Maître Puntila et son valet Matti
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« Montrer l’historicité du monde dans lequel nous vivons, c’est-à-dire le caractère relatif <strong>et</strong> éphémère de notre propre<br />
mode de vie, est une façon irremplaçable d’enrichir l’esprit critique de nos concitoyens, en les aidant à se déprendre<br />
d’eux-mêmes. Ce rai<strong>son</strong>nement sur l’histoire vaut naturellement pour toutes les sciences de l’homme <strong>et</strong> de la société.<br />
En puisant dans les connaissances qu’elles produisent, je suis convaincu que les artistes pourraient renouer avec<br />
un théâtre qui pose des problèmes <strong>et</strong> qui montre les dilemmes dans lesquels nous sommes tous pris, au lieu de se<br />
contenter de défendre des bonnes causes…Brecht inventait des fables pour montrer des processus historiques. C<strong>et</strong>te<br />
démarche artistique est toujours appréciée du public, si l’on en juge par le succès que rencontrent encore aujourd’hui<br />
ses pièces. Mais on peut aussi plaider pour une réhabilitation du théâtre-documentaire. Ce dernier a eu trop souvent<br />
tendance en France à se cantonner dans le témoignage ou la défense des bonnes causes, sans lien avec la recherche<br />
scientique…Plaider pour une collaboration entre artistes <strong>et</strong> chercheurs au théâtre, c’est plaider aussi pour que la<br />
question des rapports entre le fond <strong>et</strong> la forme soit à nouveau prise au sérieux. Il ne s’agit nullement de discréditer les<br />
innovations de l’avant-garde. On ne voit pas pourquoi la recherche <strong>et</strong> l’expérimentation seraient moins légitimes dans<br />
le domaine de l’art que dans le domaine de la science. Mais rien ne justie que l’expérimentation théâtrale soit réduite<br />
à sa dimension formelle. C<strong>et</strong>te tendance contribue à aaiblir ce qui a fait la spécicité du théâtre depuis l’Antiquité.<br />
Elle contribue aussi à restreindre <strong>son</strong> public. Il ne faut pas oublier, en e<strong>et</strong>, que le clivage entre la forme <strong>et</strong> le fond est<br />
aussi un clivage social. Les milieux les plus cultivés <strong>son</strong>t éduqués pour apprécier les innovations formelles, alors que<br />
les classes populaires se demandent toujours « à quoi ça sert » <strong>et</strong> veulent savoir « la n de l’histoire ». La propension<br />
des élites à ériger leur vision du monde en norme universelle est l’un des principaux facteurs de la crise actuelle du<br />
théâtre subventionné. On peut en e<strong>et</strong> penser, avec Alain Viala, que, à « restreindre ainsi un public qu’il a tant cherché<br />
à élargir, le théâtre court à sa perte »… »<br />
« On peut mobiliser toutes les études du monde pour démontrer la « stupidité » du racisme, on ne parviendra pas pour<br />
autant à convaincre ceux qui l’alimentent d’abandonner leurs préjugés.<br />
Pour être ecace, il faut parvenir à susciter le doute chez le spectateur, ébranler ses certitudes pour provoquer en lui le<br />
besoin d’en savoir plus. Et cela n’est possible qu’en travaillant avec des artistes. Ce qui est prouvé dans la recherche doit<br />
être éprouvé par le public. La connaissance est ainsi mise au service de la reconnaissance de soi, de façon à ce que les<br />
spectateurs puissent se dire à la n du spectacle, pour reprendre une formule de Jean-Paul Sartre : « Le sauvage que je<br />
vois sur la scène, c’est moi. » ». (p. 175-177)