>urs, ils ont<br />

établi expérimenta<strong>le</strong>ment une typologie des fonctions de transformation des probabilités et<br />

des conséquences. Ils formu<strong>le</strong>nt ainsi un cadre de travail unifié permettant de traiter <strong>le</strong>s<br />

univers risqué comme incertain.<br />

La particularité essentiel<strong>le</strong> de cette approche par rapport <strong>au</strong>x modè<strong>le</strong>s classiques « non<br />

additifs » consiste en une distinction des conséquences positives et négatives, par un<br />

classement du rang de –m <strong>au</strong> rang n. La va<strong>le</strong>ur que l’on cherche à évaluer est alors scindée en<br />

deux parties :<br />

+ −<br />

V ( P) = V ( P ) + V ( P ) , P + et P − correspondant <strong>au</strong>x lois de probabilités portant sur <strong>le</strong>s<br />

conséquences respectivement positives et négatives. On peut alors écrire :<br />

n<br />

V ( P ) i . v( xi)<br />

+<br />

= ∑ et<br />

i=<br />

0<br />

0<br />

π +<br />

V ( P ) π i . v( xi)<br />

−<br />

−<br />

= ∑<br />

i=− m<br />

En définissant <strong>le</strong>s fonctions de pondération de la manière suivante :<br />

π<br />

− −<br />

= w ( p ) ; π − m = w ( p − m)<br />

+ +<br />

n n<br />

n n<br />

+ + +<br />

i j j<br />

∑ ∑ pour i ∈[ 0,..., n − 1]<br />

π = w ( p ) − w ( p )<br />

j= i j= i+<br />

1<br />

37 Cf. Kahneman et Tversky (1992). Pour une axiomatique détaillée de cette représentation, voir Wakker et<br />

Tversky (1993).


i i−1<br />

− −<br />

i j j<br />

π −<br />

∑ ∑ pour i [ 1 m,...,0]<br />

= w ( p ) − w ( p )<br />

j=− m j=− m<br />

∈ − .<br />

Les deux fonctions w + et w − sont strictement croissantes de l’interval<strong>le</strong> unitaire vers lui-<br />

+ −<br />

+ −<br />

même, avec : w ( 0) = w ( 0) = 0 et w ( ) w ( )<br />

1 = 1 = 1.<br />

Si l’on veut cerner de manière<br />

empirique l’évaluation du <strong>risque</strong> par <strong>le</strong>s agents, il est alors nécessaire de spécifier ces deux<br />

fonctions ainsi que la fonction de la valorisation des conséquences v. Kahneman et Tversky<br />

proposent <strong>le</strong>s formulations suivantes pour ces deux types de fonctions :<br />

( )<br />

v x<br />

α ⎧⎪ x , x ≥ 0 ⎫⎪<br />

= ⎨ β ⎬<br />

⎪⎩ −λ. ( −x) , x ≤ 0⎪⎭<br />

( )<br />

+<br />

w p<br />

( )<br />

−<br />

w p<br />

=<br />

=<br />

p<br />

( ( ) ) 1<br />

γ γ γ<br />

p + 1−<br />

p<br />

p<br />

( ( ) ) 1<br />

δ<br />

p + 1−<br />

p<br />

γ<br />

δ<br />

δ δ<br />

Par ail<strong>le</strong>urs, des estimations moyennes sont avancées 38 :<br />

α = β = 0.88<br />

λ = 2.25<br />

γ = 0.61<br />

δ = 0.69<br />

Les va<strong>le</strong>urs trouvées confirment <strong>le</strong>s traits essentiels observés qualitativement : une attitude<br />

différenciée <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s pertes et <strong>le</strong>s gains, avec notamment une aversion <strong>au</strong>x pertes ( λ > 1),<br />

une<br />

sensibilité <strong>au</strong>x conséquences décroissante avec <strong>le</strong>urs va<strong>le</strong>urs absolues ( α = β < 1).<br />

Enfin, et<br />

c’est essentiel, une amplification des petites probabilités ( γ < 1 et δ < 1).<br />

Même si <strong>le</strong>s<br />

paramètres ainsi évalués dépendent de chacun des agents et de <strong>le</strong>ur insertion <strong>dans</strong> des rése<strong>au</strong>x<br />

soci<strong>au</strong>x (nous <strong>le</strong> verrons en détail <strong>dans</strong> la section suivante), ils confirment néanmoins des<br />

traits stab<strong>le</strong>s du comportement humain 39 .<br />

38 Les quelques études empiriques effectuées jusqu’à présent sur <strong>le</strong>s fonctions de transformation des probabilités<br />

donnent sensib<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s mêmes va<strong>le</strong>urs pour <strong>le</strong> paramètre γ . Voir notamment Camerer et Ho (1991).<br />

39 Il a cependant été montré, pour des événements rares, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cas de décisions fondées sur l’expérience – et<br />

non la description du <strong>risque</strong> et des probabilités – que <strong>le</strong>s agents peuvent se comporter comme s’ils sous<br />

estimaient <strong>le</strong>s petites probabilités. Voir notamment Hertwig et al. (2004). Nous ne nous placerons pas <strong>dans</strong> <strong>le</strong><br />

cadre de cette hypothèse, en considérant plutôt que <strong>le</strong>s agents formu<strong>le</strong>nt des croyances en se fondant sur la<br />

description , qu’il s’agisse de <strong>le</strong>ur propre signal ou des croyances de <strong>le</strong>ur entourage.<br />

11


Nous souhaitons nous attacher ici <strong>au</strong> cas d’un aléa négatif, pouvant survenir avec une<br />

probabilité p. Dès lors, l’un des <strong>apports</strong> fondament<strong>au</strong>x des trav<strong>au</strong>x précédents, réside <strong>dans</strong> la<br />

déformation des petites probabilités, sous la forme suivante, pour une probabilité p connue :<br />

( )<br />

−<br />

w p<br />

=<br />

p<br />

δ<br />

( ( ) ) 1<br />

δ<br />

p + 1−<br />

p<br />

δ δ<br />

Plus <strong>le</strong> paramètre noté δ est faib<strong>le</strong>, plus <strong>le</strong>s probabilités données <strong>au</strong>x agents seront amplifiées<br />

<strong>dans</strong> <strong>le</strong>ur évaluation subjective. Par ail<strong>le</strong>urs, nous savons, comme <strong>le</strong> soulignent <strong>le</strong>s <strong>au</strong>teurs,<br />

que « <strong>le</strong>s fonctions de pondération en univers incertain et en univers risqué diffèrent de<br />

manière importante » 40 . Ces éléments peuvent conduire à des fonctions de pondération<br />

be<strong>au</strong>coup plus grandes – ou, <strong>au</strong> contraire, plus faib<strong>le</strong>s - qu’en univers risqué. Ce trait peut être<br />

représenté par un paramètre δ plus faib<strong>le</strong> que <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s cas où la probabilité est connue.<br />

Voyons plus précisément quels peuvent être <strong>le</strong>s modes de comportement lorsqu’il existe une<br />

imprécision sur <strong>le</strong>s probabilités d’occurrence du <strong>risque</strong> étudié.<br />

