Quelles sont les origines du cerveau et du comportement? - De Boeck
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1.1.<br />
1.2.<br />
1.3.<br />
1.4.<br />
1.5.<br />
1.6.<br />
CHAPITRE<br />
1<br />
<strong>Quel<strong>les</strong></strong> <strong>sont</strong> <strong>les</strong> <strong>origines</strong><br />
<strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong>?<br />
Pourquoi étudier le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> le <strong>comportement</strong> ?<br />
Points de vue sur la relation entre <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>comportement</strong><br />
L’évolution <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong><br />
L’évolution de l’homme<br />
L’évolution <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> humain<br />
Étudier le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> le <strong>comportement</strong> chez l’homme moderne<br />
25<br />
34<br />
41<br />
47<br />
51<br />
59
24<br />
GROS PLAN SUR LES TROUBLES<br />
Le traumatisme cérébral<br />
Chaque année, on recense aux États-Unis 80 000 nouveaux<br />
cas de personnes qui souffrent d’un handicap à long terme à<br />
la suite d’un traumatisme crânien (Association des traumatisés<br />
crâniens). Le traumatisme crânien est la cause majeure des<br />
cas de décès <strong>et</strong> d’invalidité frappant <strong>les</strong> enfants <strong>et</strong> <strong>les</strong> ado<strong>les</strong>cents<br />
(Cassidy <strong>et</strong> al., 2004). A quoi cela ressemble-t-il d’avoir<br />
subi un traumatisme crânien ? Fred Linge, un psychologue clinicien<br />
diplômé en recherche sur le <strong>cerveau</strong>, a rédigé, 12 ans<br />
après avoir été victime d’un traumatisme cérébral, la description<br />
que voilà :<br />
Dans la seconde même <strong>du</strong> choc frontal de mon véhicule, ma<br />
vie bascula définitivement, <strong>et</strong> mon cas vint allonger la liste<br />
recensant <strong>les</strong> victimes de ce qu’on a coutume d’appeler l’épidémie<br />
silencieuse.<br />
Durant <strong>les</strong> mois qui suivirent, mes proches <strong>et</strong> moi-même fûmes<br />
confrontés à la <strong>du</strong>re réalité <strong>du</strong> traumatisme cérébral. J’avais<br />
commencé la tâche pénible de la reconnaissance <strong>et</strong> de<br />
l’acceptation de mes déficits physiques, mentaux <strong>et</strong> émotionnels.<br />
Il m’était impossible de ressentir le goût des choses <strong>et</strong> leur<br />
odeur. J’étais dans l’incapacité de lire, même <strong>les</strong> phrases <strong>les</strong><br />
plus simp<strong>les</strong>, sans oublier le début de ce que j’avais lu alors<br />
que je n’étais pas encore parvenu au bout de ma lecture.<br />
J’avais <strong>les</strong> nerfs à fleur de peau <strong>et</strong> je pouvais, à chaque instant,<br />
entrer dans une rage terrible, même pour une broutille.<br />
Pendant la première année, il me fut impossible de supporter<br />
<strong>les</strong> stimulations liées à la présence d’autres personnes. Mon<br />
<strong>cerveau</strong> arrivait très vite à saturation, <strong>et</strong> je devais me réfugier<br />
dans une autre pièce pour m’isoler. Je ne supportais que très<br />
péniblement le bruit, <strong>et</strong> j’avais besoin de tranquillité autour de<br />
moi, ce qui relève d’une utopie quand on vit dans une p<strong>et</strong>ite<br />
maison avec trois enfants. Je me rappelle avoir rédigé un règlement<br />
impossible à l’intention de nous tous. Par exemple, cha-<br />
<strong>Quel<strong>les</strong></strong> <strong>sont</strong> <strong>les</strong> <strong>origines</strong> <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> ?<br />
Sous l’eff<strong>et</strong> d’un choc<br />
violent sur la tête,<br />
une variété de forces<br />
mécaniques provoque<br />
un écrasement cérébral.<br />
Les lésions à l’endroit de l’impact <strong>sont</strong><br />
appelées une contusion (en rose)<br />
La pression qui résulte de la contusion<br />
peut pro<strong>du</strong>ire un contrecoup <strong>du</strong> côté<br />
opposé à l’impact (en bleu).<br />
Le déplacement <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> peut provoquer la<br />
section de fibres nerveuses, in<strong>du</strong>isant des lésions<br />
microscopiques, particulièrement au niveau des<br />
lobes frontaux <strong>et</strong> temporaux. Le sang pris au piège<br />
dans le crâne (hématome) <strong>et</strong> le gonflement<br />
(œdème) provoquent une compression <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong>.<br />
cun devait être couché à 9h30, toutes <strong>les</strong> lumières devaient<br />
être éteintes, <strong>et</strong> aucun bruit, de quelque nature qu’il fût, n’était<br />
plus permis après c<strong>et</strong>te heure. Pas de télévision, pas de radio,<br />
plus le moindre mot. En somme, toute la famille n’était plus<br />
pour moi qu’une source de vacarme, dont je cherchais à diminuer<br />
l’amplitude.<br />
<strong>De</strong>ux années après mon traumatisme, j’écrivis un bref article<br />
intitulé « Qu’est-ce que ça fait d’avoir subi un traumatisme<br />
cérébral ? » À c<strong>et</strong>te époque, j’étais encore intensément renfermé<br />
sur moi-même <strong>et</strong> sur mon combat (Toute personne ayant<br />
survécu à un traumatisme crânien <strong>et</strong><br />
qu’il m’a été donné de rencontrer<br />
semble être passée par ce stade de<br />
préoccupation narcissique, qui crée<br />
un bouclier nécessaire à se protéger<br />
des douloureuses réalités de sa<br />
situation, <strong>et</strong> ce jusqu’au moment où<br />
apparaît une chance de guérir.) Je<br />
n’avais que peu de notion de tout ce<br />
qui sortait des limites <strong>du</strong> monde<br />
matériel <strong>et</strong> je ne pouvais écrire qu’à<br />
propos de choses susceptib<strong>les</strong> d’être<br />
décrites en des termes factuels. J’ai<br />
écrit pour raconter, par exemple<br />
mes divers handicaps, mais aussi<br />
comment j’ai réussi à <strong>les</strong> compenser<br />
grâce à la mise en œuvre d’une multitude<br />
de méthodes.<br />
À ce stade de ma vie, j’ai commencé<br />
à m’impliquer par rapport à<br />
d’autres personnes victimes d’un<br />
traumatisme cérébral. Ceci arriva en<br />
partie après la publication de mon<br />
article. A ma surprise, c<strong>et</strong> article fut<br />
repris dans de nombreuses publications,<br />
copié, <strong>et</strong> transmis à des milliers<br />
de personnes ayant subi un<br />
traumatisme crânien, ainsi qu’à leurs famil<strong>les</strong>. Je reçus quantité<br />
de l<strong>et</strong>tres, d’appels téléphoniques, de visites, ce qui<br />
d’ailleurs continue de se pro<strong>du</strong>ire aujourd’hui. Beaucoup se<br />
battaient comme je m’étais battu, en l’absence de tout diagnostic,<br />
sans proj<strong>et</strong>, sans réhabilitation <strong>et</strong>, pour la plupart<br />
d’entre eux, il faut bien le dire, sans espoir… Les eff<strong>et</strong>s catastrophiques<br />
de c<strong>et</strong>te lésion étaient tels que, dans un premier<br />
temps, je fus totalement anéanti, puis remodelé par l’expérience,<br />
<strong>et</strong> j’émergeai de c<strong>et</strong>te histoire en tant qu’une personne<br />
profondément restructurée, avec des convictions nouvel<strong>les</strong>,<br />
d’autres valeurs <strong>et</strong> d’autres priorités (Linge, 1990).<br />
Le caractère diffus des eff<strong>et</strong>s d’un traumatisme cérébral complique<br />
considérablement le diagnostic. C’est pour c<strong>et</strong>te raison<br />
d’ailleurs que l’on parle d’épidémie silencieuse lorsqu’il<br />
est question d’en désigner collectivement <strong>les</strong> victimes. Les victimes<br />
d’un traumatisme cérébral sévère peuvent avoir des<br />
séquel<strong>les</strong> très sérieuses qui <strong>les</strong> handicapent dans leur vie de<br />
tous <strong>les</strong> jours. Tout comme Fred Linge, un grand nombre<br />
d’entre el<strong>les</strong> éprouvent des difficultés à r<strong>et</strong>rouver <strong>les</strong> capacités<br />
fonctionnel<strong>les</strong> qu’el<strong>les</strong> possédaient avant la lésion, <strong>et</strong> le<br />
fait de ne plus pouvoir exercer leur métier n’en est pas la<br />
moindre.
