L'affaire Khaled Ben Saïd - Ligue des droits de l'Homme
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Mais à Jendouba, les choses ne s’arrangent guère. Aziz est marié <strong>de</strong>puis 1983 avec la douce Z., et<br />
ils ont ensemble cinq enfants. Depuis son départ, elle est régulièrement convoquée. Le 11 octobre<br />
1996, quatre hommes viennent la chercher. « On est allé au premier étage du commissariat <strong>de</strong> la<br />
torture, explique doucement Z., à Jendoba, tout le mon<strong>de</strong> l’appelle comme ça. Ils m’ont entraîné<br />
dans une pièce sans lumière, et ont appelé le chef, <strong>Khaled</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Saïd</strong>. Il m’a tout <strong>de</strong> suite humiliée<br />
en m’enlevant le foulard que j’ai sur la tête, et a commencé à me donner <strong><strong>de</strong>s</strong> coups <strong>de</strong> poing, sans<br />
me poser <strong>de</strong> questions. »<br />
Impunité institutionnalisée<br />
Les questions viennent après, sur Aziz. « Les coups ont duré presque une heure, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> insultes<br />
et toute sorte <strong>de</strong> mots mauvais », rougit Z. On la fait déshabiller et on l’attache en poulet rôti.<br />
Deux hommes la frappent sur les bras, le dos, les seins, à main nue, puis à coups <strong>de</strong> bâton. Elle est<br />
relâchée le len<strong>de</strong>main, en miettes.<br />
A Paris, Aziz obtient après une grève <strong>de</strong> la faim <strong>de</strong> faire venir sa famille. Le 18 octobre 1997, Z.<br />
passe récupérer son passeport. <strong>Ben</strong> <strong>Saïd</strong> est là. « Il m’a immédiatement reconnue, dit Z. Il a signé<br />
la page 4 <strong>de</strong> mon passeport et celui <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants. » Une nouvelle vie reprend enfin, dans un petit<br />
appartement du 17e arrondissement, à Paris. Puis Aziz apprend que <strong>Ben</strong> <strong>Saïd</strong> a été promu viceconsul<br />
<strong>de</strong> Tunisie à Strasbourg : pour lui, il est trop tard, les tortures sont prescrites. Pas pour Z.,<br />
qui porte plainte le 9 mai 2001 et souhaite que l’enquête i<strong>de</strong>ntifie « tous les responsables <strong>de</strong> la<br />
chaîne <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>ment incluant, le cas échéant, le général Zine Abidine <strong>Ben</strong> Ali »...<br />
L’affaire promet d’être épineuse et le parquet <strong>de</strong> Paris envoie le dossier à Strasbourg. Le 15<br />
novembre, Me Plouvier, comme tous les mois, s’interroge sur les lenteurs <strong>de</strong> l’enquête, et<br />
explique que sa cliente « s’inquiète <strong><strong>de</strong>s</strong> risques <strong>de</strong> fuite du mis en cause et s’émeut <strong>de</strong> l’impunité<br />
institutionnalisée dont bénéficient les tortionnaires du général <strong>Ben</strong> Ali ». Avec raison : <strong>Khaled</strong><br />
<strong>Ben</strong> <strong>Saïd</strong> est déjà parti.<br />
Le 2 novembre, un commissaire <strong>de</strong> Strasbourg l’a joint au téléphone, le diplomate a refusé <strong>de</strong> se<br />
rendre à la convocation. Le commissaire a rappelé pendant une semaine, puis, sur instruction <strong>de</strong><br />
Pascal Schultz, le procureur adjoint, il a convoqué le tortionnaire par écrit. En lui expliquant que<br />
la convention <strong>de</strong> Vienne sur les diplomates ne s’appliquait pas pour les crimes et qu’il serait bien<br />
aimable <strong>de</strong> venir au commissariat le 21 novembre...<br />
Un juge d’instruction a finalement été nommé le 16 janvier et a pris le dossier à bras le corps -<br />
trop tard. Le juge Jean-Louis Jacob a entendu Z., fait vérifier l’adresse <strong>de</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Saïd</strong> à Strasbourg,<br />
téléphoné en personne au consulat, perquisitionné chez le diplomate : il n’habitait plus là « <strong>de</strong>puis<br />
quatre ou cinq mois ». Depuis qu’il avait appris qu’on le recherchait, en somme.<br />
Le juge a signé le 15 février un mandat d’arrêt international. « <strong>Ben</strong> <strong>Saïd</strong> est prisonnier en Tunisie,<br />
soupire Aziz. C’est déjà quelque chose. »<br />
FRANCK JOHANNES<br />
GAJ. L’Affaire BEN SAId/12