3 - Des croyances hétérogènes en univers incertain<br />

Pourquoi certains <strong>risque</strong>s sont-ils systématiquement surévalués et d’<strong>au</strong>tres sous-évalués ? En<br />

présence d’imperfection informationnel<strong>le</strong>, il nous f<strong>au</strong>t d’abord envisager une hétérogénéité<br />

des croyances sur <strong>le</strong>s probabilités, qui apparaît à la fois fondamenta<strong>le</strong> et diffici<strong>le</strong> à cerner 41 .<br />

Cette hétérogénéité des croyances peut se dissiper par <strong>le</strong> partage des informations entre <strong>le</strong>s<br />

agents, conduisant parfois à une estimation largement homogène et biaisée du <strong>risque</strong>.<br />

Pour <strong>le</strong> voir plus précisément, supposons que la probabilité puisse prendre deux va<strong>le</strong>urs, l’une<br />

faib<strong>le</strong> - p ' - et l’<strong>au</strong>tre é<strong>le</strong>vée - p ''.<br />

Pour un même <strong>risque</strong> et une même probabilité<br />

d’occurrence, <strong>le</strong>s croyances peuvent alors être différentes dès lors qu’il existe une imprécision<br />

sur la véritab<strong>le</strong> probabilité d’occurrence. Nous supposerons <strong>dans</strong> ce qui suit que la véritab<strong>le</strong><br />

probabilité est en fait éga<strong>le</strong> à p ' . Chaque individu formu<strong>le</strong> donc une croyance sur la<br />

probabilité - p ' ou p '' - et adopte un comportement rationnel à partir de cette croyance.<br />

Ainsi, une partie de la population évaluera correctement la probabilité, alors qu’une <strong>au</strong>tre<br />

partie surestimera <strong>le</strong> <strong>risque</strong>, ce qui peut être appréhendé à travers un paramètre δ faib<strong>le</strong>. Le<br />

cas inverse, conduisant à une sous estimation des <strong>risque</strong>s, est symétrique et notre modélisation<br />

ne réduit donc pas la généralité de la question.<br />

Ces éléments semb<strong>le</strong>nt relativement intuitifs : comme <strong>le</strong> rappel<strong>le</strong>nt Kahneman et Tversky,<br />

l’évaluation du <strong>risque</strong> par <strong>le</strong>s agents est un processus contingent 42 . Les heuristiques qu’ils<br />

mettent en évidence sont commodes, mais provoquent des biais <strong>dans</strong> l’estimation 43 . Ces biais<br />

ne sont pas lét<strong>au</strong>x pour <strong>au</strong>tant : <strong>le</strong>s individus peuvent fort bien réussir sans acquérir d’habi<strong>le</strong>té<br />

particulière <strong>dans</strong> l’évaluation du <strong>risque</strong>. Il nous f<strong>au</strong>t donc comprendre comment l’agent forme<br />

la probabilité sur laquel<strong>le</strong> il fonde son évaluation <strong>dans</strong> un contexte d’imperfection<br />

informationnel<strong>le</strong> 44 . Cet élément, qui constitue un biais, limite la portée de cette évaluation<br />

40 Cf. Kahneman et Tversky (1992), p. 316.<br />

41 Cf. Arrow (2004).<br />

42 Cf. Kahneman et Tversky (1992).<br />

43 Cf. Kahneman et Tversky (1974).<br />

44 Voir éga<strong>le</strong>ment sur <strong>le</strong> sujet Hakes et Viscusi (1997).<br />

12


comme fondatrice d’une politique publique. Nous proposons, <strong>dans</strong> la section suivante, une<br />

vision origina<strong>le</strong> de modélisation des croyances qui s’appuie sur <strong>le</strong>s cascades<br />

informationnel<strong>le</strong>s, <strong>dans</strong> un contexte d’imperfection informationnel<strong>le</strong>. Une cascade<br />

informationnel<strong>le</strong> est un phénomène <strong>dans</strong> <strong>le</strong>quel <strong>le</strong>s individus en viennent à ignorer <strong>le</strong>ur propre<br />

signal en reproduisant <strong>le</strong> comportement, jugé plus informatif, de ceux qui <strong>le</strong>s entourent. Cet<br />

apport théorique n’a pas prétention à fournir une détermination quantitative « clé en main » du<br />

nive<strong>au</strong> de l’évaluation des <strong>risque</strong>s par <strong>le</strong>s agents mais, bien plutôt, à proposer un éclairage qui<br />

tienne compte des particularités d’un agent plongé <strong>dans</strong> son environnement social 45 .<br />

3.1 - Modè<strong>le</strong> explicatif de l’hétérogénéité des croyances<br />

Dans un cadre d’information imparfaite, nous considérons que <strong>le</strong>s agents formu<strong>le</strong>nt<br />

successivement des croyances sur la probabilité d’occurrence. En fonction de ces croyances,<br />

ils adoptent un comportement rationnel <strong>face</strong> <strong>au</strong> <strong>risque</strong>. Dès lors, <strong>le</strong>s agents suivants peuvent<br />

inférer – par l’observation de ce comportement – <strong>le</strong>s croyances formulées. Ainsi, chaque<br />

individu reçoit un signal partiel<strong>le</strong>ment informatif sur la probabilité et observe <strong>le</strong>s croyances de<br />

ceux qui <strong>le</strong> précèdent. Les individus peuvent alors ignorer <strong>le</strong>ur propre signal pour suivre <strong>le</strong>s<br />

croyances d’<strong>au</strong>trui. Ce comportement, qui est rationnel <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> <strong>individuel</strong>, conduit en fait à<br />

une destruction d’information 46 . Le cadre général sur <strong>le</strong>quel nous nous appuyons est en partie<br />

connu 47 , mais nous proposerons trois approches différentes qui constituent des extensions.<br />

Chacun des agents reçoit un signal, partiel<strong>le</strong>ment informatif, sur la probabilité d’occurrence p<br />

1<br />

du <strong>risque</strong> étudié. La probabilité que ce signal donne la bonne information est éga<strong>le</strong> à q ≥ .<br />

2<br />

1<br />

L’information est donc erronée avec la probabilité complémentaire1−<br />

q ≤ . Les agents<br />

2<br />

formu<strong>le</strong>nt successivement des croyances sur la probabilité d’occurrence, chacun observant <strong>le</strong>s<br />

comportements des individus placés avant lui <strong>dans</strong> <strong>le</strong> rése<strong>au</strong>, mais pas <strong>le</strong>urs sign<strong>au</strong>x. C’est<br />

ainsi que peuvent apparaître des comportements moutonniers : il suffit que <strong>le</strong>s deux premiers<br />

adoptent un comportement reflétant la même croyance sur la probabilité pour que tous <strong>le</strong>s<br />

suivants l’adoptent éga<strong>le</strong>ment : on par<strong>le</strong> alors de cascade informationnel<strong>le</strong>. Examinons, après<br />

n individus, <strong>le</strong>s probabilités qu’il n’y ait pas de cascade informationnel<strong>le</strong> ; qu’il y en ait une<br />

correcte ; qu’il y en ait une incorrecte.<br />

Dans ce modè<strong>le</strong> simplifié, il n’y a possibilité de cascade nouvel<strong>le</strong> qu’après un nombre pair de<br />

protagonistes. Chaque agent inférant <strong>le</strong>s croyances de tous ceux qui précèdent, il ne décidera<br />

d’ignorer son signal que s’il constate qu’avant lui, <strong>le</strong> nombre d’agents ayant formulé une<br />

croyance dépasse <strong>au</strong> moins de deux celui des agents ayant formulé l’<strong>au</strong>tre croyance. Si <strong>le</strong><br />

nombre de prédécesseurs est impair, cette différence ne peut être paire. Si el<strong>le</strong> est éga<strong>le</strong> à 1, il<br />

n’y a pas encore de cascade informationnel<strong>le</strong> : l’agent écoutera son signal. Si el<strong>le</strong> est<br />

