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Clandestin-en-Un - Revue Onphi p.69 - 2009 - Xavier Pavie

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GILBERT KIEFFER<br />

La non-philosophie est aussi affaire de bon-s<strong>en</strong>s. C’est ce que pourra<br />

montrer son usage à l’approche des démarches esthétiques où l’homme<br />

ordinaire perd son latin.<br />

Donnons-nous une histoire amusante, de celles que se racont<strong>en</strong>t les<br />

passagers clandestins de la p<strong>en</strong>sée, p<strong>en</strong>dant leurs longues traversées. Elle est<br />

extraite du deuxième tome de Dom Quichotte, lorsque le pauvre idéaliste,<br />

qui avait perdu la raison, et son fidèle écuyer Sancho se voi<strong>en</strong>t embarqués<br />

dans une av<strong>en</strong>ture où ils sont ridiculisés une nouvelle fois. En effet, quelques<br />

nobles de la route décid<strong>en</strong>t, par jeu, de réaliser le rêve du vieux fou : celui<br />

de délivrer Ducinée du Toboso, prisonnière du magici<strong>en</strong> Malambruno. Ils<br />

affirm<strong>en</strong>t que ce dernier a <strong>en</strong>voyé un destrier magique qui permettra à Dom<br />

Quichotte et Sancho de s’<strong>en</strong>voler à sa r<strong>en</strong>contre. Ils band<strong>en</strong>t les yeux des<br />

pauvres malheureux et leur font <strong>en</strong>fourcher un vulgaire cheval de bois, qu’ils<br />

appell<strong>en</strong>t Clavileño.<br />

Ne sommes-nous pas dans la même situation que notre bon hidalgo quand<br />

on nous parle d’art conceptuel, de readymades, d’urinoirs métamorphosés,<br />

de pelle à neige, de voitures compactées, etc. ?<br />

Pourtant tout cela n’était pas ridicule au départ, car nous rêvions de<br />

pouvoir briser les cadres de la représ<strong>en</strong>tation pour nous <strong>en</strong> affranchir. Et il y<br />

avait assez d’artistes inspirés pour nous le faire croire : Kandinsky voyait dans<br />

l’expression minimale et abstraite de la peinture, une ess<strong>en</strong>ce spirituelle. Le<br />

spirituel dans l’art était selon lui dans l’esprit de la non représ<strong>en</strong>tation qui<br />

habite derrière chaque forme artistique. De sorte que la mission spirituelle<br />

de l’art consistait au fond, pour lui, à peindre l’âme spirituelle de la<br />

représ<strong>en</strong>tation même. Nous p<strong>en</strong>sions donc, avec lui et après lui, pouvoir<br />

directem<strong>en</strong>t rejoindre l’absolu et le traduire.<br />

C’est un rêve aussi fou que celui de Dom Quichotte, un rêve de grandes<br />

chevauchées sur des destriers célestes. En fait nous les faisions sur des<br />

chevaux de bois. Nous nommerons cette illusion qui nous empêche de voir le<br />

cheval de bois que nous avons <strong>en</strong>fourché, le symptôme de Clavileño<br />

justem<strong>en</strong>t.<br />

En clair, je suis artiste ; je fais quelques traits sur un fond noir ou blanc.<br />

Je veux peindre l’esprit de la végétation qui habite l’arbre c<strong>en</strong>t<strong>en</strong>aire qui me<br />

fait face, dans le parc de From<strong>en</strong>tin ou un autre. J’y crois. Je le vois cet<br />

esprit. Mais ce qu’autour de moi on reçoit n’est au fond qu’un cheval de bois,<br />

ri<strong>en</strong> d’autre que quelques traits indiffér<strong>en</strong>ts et maladroits sur un fond noir ou<br />

blanc. Je suis victime du symptôme de Clavileño. Et je ne suis pas le seul dans<br />

ce cas. Il me semble que les musées et les institutions de la mémoire, les<br />

hauts lieux de l’art soi<strong>en</strong>t victimes eux aussi de cette nouvelle illusion qui<br />

veut nous faire voir des choses que nous ne voyons pas, <strong>en</strong> nous faisant croire<br />

<strong>Clandestin</strong>ité, une ouverture<br />

le symPtôme de clavileño<br />

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