coup doub<strong>le</strong> Watine & Aube L pythies modernes C’est l’intuition que de nombreux fils reliaient <strong>le</strong>urs univers si particuliers qui nous a incités à organiser une rencontre entre Catherine Watine et Aube L. Une invitation qui sonne comme une coïncidence pour <strong>le</strong>s deux musiciennes qui viennent justement de se contacter dans l’idée de travail<strong>le</strong>r ensemb<strong>le</strong>. b JESSICA BOUCHER-RÉTIF | a MARYLÈNE EYTIER
autour d’un thé et de petits gâteaux, l’atmosphère est d’emblée très détendue et <strong>le</strong>s langues déliées. Les cuillères tintent dans <strong>le</strong>s tasses, <strong>le</strong>s rires d’Aube fusent et <strong>le</strong>s correspondances se révè<strong>le</strong>nt à mesure de questions qui offrent des réponses en miroir. Deux apparentes fortes têtes, solidement charpentées, mais couvrant une sensibilité aigüe, une tendance commune à l’introspection, à la fouil<strong>le</strong> des recoins sombres de l’intime, et une vision de l’art qui n’accepte aucun compromis, tant il se livre viscéra<strong>le</strong>ment, sont quelques-unes des caractéristiques qui rapprochent <strong>le</strong>s deux musiciennes. Que cela repose au plus profond ou vienne de bien plus haut que soi, toutes deux reconnaissent la musique comme une force qui <strong>le</strong>s traverse. “La musique, c’est tout ce qui n’a pas de mots. Ce sont des émotions, des élans, des choses qui ne peuvent se nommer. Quand on en écoute, on sait que quelque chose se passe en soi, quelque chose qui nous traverse, mais on n’a pas de mots, on ne sait pas ce que c’est. Je la vis vraiment comme cela : comme la chair des mots”, explique Aube. Pour Watine, el<strong>le</strong> est “un langage non seu<strong>le</strong>ment intime mais de l’ordre du divin” : “Ce n’est pas donné à tout <strong>le</strong> monde d’entrer en résonance avec l’émotion qu’el<strong>le</strong> procure, et en ce qui me concerne, quand je me mets au piano, j’ai l’impression d’être l’instrument de quelque chose de divin qui me traverse.” Que ce soit chez cel<strong>le</strong> qui a bourlingué à travers <strong>le</strong> monde, avouant ne plus compter par année car il y en a trop, mais par album, ou chez cel<strong>le</strong> qui n’a reçu la révélation de son langage musical qu’il y a dix ans, à travers l’achat presque fortuit d’une guitare, on sent pourtant que l’émotion, transpirant si vivement de chaque note et de chaque mot, est <strong>le</strong> fruit d’un vécu dense et profond. “C’est toi que tu livres et l’émotion est forcément là, analyse Watine. Et qui dit émotion dit intime, qui dit intime dit que tu vas chercher la petite fil<strong>le</strong> que tu n’as jamais osé montrer parce que derrière 65 ans, je suis une gamine qui a peur de tout, forcément…” Cette petite fil<strong>le</strong>, Aube l’a enfin libérée : “Je commence toujours par <strong>le</strong>s textes et d’ail<strong>le</strong>urs, en ce moment, je suis tel<strong>le</strong>ment heureuse que je n’ai plus grand chose à dire. Par contre, je compose énormément de musique. C’est comme si je disais à la petite fil<strong>le</strong> : “Al<strong>le</strong>z vas-y, cours à la lumière, va t’amuser dehors ! Vis ! Fais résonner tout ce qu’il y a en toi et rayonne !”, mais que je n’avais 17 LONGUEUR D’ONDES N°68 plus grand chose d’autre à lui dire ou plutôt, que je ne savais pas comment <strong>le</strong> dire. Je crois que je dois apprendre un nouveau langage.” Diffici<strong>le</strong> en effet de ne pas être surpris pas la nette évolution qui a marqué la discographie de la jeune musicienne, d’un Faith sombre et presque éprouvant à un nouvel album affichant ostensib<strong>le</strong>ment son bonheur jusqu’au titre Wake up the joy… “Je suis contente parce que