Télécharger un extrait du chapitre 15 - De Boeck
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676 Partie 7 – Les structures de marché : au-delà de la concurrence parfaite<br />
UN POINT RAPIDE<br />
Certains des problèmes clés posés par l’oligopole peuvent être compris en étudiant le cas le plus<br />
simple, <strong>un</strong> <strong>du</strong>opole – <strong>un</strong> secteur composé <strong>un</strong>iquement de deux firmes appelées <strong>du</strong>opoleurs.<br />
En agissant comme s’ils étaient <strong>un</strong> monopole simple, les oligopoleurs peuvent maximiser<br />
leurs profits joints. Il y a donc <strong>un</strong>e incitation à former <strong>un</strong> cartel.<br />
Cependant, chaque firme est incitée à tricher – à pro<strong>du</strong>ire davantage que ce qu’elle est supposée<br />
pro<strong>du</strong>ire d’après l’accord de cartel. Il y a donc deux résultats possibles : la collusion<br />
effective ou le comportement non coopératif et la tricherie.<br />
Il est probable qu’il sera plus facile de faire respecter <strong>un</strong>e entente informelle quand les firmes<br />
d’<strong>un</strong> secteur ont des contraintes de capacités de pro<strong>du</strong>ction.<br />
VÉRIFIEZ VOS CONNAISSANCES <strong>15</strong>-2<br />
1. Parmi les éléments suivants, lesquels augmentent la probabilité qu’<strong>un</strong> oligopoleur s’entendra<br />
avec d’autres firmes <strong>du</strong> secteur ? La probabilité qu’<strong>un</strong> oligopoleur agira de manière non coopérative<br />
et augmentera sa pro<strong>du</strong>ction ? Justifiez vos réponses.<br />
a) La part de marché initiale de la firme est petite.<br />
b) La firme a <strong>un</strong> avantage en termes de coûts sur ses rivales.<br />
c) Les clients de la firme subissent des coûts supplémentaires quand ils passent <strong>du</strong> pro<strong>du</strong>it<br />
d’<strong>un</strong>e firme à celui d’<strong>un</strong>e autre firme.<br />
d) La firme et ses rivales opèrent actuellement au maximum de leurs capacités de pro<strong>du</strong>ction,<br />
qui ne peuvent pas être modifiées à court terme.<br />
Les solutions sont à la fin de l’ouvrage.<br />
<strong>15</strong>.3 LE COMPORTEMENT DES OLIGOPOLES<br />
Dans notre exemple <strong>du</strong> <strong>du</strong>opole et dans la réalité, chaque firme oligopolistique réalise<br />
à la fois que son profit dépend de ce que fait son concurrent et que les profits de son<br />
concurrent dépendent de ce qu’elle fait. Autrement dit, les deux firmes sont en situation<br />
d’interdépendance. .....................................................................................................................<br />
Quand les décisions de deux firmes ou davantage influencent significativement leurs profits respectifs,<br />
celles-ci sont en situation d’interdépendance.<br />
.....................................................................................................................<br />
En effet, les deux firmes jouent <strong>un</strong> « jeu » dans lequel le profit de chaque joueur<br />
dépend non seulement de ses propres actions mais également de celles de l’autre joueur.<br />
L’étude de ces jeux, appelée théorie des jeux, a de nombreuses applications, pas seulement<br />
en économie mais également en stratégie militaire, en sciences politiques, et<br />
dans d’autres sciences sociales.<br />
.....................................................................................................................<br />
L’étude des comportements en situations d’interdépendance est appelée théorie des jeux.<br />
.....................................................................................................................<br />
Voyons comment la théorie des jeux nous aide à comprendre l’oligopole.