45 Le rô<strong>le</strong> de l’environnement social <strong>dans</strong> l’évaluation du <strong>risque</strong> en présence d’imperfection informationnel<strong>le</strong> a<br />

été fort peu traité. Kuran et Sunstein (1999) mettent l’accent sur l’heuristique de disponibilité déjà formulée par<br />

Kahneman et Tversky (1974) : un <strong>risque</strong> est plus présent à l’esprit et, par là même, considéré comme plus<br />

pl<strong>au</strong>sib<strong>le</strong> s’il est fréquemment abordé <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s discussions. Cet effet d’amplification socia<strong>le</strong> présente éga<strong>le</strong>ment<br />

une parenté avec <strong>le</strong>s trav<strong>au</strong>x de Moscovici et Zavalloni (1969) sur la « polarisation des groupes » : ils montrent<br />

que <strong>le</strong> processus de délibération socia<strong>le</strong> peut conduire <strong>le</strong>s individus à radicaliser <strong>le</strong>ur vision.<br />

46 Voir, notamment, Bickchandani, Hirsh<strong>le</strong>ifer et Welch (1992) ; Banerjee (1992) ; Bernheim (1994).<br />

47 Ce cadre est inspiré du modè<strong>le</strong> de Bickchandani, Hirsh<strong>le</strong>ifer et Welch (1992), mais n’a jamais été mobilisé<br />

<strong>dans</strong> <strong>le</strong> cadre de l’Economie du <strong>risque</strong>.<br />

13


supérieure ou éga<strong>le</strong> à 3, la cascade n’est pas « nouvel<strong>le</strong> », l’agent précédant ayant déjà ignoré<br />

son propre signal. Pour qu’il n’y ait pas de cascade, il f<strong>au</strong>t que <strong>le</strong> signal reçu par un agent soit<br />

contraire à celui reçu par l’agent qui <strong>le</strong> précède. Cela arrive, pour deux agents, avec une<br />

probabilité<br />

2.<br />

q. ( 1−<br />

q)<br />

. Pour qu’il n’y ait pas de cascade après n agents, il f<strong>au</strong>t que ce schéma<br />

se reproduise n 2 fois. La probabilité qu’il n’y ait pas de cascade après n agents (NC) est<br />

donc :<br />

n<br />

( 2.<br />

q.<br />

( 1 ) )2<br />

P −<br />

nc = q<br />

On calcu<strong>le</strong> éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s probabilités que <strong>le</strong>s cascades soient informatrices ou non sur la<br />

véritab<strong>le</strong> probabilité d’occurrence du <strong>risque</strong>. La probabilité d’avoir une cascade correcte (CC)<br />

est obtenue en faisant la somme des probabilités qu’el<strong>le</strong> apparaisse après chacun des agents, et<br />

ce jusqu’à l’agent n. On peut l’écrire :<br />

P<br />

P<br />

P<br />

bc<br />

= q<br />

2<br />

+<br />

n ⎛ −1<br />

⎜ 2<br />

2<br />

= q . ⎜∑<br />

⎜ k = 0<br />

⎝<br />

n<br />

2<br />

−1<br />

2<br />

( 2. q.<br />

( 1−<br />

q)<br />

) . q + ... + ( 2.<br />

q.<br />

( 1−<br />

q)<br />

) 2 . q<br />

⎞<br />

( ( ) ) ⎟<br />

⎟ ⎟ k<br />

2.<br />

q.<br />

1−<br />

bc q<br />

bc<br />

2 1−<br />

= q .<br />

1−<br />

n<br />

( 2.<br />

q.<br />

( 1−<br />

q)<br />

) 2<br />

( 2.<br />

q.<br />

( 1−<br />

q)<br />

)<br />

⎠ , ce qui donne fina<strong>le</strong>ment :<br />

( ( ) )<br />

2<br />

n<br />

2 ⎛<br />

⎞<br />

q . ⎜1−<br />

2.<br />

q.<br />

1−<br />

q 2 ⎟<br />

=<br />

⎝<br />

⎠<br />

q + 1−<br />

q<br />

( ) 2<br />

, soit encore :<br />

La probabilité d’avoir une cascade incorrecte (CI) est obtenue en faisant la somme des<br />

probabilités qu’el<strong>le</strong> apparaisse après chacun des agents, et ce jusqu’à l’agent n. On peut<br />

l’écrire :<br />

P<br />

mc<br />

=<br />

2<br />

⎛<br />

⎜<br />

⎝<br />

q +<br />

2 ( 1−<br />

q)<br />

. 1−<br />

( 2.<br />

q.<br />

( 1−<br />

q)<br />

)<br />

( ) 2<br />

1−<br />

q<br />

n<br />

2<br />

⎞<br />

⎟<br />

⎠<br />

Si l’on ne considère que <strong>le</strong> cas <strong>dans</strong> <strong>le</strong>quel <strong>le</strong> nombre d’agents <strong>dans</strong> <strong>le</strong> rése<strong>au</strong> est très grand,<br />

2. q. 1− q < 1.<br />

nous observons nécessairement une cascade lors du passage à la limite car ( )<br />

Cel<strong>le</strong>-ci est informative sur la véritab<strong>le</strong> probabilité d’occurrence avec une probabilité :<br />

fq<br />

=<br />

q<br />

2<br />

+<br />

q<br />

2<br />

( ) 2<br />

1− q<br />

El<strong>le</strong> est m<strong>au</strong>vaise avec la probabilité complémentaire :<br />

1−<br />

fq<br />

=<br />

q<br />

2<br />

( )<br />

( ) 2<br />

2<br />

1−<br />

q<br />

+ 1−<br />

q<br />

14


Avec cette dernière probabilité, <strong>le</strong>s agents surestimeront <strong>le</strong> <strong>risque</strong>, ce qui peut être caractérisé<br />

par un paramètre δ faib<strong>le</strong>. Si la population observée comporte un grand nombre d’individus<br />

et de rése<strong>au</strong>x soci<strong>au</strong>x, alors d’après la loi des grands nombres, une proportion f q de la<br />

population évalue correctement la probabilité d’occurrence p, alors qu’une proportion<br />

complémentaire 1− fq<br />

l’évaluera de façon biaisée sous une forme plus anxieuse que la réalité.<br />

Rappelons que ces biais col<strong>le</strong>ctifs ne sont pas dus à une inefficience <strong>individuel</strong><strong>le</strong>. Chaque<br />

agent s’est comporté de manière à optimiser l’information dont il dispose sur un <strong>risque</strong><br />

particulier. Néanmoins, il y a apparition d’une inefficience col<strong>le</strong>ctive, qui peut être encore<br />

