une voie de convergence pour l'expression écrite

Les réseaux isptopiques : une voie de convergence pour l’expression
écrite
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Marie-Pierre Lacoye
Malgré la spécificité des niveaux et des modules constituant les programmes, l’
enseignement de la langue française et non d’un français particulier est toujours une
tâche multiface car elle se situe fréquemment au carrefour du linguistique et du culturel,
ces derniers se ramifiant en acquisition du matériau langagier mais également réflexion
sur la langue ; elle n’exclut ni l’apport en connaissances sur la société contemporaine ni
le recours aux divers genres discursifs.
Oral, écrit, phonétique, grammaire, lexique, conversation du quotidien, interventions
formelles, textes journalistique, littéraire, etc. D’ensembles en sous-ensembles, de
séparations en bifurcations, enseigner LE français peut faire feu de tout bois.
Dans ce large éventail, il est des activités d’apprentissage éminemment ciblées ; il en est
d’autres, qui leur sont complémentaires, et dont le mérite est de constituer une sorte
d’épicentre où des objectifs d’horizons divers s’additionnent, même s’il en est toujours
un pour cimenter l’éparpillement.
Ce mécanisme reprend, d’ailleurs, la propre expansion de l’approche théorique de
l’isotopie, concept instrumental pour une recherche d’interprétation à partir d’un sème
récurrent à plusieurs signes.
En effet, le terme « isotopie » désigne l’établissement d’une cohérence syntagmatique
par la récurrence d’unités d’expression et/ou de contenu, ce principe de cohérence
pouvant être de divers ordres : phonétique, prosodique, syntaxique … Autant de
domaines de la langue à travailler possiblement.
Cependant, le plus souvent ce terme désigne une redondance d’ordre sémantique, dans
la dénotation comme dans la connotation. Cette dénomination est alors quasi
équivalente à celle de champ lexico-sémantique; elle est toutefois plus ample et plus
souple que cette dernière et permet ainsi d’aborder dans une perspective originale et peu
contraignante cet autre domaine.
L’isotopie sémantique sera donc le pivot de cette étude qui propose une approche, aux
difficultés graduelles, d’un mécanisme de construction du sens dont la connaissance est
fondamentale, tant pour la pratique de la lecture de pour celle de l’écriture.
Comme la première pierre d’achoppement pour les étudiants dans la définition d’une
isotopie est la signification de « sème », il s’avère souhaitable d’aborder ce problème
de sémantique du mot, sans entrer pour autant dans de trop complexes ramifications.
Emboîtement lexical sur la base d’une homophonie partielle, le mot valise – dont
l’aspect sémantique est essentiellement onomasiologique – est, selon le Petit Larousse,
constitué par l’amalgame de la partie initiale d’un mot et la partie finale d’un autre. Ce
moule de création très fréquent a un intérêt tant sur le plan lexicologique que sur le plan
didactique car, chaque élément portant une partie de la charge sémantique du mot

source, ce procédé néologique peut illustrer, avec une certaine fantaisie, la nature du
lexème et du sème.
Chaque mot souche correspondra à l’extraction d’un sème ; chaque partie obtenue par
troncature sera associée par analogie au lexème :
• information // automatique = informatique ( néologisme créé en 1962 par P. Dreylus
et officialisé par Charles de Gaulle )
La terminaison tique, devenue autonome, a constitué un nouveau suffixe pour bon
nombre de termes de ce nouvel univers technologique, à analyser lors de la constitution
d’un bref glossaire ( bureautique, signalétique etc.), élargi à d’autres néologismes très
actuels et fort utilisés, tels pourriel, créé par aphérèse à partir de pourri et courriel, ou
encore le mot québécois clavardage, fusion de clavier et bavardage.
Certains mots valises font désormais partie d’un vocabulaire courant ( franglais de R.
Etiemble), vocabulaire contemporain souvent journalistique ( adulescent, célibattante).
Travailler sur leurs définitions apporte donc la connaissance d’un lexique «de pointe ».
Dans l’optique de la fixation de notions d’analyse sémique, on peut également choisir
des mots valises de moindre fréquence d’utilisation, rattachés à des horizons divers (
ainsi du parlêtre de Lacan, ou du classique exemple foultitude de V. Hugo dans Les
Misérables ).
