ROMANS - Ecrivain prive / JEAN PAUL GRISO
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D<br />
épassés par tous ces événements, la famille Tchakalian essayait de se fondre dans<br />
cette société ottomane, de plus en plus répressive, sans y parvenir. Impossible de<br />
rester neutre, de s’adonner au commerce en gardant des œillères, tant l’insécurité<br />
n’avait de cesse de progresser dans les campagnes offertes aux pillards kurdes ou<br />
tcherkesses. Aucune force de police, aucun régiment de l’armée ottomane ne contrait ces<br />
perpétuelles agressions, ces pillages suivis de viols et de massacres des populations.<br />
Personne ne semblait s’intéresser à ce désastre humanitaire que dénonçaient les pétitions des<br />
villageois, des patriarches, qui restaient lettres mortes à la Sublime Porte. A croire que le<br />
sultan Abdul Hamid attendait le chaos pour mettre de l’ordre dans son pays devenu une<br />
poudrière depuis le départ des Russes et la redistribution des cartes géopolitiques des<br />
nations.<br />
Lasses de tant de désinvolture et d’atrocité, des organisations d’autodéfense, non<br />
autorisées, trouvèrent naissance pour s’opposer à cette volonté délibérée de détruire le<br />
peuple arménien. Tout allait à vau-l’eau… Le quotidien, même à Erzeroum, s’alourdissait<br />
d’une mauvaise relation avec les Turcs de la ville, sauf ceux qui commerçaient. Eux aussi<br />
étaient touchés par les effets néfastes d’une pression fiscale ascensionnelle, d’une corruption<br />
de plus en plus instituée à tous les échelons et par les méfaits de ces bandes armées qui<br />
attaquaient les convois de marchandises.<br />
Mais Grégoire garde l’espoir que bientôt tout s’améliorera, que le pouvoir central<br />
accordera ce que son peuple attend : une autonomie tant économique que religieuse dans les<br />
provinces (vilayets) arméniennes. En fervent chrétien, il croit à son idéal humaniste, que la<br />
raison fera loi face aux intérêts du seul Islam, alors que cheminent allègrement l’idée<br />
d’extermination du peuple arménien et la volonté d’éradiquer du territoire la Croix pour le<br />
Croissant rayonnant.<br />
Si ses convictions religieuses le soutiennent dans son idéal, il commence pourtant à<br />
douter du bien fondé de sa non-violence affichée alors que certains de ses frères prônent la<br />
lutte armée, certains même sont entrés en dissidence dans les montagnes. Pour ces derniers,<br />
mieux vaut faire parler la poudre que les diplomates et accepter le sacrifice total pour la<br />
« Sainte Cause ». Ils savent que sous le couvert d’une intrusion, soi-disante incontrôlée, de<br />
bandes armées étrangères, une guerre de religion est déclarée. Sans coup d’éclat pour alerter<br />
les grandes puissances, plus occupées à gérer en priorité leurs propres intérêts coloniaux, ils<br />
seront oubliés.<br />
Ainsi, au fur et à mesure des années, ces Arméniens réfugiés dans leurs montagnes<br />
deviennent sûrs de dominer, comme du haut d’un puissant bastion, les défilés et les plaines<br />
où s'avance le chemin de fer de Bagdad. Car le massif arménien, précédé par les montagnes<br />
du Zeïtoun et les crêtes de l'Amanus et du Taurus, commande les passages difficiles par où le<br />
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