MANUEL GÉNÉRÂL - Institut français de l'éducation
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322 <strong>MANUEL</strong> GÉNÉRAL DE L' INSTRUCTION PRIMAIRE.<br />
Qu'est-ce donc que ce capitulaire dans on parle si<br />
souvent, quoiqu'il n'occupe guère plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ou<br />
trois lignes dans nos précis. En général on n'en cite<br />
qu'un article, un seul, et encore en l'abrégeant. 11<br />
suffit <strong>de</strong> savoir que le fils d\m comte sera hojioré<br />
par le roi <strong>de</strong>s honneurs paternels, que le roi conférera<br />
au fils la dignité du père, et que la succession <strong>de</strong>s<br />
comtés et <strong>de</strong>s flefs sera désormais héréditaire. C'est,<br />
comme on -voit, toute une société nouvelle qui naît,<br />
avec un nouveau droit politique, du chaos où l'Occi<strong>de</strong>nt<br />
se débattait. Le testament <strong>de</strong> la royauté i'ranque<br />
est bref, mais formel.<br />
II<br />
On est toutefois tenté <strong>de</strong> se poser une première<br />
question. La féodalité s'est constituée ailleurs qu'en<br />
France. Le régime féodal se trouve chez les Saxons,<br />
les Bavarois, les Hongrois. Faut-il l'attribuer hors <strong>de</strong><br />
France comme en France à l'influence décisive du<br />
capitulaire <strong>de</strong> Kiersy? C'est impossible. — Ou bien<br />
faut-il l'attribuer dans ces pays à une charte analogue<br />
à l'édit <strong>de</strong> Kiersy ? Comment alors se fait-il que<br />
cet acte seul ait subsisté, tandis que ceux qui constituaient<br />
la féodalité dans les pays étrangers aient<br />
si complètement disparu qu'on n'en trouve nulle part<br />
aucune mention.'<br />
Autre question. — Un acte auss.i important que<br />
l'abdication <strong>de</strong> la monarchie carolingienne eût nécessairement<br />
frappé les contemporains. Ce qu'il y a <strong>de</strong><br />
bizarre, c'est qu'ils ne semblent pas avoir compris<br />
l'importance du capitulaire <strong>de</strong> Kiersy. Aucun <strong>de</strong>s<br />
chroniqueurs et annalistes <strong>de</strong> Gaule ou <strong>de</strong> Germanie<br />
ne daigne en parler.<br />
L'archevêque <strong>de</strong> Reims, Ilincmar, seul le mentionne<br />
<strong>de</strong>ux fois. Il nous apprend que l'empereur Charles<br />
avant <strong>de</strong> partir pour l'Italie a réuni une assemblée,<br />
qu'il a pris <strong>de</strong>s mesures législatives pour régler le<br />
gouvernement du royaume en son aljsenee jusqu'à<br />
son retour <strong>de</strong> Rome, que cette assemblée s'est tenue<br />
aux calen<strong>de</strong>s <strong>de</strong> juillet, à Kiersy i. D'autre part, dans<br />
une lettre adressée à Louis le Bègue aussitôt après<br />
son avènement, au len<strong>de</strong>main donc <strong>de</strong> l'assemblée <strong>de</strong><br />
Kiersy; l'archevêque <strong>de</strong> Reims l'appelle et résume<br />
les décrets <strong>de</strong> cette assemblée^; mais il ne parle ni<br />
<strong>de</strong> l'hérédité <strong>de</strong>s offices et <strong>de</strong>s bénéfices, ni <strong>de</strong>s<br />
seigneuries féodales. Au contraire, il insiste sur<br />
les droits <strong>de</strong> l'église et -sur les droits et les <strong>de</strong>voirs<br />
du roi. 11 ne considère certainement pas<br />
l'édit <strong>de</strong> 877 comme un acte funeste à la royauté. Il<br />
y voit plutôt une série <strong>de</strong> préceptes utiles à la paix,<br />
à la concor<strong>de</strong> <strong>de</strong> tous, à la bonne administration du<br />
royaume. 11 regar<strong>de</strong> aussi ce capitulaire <strong>de</strong> Charles<br />
comme un testament, mais nullement en faveur <strong>de</strong>s<br />
grands ; c'est une sorte <strong>de</strong> testament que l'empereur<br />
laissait à son fils, à son seul héritier. Charles le<br />
Chauve a si peu sacrifié l'avenir <strong>de</strong> sa dynasiie qu'il<br />
a voulu lui tracer <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> bonne administralion.<br />
