ROMANS - Ecrivain prive / JEAN PAUL GRISO
ROMANS - Ecrivain prive / JEAN PAUL GRISO
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l’héritier qui l’aura tuée, c’est comme pour Pierre, l’arrière-grand-père de Pierre-Marie.<br />
L’histoire est vilaine, elle se répète… Tu vas voir que celui qui n’est pas là l’aura sûrement<br />
assassinée, c’est héréditaire, c’est dans les gènes… Tu verras, c’est le gave qui nous le dira,<br />
il nous rendra le coupable. », puis s’apercevant que je les écoutais ils ont parlé en patois.<br />
Rideau pour comprendre !<br />
― Oui, je sais, ce bruit-là court depuis que Pierre-Marie a disparu mais, sans preuve,<br />
l’accusation ne tient pas… Il faut se garder d’étaler sur la place publique un sentiment<br />
pouvant nuire à autrui. Et puis, celui que l’on tient pour coupable avait tant l’habitude de<br />
prendre la fuite lors d’événements le dépassant qu’il n’est pas impossible de le revoir<br />
poindre incessamment…<br />
― Elle en pense quoi la Gendarmerie de…<br />
― Depuis quand elle pense la Gendarmerie ? répliqua Firmin en rigolant.<br />
― Sois sérieux un instant, tu dois savoir, vu que tu as longuement discuté avec un de<br />
ses membres. Pourquoi n’y a-t-il pas eu ouverture d’une enquête pour homicide et…<br />
― Florentin, ne t’inquiète donc pas. Dans deux ou trois jours, Pierre-Marie réintégrera<br />
le foyer comme si de rien n’était. Vue l’absence d’enquête, c’est que la mort est naturelle !<br />
L’atmosphère joyeuse perdait de ses prérogatives et une certaine affliction<br />
promenait dans la pièce ses voiles de non-dits sur cette situation dramatique dont la vallée<br />
montagnarde se serait bien passée.<br />
― Firmin, veux-tu un autre réchauffe-cœur ?<br />
Il acquiesça.<br />
Toujours dans son histoire, le docteur reprit en main son gobelet fumant et le porta<br />
à ses lèvres. Sa pensée voguait ailleurs, empêtrée dans un écheveau de certitudes qui bientôt,<br />
à son avis, deviendrait une vérité dure et implacable, celle d’un fait divers tragique.<br />
― A la tienne, Firmin !<br />
― Euh ! A la tienne, Florentin !<br />
Oubliées les narrations comiques, sa voix se ponctuait d’une pointe de gravité.<br />
― Tu sais Florentin, Pierre-Marie n’est pas un méchant garçon, seulement un enfant<br />
trop gâté, un fils unique que la famille a fait souffrir... Ici, bien qu’il soit le dernier mâle<br />
d’une lignée, il a toujours représenté ce que sa grand-mère Bertille, sa mère Marie-<br />
Dominique et sa tante Marie-Pierre exécraient le plus : l’homme par qui elles ont tant<br />
souffert...<br />
― Tu n’en fais pas trop ? On dirait la trame d’un mauvais feuilleton américain…<br />
― Tu es encore jeune, Florentin, en prenant de la bouteille tu te rendras compte que<br />
les tragédies de la vie se révèlent supérieures à celles des scénaristes, même les plus doués,<br />
les plus ambitieux. Ici, comme dans tous les fonds de vallée, la suprématie tant politique que<br />
financière ne se partage pas, elle est restée la propriété égoïste des ambitions démesurées<br />
d’une famille prédatrice. Quand je dis « famille », il faut comprendre un ensemble de<br />
générations de pauvres bougres devenus, par le travail, riches au point de paupériser le pays<br />
vassal de cette emprise familiale…<br />
― De quoi tu me causes ? Je ne te suis pas !<br />
― Tu sais Florentin, quand tu tiens à toi tout seul l’économie d’un village, transports,<br />
épicerie, café, restaurant, hôtel, tabac, ta puissance devient telle que tu ne peux que paraître<br />
méprisant au regard de l’autre. L’autre n’est pas en cause pour autant, c’est une réaction<br />
humaine qui se crée et génère automatiquement de la répulsion. C’est pour cela que la<br />
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