amplifiée si <strong>le</strong> comportement <strong>individuel</strong> n’est pas fondé sur une rationalité pure. En effet,<br />

nous avons vu plus h<strong>au</strong>t que <strong>le</strong>s facteurs émotionnels étaient déterminants <strong>dans</strong> la manière<br />

dont <strong>le</strong>s agents appréhendent l’univers risqué ou incertain. Certains individus sont anxieux,<br />

d’<strong>au</strong>tres anorma<strong>le</strong>ment insouciants <strong>face</strong> à certains types de <strong>risque</strong>s. Or, ces agents ont <strong>le</strong> plus<br />

souvent tendance à se regrouper entre eux, ce qui accroît <strong>le</strong> biais de perception de façon<br />

systématique – c’est-à-dire non erratique. Dans <strong>le</strong> cas choisi, sans perte de généralité, nous<br />

avons la véritab<strong>le</strong> probabilité qui prend une va<strong>le</strong>ur faib<strong>le</strong> – p’. Dès lors, rése<strong>au</strong>x d’individus<br />

anxieux amplifient <strong>le</strong>ur propension à surestimer <strong>le</strong> <strong>risque</strong>. De même, des rése<strong>au</strong>x comportant<br />

des personnalités insouciantes ont largement tendance à sous estimer <strong>le</strong> <strong>risque</strong> lorsque la<br />

probabilité est h<strong>au</strong>te.<br />

3.2 - Ajout d’une destruction de l’information : l’homophilie <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s rése<strong>au</strong>x<br />

Nous savons que des rése<strong>au</strong>x soci<strong>au</strong>x se forment entre des partenaires qui ont souvent des<br />

caractéristiques proches. C’est pour partie en raison de cette particularité que se diffusent <strong>le</strong><br />

plus efficacement des idées, vraies ou f<strong>au</strong>sses. On par<strong>le</strong> alors d’homophilie <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s rése<strong>au</strong>x 48 .<br />

Ce trait observé est appelé homophilie. Dans notre cas, nous considérerons que des rése<strong>au</strong>x se<br />

forment entre des partenaires qui présentent la même manière d’appréhender un <strong>risque</strong> donné<br />

– de manière insouciante ou anxieuse. Il f<strong>au</strong>t préciser qu’il ne s’agit pas ici de confiance <strong>dans</strong><br />

l’information, mais bien d’une confiance vis-à-vis du <strong>risque</strong>, qui gouverne la manière dont se<br />

construisent <strong>le</strong>s cascades. Voyons alors <strong>le</strong>s biais que nous voulons évoquer ici.<br />

- Alors que l’acuité du signal est de q, pour un individu rationnel, <strong>le</strong>s anxieux perçoivent<br />

l’acuité d’un signal sur une probabilité h<strong>au</strong>te avec une acuité q+x ; d’un signal sur une<br />

probabilité basse avec une acuité q-x. Ainsi, ils donnent plus d’importance <strong>au</strong>x sign<strong>au</strong>x<br />

pessimistes.<br />

- Les insouciants perçoivent l’acuité d’un signal sur une probabilité h<strong>au</strong>te avec une acuité<br />

q-x ; d’un signal sur une probabilité basse avec une acuité q+x. Ainsi, ils donnent plus<br />

d’importance <strong>au</strong>x sign<strong>au</strong>x optimistes. On supposera x faib<strong>le</strong>. Le mécanisme de décompte<br />

des sign<strong>au</strong>x n’est donc pas modifié, mais il n’y a jamais d’indécision lorsque <strong>le</strong>s nombres<br />

de sign<strong>au</strong>x reçus <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s deux sens sont ég<strong>au</strong>x.<br />

A priori, quatre cas se présentent : une probabilité h<strong>au</strong>te et un rése<strong>au</strong> d’anxieux ; une<br />

probabilité h<strong>au</strong>te et un rése<strong>au</strong> d’insouciants ; une probabilité basse et un rése<strong>au</strong> d’anxieux ;<br />

une probabilité basse et un rése<strong>au</strong> d’insouciants. Les premier et quatrième cas sont en fait<br />

symétriques et nous avons pris l’exemp<strong>le</strong> d’une probabilité réel<strong>le</strong> basse. Nous pouvons donc<br />

calcu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s probabilités de cascades correctes et incorrectes pour des rése<strong>au</strong>x respectivement<br />

insouciants et anxieux. A ces deux types de rése<strong>au</strong>x correspondent donc deux probabilités<br />

f et f q2<br />

, d’obtenir des cascades correctes, <strong>le</strong>s probabilités complémentaires étant<br />

distinctes q1<br />

48 Voir notamment Sperber (1996) ou Mc Pherson, Smith-Lovin et Cook (2001).<br />

15


1- f q1<br />

et 1- f q2<br />

. Le premier cas est appelé « homophilies positives » <strong>dans</strong> la mesure où<br />

l’homophilie va <strong>dans</strong> <strong>le</strong> sens de la réalité ; <strong>dans</strong> <strong>le</strong> second cas, on par<strong>le</strong>ra « d’homophilies<br />

négatives », l’homophilie allant <strong>dans</strong> <strong>le</strong> sens contraire à la réalité.<br />

Pour <strong>le</strong>s rése<strong>au</strong>x d’insouciants, il f<strong>au</strong>t et il suffit, pour qu’il y ait cascade, qu’un signal<br />

réel<strong>le</strong>ment informatif soit reçu par <strong>le</strong> premier, troisième, etc…agent. Ainsi, la probabilité qu’il<br />

y ait une cascade correcte s’écrit :<br />

2<br />

k−1<br />

= q + ( 1−<br />

q)<br />

. q + ... + ( 1−<br />

q)<br />

k<br />

( = ) = ( = − )<br />

P 1<br />

.<br />

bc q<br />

P1bc n 2k P1bc n 2k 1<br />

On voit alors faci<strong>le</strong>ment que<br />

n→+∞<br />

P1bc ⎯⎯⎯⎯→ fq1<br />

, avec<br />

q<br />

f = ≥ f<br />

2 ( 1−<br />

q + q )<br />

q1 q<br />

probabilité d’abstention étant nul<strong>le</strong>) :<br />

( 1−<br />

q)<br />

2<br />

1− fq1 = ≤1 − fq<br />

2 ( 1−<br />

q + q )<br />

, et<br />

, et la probabilité complémentaire de cascade incorrecte, à la limite (la<br />

.<br />

Nous sommes ici <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cas où <strong>le</strong> biais de perception des agents du rése<strong>au</strong> va <strong>dans</strong> <strong>le</strong> sens<br />

d’une plus grande acuité du signal (la véritab<strong>le</strong> probabilité est basse et <strong>le</strong> rése<strong>au</strong>x est<br />

insouciant). On vérifie bien que la probabilité d’estimation correcte de la probabilité du <strong>risque</strong><br />

est plus é<strong>le</strong>vée que pour des agents rationnels.<br />

Pour <strong>le</strong>s rése<strong>au</strong>x d’anxieux, on trouve de la même manière, à la limite :<br />