GROS PLAN SUR LES TROUBLES (suite)<br />
Un traumatisme crânien résulte d’un choc violent à la tête qui<br />
expose le <strong>cerveau</strong> à toute une variété de forces, comme cela<br />
est illustré dans la figure ci-contre.<br />
La force exercée sur le crâne à l’endroit <strong>du</strong> choc occasionne<br />
un écrasement (une contusion) appelé un « coup ».<br />
Le choc précipitera avec brutalité le <strong>cerveau</strong> <strong>du</strong> côté opposé<br />
à l’impact, en provoquant un écrasement supplémentaire (voir<br />
l’illustration ci-contre).<br />
Le mouvement <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> peut in<strong>du</strong>ire une torsion ou une section<br />
de fibres nerveuses, <strong>et</strong> par-là pro<strong>du</strong>ire des lésions microscopiques.<br />
<strong>De</strong> tel<strong>les</strong> lésions peuvent être éparpillées à travers<br />
tout le <strong>cerveau</strong>, mais el<strong>les</strong> <strong>sont</strong> le plus fréquemment observées<br />
dans <strong>les</strong> lobes frontaux <strong>et</strong> temporaux.<br />
Les contusions <strong>et</strong> <strong>les</strong> extensions occasionnées par l’impact peuvent<br />
provoquer un saignement (une hémorragie). Parce que le<br />
sang reste à l’intérieur <strong>du</strong> crâne, il agira comme une masse dont<br />
le volume peut aller en augmentant (hématome) <strong>et</strong> exercera une<br />
pression croissante sur <strong>les</strong> régions cérébra<strong>les</strong> environnantes.<br />
Comme c’est le cas à la suite de coups sur d’autres parties <strong>du</strong><br />
corps, ceux portés au <strong>cerveau</strong> in<strong>du</strong>isent un gonflement<br />
(œdème). C<strong>et</strong>te enflure, qui correspond à une accumulation<br />
de fluide dans le tissu endommagé, de même que tout autour,<br />
est une autre source de compression <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong>.<br />
Les personnes qui subissent un traumatisme crânien perdent<br />
souvent connaissance, car la lésion affecte des fibres dans <strong>les</strong><br />
parties inférieures <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong>, fibres associées à l’éveil. La<br />
sévérité <strong>du</strong> coma peut servir d’indicateur quant à la gravité<br />
de la lésion. Les contusions cérébra<strong>les</strong> qui résultent d’accidents<br />
impliquant des véhicu<strong>les</strong> à moteur <strong>sont</strong> particulièrement<br />
graves parce que la tête se déplace au moment <strong>du</strong> choc, ce<br />
qui a pour eff<strong>et</strong> d’accélérer la vitesse de l’impact.<br />
Pendant <strong>les</strong> années qui suivirent son accident, Fred Linge<br />
entreprit un immense périple. Il partit d’une époque qui précédait<br />
son accident de voiture, lorsqu’il consacrait moins ses<br />
pensées aux relations qui pouvaient exister entre son <strong>cerveau</strong><br />
Pourquoi étudier le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> le <strong>comportement</strong> ?<br />
1.1 Pourquoi étudier le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> le <strong>comportement</strong> ?<br />
Le <strong>cerveau</strong> est un obj<strong>et</strong> physique, un tissu vivant, un organe <strong>du</strong> corps. Le <strong>comportement</strong> correspond<br />
à une action, observable momentanément, mais évanescente. Le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> le <strong>comportement</strong><br />
<strong>sont</strong> deux choses bien différentes, mais l’une est indéniablement liée à l’autre.<br />
On a longtemps pensé que le <strong>cerveau</strong> avait un rôle nul ou négligeable dans le <strong>comportement</strong>,<br />
ce qui impliquait de facto que l’étude des fonctions cérébra<strong>les</strong> fût considérée<br />
comme relevant de la biologie plutôt que comme un élément central de la psychologie. Même<br />
aujourd’hui, de nombreux étudiants considèrent que le <strong>cerveau</strong> n’est qu’un épiphénomène<br />
dans la compréhension <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> humain. Il n’en reste pas moins que le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> le<br />
<strong>comportement</strong> ont évolué de concert : l’un est responsable de l’autre, <strong>et</strong> vice versa. Un exemple<br />
classique d’illustration <strong>du</strong> contrôle que le <strong>cerveau</strong> exerce sur le <strong>comportement</strong> fait l’obj<strong>et</strong><br />
<strong>du</strong> gros plan sur <strong>les</strong> troub<strong>les</strong> intitulé « Rapport entre lésion cérébrale <strong>et</strong> fonction cérébrale ».<br />
Environ 150 années après que le neurologue français Jean Charcot eut procédé à<br />
l’autopsie de patients décédés des suites d’une atteinte cérébrale <strong>et</strong> qu’il eut cherché à<br />
faire le lien entre leur symptomatologie <strong>et</strong> la nature de leur pathologie cérébrale, <strong>les</strong><br />
25<br />
<strong>et</strong> son <strong>comportement</strong> qu’au laçage de ses souliers. À la fin de<br />
son voyage, <strong>les</strong> pensées à propos <strong>du</strong> lien entre son <strong>cerveau</strong><br />
<strong>et</strong> son <strong>comportement</strong> dominaient sa vie. Il devint un confident<br />
<strong>et</strong> un conseiller pour de nombreuses personnes qui avaient,<br />
comme lui, subi une lésion cérébrale.<br />
Le but de c<strong>et</strong> ouvrage est de vous proposer un voyage qui ne<br />
serait pas sans rapport avec celui qu’entreprit Fred Linge. Par<br />
ce voyage, vous aussi vous parviendrez à comprendre le lien<br />
entre le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> le <strong>comportement</strong> : comment le <strong>cerveau</strong> estil<br />
organisé pour créer <strong>et</strong> suivre un <strong>comportement</strong> <strong>et</strong> que se<br />
passe-t-il lorsque ce <strong>cerveau</strong> ne fonctionne pas correctement ?<br />
La plupart des éléments qui nous perm<strong>et</strong>tent d’aborder ce<br />
type de question découlent de trois sources d’investigation qui<br />
se focalisent sur l’évolution <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong><br />
dans <strong>les</strong> différentes espèces anima<strong>les</strong>, sur le rapport entre le<br />
<strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> le <strong>comportement</strong> chez le suj<strong>et</strong> sain <strong>et</strong> sur <strong>les</strong> altérations<br />
fonctionnel<strong>les</strong> qui frappent <strong>les</strong> personnes ayant subi une<br />
lésion cérébrale ou souffrant d’autres pathologies cérébra<strong>les</strong>.<br />
Toutes <strong>les</strong> connaissances dégagées par ces approches modifient<br />
la manière dont nous pensons, dont nous structurons<br />
notre é<strong>du</strong>cation <strong>et</strong> nos liens sociaux, <strong>et</strong> dont nous cherchons à<br />
venir en aide à ceux qui ont subi une lésion cérébrale ou <strong>sont</strong><br />
victimes d’une maladie ou d’un trouble atteignant le <strong>cerveau</strong>.<br />
Dans ce chapitre, nous aborderons la question de l’origine <strong>du</strong><br />
<strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong>. Nous commencerons par définir<br />
le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> le <strong>comportement</strong>, <strong>et</strong> par donner un aperçu de la<br />
structure de base <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong>. Nous nous pencherons ensuite<br />
sur trois théories majeures à propos de la relation entre le <strong>cerveau</strong><br />
<strong>et</strong> le <strong>comportement</strong>. Tout en gardant cela en mémoire,<br />
nous explorerons la manière dont évoluèrent le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> le<br />
<strong>comportement</strong>. Nous porterons alors une attention particulière<br />
à l’évolution de l’espèce humaine, tout en gardant à<br />
l’esprit <strong>les</strong> nombreux traits que nous avons en commun avec<br />
d’autres animaux. Finalement, nous aborderons la manière<br />
dont le <strong>cerveau</strong> humain a évolué vers sa fonction la plus complexe,<br />
à savoir la culture.
26<br />
GROS PLAN SUR LES TROUBLES<br />
Rapport entre lésion cérébrale <strong>et</strong> fonction cérébrale<br />
Le cas historique de Phinéas Gage représente un exemple<br />
précoce d’illustration de la manière dont nous pouvons nous<br />
représenter une forme de contrôle <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> par le<br />
<strong>cerveau</strong> (MacMillan, 2000). Gage était un artificier de<br />
25 ans qui travaillait sur un chantier de construction d’une<br />
voie de chemin de fer <strong>et</strong> qui, en 1848, survécut à une explosion<br />
qui lui précipita une barre à mine d’un mètre de long <strong>et</strong><br />
de trois centimètres de diamètre à travers la partie frontale de<br />
la tête. <strong>De</strong> manière assez surprenante, Gage n’était pas un<br />
cas isolé : il existe un p<strong>et</strong>it nombre de personnes ayant survécu<br />
à un tel type de lésion, y compris lorsque c’est une barre<br />
à mine qui la provoqua. John M. Harlow, le médecin qui<br />
s’occupa de Phinéas Gage, établit un rapport sur l’accident<br />
de Gage, <strong>et</strong> ce rapport contribua à précipiter le jeune homme<br />
au somm<strong>et</strong> de la célébrité, un peu malgré lui.<br />
Gage était d’intelligence moyenne <strong>et</strong> tout à la fois travailleur<br />
<strong>et</strong> fiable. Il était décrit comme « énergique <strong>et</strong> persévérant<br />
dans l’exécution de tous ses plans d’opération ». Mais après<br />
l’accident, son <strong>comportement</strong> se modifia radicalement, ainsi<br />
que le nota Harlow :<br />
« Pour ainsi dire, l’équilibre ou la balance entre ses facultés<br />
intellectuel<strong>les</strong> <strong>et</strong> ses instincts animaux semblait avoir été<br />
détruit. Il est coléreux, irrévérencieux, se perm<strong>et</strong>tant par<br />
moment l’usage des plus grossières injures, manifestant peu<br />
de déférence à l’égard de ses camarades, ne supportant<br />
aucune contrainte <strong>et</strong> aucun conseil entrant en conflit avec ses<br />
désirs, parfois pernicieusement obstiné, quoique capricieux <strong>et</strong><br />
versatile, proj<strong>et</strong>ant de nombreux plans d’opération qui ne<br />
<strong>sont</strong> pas si tôt établis qu’ils <strong>sont</strong> abandonnés pour d’autres<br />
jugés plus réalistes. Immature dans ses capacités intellectuel<strong>les</strong><br />
<strong>et</strong> ses manifestations <strong>comportement</strong>a<strong>les</strong>, il a <strong>les</strong> passions<br />
anima<strong>les</strong> d’un homme brutal (Blumer <strong>et</strong> Benson, 1975,<br />
p. 153). »<br />
Le type de lésion dont souffrait Phinéas Gage avait une caractéristique<br />
remarquable : l’atteinte cérébrale n’avait provoqué<br />
aucun trouble moteur ou mnésique qui soit marqué. En fait,<br />
c<strong>et</strong>te lésion n’eut d’impact que sur la personnalité de Phinéas<br />
<strong>Quel<strong>les</strong></strong> <strong>sont</strong> <strong>les</strong> <strong>origines</strong> <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> ?<br />
Gage. Harlow montra que <strong>les</strong> lobes frontaux étaient impliqués<br />
dans la planification <strong>et</strong> dans l’anticipation.<br />
Bien que le crâne de phinéas Gage <strong>et</strong> la barre à mine aient<br />
été conservés, il n’a malheureusement pas été possible, en ne<br />
prenant en considération que de ces deux indices, de reconstruire<br />
avec exactitude l’éten<strong>du</strong>e de la lésion cérébrale dont<br />
souffrait ce patient. Pour pouvoir se faire une idée suffisamment<br />
précise de c<strong>et</strong>te éten<strong>du</strong>e, il aurait fallu bénéficier d’un<br />
rapport d’autopsie. Toutefois, en combinant une technique de<br />
mesures précises <strong>du</strong> crâne avec des techniques modernes<br />
d’imagerie, il a été possible de se faire une idée plus fine de<br />
l’accident lui-même, mais aussi de la localisation probable de<br />
la lésion. En fait, il semble que le cortex frontal ait subi de<br />
substantiels dégâts dans chaque hémisphère.<br />
Département de Neurologie <strong>et</strong> Service<br />
d’Analyse d’Image. Université d’Iowa.<br />
Reconstruction de la lésion cérébrale de Gage à partir de techniques<br />
modernes d’imagerie. À partir de « The r<strong>et</strong>urn of Phinéas<br />
Gage : Clues about the brain from the skull of a famous<br />
patient » par H. Damasio, T. Grabowski, R. Frank, A.M.<br />
Galaburda <strong>et</strong> R. Damasio, 1994, Science 20, p. 1102.<br />
recherches réalisées à ce jour suggèrent trois niveaux d’arguments soulignant le lien<br />
fonctionnel entre <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>comportement</strong> :<br />
1. <strong>De</strong> plus en plus de troub<strong>les</strong> <strong>comportement</strong>aux s’expliquent à partir de notre connaissance<br />
<strong>du</strong> <strong>cerveau</strong>, <strong>et</strong> leur traitement devient possible grâce à c<strong>et</strong>te connaissance.<br />
En eff<strong>et</strong>, plus de 2000 troub<strong>les</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> peuvent être mis en<br />
rapport avec des anomalies cérébra<strong>les</strong>. Le tableau 1-1 récapitule <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong><br />
d’altérations cérébra<strong>les</strong> qui seront abordées dans ce livre, en particulier dans <strong>les</strong><br />
« gros plans », <strong>et</strong> qui nous perm<strong>et</strong>tront d’insister sur le lien entre dysfonctionnement<br />
cérébral <strong>et</strong> trouble <strong>du</strong> <strong>comportement</strong>.<br />
2. Le <strong>cerveau</strong> est l’organe le plus complexe <strong>du</strong> vivant <strong>et</strong> c<strong>et</strong> organe est présent dans<br />
de nombreux groupes différents d’animaux. Ceux qui étudient le <strong>cerveau</strong> cherchent<br />
à comprendre quelle est sa place dans l’ordre biologique propre à notre planète.<br />
Dans le premier chapitre, nous décrirons la structure de base <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong><br />
ainsi que son évolution, en particulier en ce qui concerne l’Homme. Dans <strong>les</strong><br />
chapitres 3 à 5, nous aborderons le fonctionnement des cellu<strong>les</strong> cérébra<strong>les</strong>, cellu<strong>les</strong><br />
qui <strong>sont</strong> communes à tous <strong>les</strong> animaux possédant un système nerveux.
