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errances sur la falaise, le rêve de satin et de sang où le<br />
plongeait un amour espagnol, cette faiblesse superbe qu’il<br />
puisait dans l’alcool, le mystère de cette présence qui ne<br />
s’affirmait qu’en se dérobant. Depuis dimanche, il s’était<br />
hasardé à suivre Fouquet dans sa promenade, d’assez loin<br />
pour ne pas se trahir ; il l’avait vu s’asseoir dans les<br />
rochers, contemplant les enfants sur la plage, et il avait<br />
apprécié que le vice se pacifiât dans le spectacle de<br />
l’innocence. Le lendemain, il avait pénétré dans sa<br />
chambre sous prétexte de plomberie, sans intention de<br />
fracturer cette intimité, mais parce qu’il lui semblait<br />
soudain que c’était le seul endroit de la maison où il pût<br />
respirer. Il y apportait aussi quelque défi, car c’était peu<br />
après l’intervention de Suzanne. La chambre étant vide, il<br />
s’était attardé, cherchant malgré soi à retrouver sur le<br />
peigne ou la brosse, dans un creux de l’oreiller, à quelques<br />
graffiti du mur et jusque dans l’armature muette du<br />
nécessaire de voyage justement, les signes de l’aventure<br />
et de la passion qu’il savait habiter cette pièce. Cette<br />
expédition lui eût laissé un goût de capitulation, s’il n’eût<br />
déjà dépassé ce stade, renoué avec l’incertitude<br />
commune, où chacun n’épie l’autre que pour lui demander<br />
la vie, pour en surprendre moins le secret que la recette.<br />
Tout à l’heure, la présence de Fouquet dans cette salle à<br />
manger, où il s’était emmuré depuis dix ans, confirmerait<br />
que l’autarcie sentimentale était révolue.<br />
Fouquet ne connaissait pas encore ce réduit où il<br />
apercevait quelquefois, par la porte entrebâillée, Quentin<br />
en bras de chemise, les coudes sur la table, et Suzanne