Dans la gamme d’exercices possibles sur ces formations, on peut sélectionner ou non un
registre de langue, et graduer les difficultés de reconnaissance :
a) Décodage des éléments combinatoires :
• photocopillage = photocopie + pillage ( utilisé dans un spot publicitaire
civique)
• sidaction = sida + action ( utilisé pour la journée de lutte contre la maladie)
b) Décodage et définition
• chocolâtrie = chocolat + adolâtrie = passion religieuse pour tout aliment de
cacau
• supermatozoide = préfixe super + spermatozoide = celui qui gagne la course à
la vie
• polyxions = préfixe poly + réflexions = mécanisme de pensée plurielle
c) Création de néologismes à partir de mots souches et définition
• pédagogue + rogue = pédarogue = enseignant à l’agressivité coupante
• gaffe + affabilité = gaffabilité = courtoisie excessive provoquant des paroles
regrettables.
d) Introduction de néologismes dans des phrases de contextualisation :
• La douleur le fit grimageindre ( grimacer + geindre)
• Méfiants les parents avaient exigé des futurs époux des finançailles chez le
notaire. ( finance + fiançailles)
• Sur la scène politique actuelle, on trouve beaucoup de parlementeurs. (
parlementaire + menteur )
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e) Trouver le mot valise à partir de définitions :
• lieu où se restaurer sur les aires de grande circulation = restoroute (restaurant
/ route)
• enseignant technologique à distance = ordiprof (ordinateur / professeur )
• maladie qui obscurcit la vie = vimisme (virus / pessimisme )
Ce détour plus ou moins cocasse facilite la compréhension d’explications sur les
distinctions utiles, explications synthétiques et simples, réalisées par glissement sur un
sème pivot, telle celle-ci :
• Le terme misogynie est formé de deux lexèmes : miso, du grec misein , qui signifie
haïr et gynie, du grec gunê, qui signifie femme. Femme, lui, n’est formé que d’un seul
lexème. Ce terme partage avec le mot fille les sèmes [+ humain] [-mâle ] et s’en
distingue par les traits [+ adulte] [ +/- mariée ].
Décomposer le signifié d’un lexème en unités de sens plus réduites n’est pas une
opération «scientifique», détachée d’un point de vue particulier, et des grilles d’analyse
concurrentes peuvent être pertinentes et complémentaires. Mais l’extraction d’un sème
commun, à partir de listes calculées à partir du point de vue du locuteur courant, ne pose
pas de problème majeur. Ainsi, dans les deux listes suivantes, l’accord se fait avec
facilité sur l’isotopie / lumière / et sur celle de l’élément /eau / :
• lustre • étang
scintillait brume
reflet verdâtre
brûlant clapotis
aveuglé barque
étoile nénuphar
Dans cette autre, l’isotopie sera plus difficile à cerner, essentiellement à cause du mot.
échos, mais aussi de vertige. Une recherche dans le dictionnaire fera sélectionner
/direction / pour le premier et / mouvement / pour le second, auxquels on additionnera
/bas / + / verticalité /, si bien que l’on obtiendra celle de la chute.
• gouffre
vertige
profondeur
échos
descente
Ces tâtonnements par addition et soustraction conduisent au problème de la dénotation /
connotation. On se limitera à définir la dénotation comme tout ce qui est commun à
l’usager de la langue, la connotation comme ce qui relève de l’association d’idées, de
l’affectivité, de la création individuelle; ou bien encore, selon l’opposition languediscours,
la première comme la signification de base du mot, la seconde comme la
valeur particulière conférée par le contexte situationnel.
Cette dernière étant fondamentale pour les isotopies métaphoriques, extrêmement
courantes, y compris dans des textes non littéraires, on soumettra à la réflexion des
listes de ce genre :
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• lune
frayeur
frisson
lugubre
sombre
hibou
Pour celle-ci une double réponse apparaît : en concurrence l’isotopie de la nuit et celle
de la peur, à fondre en une seule, la peur de la nuit. De la sorte on amorcera la notion de
poly-isotopie.
L’analyse sémique est dépendante du point de vue pratiqué selon un champ
d’expérience, si bien que divers découpages, qui ne se recouperont que partiellement,
sont aussi valables les uns que les autres. Elle doit également prendre en compte les
possibilités combinatoires du signe, ce que souligneront des exercices basés sur une
approche distributionnelle. Dans celui ci-dessous - phrases à compléter librement mais
en respectant la contrainte grammaticale et sémantique - le lexème et ses diverses
acceptions insérés dans des unités constituant un corpus d’environnement vu les divers
comportements syntaxiques, fonctionne comme un exemple de polysémie.
a) La maîtresse de maison pose les assiettes sur ……………………………………..
b) Ce chanteur pose mal ………………………………………………………………
c) Je pose le principe que ……………………………………………………………..
d) L’oiseau se pose devant ……………………………………………………………
e) Ce homme politique se pose en ……………………………………………………
f) Je pose ma candidature à …………………………………………………………..
g) Ce modèle pose devant le peintre pour……………………………………………..
h) La parution de son dernier roman l’a posé dans …………………………………..