Tableau 1.1<br />
Index des maladies <strong>du</strong> système nerveux abordés dans <strong>les</strong> chapitres 1 à 15.<br />
Gros plan sur <strong>les</strong> troub<strong>les</strong><br />
Addiction 7 Epilépsie 4,9*,15 Migraine 8* Syndrome<br />
d’Asperger<br />
ADHD 15 Hémianopsie 8 Myasthénie grave 4* Syndrome de Down 3<br />
Agénésie des lobes<br />
frontaux<br />
11* Héminégligence<br />
controlatérale<br />
Agnosie 8 Hyperopsie<br />
(hypermétropie)<br />
14 Myopie 8* Syndrome<br />
de Korsakoff<br />
8* Narcolepsie 12 Syndrome<br />
de l’insensibilité<br />
aux androgènes<br />
Amnésie 13 Insomnie 12 Obésité 11 Syndrome de stress<br />
post-traumatique<br />
Anencéphalie 11 Intoxication<br />
à la MPTP<br />
Anévrisme cérébral 9* Intoxication à l’acide<br />
domoïque<br />
Anorexie nerveuse 11*,15 Intoxication<br />
au monoxyde<br />
de carbone<br />
5* Paralysie cérébrale 6*,10 Syndrome de (Gil<strong>les</strong><br />
de la) Tour<strong>et</strong>te<br />
7 Paralysie de Bell 2* Syndrome des<br />
jambes sans repos<br />
8* Paraplégie 10* Syndrome<br />
<strong>du</strong> split-brain<br />
Aphasie 10 Lésion cérébrale 1*,15 Phénylcétonurie 15 Synesthésie 14*<br />
Apnées <strong>du</strong> sommeil 12* Lésion de la moelle<br />
épinière<br />
10,11 Presbytie 8* Tétraplégie 10<br />
Arriération mentale 6 Lobotomie frontale 11 Privation sensorielle 6* Traumatisme invasif 1<br />
Ataxie 8 Maladie d’Alzheimer 5,13*,<br />
15<br />
Attaque cérébrale 2*,15 Maladie<br />
de Lou Gehrig<br />
Autisme 10* Maladie<br />
de Parkinson<br />
Chorée<br />
de Huntington<br />
3* Maladie<br />
de Tay-Sachs<br />
Crises de panique 11* Malformations<br />
artérioveineuses<br />
Psychose 7 Traumatisme cérébral<br />
(écrasement<br />
cérébral)<br />
4 Psychose par abus<br />
de drogue<br />
5*,15 Schizophrénie 5,6*,7,<br />
15<br />
Démence 1*, 15 Manie 15* Syndrome<br />
alcoolique fœtal<br />
Dépression 5,7,11*,<br />
15<br />
Encéphalopathies 2*<br />
Note : la désignation des maladies est suivie par le numéro <strong>du</strong> chapitre.<br />
* La maladie fait l’obj<strong>et</strong> d’un « gros plan sur <strong>les</strong> troub<strong>les</strong> ».<br />
Abréviation : ADHD, (pour attention deficit hyperactivity disorder qu’on tra<strong>du</strong>it par hyperactivité avec troub<strong>les</strong> de l’attention ; MPTP,<br />
méthylphényltétrahydropyridine)<br />
15<br />
13<br />
11*<br />
7<br />
5,10*<br />
12<br />
14<br />
1*<br />
27<br />
7* Troub<strong>les</strong> affectifs 11*,15<br />
Troub<strong>les</strong> affectifs<br />
saisonniers<br />
3 Sclérose multiple 3*,15 Troub<strong>les</strong> anxieux<br />
généralisés<br />
9* Scotome 8 Troub<strong>les</strong> bipolaires 15<br />
Méningite 2* Syndrome<br />
androgénique<br />
7* Troub<strong>les</strong><br />
de l’apprentissage<br />
12*<br />
9<br />
1*,6<br />
6 Tumeurs cérébra<strong>les</strong> 3*
28 <strong>Quel<strong>les</strong></strong> <strong>sont</strong> <strong>les</strong> <strong>origines</strong> <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> ?<br />
3. Comment le <strong>cerveau</strong> fait-il pour pro<strong>du</strong>ire <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> <strong>et</strong>, chez l’Homme,<br />
comment fait-il pour assurer l’existence d’un sentiment de conscience ? Voilà<br />
deux questions scientifiques majeures restées pour l’heure sans réponse. <strong>De</strong><br />
nombreux scientifiques <strong>et</strong> de non moins nombreux étudiants abordent l’étude <strong>du</strong><br />
<strong>cerveau</strong> selon une perspective philosophique devant déboucher sur une compréhension<br />
de l’humanité. Plusieurs chapitres de ce livre touchent à la relation entre,<br />
d’une part <strong>les</strong> questions psychologiques relatives au <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> au <strong>comportement</strong><br />
<strong>et</strong>, d’autre part, <strong>les</strong> questions philosophiques concernant l’humanité. Par exemple,<br />
dans <strong>les</strong> chapitres 13 <strong>et</strong> 14, nous nous pencherons sur la façon dont nous<br />
nous y prenons pour apprendre <strong>et</strong> pour penser.<br />
Personne parmi nous ne peut faire de prédiction quant à l’utilité opérationnelle<br />
de ce que nous savons sur le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> sur le <strong>comportement</strong>. L’une de nos anciennes étudiante<br />
en psychologie, majore de promotion de c<strong>et</strong>te année, nous écrivit qu’elle avait<br />
choisi notre cours simplement parce qu’elle n’avait aucune envie particulière d’en suivre<br />
un autre. Elle nous fit part <strong>du</strong> fait que quoiqu’elle trouvât notre enseignement intéressant,<br />
il s’agissait de biologie, <strong>et</strong> non de psychologie. Une fois diplômée, elle obtint un emploi<br />
dans une agence sociale <strong>et</strong>, pour sa plus grande satisfaction, put constater qu’en comprenant<br />
<strong>les</strong> relations entre <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>comportement</strong>, elle avait en même temps accès à la<br />
compréhension de bon nombre des troub<strong>les</strong> dont étaient atteints ses clients, de même<br />
qu’à la connaissance des options thérapeutiques possib<strong>les</strong>. Nous commencerons donc par<br />
définir le <strong>cerveau</strong>, puis nous aborderons la définition <strong>du</strong> <strong>comportement</strong>, <strong>et</strong> enfin nous<br />
approfondirons la manière dont l’un <strong>et</strong> l’autre ont conjointement évolué.<br />
1.1.1 Qu’est-ce que le <strong>cerveau</strong> ?<br />
Pour ses études pré-doctora<strong>les</strong>, notre ami Harvey avait choisi d’étudier l’activité électrique<br />
<strong>du</strong> <strong>cerveau</strong>. Il disait qu’il voulait survivre à la mort de son corps sous la forme d’un<br />
<strong>cerveau</strong> maintenu en vie dans un flacon. Il espérait que sa recherche lui perm<strong>et</strong>trait de faire<br />
en sorte que son <strong>cerveau</strong> en flacon puisse communiquer avec ses semblab<strong>les</strong> qui seraient<br />
en mesure de décrypter <strong>les</strong> signaux électriques <strong>du</strong> dit <strong>cerveau</strong>. Harvey réussit à maîtriser<br />
<strong>les</strong> techniques d’enregistrement de l’activité électrique <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong>, mais il échoua pour le<br />
reste, en partie parce que son objectif était techniquement impossible à atteindre, mais<br />
aussi parce qu’il avait des lacunes au suj<strong>et</strong> de ce qu’il convient d’entendre par « <strong>cerveau</strong> ».<br />
Cerveau est un terme qui désigne la masse de tissu que l’on trouve dans le crâne,<br />
<strong>et</strong> c’est ce tissu que Harvey voulut m<strong>et</strong>tre en flacon. La Figure 1-1 présente un exemple<br />
de <strong>cerveau</strong> humain tel qu’on peut le trouver dans le crâne d’un être humain se tenant<br />
debout. Le <strong>cerveau</strong> possède deux moitiés relativement symétriques appelées des hémisphères,<br />
l’un à droite <strong>et</strong> l’autre à gauche. Ainsi, de la même façon que le corps est symétrique,<br />
avec ses deux bras <strong>et</strong> ses deux jambes, le <strong>cerveau</strong> est lui aussi symétrique. La<br />
Figure 1-1A montre l’hémisphère gauche d’un <strong>cerveau</strong> humain tel qu’il est disposé dans<br />
le crâne. Si vous formez un poing avec votre main droite <strong>et</strong> que vous tenez ce poing en<br />
l’air, le pouce vers l’avant, il peut figurer la position des hémisphères cérébraux à l’intérieur<br />
<strong>du</strong> crâne (Figure 1-1B).<br />
Toute la couche externe <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> est constituée par une fine couche de tissu<br />
nerveux plissé. Ces replis <strong>sont</strong> appelés des circonvolutions. C<strong>et</strong>te couche externe, appelée<br />
le cortex cérébral, apparaît n<strong>et</strong>tement sur la section transversale de la Figure 1-1A.<br />
Le mot « cortex », qui signifie « écorce » en latin, est choisi bien à propos <strong>du</strong> fait de<br />
l’apparence plissée <strong>du</strong> cortex, mais aussi parce qu’il recouvre la majeure partie <strong>du</strong> reste<br />
<strong>du</strong> <strong>cerveau</strong>. Les plis <strong>du</strong> cortex <strong>sont</strong> aussi appelés des sillons (sortes de fentes), ou scissures,<br />
<strong>et</strong> <strong>les</strong> circonvolutions des gyri (pluriel <strong>du</strong> latin « gyrus »). Au contraire des éléments
(A)<br />
Les lobes<br />
correspondent à des<br />
divisions <strong>du</strong> cortex<br />
(B)<br />
<strong>De</strong>vant<br />
Votre main droite, transformée en<br />
poing, perm<strong>et</strong> de figurer la position<br />
des lobes dans l’hémisphère<br />
gauche de votre <strong>cerveau</strong>.<br />
Lobe frontal<br />
(doigts)<br />
Lobe<br />
frontal<br />
Lobe temporal<br />
(pouce)<br />
<strong>De</strong>ssus<br />
<strong>De</strong>ssous<br />
Le <strong>cerveau</strong> est composé<br />
de deux hémisphères,<br />
un droit <strong>et</strong> un gauche.<br />
Lobe<br />
pari pariétal tal<br />
Lobe<br />
Lobe<br />
occipital<br />
temporal <strong>De</strong>rrière<br />
Lobe pariétal<br />
(jointures)<br />
Lobe occipital<br />
(poign<strong>et</strong>)<br />
de l’écorce d’un arbre, ces sillons ne <strong>sont</strong> pas distribués au hasard sur la surface corticale,<br />
mais délimitent des zones fonctionnel<strong>les</strong> bien indivi<strong>du</strong>alisées. Nous verrons leur nom <strong>et</strong><br />
leur fonction un peu plus loin. Le cortex de chaque hémisphère est divisé en quatre lobes,<br />
dont l’appellation est directement inspirée <strong>du</strong> nom des os crâniens qui <strong>les</strong> recouvrent.<br />
Le lobe temporal est localisé approximativement au même endroit que le pouce<br />
de votre poing tenu à la hauteur de votre tête. Parce qu’il pointe vers l’avant, il est un bon<br />
repère pour savoir quelle partie <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> est située vers l’avant. Le lobe situé juste audessus<br />
<strong>du</strong> lobe temporal est appelé lobe frontal, car il est localisé à l’avant <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong><br />
(en position frontale), juste sous l’os frontal <strong>du</strong> crâne. Le lobe pariétal est localisé derrière<br />
le lobe frontal, <strong>et</strong> le lobe occipital constitue la région corticale que l’on trouve à<br />
l’arrière de chaque hémisphère.<br />
Il est évident que Harvey, qui voulait que son <strong>cerveau</strong> fût conservé dans un flacon<br />
après sa mort, ne voulait pas seulement préserver son <strong>cerveau</strong>, mais aussi son soi,<br />
autrement dit sa conscience, ses pensées, toute son intelligence. La signification <strong>du</strong> terme<br />
« <strong>cerveau</strong> » se rapporte à quelque chose d’autre que l’organe que l’on trouve dans le<br />
crâne. Il renvoie à c<strong>et</strong> organe en tant qu’il exerce un contrôle sur le <strong>comportement</strong>.<br />
Gros plan sur <strong>les</strong> troub<strong>les</strong> 29<br />
Coupe transversale<br />
Les replis à la surface <strong>du</strong><br />
<strong>cerveau</strong> <strong>sont</strong> appelés des<br />
circonvolutions, <strong>les</strong> fentes qui<br />
<strong>les</strong> délimitent des scissures<br />
ou fissures.<br />
Le cortex cérébral<br />
est la fine couche<br />
externe <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong>,<br />
son écorce.<br />
Glaubermann/Photo Researchers<br />
Figure 1.1<br />
Le <strong>cerveau</strong> humain<br />
(A) Schéma illustrant<br />
l’orientation<br />
<strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> dans la<br />
tête d’un être<br />
humain. La partie<br />
visible <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong><br />
est appelée cortex<br />
cérébral (cortex<br />
signifie « écorce »,<br />
<strong>et</strong> le cortex ressemble<br />
à l’écorce d’un<br />
arbre). Le cortex<br />
est une fine couche<br />
de tissu présentant<br />
de nombreux<br />
replis qui lui perm<strong>et</strong>tent<br />
de tenir à<br />
l’intérieur <strong>du</strong> crâne.<br />
Les plis <strong>sont</strong> appelés<br />
des circonvolutions.<br />
Le <strong>cerveau</strong><br />
est constitué de<br />
