Nanook of the North et le cinéma ethnographique - Film Studies ...
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de façon objective, sans <strong>le</strong> réifier? L’objectif d’un récit d’altérité est-il tout simp<strong>le</strong>ment<br />
d’interpel<strong>le</strong>r l’autre pour s’identifier en contraste? Certes, ce qu’un tel<br />
exemp<strong>le</strong> nous révè<strong>le</strong>, c’est l’impossibilité de définir ce que l’on n’est pas <strong>et</strong> l’inévitabilité<br />
d’adm<strong>et</strong>tre certaines qualités qui contribuent à faire de nous ce que l’on<br />
est. C’est-à-dire que, en essayant de qualifier l’autre par rapport à nous-mêmes,<br />
nous ne réussissons qu’à découvrir notre propre méconnaissance au lieu d’une<br />
connaissance qui peut être assimilée à un autre. Les moyens qui sont censés faciliter<br />
l’entreprise de tels proj<strong>et</strong>s ne servent souvent qu’à la desservir. Le médium,<br />
que ce soit un texte ou un film, ne réussit qu’à réduire toute « vérité ». Ainsi,<br />
ce qu’il révè<strong>le</strong> ne peut être que fragmentaire, substituant inéluctab<strong>le</strong>ment la<br />
va<strong>le</strong>ur d’une composante par <strong>et</strong> pour la va<strong>le</strong>ur du tout. Le « cinédoc » est donc<br />
une synecdoque. De surcroît, la communication serait aussi gouvernée par un<br />
biais favorisant une idéologie. Flaherty, malgré ses prétentions d’objectivité, ne<br />
réussit pas à identifier justement son obj<strong>et</strong>, mais révè<strong>le</strong> en revanche une interprétation<br />
<strong>et</strong> une interpellation fabriquées <strong>et</strong> parfois condescendantes. Il invente<br />
une réalité pour <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> itivimuit. L’idée que <strong>Nanook</strong> <strong>of</strong> <strong>the</strong> <strong>North</strong> soit une œuvre<br />
documentaire, au sens où on l’entend aujourd’hui, est donc une supercherie.<br />
Par <strong>le</strong> truchement de conventions propres au chronotope dans <strong>le</strong>quel il<br />
s’inscrit, <strong>le</strong> <strong>cinéma</strong> documentaire d’ordre <strong>et</strong>hnographique se proposerait comme<br />
un lieu privilégié où l’on puisse se représenter au<strong>the</strong>ntiquement une autre réalité<br />
spatio-temporel<strong>le</strong>, même dépassée. La société à découvrir grâce à l’intervention<br />
<strong>cinéma</strong>tographique sera dépourvue de la capacité d’autodétermination dont <strong>le</strong>s<br />
communautés dites civilisées bénéficient, d’où l’espoir ou <strong>le</strong> désespoir (déplacé<br />
ou non) de c<strong>et</strong>te première. El<strong>le</strong> sera ostensib<strong>le</strong>ment régie par une force téléologique<br />
que la société contemporaine, qui prétend gu<strong>et</strong>ter l’autre depuis un poste<br />
d’observation lointain, aura surmontée en raison de sa logique entropique. 39 Par<br />
la liberté individuel<strong>le</strong> <strong>et</strong> la maîtrise de l’environnement, el<strong>le</strong> aura exercé des<br />
choix effectués dans l’histoire, principa<strong>le</strong>ment en fonction des progrès scientifiques.<br />
Éventuel<strong>le</strong>ment, c<strong>et</strong>te fenêtre sur un univers jusqu’alors inconnu donnera<br />
tantôt lieu à la nostalgie d’un paradis perdu, tantôt à la pitié, à la honte ou au<br />
mépris des origines dites primitives, sauvages.<br />
La prétendue revivification du passé par l’appareil fonctionne à partir de la<br />
supposition que l’obj<strong>et</strong> qu’il capte est figé, voire mort. C<strong>et</strong>te insistance sur son<br />
immuabilité est censée servir à crédibiliser l’envergure totalisante de l’outil<br />
employé pour mener la représentation, <strong>et</strong> par là <strong>le</strong> contenu de l’enquête. Par<br />
contre, dans l’œuvre qui nous concerne, nous postulons que la vraisemblance se<br />
heurte aux limites de la poétique dans laquel<strong>le</strong> el<strong>le</strong> s’inscrit. Là où <strong>le</strong> my<strong>the</strong> se<br />
raconte en paro<strong>le</strong>s qui se veu<strong>le</strong>nt globalisantes sans faire directement appel à la<br />
réalité de son audience, l’allégorie explicite se tourne inéluctab<strong>le</strong>ment en images<br />
partitives, prétendant capter l’essentiel du paradigme esthétisé dans l’intérêt<br />
d’en superposer certains éléments sur <strong>le</strong> monde empirique, <strong>et</strong> vice-versa. Par<br />
rapport à l’obj<strong>et</strong> de son observation, partant de l’universel <strong>et</strong> aboutissant au<br />
72 NICHOLAS SERRUYS