RETOUR DU FROID : LE BOSPHORE GELÉ Après une certaine ...
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(uniiiiii <strong>LE</strong> 14 AVRIL 1929 ••■'•■■■■'■•■iiiiiiniiiniiiniiiiiiiiiiiiiiiiiiiiniiiiiiiiiiiiniiiiiiiiiiiiiiimiiiniiiiiiiiiiiiiiii 5 iiiiiuiiiiiiiuiuiiiutuiuniiinniiiiiiiiimiiiiiiuiitiimiimiiiiiiiifiiiiiiiitiiniii DIMANCHE-ILLUSTRÉ mmm<br />
<strong>LE</strong>S ROMANS DE LA VIE<br />
<strong>LE</strong> <strong>DU</strong>C DE CHARTRES, RÉGENT DE FRANCE<br />
ANS la nuit du 4 août 1674 naissait,<br />
au château de Saint-Cloud, Mgr le<br />
duc de Chartres, deuxième fils de<br />
Monsieur, frère du roi, et de<br />
Madame, princesse Palatine.<br />
Il était impossible de trouver<br />
deux natures physiquement et moralement<br />
plus opposées, plus disparates que celles des<br />
parents de cet enfant. Monsieur, efféminé, joli,<br />
maniéré ; Madame, au contraire, essentiellement<br />
masculine, grande, exubérante, peu<br />
séduisante, affectant un franc-parler de harengère<br />
et, au demeurant, la meilleure personne du<br />
monde.<br />
Le je<strong>une</strong> duc de Chartres bénéficia des<br />
qualités de chacun de ses parents sans en posséder<br />
les outrances ; il avait la beauté, la grâce<br />
de son père et, en même temps, le sens pratique<br />
de sa mère et son ardeur de vivre. C'était, en<br />
un mot,/ un enfant admirablement doué, et<br />
si, plus tard, il ne sut pas suffisamment réfréner<br />
son goût immodéré du plaisir, il ne_ lui<br />
sacrifia cependant jamais les devoirs considérables<br />
qu'il eut à remplir.<br />
Ce fut la princesse Palatine qui veilla sur sa<br />
première éducation, et, en femme sensée, elle<br />
s'effrayait, dès que l'enfant eut trois ans, de la<br />
' précocité de son intelligence.<br />
— On m'a prédit, disait-elle avec son francparler,<br />
que cet enfant Serait pape ; je crains<br />
plutôt qu'il devienne l'Antéchrist.<br />
A six ans, le duc de Chartres sortit des mains<br />
" des femmes pour passer dans celles de diffé-<br />
. rents précepteurs. C'était un élève doux et<br />
docile, qui imposait, à tous l'admiration par<br />
son intelligence prodigieuse, la souplesse et les<br />
qualités de ses dons si divers. Aussi son père<br />
' le traita-t-il rapidement en homme. A treize<br />
ans, le duc de Chartres avait, au Palais Royal,.<br />
où habitaient ses parents, sa maison personnelle<br />
et indépendante. Malgré cette liberté, il<br />
apportait au travail un zèle égal au plaisir<br />
qu'il ne se refusait déjà pas.<br />
Ce fut à cette époque qu'il tomba sous la<br />
férule de cet abbé Dubois, ecclésiastique de<br />
valeur, dont il fera, plus tard, un cardinal et un<br />
premier ministre. A côté de lui, les maîtres les<br />
plus éminents collaborèrent à sa formation<br />
intellectuelle : Fontenelle, pour les sciences ;<br />
Chevalier, pour les mathématiques ; Coypel,<br />
pour les arts du dessin, et, grâce a ces maîtres,<br />
il était, à seiee ans, un je<strong>une</strong> homme accompli.<br />
Aux fêtes somptueuses données par son pere,<br />
[ on admirait Philippe passant parmi les convives,<br />
élégant dans ses habits de soie et d'or ;<br />
' à Saint-Cloud, sa je<strong>une</strong>sse était la joie de la<br />
.maison ; à Versailles, au temps des chasses, il<br />
"se montrait le cavalier le plus intrépide et attirait<br />
sur lui l'attention de toute la cour.<br />
Louis XIV, par contre, considérait sans aménité<br />
ce beau je<strong>une</strong> homme, supérieur à ses<br />
; propres enfants, tant par l'extérieur que par<br />
l'esprit et le caractère.<br />
Oh était en 1691, la troisième année de la<br />
guerre de la Ligue d'Augsbourg ; le roi avait<br />
pris le commandement de l'armée que dirigeait<br />
le maréchal'de Luxembourg et il avait dû<br />
céder à la prière de. Monsieur qui .lui avait<br />
demandé « de lui faire l'honneur des premières<br />
armes de son fils ». Ce fut ainsi que le je<strong>une</strong><br />
homme, accompagna Louis XIV au siège de<br />
-Mons. Il se conduisit héroïquement dès son<br />