Réponses possibles :
a) la table
b) sa voix
c) tout est dans tout
d) la vitre
e) sauveur vertueux
f) ce poste
g) son portrait
h) le cénacle littéraire parisien
Le phénomène de la polysémie montre que les emplois d’un signifiant donné, tout en
étant formés sur un certain contenu sémique commun, se ramifient, par le jeu des
contextes, en un certain nombre d’interprétations si diverses que le rapport de base peut
devenir presque imperceptible.
Ceci nous renvoie à la dénotation et connotation, déjà abordées précédemment –
redondance voulue pour pouvoir enchaîner sur des analyses portant sur des extraits de
texte comprenant des isotopies métaphoriques, dans un premier temps aisément
décélables, comme ces deux phrases en italiques décrivant par la nature
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aimable/sauvage les différences d’organisation de l’enseignement selon leurs filières et
leur pénible compréhension comme une aventure dangereuse :
•Votre enfant entre en seconde, parents, accrochez-vous. Vous avez aimé le collège ?
Vous allez adorer le lycée. Au collège vous étiez dans un aimable bosquet, bienvenue
dans la forêt amazonienne de l’orientation… L’expédition ne fait que commencer.
Oublier l’époque de votre jeunesse, quand on allait au lycée du coin sans se poser de
question. Il va falloir vous débattre avec 85 orientations possibles en seconde – si l’on
compte le jeu des langues – et un système de 150 bacs.
Le Nouvel Observateur, mai 2004.
Après une série d’analyses sur des extraits d’horizons divers, on soumettra à l’étude des
textes complets, régis de part en part par un même réseau, tel ce pastiche journalistique :
SECU : L’ORDONNANCE DU Dr MATTEI
Professeur Jean-François Mattei
Ministre de la Santé, de la Famille
Et des Personnes Handicapées
8, avenue de Ségur
Paris 7e
Tél . 01 40 56 60 00
Nom du patient :
assurance –maladie (née le 26 avril 1946)
Diagnostic :
Le patient présente un déficit galopant de 10, 6 milliards d’euros en 2003. Si rien n’est
fait, l’infection devrait s’étendre l’an prochain à 14,1 milliards d’euros. En attendant
que les experts du haut Conseil de l’ Assurance-Maladie nommés par Jean-Pierre
Raffarin le 13 octobre dernier se mettent d’accord sur la façon d’opérer le malade, le
docteur Mattei préconise de contenir le mal à 10,9 milliards d’euros en 200.
Prescription :
- une cuillérée de recettes supplémentaires ( 1,05 milliard d’euros) : hausse des droits
sur le tabac, hausse de la taxe sur la promotion des laboratoires pharmaceutiques…
- un régime amincissant pour les dépenses (1,8 milliard d’euros d’économies) : baisse
de la prise en charge des séjours à l’hôpital, baisse du remboursement de
l’homéopathie, baisse du prix de certains médicaments, meilleur contrôle des arrêts
de travail et des affectations de longue durée, non-remboursement des visites pour
certificats médicaux…
Date de la prochaine visite : été 2004, pour le vote de la réforme au Parlement
Le Nouvel-Observateur, novembre 2003.
Nous ne nous appesantirons pas, dans ce cadre précis, sur des problèmes théoriques des
formes de l’écriture imitative. L’important est d’identifier le canevas formel utilisé,
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de comparer éventuellement l’article avec une véritable ordonnance médicale pour
prendre mieux conscience du détournement opéré, de souligner ainsi la volonté moins
iconoclaste que subversive de l’auteur, décidé non pas à régler des comptes avec un
modèle générique mais à brocarder une politique de la santé, de montrer comment cette
dépréciation agressive raille ce qui est dénoncé comme un état de dégradation grâce au
développement de deux isotopies qui se chevauchent sur des termes poly-isotopiques, et
ce avec un relevé dans un tableau :
ISOTOPIE :
SANTE
maladie
patient
infection
opérer
malade
docteur
hôpital etc.