1. Yoir, dans la petite collection Zeller (llachetle, in-lli),<br />
Charles le Chauve, p. 17.").<br />
2. Voir, dans la même collection, les <strong>de</strong>rniers Carlovin-<br />
)/iens,.\i. G à 0. .<br />
m<br />
Si les contemporains <strong>de</strong> Charles le Chauve, même<br />
les hommes d'Etat, ont eu du capitulaire <strong>de</strong> Kiersy<br />
une idée si différente <strong>de</strong> la nôlre, ne serait-ce pas<br />
que nous nous serions trompés dans son interprétation?<br />
Revoyons donc le texte même <strong>de</strong> l'édit <strong>de</strong><br />
Kiersy.<br />
Disons tout d'abord qu'à l'a différence <strong>de</strong> presque<br />
tous les autres capitulaires du règne <strong>de</strong> Charles le<br />
Chauve qui se trouvent à la fois dans plusieurs recueils,<br />
le capitulaire <strong>de</strong> Kiersy ne fait partie d'aucun<br />
d'eux. 11 nous est parvenu entièrement isolé. 11 a été<br />
transmis seul, à la fm d'un manuscrit qui n'avait<br />
aucune origine officielle. Ajoutons — ce qui est plus<br />
grave — que le manuscrit est aujorud'hui perdu et<br />
que, si nous en avons connaissance aujourd'hui, c'est<br />
seulement par l'intermédiaire d'un savant allemand,<br />
Pertz, qui avait pu le consulter et l'étudier avant<br />
qu'une main coupablene le dérobât à nos collections<br />
et ne le mutilât pour le rendre méconnaissable et dissimuler<br />
le vol.<br />
IV<br />
Tel qu'il nous a été conservé, le capitulaire éclairé<br />
par d'autres documents <strong>de</strong> la même époque, renferme<br />
en lui-même sa propre histoire. Qu'on nous permette<br />
<strong>de</strong> la refaire ici.<br />
Au mois <strong>de</strong> juin 877, l'empereur Charles le Chauve<br />
faisait ses préparatifs pour une gran<strong>de</strong> expédition en<br />
Italie. — C'était sur la prière du pape .lean 'Vin qu'il<br />
l'entreprenait, car, s'il n'eût consulté que lui-même,<br />
il serait resté en France où il redoutait une révolte<br />
<strong>de</strong> ses principaux seigneurs. — Il était donc tout naturel<br />
qu'avant <strong>de</strong> partir il prît ses précautions pour<br />
assurer l'ordre dans ses états pendant son absence<br />
et transmettre à son fils Louis son autorité aussi<br />
complète que possible. Il rédigea donc, sous forme <strong>de</strong><br />
capitulaire, un plan <strong>de</strong> gouvernement, un programme<br />
d'administration qu'il crut <strong>de</strong>voir à la façon <strong>de</strong>s rois<br />
ses prédécesseurs, soumettre à son baronnage.<br />
Le 12 juin 877, les grands, convoqués à Kiersy,<br />
dans le palais même <strong>de</strong> l'empereur, se trouvaient<br />
répartis dans <strong>de</strong>s chambres <strong>de</strong> délibérations différentes,<br />
les évêques et le clergé dans les unes, les<br />
seigneurs laïques dans les autres. Charles leur fit<br />
parvenir les articles du capitulaire qu'il avait composé<br />
« avec l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> Dieu ». Les grands étudièrent<br />
les articles en détail. Ils approuvèrent les <strong>de</strong>ux premiers<br />
sans difficulté, mais ils évitèrent <strong>de</strong> se prononcer<br />
sur les autres, ou, du moins, ils firent au roi<br />
une réponse évasive qu'on pourrait traduire ainsi :<br />
« F ailes donc comme voiis voudrez, car quels que<br />
soient les conseils que nous pourrions vous donner'<br />
nous sommes certains à l'avance que vous n'en feriez<br />
qu'à votre tête. ) — Sans doute la réponse fut présentée<br />
sous une forme plus respectueuse, mais il<br />
n'en est pas moins évi<strong>de</strong>nt que les membres <strong>de</strong> la<br />
réunion, qui condamnaient en eux-mêmes l'esprit<br />
du capitulaire, préférèrent s'abstenir. L'article 9 luimême,<br />
celui-là même qui réglait, comme on le croit,<br />
l'hérédité <strong>de</strong>s fiefs et <strong>de</strong>s offices, «'eut pas plus <strong>de</strong><br />
succès que les autres. Là encore les grands marquèrent<br />
leur parti pris <strong>de</strong> ne pas répondre catégori