deux moitiés symétriques<br />
appelées<br />
des hémisphères.<br />
Chaque hémisphère<br />
est divisé en<br />
quatre lobes : <strong>les</strong><br />
lobes frontal, pariétal,<br />
temporal <strong>et</strong><br />
occipital.<br />
Glaubermann/<br />
Photo Researchers
30 <strong>Quel<strong>les</strong></strong> <strong>sont</strong> <strong>les</strong> <strong>origines</strong> <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> ?<br />
Figure 1.2<br />
Organisation générale <strong>du</strong><br />
système nerveux humain<br />
Le système nerveux interprète<br />
<strong>les</strong> stimulations sensoriel<strong>les</strong> <strong>et</strong><br />
détermine le <strong>comportement</strong>.<br />
C<strong>et</strong>te signification de « <strong>cerveau</strong> » est celle à laquelle nous nous référons lorsque<br />
nous parlons <strong>du</strong> « <strong>cerveau</strong> d’une opération » ou que nous parlons d’un ordinateur assurant<br />
le guidage d’un vaisseau spatial. Le terme « <strong>cerveau</strong> » désigne alors aussi bien<br />
l’organe lui-même que le fait que c<strong>et</strong> organe assure le contrôle <strong>du</strong> <strong>comportement</strong>. Harvey<br />
pouvait-il réussir à préserver dans une bouteille c<strong>et</strong>te centrale de conscience responsable<br />
de son contrôle ? La réponse à c<strong>et</strong>te question vient dans la suite <strong>du</strong> texte.<br />
1.1.2 Comment le système nerveux est-il structuré ?<br />
Comme tout autre organe <strong>du</strong> corps, le <strong>cerveau</strong> est composé de plusieurs milliards de cellu<strong>les</strong><br />
de tail<strong>les</strong> <strong>et</strong> de formes variées. Les neurones <strong>sont</strong> <strong>les</strong> cellu<strong>les</strong> (parfois appelées cellu<strong>les</strong><br />
nerveuses) qui <strong>sont</strong> <strong>les</strong> plus directement impliquées dans le contrôle <strong>du</strong><br />
<strong>comportement</strong>. Les neurones <strong>sont</strong> formés de longs prolongements appelés axones <strong>et</strong> dendrites.<br />
Ce <strong>sont</strong> ces prolongements qui leur perm<strong>et</strong>tent de communiquer entre eux, <strong>et</strong><br />
d’être en contact avec <strong>les</strong> récepteurs sensoriels de l’organisme, de même qu’avec <strong>les</strong><br />
musc<strong>les</strong> <strong>et</strong> <strong>les</strong> organes internes <strong>du</strong> corps.<br />
Le système nerveux est subdivisé en deux parties : le système nerveux central <strong>et</strong><br />
le système nerveux périphérique. La plupart des connexions <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> avec le reste de<br />
l’organisme se font par l’intermédiaire de la moelle épinière, qui descend à travers un<br />
canal dans <strong>les</strong> vertèbres (<strong>les</strong> os qui forment la colonne vertébrale). Ensemble, le <strong>cerveau</strong><br />
<strong>et</strong> la moelle épinière forment le système nerveux central (SNC), comme indiqué dans la<br />
Figure 1-2. C’est ainsi que le système nerveux central est encastré dans un compartiment<br />
osseux, le <strong>cerveau</strong> dans le crâne, la moelle épinière dans la colonne vertébrale. Ce système<br />
nerveux est dit central non seulement parce que, physiquement, il occupe une position<br />
centrale au sein <strong>du</strong> système nerveux, mais aussi parce qu’il est la structure essentielle<br />
<strong>du</strong> déterminisme <strong>comportement</strong>al.<br />
Le système nerveux central (SNC) comprend<br />
le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> la moelle épinière, deux<br />
parties <strong>du</strong> système nerveux logées dans<br />
le crâne <strong>et</strong> la colonne vertébrale, respectivement.<br />
Le système nerveux périphérique (SNP)<br />
comprend <strong>les</strong> parties <strong>du</strong> système nerveux qui<br />
assurent la connexion entre le SNC (<strong>cerveau</strong> <strong>et</strong><br />
moelle épinière) <strong>et</strong> le reste de l’organisme.<br />
Connexions sensoriel<strong>les</strong><br />
aux récepteurs sensoriels<br />
de la peau<br />
Connexions<br />
motrices aux<br />
musc<strong>les</strong> <strong>du</strong> corps<br />
Connexions autonomes<br />
aux organes internes<br />
<strong>du</strong> corps
Toutes <strong>les</strong> fibres nerveuses en provenance <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> de la moelle épinière,<br />
de même que tous <strong>les</strong> neurones localisés en dehors <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> de la moelle, forment<br />
ce qu’on appelle le système nerveux périphérique (SNP) (voir la Figure 1-2). Dans le<br />
SNP, un réseau très fourni de neurones sensoriels est connecté aux récepteurs localisés à<br />
la surface <strong>du</strong> corps, de même qu’aux organes internes <strong>et</strong> aux musc<strong>les</strong> d’où il achemine<br />
de nombreux signaux sensoriels vers le SNC qui en assure le traitement. Dans le SNP,<br />
<strong>les</strong> neurones moteurs, aussi appelés motoneurones, assurent une connexion <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong><br />
<strong>et</strong> de la moelle épinière avec <strong>les</strong> musc<strong>les</strong> de la face, <strong>du</strong> tronc <strong>et</strong> des membres. Les voies<br />
motrices <strong>sont</strong> également mises en œuvre pour assurer le fonctionnement des organes<br />
internes de votre corps, pour le contrôle des fonctions dites autonomes tel<strong>les</strong> que le battement<br />
de votre cœur, <strong>les</strong> contractions de votre estomac, <strong>et</strong> <strong>les</strong> mouvements de votre<br />
diaphragme, qui gonfle <strong>et</strong> dégonfle vos poumons.<br />
Pour en revenir à Harvey <strong>et</strong> à son expérience imaginaire <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> en bocal, le<br />
fait de placer un <strong>cerveau</strong> dans un bocal, <strong>et</strong> même celui d’y m<strong>et</strong>tre tout le SNC, aurait pour<br />
conséquence immédiate de séparer ce système <strong>du</strong> SNP, <strong>et</strong> donc de l’ensemble des sensations<br />
<strong>et</strong> mouvements assurés par le SNP. Comment le <strong>cerveau</strong> pourrait-il fonctionner en<br />
l’absence d’informations sensoriel<strong>les</strong> <strong>et</strong> sans la capacité de pro<strong>du</strong>ire <strong>du</strong> mouvement ?<br />
Dans une étude entreprise <strong>du</strong>rant <strong>les</strong> années 20, Edmond Jacobson (1932) chercha<br />
à savoir ce qui se passerait si nos musc<strong>les</strong> cessaient totalement de bouger, une question<br />
qui n’est pas sans rapport avec l’expérience imaginée par Harvey. Jacobson pensait<br />
que même si nous étions convaincus d’être complètement immobi<strong>les</strong>, nous ferions<br />
encore des mouvements subliminaux liés à nos pensées. Par exemple, <strong>les</strong> musc<strong>les</strong> <strong>du</strong><br />
larynx présentent des mouvements subliminaires (imperceptib<strong>les</strong>) lorsque nous<br />
« pensons en mots », <strong>et</strong> nous faisons des mouvements subliminaux avec nos yeux lorsque<br />
nous nous représentons une scène visuelle. Jacobson a travaillé avec des suj<strong>et</strong>s qui pratiquaient<br />
la relaxation totale. Il leur demanda de tra<strong>du</strong>ire ce qu’ils éprouvaient pendant<br />
une telle expérience. Ses suj<strong>et</strong>s parlaient d’une condition de « vide mental », comme si<br />
leur <strong>cerveau</strong> avait cessé de fonctionner.<br />
En 1957, Woodburn Heron travailla sur <strong>les</strong> eff<strong>et</strong>s de la privation sensorielle, y<br />
compris la privation de tout feedback des mouvements. Les suj<strong>et</strong>s, déshabillés, étaient<br />
allongés sur un lit, à l’intérieur d’une chambre insonorisée. Ils devaient se tenir complètement<br />
immobi<strong>les</strong>. Leurs bras étaient recouverts d’une gaine qui prévenait toute expérience<br />
tactile, <strong>et</strong> des lun<strong>et</strong>tes opaques <strong>les</strong> empêchaient de voir. Les suj<strong>et</strong>s racontèrent que<br />
c<strong>et</strong>te expérience fut extrêmement déplaisante, non seulement <strong>du</strong> fait de l’isolement<br />
social, mais aussi parce qu’ils n’avaient plus le moindre repère dans c<strong>et</strong>te situation. Certains<br />
suj<strong>et</strong>s eurent même des hallucinations, comme si leur <strong>cerveau</strong> cherchait, d’une<br />
manière ou d’une autre, à créer une expérience sensorielle qui lui manquait soudainement.<br />
La plupart des suj<strong>et</strong>s choisirent d’abandonner l’expérience avant sa fin.<br />
Les résultats de ces travaux suggèrent que le <strong>cerveau</strong> a besoin d’expériences sensoriel<strong>les</strong><br />
<strong>et</strong> motrices soutenues quand il s’agit pour lui de maintenir une activité mentale.<br />
Ainsi, lorsque nous utilisons le terme « <strong>cerveau</strong> » pour désigner un organe fonctionnel<br />
intelligent, nous devrions probablement nous efforcer de considérer que ce terme renvoie<br />
à un <strong>cerveau</strong> indissociable des relations qu’il a avec le reste <strong>du</strong> système nerveux. Malheureusement<br />
pour Harvey, il n’est pas vraisemblable qu’un <strong>cerveau</strong> en flacon puisse<br />
continuer à fonctionner normalement après avoir été coupé <strong>du</strong> SNP.<br />
1.1.3 Qu’est-ce que le <strong>comportement</strong> ?<br />
Irneäus Eibl-Eibesfeldt commença son manuel intitulé « Ethologie : la Biologie <strong>du</strong><br />
Comportement », un livre publié en 1970, en proposant la définition suivante <strong>du</strong> compor-<br />
Gros plan sur <strong>les</strong> troub<strong>les</strong> 31
32 <strong>Quel<strong>les</strong></strong> <strong>sont</strong> <strong>les</strong> <strong>origines</strong> <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> ?<br />
tement : « Le <strong>comportement</strong> est une manifestation qui a lieu par rapport à un axe<br />
temporel. » Ces manifestations peuvent prendre la forme de mouvements, de vocalisations,<br />
de changements dans l’apparence tels que <strong>les</strong> changements <strong>du</strong> visage qui tra<strong>du</strong>isent un sourire.<br />
L’expression de « manifestation dans le temps » peut même inclure le fait de penser.<br />
Bien que nous ne puissions observer directement <strong>les</strong> pensées de quelqu’un, il existe des<br />
techniques qui perm<strong>et</strong>tent d’enregistrer <strong>les</strong> modifications de l’activité électrique <strong>et</strong> biochimique<br />
<strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> associées au fait de penser. Donc, le simple fait de penser sans autre mouvement<br />
peut également être considéré comme une manifestation dans le temps.<br />
Pour certains animaux, la plupart des mouvements correspondent à des réponses<br />
innées, mais pour d’autres, <strong>les</strong> mouvements correspondent à des profils <strong>comportement</strong>aux<br />
qui peuvent être aussi bien héréditaires qu’appris 1 . Lorsque tous <strong>les</strong> membres d’une<br />
même espèce expriment le même <strong>comportement</strong> en des circonstances semblab<strong>les</strong>, c<strong>et</strong>te<br />
espèce aura probablement hérité d’un système nerveux destiné à pro<strong>du</strong>ire ce <strong>comportement</strong><br />
automatiquement. Au contraire, si chaque membre d’une espèce exprime, dans une<br />
même situation, une réponse <strong>comportement</strong>ale singulière, c<strong>et</strong>te espèce aura hérité d’un<br />
système nerveux qui est beaucoup plus flexible <strong>et</strong> qui s’avère capable de pro<strong>du</strong>ire des<br />
changements dans le <strong>comportement</strong> <strong>du</strong> fait d’un apprentissage.<br />
Un exemple d’une telle différence entre un pattern <strong>comportement</strong>al relativement<br />
fixe <strong>et</strong> un autre plus flexible nous est fourni par le <strong>comportement</strong> alimentaire de deux<br />
espèces d’animaux, à savoir le bec croisé <strong>et</strong> le rat noir, tous deux représentés dans la<br />
Figure 1-3. Les becs croisés <strong>sont</strong> des oiseaux dont le bec semble maladroitement croisé<br />