2<br />

q<br />

f = ≤ f<br />

2 ( 1−<br />

q + q )<br />

q2 q<br />

1−<br />

q<br />

1− fq2 = ≥ 1−<br />

fq<br />

2 ( 1−<br />

q + q )<br />

, et la probabilité de cascade incorrecte complémentaire :<br />

Nous sommes ici <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cas où <strong>le</strong> biais de perception des agents du rése<strong>au</strong> va <strong>dans</strong> <strong>le</strong> sens<br />

d’une plus faib<strong>le</strong> acuité du signal (la véritab<strong>le</strong> probabilité est basse et <strong>le</strong> rése<strong>au</strong> est anxieux).<br />

On vérifie bien que la probabilité d’estimation correcte du profil évolutif du <strong>risque</strong> est plus<br />

faib<strong>le</strong> que pour des agents rationnels. Voyons comment ces probabilités évoluent en fonction<br />

du paramètre q.<br />

B(M)CSH : bonne (m<strong>au</strong>vaise) cascade sans homophilie. Il s’agit ici du cas <strong>dans</strong> <strong>le</strong>quel il n’y a<br />

pas de modification par rapport à l’acuité q du signal. On trace alors <strong>le</strong>s probabilités que la<br />

cascade informationnel<strong>le</strong> qui survient permette de connaître véritab<strong>le</strong>ment la probabilité<br />

d’occurrence du <strong>risque</strong>.<br />

16


B(M)CHP : bonne (m<strong>au</strong>vaise) cascade avec homophilie positive. Il s’agit du cas <strong>dans</strong> <strong>le</strong>quel il<br />

y a un regroupement d’individus insouciants (<strong>dans</strong> <strong>le</strong> cas d’une probabilité basse).<br />

B(M)CHN : bonne (m<strong>au</strong>vaise) cascade avec homophilie négative. Il s’agit du cas <strong>dans</strong> <strong>le</strong>quel<br />

il y a un regroupement d’individus anxieux (<strong>dans</strong> <strong>le</strong> cas d’une probabilité basse).<br />

1<br />

0,8<br />

0,6<br />

0,4<br />

0,2<br />

0<br />

Figure 5 : variations de fq, fq1 et fq2 pour différentes va<strong>le</strong>urs de q<br />

Figure 1 : Proportion de cascades correctes et incorrectes en présence d’homophilie<br />

En réalité, <strong>dans</strong> une société, <strong>le</strong>s proportions d’anxieux et d’insouciants sont diffici<strong>le</strong>s à<br />

connaître ; el<strong>le</strong>s gouvernent la part de la population qui surestime (ou sous estime) <strong>le</strong> <strong>risque</strong><br />

d’occurrence. Si l’on appel<strong>le</strong> β la proportion d’insouciants, et 1-β cel<strong>le</strong> d’anxieux, on peut<br />

écrire la part de la population estimant correctement la probabilité d’occurrence, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cas<br />

d’une probabilité d’occurrence réel<strong>le</strong> basse :<br />

( )<br />

Probabilités des cascades obtenues <strong>dans</strong> différents cas<br />

0,5 0,55 0,6 0,65 0,7 0,75 0,8 0,85 0,9 0,95 1<br />

( )<br />

β. q + 1 − β . q<br />

fq3 = β. fq1 + 1 − β . fq2<br />

=<br />

2 ( 1−<br />

q + q )<br />

Acuité du signal<br />

2<br />

Nous vérifions bien que l’on retrouve la probabilité initia<strong>le</strong> dès lors qu’il y a <strong>au</strong>tant<br />

d’insouciants que d’anxieux <strong>dans</strong> la population ( β = 1 ) : graphiquement, on peut alors<br />

2<br />

constater que chacune des courbes – cascade réel<strong>le</strong> ou erronée – sans homophilie est toujours<br />

située <strong>au</strong> milieu de deux courbes présentant des homophilies respectivement <strong>dans</strong> <strong>le</strong> sens<br />

d’une plus grande et d’une plus faib<strong>le</strong> acuité du signal reçu.<br />

Nous avons ainsi mis l’accent sur <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> des biais d’appréhension du <strong>risque</strong> propres <strong>au</strong>x<br />

individus. Ils ont trait non seu<strong>le</strong>ment à une inefficience col<strong>le</strong>ctive, mais <strong>au</strong>ssi à l’émotion<br />

<strong>individuel</strong><strong>le</strong>. Certains, appelés « anxieux » donnent plus de poids <strong>au</strong>x sign<strong>au</strong>x inquiétants ;<br />

d’<strong>au</strong>tres, appelés « insouciants », donnent plus de poids <strong>au</strong>x sign<strong>au</strong>x rassurants. Cela peut<br />

expliquer pourquoi des pans entiers de la population surestiment ou sous estiment certaines<br />

classes de <strong>risque</strong>s. Voyons à présent comment ces traits prégnants de polarisation peuvent être<br />

infléchis. Nous réfléchissons alors à deux types d’organisation fondées sur deux types<br />

17<br />

BCSH<br />

M CSH<br />

BCHP<br />

M CHP<br />

BCHN<br />

M CHN


d’individus particuliers et analysons <strong>dans</strong> quel<strong>le</strong> mesure ces individus peuvent fournir des<br />

informations profitab<strong>le</strong>s à la col<strong>le</strong>ctivité.<br />

Rappelons que nous avons examiné <strong>le</strong> cas <strong>dans</strong> <strong>le</strong>quel chaque individu appartient à un unique<br />

rése<strong>au</strong>, dont <strong>le</strong> comportement permet d’inférer <strong>le</strong>s croyances d’<strong>au</strong>trui à partir desquel<strong>le</strong>s il tire<br />

des informations. Cel<strong>le</strong>s-ci peuvent être vraies ou f<strong>au</strong>sses, mais conduisent nécessairement<br />

l’agent, lorsque <strong>le</strong> nombre d’agents devient très grand, à un comportement moutonnier <strong>dans</strong><br />

l’évaluation de la probabilité d’occurrence du <strong>risque</strong>. Néanmoins, il peut être réducteur de<br />

considérer que chaque individu n’appartient qu’à un unique rése<strong>au</strong>, dont il suivrait à la <strong>le</strong>ttre<br />

<strong>le</strong> comportement. Il importe, de notre point de vue, d’analyser <strong>le</strong> cas d’agents qui multiplient<br />

<strong>le</strong>s insertions <strong>dans</strong> des rése<strong>au</strong>x très différents et faib<strong>le</strong>ment interconnectés. Ils se comporteront<br />

alors comme des pivots qui, après avoir emmagasiné de l’information de sources diverses,<br />

peuvent la répercuter à la col<strong>le</strong>ctivité de manière profitab<strong>le</strong>.<br />

3.3 - Que se passe-t-il si un individu participe à plusieurs rése<strong>au</strong>x distincts ?<br />

Les agents qui participent à plusieurs rése<strong>au</strong>x distincts n’appréhendent pas <strong>le</strong> <strong>risque</strong> de la<br />

même manière que <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres. Par exemp<strong>le</strong>, il a été montré que <strong>le</strong> mode d’insertion des agents<br />

<strong>dans</strong> <strong>le</strong>s rése<strong>au</strong>x gouverne la perception du <strong>risque</strong> de criminalité. Les individus qui<br />

n’entretiennent des liens qu’avec un unique rése<strong>au</strong> fermé (qui comprend, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> même cerc<strong>le</strong>,<br />