premier combat, toujours suivi par son fidèle<br />
abbé Dubois qui ne le quitta jamais, même<br />
^dans les tranchées.<br />
<strong>LE</strong> maréchal de Luxembourg, séduit par<br />
cette je<strong>une</strong> bravoure, le garda dans son<br />
état-major. lorsque le je<strong>une</strong> homme revint de<br />
l'armée, Louis XIV jugea qu'il ne devait pas<br />
bouder plus longtemps un garçon aussi remarquable<br />
et songea même à le marier à sa fille<br />
légitime, MUa de Blois. Ce mariage/si flatteur<br />
qu'il parût, ne fut pas du goût de la princesse<br />
Palatine, qui, cependant, dut s'mcliner devant<br />
la volonté du roi. Le mariage fut célébré<br />
magnifiquement et <strong>une</strong> année de bonheur le<br />
suivit pour les je<strong>une</strong>s époux. Mais le duc de<br />
Chartres n'était pas homme à se contenter de<br />
l'existence inactive et trop facile qu'on voulait<br />
lui faire. Aussi, au bout de très peu de temps,<br />
il quitta sa je<strong>une</strong> épouse pour rejoindre l'armée<br />
des Flandres. De nouveau, il s'y conduisit courageusement<br />
et fut blessé à la tête de la brigade<br />
des gardes. Sa mère, à la suite de cette blessure,'<br />
exigea son retour, et le je<strong>une</strong> homme se<br />
t<br />
leta alors avec, frénésie vers les arts, faisant à<br />
a fois de la peinture et de la musique.<br />
A ce moment, Monsieur mourut brusquement.<br />
Louis XIV fit appeler le je<strong>une</strong> homme et<br />
lui annonça gravement que, dorénavant, il<br />
devait le considérer comme son père et que<br />
c'était à lui qu'incombait le devoir d'assurer<br />
sa grandeur et ses intérêts. Malgré ces belles<br />
promesses, le duc de Chartres fut obligé d'attendre<br />
de longs mois avant que le roi consentît<br />
à lui donner un commandement. Il finit par<br />
lui en donner un en Italie, et ce commandement<br />
ne fut pas heureux par suite des rivalités<br />
de cour qui empêchèrent le chef de donner<br />
sa véritable mesure, mais, par contre, il se<br />
conduisit avec courage et fut de nouveau<br />
A peine guéri, 11 repartit pour l'Espagne,<br />
et là ses succès turent foudroyants : en quelques<br />
i»oi3, il prend Barcelone, conquiert l'Aragon et<br />
par JU<strong>LE</strong>S C H AICEL<br />
Le Régent de France, qui eut à recueillir le lourd héritage de Louis XIV<br />
dans <strong>une</strong> France affaiblie par la famine et les guerres, ne fut pas le prince<br />
dissolu qu'on critique volontiers. Son œuvre financière et administrative,<br />
faite d'innovations hardies, suffirait seule à justifier sa mémoire.<br />
emporte Lérida. Aussi, dès son retour à Paris,<br />
le peuple acclama ce je<strong>une</strong> vainqueur. Sans<br />
se laisser griser par son succès, le duc de Chartres<br />
se mit aussitôt à travailler, avec le ministre<br />
Chamillard, la campagne prochaine. Il prend<br />
Tortosa, mais ce fut là sa dernière action d'éclat,<br />
car on ne lui envoya plus de troupes ;<br />
il était, en effet, victime de nouvelles intrigues<br />
de cour qui exploitèrent contre lui quelques<br />
paroles imprudentes qu'il avait prononcées<br />
empoisonneur. Averti de ces bruits infâmes,<br />
le futur Régent ne fit qu'en rire, mais il se<br />
jura à lui-même de les démentir, non pas par<br />
de vaines paroles, mais par ses actes, et on<br />
verra qu'il y réussit.<br />
A cette époque, 1714,' Philippe avait quarante<br />
ans ; il était dans la pleine maturité<br />
de son intelligence et de sa beauté, que fixa<br />
le peintre Rigaud dans un splendide portrait,<br />
l'<strong>une</strong> des plus belles œuvres de cet artiste,<br />
<strong>LE</strong> <strong>DU</strong>C DE CHARTRES, RÉGENT DE FRANCE, d'après <strong>une</strong> gravure contemporaine.<br />
et il fut brusquement rappelé. De nouveau, il<br />
reprit, au Palais Royal, sa vie artistique.' Ne<br />
pouvant plus être soldat, il voulut être un<br />
mécène : il encouragea les peintres, les sculpteurs,<br />
les décorateurs qu'il employait à embellir<br />