aux extrémités. Et pourtant, ce bec est parfaitement adapté à l’extraction des pignons de<br />
certains types de pommes de pin. Lorsqu’ils se nourrissent de pignons, <strong>les</strong> becs croisés<br />
utilisent des patterns <strong>comportement</strong>aux qui <strong>sont</strong> largement automatisés <strong>et</strong> qui ne nécessitent<br />
pas beaucoup de modifications <strong>du</strong> fait d’un apprentissage.<br />
Figure 1.3<br />
Comportements innés <strong>et</strong> acquis<br />
Certains <strong>comportement</strong>s des animaux <strong>sont</strong> largement hérités, tandis que<br />
d’autres <strong>sont</strong> appris (acquis). La façon dont <strong>les</strong> becs croisés se nourrissent de<br />
pignons de pin est un exemple de <strong>comportement</strong> inné. Ce mode d’alimentation<br />
est ren<strong>du</strong> possible grâce à la forme particulière <strong>du</strong> bec de c<strong>et</strong> oiseau :<br />
<strong>les</strong> extrémités <strong>sont</strong> croisées, comme l’illustre la figure de gauche. Au contraire,<br />
Rattus rattus, un rat qui vit dans <strong>les</strong> pins en Israël, ne peut se nourrir<br />
de pignons de pins que s’il acquiert un savoir-faire qui lui est transmis par sa<br />
mère. C<strong>et</strong> apprentissage est une forme de transmission culturelle.<br />
(En haut : Adapté de « The Beak of the Finch « (p. 183), par J. Weiner,<br />
1995, New york : Vintage. En bas : Adapté de « Cultural Transmission in<br />
the Black Rat : Pinecone Feeding », par J. Terkel, 1995, Advances in the<br />
Study of Behavior, 24, p. 122.)<br />
1. NDT : on dit aussi innés <strong>et</strong> acquis, respectivement.<br />
Le bec d’un bec croisé a une forme<br />
spécialement adaptée à l’ouverture<br />
des pommes de pin. Ce <strong>comportement</strong><br />
d’ouverture des pommes de pin est inné.<br />
C’est de sa mère qu’un jeune rat doit<br />
apprendre à se nourrir en consommant<br />
des pignons de pin. Ce <strong>comportement</strong><br />
est acquis.
Si d’aventure le bec d’un bec croisé était modifié, même s’il n’était que légèrement<br />
entaillé, l’oiseau ne serait plus en mesure de se nourrir de pignons de pins, <strong>et</strong> ce<br />
aussi longtemps que son bec n’aura pas r<strong>et</strong>rouvé sa forme naturelle. Les rats noirs, au<br />
contraire, <strong>sont</strong> des rongeurs aux incisives acérées qui semblent faites pour entailler à peu<br />
près n’importe quoi. Ces rats <strong>sont</strong> aussi des mangeurs de pignon très efficaces, mais ils<br />
ne pourront manger ces pignons qu’à la condition d’avoir appris à le faire d’une mère qui<br />
déjà procédait ainsi.<br />
Le <strong>comportement</strong> décrit ici se limite à l’ingestion de pignons, <strong>et</strong> nous tenons à souligner<br />
que nous n’affirmons en aucun cas que tous <strong>les</strong> <strong>comportement</strong>s <strong>du</strong> bec croisé <strong>sont</strong><br />
fixés, ou que tous <strong>les</strong> <strong>comportement</strong>s exprimés par des rats noirs <strong>sont</strong> appris. C’est un but<br />
majeur de la recherche que de distinguer, parmi <strong>les</strong> <strong>comportement</strong>s, <strong>les</strong>quels <strong>sont</strong> hérités<br />
(innés) <strong>et</strong> <strong>les</strong>quels <strong>sont</strong> appris (acquis). C<strong>et</strong>te recherche s’attellera aussi à comprendre comment<br />
le système nerveux se débrouille pour pro<strong>du</strong>ire chaque type de <strong>comportement</strong>.<br />
La complexité des <strong>comportement</strong>s varie considérablement d’une espèce à<br />
l’autre, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te variation dépend largement <strong>du</strong> niveau des capacités d’apprentissage <strong>et</strong> de<br />
la flexibilité <strong>comportement</strong>ale qu’une espèce peut atteindre. Généralement, <strong>les</strong> animaux<br />
dotés d’un système nerveux plus p<strong>et</strong>it, plus simple, ont une pal<strong>et</strong>te plus restreinte de <strong>comportement</strong>s.<br />
Les animaux dotés de systèmes nerveux complexes disposent d’un nombre<br />
d’options <strong>comportement</strong>a<strong>les</strong> plus grand. Nous, <strong>les</strong> humains, avons coutume de penser<br />
que nous appartenons à l’espèce animale pourvue <strong>du</strong> système nerveux le plus complexe,<br />
<strong>et</strong> c’est à ce titre que nous pensons posséder la plus grande capacité à apprendre de nouveaux<br />
types de réponses à de nouvel<strong>les</strong> situations.<br />
Les espèces qui ont développé une plus grande complexité ne l’ont cependant<br />
pas fait au détriment des composantes plus archaïques de leur système nerveux. Tout se<br />
passe plutôt comme si un gain de complexité devenait possible avec l’émergence de nouvel<strong>les</strong><br />
structures qui s’ajoutent aux plus anciennes. Pour c<strong>et</strong>te raison, <strong>et</strong> bien que le <strong>comportement</strong><br />
humain dépende principalement de l’apprentissage, nous possédons, au même<br />
titre que d’autres espèces anima<strong>les</strong>, de nombreux schémas innés de réponse. Le nourrisson<br />
tétant le sein maternel, par exemple, fait preuve d’un <strong>comportement</strong> alimentaire inné.<br />
EN RÉVISION<br />
Le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> le <strong>comportement</strong> <strong>sont</strong> liés, <strong>et</strong> <strong>les</strong> troub<strong>les</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> peuvent<br />
être expliqués, voire traités à partir d’une bonne compréhension <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong>. Comprendre<br />
comment le <strong>cerveau</strong> pro<strong>du</strong>it le <strong>comportement</strong> <strong>et</strong> la conscience reste une<br />
question majeure posée à la science. Pour l’heure, elle demeure sans réponse<br />
claire. Ceux qui étudient le <strong>cerveau</strong> espèrent comprendre la place <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> dans<br />
l’ordre biologique de notre planète. Le <strong>cerveau</strong> comporte deux hémisphères, un à<br />
gauche <strong>et</strong> un à droite. Chaque hémisphère présente une surface externe plissée,<br />
une couche de tissu appelée cortex, divisée en quatre lobes : le lobe temporal, le<br />
lobe frontal, le lobe pariétal <strong>et</strong> le lobe occipital. Le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> la moelle épinière forment<br />
ensemble le système nerveux central, <strong>et</strong> tous <strong>les</strong> nerfs qui émanent de la moelle<br />
épinière <strong>et</strong> qui la connectent avec d’autres parties <strong>du</strong> corps composent le système<br />
nerveux périphérique (SNP). <strong>De</strong>s réseaux de nerfs sensitifs arrivant au système nerveux<br />
central (SNC) <strong>et</strong> d’autres moteurs partant vers <strong>les</strong> musc<strong>les</strong> constituent la base<br />
même de ces deux systèmes. Pour définir simplement le <strong>comportement</strong>, on peut dire<br />
qu’il s’agit de tout type de mouvement pro<strong>du</strong>it par un organisme vivant. Bien que<br />
tous <strong>les</strong> <strong>comportement</strong>s aient une cause <strong>et</strong> une fonction particulières, ils varient dans<br />
leur complexité <strong>et</strong> dans leur niveau de flexibilité par rapport à l’apprentissage.<br />
Gros plan sur <strong>les</strong> troub<strong>les</strong> 33
34 <strong>Quel<strong>les</strong></strong> <strong>sont</strong> <strong>les</strong> <strong>origines</strong> <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> ?<br />
E. Lessing / Art Resource, New York<br />
François Gérard,<br />
Psyché <strong>et</strong> Cupidon (1798)<br />
1.2 Points de vue sur la relation entre <strong>cerveau</strong><br />
<strong>et</strong> <strong>comportement</strong><br />
Revenons à la question principale concernant l’étude <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong>, à<br />
savoir celle <strong>du</strong> lien entre l’un <strong>et</strong> l’autre. Nous abordons à présent la description de trois<br />
théories classiques sur le déterminisme <strong>du</strong> <strong>comportement</strong>, en évoquant un représentant<br />
majeur de chaque école de pensée – celle <strong>du</strong> mentalisme, celle <strong>du</strong> <strong>du</strong>alisme <strong>et</strong> celle <strong>du</strong><br />
matérialisme. Nous verrons aussi comment on peut rattacher la contribution de chacune<br />
d’entre el<strong>les</strong> au domaine des neurosciences. Vous ne manquerez pas de reconnaître que<br />
certaines des idées de l’ordre <strong>du</strong> bon sens que vous pourriez avoir au suj<strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong><br />
peuvent se rattacher à l’une ou l’autre des contributions de ces trois éco<strong>les</strong>.<br />
1.2.1 Aristote <strong>et</strong> le mentalisme<br />
Aristote<br />
(384-322 avant JC)<br />
Il y a plus de 2000 ans, dans la Grèce Antique, Aristote a proposé<br />
qu’une chose appelée l’esprit, l’âme ou la psyché était<br />
l’entité responsable de la pro<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> <strong>comportement</strong>.<br />
Dans la mythologie classique, Psyché était une jeune<br />
fille qui voulut épouser le jeune dieu Cupidon. Vénus, la mère<br />
de Cupidon, s’opposa à ce que son fils épousât une mortelle, <strong>et</strong><br />
se mit à harceler Psyché en lui imposant des tâches réputées<br />
impossib<strong>les</strong> pour une mortelle.<br />
Psyché réalisa ces tâches avec un tel acharnement, une<br />
telle intelligence <strong>et</strong> une telle abnégation, qu’elle fut faite immortelle ; l’objection de<br />
Vénus n’avait donc plus lieu d’être. Le philosophe de la Grèce Antique, Aristote, faisait<br />
allusion à c<strong>et</strong>te histoire lorsqu’il suggéra que toutes <strong>les</strong> fonctions intellectuel<strong>les</strong> de<br />
l’Homme étaient le pro<strong>du</strong>it de sa propre psyché. La psyché, disait Aristote, est responsable<br />
de la vie, <strong>et</strong> lorsqu’elle quitte le corps, c’est la vie qui s’en va, ne laissant que la mort.<br />
Les considérations d’Aristote sur le <strong>comportement</strong> ne reconnaissaient aucun rôle<br />
au <strong>cerveau</strong>, dont il pensait que la seule fonction était de refroidir le sang. Pour Aristote,<br />
c’est la psyché, immatérielle qui était responsable des pensées humaines, des perceptions<br />
<strong>et</strong> des émotions, ainsi que de processus tels que l’imagination, l’opinion, le désir, le plaisir,<br />
la souffrance, la mémoire <strong>et</strong> la raison. La psyché était une entité, ou « substance<br />
formelle » comme l’appellent <strong>les</strong> philosophes, indépendante <strong>du</strong> corps. Le point de vue<br />
d’Aristote, selon lequel une psyché non matérielle gouverne tous nos <strong>comportement</strong>s, fut<br />
adopté par le christianisme dans sa façon de concevoir l’âme. Ce point de vue fit l’obj<strong>et</strong><br />
d’une vaste diffusion dans le monde occidental.<br />
Le terme anglo-saxon pour désigner l’âme est mind, un mot également utilisé au<br />
sens de mémoire, <strong>et</strong> lorsque le terme « psyché » fut tra<strong>du</strong>it en anglais, c’est par esprit<br />
(mind) qu’il fut tra<strong>du</strong>it. Le point de vue philosophique qui stipule que l’âme ou la psyché<br />
d’une personne est responsable de son <strong>comportement</strong> est appelé « mentalisme », un<br />
terme qui signifie « de l’âme » ou « de l’esprit ». Le mentalisme n’est pas une conception<br />
scientifique. Parce que l’esprit n’est pas matériel, il ne peut faire l’obj<strong>et</strong> d’une étude reposant<br />
sur l’usage de méthodes scientifiques d’investigation. Toutefois, malgré ce rej<strong>et</strong> <strong>du</strong><br />
mentalisme de la part des scientifiques, des termes typiquement hérités <strong>du</strong> mentalisme,<br />
tels que sensation, perception, attention, imagination, émotion, motivation, mémoire <strong>et</strong><br />
volonté, <strong>sont</strong> toujours utilisés de nos jours pour désigner différents aspects <strong>du</strong><br />
<strong>comportement</strong>, qui tous demeurent des centres d’intérêt pour la recherche contemporaine<br />
en psychologie.