<strong>le</strong>s amis, la famil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s collègues, <strong>le</strong>s loisirs…) ont une propension plus grande à surestimer<br />

ce <strong>risque</strong>. En revanche, l’ouverture des rése<strong>au</strong>x modifie la réaction par rapport <strong>au</strong> <strong>risque</strong> en<br />

acquérant plus d’information 49 . C’est ce phénomène, observé empiriquement, que l’on<br />

cherche ici à comprendre plus précisément.<br />

Considérons à présent qu’un même individu appartienne à plusieurs rése<strong>au</strong>x différents (n<br />

rése<strong>au</strong>x) : si nous admettons, là encore, que <strong>le</strong> nombre d’individus <strong>dans</strong> chaque rése<strong>au</strong> est très<br />

grand, il est possib<strong>le</strong> d’affirmer qu’une cascade informationnel<strong>le</strong> survient <strong>dans</strong> tous <strong>le</strong>s<br />

rése<strong>au</strong>x. Par suite, logiquement, l’agent <strong>au</strong>ra plus d’information en confrontant <strong>le</strong>s<br />

informations venant des différents rése<strong>au</strong>x <strong>au</strong>xquels il participe. S’il est rationnel, il formu<strong>le</strong>ra<br />

sa croyance en fonction de la majorité des cascades qu’il <strong>au</strong>ra observées et adoptera un<br />

comportement en accord avec cette croyance. S’il y a <strong>le</strong> même nombre de comportements des<br />

deux types, l’individu suit son signal. Nous sommes donc <strong>dans</strong> un cas où <strong>le</strong>s comportements<br />

peuvent être représentés à l’aide d’une loi binomia<strong>le</strong> de paramètres f q et n, si l’on considère<br />

qu’il n’y a pas de phénomène d’homophilie. Nous connaissons la probabilité que <strong>le</strong> nombre<br />

de cascades correctes soit égal à r. El<strong>le</strong> s’écrit :<br />

σ<br />

( r)<br />

n!<br />

= . f 1<br />

r!<br />

!<br />

( n − r)<br />

n−r<br />

( − q)<br />

r<br />

q f<br />

Nous en déduisons d’abord la probabilité pour qu’un individu suive son signal en ayant<br />

observé <strong>au</strong>tant cascades de chaque type :<br />

Si n est pair, el<strong>le</strong> v<strong>au</strong>t :<br />

49 Cf. Roché (1993).<br />

18


⎛ n ⎞<br />

σ ⎜ ⎟ =<br />

⎝ 2 ⎠<br />

n!<br />

. f<br />

n n<br />

! !<br />

2 2<br />

n<br />

n<br />

2<br />

q ( 1−<br />

fq)2<br />

Si n est impair, el<strong>le</strong> v<strong>au</strong>t 0.<br />

La probabilité que l’individu observant plusieurs cascades appréhende correctement la<br />

probabilité p d’occurrence du <strong>risque</strong> s’écrit alors :<br />

Si n est pair :<br />

g<br />

( q,<br />

n)<br />

=<br />

n<br />

∑<br />

n<br />

r=<br />

+ 1<br />

2<br />

r!<br />

Si n est impair :<br />

g<br />

( q,<br />

n)<br />

=<br />

n<br />

∑<br />

n+<br />

1<br />

r =<br />

2<br />

r!<br />

n!<br />

( n − r)<br />

n!<br />

( n − r)<br />

. f<br />

!<br />

. f<br />

!<br />

( 1−<br />

q)<br />

r<br />

q f<br />

( 1−<br />

q)<br />

r<br />

q f<br />

n−r<br />

n−r<br />

Là encore, il est possib<strong>le</strong> de déduire la probabilité que l’individu se trompe et considère que la<br />

probabilité d’occurrence du <strong>risque</strong> est supérieure (respectivement inférieure) par différence<br />

avec <strong>le</strong>s probabilités précédentes. Regardons alors comment se comporte la fonction g en<br />

fonction de l’acuité du signal et du nombre de rése<strong>au</strong>x fréquentés :<br />

Probabilité<br />

d’évaluer<br />

correctement la<br />

probabilité du<br />

<strong>risque</strong><br />

1<br />

0,8<br />

0,6<br />

0,4<br />

0,2<br />

0<br />

0,5 0,5<br />

5<br />

0,6 0,6<br />

5<br />

0,7 0,7<br />

5<br />

Acuité du signal<br />

0,8 0,8<br />

5<br />

0,9 0,9<br />

5<br />

Figure 2 : Variation de g(q,n) en fonction de ces deux paramètres<br />

1<br />

Dans <strong>le</strong> cas, comme nous l’avons vu jusque là, où f q est supérieure à ½, la fonction tend vers<br />

1 pour n grand. En effet, selon la loi des grands nombres, la probabilité empirique (la part des<br />

cascades correctes) converge vers la probabilité théorique (la probabilité qu’une cascade<br />

donnée soit correcte) quand <strong>le</strong> nombre d’observation grandit. Formel<strong>le</strong>ment :<br />

19<br />

n=1<br />

n=3<br />

n=5<br />

Nombre de groupes<br />

fréquentés


n<br />

n<br />

⎯ ⎯<br />

+∞ →<br />

⎯ → f<br />

On en déduit<br />

q<br />

1<br />

><br />

2<br />

1<br />

, , 0,<br />

2<br />

∀fq ≥ ε μ ≥ ∃ n0<br />

tel que, n n0,<br />

Ce qui permet de voir, en choisissant :<br />

μ <<br />

g<br />

1<br />

fq<br />

−<br />

2<br />

( , ) ⎯ ⎯ →1<br />

+∞ → n<br />

q n<br />

∀ ≥ alors : P ] fq fq<br />

[<br />

20<br />

⎛ r<br />

⎞<br />

⎜ ∈ − μ, + μ ⎟ ≥1 −ε<br />

⎝ n<br />

⎠<br />

Nous avons donc vérifié formel<strong>le</strong>ment que la participation à plusieurs rése<strong>au</strong>x permet à<br />

l’individu de se faire une meil<strong>le</strong>ure idée de la réalité du <strong>risque</strong>. Cette constatation, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cas<br />

d’une analyse des comportements en univers incertain, rejoint de nombreux trav<strong>au</strong>x portant<br />

sur l’utilité des « liens faib<strong>le</strong>s », qui permettent <strong>au</strong>x individus d’obtenir un surcroît<br />

d’information de la part de <strong>le</strong>ur environnement social 50 . Il est alors possib<strong>le</strong> – et souhaitab<strong>le</strong> –<br />

que ces agents – notamment s’ils sont peu nombreux – répercutent l’information recoupée<br />

dont ils disposent de manière publique. Cela peut alors permettre de « casser » <strong>le</strong>s cascades et<br />

d’améliorer l’acuité du signal que reçoivent <strong>le</strong>s agents. Le rô<strong>le</strong> d’Internet <strong>dans</strong> une tel<strong>le</strong><br />

perspective pourrait alors, par exemp<strong>le</strong>, constituer l’objet d’une recherche empirique future.<br />

