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Écrivain prolifique,<br />
animateur à Espace<br />
Musique, trompettiste<br />
amateur et père de<br />
famille épuisé, Stanley<br />
Péan est rédacteur en<br />
chef du <strong>libraire</strong>.<br />
I CI COMME AILLEURS<br />
Ces derniers temps, sur la scène romanesque québécoise, deux vétérans et une nouvelle<br />
venue ont retenu mon attention avec des œuvres certes fort différentes et néanmoins<br />
traversées discrètement par un thème commun : le rapport au père (biologique ou<br />
symbolique), qui permet aux personnages de se définir.<br />
La révélation de l’automne 2010<br />
Ce n’est pas courant, mais il arrive qu’un premier livre sorti de nulle part, sans battage<br />
promotionnel excessif, s’impose et propulse sans préavis son auteur à l’avant-scène. Au<br />
fil du dernier quart de siècle, ce fut le cas de Comment faire l’amour avec un nègre sans<br />
se fatiguer de Dany Laferrière, de Vamp de Christian Mistral, de La<br />
Rage de Louis Hamelin, du Souffle de l’harmattan de Sylvain Trudel,<br />
de Putain de Nelly Arcan et, plus récemment, de Du bon usage des<br />
étoiles de Dominique Fortier. C’est assurément le cas de L’homme<br />
blanc, qui a valu à la nouvelle venue Perrine <strong>Le</strong>blanc le Grand Prix du<br />
livre de Montréal 2010. Ce n’est pas rien.<br />
Pied de nez au mythe tenace selon lequel la première œuvre est<br />
systématiquement autobiographique, L’homme blanc raconte<br />
une histoire en apparence détachée du vécu de la jeune romancière<br />
et, surtout, à mille lieues du Québec contemporain. Né en<br />
1937 dans un camp de travail stalinien en Sibérie, Kolia, son héros,<br />
apprend à voler avant de se lier d’amitié avec Iossif (qui porte le<br />
même prénom que le dictateur), qui lui apprend à lire le russe et<br />
le français. À cause de la mystérieuse disparition de celui-ci, notre<br />
enfant du goulag perd le seul être envers lequel il pouvait éprouver un attachement filial.<br />
Après la mort du « petit père des peuples », quand Khrouchtchev accorde une amnistie<br />
aux prisonniers, notre orphelin rêve de parcourir le monde libre; à Moscou, des années<br />
plus tard, il sera clown cleptomane au maquillage blanc (d’où le titre du livre).<br />
Bien qu’il évoque un demi-siècle de bouleversements en Russie, L’homme blanc n’est<br />
pas un roman historique à proprement parler. Raconté dans une langue sobre et froide<br />
(une écriture « blanche »?), caractérisée par un refus du pathos et de l’épanchement, le<br />
roman impressionne néanmoins par la force de son élan narratif, le souci du détail plus<br />
vrai que nature (fruit de recherches rigoureuses, sans doute), sans oublier la dureté et la<br />
vérité de son propos. C’est manifestement l’authenticité de ce livre sans compromis que<br />
le jury du GPLVM a voulu souligner en primant Perrine <strong>Le</strong>blanc plutôt<br />
que des écrivains d’expérience (Louis Hamelin, Élise Turcotte et<br />
Marie-Claire Blais) également en lice cette année. Au risque de me<br />
répéter, ce n’est pas rien.<br />
L’écrivain et son double<br />
Je croyais bien connaître Sylvain Meunier, pour avoir lu plusieurs<br />
de ses précédents ouvrages (la trilogie « Lovelie d’Haïti », L’homme<br />
qui détestait le golf) et pour l’avoir côtoyé au conseil<br />
d’administration de l’UNEQ durant des années. Or, il se<br />
trouve que je faisais sa rencontre pour la première<br />
fois dans les pages de La nuit des infirmières<br />
psychédéliques. Sans doute faudrait-il dissocier l’auteur du<br />
protagoniste et narrateur de ce roman paru cet automne<br />
L’HOMME BLANC<br />
Perrine <strong>Le</strong>blanc<br />
<strong>Le</strong> Quartanier<br />
184 p. | 21,95$<br />
LA NUIT DES<br />
INFIRMIÈRES<br />
