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Les nouvelles<br />
L’aimant littéraire - ateliers d’écriture<br />
Chronique<br />
Décrivez-moi en détail le plaisir d’écrire !<br />
Pourquoi écrit-on ? Pour se faire plaisir.<br />
La réponse est évidente, n'est-ce pas ! À<br />
la réflexion, ce n'est pas si sûr. Si les<br />
écrivains sont intarissables sur leurs<br />
manières d'écrire, rares sont ceux qui<br />
parviennent à décrire avec précision ce<br />
qu'ils ressentent. À croire que le plaisir<br />
est honteux, obscène ou indicible. Voici<br />
quelques réponses glanées dans mes<br />
lectures.<br />
"On est dans un tel état d'extase que l'on<br />
n'a presque pas l'impression d'exister.<br />
Cela m'arrive souvent. Ma main paraît<br />
écrire toute seule, comme si je n'avais<br />
rien à voir avec ce qui se passe. Je reste<br />
assis à contempler tout cela avec admiration<br />
et étonnement. Ça coule tout seul.<br />
Mihály Csíkszentmihályi, psychologue, a<br />
décrit et nommé cet état " fluidité ".<br />
" La fluidité, c'est le summum de l'intelligence<br />
émotionnelle : les émotions mises<br />
au service de la performance ou de l'apprentissage.<br />
Celles-ci ne sont pas seulement<br />
maîtrisées et canalisées, mais<br />
aussi positives, chargées d'énergie et<br />
appropriées à la tâche à accomplir.<br />
Quand on est aux prises de l'ennui, de la<br />
dépression ou l'agitation de l'anxiété, la<br />
fluidité est hors d'atteinte. (…) C'est une<br />
expérience merveilleuse ; le sceau de la<br />
fluidité, c'est un sentiment de joie spontanée,<br />
voire de ravissement. Parce que la<br />
fluidité procure un bien-être intense, elle<br />
est intrinsèquement gratifiante. Quand<br />
l'individu s'absorbe complètement dans<br />
ce qu'il fait, y consacre la totalité de son<br />
attention, sa conscience se confond avec<br />
ses actions. (…) L'attention est si focalisée<br />
que la personne n'a conscience que<br />
du champ de perception étroit lié à ce<br />
qu'elle est en train de faire et perd toute<br />
notion de temps et de l'espace. (…)<br />
Dans un état de fluidité, l'individu ne<br />
pense plus à lui-même. Au lieu de se<br />
laisser envahir par une anxiété nerveuse,<br />
l'individu fluide est si absorbé par ce qu'il<br />
fait qu'il perd entièrement conscience de<br />
lui-même et oublie les tracas de la vie<br />
quotidienne. Dans ces moments-là, la<br />
personne est dépourvue d'ego. (…)<br />
Le plaisir spontané, la grâce et l'efficacité<br />
qui caractérisent la fluidité sont incompatibles<br />
avec les coups d'états émotionnels.<br />
", Daniel Goleman, L'intelligence<br />
émotionnelle, Ed. Robert Laffont.<br />
Personnellement, c'est ce que je ressens.<br />
La curiosité agissant, je suis allée<br />
fouiller dans quelques livres, histoire de<br />
voir comment d'autres auteurs vivaient<br />
ces plaisirs à écrire. Tout d'abord, une<br />
petite visite chez l'un des papes de la<br />
didactique de l'écriture : Roland Barthes.<br />
" Le plaisir du texte n'est pas forcément<br />
celui qui relate des plaisirs, le texte de<br />
jouissance n'est jamais celui qui raconte<br />
une jouissance. Le plaisir de la représentation<br />
n'est pas lié à son objet : la pornographie<br />
n'est pas sûre. En termes zoologiques,<br />
on dira que le lieu du plaisir<br />
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textuel n'est pas le rapport du mime et du<br />
modèle (rapport d'imitation), mais celui<br />
du dupe et du mime (rapport de désir, de<br />
production). " Ce qui laisse entendre que<br />
le plaisir n'est pas le sujet du texte, mais<br />
ce qui précède, l'accompagne ou suit sa<br />
production. Éprouver du plaisir et l'écrire<br />
sont deux actions qui ne peuvent s'envisager<br />
en même temps. L'un finit par se<br />
soustraire à l'autre. En général, l'action<br />
annule le commentaire. Ce que confirme<br />
Roland Barthes dans Le plaisir du texte.<br />
Coll. Tel Quel, Le seuil : " L'écriture est<br />
ceci : la science de jouissance du langage,<br />
son kamasoutra n'a qu'un seul<br />
traité : l'écriture elle-même. " Certains<br />
auteurs expliquent que leur bonheur<br />
n'est pas d'écrire, mais d'avoir écrit, de<br />
disposer d'un texte dont ils sont l'auteur.<br />
Écrire leur demande trop d'efforts, de<br />
sacrifices, de patience. Certains avouent<br />
même se confronter à la solitude, le<br />
doute, l'incompréhension de leur entourage<br />
qui voudrait bien comprendre d'où<br />
vient cette rage d'écrire.<br />
La description la plus surprenante que<br />
j'ai obtenue est celle-ci. J'ai découvert<br />
que l'orgasme mental existait, qu'il était<br />
possible de jouir autant de son esprit que<br />
de son corps. Aurélie Bonnafoux le décrit<br />
dans son Mémoire de maîtrise de psychologie<br />
clinique. Université Paris X<br />
Nanterre - Année 2004-2005. Il s'agirait<br />
de l'envahissement mental par quelque<br />
chose d'imprévu, différent des messages<br />
sensoriels et sensitifs habituels, d'un<br />
éclatement des limites ordinaires du moi,<br />
s'accompagnant d'un plaisir spécifique<br />
pouvant aboutir à une décharge orgasmique.<br />
Cela ressemble de très près à un<br />
coup de foudre...<br />
Que dire de plus ? Écrivez ! "<br />
Jocelyne Barbas