Cel<strong>le</strong>-ci inclurait alors un signal public <strong>dans</strong> <strong>le</strong> modè<strong>le</strong>. D’<strong>au</strong>tres structures sont envisageab<strong>le</strong>s<br />

pour apporter une tel<strong>le</strong> information. El<strong>le</strong>s sont là encore fondées sur des types d’agents<br />

présentant des caractéristiques particulières par rapport <strong>au</strong>x comportements moutonniers.<br />

3.4 - Que se passe-t-il si une proportion non nul<strong>le</strong> des agents a une confiance excessive<br />

<strong>dans</strong> l’information ?<br />

Les personnes que nous appelons « confiantes » sont des agents qui mettent plus de poids sur<br />

<strong>le</strong>ur propre information qu’une rationalité instrumenta<strong>le</strong> bayésienne ne <strong>le</strong> dicte. Ainsi, même<br />

si <strong>le</strong> comportement col<strong>le</strong>ctif permet d’inférer des croyances, ces individus suivent de manière<br />

préférentiel<strong>le</strong> <strong>le</strong>ur propre signal. Leur comportement apparaît sous optimal <strong>au</strong> nive<strong>au</strong><br />

<strong>individuel</strong>, mais peut permettre de casser des cascades et, par conséquent, d’apporter une<br />

information nouvel<strong>le</strong> <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> col<strong>le</strong>ctif. Ainsi, une proportion non nul<strong>le</strong> de ces agents peut<br />

s’avérer optima<strong>le</strong> <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> col<strong>le</strong>ctif si l’on veut appréhender correctement la probabilité<br />

d’occurrence d’un <strong>risque</strong> donné et mettre en place <strong>le</strong>s actions de régulation <strong>le</strong>s plus<br />

pertinentes. Nous supposons que la majorité des agents se comporte en accord avec <strong>le</strong> modè<strong>le</strong><br />

que nous avons déjà posé. S’il n’y avait que ce type d’individus, à partir du moment où il y a<br />

cascade, il ne serait plus possib<strong>le</strong> d’inférer <strong>le</strong> signal des agents, <strong>le</strong>ur comportement étant<br />

indépendant de ce dernier. En revanche, <strong>le</strong>s individus « confiants » sont plus sceptiques à<br />

propos de l’information externe et plus enthousiastes à propos de l’information interne ; <strong>le</strong>ur<br />

propre information. Comment <strong>le</strong> comportement, <strong>individuel</strong> et col<strong>le</strong>ctif, en est-il modifié ?<br />

50 Voir, en particulier Granovetter (1973).


Nous pouvons dire, formel<strong>le</strong>ment, que tout se passe comme si <strong>le</strong>s agents « confiants »<br />

croyaient – à tort – que la précision de <strong>le</strong>ur signal est de q ' > q . Nous avons vu <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cas<br />

général qu’il suffisait que <strong>le</strong>s deux premiers individus adoptent la même croyance pour que<br />

tous <strong>le</strong>s suivants l’adoptent éga<strong>le</strong>ment. Dans ce nouve<strong>au</strong> cadre, nous supposerons que k<br />

individus sont nécessaires (avec k > 2 ) pour convaincre <strong>le</strong>s agents excessivement confiants.<br />

Ainsi, si l’information apportée par la cascade est suffisamment forte, même <strong>le</strong>s individus<br />

confiants suivent <strong>le</strong> comportement dit « moutonnier ». On peut discerner deux cas extrêmes :<br />

- Si q ' = q , alors tous <strong>le</strong>s individus se comportent de façon bayésienne, avec k=2.<br />

- Si q ' = 1,<br />

alors l’état dit est dit « critique » et k = +∞ .<br />

Ainsi, la présence d’agents confiants sur <strong>le</strong>s interval<strong>le</strong>s ] −k, − 2]<br />

et [ 2, k[<br />

21<br />

+ + permet d’étendre<br />

la plage sur laquel<strong>le</strong> il n’y a pas de cascade, ce qui limite la destruction d’information.<br />

Plus formel<strong>le</strong>ment, notons D n la différence entre <strong>le</strong> nombre de sign<strong>au</strong>x « probabilité basse »<br />

et « probabilité h<strong>au</strong>te » pouvant être inférés par la col<strong>le</strong>ctivité, en gardant à l’esprit que la<br />

réalité est une probabilité basse (<strong>le</strong> cas inverse se traite de manière symétrique). En<br />

considérant, comme nous l’avons fait plus h<strong>au</strong>t, que chacun des rése<strong>au</strong>x comporte un très<br />

grand nombre d’individus, nous pouvons calcu<strong>le</strong>r la probabilité de cascade correcte<br />

(respectivement incorrecte). Dès lors qu’il existe, même une très faib<strong>le</strong> part d’agents<br />

confiants, il n’y a pas de cascade tant que Dn < k . Nous supposons un très grand nombre<br />

d’agents, de tel<strong>le</strong> manière qu’il y ait toujours une cascade.<br />

La probabilité d’avoir une cascade correcte (respectivement incorrecte) peut alors être<br />

calculée de la même manière que <strong>le</strong> problème de la ruine du joueur. Tout se passe alors<br />

comme s’il disposait de k Euros <strong>au</strong> départ, avec une probabilité q (resp. 1-q) de gagner (resp.<br />

perdre) un Euro supplémentaire à chaque tour. Va-t-il en premier atteindre 2.k Euros ou être<br />

ruiné ? Le premier cas correspond <strong>au</strong> fait d’être <strong>dans</strong> une cascade correcte ; <strong>le</strong> second <strong>dans</strong><br />

une cascade incorrecte. De manière généra<strong>le</strong>, rappelons la solution du problème de la ruine du<br />

joueur en remplaçant 2.k par un montant N quelconque.<br />

Nous savons que sa probabilité de gagner est une somme pondérée des probabilités de gagner<br />

<strong>au</strong>x tours suivants, ce qui s’écrit :<br />

P( N / k) = q. P( N / k + 1) + (1 − q). P( N / k − 1)<br />

Le polynôme caractéristique de cette relation de récurrence s’écrit :<br />

x<br />

2<br />

x 1−<br />

q<br />

− + = 0 , qui a pour racines 1 et<br />

q q<br />

k<br />

1− q<br />

, ce qui donne :<br />

q<br />

⎛1 − q ⎞<br />

P( N / k) = A + B.<br />

⎜ ⎟ , <strong>le</strong>s conditions « <strong>au</strong>x bornes » donnant :<br />

⎝ q ⎠


A + B = 0<br />

N<br />

⎛1 − q ⎞<br />

A + B.<br />

⎜ ⎟ = 1<br />

⎝ q ⎠<br />

Nous avons donc :<br />

⎛1 − q ⎞<br />

1−<br />

⎜ ⎟<br />

q<br />

P( N / k)<br />

=<br />

⎝ ⎠<br />

⎛1 − q ⎞<br />

1−<br />

⎜<br />

q<br />

⎟<br />

⎝ ⎠<br />

k<br />

N<br />

, et <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cas qui nous occupe ici :<br />

k<br />

1<br />

q<br />

P(2. k / k) = = = f<br />

k k<br />

k<br />

⎛1 − q ⎞ q + ( 1−<br />

q)<br />

1+<br />

⎜<br />

q<br />

⎟<br />

⎝ ⎠<br />

qk<br />

De la même manière, la probabilité – complémentaire – d’avoir une cascade incorrecte<br />

