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Numéro 63 - Le libraire

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Écrivain prolifique,<br />

animateur à Espace<br />

Musique, trompettiste<br />

amateur et père de<br />

famille épuisé, Stanley<br />

Péan est rédacteur en<br />

chef du <strong>libraire</strong>.<br />

I CI COMME AILLEURS<br />

Ces derniers temps, sur la scène romanesque québécoise, deux vétérans et une nouvelle<br />

venue ont retenu mon attention avec des œuvres certes fort différentes et néanmoins<br />

traversées discrètement par un thème commun : le rapport au père (biologique ou<br />

symbolique), qui permet aux personnages de se définir.<br />

La révélation de l’automne 2010<br />

Ce n’est pas courant, mais il arrive qu’un premier livre sorti de nulle part, sans battage<br />

promotionnel excessif, s’impose et propulse sans préavis son auteur à l’avant-scène. Au<br />

fil du dernier quart de siècle, ce fut le cas de Comment faire l’amour avec un nègre sans<br />

se fatiguer de Dany Laferrière, de Vamp de Christian Mistral, de La<br />

Rage de Louis Hamelin, du Souffle de l’harmattan de Sylvain Trudel,<br />

de Putain de Nelly Arcan et, plus récemment, de Du bon usage des<br />

étoiles de Dominique Fortier. C’est assurément le cas de L’homme<br />

blanc, qui a valu à la nouvelle venue Perrine <strong>Le</strong>blanc le Grand Prix du<br />

livre de Montréal 2010. Ce n’est pas rien.<br />

Pied de nez au mythe tenace selon lequel la première œuvre est<br />

systématiquement autobiographique, L’homme blanc raconte<br />

une histoire en apparence détachée du vécu de la jeune romancière<br />

et, surtout, à mille lieues du Québec contemporain. Né en<br />

1937 dans un camp de travail stalinien en Sibérie, Kolia, son héros,<br />

apprend à voler avant de se lier d’amitié avec Iossif (qui porte le<br />

même prénom que le dictateur), qui lui apprend à lire le russe et<br />

le français. À cause de la mystérieuse disparition de celui-ci, notre<br />

enfant du goulag perd le seul être envers lequel il pouvait éprouver un attachement filial.<br />

Après la mort du « petit père des peuples », quand Khrouchtchev accorde une amnistie<br />

aux prisonniers, notre orphelin rêve de parcourir le monde libre; à Moscou, des années<br />

plus tard, il sera clown cleptomane au maquillage blanc (d’où le titre du livre).<br />

Bien qu’il évoque un demi-siècle de bouleversements en Russie, L’homme blanc n’est<br />

pas un roman historique à proprement parler. Raconté dans une langue sobre et froide<br />

(une écriture « blanche »?), caractérisée par un refus du pathos et de l’épanchement, le<br />

roman impressionne néanmoins par la force de son élan narratif, le souci du détail plus<br />

vrai que nature (fruit de recherches rigoureuses, sans doute), sans oublier la dureté et la<br />

vérité de son propos. C’est manifestement l’authenticité de ce livre sans compromis que<br />

le jury du GPLVM a voulu souligner en primant Perrine <strong>Le</strong>blanc plutôt<br />

que des écrivains d’expérience (Louis Hamelin, Élise Turcotte et<br />

Marie-Claire Blais) également en lice cette année. Au risque de me<br />

répéter, ce n’est pas rien.<br />

L’écrivain et son double<br />

Je croyais bien connaître Sylvain Meunier, pour avoir lu plusieurs<br />

de ses précédents ouvrages (la trilogie « Lovelie d’Haïti », L’homme<br />

qui détestait le golf) et pour l’avoir côtoyé au conseil<br />

d’administration de l’UNEQ durant des années. Or, il se<br />

trouve que je faisais sa rencontre pour la première<br />

fois dans les pages de La nuit des infirmières<br />

psychédéliques. Sans doute faudrait-il dissocier l’auteur du<br />

protagoniste et narrateur de ce roman paru cet automne<br />

L’HOMME BLANC<br />

Perrine <strong>Le</strong>blanc<br />

<strong>Le</strong> Quartanier<br />

184 p. | 21,95$<br />

LA NUIT DES<br />

INFIRMIÈRES<br />

PSYCHÉDÉLIQUES<br />

Sylvain Meunier<br />

La courte échelle<br />

274 p. | 27,95$<br />

LA CHRONIQUE DE STANLEY PÉAN<br />

aux éditions de la courte échelle. Seulement, l’un et l’autre s’escriment à brouiller<br />

