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Maître Puntila et son valet Matti

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La distanciation<br />

La Distanciation (Verfremdungseekt en allemand). C<strong>et</strong> e<strong>et</strong> est utilisé pour enlever, chez le spectateur, l’illusion du<br />

théâtre, an qu’il rééchisse au suj<strong>et</strong> de la représentation. Le but recherché est de déclencher, chez le spectateur,<br />

la réexion sur le thème représenté. C’est par la distanciation, qui montre des scènes insolites <strong>et</strong> en rupture avec<br />

l’action, que le spectateur est incité à ne pas accepter le suj<strong>et</strong> sans réexion. Un exemple est la vision de Galilée qui<br />

considère un chandelier en mouvement de balance comme un obj<strong>et</strong> étranger. Ce n’est que lorsque des choses connues<br />

<strong>et</strong> quotidiennes - comme des faits de société - apparaissent dans un contexte nouveau, étrange, que commence chez<br />

le spectateur un processus de réexion qui aboutit à une compréhension approfondie d’un état de fait pourtant connu<br />

depuis longtemps. Ceci peut par exemple prendre la forme d’une historisation des per<strong>son</strong>nes ou des événements<br />

« La distanciation d’un événement ou d’un caractère consiste d’abord à enlever, à l’évènement ou au caractère, ses<br />

aspects familiers <strong>et</strong> évidents, <strong>et</strong> de créer de l’étonnement <strong>et</strong> de la curiosité [...] Distanciation est donc historisation,<br />

c’est-à-dire représentation d’événements ou de per<strong>son</strong>nages comme transitoires. »<br />

S’opposant à l’identication de l’acteur à <strong>son</strong> per<strong>son</strong>nage, elle produit un e<strong>et</strong> d’étrang<strong>et</strong>é par divers procédés de recul,<br />

comme l’adresse au spectateur, le jeu des acteurs depuis le public, la fable épique, la référence directe à un problème<br />

social, les <strong>son</strong>ges, les changements à vue, <strong>et</strong>c. Ces procédés visent à perturber la perception linéaire passive du spectateur<br />

<strong>et</strong> à rompre le pacte tacite de croyance en ce qu’il voit (ce que Jean Ricardou nomme « illusion référentielle » pour le<br />

roman).<br />

Dans <strong>son</strong> P<strong>et</strong>it organon pour le théâtre, Brecht s’attaque clairement au réalisme. Le principe de la distanciation se<br />

place, dit-il, à la « frontière de l’esthétique <strong>et</strong> du politique », an de « faire percevoir un obj<strong>et</strong>, un per<strong>son</strong>nage, un<br />

processus, <strong>et</strong> en même temps le rendre insolite, étrange », <strong>et</strong> de « prendre ses distances par rapport à la réalité ». La<br />

distanciation politise la conscience du spectateur <strong>et</strong> l’amène à rééchir sur la place de l’acte théâtral dans la société.<br />

Ce principe de «distanciation», déjà développé dans le Paradoxe du Comédien de Diderot, s’oppose à celui<br />

d’»identication» illustré par Horace dans <strong>son</strong> Art poétique où il prête ces mots au spectateur s’adressant à l’acteur: «Si<br />

vis me ere dolendum est primum ipsi tibi.» (Si tu veux que je pleure, tu dois d’abord sourir toi-même). On trouve une<br />

position intermédiaire chez la comédienne Marguerite Moreno, citée par Jules Renard dans <strong>son</strong> Journal (6 décembre<br />

1895): «Un acteur n’est jamais dans la peau de <strong>son</strong> héros, mais il n’est plus dans la sienne. Quand je joue Monime, je ne<br />

pense pas à Monime, mais je ne suis plus Moreno. Je suis métamorphosée en je ne sais quoi de vibrant, de surexcité,<br />

d’embêté.»<br />

Mieux que quiconque, Brecht se pose la question du réel à partir du théâtre. Pour lui, le théâtre produit une image<br />

déformante <strong>et</strong> monstrueuse de la réalité, mais il n’est certes pas dèle à l’image du réel. Le théâtre selon Brecht extrapole<br />

<strong>et</strong> n’est pas un miroir. Et d’une certaine façon, le théâtre est témoin du chaos de notre monde, peut-être même du<br />

chaos originel. Le théâtre est avant tout le possible <strong>et</strong> véritable témoin du chaos de notre lecture du monde. C’est pour<br />

c<strong>et</strong>te appréciation du monde, c<strong>et</strong>te capacité de compréhension d’un univers qui régit nos vies, que Brecht propose<br />

de s’éloigner du théâtre an de mieux voir les humains qu’il dépeint avec excès. Se m<strong>et</strong>tre à distance de nous-mêmes<br />

perm<strong>et</strong> selon lui de comprendre davantage ce que nous sommes <strong>et</strong> qui nous devenons. Brecht propose par le théâtre de<br />

distancier nos regards sur la marche du monde an de nous perm<strong>et</strong>tre de mieux l’appréhender.

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