L’oligopole 677<br />
<strong>15</strong>.3.1 Le dilemme <strong>du</strong> prisonnier<br />
La théorie des jeux s’intéresse à toute situation dans laquelle la récompense d’<strong>un</strong> joueur<br />
– les paiements – dépend non seulement de ses propres actions mais également de celles<br />
des autres joueurs. Dans le cas des firmes oligopolistiques, le paiement est simplement<br />
le profit de la firme.<br />
.....................................................................................................................<br />
La récompense reçue par <strong>un</strong> joueur, telle que le profit perçu par <strong>un</strong> oligopoleur, est le paiement<br />
de ce joueur.<br />
.....................................................................................................................<br />
Lorsqu’il y a seulement deux joueurs, comme dans <strong>un</strong> <strong>du</strong>opole, l’interdépendance<br />
entre les joueurs peut être représentée par <strong>un</strong>e matrice des paiementscomme celle représentée à la figure <strong>15</strong>.1. Chaque ligne correspond à <strong>un</strong>e action d’<strong>un</strong> joueur<br />
(ADM dans ce cas) ; chaque colonne correspond à <strong>un</strong>e action de l’autre (Ajinomoto<br />
dans ce cas). Supposons pour simplifier qu’ADM ait le choix entre seulement deux<br />
possibilités : pro<strong>du</strong>ire 30 millions de kilos de lysine ou en pro<strong>du</strong>ire 40 millions de kilos.<br />
Ajinomoto est dans la même situation.<br />
.....................................................................................................................<br />
Une matrice de paiement indique en quoi le gain de chaque participant d’<strong>un</strong> jeu à deux joueurs<br />
dépend des actions des deux. Une matrice de ce genre nous aide à analyser l’interdépendance.<br />
.....................................................................................................................<br />
ADM<br />
Pro<strong>du</strong>it<br />
30 millions<br />
de kilos<br />
Pro<strong>du</strong>it<br />
40 millions<br />
de kilos<br />
Pro<strong>du</strong>it 30 millions<br />
de kilos<br />
ADM fait<br />
180 millions $<br />
de profit.<br />
ADM fait<br />
200 millions $<br />
de profit.<br />
Ajinomoto fait<br />
180 millions $<br />
de profit.<br />
Ajinomoto fait<br />
<strong>15</strong>0 millions $<br />
de profit.<br />
Ajinomoto<br />
Pro<strong>du</strong>it 40 millions<br />
de kilos<br />
ADM fait<br />
<strong>15</strong>0 millions $<br />
de profit.<br />
ADM fait<br />
160 millions $<br />
de profit.<br />
Ajinomoto fait<br />
200 millions $<br />
de profit.<br />
Ajinomoto fait<br />
160 millions $<br />
de profit.<br />
Figure <strong>15</strong>.1<br />
Une matrice de paiements<br />
<strong>De</strong>ux firmes, ADM et Ajinomoto, doivent décider combien de lysine pro<strong>du</strong>ire. Les profits des deux firmes sont interdépendants : le<br />
profit de chaque firme dépend non seulement de ses propres décisions, mais également des décisions de l’autre. Chaque ligne<br />
représente <strong>un</strong>e action d’ADM, chaque colonne <strong>un</strong>e action d’Ajinomoto. Les deux firmes améliorent leur situation si elles choisissent<br />
le pro<strong>du</strong>it le plus faible ; mais il est dans l’intérêt indivi<strong>du</strong>el de chaque firme de choisir le pro<strong>du</strong>it le plus élevé.
