La Cerisaie - Odéon Théâtre de l'Europe
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L A C ERISAIE, CAHIER DE SPECTATEUR, PAR GEORGES BANU<br />
L’essence du rythme tchékhovien : le courant alternatif. Accélération et ralentissement, sans que nul ne<br />
l’emporte. Tout se joue entre la langueur du <strong>de</strong>uxième acte et la précipitation désespérée du quatrième,<br />
entre l’effervescence du premier acte et le mouvement saccadé du troisième. Pour <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> polémique<br />
antistanislavskienne, aujourd’hui l’ancienne lenteur se voit bannie au profit <strong>de</strong> la vitesse et <strong>de</strong><br />
l’accélération. Ainsi, on finit par sacrifier la dimension « antonionienne » <strong>de</strong> l’oeuvre.<br />
<strong>La</strong> vitesse imposée ces <strong>de</strong>rniers temps tout autant que la lenteur <strong>de</strong> jadis atténuent l’alternance <strong>de</strong>s<br />
mouvements propres à cette oeuvre fondamentalement musicale. <strong>La</strong> <strong>Cerisaie</strong> n’a pas un rythme unique,<br />
mais un rythme affolé, qui par ses zigzags témoigne <strong>de</strong> l’agitation syncopée qui trouble ce mon<strong>de</strong>.<br />
Georges Banu : Notre théâtre, <strong>La</strong> <strong>Cerisaie</strong><br />
(Actes Sud / Académie Expérimentale <strong>de</strong>s <strong>Théâtre</strong>s, 1999, pp. 42-43)<br />
« Le jardin est tout blanc », constate Gaev tandis que Lioubov poursuit : « C’était tout comme aujourd’hui,<br />
rien n’a changé. Blanc, tout blanc », « regar<strong>de</strong>, maman qui marche dans le jardin... En robe blanche<br />
», « il y a un petit arbre blanc penché, on dirait une femme », « les masses blanches <strong>de</strong>s fleurs ».<br />
Une seule page <strong>de</strong> texte et le blanc se diffracte en faisant se confondre les fantômes et les arbres, en<br />
attachant, par la beauté et la mémoire, les maîtres à leur cerisaie. Lorsqu’ils arrivent, ils la regar<strong>de</strong>nt<br />
déjà tout à fait épanouie, et parce qu’ils revivent alors l’éblouissement qui remonte à leur enfance, son<br />
abandon leur semble encore moins envisageable. Non, Tchekhov insiste, la cerisaie n’est pas ici seulement<br />
mentale, sa beauté enivre, sa splen<strong>de</strong>ur emporte. Lioubov et Gaev la voient avec le sentiment que<br />
le verger fleurit pour eux seuls, <strong>de</strong> même que le fantôme du père assassiné n’accepte <strong>de</strong> parler qu’à<br />
Hamlet. Et, comme pour lui aussi, la rencontre a lieu avant l’aube, avant « le chant du coq », à l’heure<br />
où les morts voyagent... D’ailleurs, dans le clair-obscur <strong>de</strong> la « nuit blanche », Lioubov n’aperçoit-elle<br />
pas sa mère qui dans une robe lumineuse, linceul fantomal, se faufile à travers les arbres fleuris à peine<br />
éclairé par le lever du jour ? Tout atteste ici l’ambivalence du blanc.<br />
Georges Banu : Notre théâtre, <strong>La</strong> <strong>Cerisaie</strong><br />
(Actes Sud / Académie Expérimentale <strong>de</strong>s <strong>Théâtre</strong>s, 1999, pp. 52-53)<br />
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