La Cerisaie - Odéon Théâtre de l'Europe
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THÉÂTRE ET REPRÉSENTATION ( SUITE )<br />
fournit plus la caution <strong>de</strong> la matière indispensable aux fantômes autant qu’aux vergers que l’on abat à<br />
coups <strong>de</strong> hache. Alain Françon, lui, reviendra à la solution initiale, stanislavskienne, pour incruster discrètement<br />
les cerisiers en fleur sur les murs décrépits <strong>de</strong> la <strong>de</strong>meure en voie <strong>de</strong> disparition.... la solidarité<br />
psychique entre la cerisaie et les personnages est explicite. Le verger, c’est le secret que l’on porte<br />
avec soi sans qu’il <strong>de</strong>vienne visible aux autres... Une cerisaie incrustée sur le cyclo... elle invite à réfléchir<br />
non pas sur le verger comme présence, mais comme empreinte. Empreinte mentale ineffaçable,<br />
telle la fixation définitive du souvenir <strong>de</strong>s morts. L’empreinte annonce l’effet <strong>de</strong> fantôme dont la cerisaie<br />
sera la source pour les maîtres dépossédés. Mais nous, spectateurs, nous sommes exclus : la dimension<br />
mythologique s’absente.<br />
Serban, lui, planta quelques cerisiers disparates et rabougris, inaptes à susciter le moindre effet fantasmatique...<br />
ils avaient tout <strong>de</strong> même le mérite d’effacer les frontières entre le <strong>de</strong>hors et le <strong>de</strong>dans pour<br />
dresser un espace homogène. <strong>La</strong> maison et le verger communiquaient... et cette fusion attestait la portée<br />
intérieure <strong>de</strong> la cerisaie simplement désignée, car dépourvue d’une charge visuelle forte. Elle ne se<br />
constituait nullement en source <strong>de</strong> projection imaginaire, <strong>de</strong> même que dans le spectacle d’Efros chez<br />
qui les mêmes cerisiers gringalets surgissaient parmi les pierres tombales. Mieux vaut ne pas les montrer...<br />
Le concret du verger à ce point diminué légitime la position <strong>de</strong> ses adversaires qui, comme Brook,<br />
invitent à l’exclure pour le laisser s’épanouir librement, sans confrontation avec les limites du représentable.<br />
Za<strong>de</strong>k, sans hésitation, adopte cette position et s’il montre, médiocrement, <strong>de</strong>s cerisiers, c’est<br />
pour prouver ainsi l’incapacité dans laquelle il tient la scène <strong>de</strong> produire l’équivalent <strong>de</strong> ce lieu investi<br />
par les fantômes, verger imaginaire, verger mensonger. Car, laisse-t-il entendre, il ne faut pas oublier<br />
que les maîtres, en raison <strong>de</strong> ce mirage, se racontent un bonheur inexistant, un passé factice. Et pourtant...<br />
ces metteurs en scène que personne ne peut soupçonner <strong>de</strong> lyrisme, Karge et <strong>La</strong>nghoff, vont laisser<br />
s’épanouir la joie <strong>de</strong> Lioubov et Gaev lorsque, réunis après cinq ans, il les fait danser à l’aube comme<br />
un couple adultère et ingénu parmi les arbres que l’on aperçoit d’une cerisaie que l’on <strong>de</strong>vine. Elle existe<br />
alors comme métonymie agissante... et la danse presque grotesque <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux enfants vieillis ouvre<br />
les vannes d’un imaginaire dérisoire.<br />
A Tokyo, Clifford Williams, metteur en scène anglais, avait fait le pari <strong>de</strong> la représentation métonymique<br />
: un seul arbre, géant et sublime, comme unique pilier du mon<strong>de</strong>. Réduction suprême <strong>de</strong> la<br />
cerisaie à cet axis mundi dont parlait Mircea Elia<strong>de</strong>... Elle est le pivot qui organise un univers et<br />
dont la chute entraînera sa désintégration. L’arbre mythique, tout au long <strong>de</strong>s quatre actes, tournait<br />
autour <strong>de</strong> son axe pour indiquer par le changement <strong>de</strong>s feuillages, <strong>de</strong> l’épanouissement à la chute,<br />
le passage <strong>de</strong>s saisons ; il parvenait, lui, aux fiançailles du concret et <strong>de</strong> l’imaginaire. Métonymie<br />
accomplie.<br />
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