ISOTOPIE :
ECONOMIE
assurance
déficit
recette
euros
hausse
taxe
promotion etc
POLY-ISOTOPIE
Assurance-maladie
Régime
Prise en charge
Contrôle
A ce stade, on pourra envisager des tâches nettement plus ardues, englobant divers types
d’isotopies, comme l’analyse de ce poème, structuré sur l’imbrication d’isotopies
phonétique, prosodique, syntaxique, et sémantique, enrichie par la paronomase, un jeu
de symétrie, de parallélisme, d’inversion….
Avenue du Maine
Les manèges déménagent.
Manèges, ménageries, où ?…
Et pour quels voyages ?
Moi qui suis en ménage
Depuis… ah! Il y a bel âge !
De vous goûter manèges,
Je n’ai plus… que n’ai-je?…
L’âge.
Les manèges déménagent.
Ménager, manager
De l’avenue du Maine
Qui ton manège mène
Pour mener ton ménage!
Ménage ton ménage.
Manège ton manège.
Ménage ton manège.
Manège ton ménage.
Mets des ménagements
Au déménagement.
Les manèges déménagent,
Ah, vers quels mirages ?
Dites pour quels voyages
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Les manèges déménagent.
Max Jacob, Les oeuvres burlesques et mystiques de Frère Matorel mort au couvent,
1936.
Mais ce seront surtout les isotopies sémantiques qui seront étudiées, à partir d’un relevé
lexical et d’une recherche dans le dictionnaire de la polysémie des lexèmes :
ISOTOPIES NOMS VERBES
fête foraine
difficulté
maîtrise
mouvement giratoire
danger
organisateur
tourbillon
directeur
précaution
conduire
faire attention
nouveauté
changement……………
…………………………
……………
entretien
ordre……………………
…………………………
……
vie domestique
couple - famille
illusion
désir
transformation…………
…………………………
………………
Manège
ménagerie
Manège
Ménagerie
manager
Manège
Manager
Ménagement
Voyage
Manège
Ménage
Ménage
Mener
Mener
Manéger
Manager
Ménager
Déménager
Mirage Déménager
Et l’on demandera alors une courte explication thématique, laquelle devra récupérer les
isotopies indexées :
- Ce poème débute par l’expression des regrets d’une jeunesse enfuie où la vie
s’apparentait à une fête constante. Mais au fil des ans, ce tourbillon permanent et joyeux
se transforme sous l’apparition de responsabilités et difficultés , autant d’étapes à savoir
gérer avec précaution. Les changements et les nouveautés inclus dans l’évolution des
rapports affectifs, notamment amoureux et familiaux, conduisent vers un inconnu où la
réalisation des désirs reste souvent chimériques.
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Pour clore ce parcours sur la construction des réseaux isotopiques, nous proposerons
l’ensemble suivant, à la croisée du linguistique et du littéraire, de la langue et de la
culture, de la réception et de la production, l’un compris dans l’autre, l’autre appelant
l’un, en un mouvement de syntonie où la convergence suscite l’émergence.
1. Aspects littéraires
Cette activité débute par la lecture d’un poème de Raymond Queneau, du recueil
Le chien à la mandoline (1965) :
POUR UN ART POÉTIQUE
Prenez un mot, prenez-en deux
Faites les cuir’ comme des œufs
Prenez un petit bout de sens
Puis un grand morceau d’innocence
Faites chauffer à petit feu
Au petit feu de la technique
Versez la sauce énigmatique
Saupoudrez de quelques étoiles
Poivrez puis mettez les voiles
Où voulez-vous en venir?
A écrire
Vraiment ? à écrire ??
Choisir un poème, même si l’on ne dit que quelques mots sur l’auteur, n’est pas
neutre puisque l’on entre automatiquement dans le champ du littéraire, et dans
ce cas à plus forte raison que le titre renvoie immédiatement à un thème
classique : l’art d’écrire est certes un don inné, une vocation mais l’inspiration
doit être accompagnée de beaucoup de travail où l’élaboration méthodique et
patiente joue un grand rôle. Et l’on peut par exemple citer le fameux poème de
Boileau.
Nous sommes donc mis en face de problèmes d’hypertextualité, sur lesquels on
s’étendra plus ou moins longuement en se référant à la classification
genettienne , en abordant au moins, vu la teneur du poème, la notion de parodie,
hypéronyme comprenant le pastiche satirique, et en mettant à jour le double jeu
de l’auteur puisque le poème hypertexte transforme également un autre
hypotexte peut-être moins évident, celui de la recette culinaire, opérant
simultanément la désacralisation d’un type littéraire et la valorisation d’un genre
banal, exemple de scription, promu justement par l’irrévérence humoristique de
l’écrivain, à la dignité de l’écriture réflexive, critère de littérarité bien connu
depuis Jakobson.
