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Les nouvelles L’aimant littéraire - ateliers d’écriture Nouvelle L’infini vertical où il est question d’un tout premier désir d’écrire... Mon père écartait l'élastique et ouvrait précautionneusement son petit carnet noir de crainte d'échapper un bout de papier et laisser tomber le petit crayon de bois enserré dans sa bague de cuir. La grosseur de ses doigts, écrasés par les charges et des années de métier, l'avait rendu définitivement maladroit. Il essuyait régulièrement ses lunettes de la poussière et de menues projections. Le ciment s'était aggloméré en petites boules aux extrémités des manches de son pull. Elles rayaient ses verres de lunettes et s'agitaient à chaque mouvement de ses grosses mains. Il réfléchissait avant de noter des signes, des chiffres, des mesures, des plans, des numéros de téléphone de ses clients, de ses fournisseurs, des listes de mots, des choses à faire et à ne pas oublier. Je le regardais attentivement ouvrir ce carnet, le fermer en allongeant l'élastique et le ranger dans une poche arrière de son jean. Le petit crayon conviendrait à ma main d'enfant. J'en eus l’immédiate conviction. La régularité des petits carreaux était de toute beauté. La blancheur du papier, la douceur de la feuille que j'avais effleuré du bout des doigts sur d’anciens carnets délaissés dans son bureau me plaisait. L'envie de gribouiller m'obsédait. J'avais la folle envie de faire des grands huit qui s'enchaîneraient et ne s'arrêteraient jamais. Je m'exerçais dès que je pouvais sur des feuilles que je trouvais çà et là. Un jour, ce carnet est tombé de la poche de mon père. Je le lui ai volé. Je me suis cachée derrière le lit parental et j'ai tracé mon huit ininterrompu, mon " infini vertical ", sans relever le Bic. Doucement tout d'abord puis de plus en plus vite, saturant la page d'encre et m'arrêtant juste avant de la percer. J'y ai mis ma candeur, toute ma conviction et toute mon énergie. Je conserve le souvenir d'un abandon à une joie inédite. Jusqu'au moment où je pris conscience que ce carnet était devenu une preuve. J'avais griffonné et cela se voyait. Mon père allait le chercher, le réclamer et le reprendre. Paniquée, je n'avais plus d'autre choix que de le cacher et de me taire. C'était mon premier secret. Je ne résistais pas très longtemps à l'envie de sortir ce trésor de ma poche et retrouver ce plaisir de la tension de l'élastique qui cède sous la pression d'un doigt et donne accès à cette ouverture, à toutes ces pages vierges. Je renouvelais dans ce même élan les délices du crayonné. Je fus surprise par mon frère aîné de huit ans. Un échange de regards décisifs scella le début d'une histoire qui ne tourna pas à mon avantage. Coupable, je fermais vite ce carnet et le replaçais dans ma poche. Ce frère était peut-être venu me chercher pour jouer ? Non. Il préférait de toute évidence les filles un peu plus âgées que sa petite sœur. L'injonction maternelle rétablit provisoirement la conversation : " Pour une fois ! Joue au moins avec elle". Ravie, je me mis à le suivre dans le jardin. Nous avons dévalé le grand terrain en pente pour nous engouffrer dans le petit chemin qui conduisait à un bois derrière chez nous. J'y connaissais toutes les aspérités, les creux, les pierres et les racines des arbres. Il courait de plus en plus vite ce qui me fit rire au début. J'essayais de tenir la cadence et j'avais beau redoubler mes efforts, mes petites jambes ne me permettaient pas de le rattraper et de passer les obstacles. Le chemin était barré par un amoncellement d'arbres coupés. Il fallait soulever tout mon corps pour me hisser avec peine : certains troncs étaient glissants. Mon col- 14 La coupable à peu près au moment des faits ! lier de perles se prit dans une branche. Je vis mon frère s'éloigner à grandes enjambées. Lorsque je réussis à me libérer, je regardai les perles tomber par terre et rouler. Il avait disparu. Je l'appelai. Aucune réponse. Je ramassais quelques perles et sentis de grosses larmes couler sur mes joues. Je m'entendis hurler : " Je le dirai à maman ! " Ce fut à l'évidence une très mauvaise idée. Je rebroussai chemin et rentrai seule dans une maison vide. La discussion se poursuivit plus tard dans la journée. Mon frère revint radieux, accompagné de deux copines de son âge et avec lesquelles il faisait des choses qu'il ne fallait pas dire aux parents. " Pourquoi tu ne m'as pas attendue… tu vas voir, je vais le dire ! - T'as rien à dire ! Tu verras toi aussi le jour où tu auras un petit copain, je ne viendrai pas t'embêter… Si tu parles… moi je dirai que tu as volé le carnet ! " Il ne me restait plus qu'à ajouter le chantage à la menace dans cette pauvre petite conscience qui devenait de plus en plus mauvaise. J'en éprouvais une angoisse incoercible. Maintenant, je le savais. J'avais beau tourner le problème dans tous les sens, j'étais parvenue à la conclusion qu'il était impossible de rendre quoi que ce soit à mon père et surtout pas ce carnet, même en déchirant les pages fautives. J'avais trop envie de faire comme lui, de noter tout ce qui me passait par la tête. J'avais déjà essayé sa machine à écrire, son papier à lettres