678 Partie 7 – Les structures de marché : au-delà de la concurrence parfaite<br />
La matrice contient quatre cellules, chac<strong>un</strong>e divisée par <strong>un</strong>e diagonale. Chaque<br />
cellule indique le paiement des deux firmes qui résulte d’<strong>un</strong>e paire de choix ; le chiffre<br />
sous la diagonale indique le profit d’ADM, et le chiffre au-dessus de la diagonale indique<br />
le profit d’Ajinomoto.<br />
Ces paiements confirment la conclusion de notre analyse précédente : le profit<br />
joint des deux firmes est maximisé si elles pro<strong>du</strong>isent chac<strong>un</strong>e 30 millions de kilos.<br />
Chac<strong>un</strong>e des firmes peut cependant augmenter son propre profit en pro<strong>du</strong>isant<br />
40 millions de kilos tandis que l’autre ne pro<strong>du</strong>it que 30 millions de kilos. Mais si elles<br />
pro<strong>du</strong>isent la quantité la plus élevée, les deux feront des profits plus faibles que si elles<br />
avaient limité leur pro<strong>du</strong>ction.<br />
La situation particulière présentée ici est <strong>un</strong>e version d’<strong>un</strong> cas d’interdépendance<br />
fameux – et apparemment paradoxal – qui apparaît dans de nombreux contextes.<br />
Connu sous le nom de dilemme <strong>du</strong> prisonnier, c’est <strong>un</strong> type de jeu dans lequel la<br />
matrice des paiements implique la situation suivante :<br />
● Chaque joueur est incité à tricher – à adopter <strong>un</strong> comportement qui lui est bénéfique<br />
au détriment de l’autre joueur – quel que soit le comportement de l’autre.<br />
● Quand les deux joueurs trichent, les deux sont dans <strong>un</strong>e situation moins bonne<br />
que si auc<strong>un</strong> des deux n’avait triché.<br />
.....................................................................................................................<br />
Le dilemme <strong>du</strong> prisonnier est <strong>un</strong> jeu fondé sur deux prémisses : (1) Chaque joueur est incité à<br />
choisir <strong>un</strong> comportement qui lui est bénéfique au détriment de l’autre joueur, et (2) Quand les deux<br />
joueurs agissent de la sorte, les deux se retrouvent dans <strong>un</strong>e situation moins satisfaisante que s’ils<br />
avaient choisi <strong>un</strong> autre comportement.<br />
.....................................................................................................................<br />
L’illustration initiale <strong>du</strong> dilemme <strong>du</strong> prisonnier est <strong>un</strong>e histoire fictive à propos<br />
de deux complices d’<strong>un</strong> crime – appelons-les Thelma et Louise – qui ont été pris par la<br />
police. La police a suffisamment de preuves pour les mettre derrière les barreaux pour<br />
5 ans. Elle sait également que les complices ont commis <strong>un</strong> crime plus sérieux qui<br />
mérite <strong>un</strong>e sentence de 20 ans ; malheureusement, elle n’a pas suffisamment de preuves<br />
pour les condamner sur ce motif. Pour le faire, il faudrait que chac<strong>un</strong>e des prisonnières<br />
accuse l’autre <strong>du</strong> second crime.<br />
La police place donc les deux indivi<strong>du</strong>s dans des pièces séparées et dit à chac<strong>un</strong>e<br />
d’entre elles :« Voilà la situation : si auc<strong>un</strong>e de vous n’avoue, tu sais que nous<br />
vous enverrons toutes les deux en prison pour 5 ans. Si tu avoues et implique ta partenaire,<br />
et si elle ne fait pas de même, nous ré<strong>du</strong>irons ta peine de 5 à 2 ans. Mais si ta partenaire<br />
avoue et que toi tu ne le fais pas, tu auras le maximum de 20 ans. Et si toutes les<br />
deux avouez, nous vous donnerons chac<strong>un</strong>e <strong>15</strong> ans ».<br />
La figure <strong>15</strong>.2 indique les paiements auxquels sont confrontées les prisonnières,<br />