j’ai toujours souri et été sociab<strong>le</strong>, affirme Aube, mais dans la musique, ça n’a pas toujours été <strong>le</strong> cas. J’ai l’impression qu’au fur et à mesure des albums, <strong>le</strong>s deux personnes, mon être intérieur et cel<strong>le</strong> que je suis dans la vie de tous <strong>le</strong>s jours, se rencontrent et j’ai la sensation d’une unité qui me fait vraiment du bien, où ce que je vais faire dans ma musique ressemb<strong>le</strong> un peu plus à ce que je suis.” Watine d’ajouter : “En fait, tu t’ancres plus dans la terre alors que moi, à l’inverse, j’ai l’impression de devenir surréaliste… Peut-être parce que la courbe, je l’ai passée, et que c’est la suite. Cet ancrage dans la terre, je l’ai eu dans ma vie professionnel<strong>le</strong>, j’ai fait <strong>le</strong> tour du monde, je vivais à p<strong>le</strong>in, et là, j’ai l’impression « La musique, c’est tout ce qui n’a pas de mots. Ce sont des émotions, des élans, des choses qui ne peuvent se nommer. » de devenir une sorte de pythie qui a des messages, et en même temps, qui s’évade tota<strong>le</strong>ment vers des contrées un peu démentiel<strong>le</strong>s d’ail<strong>le</strong>urs, je m’en aperçois dans mes textes…” Question textes, <strong>le</strong> français n’avait jusqu’ici jamais réussi à s’imposer dans <strong>le</strong>s <strong>le</strong>urs, face à la facilité de l’anglais, mais il a suffi d’un mot pour que survienne <strong>le</strong> déclic pour Watine et avec lui un nouveau projet : “J’ai beaucoup écrit en français et des mots commençaient à m’appe<strong>le</strong>r puis celui-ci : Appalaches. Qu’est-ce que c’est joli… Et un jour, sur une mélodie toute simp<strong>le</strong> [el<strong>le</strong> chantonne], je suis partie : “Je m’endors dans <strong>le</strong>s Appalaches…” J’ai eu un choc et tout <strong>le</strong> reste a suivi. Je ne l’ai pas décidé, mais aujourd’hui c’est une évidence : je n’ai plus envie d’écrire en anglais !” C’est donc sous <strong>le</strong> nom d’Atalaye que Watine est désormais prête, sur scène, à se mettre “beaucoup plus en façade”, dans une formu<strong>le</strong> intimiste piano-voix-violon. i supplément vidéo sur www.longueurdondes.com aube l Au rythme soutenu d’un album par an depuis 2005, auxquels s’ajoutent plusieurs bandes origina<strong>le</strong>s pour des films et des pièces de théâtre, Aube L distil<strong>le</strong>, entre é<strong>le</strong>ctro et prouesses de femme-orchestre, des morceaux irréductib<strong>le</strong>ment personnels, d’une originalité frôlant parfois l’étrange, qui ébran<strong>le</strong> autant qu’ils séduisent. Avec Wake up the joy, son tout nouvel opus, la noirceur qui habitait souvent sa musique fait place à une exaltation presque éblouissante, pour laquel<strong>le</strong> el<strong>le</strong> a dû oser de nouveaux sons et gagner cette gageure de “réussir à communiquer de la joie, une pulsation de vie , tout en gardant une profondeur.” Pari réussi ! watine Si el<strong>le</strong> n’a entamé sa carrière d’auteur-compositeur qu’en 2006, après un parcours déjà bien rempli, Catherine Watine nourrit sa pop é<strong>le</strong>ctro d’un vécu qui la charge d’une poésie toujours à f<strong>le</strong>ur d’émotion, éminemment sensib<strong>le</strong>. Textes très <strong>le</strong>ttrés et notes entre classicisme racé et modernité synthétique ont fait de ses trois albums des bul<strong>le</strong>s ouatées à nul<strong>le</strong> autre pareil<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> paysage français. Alors qu’el<strong>le</strong> vient de s’offrir un pas de côté avec l’un de ses musiciens pour This Quiet Dust (mise en musique de poèmes d’Emily Dickinson), son nouveau projet, Atalaye, laisse enfin entrer la langue française dans son univers.