malicieusement les frontières qui les distinguent, au fil de cette affabulation<br />

labyrinthique qui n’est pas sans évoquer l’esprit de Jorge Luis Borges ou<br />

d’Italo Calvino.<br />

Tout débute quand un romancier du nom de Sylvain Meunier rend visite à son<br />

vieux père, cloué à un lit d’hôpital, qui lui raconte avoir vu des infirmières au visage<br />

peint en rouge déambuler en chantant dans les couloirs de l’institution. Tout<br />

auteur de polar qu’il soit, Meunier s’imagine d’abord le vieil homme en proie à<br />

des hallucinations, jusqu’à ce qu’il soit à son tour témoin de l’ahurissante<br />

mascarade, prélude à une cérémonie insolite. Du coup, il entreprend d’éclaircir le<br />

mystère. De révélation en révélation, il descendra au péril de sa vie dans les<br />

ténèbres du tunnel Louis-Hippolyte Lafontaine, théâtre présumé de la machination<br />

fantastique. Mais que se passe-t-il au juste? L’auteur est-il devenu un de ses personnages,<br />

ou la fiction qu’il fréquente comme créateur a-t-elle contaminé la réalité?<br />

En dire davantage en reviendrait à hypothéquer votre éventuel plaisir de lecture<br />

de ces pages de ce suspense rocambolesque qui aborde avec humour et intelligence<br />

de riches thématiques, telles que le rapport au père ou la fiction<br />

romanesque vue comme une galerie de miroirs déformants.<br />

À mi-chemin sur ce chemin-là<br />

Il est aussi question des rapports entre père et fils dans <strong>Le</strong> droit<br />

chemin, sixième roman de David Homel à paraître dans la langue de<br />

Molière. Je déplore qu’on ait choisi ce titre français beaucoup moins<br />

bien trouvé que l’original, Midway, qui témoignait plus adéquatement<br />

du lieu où se situe le héros, Ben Allan, quinquagénaire à la<br />

croisée des chemins, en quelque sorte, et à mi-chemin entre<br />

Morris, son octogénaire veuf de père au langage vert entré<br />

en maison de retraite, et Tony, son ado de fils qui passe le<br />

plus clair de ses journées devant la télé.<br />

littérature québécoise<br />

Pères et fils<br />

LE DROIT CHEMIN<br />

David Homel<br />

<strong>Le</strong>méac/Actes Sud<br />

408 p. | 35,95$<br />

Prof de littérature à l’université, Ben Allan a remporté un prix<br />

pour un essai sur la dromomanie, l’équivalent masculin de l’hystérie, un trouble<br />

pathologique qui, au XIX e siècle, poussait les hommes à fuir. Ça tombe bien : en proie<br />

au démon du midi, Ben rêve au fond de fuir le confort de sa petite vie avec Laura,<br />

son épouse qui fait de l’art thérapeutique, mais pour aller où? L’occasion d’échapper<br />

à son quotidien se présentera sous les traits de Carla McWatts, relationniste qui<br />

éveillera les pulsions libidinales endormies de cet intello. Mais plutôt que l’aventure<br />

extraconjugale convenue qui a fait l’objet de tant de romans, Homel réserve d’autres<br />

péripéties à son héros en mettant sur sa route un galeriste inquiétant et un psychiatre<br />

mégalomane (oui, je sais, la formule peut sembler pléonastique!).<br />

L’auteur de L’analyste semble s’être lancé le défi de raconter une histoire simple, sans<br />

coup de théâtre autre que ceux que réservent les vies ordinaires. Ce défi, il le relève<br />

avec brio et maintient l’intérêt avec sa réjouissante ironie qui se déploie dans la<br />

description du milieu universitaire; avec ses portraits vivement croqués de personnages<br />

attachants; et, surtout, dans un registre auquel Homel ne nous avait guère<br />

habitués, avec l’émouvante évocation du deuil de Morris Allan. Du grand art.<br />

LE LIBRAIRE • FÉVRIER - MARS 2011 • 19

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