selon la décision de chac<strong>un</strong>e de rester silencieuse ou d’avouer. (Habituellement <strong>un</strong>e<br />
matrice des paiements reflète les paiements des joueurs, et des paiements plus élevés<br />
sont plus intéressants que des paiements plus faibles. Ce cas est <strong>un</strong>e exception : <strong>un</strong> nom-
L’oligopole 679<br />
Thelma<br />
Ne pas<br />
avouer<br />
Avouer<br />
Thelma a<br />
<strong>un</strong>e peine<br />
de 5 ans.<br />
Thelma a<br />
<strong>un</strong>e peine<br />
de 2 ans.<br />
Ne pas avouer<br />
Louise a<br />
<strong>un</strong>e peine<br />
de 5 ans.<br />
Louise a<br />
<strong>un</strong>e peine<br />
de 20 ans.<br />
Louise<br />
Thelma a<br />
<strong>un</strong>e peine<br />
de 20 ans.<br />
Thelma a<br />
<strong>un</strong>e peine<br />
de <strong>15</strong> ans.<br />
Avouer<br />
Louise a<br />
<strong>un</strong>e peine<br />
de 2 ans.<br />
Louise a<br />
<strong>un</strong>e peine<br />
de <strong>15</strong> ans.<br />
Figure <strong>15</strong>.2<br />
Le dilemme <strong>du</strong> prisonnier<br />
Chac<strong>un</strong>e des deux prisonnières, gardée dans <strong>un</strong>e cellule séparée, se voit proposer <strong>un</strong>e offre par la police – <strong>un</strong>e<br />
peine légère si elle avoue et implique sa complice alors que sa complice n’en fait pas de même, <strong>un</strong>e peine lourde<br />
si elle n’avoue pas et que sa complice avoue, etc. Il est dans l’intérêt comm<strong>un</strong> des deux prisonnières de ne pas<br />
avouer ; il est dans l’intérêt indivi<strong>du</strong>el de chac<strong>un</strong>e d’avouer.<br />
bre plus élevé d’années en prison est moins intéressant !) Supposons que les prisonnières<br />
n’aient pas moyen de comm<strong>un</strong>iquer, et qu’elles ne se sont pas jurées de ne pas nuire<br />
à l’autre ou quoi que ce soit de ce genre. Chac<strong>un</strong>e agit donc dans son propre intérêt personnel.<br />
Que feront-elles ?<br />
La réponse est claire : les deux avoueront. Regardez d’abord le point de vue de<br />
Thelma : elle a intérêt à avouer, quoi que fasse Louise. Si Louise n’avoue pas, le fait<br />
pour Thelma d’avouer ré<strong>du</strong>it sa propre peine de 5 à 2 ans. Si Louise avoue, le fait pour<br />
Thelma d’avouer ré<strong>du</strong>it sa peine de 20 à <strong>15</strong> ans. Dans tous les cas, il est clairement dans<br />
l’intérêt de Thelma d’avouer. Et dans la mesure où elle a les mêmes incitations, il est<br />
clairement dans l’intérêt de Louise d’avouer également. Avouer dans cette situation<br />
correspond à <strong>un</strong> type de comportement que les économistes appellent <strong>un</strong>e stratégie<br />
dominante. Une action est <strong>un</strong>e stratégie dominante quand il s’agit de l’action la<br />
meilleure pour le joueur quelle que soit la décision prise par l’autre joueur. Il est important<br />
de noter que tous les jeux n’ont pas de stratégie dominante – cela dépend de la<br />
structure des paiements <strong>du</strong> jeu. Mais dans le cas de Thelma et Louise, il est évidemment
680 Partie 7 – Les structures de marché : au-delà de la concurrence parfaite<br />
dans l’intérêt de la police de structurer les paiements de telle sorte qu’avouer soit <strong>un</strong>e<br />
stratégie dominante pour chaque indivi<strong>du</strong>. Et tant qu’elles n’ont auc<strong>un</strong> moyen de<br />
s’accorder sur le fait qu’auc<strong>un</strong>e n’avouera (quelque chose qu’elles ne peuvent pas faire<br />
si elles ne peuvent pas comm<strong>un</strong>iquer, et que la police ne leur permettra sûrement pas de<br />
faire parce qu’elle veut les obliger à avouer), Thelma et Louise agiront chac<strong>un</strong>e d’<strong>un</strong>e<br />
manière qui pénalisera l’autre.<br />
.....................................................................................................................<br />