sa demeure ; il composa même un opéra<br />
qui fut .joué devant le roi avec grand succès.<br />
Louis XIV cependant, depuis 1 affaire d'Espagne,<br />
n'avait que froideur pour son neveu ;<br />
aussi les courtisans, sentant la disgrâce,<br />
fuyaient le duc de Chartres, qui n'avait cure<br />
de cet apparent ostracisme et continuait<br />
de plus belle sa vie de plaisir dans son fastueux<br />
Palais Royal. Il trouvait même le<br />
temps d'être bon père, car il avait de nombreux<br />
enfants.<br />
La mort, cependant, allait si bien faucher<br />
autour de Louis XIV que, sous ses coups, disparaissaient<br />
successivement tous les descendants<br />
directs du Grand Roi. Enfin, le 6 avril<br />
1711, le Dauphin, à son tour, mourait.<br />
Toutes ces disparitions, qui rapprochaient<br />
Philippe d'Orléans du trône, finirent par paraître<br />
suspectes à l'opinion publique, et ses<br />
ennemis lancèrent le bruit, vite accrédité, que<br />
le neveu du vieux roi en était responsable ;<br />
en un mot, on chercha à faite cje lui un y$<br />
Le prince ne se contentait pas d'être beau,<br />
il<br />
t<br />
était aussi aimable, accueillant ; son élo-<br />
uence éblouissait et son intelligence éclatait<br />
ans tous ses actes. Malheureusement, toutes<br />
ces qualités étaient gâtées, au moins en apparence,<br />
par son goût désordonné pour le plaisir<br />
ou, plus réellement, par les apparences du<br />
plaisir.<br />
Il avait besoin de vivre au milieu du<br />
bruit, des fêtes, et ses nuits se passaient dans<br />
des soupers luxueux qui alimentaient les calomnies<br />
de ses ennemis.<br />
Ce fut à ce moment que se posa la question<br />
de la régence rendue nécessaire par la minorité<br />
de l'héritier du trône. Inutile de dire que de<br />
nombreux rivaux briguaient le titre de régent.<br />
Il y avait, entre autres, le roi d'Espagne et le<br />
duc de Noailles. Mais, le 31 juillet 1714, le<br />
vieux roi, sentant sa fin prochaine, voulut<br />
dicter au chancelier ses dernières volontés,<br />
et ces volontés étaient de nommer, comme<br />
régent, Philippe d'Orléans, dont il avait<br />
reconnu les mérites. Par exemple, se méfiant<br />
toujours de ce neveu, il ne donna au prince<br />
d'Orléans qu'un titre, mais sans pouvoir réel,<br />
et il le bridait par un conseil de régence. Ces<br />
1 dispositions prises, il fit venir le duc d'Orléans<br />
auprès de son lit, dans la soirée du 27 acêt,<br />
et lui dit :<br />
— Je vous recommande le Dauphin ; servez-le<br />
comme vous m'avez servi moi-même;<br />
s'il venait à manquer, vous serez le maître.<br />
Cinq jours plus tard, Louis XIV avait cessé<br />
de vivre. Aussitôt, tous les grands du royaume<br />
s'empressèrent' autour de Philippe d'Orléans<br />
et le saluèrent du nom de Régent ; mais celui-ci<br />
répondit qu'avant de prendre ce titre', il voulait<br />
en appeler à la nation, puis, aussitôt, il<br />
entraîna les courtisans aux pieds du petit<br />
roi Louis XV.<br />
La situation dans laquelle le nouveau chef<br />
trouva le royaume n'était réellement pas<br />
engageante : les finances étaient dans un état<br />
lamentable, quatre-vingt-dix millions de dettes<br />
; les revenus de deux ou trois ans engagés<br />
d'avance ; la confiance détruite ; le commerce<br />
anéanti ; le paysan affamé ; le peuple-méfiant.<br />
Comment remédier à tous ces maux? Saint-<br />
Simon proposa simplement la banqueroute,<br />
mais le Régent repoussa ce moyen désastreux,<br />
et ce fut alors qu il écouta les propositions de<br />
Law, le financier écossais. Son fameux « système<br />
» ne fut. imposé que par l'impérieuse nécessité.<br />
On connaît l'histoire de cette aventure<br />
financière, la plus extraordinaire qui fût<br />
jamais, et que nous avons racontée, ici même,<br />
sous le nom de Law.<br />
A PRÈS le vertige du succès qui faillit tout<br />
sauver, survint la débâcle, mais si la chute<br />
du « système » plongeait dans la gêne bien des<br />
spéculateurs, elle avait tout de même enrichi<br />
l'Etat. Cette crise avait secoué les provinces,<br />