(éventuel<strong>le</strong>ment après un très grand nombre d’agents s’il y a peu d’individus ayant une<br />

confiance excessive <strong>dans</strong> <strong>le</strong>ur information) s’écrit :<br />

1−<br />

fqk<br />

=<br />

k<br />

( 1−<br />

q)<br />

+ ( 1−<br />

)<br />

k<br />

k<br />

( q q )<br />

.<br />

On retrouve bien, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cas bayésien, <strong>le</strong>s proportions vues plus h<strong>au</strong>t :<br />

fq<br />

1−<br />

=<br />

q<br />

fq<br />

2<br />

+<br />

=<br />

q<br />

q<br />

2<br />

( ) 2<br />

1− q<br />

2<br />

( )<br />

( ) 2<br />

2<br />

1−<br />

q<br />

+ 1−<br />

q<br />

On peut voir ci-dessous comment évoluent <strong>le</strong>s proportions établies en fonctions des<br />

paramètres q (acuité du signal) et k (degré de confiance des individus dits « confiants » <strong>dans</strong><br />

<strong>le</strong>ur information).<br />

22


1,2<br />

1<br />

0,8<br />

0,6<br />

0,4<br />

0,2<br />

0<br />

0,5 0,54 0,58 0,62 0,66 0,7 0,74 0,78 0,82 0,86 0,9 0,94 0,98<br />

Acuité du signal<br />

23<br />

bonnes cascades k=2<br />

m<strong>au</strong>vaises cascades k=2<br />

bonnes cascades k=3<br />

m<strong>au</strong>vaises cascades k=3<br />

bonnes cascades k=5<br />

m<strong>au</strong>vaises cascades k=5<br />

bonnes cascades k=10<br />

Figure 3 : Proportion de cascades correctes et incorrectes en présence de confiance excessive<br />

m<strong>au</strong>vaises cascades k=10<br />

On se rend bien compte ici que <strong>le</strong>s individus confiants <strong>dans</strong> <strong>le</strong>ur information permettent de<br />

limiter <strong>le</strong> comportement « moutonnier » et l’inefficience col<strong>le</strong>ctive <strong>dans</strong> la formulation des<br />

croyances et l’adoption de comportements <strong>face</strong> <strong>au</strong> <strong>risque</strong>. Bien évidemment, <strong>le</strong> degré de<br />

confiance est déterminant <strong>dans</strong> la capacité de ces agents à résister <strong>au</strong>x cascades. Néanmoins,<br />

lorsque <strong>le</strong>s groupes d’individus sont très grands, même une très faib<strong>le</strong> proportion de tels<br />

individus permet de formu<strong>le</strong>r un jugement plus juste sur la probabilité d’occurrence d’un<br />

<strong>risque</strong>. Gardons à l’esprit que ce type de comportement est efficient <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> col<strong>le</strong>ctif, mais<br />

coûteux pour chacun de ces individus qui n’estiment pas la probabilité d’occurrence de<br />

manière optima<strong>le</strong> et peuvent ainsi mettre en place des moyens de protection peu adaptés.<br />

Ainsi, il pourrait être envisageab<strong>le</strong> d’offrir une compensation à de tels agents, tout en <strong>le</strong>s<br />

plaçant <strong>dans</strong> des rése<strong>au</strong>x <strong>au</strong> sein desquels la perception des probabilités constitue un obstac<strong>le</strong><br />

à la mise en place d’une politique de sécurité efficiente.<br />

Conclusion<br />

La modélisation que nous avons effectuée tend à montrer un trait d’inefficience <strong>dans</strong> <strong>le</strong><br />

partage de l’information qui complète à la fois <strong>le</strong>s trav<strong>au</strong>x liés à l’évaluation du <strong>risque</strong> par <strong>le</strong>s<br />

agents – à travers <strong>le</strong>ur transformation subjective des probabilités analysée par Kahneman et<br />

Tversky – et ceux portant sur l’économie des interactions socia<strong>le</strong>s. Des biais apparaissent, qui<br />

peuvent être amplifiés par <strong>le</strong> regroupement d’individus similaires. Nous avons alors considéré<br />

quelques traits supplémentaires permettant d’améliorer l’efficience informationnel<strong>le</strong><br />

col<strong>le</strong>ctive. Tout d’abord, en regardant <strong>le</strong> cas d’individus singuliers, se fondant sur plusieurs<br />

sources d’information. Ceux-ci améliorent alors, en multipliant <strong>le</strong>urs rése<strong>au</strong>x soci<strong>au</strong>x, <strong>le</strong>s<br />

possibilités d’accéder à la bonne information. Ensuite, en examinant l’impact de la présence<br />

d’agents confiants et pouvant « casser » <strong>le</strong>s cascades classiques en apportant une information<br />

supplémentaire à la col<strong>le</strong>ctivité. Ce dernier élément permet d’<strong>au</strong>gmenter la proportion des


individus qui évaluent correctement la probabilité d’occurrence du <strong>risque</strong>. Bien évidemment,<br />

s’il nous permet de mieux comprendre comment se passe intimement <strong>le</strong> processus de<br />

transformation des probabilités, cet éclairage théorique ne nous apporte pas d’évaluation « clé<br />

en main » des biais informationnels mis en lumière.<br />

Par ail<strong>le</strong>urs, nous ne nous sommes pas attachés à modéliser ce qui conduit à une hétérogénéité<br />

des modes de perception pour différentes classes de <strong>risque</strong>s et différentes classes d’agents.<br />

Pourquoi, par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> <strong>risque</strong> de criminalité donne-t-il lieu à une perception plus aigue que<br />

<strong>le</strong> <strong>risque</strong> de maladies cardiovasculaires ? Une réf<strong>le</strong>xion théorique sur la bonne façon de<br />

modéliser cette hétérogénéité reste encore à poursuivre. De notre point de vue, cette réf<strong>le</strong>xion<br />

pourrait accorder une place importante à l’historique des occurrences des <strong>risque</strong>s considérés<br />

ou à l’émotion suscitée col<strong>le</strong>ctivement par des atteintes volontaires à l’intégrité de la<br />

personne. Prendre en compte la typologie des individus considérés pour expliquer ce qui<br />

constitue « l’insouciance » ou « l’anxiété » <strong>face</strong> <strong>au</strong> <strong>risque</strong> <strong>au</strong> sein des rése<strong>au</strong>x soci<strong>au</strong>x serait<br />

éga<strong>le</strong>ment très intéressant. L’âge des agents, en particulier, a-t-il une incidence réel<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>ur<br />

mode de perception des <strong>risque</strong>s ? Dans un contexte de vieillissement démographique, il<br />

importe de savoir si la structure d’âge d’une population modifie son attitude <strong>face</strong> à la sécurité.<br />

Une société vieillissante est-el<strong>le</strong>, en définitive, plus « anxieuse » qu’ une société jeune ? Cette<br />

question est fondamenta<strong>le</strong>, non seu<strong>le</strong>ment pour gérer des <strong>risque</strong>s particuliers, mais éga<strong>le</strong>ment<br />

parce que la réponse qui lui sera donnée gouvernera pour bonne part la capacité de nos<br />

sociétés à entreprendre et innover.<br />

24


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