Une décision est <strong>un</strong>e stratégie dominante quand c’est la meilleure décision d’<strong>un</strong> joueur quelle<br />
que soit la décision prise par l’autre joueur.<br />
.....................................................................................................................<br />
Donc si chaque prisonnière agit rationnellement dans son propre intérêt, les<br />
deux avoueront. Mais si auc<strong>un</strong>e des deux n’avait avoué, elles auraient toutes les deux<br />
reçu <strong>un</strong>e peine beaucoup plus légère ! Dans <strong>un</strong> dilemme <strong>du</strong> prisonnier, chaque joueur<br />
est clairement incité à agir d’<strong>un</strong>e manière qui pénalise l’autre joueur – mais quand les<br />
deux font ce choix, cela détériore la situation des deux joueurs.<br />
Quand Thelma et Louise avouent, elles parviennent à <strong>un</strong> équilibre <strong>du</strong> jeu. Nous<br />
avons utilisé de nombreuses fois le concept d’équilibre dans cet ouvrage ; c’est <strong>un</strong>e<br />
situation dans laquelle auc<strong>un</strong> indivi<strong>du</strong> ou auc<strong>un</strong>e firme n’est incité à modifier son comportement.<br />
En théorie des jeux, ce genre d’équilibre dans lequel chaque joueur prend la<br />
meilleure décision pour lui étant données les décisions prises par les autres joueurs, et<br />
vice versa, est appelé <strong>un</strong> équilibre de Nash, d’après le mathématicien et prix Nobel<br />
John Nash. (La vie de Nash a été racontée dans <strong>un</strong>e biographie qui a donné lieu à <strong>un</strong><br />
film, A Beautiful Mind.) Dans la mesure où les joueurs dans <strong>un</strong> équilibre de Nash ne<br />
prennent pas en compte les effets de leurs décisions sur les autres, on parle également<br />
d’<strong>un</strong> équilibre non coopératif. .....................................................................................................................<br />
Un équilibre de Nash, également appelé équilibre non coopératif, est le résultat obtenu<br />
quand chaque joueur d’<strong>un</strong> jeu prend la décision qui maximise ses paiements étant données les<br />
décisions prises par les autres joueurs, tout en ignorant les effets de cette décision sur les paiements<br />
reçus par ces autres joueurs.<br />
.....................................................................................................................<br />
Regardez maintenant à nouveau la figure <strong>15</strong>.1 ; ADM et Ajinomoto sont dans<br />
la même situation que Thelma et Louise. Chaque firme a intérêt à pro<strong>du</strong>ire la quantité<br />
la plus élevée, quoi que fasse l’autre firme. Mais si les deux pro<strong>du</strong>isent 40 millions de<br />
kilos, elles se retrouvent toutes deux dans <strong>un</strong>e moins bonne situation que si elles avaient<br />
suivi leur accord et pro<strong>du</strong>it seulement 30 millions de kilos. Dans les deux cas, la poursuite<br />
par les indivi<strong>du</strong>s de leur intérêt personnel – les efforts pour maximiser les profits<br />
ou minimiser le temps de prison – a pour effet pervers de pénaliser les deux joueurs.<br />
Le dilemme <strong>du</strong> prisonnier se retrouve dans de nombreuses situations. La section<br />
« Pour les esprits curieux » suivante décrit <strong>un</strong> exemple de la période de la Guerre<br />
Froide. <strong>De</strong> manière évidente, les joueurs de tout dilemme <strong>du</strong> prisonnier seraient mieux<br />
lotis s’ils étaient en mesure de s’imposer <strong>un</strong> comportement coopératif – si Thelma et<br />
Louise avaient juré de respecter <strong>un</strong> code <strong>du</strong> silence, ou si ADM et Ajinomoto avaient<br />
signé <strong>un</strong> accord contraignant pour ne pas pro<strong>du</strong>ire plus de 30 millions de kilos de lysine.