A ce stade de l’analyse, une comparaison s’impose avec une authentique recette
de cuisine et l’on analysera d’une façon plus ou moins pointue les mécanismes
de détournements par stylisation, étape où l’on abordera alors des éléments
proprement linguistiques.
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1. Aspects linguistiques
Dans un premier temps, la macro-structure des actes directifs permet d’entrer
dans les problèmes de typologie textuelle, en s’appuyant notamment sur les
travaux de Jean-Michel Adam, grâce auxquels on distinguera deux grands
types : l’injonctif (cette étiquette reste fort utile pédagogiquement), qui régit tout
Faire Faire d’une recette, auquel s’ajoutera, dans le cas particulier du poème, le
conversationnel.
Dans un second temps, ce sera le concept d’isotopie, limité ici à l’isotopie
sémantique, de réseau isotopique et de poly-isotopie qui feront l’objet d’étude,
ave le relevé des lexèmes appartenant au champ de l’écriture par dénotation (
mot…) et par connotation ( innocence…) et de ceux composant le domaine de la
cuisine et des instructions ( œuf, au petit feu…).
Dans un dernier temps, selon le niveau des apprenants, on pourra réserver une
place à la conjugaison de l’impératif.
2. Aspects culturels
Dans notre optique, qui s’adaptait à un programme centré sur l’écrit, les
problèmes de cohésion-cohérence textuelle et ce avec une insistance particulière
sur le texte argumentatif, cette approche du texte poétique se rattachait à
l’apprentissage de la dissertation.
Cet exercice de rhétorique, puisqu’il s’agit de persuader par le discours, qu’il
soit traditionnel avec son plan dialectique ou plus souple avec d’autres plans,
reflète un univers culturel très français, marqué encore par les grandes valeurs
classiques de la clarté et de la rigueur, et reste difficilement accessible à un
public portugais, plus héritier de la mouvance baroque.
Par le biais du texte injonctif, nous relions au poème de Raymond Queneau des
textes donnant des conseils de rédaction. Il n’en manque pas ; le principal est de
fournir aux étudiants des fragments portant sur les diverses étapes de la
dissertation, telles le schéma et les plans, l’introduction, la conclusion, les
parties, les paragraphes, les transitions etc…
Nous citerons pour exemple un fragment de type très classique, concernant
l’introduction 1 :
« Pour limiter les risques, indiquez les directions choisies mais ne le faites pas
trop pesamment. Et n’expliquez pas, dès le début, dans quel sens vous allez
résoudre le problème. Montrez, sans trop appuyer, la démarche qui sera la vôtre,
mais non le contenu du devoir. Donnez une idée du mouvement de la
dissertation, mais évitez tout ce qui peut ressembler à une conclusion. »
3. Aspects créatifs
En vue d’une production écrite qui consistera à reprendre la matrice pastichée de
la recette de cuisine, à imiter la constitution hybride du poème de Queneau
dans son imbrication isotopique et à substituer au thème de la création poétique
celui de la rédaction d’une dissertation, les étudiants établiront à l’aide des
1 Paul Désalmand, Patrick Tort, Du plan à la dissertation, Les pratiques du bac, Hatier, Paris, 1998,p. 13.
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fragments de texte donnant des conseils sur ce sujet et d’une série de recettes de
cuisine, deux séries de stock lexical, à organiser par classes grammaticales :
• CUISINE
- Noms : cubes, dés, lamelles, mélange, morceau, pâte ; bouquet, brin,
pincée, pointe, zeste ; bol, moule, passoire, spatule, terrine, …
- Adjectifs : crémeux, épais, ferme, fin, sirupeux, tiède, …
- Adverbes : délicatement, doucement, légèrement, petit à petit,
régulièrement, …
- Verbes : ajouter, cuire, délayer, disposer, enfourner, parsemer, remuer,
saupoudrer, vérifier, servir, …
• DISSERTATION
- Noms : arguments, articulateurs, citations, exemples, figures de style,
idées, phrases, paragraphes, ponctuation, orthographe ; brouillon, feuille,
marge, présentation, …
- Adjectifs : articulé, clair, cohérent, précis, rigoureux, original, significatif,
simple, …
- Adverbes : clairement, nettement, parfaitement, soigneusement, …
- Verbes : argumenter, agencer, chercher, conclure, développer, introduire,
sélectionner, synthétiser, trier ; disposer, écrire, mettre au propre, lire,
relire, …
Outre ces catégories morpho-syntaxiques, les tableaux peuvent être organisés
selon des classes sémantiques telles :
• CUISINE :
- instruments ( écumoire, four, …)
- aliments/matières : sel, épices, levure etc )
- formes/proportions ( cuillérée, grammes,…)
- actions ( assaisonner, verser, etc)
• DISSERTATION :
- présentation : ( lisibilité, marge, etc)
- éléments ( thèse, antithèse, etc)
- matériaux ( articulateur, figures de style, etc)
- qualités ( logique, modalisation, etc)
Avec ces éléments les apprenants sont en mesure de réaliser un texte qui fait
appel à l’imagination du scripteur tout en le contraignant à respecter des règles
strictes de mise en forme et à serrer au plus près le réel.