Les nouvelles L’aimant littéraire - ateliers d’écriture à entête, pris ces airs absorbés comme lorsqu'il réfléchissait dur, en se massant légèrement le front du bout des doigts et actionné les touches métalliques de Remington de mes deux index tendus. Enragé, mon père fouillait la maison. " Tu vas le retrouver, je te dis ! " assurait ma mère pour le calmer. Il m'observait dubitatif. " Et toi, tu n'as rien vu pas hasard ?" Je limitais mes réponses à quelques hochements négatifs de la tête. Le silence me protégeait de l'inévitable trahison de ma voix. Il avait besoin de ce carnet pour faire ses devis. La grande inspection a duré de longs jours. Le cœur battant, guettant le moment propice où j'étais toute seule à la maison, je changeais souvent ce carnet de place jusqu'à ce que je trouve la cachette idéale : en dessous du tas de linge sale, là où personne ne fouillerait. Les questions redoublaient et me troublaient. La suspicion régnait. Mon père s'énervait avec une rare constance et se mettait à gueuler dès qu'une oreille passait à sa portée. Même le chien y avait droit. Puis ma mère fit la lessive. Ce détail m'avait complètement échappé. C'est elle qui le lui a rendu. " Tu vois bien qu'il est là ! Tu ne sais jamais ce que tu fais de tes affaires. C'était bien la peine de rouspéter autant ! Il est tout simplement tombé de ta poche." Mon père l'examina. En quelques secondes, tous ces infinis verticaux m'avaient trahie. J'étais une voleuse, une menteuse et une gribouilleuse. J'avais résisté durant toute une semaine à l'inquisition paternelle et à son assaut verbal sans jamais ne rien laisser échapper. Cette détermination lui fit froid dans le dos. J'avais quatre ans. " On se demande ce qui lui passe par la tête ! " grogna-t-il. Il n'a pas compris que j'aurais bien aimé qu'il m'accorde la même importance et la même urgence qu’à cet objet. Voilà pourquoi j'écris : pour avoir un jour la même valeur que ce carnet auprès de mes lecteurs. Au fil du temps, je suis devenue une consommatrice de carnets à élastiques, noirs, ces fameux Moleskine. Et ceux-là, personne ne les cherche ! Jocelyne Barbas Parlons-en ! La discussion du mois est un espace de libre expression, ouverte à tous, sans engagement, qui permet d'explorer différents thèmes : - L'écriture - La littérature - La création littéraire - L'apprentissage de l'écriture créative - L'actualité des parutions - Le statut des écrivains - Les évolutions du livre Régulièrement, des dossiers thématiques sont réalisés à partir de ces échanges. Ils sont enrichis par des articles de fond et des citations d'auteur. Ces discussions se déroulent simultanément sur trois forums : - Le premier ouvert à tous et correspond au forum de <strong>L'esprit</strong> livre - Le second, dans l'atelier d'écriture d'initiation de L'aimant littéraire - Le troisième dans l'atelier de formation de L'aimant littéraire Ces dossiers sont adressés ensuite aux abonnés de la liste " Les discussions de L'aimant littéraire. " Ceux-ci ne clôturent pas la discussion pour autant. Il est toujours possible de commenter, de questionner, de prendre des contres exemples ou d'apporter des informations et des réflexions nouvelles. 15 Afin de nous faire connaître votre intérêt, nous vous remercions de vous inscrire sur cette liste. Dans le cas contraire, vous ne recevriez pas les prochaines invitations à participer. Vous remerciant de votre compréhension. Cliquez sur ce lien : s’abonner à la discussion du mois http://www.esprit-livre.com/les_discussions_abonnement.html Discussion en cours ! A quoi vous sert l’écriture ? Que cherchez-vous à réaliser lorsque vous écrivez ? Qu'est-ce qui vous est si personnel dans cette démarche ? L'originalité tient à la fois à l'usage de l'écriture, de ce qui est écrit que de la lecture de ces textes. Un vaste sujet de discussion en perspective… Cela se passe ici Forum public http://esprit-livre.forumactif.org/t16-la-discussion-du-mois-a-quoi-vous-sert-l-ecriture#54 Initiation http://initiation.cours-ecriture.org/i-forum/i-atelier-dinitiation/i-libre-expression/514-ladiscussion-du-mois-a-quoi-vous-sert-l-ecriture.html#514 Formation http://formation.cours-ecriture.org/f-forum/la-discusion-du-mois/2579-la-discussiondu-mois-a-quoi-vous-sert-l-ecriture.html#2833
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