L’oligopole 681<br />
Mais dans la plupart des pays <strong>un</strong> accord pour fixer les niveaux de pro<strong>du</strong>ction de<br />
deux oligopoleurs est non seulement inapplicable, mais illégal. Il semble donc que l’équilibre<br />
non coopératif indésirable soit le seul résultat possible. Est-ce vraiment le cas ?<br />
LES PIÈGES À ÉVITER<br />
Les règles <strong>du</strong> jeu <strong>du</strong> dilemme <strong>du</strong> prisonnier<br />
Une réaction habituelle au dilemme <strong>du</strong> prisonnier est de penser qu’il n’est pas<br />
vraiment rationnel pour les prisonniers d’avouer. Thelma n’avouerait pas parce<br />
qu’elle aurait peur d’être battue par Louise, ou Thelma se sentirait coupable parce<br />
que Louise ne lui ferait pas cela.<br />
Mais ce genre de réponse revient à tricher – cela revient à modifier les paiements<br />
de la matrice. Pour comprendre le dilemme, il faut jouer le jeu selon les règles et<br />
imaginer que les prisonniers ne se soucient que de la <strong>du</strong>rée de leur peine.<br />
Heureusement, quand il s’agit d’oligopoles, il est beaucoup plus facile de croire<br />
que les firmes ne s’intéressent qu’à leur profit. Rien n’indique que quiconque chez<br />
ADM pouvait ressentir de la peur ou de l’affection vis-à-vis d’Ajinomoto, ou vice<br />
versa ; il n’était question que d’affaires.<br />
<strong>15</strong>.3.2 Dépasser le dilemme <strong>du</strong> prisonnier : les interactions<br />
répétées et la collusion tacite<br />
Thelma et Louise dans leur cellule jouent à ce que l’on appelle <strong>un</strong> jeu à <strong>un</strong> coup – c’està-dire<br />
qu’elles jouent <strong>un</strong>e fois pour toutes. Elles choisissent <strong>un</strong>e fois pour toutes<br />
d’avouer ou de tenir bon. Mais la plupart des jeux auxquels jouent les oligopoleurs ne<br />
sont pas à <strong>un</strong> coup ; ils s’attendent plutôt à jouer le jeu de manière répétée avec les<br />
mêmes concurrents. Un oligopoleur s’attend habituellement à rester en activité pendant<br />
de nombreuses années, et sait que sa décision de tricher aujourd’hui est susceptible<br />
d’influencer la manière dont les autres firmes le traiteront à l’avenir. Un oligopoleur<br />
malin ne décide donc pas quoi faire en fonction de l’impact sur le profit à court terme.<br />
Il adopte plutôt <strong>un</strong> comportement stratégique, prenant en compte les effets de ses<br />
décisions prises aujourd’hui sur les décisions futures des autres joueurs. Et sous certaines<br />
conditions, les oligopoleurs qui se comportent stratégiquement peuvent réussir à se<br />
comporter comme s’ils avaient passé <strong>un</strong> accord formel d’entente.<br />
.....................................................................................................................<br />
Une firme adopte <strong>un</strong> comportement stratégique quand elle essaie d’influencer le comportement<br />
futur des autres firmes.<br />
.....................................................................................................................<br />
Supposez qu’ADM et Ajinomoto s’attendent à rester dans le secteur de la<br />
lysine pendant de nombreuses années, et s’attendent donc à jouer le jeu de la tricherie<br />
ou de l’entente représenté à la figure <strong>15</strong>.1 de nombreuses fois. Se trahiraient-elles vraiment<br />
à chaque fois ?<br />
Probablement pas. Supposez qu’ADM hésite entre deux stratégies. Dans l’<strong>un</strong>e<br />
d’elles, elle triche toujours, pro<strong>du</strong>isant 40 millions de kilos de lysine chaque année,