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Comme exemple de production possible, nous proposons le texte suivant, en
espérant que la lecture en sera…savoureuse :
Gâteau Aux Lettres
Ingrédients
Quelques feuilles blanches, un dictionnaire, un stylo, un bol d’idées, plusieurs
lamelles d’arguments, 200 gr. d’articulateurs, une cuillère à café d’exemples, un
bouquet de figures de style, une pincée de citations, un zeste de ponctuation et
d’originalité.
Préparation ( 1h30 )
Disposez sur une table les feuilles blanches et le dictionnaire. Versez doucement le
bol d’idées sur le brouillon puis tournez très régulièrement.. Quand la pâte prend
consistance, incorporez les lamelles d’arguments, répartissez les articulateurs,
saupoudrez avec quelques exemples, ajoutez délicatement le bouquet de figures de
style et finalement un zeste d’originalité. Laissez reposer quelques minutes.
Présentation ( 30 mn )
Etalez le tout lisiblement, dans des paragraphes soignés logiquement. Vérifiez la
ponctuation et l’orthographe.
Cuisson ( le temps d’une relecture)
Le sommelier suggère : une bonne encre Parker bien frappée
Pour 4 lecteurs
Il est à noter que ce type d’activité provoque deux genres de réaction, liées à des
sensibilités différentes : d’une part un rejet teinté de dédain, d’autre part un engouement
certain pour (fort heureusement) la majorité des apprenants. Celui-ci provient sans doute
de la part importante que toute création poétique laisse à la subjectivité et à
l’imaginaire, de même qu’au plaisir ludique de pratiquer à son tour l’écriture imitative
et à se retrouver ainsi à égalité avec un écrivain. Par-là même s’instaure temporairement
une relation «décomplexée» à la littérature, trop souvent temple olympien vers lequel on
s’achemine sur les genoux plus par devoir que par désir.
Ici, au contraire, la décomposition des mécanismes internes fait apparaître le lien
vivifiant du transgénérique, exhaussant la banalité d’un modèle discursif stéréotypé au
rang du littéraire, et découvrir la recette à employer pour une nouvelle imitationtransformation
personnelle.
Tout en s’appropriant une technique, le scripteur intègre des notions de linguistiques et
des consignes rédactionnelles spécifiques, de même qu’il étend ses connaissances
lexicales par l’organisation de champs sémantiques. De la sorte, la production de cette «
œuvre de seconde main » comporte une indéniable fonction d’assimilation et de
mémorisation.
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Pouvant être utilisés comme charnière entre une révision de problèmes de cohésioncohérence
et une sensibilisation au domaine de l’argumentation/dissertation, ce groupe
d’exercices rassemble plusieurs strates. Pour conclure en restant dans la métaphore de
l’art culinaire, nous dirions que c’est un millefeuille, comme toute langue à apprendre.
Bibliographie
• ADAM , Jean-Michel, «Quels types de texte ?», Le Français dans le monde, nº192,
Paris, Hachette ; Les textes : types et prototypes, Paris, Nathan, coll. Université, 1992.
• BOUILLAGUET, Annick., L’ écriture imitative, Paris, Nathan,coll. Université, 1996.
• DESALMAND, Paul., TORT, Patrick., Du plan à la dissertation, Paris, Hatier, 1998.
• GENETTE, Gérard., Palimpsestes, la littérature au second degré, Paris, Seuil, coll.
«Poétique», 1982.
• PICOCHE, Jacqueline., Précis de lexicologie française, Paris, Nathan Université,
1977 ; Structures sémantiques du lexique français, Paris, Nathan Université, 1986.
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