1.2.2 <strong>De</strong>scartes <strong>et</strong> de Dualisme<br />
René <strong>De</strong>scartes<br />
(1596-1650)<br />
Points de vue sur la relation entre <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>comportement</strong> 35<br />
Dans son livre intitulé Traité de l’Homme (1664), le premier des<br />
livres consacrés au <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> au <strong>comportement</strong>, René <strong>De</strong>scartes<br />
(1596-1650), un physiologiste, mathématicien <strong>et</strong> philosophe<br />
français, proposa une nouvelle explication <strong>du</strong> <strong>comportement</strong>.<br />
C<strong>et</strong>te explication attribuait au <strong>cerveau</strong> un rôle important. En<br />
eff<strong>et</strong>, <strong>De</strong>scartes plaça le siège de l’âme dans le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> fit le<br />
lien entre le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> le corps en considérant l’âme <strong>et</strong> le corps<br />
comme des entités séparées, mais interconnectées. Dans la première<br />
phrase <strong>du</strong> Traité de l’Homme, stipulant que <strong>les</strong> êtres<br />
humains doivent être composés d’un esprit <strong>et</strong> d’un corps, <strong>De</strong>scartes écrivait :<br />
« Je dois d’abord vous décrire séparément le corps (qui comprend le <strong>cerveau</strong>) ;<br />
puis, également de manière séparée, l’âme ; <strong>et</strong> finalement, je dois vous montrer<br />
comment ces deux substances se doivent d’être reliées <strong>et</strong> unies pour constituer <strong>les</strong><br />
êtres humains... » (<strong>De</strong>scartes, 1664, p. 1).<br />
Pour <strong>De</strong>scartes, qui posa donc que le corps <strong>et</strong> l’âme doivent être unifiés pour constituer<br />
un être humain, la plupart des activités <strong>du</strong> corps, dont <strong>les</strong> sensations, la digestion, la<br />
respiration <strong>et</strong> le sommeil, peuvent être expliquées par <strong>les</strong> principes mécaniques <strong>et</strong> physiques<br />
tels qu’ils étaient couramment conçus au 17ème siècle. D’un autre côté, l’âme est non<br />
matérielle, séparée <strong>du</strong> corps, <strong>et</strong> responsable des <strong>comportement</strong>s rationnels. La proposition<br />
de <strong>De</strong>scartes, selon qui une entité appelée l’âme dirigeait une machine appelée le corps,<br />
représente la première tentative sérieuse d’explication <strong>du</strong> rôle <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> dans le contrôle<br />
<strong>du</strong> <strong>comportement</strong> intelligent. La question de la manière dont une entité non matérielle interagissait<br />
avec un <strong>cerveau</strong>, <strong>et</strong> donc une entité physique, a fini par s’ériger en réel problème,<br />
celui de la <strong>du</strong>alité de l’âme <strong>et</strong> <strong>du</strong> corps, <strong>et</strong> le point de vue philosophique selon lequel le<br />
<strong>comportement</strong> est contrôlé par deux entités, l’âme <strong>et</strong> le corps, est appelé <strong>du</strong>alisme.<br />
La Figure 1-4 est une repro<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> livre de <strong>De</strong>scartes <strong>et</strong> vous montre comment<br />
l’esprit (ou âme) serait informé à partir <strong>du</strong> corps. Par exemple, lorsqu’une main touche<br />
une balle, l’esprit apprend par le <strong>cerveau</strong> qu’une balle existe. Il apprend aussi où la<br />
balle est localisée, <strong>et</strong> quel<strong>les</strong> en <strong>sont</strong> la taille <strong>et</strong> la texture. C’est aussi l’esprit qui ordonne<br />
au corps de toucher la balle, mais encore une fois, ceci se fait par l’intermédiaire <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong>.<br />
L’esprit commande au <strong>cerveau</strong> de faire en sorte que le corps pro<strong>du</strong>ise une grande<br />
variété d’actions, tel<strong>les</strong> que courir, modifier le rythme respiratoire, ou lancer la balle à<br />
travers la pièce. L’esprit rationnel dépend donc <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> aussi bien pour <strong>les</strong> fonctions<br />
d’information que pour cel<strong>les</strong> qui assurent un contrôle <strong>du</strong> <strong>comportement</strong>.<br />
<strong>De</strong>scartes était aussi très bien informé sur quantité de machines qui étaient construites<br />
alors, dont des montres, des roues à eau <strong>et</strong> des systèmes d’engrenages. Lors de<br />
démonstrations publiques, il découvrait des gadg<strong>et</strong>s mécaniques, tels que ceux des jardins<br />
aquatiques de Paris. Une de ces inventions perm<strong>et</strong>tait le déclenchement simultané<br />
Figure 1.4<br />
Dualisme<br />
<strong>De</strong>scartes proposa que <strong>les</strong> êtres humains avaient, tout à la fois, un esprit (une âme) <strong>et</strong> un <strong>cerveau</strong>.<br />
Il soutint que la glande pinéale, région <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong>, recevait des messages de nature différente<br />
d’une main lorsque celle-ci tenait, par exemple, une flûte, par rapport à l’autre qui<br />
touchait une balle. L’esprit, localisé dans la glande pinéale, interprète ces messages. C’est ainsi<br />
qu’il est renseigné à propos de la flûte <strong>et</strong> de la balle.<br />
(Du Traité de l’Homme, par R. <strong>De</strong>scartes, 1664, Réimpression <strong>et</strong> tra<strong>du</strong>ction (p. 60), 1972,<br />
Cambridge, MA : Harvard University Press).
36 <strong>Quel<strong>les</strong></strong> <strong>sont</strong> <strong>les</strong> <strong>origines</strong> <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> ?<br />
<strong>du</strong> déplacement d’une statue dissimulée dans un bosqu<strong>et</strong> <strong>et</strong> d’un j<strong>et</strong> d’eau. Ce déclenchement<br />
se faisait lorsqu’un flâneur ne se doutant de rien passait à proximité <strong>du</strong> dispositif <strong>et</strong><br />
foulait une pédale cachée dans l’allée.<br />
Influencé par ces constructions mécaniques, <strong>De</strong>scartes proposa que <strong>les</strong> fonctions<br />
<strong>du</strong> corps étaient pro<strong>du</strong>ites selon des principes comparab<strong>les</strong> à ceux de la mécanique. Par<br />
exemple, il utilisa des analogies avec la mécanique lorsqu’il décrivit comment nous prenons<br />
des décisions au suj<strong>et</strong> de l’évaluation des distances <strong>et</strong> des ang<strong>les</strong> en nous aidant<br />
d’informations visuel<strong>les</strong>. Il en fit de même lorsqu’il essaya d’expliquer pourquoi, lorsque<br />
nous regardons précisément un obj<strong>et</strong>, nous ne pouvons recueillir <strong>les</strong> informations sur ce<br />
qui l’entoure avec la même précision que celle caractérisant la perception de l’obj<strong>et</strong> sur<br />
lequel était fixé le regard. Il s’intéressa aussi en détail aux fonctions physiologiques<br />
mécaniques tel<strong>les</strong> que la digestion, la respiration, <strong>et</strong> le rôle des nerfs <strong>et</strong> des musc<strong>les</strong>. Pour<br />
expliquer comment l’esprit contrôle le corps, <strong>De</strong>scartes suggéra que l’esprit réside dans<br />
une p<strong>et</strong>ite région <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> appelée la glande pinéale, localisée au centre <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> à<br />
côté de cavités remplies d’un liquide <strong>et</strong> appelées ventricu<strong>les</strong>.<br />
Selon <strong>De</strong>scartes, la glande pinéale contrôle le déplacement des fluides depuis <strong>les</strong><br />
ventricu<strong>les</strong> jusqu’aux musc<strong>les</strong> en traversant <strong>les</strong> nerfs. Lorsque ces fluides actionnent <strong>les</strong><br />
musc<strong>les</strong>, le corps se m<strong>et</strong> en mouvement. Dans la théorie de <strong>De</strong>scartes, l’esprit régule le<br />
<strong>comportement</strong> en dirigeant le courant de fluides ventriculaires vers <strong>les</strong> musc<strong>les</strong> appropriés.<br />
Notez que, pour <strong>De</strong>scartes, le corps <strong>et</strong> l’esprit étaient des entités séparées, <strong>et</strong> que la glande<br />
pinéale n’était qu’une structure par l’intermédiaire de laquelle l’esprit pouvait fonctionner.<br />
La théorie de <strong>De</strong>scartes comprend de nombreux problèmes dans ses détails <strong>et</strong><br />
dans sa logique. En ce qui concerne <strong>les</strong> détails, nous savons de nos jours que des personnes<br />
dont la glande pinéale a été endommagée, ou encore que des personnes qui n’ont pas<br />
de glande pinéale présentent un <strong>comportement</strong> absolument normal sur le plan intellectuel.<br />
La glande pinéale joue un rôle dans <strong>les</strong> rythmes biologiques, non dans le contrôle<br />
de tout le <strong>comportement</strong> humain. Qui plus est, nous savons maintenant que la contraction<br />
des musc<strong>les</strong> n’est pas le fruit <strong>du</strong> pompage d’un fluide en provenance <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong>.<br />
Lorsqu’on place un bras dans une bassine d’eau <strong>et</strong> qu’on contracte <strong>les</strong> musc<strong>les</strong> <strong>du</strong> bras,<br />
le niveau d’eau dans la bassine n’augmente pas, comme il devrait en être si un liquide<br />
était pompé dans le bras. En ce qui concerne sa logique, la théorie de <strong>De</strong>scartes présentait<br />
également d’autres défauts. Il n’existe aucun moyen évident pour qu’une entité non<br />
matérielle puisse influencer le corps, car une telle action nécessiterait une création<br />
d’énergie, ce qui serait en contradiction avec <strong>les</strong> lois de la Physique.<br />
Il n’en reste pas moins que <strong>De</strong>scartes proposa des tests pour valider ses théories.<br />
Pour savoir si un organisme possédait une âme, <strong>De</strong>scartes proposait deux tests :<br />
celui <strong>du</strong> langage <strong>et</strong> celui de l’action. Pour réussir le test <strong>du</strong> langage, un organisme doit<br />
pouvoir utiliser le langage pour décrire des choses non présentes physiquement <strong>et</strong> pour<br />
raisonner à leur suj<strong>et</strong>. Le test de l’action requiert de la part de l’organisme qu’il présente<br />
un <strong>comportement</strong> basé sur le raisonnement, <strong>et</strong> qui ne soit pas qu’une réponse automatique<br />
à une situation particulière. <strong>De</strong>scartes pensait que même si un ingénieur parvenait à<br />
élaborer un robot dont l’apparence serait humaine, on pourrait le distinguer d’un véritable<br />
être humain parce qu’il ne réussirait aucun de ces deux tests. <strong>De</strong>scartes avança aussi<br />
que <strong>les</strong> animaux <strong>sont</strong>, eux aussi, incapab<strong>les</strong> de réussir ces tests. Une bonne partie des travaux<br />
expérimentaux réalisés de nos jours est consacrée, d’une façon ou d’une autre, à<br />
vérifier si <strong>De</strong>scartes avait raison à ce suj<strong>et</strong>. Par exemple, des études sur le langage des<br />
singes cherchent à déterminer si <strong>les</strong> singes <strong>sont</strong> capab<strong>les</strong> de décrire des choses, <strong>et</strong> d’établir<br />
un raisonnement au suj<strong>et</strong> de ces dernières, mais en leur absence, <strong>et</strong> donc, ce faisant,<br />
de réussir le test <strong>du</strong> langage. L’encadré intitulé Origines <strong>du</strong> langage parlé propose un<br />
résumé <strong>du</strong> point de vue moderne sur le langage des animaux.
