ROMANS - Ecrivain prive / JEAN PAUL GRISO
ROMANS - Ecrivain prive / JEAN PAUL GRISO
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maison, un animal avec qui toute cohabitation devenait source de conflits. Ce dernier, fier de<br />
cette mise à l’écart, paradait, manifestant son contentement par des frottements de son pelage<br />
contre les jambes du maître. Les signes d’allégeance finis, sans effort, le chat accédait d’un<br />
bond à la table où la ripaille de qualité saurait mêler vins fins et mets variés sous la voûte du<br />
palais des invités. Il avançait sur la nappe aux motifs brodés, joliment encombrée de verres<br />
en cristal, d’assiettes de porcelaine, de couverts en argent et de serviettes immaculées.<br />
Indifférent à tant d’ornements, il promenait sa présence tout au long de ce défilé d’obstacles,<br />
dans un lent slalom d’acrobate. Il rasait sans les renverser tous ces objets de la convivialité<br />
disposés selon une composition dressée au cordeau.<br />
― Non, non, non, non ! Ce n’est pas la place du chat, cette table...<br />
Une main douce le prit sous le poitrail avant de le poser délicatement sur une chaise<br />
près de la cheminée et de lui prodiguer des caresses rassurantes dont le chat se repaissait à<br />
outrance. Il n’en finissait pas de s’étirer, de susciter le passage répété des phalanges sur son<br />
corps sujet aux ronflements sourds.<br />
― Qui sera le quatrième convive ?<br />
― La quatrième convive ?… Euh, nous aurons à table une dame.<br />
― Ciel ! Une dame ? Je la connais ?<br />
― Bien sûr que oui ! Veux-tu un réchauffe-cœur en attendant ?<br />
― Ce n’est pas de refus, je pensais que tu avais perdu la clé de la générosité. Ha, ha,<br />
haaaa !... Et que tu l’avais plongée au fin fond du gouffre d’une pingrerie inhabituelle... Ha,<br />
ha, haaaa !...<br />
Florentin posa sur un socle de braise une petite casserole remplie d’une<br />
composition vinée où se noyaient quatre morceaux de sucre. Les aromates exotiques, restés<br />
prisonniers de l’étamine, retrouvèrent leur contenant premier, une jarre en grès dans le gardemanger.<br />
Doucement le breuvage, sous l’action de la chaleur, monta en température laissant<br />
s’échapper de sa surface une fine fumée. Bien vite, elle fut remplacée par un tressaillement<br />
enflammé bleu et jaune avant de disparaître intégralement lors de la pénétration de la pointe<br />
chauffée à blanc d’un tisonnier. Le fer remis au feu, Florentin saisit la queue de la casserole<br />
protégée d’un épais chiffon. Il versa sans précipitation la boisson revigorante dans deux<br />
gobelets, taillés dans un bois de hêtre, qu’ils portèrent aux lèvres ouvertes à la dégustation.<br />
― Ça vous remet du baume au cœur, ce truc ! A la tienne, Florentin ! Ha, ha,<br />
haaaa !...<br />
― A la tienne, Firmin ! Ha, ha, haaaa !...<br />
Chacun, à son rythme, savourait la douce excitation des papilles qu’une<br />
boisson de saison stimulait sans que des mots futiles ne perturbent ce moment de bonheur.<br />
Debout face à l’âtre, les deux hommes regardaient fixement l’animation de la cheminée en<br />
plein travail dont le parterre, divisé en diverses sources de chaleur, répondait aux besoins du<br />
cuisinier. Le grand tétras au bout de sa corde n’en finissait pas de virer, les tartines se<br />
gorgeaient peu à peu des sucs ruisselants, la soupe épaisse sur son trépied frémissait à peine<br />
tandis que les pommes de terre en robe des champs, enfouies sous la cendre chaude,<br />
commençaient à perdre de leur solidité…<br />
Une seconde puis une troisième rasade combla ces minutes muettes jusqu’à<br />
ce que surgisse la question de circonstance :<br />
― Au fait Firmin, elle est morte de quoi ?… Tu en penses quoi, des bruits qui<br />
circulent dans la vallée…<br />
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