PSYCHÉDÉLIQUES<br />
Sylvain Meunier<br />
La courte échelle<br />
274 p. | 27,95$<br />
LA CHRONIQUE DE STANLEY PÉAN<br />
aux éditions de la courte échelle. Seulement, l’un et l’autre s’escriment à brouiller<br />
malicieusement les frontières qui les distinguent, au fil de cette affabulation<br />
labyrinthique qui n’est pas sans évoquer l’esprit de Jorge Luis Borges ou<br />
d’Italo Calvino.<br />
Tout débute quand un romancier du nom de Sylvain Meunier rend visite à son<br />
vieux père, cloué à un lit d’hôpital, qui lui raconte avoir vu des infirmières au visage<br />
peint en rouge déambuler en chantant dans les couloirs de l’institution. Tout<br />
auteur de polar qu’il soit, Meunier s’imagine d’abord le vieil homme en proie à<br />
des hallucinations, jusqu’à ce qu’il soit à son tour témoin de l’ahurissante<br />
mascarade, prélude à une cérémonie insolite. Du coup, il entreprend d’éclaircir le<br />
mystère. De révélation en révélation, il descendra au péril de sa vie dans les<br />
ténèbres du tunnel Louis-Hippolyte Lafontaine, théâtre présumé de la machination<br />
fantastique. Mais que se passe-t-il au juste? L’auteur est-il devenu un de ses personnages,<br />
ou la fiction qu’il fréquente comme créateur a-t-elle contaminé la réalité?<br />
En dire davantage en reviendrait à hypothéquer votre éventuel plaisir de lecture<br />
de ces pages de ce suspense rocambolesque qui aborde avec humour et intelligence<br />
de riches thématiques, telles que le rapport au père ou la fiction<br />
romanesque vue comme une galerie de miroirs déformants.<br />
À mi-chemin sur ce chemin-là<br />
Il est aussi question des rapports entre père et fils dans <strong>Le</strong> droit<br />
chemin, sixième roman de David Homel à paraître dans la langue de<br />
Molière. Je déplore qu’on ait choisi ce titre français beaucoup moins<br />
bien trouvé que l’original, Midway, qui témoignait plus adéquatement<br />
du lieu où se situe le héros, Ben Allan, quinquagénaire à la<br />
croisée des chemins, en quelque sorte, et à mi-chemin entre<br />
Morris, son octogénaire veuf de père au langage vert entré<br />
en maison de retraite, et Tony, son ado de fils qui passe le<br />
plus clair de ses journées devant la télé.<br />
littérature québécoise<br />
Pères et fils<br />
LE DROIT CHEMIN<br />
David Homel<br />
<strong>Le</strong>méac/Actes Sud<br />
408 p. | 35,95$<br />
Prof de littérature à l’université, Ben Allan a remporté un prix<br />
pour un essai sur la dromomanie, l’équivalent masculin de l’hystérie, un trouble<br />
pathologique qui, au XIX e siècle, poussait les hommes à fuir. Ça tombe bien : en proie<br />
au démon du midi, Ben rêve au fond de fuir le confort de sa petite vie avec Laura,<br />
son épouse qui fait de l’art thérapeutique, mais pour aller où? L’occasion d’échapper<br />
à son quotidien se présentera sous les traits de Carla McWatts, relationniste qui<br />
éveillera les pulsions libidinales endormies de cet intello. Mais plutôt que l’aventure<br />
extraconjugale convenue qui a fait l’objet de tant de romans, Homel réserve d’autres<br />
péripéties à son héros en mettant sur sa route un galeriste inquiétant et un psychiatre<br />
mégalomane (oui, je sais, la formule peut sembler pléonastique!).<br />
L’auteur de L’analyste semble s’être lancé le défi de raconter une histoire simple, sans<br />
coup de théâtre autre que ceux que réservent les vies ordinaires. Ce défi, il le relève<br />
avec brio et maintient l’intérêt avec sa réjouissante ironie qui se déploie dans la<br />
description du milieu universitaire; avec ses portraits vivement croqués de personnages<br />
attachants; et, surtout, dans un registre auquel Homel ne nous avait guère<br />
habitués, avec l’émouvante évocation du deuil de Morris Allan. Du grand art.<br />
LE LIBRAIRE • FÉVRIER - MARS 2011 • 19