Points de vue sur la relation entre <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>comportement</strong> 37<br />
La théorie de <strong>De</strong>scartes eut un certain nombre de conséquences malheureuses.<br />
Sur la base de celle-ci, certaines personnes avancèrent que <strong>les</strong> jeunes enfants <strong>et</strong> <strong>les</strong> malades<br />
mentaux ne devaient pas posséder d’âme, parce qu’il arrivait souvent qu’ils ne raisonnent<br />
pas de manière adéquate. Nous utilisons encore aujourd’hui l’expression « il a<br />
per<strong>du</strong> l’esprit » pour parler de quelqu’un qui est mentalement malade. Certains adeptes<br />
d’un tel point de vue menèrent le raisonnement jusqu’à considérer que si une personne<br />
n’avait pas d’esprit, elle ne pouvait en réalité être qu’une machine ne nécessitant donc ni<br />
égard ni respect. La théorie de <strong>De</strong>scartes justifiait implicitement toute la cruauté dont <strong>les</strong><br />
animaux, <strong>les</strong> enfants <strong>et</strong> <strong>les</strong> malades mentaux furent la cible. Il n’est pas pensable que<br />
<strong>De</strong>scartes lui-même eût partagé une telle interprétation. On l’a décrit comme extrêmement<br />
doux à l’égard de son propre chien appelé Monsieur Grat.<br />
1.2.3 Darwin <strong>et</strong> le Matérialisme<br />
Char<strong>les</strong> Darwin<br />
(1809-1892)<br />
Alfred Wallace<br />
(1823-1913)<br />
Ventricu<strong>les</strong><br />
Glande pinéale<br />
Au milieu <strong>du</strong> 19 ème siècle, <strong>les</strong> débuts d’une autre théorie<br />
sur le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> le <strong>comportement</strong> commencèrent<br />
à voir le jour. C<strong>et</strong>te théorie reposait sur une perspective<br />
moderne <strong>du</strong> matérialisme -l’idée selon laquelle<br />
le <strong>comportement</strong> rationnel peut être entièrement<br />
expliqué par le fonctionnement de notre <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong><br />
reste <strong>du</strong> système nerveux, sans qu’il soit besoin de<br />
faire référence à une âme qui contrôlerait nos actions.<br />
Ce point de vue trouvait ses racines dans <strong>les</strong> théories<br />
de l’évolution défen<strong>du</strong>es par Alfred Russel Wallace<br />
<strong>et</strong> par Char<strong>les</strong> Darwin.<br />
Ayant suivi des démarches indépendantes, Wallace <strong>et</strong> Darwin parvinrent aux<br />
mêmes conclusions -l’idée que toutes <strong>les</strong> choses vivantes <strong>sont</strong> reliées <strong>les</strong> unes aux autres.<br />
Chacun présenta son point de vue dans un rapport défen<strong>du</strong> devant la Société Linnéenne<br />
de Londres en juill<strong>et</strong> 1858. Darwin élabora davantage ce suj<strong>et</strong> dans son livre intitulé « <strong>De</strong><br />
l’Origine des Espèces au Moyen de la Sélection Naturelle », publié en 1859. Ce livre<br />
recensa une multitude de détails confirmant sa théorie, ce qui explique pourquoi Darwin<br />
est, plus souvent que Wallace, considéré comme le fondateur de la théorie de l’évolution<br />
telle qu’elle est conçue aujourd’hui.<br />
Darwin comme Wallace avaient, l’un <strong>et</strong> l’autre, minutieusement observé la<br />
structure de plantes <strong>et</strong> d’animaux, tout en gardant un œil focalisé sur le <strong>comportement</strong><br />
animal. Malgré la diversité des organismes vivants, ils furent frappés par le nombre de<br />
caractéristiques qui étaient communes à de si nombreuses espèces. Par exemple, le squel<strong>et</strong>te,<br />
<strong>les</strong> musc<strong>les</strong> <strong>et</strong> d’autres parties <strong>du</strong> corps des êtres humains, des singes <strong>et</strong> d’autres<br />
mammifères <strong>sont</strong> remarquablement similaires <strong>du</strong> point de vue de leur organisation.
38 <strong>Quel<strong>les</strong></strong> <strong>sont</strong> <strong>les</strong> <strong>origines</strong> <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> ?<br />
GROS PLAN SUR LES NOUVELLES RECHERCHES<br />
Les <strong>origines</strong> <strong>du</strong> langage parlé<br />
Le langage est une caractéristique tellement saisissante de<br />
notre espèce que l’on crut jadis qu’elle était un trait caractéristique<br />
de l’humain. Toutefois, <strong>les</strong> théories de l’évolution prédisent<br />
qu’il est improbable que le langage ait pu apparaître<br />
soudainement <strong>et</strong> à grande échelle dans l’espèce humaine<br />
moderne. Le langage doit avoir des formes ancestra<strong>les</strong> dans<br />
d’autres espèces, <strong>et</strong> peut-être plus particulièrement dans <strong>les</strong><br />
espèces qui nous <strong>sont</strong> <strong>les</strong> plus proches.<br />
La première tentative pour enseigner à des chimpanzés le langage<br />
vocal propre à l’Homme fut un fiasco. Et ce n’est pas<br />
avant 1971, lorsque Béatrice <strong>et</strong> Alan Gardner tentèrent<br />
d’apprendre à une chimpanzé nommée Washoe une version<br />
<strong>du</strong> langage des signes, que l’on réalisa que des langages<br />
non verbaux ont pu précéder le langage verbal. Pour tester<br />
c<strong>et</strong>te hypothèse, Sue Savage-Rumbaugh <strong>et</strong> ses collaborateurs<br />
commencèrent à enseigner à un chimpanzé nain baptisé<br />
Malatta un langage symbolique, le Yerkish. Il est à noter que<br />
le chimpanzé nain, ou bonobo, est considéré comme une<br />
espèce encore plus proche de l’Homme que le chimpanzé.<br />
Malatta <strong>et</strong> son fils Kanzi furent capturés dans la nature, <strong>et</strong><br />
Kanzi accompagna sa mère dans toutes ses leçons. Il s’avéra,<br />
<strong>et</strong> ce bien qu’il ne fut pas suj<strong>et</strong> à un entraînement particulier,<br />
que Kanzi apprit mieux le Yerkish que sa mère, à qui <strong>les</strong><br />
leçons étaient pourtant destinées. Plus surprenant encore,<br />
Kanzi montra indéniablement qu’il était capable de comprendre<br />
des éléments plutôt complexes <strong>du</strong> langage humain.<br />
Réalisant que dans la nature <strong>les</strong> chimpanzés possèdent un<br />
répertoire vocal très riche, <strong>et</strong> <strong>sont</strong> particulièrement<br />
« bavards » lorsqu’il s’agit d’ém<strong>et</strong>tre des vocalisations relatives<br />
à la nourriture, Jared Taglialatela <strong>et</strong> ses collaborateurs<br />
enregistrèrent <strong>les</strong> vocalisations de Kanzi lorsqu’il interagissait<br />
avec <strong>les</strong> humains de son entourage ou lorsqu’il consommait<br />
différentes nourritures. À partir d’enregistrements vidéo d’un<br />
grand nombre d’interactions avec <strong>les</strong> humains, <strong>les</strong> scientifiques<br />
purent sélectionner des vocalisations associées avec<br />
« banane », « raisin », « jus de fruit » <strong>et</strong> « oui ». Une<br />
analyse spectrale des sons associés au contexte sémantique<br />
ou au sens de chacune des situations permit de vérifier<br />
si <strong>les</strong> vocalisations poussées par Kanzi étaient<br />
semblab<strong>les</strong> dans des situations semblab<strong>les</strong> <strong>et</strong> distinctes<br />
dans des situations distinctes.<br />
Les analyses démontrèrent que <strong>les</strong> vocalisations étaient<br />
effectivement semblab<strong>les</strong> lorsqu’el<strong>les</strong> étaient émises<br />
dans des situations associées au même contexte sémantique,<br />
mais aussi qu’el<strong>les</strong> étaient structurellement différentes<br />
lorsque <strong>les</strong> contextes sémantiques étaient<br />
différents. Bien que Kanzi ait une certaine compétence<br />
pour le langage, la découverte qu’il utilise le<br />
« chimpanzé » dans des situations particulières lors de<br />
ses interactions avec <strong>les</strong> humains fournit une preuve en<br />
faveur de l’idée selon laquelle le langage humain serait<br />
dérivé de formes plus primitives de communications utilisées<br />
par <strong>les</strong> ancêtres des Hommes.<br />
Great Ape Trust of Iowa<br />
Ces observations menèrent d’abord à l’idée que <strong>les</strong> organismes vivants doivent<br />
être, d’une manière ou d’une autre, affiliés <strong>les</strong> uns aux autres. C<strong>et</strong>te idée était d’ailleurs<br />
largement répan<strong>du</strong>e, même avant Wallace <strong>et</strong> Darwin. Toutefois, <strong>et</strong> c’est là toute l’importance<br />
de la contribution de l’homme de science, <strong>les</strong> mêmes observations ont amené<br />
Darwin à expliquer comment la grande diversité dans le monde biologique pouvait provenir<br />
d’une lignée évolutive commune. La théorie de la sélection naturelle de Darwin<br />
propose que des animaux ont des traits en commun parce que ces traits <strong>sont</strong> tout simplement<br />
transmis des parents à leur progéniture.<br />
La sélection naturelle est la manière dont Darwin explique comment <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong><br />
espèces évoluent, <strong>et</strong> comment <strong>les</strong> espèces existantes se transforment avec le temps.<br />
Une espèce est un groupe d’organismes qui peuvent se repro<strong>du</strong>ire entre eux, mais non<br />
avec des membres d’une autre espèce. Les indivi<strong>du</strong>s appartenant à une même espèce,<br />
quelle qu’elle soit, présentent des variations importantes quant à leurs caractéristiques,<br />
ou phénotypes, de sorte que deux indivi<strong>du</strong>s de l’espèce considérée ne <strong>sont</strong> jamais identiques.<br />
Certains <strong>sont</strong> grands, d’autres <strong>sont</strong> p<strong>et</strong>its, grassouill<strong>et</strong>s ou rapides, il en est dont la
Points de vue sur la relation entre <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>comportement</strong> 39<br />
robe est légèrement colorée <strong>et</strong> certains ont de grandes dents. Ces indivi<strong>du</strong>s dont <strong>les</strong> caractéristiques<br />
contribuent au mieux à la survie dans leur environnement <strong>sont</strong> susceptib<strong>les</strong><br />
