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Maître Puntila et son valet Matti

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Ces querelles de frontières dépassent le clivage droite/gauche <strong>et</strong> les politiques <strong>son</strong>t eux-mêmes souvent démunis face à<br />

elles. Aucune institution culturelle n'encourage des proj<strong>et</strong>s d'envergure associant des chercheurs en sciences sociales,<br />

des artistes du spectacle vivant <strong>et</strong> des acteurs associatifs. Etant donné que les m<strong>et</strong>teurs en scène <strong>et</strong> les compagnies<br />

ne <strong>son</strong>t pas incités à se lancer dans c<strong>et</strong>te voie, on ne peut pas leur reprocher de l'ignorer. Inversement, pourquoi les<br />

chercheurs consacreraient-ils du temps à des proj<strong>et</strong>s qui n'entrent pas dans les tableurs que nos experts concoctent<br />

pour mesurer notre excellence ?<br />

Le théâtre public s'est donné comme principale mission de réduire la fracture séparant le public cultivé <strong>et</strong> le public<br />

populaire. Mais force est de constater qu'il a échoué sur ce plan, la proportion des ouvriers qui vont au théâtre reste<br />

très faible.<br />

Bien que le théâtre ne soit pas responsable des inégalités sociales qui déterminent les choix culturels, c<strong>et</strong> échec pèse<br />

comme un stigmate sur le milieu, car c'est un argument très ecace pour supprimer des subventions ou des emplois.<br />

Pour échapper à la critique, la tentation est grande d'institutionnaliser la séparation des publics: du classique pour<br />

les classes moyennes cultivées <strong>et</strong> du hip-hop pour les jeunes issus de l'immigration. Dans le même temps, quelques<br />

nominations de représentants de ce qu'on appelle désormais les "minorités visibles" perm<strong>et</strong>tent de faire croire qu'on<br />

"lutte contre les discriminations", alors qu'en réalité ces logiques identitaires ne font que les aggraver.<br />

La seule façon d'oeuvrer à la démocratisation de la culture, c'est de renforcer les liens entre artistes, chercheurs <strong>et</strong><br />

acteurs de la vie associative. Ces derniers <strong>son</strong>t en contact quotidien avec les milieux populaires, dont beaucoup d'entre<br />

eux <strong>son</strong>t issus.<br />

Alors qu'ils auraient besoin d'être soutenus <strong>et</strong> reconnus, les deux dénitions dominantes de la culture conjuguent leurs<br />

e<strong>et</strong>s pour les marginaliser.<br />

La première, c'est l'élitisme qui réduit la culture à ses formes les plus académiques (ou avant-gardistes) <strong>et</strong> la seconde,<br />

c'est la démagogie qui consiste à laisser croire que nous avons tous une culture qu'il surait d'exprimer pour être<br />

reconnu comme artiste.<br />

Là encore nous sommes à des années-lumière de l'idéal de Brecht, qui reposait sur la valorisation de l'apprentissage,<br />

car il était convaincu que c'est la capacité de se placer toujours en situation d'apprenti qui perm<strong>et</strong> d'échapper aux<br />

tutelles <strong>et</strong> aux enfermements identitaires.<br />

Les réformes cherchent à supprimer les dernières passerelles qui perm<strong>et</strong>taient aux associations socioculturelles de<br />

garder le contact avec le milieu artistique <strong>et</strong> scientique. Le pouvoir a intérêt à atomiser les individus, car c'est le<br />

meilleur moyen d'aaiblir leurs capacités de résistance. Les chercheurs, les artistes, les acteurs de la vie associative <strong>son</strong>t<br />

confrontés à la même politique, mais ils <strong>son</strong>t incapables d'agir ensemble, car la solidarité ne se décrète pas. Seuls ceux<br />

qui ont appris à se connaître, qui ont travaillé ensemble <strong>et</strong> partagé des aventures communes peuvent se r<strong>et</strong>rouver côte<br />

à côte pour défendre leurs intérêts <strong>et</strong> leur cause.<br />

Si un r<strong>et</strong>our à Brecht s'impose, c'est d'abord parce que nous avons besoin de rétablir des liens entre l'art, la science <strong>et</strong><br />

l'action civique. Il faut inventer un espace commun de réexion <strong>et</strong> d'action, à l'écart des enjeux institutionnels, pour<br />

imaginer des façons de défendre notre autonomie, tout en gardant le contact, au-delà des experts, avec les citoyens qui<br />

nous donnent les moyens de vivre. C'est de c<strong>et</strong>te manière que nous pourrons échapper à l'alternative ruineuse dans<br />

laquelle on veut nous enfermer : l'Etat ou le marché.<br />

* Gérard Noiriel est historien, auteur de «éâtre, histoire <strong>et</strong> politique»

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