elle leur avait infusé <strong>une</strong> vie nouvelle, et Law,<br />
en s'enfuyant, laissait derrière lui cette chose<br />
formidable qui s'appelait la Finance et la<br />
Banque. Pendant toute cette période, le Régent<br />
s'était montré à la hauteur de sa tâche. Bien<br />
vite il avait su s'affranchir de ce conseil que<br />
Louis XIV avait voulu lui imposer et, seul, il<br />
avait pris en mains les rênes du gouvernement,<br />
tout en conservant jalousement les prérogatives<br />
de l'enfant royal. Son plus grand, son<br />
unique souci fut de maintenir la paix au<br />
dedans et au dehors. Pour cela, il chercha à<br />
contracter des alliances avec les anciens<br />
ennemis de la France. Ce fut son ancien professeur,<br />
l'abbé Dubois, qu'il avait chargé de cés<br />
difficiles négociations, et l'abbé s'en tira fort<br />
heureusement puisqu'il arriva à réaliser la<br />
Triple Alliance entre la France, l'Angleterre<br />
et la Hollande. Le traité fut signé à La Haye<br />
le 14 janvier 1717. Mieux encore : six mois plus<br />
tard, cette Triple Alliance devenait quadruple<br />
en y ajoutant l'Autriche et bientôt l'Espagne, .<br />
vaincue à Fontarabie et à Saint-Sébastien.<br />
On péut constater, d'après ces résultats,<br />
que l'œuvre du Régent fut féconde et qu'elle<br />
ne se borna pas, ainsi que l'ont trop facilement<br />
écrit certains historiens superficiels, à donner<br />
des soupers ou à courir les bals de l'Opéra.<br />
Certes, il fit cela, le Régent, mais il ne fit pas<br />
que cela. Il s'était fixé <strong>une</strong> œuvre à accomplir<br />
et il l'accomplit jusqu'au bout, en dépit des<br />
apparences. Louis XV, dont la majorité approchait,<br />
allait trouver la France tranquille et,<br />
sinon riche, du moins délivrée du spectre<br />
de la banqueroute. Aussi, Philippe d'Orléans,<br />
satisfait, n'aspirait plus qu'au repos. Il fit<br />
nommer Dubois cardinal et le prélat se vit<br />
alors sur la route des Richelieu et des Mazarin.<br />
Le Régent, lui, ne songeait qu'à rendre le<br />
je<strong>une</strong> roi capable de remplir son rôle de<br />
souverain.<br />
Il passait de longues heures avec lui, à<br />
l'instruire dans les questions de finance et de<br />
politique étrangère, et, dans ses rapports avec<br />
le je<strong>une</strong> souverain, il n'admit auc<strong>une</strong> autre<br />
influence. Louis XV, d'ailleurs, manifestait<br />
pour son oncle et éducateur la plus, profonde<br />
amitié ainsi qu'<strong>une</strong> entière admiration, et<br />
PbÙippe la lui rendait dé tout son cœur. Ce fut<br />
avec joie qu'il prépara lui-même la cérémonie<br />
du sacre qu'il voulait aussi éclatante que<br />
possible. N était-ce pas sa revanche, ce couronnement?<br />
Il avait réussi à conduire jusqu'à<br />
sa majorité l'enfant royal confié à son<br />
honneur.<br />
Le 10 octobre J722, le roi Louis XV quittait<br />
Versailles pour se faire couronner à Reims,<br />
et, quand il rentra dans sa capitale, les Parisiens<br />
unirent dans leurs acclamations le je<strong>une</strong><br />
souverain et le Régent.<br />
Celui-ci était malade, très malade ; il le<br />
savait, mais ne s'en souciait pas autrement.<br />
N'avait-il pas terminé sa besogne? Dans son<br />
cabinet du Palais Royal, il évoquait ces huit<br />
années durant lesquelles il avait donné la paix<br />
à la Françe ; il avait développé les arts, crée des<br />
bibliothèques, soutenu des gens de lettres, et<br />
il se croyait pour jamais retiré de la politique<br />
quand Dubois mourut. Le voici obligé de<br />
reprendre les rênes du gouvernement, comme<br />
ministre, cette fois, mais la mort ne lui permit<br />
pas ce sacrifice fait à l'avenir de son je<strong>une</strong><br />
souverain. Un jour, il tombe foudroyé, dans<br />
son cabinet, par <strong>une</strong> attaque ; quand il ouvrit<br />
les yeux, son premier regard fut pour la<br />
pendule :<br />
— C'est l'heure d'aller travailler avec le roi,<br />
balbutia-t-il en essayant de se lever.<br />
Et ce furent ses dernières paroles,<br />
i JU<strong>LE</strong>S CHASCBI,.