d’avoir une progéniture plus fournie que leurs semblab<strong>les</strong> moins bien adaptés. C<strong>et</strong>te inégalité<br />
quant à l’aptitude à survivre <strong>et</strong> à se repro<strong>du</strong>ire d’un indivi<strong>du</strong> à l’autre entraîne des<br />
changements gra<strong>du</strong>els au sein de la population d’une même espèce. Du même coup, <strong>les</strong><br />
caractéristiques favorab<strong>les</strong> à la survie de certains d’entre eux dans un habitat particulier<br />
deviennent dominantes de génération en génération.<br />
Ni Darwin ni Wallace ne comprirent <strong>les</strong> bases de c<strong>et</strong>te énorme variabilité au sein<br />
des plantes <strong>et</strong> des animaux. Les principes sous-jacents à c<strong>et</strong>te variabilité furent découverts<br />
à partir de 1857 par un autre scientifique, Grégor Mendel, grâce aux expériences<br />
qu’il mena sur <strong>les</strong> p<strong>et</strong>its pois. Mendel dé<strong>du</strong>isit de ses expériences qu’il existe des facteurs<br />
héréditaires, que nous appelons aujourd’hui des gènes, <strong>et</strong> qui ont un rapport avec <strong>les</strong><br />
divers aspects physiques caractérisant chaque espèce.<br />
Les membres d’une espèce qui <strong>sont</strong> porteurs d’un même gène ou d’une même<br />
combinaison de gènes exprimeront un trait (caractère héréditaire) particulier. Si <strong>les</strong> gènes<br />
d’un trait particulier <strong>sont</strong> transmis à un descendant, ce dernier présentera le même trait.<br />
<strong>De</strong> nouveaux traits apparaissent parce que de nouvel<strong>les</strong> combinaisons de gènes <strong>sont</strong><br />
transmises par <strong>les</strong> parents, parce que des gènes existants <strong>sont</strong> modifiés ou ont muté, parce<br />
que des gènes supprimés <strong>sont</strong> re-exprimés, parce que des gènes exprimés <strong>sont</strong> supprimés,<br />
ou encore parce que des gènes ou des parties de gènes <strong>sont</strong> effacés ou <strong>du</strong>pliqués.<br />
Ainsi, l’inégalité dans <strong>les</strong> capacités de survie <strong>et</strong> de repro<strong>du</strong>ction des indivi<strong>du</strong>s<br />
d’une même espèce est liée aux gènes dont ils héritent <strong>et</strong> qu’ils transm<strong>et</strong>tent à leur descendance.<br />
<strong>De</strong> la même manière, <strong>les</strong> caractéristiques similaires au sein d’une même<br />
espèce, ou même entre plusieurs espèces, <strong>sont</strong> généralement <strong>du</strong>es à la présence des<br />
mêmes gènes. Par exemple, <strong>les</strong> gènes qui, dans différentes espèces anima<strong>les</strong>, <strong>sont</strong> responsab<strong>les</strong><br />
de la mise en place <strong>du</strong> système nerveux tendent à être similaires.<br />
La théorie de Darwin sur la sélection naturelle a trois répercussions majeures<br />
pour l’étude <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong>.<br />
1. Du fait que toutes <strong>les</strong> espèces anima<strong>les</strong> <strong>sont</strong> liées <strong>les</strong> unes aux autres au sein de<br />
l’arbre évolutif, il doit en aller de même en ce qui concerne leur <strong>cerveau</strong>.<br />
Aujourd’hui, <strong>les</strong> chercheurs travaillant sur le <strong>cerveau</strong> étudient de nombreux animaux,<br />
dont des paresseux, des drosophi<strong>les</strong>, des rats <strong>et</strong> des singes, sachant que<br />
leurs découvertes peuvent souvent être éten<strong>du</strong>es à l’Homme.<br />
2. Parce que toutes <strong>les</strong> espèces anima<strong>les</strong> <strong>sont</strong> reliées, il doit en aller de même en ce<br />
qui concerne leur <strong>comportement</strong>. Darwin était particulièrement intéressé par ce<br />
suj<strong>et</strong>. Dans son livre intitulé « <strong>De</strong> l’Expression des Emotions chez l’Homme <strong>et</strong><br />
chez <strong>les</strong> Animaux », il défend l’idée selon laquelle <strong>les</strong> expressions liées aux<br />
émotions <strong>sont</strong> similaires chez <strong>les</strong> êtres humains <strong>et</strong> <strong>les</strong> autres animaux, car nous<br />
avons hérité ces expressions d’ancêtres communs. La Figure 1-5, qui montre<br />
qu’aux quatre coins <strong>du</strong> monde <strong>les</strong> gens sourient de la même manière, présente<br />
quelques arguments photographiques à l’appui de ce point de vue. Le fait que <strong>les</strong><br />
personnes de différentes parties de la terre présentent <strong>les</strong> mêmes <strong>comportement</strong>s<br />
suggère que le trait est inné (héréditaire) plutôt qu’acquis (appris).<br />
3. Le <strong>cerveau</strong>, comme le <strong>comportement</strong>, fut élaboré pas à pas, chez <strong>les</strong> animaux<br />
évoluant vers un niveau croissant de complexité, tout comme ce fut de toute évidence<br />
le cas pour <strong>les</strong> êtres humains. Plus loin dans ce chapitre, nous r<strong>et</strong>racerons<br />
la façon dont évolua le système nerveux humain, partant d’un simple réseau de<br />
nerfs pour devenir, en définitive, un système nerveux comprenant un <strong>cerveau</strong> qui<br />
contrôle le <strong>comportement</strong> <strong>et</strong> une moelle épinière connectée au réseau cérébral.
40 <strong>Quel<strong>les</strong></strong> <strong>sont</strong> <strong>les</strong> <strong>origines</strong> <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong> ?<br />
Figure 1.5<br />
Comportements héréditaires<br />
Darwin proposa que<br />
l’expression des émotions<br />
était héréditaire. Une partie<br />
des preuves en faveur de<br />
c<strong>et</strong>te proposition provient de<br />
ce que toutes <strong>les</strong> personnes à<br />
travers le monde présentent<br />
des expressions d’émotion<br />
reconnaissab<strong>les</strong> par toutes,<br />
quel<strong>les</strong> que soient leur race <strong>et</strong><br />
leur culture, comme le montre<br />
l’interprétation que nous pouvons<br />
faire de ces sourires.<br />
Les preuves que le <strong>cerveau</strong> contrôle le <strong>comportement</strong> <strong>sont</strong> aujourd’hui tellement<br />
solides que l’idée a pris <strong>les</strong> allures d’une théorie : la théorie <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong>. Donald O. Hebb,<br />
dans un livre influent publié en 1949, L’Organisation <strong>du</strong> Comportement, décrit la théorie<br />
<strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> comme ceci :<br />
La psychologie moderne prend pour argent comptant le fait que le <strong>comportement</strong><br />
<strong>et</strong> la fonction nerveuse <strong>sont</strong> parfaitement corrélés, que l’un est le pro<strong>du</strong>it exclusif<br />
de l’autre. Il n’existe pas d’esprit séparé ou de force vitale pour m<strong>et</strong>tre sa main dans<br />
le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> amener à tout moment <strong>les</strong> cellu<strong>les</strong> nerveuses à faire ce qu’el<strong>les</strong> ne<br />
feraient pas autrement. (Hebb, 1949, p. xiii)<br />
Certaines personnes rej<strong>et</strong>tent l’idée que le <strong>cerveau</strong> est responsable <strong>du</strong> <strong>comportement</strong><br />
parce qu’el<strong>les</strong> partent <strong>du</strong> principe qu’une telle idée renie la religion. Leur façon de<br />
penser est cependant maladroite. L’explication biologique <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>comportement</strong><br />
est parfaitement neutre à l’égard des croyances religieuses. Fred Linge, l’homme<br />
qui avait subi une lésion cérébrale <strong>et</strong> qui a fait l’obj<strong>et</strong> d’une description au début de ce<br />
chapitre, a des croyances religieuses solidement ancrées, tout comme <strong>les</strong> autres membres<br />
de sa famille. Ils se <strong>sont</strong> servis de leur foi pour s’en sortir. Pourtant, malgré leurs croyances<br />
religieuses, ils réalisèrent que c’était bel <strong>et</strong> bien la lésion cérébrale qu’avait subie<br />
Linge qui était responsable des changements <strong>comportement</strong>aux, <strong>et</strong> que c’était le processus<br />
de récupération qui s’opérait dans ce <strong>cerveau</strong> qui était à la base d’une santé recouvrée.<br />
Dans le même ordre d’idées, il y a de nombreux scientifiques qui partagent une<br />
croyance religieuse solide <strong>et</strong> qui ne voient pas la moindre contradiction entre leur foi <strong>et</strong><br />
l’utilisation d’une méthodologie scientifique pour étudier <strong>les</strong> relations entre le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong><br />
le <strong>comportement</strong>.<br />
EN RÉVISION<br />
J. Tisne/Stone Images<br />
O. Benn/Stone Images<br />
Nous avons considéré trois points de vue sur le déterminisme <strong>du</strong> <strong>comportement</strong>. Le<br />
mentalisme défend l’idée selon laquelle le <strong>comportement</strong> est le pro<strong>du</strong>it d’une entité<br />
intangible appelée l’âme (psyché), laissant peu d’importance au <strong>cerveau</strong>. Le <strong>du</strong>alisme<br />
pose que l’esprit agit par l’intermédiaire <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong> pour pro<strong>du</strong>ire le langage<br />
<strong>et</strong> le <strong>comportement</strong> rationnel, tandis que le <strong>cerveau</strong> lui-même est responsable de la<br />
pro<strong>du</strong>ction des actions d’un niveau inférieur. Ces actions, nous <strong>les</strong> avons en commun<br />
avec d’autres espèces anima<strong>les</strong>. Finalement, le matérialisme considère que tout<br />
le <strong>comportement</strong>, y compris le langage <strong>et</strong> le raisonnement, peut être entièrement<br />
expliqué par le fonctionnement <strong>du</strong> <strong>cerveau</strong>. Le matérialisme est un point de vue qui<br />
sert de guide à la recherche contemporaine sur le <strong>cerveau</strong> <strong>et</strong> le <strong>comportement</strong>.<br />
A. Kassidy/Stone Images<br />
J. Greenberg/Visuals Unlimited